L’Humanité, avec sa plate-forme numérique l’Humanite.fr, prend l’initiative d’ouvrir ses colonnes pour repenser le monde, avec l’ambition d’être utile à chacune et chacun d’entre nous. Cette initiative aura des prolongements avec la publication d’un hors-série à la fin de l’été et l’organisation de grands débats publics permettant de prolonger ces écrits. Aujourd’hui, «Une sécurité sociale des productions», par Bernard Friot, sociologue et économiste, Réseau salariat.
Le confinement est un révélateur. La bien plus grande utilité sociale des premières de corvée que des premiers de cordée pousse à l’interdiction de rémunérations mensuelles inférieures à 1 700 euros net et à leur plafonnement, par exemple à 5 000 euros net.
L’inventivité de soignantes retrouvant la maîtrise de leur travail contre les gestionnaires, et de ce fait éprouvant une réelle satisfaction professionnelle malgré leur fatigue et leur désarroi devant des choix monstrueux imposés par le saccage organisé de l’hôpital, montre que la décision par les seuls travailleurs de ce qui est produit doit devenir le cœur de la mobilisation collective dans les entreprises et services publics. L’extrême précarité de l’aide et des aidés en matière d’alimentation ou de logement pousse à son remplacement par la multiplication de sécurités sociales, comme nous allons le voir. La large supériorité du salaire à la qualification personnelle des fonctionnaires sur le salaire d’emploi du privé et sur les revenus du travail indépendant rend évidente une généralisation à tous les adultes, de 18 ans à leur mort, d’un salaire attaché à la personne, compris entre les 1 700 euros du premier niveau de qualification attribué à chacun.e le jour de sa majorité et le plafond de 5 000 euros.
La décision par les seuls travailleurs de ce qui est produit doit devenir le cœur de la mobilisation collective dans les entreprises et services publics.
L’efficacité des solidarités de terrain comparée aux errements et à la nocivité de l’État capitaliste concentré sur l’organisation d’un confinement policier confirme l’urgence de généraliser, en plus grand et plus fort, la gestion par les travailleurs de toutes les fonctions collectives, comme l’a été le régime général de Sécurité sociale de 1947 à 1967. L’effervescence des initiatives de productions alternatives ici et maintenant et des appels à se fédérer exprime la possibilité et la nécessité d’en finir avec la rationalité folle des entreprises capitalistes, qui sont vouées à la prédation sur le vivant.
L’effervescence des initiatives de productions alternatives exprime la nécessité d’en finir avec la rationalité folle des entreprises capitalistes.
Multiplier les productions en sécurité sociale, en actualisant la conquête de la Sécurité sociale du soin des années 1960, est un chemin fécond dans toutes les directions que je viens d’évoquer. Le doublement du taux de cotisation à l’assurance-maladie entre la Libération et la fin des années 1970 a permis de subventionner largement l’investissement hospitalier, de créer une fonction publique hospitalière et de conventionner les soignants libéraux, bref de produire 10 % du PIB hors de la logique capitaliste de la propriété lucrative et du marché du travail. À l’exception notable du médicament, ce qui a permis au capital de revenir en force quand le taux de cotisation a été gelé (et il l’est depuis 40 ans !), d’autant que l’assurance-maladie lui fournit un marché public énorme : une leçon à méditer.
La proposition, travaillée avec d’autres à Réseau salariat, est la suivante. Déplaçons l’assiette des cotisations, de la masse salariale à la valeur ajoutée, afin d’opérer la solidarité entre branches à fortes et faibles valeurs ajoutées tout en soutenant la création d’entreprises. Faisons de tous les salaires et pensions un attribut de la personne versé par le régime général de Sécurité sociale géré par les seuls travailleurs et devenu caisse des salaires : les entreprises ne paient plus leurs salariés mais cotisent, les indépendants ne se paient plus sur leur bénéfice mais cotisent, et chacun perçoit un salaire qui ne peut ni baisser ni être supprimé, fondé sur sa qualification, c’est-à-dire sur son expérience professionnelle, sauf le premier niveau automatiquement attribué à tou.te.s. Portons à 1 700 euros net (soit l’actuel salaire médian) toutes les rémunérations et pensions inférieures, et augmentons en conséquence les autres salaires tout en ramenant à 5 000 euros les salaires et pensions supérieurs à ce plafond. Cela supposera une tout autre affectation des produits du travail : plutôt que de gaver des actionnaires et des prêteurs, les entreprises affecteront leur valeur ajoutée à des caisses de salaires et d’investissement gérées par les travailleurs.
Plutôt que de gaver des actionnaires et des prêteurs, les entreprises affecteront leur valeur ajoutée à des caisses de salaires et d’investissement gérées par les travailleurs.
Les caisses de salaires ne verseront pas tout le salaire en espèces : elles abonderont chaque mois notre carte Vitale de plusieurs centaines d’euros qui ne pourront être dépensés qu’auprès de professionnels conventionnés de l’alimentation, du logement, des transports de proximité, de l’énergie et de l’eau, de la culture (mais d’autres productions pourront être progressivement mises en sécurité sociale). Et ne seront conventionnées que les entreprises qui seront la propriété d’usage de leurs salariés, et donc gérées par eux seuls, qui ne feront pas appel au marché des capitaux, qui ne se fourniront pas auprès de groupes capitalistes, qui produiront selon des normes décidées par délibération collective de la convention.
Le montant du salaire inscrit sur la carte Vitale devra être tel qu’au moins le tiers de la consommation dans ces domaines échappe d’emblée au capital : les entreprises alternatives seront considérablement soutenues, les entreprises capitalistes seront mises en grande difficulté et leurs salariés se mobiliseront pour en prendre la direction et changer leurs fournisseurs et leurs productions de sorte qu’elles deviennent conventionnables elles aussi.
♦ Bernard Friot, auteur avec Judith Bernard d’ Un désir de communisme, à paraître en septembre 2020 aux éditions Textuel.
Louis Departout Sa photo p 275, dans Chronique d’une section communiste de province, d’Eugène Kerbaul,
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère:
106/Louis Departout (1916-1943)
Né le 2 mai 1916 à Brest (Finistère), fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; électricien à l’Arsenal de Brest ; communiste, résistant, FTPF.
Fils d’Aimé François Henri Departout et de Marguerite Le Menn, Louis Departout se maria le 21 juin 1937 au Faou (Finistère) avec Marie-Louise Courtois. Celle-ci décéda le 30 juin 1938, après la naissance d’une fille, Marie-Claude, née le 28 avril 1938 au Faou. Il se remaria le 6 janvier 1941 au Relecq-Kerhuon (Finistère), avec Louise Gabrielle Jézéquel, et eut deux filles nées au Relecq-Kerhuon : Denise, née le 13 novembre 1940, et Gabrielle, née le 19 janvier 1942. Celle-ci mourut le 28 avril 1945.
Louis Departout était ouvrier à l’Arsenal de Brest, où il exerçait le métier d’électricien. Comme tous les ouvriers de l’Arsenal habitant Kerhuon, il prenait le matin le train pour Brest à la gare du Rody, située à proximité de son domicile situé 7 rue Lamartine au Relecq-Kerhuon.
Il participa, sans être alors membre du Parti communiste, aux grèves patriotiques des ouvriers de l’Arsenal, le 25 octobre 1941, contre le massacre des otages de Châteaubriant, et en décembre de la même année contre l’exécution d’autres résistants. Louis Departout fut l’un des premiers FTP de la région brestoise, membre du groupe de Pierre Corre, Bataillon Guilloux, à la création des FTPF.
Le 26 mars 1942, d’après Eugène Kerbaul, Louis Departout participa à une grande opération de sabotage. La résistance communiste de l’Arsenal organisa un grand coup contre les installations électriques de l’Arsenal. Comme des ouvriers travaillaient de nuit à la centrale électrique, il fut décidé de ne pas s’y attaquer, et de détruire seulement les sous-stations. La Résistance ne disposant pas de cordons de Bickford, on testa, puis on utilisa de la mèche à briquet à essence. Neuf équipes furent constituées qui se répartirent les sites d’intervention. Avec Paul Monot et un troisième dont le nom a été oublié, Louis Departout fit sauter la sous-station de l’école de Maistrance. L’effet de ce sabotage fut considérable non seulement du point de vue de la paralysie partielle de l’Arsenal par privation d’électricité pour une part notable (certains secteurs de l’Arsenal furent privés d’électricité pendant cinq jours), mais aussi sur le personnel français et sur les militaires allemands.
Les polices française et allemande s’étant vite mobilisées, elles arrêtèrent en fin d’après-midi Lucien Kérouanton qui réussit à s’enfuir grâce à des complicités. Il sortit de l’Arsenal, ``couvert’’ par Louis Departout qui n’avait pas été repéré, et ne fut pas inquiété, sans doute parce qu’il n’avait jamais été membre du Parti communiste, ni un militant syndical de premier plan. D’après Eugène Kerbaul, Louis Departout adhéra ce jour-là au Parti communiste, en même temps que Joseph Ropars. Ils auraient dit à Lucien Kérouanton, car il était évident qu’il fallait qu’il quittât la région, ce qu’il fit : « Nous prenons ta place dans le parti. »
Louis Departout devint chef de groupe FTPF en mai 1942. Le 14 juillet 1942, pour la fête nationale, Louis Departout participa, sous la direction de Pierre Corre, en compagnie de Pierre Le Bec et Paul Le Gent à une action de sabotage des machines de l’atelier des Bâtiments en fer de l’Arsenal, situé sous l’actuel pont de l’Harteloire.
Des tours, la station de pompage hydraulique servant au vidage des bassins, qui servait aussi à fournir l’énergie aux presses et vérins servant au formatage des pièces les plus lourdes, furent sabotés à l’émeri. Les courroies de transmission, servant à apporter l’énergie aux tours Somua de l’atelier des machines, et aux autres machines-outils, furent coupées, les rendant inertes pendant plusieurs jours.
Louis Departout fut arrêté dans la nuit du 1er au 2 octobre 1942, sur dénonciation, par la police de Vichy, en même temps que seize autres militants FTP, dans le cadre d’une enquête confiée au Service de police anticommuniste (SPAC) qui s’échelonnera du 26 septembre 1942 à février 1943. D’abord répartis dans les trois commissariats de la ville, les prisonniers furent regroupés dans la matinée dans une cellule du commissariat de Saint-Martin. Pour leur transfert à la prison de Pontaniou, ils furent munis chacun de trois paires de menottes. L’une les maintenait les mains derrière le dos, et, à chaque poignet, une paire les reliait de part et d’autre à un gendarme. Mais, chose inhabituelle pour des « terroristes », les gendarmes les traitèrent avec beaucoup de correction pour les faire monter dans l’autocar qui les conduisait à la prison. Ils avaient tous mis des gants blancs. Lors de leur transfert au Château, le 5 octobre, les gendarmes furent, à nouveau, très corrects, en gants blancs, sous les ordres d’un officier.
Parmi les personnes arrêtées, il y avait Joseph Ropars, Albert Rannou, Eugène Lafleur, Paul Monot, Henri Moreau, Yves Gilloux, fusillés au Mont-Valérien à Suresnes, et une vingtaine d’autres, toutes de Brest, dont Mathurin Le Gof, qui survécut, et devint conseiller municipal de Brest après la Libération. Celui-ci attesta en 1952 que Louis Departout avait « été arrêté le 2 octobre 1942 par la police de Vichy, puis interné avec moi, aux prisons de Pontaniou, et du Château de Brest, Jacques-Cartier à Rennes, et prison de Fresnes, où le 28 août 1943 nous fûmes jugés par le tribunal allemand ».
Louis Departout fut interné au Château de Brest, du 8 octobre 1942 au 28 janvier 1943, et y subit la torture. Il fut transféré à Rennes et interné à la prison Jacques-Cartier du 28 janvier au 28 juillet 1943. Il fut transféré à Fresnes et interné du 27 juillet au 17 septembre 1943. Le 28 août 1943, il fut condamné à la peine de mort par le conseil de guerre allemand de Fresnes (Komm. Von Gros Rosen Paris 161/43) pour diffusion de tracts et journaux anti-allemands, recrutement, sabotage par explosif d’une sous-station électrique le 28 mars 1942, actes de terrorisme et sabotages dirigés contre les troupes d’occupation. Il a été fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien (Suresnes) en même temps que dix-huit autres résistants communistes brestois (Jean-Louis Primas, Louis Le Bail, Yves Giloux, Albert Abalain, Albert Rannou, Paul Monot, Lucien Argouarch, Joseph Ropars, André Berger, Jean-Marie Teurroc, Albert Rolland, Etienne Rolland, Paul Le Gent, Jean Quentric, Henri Moreau, Eugène Lafleur, Charles Vuillemin, Louis Le Guen) et son corps fut inhumé au cimetière d’Ivry.
Il a été déclaré « Mort pour la France » et homologué sergent par la 3e région militaire, le 6 juin 1946. À titre posthume, il fut décoré de Légion d’honneur, de la Médaille militaire, de la Médaille de la Résistance, de la Croix de guerre avec étoile de bronze.
La ville du Relecq-Kerhuon donna son nom à l’une de ses rues.
Une rue de Brest, dans le quartier Saint-Marc, porte son nom.
Source: Gilles Pichavant, Maitron
SOURCES : DAVCC, Caen. – Fichier des fusillés, archives de la FNDIRP du Finistère Nord, à Brest. – Eugène Kerbaul, 1918-1945, 1640 militants du Finistère, Presses de l’imprimerie commerciale de Rennes, 1988. – Eugène Kerbaul, Chronique d’une section communiste de province, Brest, janvier 1935-janvier 1943, Presses de l’imprimerie commerciale de Rennes, 1992. – Jean-Paul Molinari, Les ouvriers communistes : sociologie de l’adhésion ouvrière au PCF, L’Harmattan, 1996.
Lire aussi sur ces résistants communistes finistériens fusillés le 17 septembre 1943 (Jean-Louis Primas est d'origine morbihannaise, de Lanester) :
photo le Télégramme - siège de Hop! à l'aéroport de Morlaix - Ploujean
Air France se recentre à Paris et abandonne la province aux low-costs! -
Communiqué de l'intersyndicale HOP!
Accorder un prêt de 7 milliards d'euros à Air France pour la sauver de la crise est une chose, abandonner la desserte des régions et des lignes intérieures aux low-costs en est une autre!
Le Groupe Air France veut se reconstruire autour du Hub de Charles de Gaulle, quand dans le même temps les dessertes d'Orly et de la province porteraient le modèle économique Transavia. Cela veut dire que que les nombreuses liaisons dites inter-régionales seraient dans un avenir proche abandonnées, voire supprimées!
Mais Transavia en province ne pourra pas se substituer à Hop! sur la totalité du réseau.
En effet, les modules de nos compagnies ne sont pas comparables avec d'un côté des avions de 72/100 sièges et de l'autre des aéronefs de 189 sièges. Il est illusoire de penser qu'un avion de 189 sièges pourrait remplacer un module plus petit et parfaitement adapté au réseau Transrégional!
Transavia en province c'est pour effectuer des vols "soleil" pour aller à Ibiza, Djerba, Tamanrasset.. Mais certainement pas pour faire des liaisons du type Bordeaux-Lyon ou Strasbourg-Nantes! Les modules low-cost sont adaptés pour effectuer des vols avec un taux de remplissage de l'ordre de 95% sinon ils ne sont pas rentables!
La nouvelle stratégie de Benjamin Smith, c'est l'abandon du maillage hexagonal! Le Hub de Charles de Gaulle est vital pour Air France avec les vols intercontinentaux. Air France décide de sacrifier la province sous prétexte de non rentabilité et sous prétexte des consignes départementales.
Pourtant demain les vols Province-Orly seront réduits à la portion congrue...
Les avions de HOP! sont pourtant mieux adaptés puisque plus petits, plus légers, moins gourmands en kérosène et leur impact carbone est bien moins élevé que les Airbus d'Air France ou les Boeing de Transavia!
Benjamin Smith dans sa nouvelle stratégie mise tout sur Paris et abandonne la province!
Comment les élus de la nation, les contribuables Français, pourraient accepter une telle stratégie, basée uniquement sur la rentabilité et financée avec ses propres deniers.
Alors que rarement la recherche médicale française n’a suscité autant d’attente, le sénateur Pierre Ouzoulias dénonce le manque de moyens du secteur. Entretien.
Sénateur et chercheur au CNRS, Pierre Ouzoulias observe de près la politique de recherche menée par le gouvernement français, notamment en cette période d’épidémie. Il pointe les manques de moyens et d’organisation qui empêchent les laboratoires publics d’avancer plus rapidement dans la recherche de traitement contre le Covid-19 et dont pourraient souffrir aussi les autres pans de la recherche.
La France fait partie des États qui réalisent le plus d’essais cliniques pour trouver un traitement contre le Covid-19. Pensez-vous, comme Olivier Véran, que « s’il y a un pays qui doit trouver un médicament qui marche, il y a de bonnes chances que ce soit le nôtre » ?
Pierre OuzouliasJe ne pense pas. D’abord, je ne suis pas certain qu’il faille se réjouir du nombre élevé d’essais cliniques en cours, car cela souligne un manque d’organisation criant de la recherche. La pandémie a mis en lumière les carences structurelles de la recherche française, de moyens et d’organisation, parcellisée en plusieurs structures, ce qui empêche de donner une réelle direction, une impulsion et un programme clair. Le gouvernement a créé l’organisme Care qui, en principe, devrait coordonner ces travaux, mais rien n’est fait. Le président de la République nous répète que nous sommes en guerre, mais la communauté scientifique observe qu’il n’y a pas d’état-major, pas de moyens et pas de troupes. On est resté sur le système classique, avec des études lancées via des appels à projets qui ajoutent de la lourdeur administrative, donc du temps et de la disparition de moyens. Cette organisation nous empêche de savoir si tous les domaines de la recherche sont couverts et s’il y a besoin d’investir davantage dans des domaines dans lesquels la France n’est pas représentée. Ce bilan n’a pas été fait et le manque de coordination freine l’avancée de la recherche. Le gouvernement a été incapable, même en ces temps de pandémie, de changer ce qui handicape la recherche publique en France.
"L’exécutif est incapable de gérer cette crise puisqu’il reste dans un dogme libéral qui considère que l’État n’est pas la solution mais le problème."
Emmanuel Macron a promis d’augmenter rapidement le budget de la recherche, est-ce déjà le cas ?
Pierre OuzouliasLes plans de finances rectificatifs récemment votés ne prévoient aucun moyen supplémentaire pour la recherche. C’est absolument catastrophique. En tant que sénateur, j’ai posé plusieurs fois la question à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, mais elle nous balade. On nous dit que ça va arriver mais on risque d’attendre longtemps. Ce que je crains, c’est que les enveloppes dont disposent l’Agence nationale de la recherche (ANR) mais aussi l’Inserm ou le CNRS restent les mêmes mais qu’on demande d’augmenter celles consacrées à la recherche de traitement ou de vaccin. L’argent va donc venir d’autres sujets de recherche qui vont être abandonnés. C’est inquiétant et on voit déjà que des études ont dû être arrêtées car elles n’étaient plus financées. D’autres sont mises entre parenthèses car l’urgence est l’épidémie, ce qui est normal, et le budget général est beaucoup trop mince, contrairement à ce que disent les dirigeants. Il y a un double langage, sur ce que promet Emmanuel Macron et ce que fait concrètement le gouvernement, qui est insupportable. L’exécutif est incapable de gérer cette crise puisqu’il reste dans un dogme libéral qui considère que l’État n’est pas la solution mais le problème. Quand bien même toute cette crise nous montre le contraire.
Ces manques de moyens pour la recherche publique ont donc un impact aujourd’hui sur la recherche de traitements ?
Pierre OuzouliasOui, à cause de ces problèmes de moyens, de coordination, mais aussi de confiance envers les chercheurs, la France ne se donne pas les moyens d’être dans la course au traitement. La crise sanitaire souligne les problèmes dont souffre la recherche médicale en France depuis des années. L’exemple flagrant, c’est qu’on a abandonné, il y a dix ans, une recherche de fond sur la famille des coronavirus, uniquement pour des raisons budgétaires. Ces études auraient pu permettre d’en savoir plus sur les propriétés du virus, la manière de le neutraliser et donc de gagner beaucoup de temps. C’est caractéristique d’une recherche qui fonctionne par à-coups et qui abandonne ses financements lorsque le domaine en question n’est plus la priorité du moment. Il y a aussi un retard très fort en termes d’équipements. Aujourd’hui, les chercheurs français qui étudient la structure du virus n’ont pas accès aux mêmes microscopes qu’en Chine, ils ne peuvent donc pas aller aussi vite. Et il n’y a aucune volonté de mettre en place les moyens pour récupérer ce retard.
"Nous voyons bien, avec la crise environnementale et sanitaire, que le capitalisme financiarisé et globalisé est totalement dépassé et ne peut apporter aucune solution durable."
Au début de l’épidémie, les gouvernements et les chercheurs saluaient une coopération inédite entre laboratoires et États. Quelques mois plus tard, cette solidarité ne s’est-elle pas fissurée ?
Pierre OuzouliasLa communauté scientifique internationale échange beaucoup, il y a une vraie coopération de ce côté-là. Concernant la stratégie des laboratoires privés et des États, c’est très différent. Le scandale Sanofi le montre bien. Les laboratoires pharmaceutiques ont pour la plupart abandonné la recherche de traitements, car l’incertitude fait que le risque financier est trop important. En revanche, comme la découverte d’un vaccin pourrait servir à l’ensemble de l’humanité, avec un retour sur investissement potentiellement prodigieux, ils se sont jetés dessus. Et pour permettre la levée de fonds, Sanofi et d’autres jouent la concurrence entre les États, avec cette forme de chantage qui consiste à dire : « Les États-Unis investissent tant, si vous voulez qu’on produise le vaccin en France, il va falloir donner plus ». Les États sont donc concurrents. L’essai Discovery, qui patine parce que les pays européens qui devaient rejoindre la France ne l’ont finalement pas fait, montre bien que chaque pays préfère travailler dans son coin. Les États sont dans la poursuite de la course économique qu’ils se livrent depuis des décennies. C’est la première pandémie qui touche l’humanité de manière aussi globale, pourtant, pour la combattre, la réaction est celle d’un nationalisme tel qu’on ne l’a pas connu depuis 1945. Il est pourtant évident que ce n’est qu’en travaillant ensemble qu’on sortira plus rapidement de la crise. La logique ultralibérale se poursuit, contre l’intérêt de tous. Alors même que nous voyons bien, avec la crise environnementale et sanitaire, que le capitalisme financiarisé et globalisé est totalement dépassé et ne peut apporter aucune solution durable. Les idées portées par la gauche n’ont jamais été aussi modernes et aussi efficaces pour apporter des solutions pour notre humanité.
Stop aux persécutions contre Salah Hamouri (Fabien Roussel - PCF)
Je viens d’apprendre que, ce mercredi matin, notre compatriote Salah Hamouri, avocat, a échappé à une tentative d’enlèvement menée par une unité spéciale de l’armée israélienne à Ramallah.
Cet acte inadmissible mérite une réaction immédiate des autorités françaises, à l’instar de celle exprimée concernant une chercheuse française condamnée à une peine de prison en Iran.
Je saisie le Ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour qu’il exige, au nom de la France, la fin des persécutions contre notre compatriote Salah Hamouri par les autorités israéliennes.
Trois hommes physiquement entrainés et au fort accent hébreu ont essayé de kidnapper l’avocat Franco-Palestinien en plein centre de Ramallah. Tout porte à penser qu’il s’agit d’agents israéliens déguisés, des moustarabim.
Ce mercredi 20 mai, vers 9h du matin, l’avocat franco-israélien Salah Hamouri se rendait à son travail au centre de Ramallah (Cisjordanie). Employé par l’association Addameer de défense des droits de l’homme et des prisonniers, Salah Hamouri allait pénétrer dans l’immeuble de l’association, à deux pas du parlement Palestinien lorsqu’il a salué par politesse un homme, physiquement très musclé, qui le croisait. L’individu a alors répondu en arabe mais avec un accent hébreu si prononcé que Salah Hamouri a immédiatement compris de quoi il s’agissait. Deux autres hommes ont alors surgi et ont tenté de l’immobiliser. Sans succès. Salah Hamouri a réussi à s’enfuir et à se fondre dans les rues marchandes de Ramallah, particulièrement bondées en cette fin de Ramadan et de préparation de la fête de l’Aid al Fitr. Ces trois hommes sont très vraisemblablement des agents israéliens, des Moustarabim, ainsi que les Palestiniens désignent les Juifs israéliens déguisés en Arabes. Cette tentative d’enlèvement a été signalée au Consulat général de France à Jérusalem et le ministère français des Affaires étrangères est tenu informé. Une fois de plus, Israël bafoue le droit. La France va-t-elle rester muette face aux risques que court l’un de ses ressortissants? Salah Hamouri est en danger. Une fois de plus serait-on tenté de dire. Il a été emprisonné à plusieurs reprises notamment sous le statut de la détention administrative qui ne reconnaît aucun droit au prévenu, même pas celui de connaître les raisons de son arrestation. La tentative d’enlèvement de Salah Hamouri doit être publiquement dénoncée, même si l’on peut s’attendre au déni d’Israel voire à des accusations de « règlement de compte entre groupes palestiniens ».
Pierre Barbancey
Tentative d’enlèvement de Salah Hamouri : alerte et demande de protection
Ce 20 mai au matin, les forces spéciales israéliennes ont tenté d’enlever Salah Hamouri, avocat franco-palestinien, en plein centre de Ramallah, devant les locaux de l’ONG Addameer où il exerce sa profession.
Depuis des mois, les forces israéliennes interviennent en toute impunité en « zone A » censée être sous contrôle palestinien, et s’en prennent tout particulièrement aux défenseurs des droits de l’Homme comme Salah Hamouri.
L’Association France Palestine Solidarité renouvelle son soutien total à Salah Hamouri et à tous les défenseurs palestiniens des droits de l’Homme, harcelés ou arrêtés par les forces israéliennes d’occupation.
S’agissant de Salah Hamouri, citoyen français, l’AFPS en appelle tout particulièrement au gouvernement français et au président de la République pour qu’ils interviennent de manière énergique auprès du gouvernement israélien et protègent notre concitoyen contre ces nouvelles menaces.
La pandémie qui a paralysé le monde entier, son économie, sa vie sociale, culturelle, démocratique n’a pas fait bouger d’un iota les choix du gouvernement Macron/Philippe. Les promesses du nouveau monde n’ont pas fait illusion et, très vite, chacune et chacun a pu se rendre compte que le pouvoir actuel n’est que la nouvelle enveloppe du vieux monde libéral où l’argent et les premiers de cordée font la loi. Dans les lois de finances rectificatives votées au Parlement en mars et en avril derniers, les fondamentaux libéraux sont bien en place.
Nous portons systématiquement des propositions alternatives
Le gouvernement a fait le choix, d’emblée, de ne pas toucher à la fiscalité installée dès le début du quinquennat. Rappelons-en ici les éléments les plus saillants, les cadeaux aux plus fortunés de ce pays, la suppression de l’ISF (qui rapportait plus de 5 milliards d’euros par an), le plafonnement de la taxation des dividendes à 30 %, un taux unique, plus de progressivité, le fameux PFU (prélèvement forfaitaire unique). Pour les autres, souvenez-vous, hausse de la CSG pour les retraités, baisse des APL…, le ton était donné. Comment s’étonner dès lors que la pauvreté augmente dans notre pays avec 14 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et, là encore, la pandémie a encore aggravé les inégalités.
À chaque débat budgétaire, que cela soit en loi de finances initiale en fin d’année ou à l’occasion des débats sur les lois de finances rectificatives, les parlementaires communistes portent systématiquement des propositions alternatives. Quand le gouvernement refuse de toucher à la fiscalité, nous proposons de faire contribuer davantage les grosses fortunes et les gros patrimoines. Pourquoi ? Par dogmatisme, par idéologie ?
Examinons les faits, du côté des revenus d’abord. Si l’on considère les revenus des Français en 2017, voilà la situation : il y a en France 38 millions de foyers fiscaux, 37,5 millions de foyers ont un revenu inférieur à 100 000 euros par an, au-delà de 9 millions d’euros de revenus annuels ils sont 218 foyers fiscaux.
Une fiscalité progressive qui doit solliciter les plus riches
Nous proposons systématiquement de rétablir l’ISF pour les patrimoines supérieurs à 1,3 million, nous proposons une fiscalité progressive sur les dividendes. Rappelons à ce stade, que l’an dernier la France a été le distributeur le plus généreux en termes de dividendes distribués aux actionnaires !
Nous proposons aussi d’augmenter le nombre de tranches d’imposition aujourd’hui au nombre de 5 (il y en avait 14 dans les années 80), le taux maximum est à 45 %, nous proposons d’ajouter des tranches au sommet de la pyramide pour atteindre 60 %, voire plus pour les très hauts revenus. S’agissant du patrimoine, les inégalités sont également abyssales. Selon l’INSEE, 10 % des ménages français détiennent la moitié du patrimoine. Plus personne ne peut nier l’aggravation des inégalités. Un projet de loi de finances rectificative ambitieux se doit de solliciter les plus riches.
D’autres mesures sont portées par nos groupes parlementaires, sur la TVA notamment qui est la première ressource fiscale de la République, près de 50 % des recettes fiscales, l’impôt le plus injuste qui soit. Nous proposons de créer un taux de TVA à 30 % sur les produits de luxe - une activité d’ailleurs qui continue de bien se porter en France et dans le monde -, une mesure qui permettrait d’alléger la TVA sur les produits de première nécessité. Là, pour justifier son refus, le gouvernement et la majorité sénatoriale se réfugient derrière les règlements européens. Soit, eh bien changeons-les !
Un nécessaire débat sur la souveraineté financière et monétaire
Le choix de nos gouvernants est donc de financer par la dette ; notre pays va ainsi contribuer à nourrir les marchés financiers mondiaux pour financer toutes ces mesures (ces marchés sont les banques, les assurances, les fonds d’investissement). Dans les 2 415 milliards de dettes de la France, combien de centaines de milliards d’euros leur ont été versés en intérêts depuis des décennies ? Il faudra, à un moment donné, que ce débat sur la souveraineté financière et monétaire de la France s’engage dans ce contexte.
Enfin, il y a ce combat inlassable à mener contre le scandale de l’évasion fiscale des grands groupes qui nourrit aussi notre dette depuis longtemps. C’est un combat que nous ne cesserons de mener.
Chaque débat budgétaire est donc un moment particulier pour mener le débat politique de fond. C’est ce que nous devons faire les uns et les autres, nous au Parlement, et nous tous dans le pays avec nos concitoyen·ne·s.
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère:
105/ Charles Vuillemin (1918-1943)
Né le 28 mars 1918 à Brest (Finistère), fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; officier radio de la marine marchande ; militant communiste ; résistant à l’Organisation spéciale (OS), puis FTPF.
Fils de Charles Narcisse Vuillemin capitaine au 219e régiment d’infanterie en 1918 et qui aurait été un temps officier d’ordonnance du général Pétain, et de Marie Anne Rannou, Charles Vuillemin fut pupille de la Nation.
Selon Eugène Kerbaul, Charles Vuillemin adhéra à la Jeunesse communiste (JC) clandestine vers le mois d’août 1941, à Brest. Il eut d’abord une activité de propagandiste résistant et diffusa les journaux et les tracts de la JC, du Parti communiste, et du Front national. Il participa aux campagnes d’inscriptions murales réalisées à la peinture, sur les murs de Brest, par les militants communistes durant les couvre-feux décrétés par les autorités allemandes.
Il fut versé aux Francs-tireurs et partisans (FTP) en 1942, et en devint l’un des chefs locaux. Il prit part à de nombreuses actions contre l’occupant (sabotages, attentats à main armée, attaques), et notamment, avec Yves Giloux, à l’attentat contre l’Hôtel Moderne à Brest, siège de la Kreiskommadantur.
Arrêté le 22 février 1943 à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), par les policiers français,incarcéré à la prison Lafayette, il fut livré aux Allemands, transféré et détenu à Brest du 27 février au 2 mars, où il fut torturé, puis transféré à Rennes, du 3 mars au 27 juillet. Condamné par un conseil de guerre allemand le 28 août 1943, il a été fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien, en compagnie de dix-huit autres résistants communistes brestois: Jean-Louis Primas, Louis Le Bail, Yves Giloux, Albert Abalain, Albert Rannou, Paul Monot, Lucien Argouarch, Joseph Ropars, André Berger, Jean-Marie Teurroc, Albert Rolland, Etienne Rolland, Paul Le Gent, Jean Quentric, Louis Departout, Henri Moreau, Eugène Lafleur, Louis Le Guen
Une rue de Brest, dans le quartier Saint-Marc, porte son nom.
Source: Gilles Pichavant, Maitron
Lire sur ces résistants communistes finistériens fusillés le 17 septembre 1943 (Jean-Louis Primas est d'origine morbihannaise, de Lanester) :
La crise sanitaire à laquelle le monde est confronté révèle une crise structurelle qui existait déjà et que le Parti de la Gauche Européenne (PGE) n’a cessé d’exposer. Le PGE s’est chargé de proposer un modèle alternatif pour cette Europe suite à la propagation du Covid-19. Pour cela, une plateforme a été créée et nous travaillons très activement pour la développer, le plus rapidement et le mieux possible, en nous concentrant non seulement sur les solutions à la crise actuelle, mais également, à plus long terme, pour une transformation publique, sociale et écologique de l’économie. Il est important de repenser le rôle des institutions européennes et mondiales, d’assurer des investissements allant dans le sens d’un Nouveau pacte vert et social (“Social Green New Deal), de protéger les travailleurs.euses et de promouvoir un avenir centré sur les besoins humains et pas seulement sur le profit.
La situation provoquée par la pandémie du COVID-19 bouleverse l’humanité tout entière. Presque tous les pays ont pris des mesures drastiques pour éviter la contraction et contenir la pandémie. Tous les efforts possibles doivent, en effet, être consentis pour protéger la population. De telles mesures requièrent une coordination. Mais une coordination européenne efficace par ses institutions est toujours absente de même qu’une réponse globale. De cette façon, les pays les plus touchés sont laissés à eux-mêmes. Le risque est donc que le Pacte de Stabilité limite la solidarité entre les pays face à la crise économique en menant à la dichotomie entre les pays privilégiés et les pays déjà touchés par l’austérité dans le passé.
La propagation du virus COVID-19 a également des conséquences significatives pour l’économie : Il donne un coup d’accélérateur à la crise de la mondialisation néolibérale en tant que modèle hégémonique de société et, de ce fait, au processus de restructuration du capitalisme.
La pandémie de coronavirus constitue la preuve manifeste de l’échec du modèle économique et social néolibéral dominant. En raison de la politique d’austérité néolibérale menée au travers de la privatisation des services publics, les systèmes de soins de santé ne sont pas en mesure de répondre aux besoins publics pendant une pandémie.
Le Parti de la gauche européenne (PGE) exige des mesures immédiates pour lutter contre les conséquences de la crise et un changement radical de politique, ouvrant une nouvelle voie pour le développement de la société, plaçant le peuple en son centre.
Des activités globales concernant cinq pôles sont nécessaires. Avant tout, tout doit être fait pour protéger la population. Une transformation publique, sociale et écologique de l’économie est urgente. Les institutions et les droits démocratiques ne doivent pas être remis en cause par les mesures prises pour lutter contre la crise: au contraire, en ces temps difficiles, la démocratie et les droits civils doivent être défendus et élargis. Il n’y a pas d’autre réponse que la solidarité internationale face à la dimension mondiale de la crise: c’est le moment pour une nouvelle initiative de désarmement et une politique de détente.
Protection de la population
Tous les efforts possibles doivent être consentis pour un meilleur fonctionnement des systèmes de santé. Nous avons besoin de ressources supplémentaires pour les systèmes de santé publique, ainsi que d’une convergence des normes dans tous les pays en termes de personnel, d’installations et d’équipements dans les hôpitaux publics et pour les systèmes de prévention, ainsi qu’une augmentation de la capacité de production des outils de protection de la santé. Il faut également impérativement se doter, à l’échelle du Continent, de services publics européens, efficaces et coordonnés avec le reste du Monde. Nous exigeons la création immédiate d’un fonds européen pour la santé financé via la BCE par des titres à 100 ans non négociables sur les marchés, et les possibilités d’obtenir davantage de services publics en supprimant le Pacte de stabilité et de croissance.
Tant sur le plan social qu’économique, la population a besoin de protection. Des milliers de travailleurs.euses et de salarié(e)s risquent de perdre leur emploi et leurs revenus et beaucoup les ont déjà perdus. Le virus frappe les plus faibles les plus durement: les personnes les plus touchées sont celles qui travaillent dans des conditions de précarité, mal payés en particulier le personnel de nettoyage et les soignants.
Les gouvernements de toute l’Europe demandent de pratiquer le télétravail, mais cette mesure ne s’applique pas à tout un chacun, et dans trop de cas, c’est un privilège. Les travailleurs.euses des services essentiels ou des chaînes de production essentielles dont la présence est requise sur le lieu de travail doivent avoir la garantie qu’ils seront protégés contre la propagation du virus.
Nous exigeons l’adoption d’un plan de sauvetage économique pour les travailleurs.euses et leurs familles, y compris tous les travailleurs précaires, les chômeurs et les sans-papiers, les migrants et les réfugiés ou similaires. En cas de perte de revenus, une compensation financière est nécessaire. Les loyers et les hypothèques doivent être suspendus pour ceux qui ne peuvent pas les payer en raison de leur perte de revenu. Nous nous opposons à toute tentative d’aggraver les conditions de travail, comme la suspension des conventions collectives et la réduction des droits des travailleurs. Les systèmes de protection sociale, de salaires et de retraites devraient être adaptés sur le plus haut niveau que nous ayons en Europe.
Les femmes sont principalement touchées par des conditions de travail précaires, en particulier les gardiennes, les caissières ou les femmes de ménage. La situation des femmes migrantes est spécialement dure, que ce soit dans les camps, ou dans les pays dans lesquels elles sont arrivées.
Les femmes ne devraient pas payer le prix le plus élevé de cette crise: nous avons besoin d’un plan concret axé sur la protection de toutes les femmes (travailleuses, chômeuses, migrantes), en particulier lorsqu’elles sont victimes de violences (en particulier la violence domestique).
Nous nous opposons fermement à la pression exercée par le monde économique et industriel sur les décideurs pour qu’ils mettent fin aux mesures de confinement et rouvrent des productions non essentielles sans garantir les conditions de base de la sécurité des travailleurs afin éviter l’augmentation des infections.
Nous avons besoin d’actions urgentes non seulement pour les grandes entreprises, mais en particulier pour les petites et moyennes entreprises et les travailleurs indépendants. Le soutien financier aux entreprises doit viser à maintenir les emplois, en respectant les salaires, les horaires et les devoirs. Afin de faire face aux problèmes de remodelage de la production, la réduction du temps de travail au même salaire est encouragée.
Relance économique et transformation écologique et sociale
Comme mesure immédiate, nous avons besoin de plus d’investissements dans les services publics.
D’emblée, il faut en finir avec les politiques d’austérité en abandonnant l’ensemble du pacte de stabilité et de croissance. L’Europe doit abandonner cet instrument, qui a été utilisé pour imposer l’austérité aux dépenses publiques, sapant en conséquence les soins de santé et les autres services publics au détriment de la population qui, de ce fait, souffre aujourd’hui de la crise du coronavirus.
La Banque centrale européenne (BCE) devrait être l’instrument pour garantir les énormes ressources nécessaires pour faire face à l’immense urgence sociale, économique et médicale actuelle.
L’argent de la BCE devrait être utilisé pour aider les populations à sortir de l’urgence médicale et pour lutter contre les conséquences de la crise, et non pour maintenir le taux de rendement du capital. La BCE doit assumer sa responsabilité de développement de l’économique et prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter la spéculation financière. Il s’agit d’une condition préalable pour garantir la coordination des actions nationales et la mise en place d’un solide système de solidarité pour faire face à la crise du coronavirus. La BCE et les banques nationales devraient être utilisées pour augmenter les dépenses de services sociaux et de protection de la population.
Par ailleurs, la BCE doit financer un plan d’investissement européen, capable de dynamiser l’emploi et de garantir une évolution du modèle environnemental et social de production et de l’économie. Nous avons besoin d’un programme de reconstruction des capacités productives comprenant la relocalisation des industries stratégiques. Nous exigeons un Fonds européen de relance, financé par des obligations émises par le Fonds lui-même ou par la Banque européenne d’investissement et acquises par la BCE. Dans le même temps, le mécanisme européen de stabilité (MES), qui représente une manière inutile et nuisible d’intervention dans les budgets publics des différents pays européens, devrait être aboli.
La Cour Constitutionnelle allemande a remis en question les compétences de la BCE et de la Cour de justice de l’Union européenne et ignore les exigences économiques dont nous avons besoin pour le développement européen. Sa décision ne représente pour nous que le revers de l’austérité et du projet néolibéral. Elle a pour fonction de décourager et d’éviter les actions de solidarité et de saper la voie vers tout projet d’Europe sociale.
Nous proposons un moratoire général sur les dettes publiques. Par ailleurs, nous proposons une conférence européenne sur les dettes publiques, et une discussion ouverte sur les critères de classification de la dette.
Cette crise du COVID-19 montre que le marché ne répond pas du tout aux besoins des citoyens. Il n’est même pas en mesure d’assurer le minimum nécessaire à la vie. Nous voulons une relance du rôle public, perdu pendant la période de privatisation, dans tous les secteurs: le système de crédit, les productions stratégiques, le système de recherche et les services. Nous avons besoin d’un modèle économique axé sur le bien-être public, et l’immense accumulation de capital par quelques-uns doit être stoppée. Pour le plus grand nombre, pas seulement pour quelques-uns! (« For the many, not just for the few!).
Le financement de l’augmentation des dépenses sociales et l’investissement dans la transformation de l’industrie nécessitent une politique de justice fiscale: nous exigeons un nouveau modèle de collecte des impôts qui taxe les grandes sources de capital et de richesse, sur la base des critères de progressivité fiscale, et qui met fin aux paradis fiscaux à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. Une taxe sur les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et sur NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) est nécessaire.
La crise fournit des raisons suffisantes pour remettre en question notre modèle socio-économique et changer radicalement la politique. Un profond changement est nécessaire, parce que nous sommes confrontés à d’énormes défis écologiques tels que le changement climatique, qui a de graves conséquences sociales. Pour la Gauche, le lien entre les exigences écologiques et les besoins sociaux est crucial. Il faut une transition verte de l’industrie. Cependant, nous sommes aussi dans l’obligation de protéger les travailleurs et les salariés affectés par ce processus.
Le concept de « transition juste » que promeut la Confédération Syndicale Internationale (CSI) combine la transition écologique et la protection sociale. Une nouvelle politique industrielle intégrant des concepts d’énergie et de mobilité innovants est nécessaire. Nous avons besoin d’un plan de reconversion environnementale et sociale de l’économie qui garantisse le plein et bon emploi et protège les droits de chacun, en commençant par l’égalité des sexes. Dans une perspective de gauche, une nouvelle politique industrielle doit inclure la participation directe des travailleurs et, de ce fait, aller de pair avec la démocratie économique.
Démocratie
Le PGE considère que la crise COVID-19 peut menacer les démocraties et le risque qu’une action irresponsable conduise à l’émergence de l’extrême droite et à sa rhétorique de non-solidarité totale. Contre les tentatives de profiter de la situation d’urgence pour limiter ou suspendre nos droits, le PGE défend la démocratie et ses institutions. Par exemple, les parlements devraient rester en fonction et non être suspendus, comme c’est le cas en Hongrie.
Nous savons que des mesures très strictes sont nécessaires pour contenir la pandémie. Mais nous devons être vigilants et faire en sorte que les restrictions de liberté jugées nécessaires pour arrêter la progression de la pandémie restent des mesures exceptionnelles.
Le PGE rejette également fermement toute tentative d’utilisation abusive de la pandémie du coronavirus pour faire de la démagogie xénophobe ou nationaliste.
Désarmement et paix
L’engagement inconditionnel en faveur de la paix et du désarmement est l’un des éléments essentiels de la politique de gauche. Sans paix, il n’y a pas d’avenir pour l’humanité.
L’urgence du coronavirus doit être considérée comme une occasion de remettre le désarmement et la paix au centre de l’élaboration des politiques. Les dépenses militaires doivent être considérablement réduites au profit des soins de santé et de la satisfaction des besoins sociaux. Il est temps de prendre l’initiative d’une nouvelle politique de détente.
La manœuvre de guerre «Defender» a été stoppée par l’épidémie de coronavirus, mais elle n’a pas été complètement annulée. Par conséquent, nous devons poursuivre et intensifier notre résistance contre ces dangereux exercices militaires. L’OTAN n’est pas une organisation défendant les intérêts des Européens. Avec ses activités agressives, c’est une organisation dangereuse. L’OTAN doit être dissoute au profit d’un nouveau système de sécurité collective, qui inclue également la Russie.
Solidarité européenne et internationale
Nous avons besoin d’une sortie sociale de la crise qui dépasse le modèle actuel d’intégration européenne. Notre objectif est une sortie sociale de la crise. Pour ce faire, toute proposition doit englober plusieurs volets :
– La nouvelle intégration internationale de l’Europe devra diversifier ses relations internationales avec des relations commerciales équitables fondées sur le bénéfice mutuel et non sur la concurrence pour le profit.
– Nous soutenons la promotion d’un processus de coopération paneuropéen incluant la Russie.
– Le développement d’un modèle d’États socialement avancés caractérisé par une solidarité et une coopération «horizontales», avec un programme de reconstruction productif et durable visant à atteindre la souveraineté alimentaire à travers un plus grand soutien et de l’innovation pour l’agriculture.
– Le soutien à l’OMS, notamment sur le plan financier, pour jouer un rôle plus efficace dans de telles crises.
– La défense de l’ONU menacée par l’administration des Etats-Unis dans l’intérêt du multilatéralisme.
– Ce n’est pas seulement une tâche pour l’Europe mais pour le monde entier. Les pays du Sud ont besoin d’un soutien financier pour protéger leurs populations et améliorer leurs systèmes de santé.
– Nous devons nous assurer que les réfugié(e)s et les migrant(e)s sont traités conformément au droit international et européen, que leurs droits humains et civiques sont définitivement respectés et que leurs vies ne sont pas non plus menacées par des détentions illégales, des refoulements, des expulsions cachées aux yeux du public, ou par des manques de soins de santé, d’hébergements inadéquats, de conditions de vie inacceptables, de réactions racistes et xénophobes, d’exploitations, de discours de haine ou d’actes de violence. Nous devons nous concentrer sur leurs bonnes éducations, sur des opportunités de travail décents et égaux, sur leurs épanouissements personnels et leurs intégrations sociales.
– Initier une réponse humanitaire à la situation de millions d’êtres humains dans le monde qui doivent quitter leur foyer pour échapper à la misère, à la faim, aux maladies et à la guerre et qui verront désormais leur situation s’aggraver.
– Le monde doit rester uni et la clé pour surmonter la crise est la solidarité internationale. Il est particulièrement nécessaire de renforcer la solidarité avec les peuples du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, qui courent un plus grand risque d’être gravement touchés par la pandémie du COVID-19.
– Nous soulignons un nouvel accent mis sur les principes culturels et fondés sur des valeurs qui permettent le plein développement de l’être humain dans une société égalitaire et écologiquement protégée.
Dans cette perspective, le Parti de la Gauche Européenne appelle toutes les organisations des forces progressistes, écologiques et de gauche, et particulièrement celles qui participent au Forum Européen, à travailler ensemble pour développer une réponse progressiste commune à la crise actuelle dans l’intérêt des gens.
Toutes les options sont sur la table » … Phrase mille fois répétée à Washington. Et sur tous les tons. Au micro, devant les caméras : Donald Trump (président), Mike Pence (vice-président), John Bolton (ex-conseiller à la Sécurité nationale), Mike Pompeo (secrétaire d’Etat), Elliott Abrams (envoyé spécial au [sur le] Venezuela). Plus, bien sûr, leur domestique de luxe, Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des Etat américains (OEA) [1]. Un mantra repris depuis septembre 2018, dès qu’est évoqué le nom du président vénézuélien Nicolás Maduro.
Levons d’emblée une équivoque : du temps de Richard Nixon (1969-1974), le secrétaire d’Etat Henry Kissinger ne s’exprimait pas autrement. Le 27 juin 1970, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité, avec une arrogance qui tient presque du rite, c’est lui qui déjà déclarait : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester tranquilles quand un pays devient communiste à cause de l’irresponsabilité de son propre peuple. » Au Chili, le socialiste Salvador Allende venait d’être élu.
On remplacera ici « communiste » par « populiste » et, en un quart de seconde, on aura traversé cinquante années.
A partir du 3 mai au petit matin, plusieurs incursions maritimes de groupes lourdement armés – l’opération « Gedeón » – ont été neutralisées au Venezuela. Provenance des infiltrés : le département côtier de la Guajira, sur la Caraïbe, en Colombie.
Première tentative de débarquement à Macuto (Etat de La Guaira), proche (une quarantaine de kilomètres) de Caracas : deux prisonniers et huit morts chez les assaillants, dont l’un de leurs chefs, l’ex-capitaine de la Garde nationale vénézuélienne Robert Colina Ibarra, alias « Pantera ». Autres neutralisations et arrestations effectuées sur la côte de Chuao (Aragua, dans le nord du pays) et dans l’Etat de Vargas. En tout, plus de quatre-vingt-dix individus appréhendés, sous réserve de futures captures : intercepté le 11 mai dans l’Aragua, Jairo Betamy a révélé que cinquante-quatre hommes se trouvaient à bord de la vedette rapide qui l’a transporté de la côte proche de Maicao (Colombie), avec pour objectif le palais présidentiel de Miraflores.
Parmi les détenus, des capitaines déserteurs de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) ; César Pérez Sequea, Jesús Ramos, Adolfo Baduel et Antonio Sequea. Ce dernier se trouvait en compagnie du président autoproclamé Juan Guaido et d’une poignée de soldats simulant la prise d’une base militaire, lors de la tentative de coup d’Etat avortée du 30 avril 2019. D’autres ex-officiers et sous-officiers, deux anciens policiers.
Deux têtes brûlées yankees, anciens des Forces spéciales, Luke Denman (de 2006 à 2011) et Airan Berry (de 1996 à 2013) ; des vétérans de l’Irak et de l’Afghanistan. Tous deux travaillent pour une société de sécurité privée, Silvercorp USA, basée à Melbourne, sur la côte est de la Floride, à 280 kilomètres de Miami.
Autre détenu : José Socorro, alias « Pepero ». Un narcotrafiquant vénézuélien, agent ou ex-agent de la Drug Enforcement Administration (DEA : les « stups » américains).
On se permettra de mentionner sans ajouter de commentaires (parfaitement inutiles) : depuis la Floride (ou la Colombie), le patron de Silvercorp USA, Jordan Goudreau, accompagné de l’ex-capitaine vénézuélien Javier Nieto Quintero, revendique immédiatement et par vidéo la direction de l’opération « Gedeón » [2]. Goudreau est un ancien des Forces spéciales US. Affecté au 10e Special Forces Group, unité spécialisée en guerre non conventionnelle et en contre-terrorisme, il a été décoré à trois reprises pour ses faits d’armes sur les champs de bataille d’Irak et d’Afghanistan. Le 23 février 2019, il a assuré la sécurité du concert « Venezuela Aid Live » – show organisé par le multimillionnaire britannique Richard Branson, patron de Virgin Group, pour le compte de Guaido, en Colombie, sur la frontière, à Cúcuta [3]. Il s’agissait de faire entrer en force une supposée « aide humanitaire » au Venezuela. Autre échec flamboyant. Sans appartenir au Secret Service – unité chargée officiellement de la protection du président américain –, Goudreau a contribué à la sécurisation de plusieurs rassemblements auxquels participait Donald Trump [4]. Genre de tâche qu’on assigne rarement un parfait inconnu.
Sur WhatsApp et les réseaux sociaux, quelques heures avant sa capture, Antonio Sequea appelait l’armée à se soulever et à rejoindre les rebelles pour « liquider la dictature ».
Abattu au cours de sa tentative de débarquement, Robert Colina Ibarra, dit « Pantera », était de son côté connu comme le loup blanc. Aussi bien au Venezuela qu’en Colombie. Son nom est apparu au grand jour après l’interception le 24 mars, lors d’une opération de routine de la police colombienne, d’un véhicule transportant un arsenal sur la route Barranquilla – Santa Marta. Depuis Barranquilla où il vivait en toute quiétude depuis deux ans, l’ex-général vénézuélien Cliver Alcala, virulent « anti-maduriste », révéla aux médias que ces armes appartenaient à 90 officiers déserteurs, que lui-même dirigeait. Qu’elles étaient destinées à passer clandestinement en Guajira vénézuélienne où, « pour libérer le pays et éliminer chirurgicalement les objectifs criminels » (lire le gouvernement), l’un de ses hommes de confiance devait les réceptionner. Un certain… « Pantera » ! Ce qu’on pourrait résumer en une formule : « Chronique d’une opération annoncée ». Et nommée « Gedeón ».
Accusé de « narcotrafic » par la justice américaine, Cliver Alcala s’est depuis tranquillement mis à disposition des autorités colombiennes, qui l’ont extradé dans des conditions très particulières, sans rudesse excessive, aux Etats-Unis [5].
Dans un premier temps, Guaido et son clan ont dénoncé un montage du pouvoir pour détourner l’attention de son incurie. L’essoreuse à information les a relayés. « Le Venezuela victime d’une tentative d’invasion, selon son président » (c’est nous qui soulignons) annonce la chaîne Arte (5 mai). « Au Venezuela, Maduro dénonce une tentative d’incursion armée », titrent les commissaires politiques du Monde, pour tirer dans un sens acceptable un article un peu trop décent de leur correspondante à Bogotá, Marie Delcas. Laquelle est rapidement éclipsée par le « papier » d’un confrère du même quotidien, Gilles Paris. Depuis Washington, celui-ci transforme le raid en une « rocambolesque équipée »conduite par un « pied nickelé ».Il relaie ainsi à distance l’ « opération suicide » – « Un Rambo et un narco-général » – de l’hebdomadaire colombien Semana. Deux reprises (parmi bien d’autres) de la thèse avancée, quelques jours auparavant, par l’agence Associated Press (AP).
Très documentée (d’éléments déjà connus et révélés par Caracas) sur le duo de cinéma « Alcala-Goudreau », cette enquête dissimulait difficilement son véritable objectif : « AP n’a pas rencontré d’indices de ce que des fonctionnaires étatsuniens aient appuyé les actions de Goudreau ni que Trump ait autorisé des opérations clandestines contre Maduro (…). » Pas même en promettant 15 millions de dollars à qui le capturera, ouvrant un champ « free play » – sans règles ni scénario ?
En marge des interprétations fumeuses, on découvrira rapidement la véritable ampleur et le rôle des protagonistes de l’incursion armée lancée le 3 mai [6]. Et planifiée depuis longtemps.
La tentation était grande. Sur le plan symbolique, cette agression caractérisée de la République bolivarienne a souvent amené, à gauche, à évoquer l’épisode de la Baie des Cochons. Comparaison n’est pas raison. Le 17 avril 1961, lorsque la Brigade 2506 débarqua à Cuba pour tenter de renverser Fidel Castro et la révolution, elle était composée de quelque mille cinq cents hommes. Tous avaient été recrutés par les Etats-Unis, armés et entraînés par la CIA en Floride, au Guatemala et au Nicaragua, transportés sur mer par des « Liberty ships » et protégés depuis le ciel par des bombardiers B26 et quelques chasseurs P51. Aucune similitude avec la centaine, ou peut-être les trois cents (l’avenir le dira) antichavistes alignés pour « Gedeón ». D’un côté une véritable armée, de l’autre un ou des commandos conséquents.
Pour autant, la référence à Cuba n’a rien d’absurde. Si, à l’époque, John Fitzgerald Kennedy (JFK) a « tenté le coup », c’est sur la base d’informations erronées : ses « services » lui avaient vendu que la population et une partie de l’armée cubaine se joindraient aux anticastristes, « Fidel » étant politiquement usé, impopulaire et majoritairement rejeté. Il n’en était rien (et beaucoup font la même erreur concernant l’appui dont jouit Maduro). Par ailleurs, l’agression américaine ne s’est pas arrêtée après l’échec humiliant de Playa Girón. Parmi les 2 900 documents « confidentiels » déclassifiés en octobre 2017 sur la mort de JFK (Dallas, 1963) figure un mémorandum qui, daté du 8 août 1962, lui était destiné. Son émetteur, le « Groupe spécial élargi » chargé de s’occuper du cas « Fidel Castro », estimait que, en cas d’intervention directe, « pour prendre le contrôle des zones stratégiques clés à Cuba avec un minimum de pertes des deux côtés, environ 261 000 militaires américains devraient participer à l‘opération [7] ». Le genre de petit détail qui retient l’attention. Et que, vraisemblablement, les stratèges du Pentagone les plus sensés (ainsi que leurs homologues colombiens et brésiliens) étudient attentivement, s’agissant de l’actuel Venezuela. Le même type d’alliance civico-militaire que celle régnant à l’époque dans l’Ile n’y a rien d’une fiction – en témoigne le rôle majeur des pêcheurs de Chuao dans la détection et la neutralisation des assaillants, le 3 mai dernier [8].
A l’époque, face à l’éventuel prix à payer, Washington recula. Sans renoncer à son projet. Priorité absolue du gouvernement, un programme de terrorisme international – l’Opération Mangouste (ou Projet cubain ») – est mis en place dès juin 1961, avec un budget excédant 50 millions de dollars par an. Pas moins de trente plans sont élaborés, qui vont du sabotage à l’espionnage, en passant par des projets d’assassinat de Fidel Castro. Le 13 mars 1962, le Pentagone propose même une Opération Northwood au Groupe spécial élargi. Il s’agit de simuler une intrusion cubaine sur la base de Guantánamo ou d’attaquer sous fausse bannière des navires américains, provoquant ainsi un casus belli (jugé trop contre-productif en cas d’échec, ce projet spécifique sera rejeté par Kennedy) [9]. Ce qui n’empêche nullement « Mangouste » de soumettre l’île et ses habitants à un nombre incalculable d’attaques maritimes et de raids aériens. Toutefois, fin 1962, l’opération doit être suspendue (officiellement) : lors des négociations qui accompagnent la Crise des fusées, l’administration étatsunienne s’est engagée devant l’Union soviétique à ne plus tenter d’envahir Cuba. A ce moment, une dizaine d’équipes de saboteurs sont déjà déployées sur son territoire…
Bien entendu, et une fois encore, Washington (et Miami) n’ont pas l’intention d’en rester là. L’Opération Mangouste disparaît formellement. Sauf pour les historiens et les Cubains, son nom sombrera bientôt dans l’oubli. Mais son objectif et ses méthodes demeurent inchangés. Simplement, les opérations seront désormais sous-traitées.
Il n’existe pas à l’époque de compagnies de sécurité (CSP) ou militaires (CMP) privées du type Blackwater (devenue Academy), DynCorp, Triple Canopy (grandes et sulfureuses bénéficiaires de la présidence de George W. Bush), ou… Silvercorp USA (plus récemment). Mais la CIA a de la ressource et de la main d’œuvre. Les Cubains « dissidents ». A la tête de leur structure clandestine, le Commando d’organisations révolutionnaires unies (CORU), Orlando Bosch et Luis Posada Carriles, deux terroristes cubains notoires, bénéficient des financements de l’ « Agence » ainsi que de ceux du trafic de drogue (bien qu’ayant fait exploser en vol un avion de ligne cubain [1976, 73 morts], tous deux finiront paisiblement leur vie à Miami).
Depuis cette même Miami, toujours appuyés par la CIA et bénéficiant de la mansuétude du FBI, les réseaux de l’extrême droite cubano-américaine vont poursuivre les infiltrations, attaques et sabotages pendant les trois décennies suivantes. Sans lien apparent avec l’administration américaine, une multitude d’organisations criminelles mènent ces actions, depuis le territoire des Etats-Unis : Comandos L ; Comandos Martianos MRD ; Comando uni pour la libération (CLU) ; Conseil militaire cubano-américain (Camco) ; Omega 7 ultérieurement rebaptisé Commission nationale cubaine (CNC) ; Alpha 66 ; Comandos F4 ; Parti unité nationale démocratique (PUND)...
Des actions multiformes, un but commun. En 1975, la Commission Church (du Sénat américain) recensait déjà au moins huit projets d’assassinats de Fidel Castro, avec parfois la participation de membres de la pègre. Cette obsession ne s’éteindra jamais. Les dernières tentatives d’élimination physique de « Fidel » auront lieu en novembre 1997 à l’occasion du Sommet ibéro-américain de l’île de Margarita (Venezuela) et en novembre 2000 lors d’une visite de Castro au Panamá !
Le groupe Omega 7 a reconnu avoir introduit dans l’île la dengue hémorragique. Entre 1975 et 1980, cette maladie a coûté la vie à 158 personnes, dont 101 enfants.Entraînant sans se cacher leurs troupes dans les marais des Everglades, à vingt-cinq milles au sud de Miami,Cuba indépendant et démocratique ainsi qu’Alpha 66 avaient pour spécialité la piraterie maritime. En 1981, Alpha 66 effectua plusieurs opérations pour empoisonner le bétail, mettre le feu à des champs de canne à sucre, détruire des plantations d’agrumes.Créée en mai 1994, Comandos F4 s’évertua à pénétrer les côtes cubaines. Le PUND (1989-1997) menait des opérations terroristes en étroite relation avec le narcotrafic, sans grande réaction, sauf en de rares exceptions, de la DEA.
Comme le cercle rapproché de Guaido aujourd’hui, tous ces gens vivaient comme des pachas en dilapidant des fortunes. L’argent dont la CIA – remplacée actuellement aux finances par la plus discrète mais tout aussi intrusive New Endowment for Democracy (NED) –, et les administrations successives les arrosaient généreusement.
Fusils d’assaut AK-47, fusils M-3 avec silencieux, pistolets semi-automatiques Makarov, explosifs Semtex et C-4 : deux cents actions contre Cuba pendant la décennie 1990 ! Venant de Floride, des éléments criminels posent des bombes dans des hôtels et des lieux touristiques connus. Une façade politique « respectable » de cette nébuleuse ultra-violente, la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA), a été créée en septembre 1981 par Ronald Reagan. Tout en finançant le terrorisme, elle tient publiquement le rôle de l’actuel « gouvernement en exil » de Guaido : celui d’une organisation citoyenne se battant pacifiquement pour la « démocratie. Pour mémoire, l’ « administration » de Guaido n’est rien d’autre qu’une fiction regroupant un Tribunal suprême de justice (TSJ) installé à Bogotá, des semblants de ministres, des ambassadeurs fantoches, des réseaux de personnages officiels et officieux, de pseudo gestionnaires d’entreprises appartenant à l’Etat vénézuélien et indûment confisquées aux Etats-Unis et en Colombie…
Lors de ses congrès de 1992 et 1993, la FNCA s’est dotée d’une structure clandestine. Avec son Groupe de direction, situé aux Etats-Unis, et son Groupe opérationnel en Amérique centrale, cette formation paramilitaire dispose bientôt d’un hélicoptère, de sept embarcations, d’explosifs et, destinés à être utilisés contre des objectifs économiques ou dans un attentat contre Fidel Castro, de dix avions légers télécommandés. Les ancêtres de nos drones !
Même business, mêmes méthodes : c’est à l’aide de deux drones chargés d’explosifs qu’a eu lieu la tentative d’assassinat de Nicolás Maduro et de tout son état-major, le 4 août 2018.
D’aucuns objecteront que toutes ces actions n’ont pas eu raison de Cuba. C’est un fait. Mais, elles ont provoqué la mort de quelque trois mille quatre cents personnes et plus de deux mille handicapés. Sans compter, s’ajoutant aux mesures coercitives unilatérales imposées depuis plus d’un demi-siècle, les dommages incalculables infligés à l’économie de l’île. Des pratiques aussi obscènes et moralement condamnables que celle consistant aujourd’hui à agresser de mille manières et à étrangler économiquement le Venezuela, en pleine pandémie de Covid-19.
« Mangouste » donc, au sens large, plus que Baie des Cochons. Et pas en mode mineur ! Arrêtés, interrogés par les forces de sécurité, les comparses des 3 et 4 mai dernier parlent. Et racontent. Et révèlent. Ce que d’autres confirment. Parfois de manière inattendue. C’est une antichaviste forcenée qui, depuis Miami, fait exploser la bombe la plus puissante : la journaliste vénézuélienne en exil, Patricia Poleo. Elle a férocement combattu Chávez. Elle abhorre Maduro. Mais, considère Guaido comme un clown de la politique. Qu’on n’oublie pas cette donnée : chacune des chapelles de l’opposition a son histoire propre, sa vision et aussi ses ambitions. Elles couchent dans le même lit, mais ne font pas les mêmes rêves. Certaines ont été écartées de la répartition du butin volé à la République bolivarienne par Washington et le clan Guaido. Or, en politique comme en physique, toute action produit une réaction. Sur sa chaîne Youtube « Factores de poder » (Facteurs de pouvoir), Poleo interview le patron de Silvercorp USA, Jordan Goudreau. Lequel confirme son rôle, la nature de l’opération et lui révèle l’existence du « contrat ».
Le contrat signé le 16 octobre 2019 entre Juan Guaido et Silvercorp
Ce « Contrat », même « Mangouste » n’aurait pas osé. Il a été signé le 16 octobre 2019 entre Goudreau, Juan Guaido (« président du Venezuela »), Sergio Vergara (député d’opposition, bras droit du chef d’Etat fantoche), Juan José (dit « JJ ») Rendon (vénézuélien d’opposition vivant aux Etats-Unis, proche de nombreux chefs d’Etat, dont les colombiens Álvaro Uribe et Iván Duque, cul et chemise avec Luis Almagro [OEA] et pour l’heure responsable du « Comité de stratégie » de Guaido).
Comme on dit en Amérique latine, « es muy feo » (très sale, très laid). Mais assez lucratif (sur le papier) pour Goudreau. Pour la phase initiale (45 jours) le projet prévoit le décaissement de 50 millions de dollars. Avec un coût total de 212,9 millions de dollars pour les 495 jours de collaboration prévue.
En échange ? Trois fois rien. « Les prestataires de service conseilleront et assisteront le Groupe associé [l’équipe du président imaginaire] dans la planification et l’exécution d’une opération pour capturer / arrêter / éliminer Nicolás Maduro (…). » Attention : il ne s’agit pas ici d’une exégèse, d’une paraphrase, d’une interprétation. C’est écrit noir sur blanc. Il s’agit d’un « contrat », au sens mafieux du terme. Il envisage, parmi ses hypothèses, d’assassiner (« éliminer ») Maduro. Il est signé « Juan Guaido ». L’homme reconnu « chef d’Etat intérimaire » du Venezuela par une Union européenne alignée de façon répugnante sur le pire de ce qui peut exister aux Etats-Unis. L’individu qui, le 24 janvier 2020, à l’Elysée, a eu un « échange constructif » avec le président français Emmanuel Macron. Celui qui, ce même jour, a été accueilli au son de l’hymne national vénézuélien, par la très respectable Maison de l’Amérique latine, à Paris.
Le document n’a rien d’un texte signé sur un coin de table. Long de 41 pages (pour ce qu’on en connaît), il détaille les objectifs des conspirateurs de façon extrêmement précise : après la « neutralisation » « séquestration » ou « assassinat » de Maduro (et d’autres dirigeants civils et militaires de son cerce rapproché) il s’agit d’ « éliminer l’actuel régime et d’installer le président vénézuélien reconnu Juan Guaido ». Puis, pour mettre le pays en coupe réglée, d’y rétablir la stabilité. Même les méthodes de répression des inévitables protestations, manifestations et résistances sont soigneusement codifiées. « Létales » en cas de nécessité, est-il précisé.
Comme il se doit, chaque individu a sa propre version de la vérité. Avec l’entêtement d’une mule, Guaido nie tout en bloc. Va savoir ce que Maduro et les siens sont capables d’imaginer pour tenter de le discréditer… Mauvaise pioche. A Caracas, capturé, le chef des opérations de « Gedeón », Antonio Sequea, révèle qu’entre février et mars, alors qu’il se trouvait à Riohacha (dans la Guajira colombienne), Iván Simonovich, Commissaire à la Sécurité et au renseignement de Guaido, l’a appelé à plusieurs reprises pour lui demander de le tenir au courant de ce qui se passait sur le terrain. Pour ne rien arranger, Patricia Poleo, encore elle, diffuse l’enregistrement sonore de la conversation téléphonique qu’a eue Guaido avec Goudreau au moment de la signature du contrat. Puis les déclarations s’enchaînent. Impossible désormais d’évoquer des rumeurs, des ragots, des pseudo révélations. Il s’agit de faits réels, d’informations confirmées.
Lors de leurs interrogatoires, les mercenaires étatsuniens Denman et Berry révèlent la nature de leur mission principale : prendre le contrôle de l’Aéroport Simón Bolívar de Maiquetía (Caracas) et le sécuriser pour permettre l’atterrissage d’un (ou de plusieurs) avion(s) destiné(s) à embarquer Nicolás Maduro après son éventuelle séquestration (pour une destination non précisée mais pas très difficile à deviner). Autres objectifs spécifiques : l’attaque et la prise de la Direction générale du renseignement militaire (DGCIM), du Service bolivarien du renseignement (Sebin), du palais présidentiel de Miraflores…
A la différence de Guaido, JJ Rendon est parfaitement capable de reconnaître sa signature au bas d’un document que même certains titres de la presse conservatrice – en l’occurrence The Washington Post – publient en intégralité. Rendon renonce à nier l’évidence. Au Diario Las Américas (Miami, 8 mai) et à CNN, il confirme : oui, ce texte existe ; oui, il l’a paraphé ; oui il a lui-même fait une avance de 50 000 dollars au patron de Silvercorp USA. Puis, désormais en chute libre, il tente d’ouvrir le parachute de secours : en fait, le projet dont il était question a été abandonné. Donc, « ce contrat n’existe pas. Une chose qui a été signée et laissée sans effet n’a pas de validité au-delà du papier qui la contient et – les gens pouvant se montrer extrêmement pervers ! – de la référence qu’elle constitue pour déclencher un scandale. » Quant aux assaillants pris les armes à la main les 3 et 4 mai : « Ces jeunes qui étaient là font partie d’un tas de groupes autonomes qui n’appartiennent pas au gouvernement de Juan Guaido. »
« Gedeón » : un coup de chaud suivi de sueurs froides. Même au sein de l’opposition antichaviste la plus déterminée, le désastre (et surtout sa révélation !) laissent un goût de cendres. Un début de rébellion se manifeste au sein du parti Primero Justicia. Les mises en demeure fusent. Le 12 mai, deux des signataires du texte scélérat démissionnent du Comité de stratégie : Rendon et Sergio Vergara. Guaido les remercie « pour leur travail et leur engagement envers le Venezuela ». Néanmoins, le Département d’Etat américain répondra par une fin de non recevoir à la demande de Henrique Capriles (adversaire de Chávez et de Maduro lors des présidentielles de 2012 et 2013) et de son cercle rapproché de mettre définitivement un terme au désastreux épisode « Guaido ».
C’est depuis la Floride, mais aussi le Guatemala et le Nicaragua que sont parties les vagues d’assaut vers la Baie des Cochons en avril 1961. Sept années auparavant, en 1954, pour évincer le président guatémaltèque Jacobo Arbenz, l’opération PBSUCCESS organisée par la CIA avait bénéficié de l’aide du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza et du gouvernement du Honduras, pays d’où s’élancèrent les troupes mercenaires qui mirent un terme à la démocratie. Au cours des années 1980, pour agresser le Nicaragua sandiniste, les « contras » armés et financés par les Etats-Unis purent également compter sur le Honduras, qui, sur la frontière, hébergeait leurs campements. Dans les années 1990, c’est depuis l’Amérique centrale – particulièrement le Salvador et le Guatemala – que le terroriste Luis Posada Carriles organisa les incursions et poses de bombes à Cuba.
En ce début de XXIe siècle, le principal pays « collabo » des desseins de l’Impérialisme s’appelle Colombie. Ce « cimetière à opposants » [10] a pour président un « fils spirituel » d’Álvaro Uribe, Iván Duque (et indépendamment de sa politique, des millions de citoyens qui, eux, méritent le respect).
Comme Guaido, comme Trump, comme beaucoup d’autres, Duque n’a rien vu, rien entendu, et n’a strictement/absolument/et définitivement rien à voir avec les récents événements qui ont secoué le Venezuela. Sur ce thème, Duque débite une multitude de poncifs aux chaînes télévisées qui informent le globe entier. Duque, c’est un robinet d’eau tiède (sauf lorsqu’il parle de Maduro). Et pourtant…
Lorsque, le 25 mars, après la découverte d’un arsenal, l’ex-général vénézuélien Cliver Alcalárévèle que celui-ci appartient à un groupe de déserteurs vénézuéliens que lui-même dirige, il vit à Barranquilla depuis deux ans. Son épouse, Marta González, est la sœur d’Hermágoras González Polanco, alias « El Gordito González », narcotrafiquant et ancien membre de l’organisation paramilitaire des Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Alcala ne cache ni que trois de ses groupes de militaires vénézuéliens déserteurs s’entraînent « dans le pays » ni qu’il a des contacts fréquents avec les services de renseignements colombiens (et Juan Guaido). Puis Alcala disparaît des radars, extradé (ou exfiltré) aux Etats-Unis [11].
Malgré ces révélations pour le moins explosives, le gouvernement colombien ne semble guère intéressé. Aucune enquête, aucune réaction. Pourtant, en mars, depuis Caracas, le gouvernement bolivarien lui a communiqué – et l’a fait savoir – les coordonnées GPS des fameux camps d’entraînement, situés à Riohacha, dans la Guajira. Ils sont si peu secrets, ces camps encadrés par Goudreau et ses deux mercenaires, Denman et Berry, que le député d’opposition vénézuélien Hernán Claret Alemán les a visités pendant plusieurs jours début décembre 2019, comme il l’a révélé le 13 mai au site argentin Infobae. « Ultérieurement, affirme-t-il, j’ai discuté avec le général Alcalá et avec Jordan [Goudreau, qu’il appelle par son prénom, on est manifestement entre amis] [12]. »
Présente en force sur le territoire colombien (enfin, on le suppose !), la DEA n’a manifestement jamais détecté, dans la Guajira, la « hacienda » d’Elkin Javier López Torres, alias « Doble Rueda », l’un des principaux « capos » du narcotrafic de la région. Officiellement, elle le recherche pour l’extrader ! C’est dans cette « finca » qu’ont été regroupés les hommes de l’opération « Gedeón » dans les jours précédant leur embarquement pour le Venezuela. C’est « Doble Rueda » en personne qui leur expliqua comment allait fonctionner leur transfert vers les embarcations.
On jugera que, comme la DEA, les services de renseignements colombiens sont bien peu efficaces. Ou un peu distraits. A leur décharge, on mentionnera qu’ils sont très occupés. Un énième épisode d’interceptions illégales les impliquant a été découvert il y a quelques semaines et provoque un énorme scandale. Plus d’une centaine de citoyens, dont des politiciens, des syndicalistes et des journalistes ont été écoutés. Des citoyens autrement plus préoccupants et dangereux que les sbires armés vénézuéliens ou les « narcos » des deux pays.
Nul n’en doute : comme lors de la coopération de Guaido avec les narco-paramilitaires des Rastrojos, pour faire le chemin inverse – c’est-à-dire passer clandestinement du Venezuela en Colombie en février 2019 – cette cohabitation malsaine avec « Doble Rueda » relève du plus grand des hasards. Dans la vie, les coïncidences ne manquent pas. Qu’on en juge : sur la dernière page du contrat paraphé par Guaido, Vergara, Rendon et Goudreau, figure une cinquième signature. Celle d’un avocat, agissant en tant que « témoin » : Manuel J. Retureta. Américain d’origine cubaine, pénaliste, partenaire de Retureta & Wassem, celui-ci, d’après les autorités vénézuéliennes, a défendu en Colombie le narco-paramilitaire Salvatore Mancuso ; aux Etats-Unis, il a eu comme clients Juan Antonio « Tony » Hernandez (frère de l’actuel président du Honduras) et Fabio Lobo (fils du chef d’Etat précédent, Porfirio Lobo), tous deux accusés de narcotrafic (et tous deux condamnés). Actuellement, il plaide en faveur de Damaso López Nuñez – « El Licenciado » –, l’un des proches du « Chapo » Guzmán, l’ex-grand du narcotrafic mexicain.
On dira qu’on a affaire là à un familier du monde interlope et de la pègre plutôt qu’à l’univers de la veuve et de l’orphelin. Et que, dans le fond, si l’on réaligne toutes les planètes précédemment citées, le financement de la « contra » nicaraguayenne par le Cartel de Medellin, via la CIA, dans les années 1980, n’est pas si lointain qu’il y paraît ! Sans parler des révélations faites à visage découvert en 2010 par Rafael García, ex-chef du service informatique de la police politique colombienne, le Département administratif de sécurité (DAS), affirmant que l’ancien chef du DAS, Jorge Noguera, avait rencontré en 2004 des leaders paramilitaires et des opposants vénézuéliens afin de concocter un « plan de déstabilisation » et l’assassinat de Hugo Chávez.
1er mai 2020 : nul n’a encore entendu parler de l’opération « Gedeón ». Le quartier Felix Ribas de Petare fait la « une » des médias d’opposition. Petare, dans l’est de Caracas : l’un des plus grands quartiers populaires d’Amérique latine. Pendant cinq jours consécutifs, il va être « à feu et à sang ». D’incessantes fusillades entre deux bandes rivales terrorisent la population. Explication alors la plus communément lue et entendue (en résumé) : « la méga-bande criminelle – 200 délinquants de 18 à 23 ans – de Wilexis Alexánder Acevedo, alias “Wilexis”, défend son territoire contre le groupe El Gusano ; “Wilexis” est très populaire au sein de la population car il la protège des exactions de la police, et en particulier de sa Force d’actions spéciales (FAES), contre laquelle il fait campagne et, en 2019, a organisé (en sous-main) trois manifestations ; en revanche, “des gens” du gouvernement soutiennent les voyous d’El Gusano pour reprendre le contrôle du quartier [13] ».
Raid sur les côtes vénézuéliennes. Interceptions, arrestations. Emargeant ou ayant émargé à la DEA, un peu « narco » sur les bords, José Socorro, alias « Pepero », parle. Un autre agent de la DEA, Orlando Laufer, lui a demandé d’organiser des actions violentes simulées dans Petare pour détourner l’attention des forces de sécurité, tandis que les factieux de « Gedeón » avanceront vers les côtes. Bruit et fureur : contact pris avec les délinquants, l’enfer s’est déchainé, à l’arme de guerre, sans faire aucune victime. Mais créant la distraction attendue (à défaut du résultat).
Tous les ingrédients classiques se sont donc ainsi retrouvés réunis. Secteur criminel de l’opposition, monde du narcotrafic, univers de la pègre et… ombre des Etats-Unis. Lors de leurs interrogatoires, les deux mercenaires de Silvercorp USA, Luke Denman et Airan Berry, ont expliqué assez candidement que, s’ils se sont lancés dans cette aventure, c’est qu’ils se sentaient en totale confiance : la Justice de leur pays n’offre-t-elle pas une récompense pour la capture du « narcotrafiquant » Maduro ? Dans le cadre d’une opération navale destinée à réduire la circulation des drogues illégales, des navires de l’US Navy ne rodent-ils pas dans la Caraïbe, à quelques encablures des côtes du Venezuela ?
De son côté, le ministre de la Défense vénézuélien Vladimir Padrino López a résumé de façon plus précise l’opération « Gedeón ». Il ne s’agissait pas d’une « invasion ». Il la considère comme « une opération militaire très bien planifiée, préparée en territoire étranger, avec un financement étranger, de l’équipement fourni par des puissances comme les Etats-Unis et le gouvernement colombien. Elle avait des objectifs très détaillés, très bien marqués, avec des renseignements sur les objectifs physiques des infrastructures à attaquer très bien préparées et relevés au millimètre, couche par couche, et évidemment, sur le temps nécessaire, le trajet, le pouvoir de feu qu’ils allaient employer pour chaque objectif. »
Moins spectaculaire qu’une « Baie des Cochons », la tentative d’incursion renvoie dans l’esprit à l’« opération Mangouste » (et à ses suites) –ce poison lent, qui infuse, et qui use, et qui oblige à une vigilance de chaque instant, à la dépense de ressources financières et humains considérables quand tant d’autres tâches économiques et sociales devraient monopoliser les énergies.
On suivra avec attention le sort réservé à Goudreau par la justice des Etats-Unis – son activité mercenaire et le trafic d’armes qui en découle y tombant (théoriquement) sous le coup de la loi. On s’intéressera également à ses démêlés avec ses commanditaires – Guaido, Rendon, etc. –, qu’il accuse de ne pas lui avoir payé ce qu’ils lui devaient, raison pour laquelle il a beaucoup « balancé » [14]. Toutefois, on prendra très au sérieux les déclarations qu’il a faites immédiatement après l’échec de « Gedeón » : « La principale mission était de libérer le Venezuela, de capturer Maduro, mais la mission à Caracas a échoué. » Néanmoins, a-t-il ajouté, la mission secondaire était d’établir, en territoire vénézuélien, des campements d’insurgés. « Ils sont déjà dans les campements, ils recrutent et nous allons commencer à attaquer des objectifs tactiques. » Sur ce point, aucun doute. Sur les côtes vénézuéliennes, sur les 2 200 kilomètres de frontière avec la Colombie, de nouvelles actions paramilitaires auront lieu. Tandis que les dites « sanctions économiques » continueront à étrangler le pays – c’est-à-dire la population.
Comme il faut toujours une touche d’humour (même noir, même dans les situations les plus préoccupantes), on mentionnera que, le 15 mai, à la question « quelles sont vos priorités ? », la ministre des Affaires étrangères colombienne, Claudia Blum, a déclaré : « Positionner la Colombie comme un pays leader dans l’agenda mondial de la légalité, tant pour la défense de la démocratie et des droits humains qu’en matière d’initiatives globales contre la corruption, le terrorisme et le crime organisé [15]. » Deux jours auparavant, l’administration de Donald Trump avait placé Cuba et le Venezuela (avec l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord) sur la liste des pays qui ne coopèrent pas suffisamment en matière de lutte contre le terrorisme [16].
[1] Lire Guillaume Long, « Le ministère des colonies américaines », Le Monde diplomatique, Paris, mai 2020.
[3] A la tête de 400 entreprises et d’une fortune de 4,4 milliards de dollars, Branson pleurniche désormais pour recevoir une « aide publique » (humanitaire ?) afin de sauver ses deux compagnies aériennes Virgin Atlantic et Virgin Australie mises en faillite par les effets de la pandémie de Covid-19.
[10] Depuis janvier 2016, plus de 700 personnes politiquement engagées y ont été assassinées, essentiellement des dirigeants communautaires et sociaux, mais aussi 200 ex-guérilleros des FARC ayant déposé les armes dans le cadre des Accords de paix.
[11] Certains membres de l’opposition vénézuélienne avancent la thèse suivante : Cliver Alcala serait en réalité un agent double, qui les aurait infiltrés pour communiquer de précieuses informations sur les opérations en préparation aux services de renseignements bolivariens.
[14] En représentation de Jordan Goudreau et de Silvercorp USA, Volk Law, cabinet d’avocats situé en Floride, a envoyé une mise en demeure à Juan Guaidó pour le paiement de 1 500 000 dollars : ce paiement initial devait être effectué dans les quinze jours suivant la signature du Contrat du 16 octobre 2019.
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