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16 mars 2024 6 16 /03 /mars /2024 17:53
Poésie en Palestine - Samedi 23 mars, 18h, au Bar des Deux Rivières
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21 février 2024 3 21 /02 /février /2024 07:09
Mélinée Soukémian est née le 13 novembre 1913 dans une famille de fonctionnaires hauts gradés de l'administration ottomane des Postes de Constantinople. Elle a 3 ans quand ses parents arméniens sont massacrés par les Turcs dans le cadre du plan organisé de génocide en 1915 qui a fait près plus d'un million de victimes arméniennes. Orpheline, elle est recueillie avec Armène sa soeur, d'un an de plus qu'elle, dans une mission protestante de Smyrne, sur la mer Egée (Izmir), puis transportée après la guerre Greco-Turcs se traduisant par de nombreux massacres et des épurations ethniques en Grèce d'Europe à Thessalonique et à Corinthe, dans un orphelinat. Le 14 octobre 1926, grâce au comité américain su Secours arménien et syrien, Mélinée et sa soeur Armène arrivent à Marseille.

Mélinée Soukémian est née le 13 novembre 1913 dans une famille de fonctionnaires hauts gradés de l'administration ottomane des Postes de Constantinople. Elle a 3 ans quand ses parents arméniens sont massacrés par les Turcs dans le cadre du plan organisé de génocide en 1915 qui a fait près plus d'un million de victimes arméniennes. Orpheline, elle est recueillie avec Armène sa soeur, d'un an de plus qu'elle, dans une mission protestante de Smyrne, sur la mer Egée (Izmir), puis transportée après la guerre Greco-Turcs se traduisant par de nombreux massacres et des épurations ethniques en Grèce d'Europe à Thessalonique et à Corinthe, dans un orphelinat. Le 14 octobre 1926, grâce au comité américain su Secours arménien et syrien, Mélinée et sa soeur Armène arrivent à Marseille.

La lettre à Mélinée - 21 février 1944: Naissance d'un mythe
Le jour de son exécution, le 21 février 1944, Missak Manouchian écrit à sa femme Melinée une lettre bouleversante dont la postérité a beaucoup fait, en même temps que l'instrumentalisation publique par les nazis de leur arrestation et de leur procès et par l'Affiche Rouge, pour sa célébrité posthume:
 
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
 
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.
Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.
Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel
 
P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène.
 
Cette lettre bouleversante est à l'origine du poème d'Aragon 11 ans plus tard "Strophes pour se souvenir" dans "Le Roman inachevé".
 
Le Parti communiste, au lendemain de la Libération, mit peu en avant l’action des FTP-MOI. Mais, en 1955, à l’occasion de l’inauguration d’une rue du groupe Manouchian dans le XXe arrondissement de Paris, le PCF demanda à Louis Aragon, "poète national de la Résistance" et un des plus célèbres artistes communistes français avec Pablo Picasso et Paul Eluard, mort trois auparavant, d’écrire un poème, Strophes pour se souvenir, devenu l’Affiche rouge, œuvre qui acquit une grande notoriété lorsqu’elle fut magnifiquement mise en musique et interprétée par Léo Ferré en 1961.
 
Strophes pour se souvenir
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
 
Louis Aragon, Le Roman Inachevé

Mélinée Soukémian est née le 13 novembre 1913 dans une famille de fonctionnaires hauts gradés de l'administration ottomane des Postes de Constantinople. Elle a 3 ans quand ses parents arméniens sont massacrés par les Turcs dans le cadre du plan organisé de génocide en 1915 qui a fait près plus d'un million de victimes arméniennes. Orpheline, elle est recueillie avec Armène sa soeur, d'un an de plus qu'elle, dans une mission protestante de Smyrne, sur la mer Egée (Izmir), puis transportée après la guerre Greco-Turcs se traduisant par de nombreux massacres et des épurations ethniques en Grèce d'Europe à Thessalonique et à Corinthe, dans un orphelinat. Le 14 octobre 1926, grâce au comité américain su Secours arménien et syrien, Mélinée et sa sœur Armène arrivent à Marseille. Elle suit une école de dactylo à Marseille puis au Raincy, en région parisienne. Elle s'installe dans le 2e arrondissement de Paris. Ses propriétaires, amis et protecteurs sont des parents de Charles Aznavour, alors Shahnourh Aznavourian, un petit protégé de Missak et Mélinée Manouchian qui vont accompagner ses premiers contacts avec la chanson. Majeure en 1934, elle a le statut d'apatride et relève de l'Office des réfugiés arméniens. Missak et Mélinée tombent amoureux l'un de l'autre en 1935, après s'être rencontrés en 1934. Ils sont tous les deux communistes, viscéralement antifascistes, membres de la HOG, le comité de secours pour l'Arménie, et de la MOI (Main d’œuvre étrangère du Parti communiste, avec ses groupes de langues). Il vit au 79 rue des Plantes à Paris et elle rue Louvois dans le 2e arrondissement. Il a 28 ans, est "beau comme une statue grecque" assure Mélinée, elle en a 22. Leur mariage est célébré le 22 février 1936, l'année du Front Populaire, tout un symbole. En 1937, Missak et Mélinée Manouchian accompagnent les deux enfants Aznavourian, Aïda et Charles à un radio-crochet de la place Pigalle, et le futur Charles Aznavour, 10 ans, termine premier en imitant le style de Maurice Chevalier !!! Aïda, seconde!  Le 26 septembre 1939, Missak est arrêté avec d'autres militants communistes suite au Pacte Germano Soviétique, transporté à la prison de la Santé. Le 7 octobre, il est relâché contre une promesse de mobilisation volontaire dans l'armée comme 83 000 étrangers engagés volontaires. Il rejoint sa caserne à Colpo dans le Morbihan, près de Vannes. Pendant ce temps, la police continue à traquer les communistes, et Mélinée, doublement suspecte en tant qu'étrangère, citoyenne de seconde zone (elle n'a par exemple pas le droit de recevoir un masque à gaz) et communiste, est contrainte de détruite de nombreux documents compromettants sur les activités de la HOG et des communistes arméniens.  En juin 1940, à la débâcle puis la démobilisation, Missak est affecté de manière autoritaire à l'usine Gnome et Rhône d'Arnage, dans la Sarthe, sous le contrôle des autorités. Elle fabrique des moteurs d'avions. Missak vit alors au Mans. Mélinée, enceinte, se sent contrainte d'avorter.  En juin 41, Missak est de nouveau arrêté, dans le cadre d'une rafle préventive contre les communistes organisée sur ordre des nazis avant leur attaque contre l'Union soviétique. Elle est envoyé à Compiègne, au camp de Royalieu. Mélinée fait 120 km à vélo pour le rejoindre, lui remettre un colis et le saluer à la barbe des sentinelles allemandes. A l'été 41, Missak est de nouveau libéré, les autorités allemandes n'ayant pu établir avec certitude qu'il était toujours communiste. Il devient alors responsable de la section arménienne de la MOI, une de ses 14 branches, sous la direction de Louis Grojnowski, de Jacques Kaminski, et de Victor Blajek qui a remplacé Arthur London. Durant plusieurs mois, le couple s'implique dans le TA, le travail allemand alors sous la direction d'Arthur London, consistant à infiltrer pour le coup les supplétifs de l'Armée allemande d'origine soviétique, et les enrôlés des régions annexées du Reich. 

En mars 42, la FTP MOI se met en place comme unité combattante structurée sous la direction de Boris Holban, militant communiste juif roumain de Bessarabie, région située entre la Moldavie et l'Ukraine actuelle, né en 1908. Le premier détachement est plutôt constitué de Roumains comme Holban, le second regroupe des juifs polonais le troisième des Italiens, et le quatrième s'occupe des déraillements. Les FTP-MOI s'inspirent des premières expériences de lutte armée de l'OS-MOI. Manouchian est un adjoint d'Holban, puis prendra sa place à partir de l'été 1943, sous la direction de Joseph Epstein, "Colonel Gilles", quand Holban est muté vers d'autres tâches. Mélinée participe aussi à certaines opérations des FTP-MOI. Elle quitte l'organisation après les arrestations de novembre 43, dont celle de son mari. C'est donc entre l'été 43 et mi-novembre 43 que Manouchian dirige les FTP-MOI de région parisienne avant la rafle du 16 novembre et l'exécution de 22 d'entre eux le 21 février 1944. Après l'arrestation de Manouchian, Mélinée est cachée par les parents de Charles et Aïda Aznavour. La douleur du deuil digérée, Mélinée reprend sa place dans la Résistance et le "travail allemand" de renseignement de la MOI. Elle résiste du côté de Thouars dans les Deux Sèvres, à Paris, écrit des tracts à destination de "malgré-nous" supplétifs allemands arméniens enrôlés dans la Wehrmacht. Elle participe au retournement de soldats allemands d'origine soviétique qui rejoignent la Résistance en juillet 1944. Après la guerre Mélinée milite à la JAF, la Jeunesse arménienne de France. Elle devient française en 1946. Puis elle fait le choix de rejoindre l'Arménie soviétique où elle vivra de à partir de 47 à Erivan. En 1963, elle rentre à Paris et elle décède le 6 décembre 1989.

Source: Gérard Streiff, Missak et Mélinée Manouchian, Un couple en Résistance. L'Archipel, Janvier 2024, 21€

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14 février 2024 3 14 /02 /février /2024 06:37
Missak Manouchian - Ivre d'un grand rêve de liberté - Édition Points, janvier 2024, anthologie bilingue français/arménien des poèmes de Missak Manouchian (13,90€), préface d'André Manouchian, Introduction de Didier Daeninckx

Missak Manouchian - Ivre d'un grand rêve de liberté - Édition Points, janvier 2024, anthologie bilingue français/arménien des poèmes de Missak Manouchian (13,90€), préface d'André Manouchian, Introduction de Didier Daeninckx

Vers la France
 
Les voiles de la nuit partout éparpillée sont tombés en silence
Du corps découvert de la Méditerranée gorgée de soleil;
Telle la coupole arrondie du temple, le ciel constellé
Est descendu sur la mer dans l'horizon illimité.
Un léger zéphyr recueille les parfums de l'eau au goût de sel
Et en imprègne mes cheveux et mon visage à toute heure...
Avec ses flancs de fer échoués dans les replis des eaux tièdes,
Le bateau illuminé fend les couches d'obscurité en leur milieu.
Et comme l'élan du bateau toujours propulsé vers l'avant
Dans les profondeurs de la nuit marine, les eaux écumantes
Captives d'un mystère disséminé et qui vont de l'avant
de leur course folle
Ainsi vient mon esprit et va mon âme en un reflux enfiévré.
J'ai laissé derrière moi mon enfance au soleil nourrie de nature,
Et ma noire condition d'orphelin tissée de misère et de privation;
Je suis encore adolescent ivre d'un rêve de livre et de papier,
Je m'en vais mûrir par le labeur de la conscience et de la vie.
Le désir est infini et semblable à cette mer illimitée;
Inexplicable, comme le mystère insondable des ténèbres...
Je désire jouir de la lumière de la sagesse et de l'art, et du vin
Et arracher dans le grand combat de la vie les précieux lauriers...
 
(Poème de jeunesse - il a 18 ans - de Missak Manouchian à l'orphelinat de Jounieh au Liban en 1924 ou 1925 avant son embarquement pour la France)
Missak Manouchian - Ivre d'un grand rêve de liberté - Édition Points, janvier 2024, anthologie bilingue français/arménien des poèmes de Missak Manouchian (13,90€), préface d'André Manouchian, Introduction de Didier Daeninckx
 
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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:11
Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus

La relation entre Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, deux des plus grands poètes de la littérature française, fut autant passionnée que tumultueuse, dans une période de l’Histoire qui ne l’était pas moins, marquée par la Commune de Paris.

Publié le
Mercredi 9 août 2023

Début septembre 1871. « Venez chère grande âme, on vous attend à Paris. »  Arthur Rimbaud, depuis Charleville, a déjà écrit à deux reprises à Paul Verlaine. Il n’a pas 17 ans. Il lui exprime son admiration et joint à son envoi plusieurs de ses poèmes. Les Effarés, Accroupissements, le Cœur volé, les Assis… Il lui envoie une seconde lettre quelques jours après : « J’ai fait le projet de faire un grand poème et je ne peux travailler à Charleville. Je suis empêché de venir à Paris étant sans ressources. Ma mère est veuve et extrêmement dévote »…

Paul Verlaine lui a envoyé une première réponse, assez énigmatique : « J’ai comme un relent de votre lycanthropie (…) vous êtes prodigieusement armé en guerre. » La lycanthropie est l’aptitude à se transformer en loup-garou les nuits de pleine lune. Le jeune poète est déjà allé à Paris, en vagabond, du 19 avril au 3 mai. La Commune n’est pas encore tombée, mais sa chute lui inspirera les Mains de Jeanne-Marie, en hommage aux femmes de la Commune enchaînées , « Elles ont pâli, merveilleuses, au grand soleil d’amour chargé, sur le bronze des mitrailleuses à travers Paris insurgé ». De retour à Charleville, il parle à son ancien professeur Georges Izambard des colères folles qui le poussent vers « la bataille de Paris où tant de travailleurs meurent encore tandis que je vous écris »…

Paul Verlaine, qui l’appelle à venir à Paris, est son aîné de dix ans et déjà un poète reconnu. Il s’est marié quelques mois plus tôt avec Mathilde Mauté, 17 ans, d’une famille aisée et cultivée. Louise Michel est une intime, présente à la cérémonie. La jeune femme est rapidement enceinte. Verlaine est nommé au bureau de presse de la Commune où il rédige ses communiqués. C’est dans cette famille qu’arrive Rimbaud, génial mais mal dégrossi. Bien qu’il n’y reste qu’une vingtaine de jours, il est déjà devenu un sujet de conflit dans le couple dont le bébé, Georges, naît le 30 octobre. Verlaine est souvent ivre, violent. Dès la mi-novembre, la nature de ses relations avec Rimbaud, qui repart cependant quelque temps à Charleville, semble avérée.

Les retrouvailles 

Le 2 avril, Verlaine, qui pense avoir renoué avec Mathilde après une séparation, écrit à Rimbaud. « C’est ça, aime-moi, protège et donne confiance (…) Mais quand diable commencerons-nous ce chemin de croix, – hein ? » Réponse de Rimbaud : « Quand vous me verrez positivement manger de la merde, alors seulement vous ne trouverez plus que je coûte cher à nourrir. » Verlaine : « Ne jamais te croire lâché par moi. » En mai, il prépare son retour à Paris : « Dès ton retour m’empoigner de suite. » Il écrit « prudences ! » avant de lui donner des conseils, « faire en sorte, au moins quelque temps d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge, cirage, peignage, petites mines »…

Il espère apaiser le climat avec sa femme. Mais quelques jours après son ­retour, Mathilde comprend, le couple éclate de nouveau. Début juillet, les deux poètes partent ensemble. En septembre, ils sont à Londres où ils retrouvent les communards en exil. Ils se séparent à deux reprises, Rimbaud retournant en France, mais leur relation reste au beau. Verlaine, le 18 mai : « Frérot, j’ai bien des choses à te dire (…) tu seras content de ta vieille truie (…) je suis ton old cunt ever open ou opened, je n’ai pas là mes verbes irréguliers. » C’est cru. On peut au choix traduire cunt par con, chatte, salope…

Verlaine tire sur Rimbaud et le blesse

Mais en juillet, le ton change. Verlaine veut retrouver Mathilde et leur fils. « Tu dois au fond comprendre, enfin, qu’il me fallait absolument partir, que cette vie violente et toute de scènes sans motif que ta fantaisie ne pouvait m’aller foutre plus. Seulement, comme je t’aimais intensément (Honni soit qui mal y pense), je tiens aussi à te confirmer que si d’ici à trois jours je ne suis pas avec ma femme, dans des conditions parfaites, je me brûle la gueule (…) nous ne nous reverrons plus en tout cas. » Rimbaud, qui lui a envoyé une lettre presque en même temps, lui demande à l’évidence d’oublier une scène – « Oui, c’est moi qui ai eu tort. » À la réception, le lendemain, de la lettre de rupture, il ironise : « Quant à claquer je te connais, tu vas donc, en attendant ta femme et ta mort te démener, errer, ennuyer des gens (…) crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d’autres que moi : Réfléchis-y ! - Ah ! Certes non ! »

Le 7 juillet, il lui écrit encore. « Sois sûr de moi, j’aurai très bon caractère. À toi. Je t’attends. Rimb. » Trois jours plus tard, à Bruxelles, c’est Verlaine qui tire sur lui et le blesse. Il sera condamné à deux ans de prison pour son acte et pour pédérastie, quand bien même Rimbaud a retiré sa plainte.

À sa sortie de prison, en janvier 1875, il revoit brièvement Rimbaud qui lui aurait alors remis le manuscrit des Illuminations. En décembre de la même année, il lui adresse une longue lettre qui sera la dernière : « Je te voudrais tant éclairé, réfléchissant. Ce m’est un si grand chagrin de te voir en des voies idiotes, toi si intelligent »

Au Harar, le patron de l’entreprise où Rimbaud travaille à partir de 1880 a eu vent de qui était son employé. Quand il l’interroge sur sa vie parisienne, il répond : « J’ai assez connu ces oiseaux-là. » Il écrit à sa mère qu’il voudrait gagner assez d’argent pour rentrer au pays et trouver une gentille fille qui voudrait bien l’épouser. Il meurt de la gangrène à Marseille, le 10 novembre 1891. Il a dit à sa sœur Isabelle, qui est venue près de lui : « J’irai sous la terre et toi tu marcheras dans le soleil. » Verlaine, alcoolique, presque clochardisé, finit ses jours avec sa compagne Eugénie Krantz pour qui il écrit certains de ses poèmes les plus sensibles. Il meurt le 8 janvier 1896 avec le titre de Prince des poètes décerné par ses pairs. Son dernier poème, Mort, paraît ce même mois : « Les armes ont tu leurs ordres en attendant de vibrer à nouveau dans des mains admirables »… 

Les grandes correspondances 

« Rimbaud, 4 juillet 1873

Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’en repens plus qu’on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux cher ami. Rien n’est perdu. Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah je t’en supplie. C’est ton bien d’ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J’espère que tu sais bien à présent qu’il n’y avait rien de vrai dans notre discussion. L’affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure-là ! Que vas-tu faire. Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ? (…) Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps. N’écoute que ton bon cœur. Vite, dis si je dois te rejoindre. À toi toute la vie. »

« Verlaine, mai 1872

Cher Rimbe bien gentil, je t’accuse réception du crédit sollicité et accordé, avec mille grâces, et (je suis follement heureux d’en être presque sûr) sans remise cette fois. Donc à samedi, vers 7 heures toujours n’est-ce pas ? D’ailleurs, avoir marge, et moi envoyer sous en temps opportun.

En attendant, toutes lettres martyriques chez ma mère, toutes lettres touchant les revoir, prudences, etc... chez M. L. Forain, 17, quai d’Anjou, Hôtel Lauzun, Paris, Seine (pr M. P Verlaine).

Demain, j’espère pouvoir te dire qu’enfin j’ai l’Emploi (secrétaire d’assurances).

Pas vu Gavroche hier bien que rendez-vous. Je t’écris ceci au Cluny (3 heures), en l’attendant. Nous manigançons contre quelqu’un que tu sauras de badines vinginces. Dès ton retour, pour peu que ça puisse t’amuser, auront lieu des choses tigresques. Il s’agit d’un monsieur qui n’a pas été sans influence dans tes 3 mois d’Ardennes et mes 6 mois de merde. Tu verras, quoi. »

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus - Maurice Ulrich, L'Humanité, 9 août 2023
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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 09:58
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Abderrahmane Djelfaoui a écrit en 2016 un très beau livre sensible et poétique, érudit et passionné, publié à Alger aux éditions Casbah Éditions, sur Anna Gréki: "Anna Gréki, Les mots d'amour, les mots de guerre".
 
Militante communiste, Anna Gréki s'engage dans le combat pour l'indépendance algérienne qu'elle soutient avant même le début de la guerre d'Algérie.
 
Ce poème dur et splendide évoque ses semaines de tortures, ceux que les paras lui infligent Villa Sesini, au bout du boulevard Bru, sur les hauteurs d'Alger, et celles qu'on inflige à ses camarades. Elle a été arrêtée en mars 1957 à 26 ans, en pleine répression militaire féroce de la bataille d'Alger (3000 disparus, des dizaines de milliers de torturés par les paras et l'Armée française), cinq semaines après la décapitation de Fernand Iveton, le voisin et l'ami du jeune Henri Maillot, communiste lui aussi, tué les armes à la main pour défendre la liberté de l'Algérie.  
 
Avec la rage au cœur - Anna Gréki (1931-1966)
 
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
C'est ma manière d'avoir du cœur à revendre
C'est ma manière d'avoir raison des douleurs
C'est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d'or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l'abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l'acier brûle ces méduses
Secrètes que j'ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n'ont plus besoin d'excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m'ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n'en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C'est bien suffisant pour que j'en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu'il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m'étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t'aimais
Plus souvent qu'a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l'ancre dans ma mémoire et j'ai peur
Quand de mes amis l'ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s'ouvre à la place de mes yeux - je suis jeune
Ce qui n'est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu'il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule - à ne pas croire...
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours - dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante - je ne sais plus aimer
Qu'avec cette plaie au cœur qu'avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu'on les ait aimés
Eux que l'on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l'amour qu'ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire"
 
Nul ne sait, du fond de sa cellule, comme Anna Gréki évoquer l'irréalité ordinaire de la guerre d'Algérie:
 
"... C'est la guerre
Le ciel mousseux d'hélicoptères
Saute à la dynamite
La terre chaude jaillit et glisse
En coulée de miel
Le long des éclats de faïence bleue
Du ciel blanc
Les bruits d'hélices
Ont remplacé les bruits d'abeilles...
Les Aurès frémissent
Sous la caresse
Des postes émetteurs clandestons
Le souffle de la liberté
Se propageant par ondes électriques
Vibre comme le pelage orageux d'un fauve
Ivre d'un oxygène soudain..."
 

Colette Grégoire, dite Anna Gréki, est née le 14 mars 1931 à Batna région rurale continentale où ses parents étaient instituteurs, à 60 km de là, à Menéa, un petit village menant à l'oasis de Biskra. Son père est de gauche modéré, républicain, radical-socialiste. Ses parents sont volontaires pour aller enseigner dans les Aurès et son enfance sera éblouie par son amitié avec les Berbères des Aurès et ces paysages.

"... Aucune des maisons n'avait besoin de porte

Puisque les visages s'ouvraient dans les visages

Et les voisins épars simplement voisinaient

La nuit n'existait pas puisque l'on y dormait...

Mon enfance et les délices

Naquirent là

A Menaâ - commune mixte Arris

Et mes passions après vingt ans

Sont les fruits de leurs prédilections

Du temps où les oiseaux tombés des nids

Tombaient aussi des mains de Nedjaï

Jusqu'au fond de mes yeux chaouïa"

Elle est élevée au milieu d'une communauté berbère chaoui et se trouve très tôt confrontée à la misère des algériens.
Elle passe son enfance à Menaâ et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (Philippeville) et Annaba.
Elle prépare sa licence de lettres en Métropole.
Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien.
En 1955, elle interrompt ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice.
Ahmed Inal, né le 24 juillet 1931, professeur au collège de Slane, l'amoureux de Colette Grégoire, est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 dans les maquis de Tlemcen, à Slissen : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
 
Anna Gréki lui dédiera cinq poèmes bouleversants, dont celui-ci:
 
Pour Ahmed Inal
 
(...) Vivant plus que vivant
Tu es l'eau pure où je me baigne
Dans la Ville des ources
Que je ne connais pas
Et je cherche à jamais tes lèvres
Baiser secret et son pistil
Vivant plus que vivant
Avec ton corps qui brille
Aux quatre coins de la douleur
Éparpillé déchiqueté torturé
Saignant sur la terre orange
Où nous sommes nés"
 
Pour Ahmed Ilal
 
"(...)Tout est un ordre
L'or bleu de tes veines dans mes regards
à la cime des montagnes couveuses
dans l'air dur patient comme un lézard
je suis le chemin droit des nébuleuses
dans les bois qui se dévorent
Tu marches dans mes yeux pour que je me repose
et la fatigue nue se blesse à ton silence
Tu fais chanter la terre enfouie dans ma mémoire
quand de la poitrine je découpe l'espace
millénaire. En partant j'implante ta présence
l'ancre de ta bonté au plus profond des haines
C'est droit d'asile dans ton cœur et je dispose
de toi comme on ouvre ses veines"
 
("Enracinement", Algérie Capitale Alger) 
 
Devenue à son tour, par conviction, institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, elle milite au Parti Communiste algérien.
 
Membre actif des "Combattants de la Libération", elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957, elle est torturée puis emprisonnée à la prison civile d'Alger, transférée au camp de transit de Beni Messous en 1958, et ensuite expulsée d'Algérie (sans doute parce qu'elle était française).
 
Colette, dure sa longue détention à la villa Sesini puis à la prison Barberousse au-dessus de la Casbah et de Bab-el-Oued à Alger, ne sera que l'une des quarante femmes entassées dans le dortoir 3 du quartier des femmes.
 
Il y a les militantes communistes, dont: 
 
- Eliette Loup, 23 ans, fille d'un riche colon de Birtouta, dans la Mitidja, étudiante en économie et travaillant pour la rédaction du journal communiste destiné aux appelés du contingent, arrêtée le 2 avril 1957 par les paras et conduite à la villa Sesini pour y être torturée par le capitaine Faulques et ses sbires
 
- Claudine Lacascade, l'amie d'Anna Greki, institutrice venue de métropole
 
Mais aussi Lucette Puycervère, Colette Chouraqui, Lucie Coscas, Nelly Poro, Annick Pailler-Castel.
 
Parmi le groupe des catholiques engagées pour l'Algérie indépendante: Nelly Forget, Denise Walbert, Eliane Gautron.
 
Il y a aussi les "djamilattes" du FLN: Djamila Bouhired, la future compagne de Jacques Vergès, son avocat, Djamila Bouazza, Nassima Heblal et Zahia Kharfallah, comédienne, poétesse, et animatrice de radio condamnée à mort. Rejetant toute demande de grâce, Zahia Kharfallah écrira de prison à son avocat le 1er juillet 1958:
 
"Je suis une prisonnière de guerre et l'armée à laquelle j'appartiens est déjà victorieuse. C'est elle qui doit me libérer ou me venger si je meurs assassinée. En face des tortionnaires de la villa Susini, des incendiaires des mechtas, je me sens, par ailleurs, à jamais innocente..."
 
Colette Grégoire n'est condamnée à un an de prison avec sursis que le 5 novembre 1958, assigné à résidence surveillée au camp de Beni Messous. La durée de sa période préventive a excédé celle de sa condamnation.
Le 17 novembre 1958, Colette reçoit une notification de libération avec obligation de quitter son Algérie natale sous cinq jours.
En prison, Colette écrit des poèmes, discute littérature avec ses co-détenues, fait même un exposé sur Proust et les clochers de Matinville.
Suite à sa libération de détention, Colette Grégoire travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961.
En décembre 1960, la revue "Action poétique" publie un numéro spécial sur la guerre d'Algérie (6000 exemplaires) où des poèmes de Colette Grégoire dédiés à Raymonde Peschard (Les nuits le jour) et Jacqueline Gueroudj (L'espoir) sont présents auprès de poèmes et textes de Guillevic, Lanza del Vasto, Pierre Seghers, Antoine Vitez, etc.
 
Colette Grégoire épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki».
Elle devient membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime.
Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger.
Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature.
Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Elle décède tragiquement à 35 ans au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par "Présence africaine".
 
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès..."
 
Extrait de "Même en hiver"...
 
Dans ses 21 ans, Colette Grégoire manifestait sa conscience de sa responsabilité humaine et sociale de poète, dans un poème resté inédit:
 
" La poésie remet les choses en place
 
Je n'écris pas pour moi, mais pour tous
Je dis "je", mais c'est nous qu'il faut lire
J'écris pour "réaliser" une situation
de fait, pour rendre à la vie ce
qui est son dû.
J'essaie d'être le porte-parole honnête
de chacune, pour rendre conscient
ce qui existe dans chacune
pour établir des rapports réels entre
l'homme et son pays.
Je traduits un état de fait
J'essaye de dire les racines de l'homme
avec son pays et le monde
J'ai appris à voir, à comprendre
J'ai le privilège de dépoussiérer une
langue - peu importe ce qu'elle est -
et je l'utilise pour révéler un certain mouvement
un certain rythme, certains rapports
de l'homme avec la situation; la
révolution algérienne - j'essaie de la dire
Toute poésie est révolution
elle traduit les apparences
et va au fait.
Je commande aux objets par la vertu d'un mot
Je vois je dis et le futur sera ce que 
J'ordonne " (1952)
 
Dans un poème inédit de 1952, cité par Abderrahmane Djelfaoui, de la même veine, que La poésie remet les choses en place, Anna Gréki écrit:
 
"(...) je ne marchande pas mon amour
Je ne vends pas je dis la vérité
Qui n'est pas faite de pain béni et d'eau fraîche
Mais de franche lutte avec mes camarades
D'intelligence de corps avec mes camarades
Nous savons la valeur de la violence
Nous voilà durs avec nous-mêmes durs
Car nous savons le prix de la tendresse
Et qu'elle se gagne et qu'elle se paie"
 
 
Dans Algérie Capitale Alger publié en 1963, Anna Gréki met en exergue ces vers du poète espagnol Miguel Hernandez:
 
"Les vents du peuple me portent,
les vents du peuple me traînent,
répandent partout mon cœur
et me soufflent dans la gorge"
 
***
J’habite une ville… - Anna Greki (1931-1966)
J’habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne
 
***
Par-delà les murs clos
Par-delà les murs clos comme des poings fermés
à travers les barreaux ceinturant le soleil
nos pensées sont verticales et nos espoirs
L'avenir lové au coeur monte vers le ciel
comme des bras levés en signe d'adieu
des bras dressés enracinés dans la lumière
en signe d'appel d'amour de reviens ma vie
Je vous serre contre ma poitrine mes soeurs
bâtisseuses de liberté et de tendresse
et je vous dis à demain car nous le savons
L'avenir est pour demain
L'avenir est pour bientôt
***
JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n"entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Dans des pays des morceaux de moi font semence
et donnent-surgeons de ma tendresse-de tels
Oasis que les jours sont des vergers en fête
Ou l'homme boit une vigueur amniotique
Le bonheur tombe dans le domaine public
 
 
 
 
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
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13 mars 2023 1 13 /03 /mars /2023 11:33
Tawfik Zayyad

Tawfik Zayyad

Communist'Art: Tawfik Zayyad (1929-1994).
 
"Je graverai le numéro de chaque parcelle
de notre terre violée
et l’emplacement de notre village et ses limites
et ses maisons qu’ils ont dynamitées
et mes arbres qu’ils ont déracinés
et toutes les fleurs sauvages qu’ils ont arrachées
afin de me souvenir.
Je graverai inlassablement
toutes les saisons de mes douleurs
toutes les saisons de l’infortune
de la graine
à la coupole
sur l’olivier
dans la cour de ma maison."
 
Tawfik Zayyad est un poète palestinien né à Nazareth en 1929 et décédé en 1994.
Né en Galilée, il étudie la littérature en URSS.
Zayyad était à la fois maire de Nazareth, la plus grande ville palestinienne d'Israël, député communiste à la Knesset (parlement israélien) de 1973 à 1994 et dirigeant du parti communiste d'Israël, le Rakah, qui rassemblait des militants juifs et arabes.
L’une des réalisations les plus marquantes de Zayyad fut d’avoir dirigé avec succès la grève nationale du 30 mars 1976 organisée en guise de protestation contre la confiscation de terres palestiniennes par Israël et qui est aujourd’hui commémorée chaque année comme Journée de la Terre. Quand le gouvernement israélien tenta d’arrêter la grève en allant trouver les maires des municipalités palestiniennes en Israël, Zayyad, dit-on, montra du doigt la foule de plusieurs centaines de personnes massées en dehors de l’immeuble pour soutenir la grève et déclara : « Ce n’est pas vous qui décidez si cette grève a lieu ou pas, mais bien eux ! ». Une telle foi dans le pouvoir des masses et de la lutte de classe est profondément enracinée dans lidéologie communiste, dont Zayyad était un adepte passionné.
Un rapport qu'il coécrit sur les conditions dans les prisons et l'usage de la torture concernant les détenus palestiniens est réimprimé dans le journal israélien Al HaMishmar Il est également présenté aux Nations-Unies par Taoukik Toubi et Taoufik Ziyad après leur visite à la prison Al-Far'ah le 29 octobre 1987. Il est ensuite longuement cité dans un rapport de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 23 décembre 1987, où il est décrit comme « peut-être la meilleure preuve de la vérité des rapports décrivant les conditions inhumaines répugnantes endurées par les prisonniers arabes ».
Alors qu'il est toujours maire de Nazareth et membre de la Knesset, il est tué le 5 juillet 1994 dans une collision frontale dans la vallée du Jourdain, sur le chemin du retour de Jéricho où il venait d'accueillir Yasser Arafat, président de l'OLP, de retour d'exil.
 

Un point important que Sorek fait remarquer dans son livre, c’est que Zayyad et le communisme sont indissociables. La vision de Zayyad était fermement enracinée dans la solidarité de classe, l’anticolonialisme et le cosmopolitisme. De plus, Zayyad n’hésitait pas à défendre ses points de vue, réprimandant même Gamal Abdel Nasser en 1959 – le dirigeant arabe le plus populaire de l’époque, et même à ce jour – d’avoir adopté une position anticommuniste. La foi inébranlable de Zayyad en l’idéologie marxiste modelait sa vision dans le sens d’une réconciliation juste des Palestiniens et des Israéliens et d’un optimisme constant à propos d’un partenariat commun entre Palestiniens et Juifs.

« Il cherchait des ponts vers les Israéliens juifs en raison de sa foi en une humanité partagée, en une affiliation de classe partagée. » (Sorek, p. 282).

Internationaliste et communiste, Zayyad était profondément palestinien. Même s'il a écrit des poèmes en l'honneur des travailleurs et des poètes progressistes du monde, sa poésie se confond avec cette terre tant aimée, cette"terre violée" de la Palestine. Zayyad ressentait la tragique histoire de la Palestine et de son peuple qui lutte toujours pour sa survie. "Le drame que je vis est ma part de vos tragédies" écrivait-il dans l'un de ses poèmes :
 
"Je vous appelle
Je serre vos mains
J’embrasse la terre sous vos pieds
 
Et je dis : je vous donne ma vie
Je vous offre la lumière de mes yeux
Et la chaleur de mon cœur
Le drame que je vis est ma part de vos tragédies.
Face à mes oppresseurs je me suis dressé
Orphelin, nu, déchaussé
J’ai préservé l’herbe verte sur les tombes de mes ancêtres"
 
Comme d'autres palestiniens, Zayyad n'a pas quitté sa Galilée natale ; il voulait, disait-il, garder l'ombre des orangers et des oliviers de la Palestine:
 
"Ici nous resterons
Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!
Ici nous avons un passé un présent et un avenir"
 
Sources:
Wikipédia
https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/12/23/tawfiq-zayyad-poete-de-la-resistance-et-la-lutte-palestinienne/
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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 07:00
Kateb Yacine n’a cessé d’écrire, amassant au fil de ses pérégrinations des documents, multipliant les rencontres, les expériences. Ici, vers 1965.- Photo publiée dans l'Humanité

Kateb Yacine n’a cessé d’écrire, amassant au fil de ses pérégrinations des documents, multipliant les rencontres, les expériences. Ici, vers 1965.- Photo publiée dans l'Humanité

Communist'Art: Kateb Yacine
 
 Kateb Yacine naît en 1929 à Constantine.
Il est issu d'une famille chaouie originaire des Aurès. Son grand-père maternel est juge suppléant du cadi, à Condé Smendou, son père est avocat et sa famille le suit dans ses mutations successives.
Le jeune Kateb (nom qui signifie « écrivain» en arabe) entre en 1934 à l'école coranique de Sedrata, et en 1935 à l'école française à Lafayette (aujourd'hui Bougaa en Petite Kabylie, actuelle wilaya de Sétif), où sa famille s'est installée, puis en 1941, comme interne, au lycée de Sétif : le lycée Albertini.
Kateb Yacine se trouve en classe de troisième quand éclatent les manifestations du 8 mai 1945, auxquelles il participe et qui s'achèvent sur le massacre de plusieurs dizaines de milliers d'Algériens par la police, l'armée françaises et des milices.
Quatorze membres de sa famille sont tués au cours du massacre. Trois jours plus tard, il est arrêté et détenu durant deux mois. Il est définitivement acquis à la cause nationale, tandis qu'il voit sa mère « devenir folle ».
 
Il dira: «Je suis né quand j’avais seize ans, le 8 mai 1945. Puis, je fus tué fictivement, les yeux ouverts, auprès de vrais cadavres et loin de ma mère qui s’est enfuie pour se cacher, sans retour, dans une cellule d’hôpital psychiatrique. Elle vivait dans une parenthèse, qui, jamais plus, ne s’ouvrira. Ma mère, lumière voilée, perdue dans l’infini de son silence»
 
Exclu du lycée, traversant une période d'abattement, plongé dans Baudelaire et Lautréamont, son père l'envoie au lycée de Bône.
Il y rencontre Nedjma (l'étoile), « cousine déjà mariée », avec qui il vit « peut-être huit mois », confiera-t-il,et y publie en 1946 son premier recueil de poèmes.
Il se politise et commence à faire des conférences sous l'égide du Parti du peuple algérien, le parti nationaliste de masse de l'époque.
En 1947, Kateb arrive à Paris, « dans la gueule du loup ». Il prononce en mai, à la Salle des Sociétés savantes, une conférence sur l'émir Abdelkader et adhère au Parti communiste algérien.
Au cours d'un deuxième voyage en France métropolitaine, il publie l'année suivante Nedjma ou le Poème ou le Couteau (« embryon de ce qui allait suivre ») dans la revue Le Mercure de France.
Journaliste au quotidien communiste de rassemblement "Alger républicain"  entre 1949 et 1951, son premier grand reportage a lieu en Arabie saoudite et au Soudan (Khartoum).
À son retour, il publie notamment, sous le pseudonyme de Saïd Lamri, un article dénonçant l'« escroquerie » du lieu saint de La Mecque.
Après la mort de son père, survenue en 1950, Kateb devient docker à Alger, en 1952. Puis il s'installe à Paris jusqu'en 1959, où il travaille avec Malek Haddad, se lie avec M'hamed Issiakhem, Armand Gatti et, en 1954, s'entretient longuement avec Bertolt Brecht, dialogue avec Cesaire, Glissant.
En 1954, la revue Esprit publie « Le Cadavre encerclé » qui est mis en scène par Jean-Marie Serreau, mais interdit en France.
Son chef d’œuvre, Nedjma paraît en 1957 (et Kateb se souviendra de la réflexion d'un lecteur : « C'est trop compliqué, ça. En Algérie vous avez de si jolis moutons, pourquoi vous ne parlez pas de moutons ? »).
Nedjma, c’est à la fois la femme et l’Algérie, l’incarnation de la résistance à toutes les oppressions. Nedjma lui confère une place singulière dans la littérature, le propulse au premier rang, le consacre comme l’écrivain de la littérature moderne algérienne. Avant lui, Mammeri, Feraoun, ­Mohamed Dib, Malek Haddad avaient entrouvert la porte. Kateb la pousse définitivement.

Et la figure de Nedjma fera des apparitions récurrentes dans son œuvre, fantôme incarné qui franchit le temps et l’espace, toujours là avec, à ses côtés, ­Lakhdar et Mohamed.

En 1958, le metteur en scène et ami Jean-Marie Serreau monte le Cadavre encerclé, de Kateb. Cela fait quatre ans que l’Algérie est le théâtre d’une guerre sans nom. Les autorités françaises interdisent la pièce. Elle se jouera au Théâtre Molière, à Bruxelles, dans un climat de grande tension. Dans la distribution, Serreau, mais aussi José Valverde, Edwine Moatti, Paul Crauchet ou encore Antoine Vitez.

Durant la guerre d'Algérie, Kateb, harcelé par la Direction de la surveillance du territoire, connaît une longue errance, invité comme écrivain ou subsistant à l'aide d'éventuels petits métiers, en France, Belgique, Allemagne, Italie, Yougoslavie et Union soviétique.
En 1962, après un séjour au Caire, Kateb est de retour en Algérie peu après les fêtes de l'Indépendance.
Il reprend sa collaboration à "Alger républicain", mais il effectue entre 1963 et 1967 de nombreux séjours à Moscou, en Allemagne et en France tandis que "La Femme sauvage", qu'il écrit entre 1954 et 1959, est représentée à Paris en 1963.
Il publie en 1964 dans "Alger républicain" six textes sur "Nos frères les Indiens" et raconte dans Jeune Afrique sa rencontre avec Jean-Paul Sartre, tandis que sa mère est internée à l'hôpital psychiatrique de Blida (« La Rose de Blida », dans Révolution Africaine, juillet 1965). En 1967, il part pour le Vietnam, abandonne complètement la forme romanesque et écrit "L'Homme aux sandales de caoutchouc".
Lorsqu’il décide de rester plus durablement en Algérie, en 1970, il abandonne l’écriture en français et se lance dans une expérience théâtrale en langue dialectale dont Mohamed, prends ta valise, sa pièce culte, donnera le ton. Fondateur de l’Action culturelle des travailleurs (ACT), il joue dans les lieux les plus reculés et improbables, usines, casernes, hangars, stades, places publiques... avec des moyens très simples et minimalistes — les comédiens s’habillent sur scène et interprètent plusieurs personnages —, le chant et la musique constituant des éléments de rythme et de respiration.
« Lorsque j’écrivais des romans ou de la poésie, je me sentais frustré parce que je ne pouvais toucher que quelques dizaines de milliers de francophones, tandis qu’au théâtre nous avons touché en cinq ans près d’un million de spectateurs. (...) Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple ; je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier, même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes. Il faut faire une véritable révolution culturelle. »
L’engagement politique de Kateb détermina fondamentalement ses choix esthétiques : « Notre théâtre est un théâtre de combat ; dans la lutte des classes, on ne choisit pas son arme. Le théâtre est la nôtre. Il ne peut pas être discours, nous vivons devant le peuple ce qu’il a vécu, nous brassons mille expériences en une seule, nous poussons plus loin et c’est tout. Nous sommes des apprentis de la vie . » Pour lui, seule la poésie peut en rendre compte ; elle est le centre de toutes choses, il la juge « vraiment essentielle dans l’expression de l’homme ». Avec ses images et ses symboles, elle ouvre une autre dimension. « Ce n’est plus l’abstraction désespérante d’une poésie repliée sur elle-même, réduite à l’impuissance, mais tout à fait le contraire (...). J’ai en tous les cas confiance dans [son] pouvoir explosif, autant que dans les moyens conscients du théâtre, du langage contrôlé, bien manié »
Un « pouvoir explosif » qu’il utilisera dans "Le Cadavre encerclé", où la journée meurtrière du 8 mai 1945, avec le saccage des trois villes de l’Est algérien, Guelma, Kherrata et Sétif, par les forces coloniales, est au cœur du récit faisant le lien entre histoire personnelle et collective.
Kateb Yacine a fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme mais aussi de la dictature post-indépendance qui n’a cessé de spolier le peuple. Dénonçant violemment le fanatisme arabo-islamiste, il luttait sur tous les fronts et disait qu’il fallait «révolutionner la révolution ».
S’il considérait le français comme un « butin de guerre », il s’est aussi élevé contre la politique d’arabisation et revendiquait l’arabe dialectal et le tamazight (berbère) comme langues nationales. Surnommant les islamo-conservateurs les « Frères monuments », il appelait à l’émancipation des femmes, pour lui actrices et porteuses de l’histoire : « La question des femmes algériennes dans l’histoire m’a toujours frappé. Depuis mon plus jeune âge, elle m’a semblé primordiale. Tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai fait jusqu’à présent a toujours eu pour source première ma mère (...). S’agissant notamment de la langue, s’agissant de l’éveil d’une conscience, c’est la mère qui fait prononcer les premiers mots à l’enfant, c’est elle qui construit son monde »
L’éventail et la radicalité de sa critique lui ont valu autant de passions que d’inimitiés.
En 1986 il livre un extrait d'une pièce sur Nelson Mandela, et reçoit en 1987 en France le Grand prix national des Lettres.
Dans la perspective du bicentenaire de la Révolution française, on lui commande une pièce. Il écrit le Bourgeois sans-culotte ou le Spectre du parc Monceau. Elle est jouée en 1984 à Arras, puis en 1988 au Festival d’Avignon. Il faut lire et relire cette pièce. C’est une sorte de grand embrasement révolutionnaire de 1789 aux luttes pour l’indépendance. Les terroristes – tels que les qualifiaient les royalistes, les pétainistes et les nazis, les défenseurs de l’Empire colonial français – sont des révolutionnaires. Kateb prend le contre-pied des thèses en vogue d’un Furet, qui s’acharne à détruire la figure de Robespierre. Pour lui, les révolutionnaires de 1789 sont les ancêtres des indépendantistes algériens : « Le préfet de police Papon achève l’œuvre de La Fayette. À Charonne comme au Champ-de-Mars, la police française a tué des Français. (…) Cinq cent mille Parisiens ont assisté à l’enterrement des neuf morts de Charonne. La France de la Révolution vient de se reconnaître dans l’Algérie indépendante. »

« Notre théâtre, confiait-il en 1975 à Colette Godard dans le Monde, est de combat. (…) Nous défendons, nous attaquons, c’est une forme d’action politique dans la ligne de la Révolution.(…) Nous ne faisons peut-être pas du théâtre, mais nous créons le débat idéologique sans lequel toute révolution n’est qu’un exercice militaire. » Kateb ne cède rien, ni aux sirènes de la gloire, ni au confort d’une reconnaissance réelle, ni au public qu’il bouscule dans ses retranchements : « Il faut le harceler, ne pas le laisser reprendre son souffle. Le vrai théâtre est un combat pour le public et contre lui », dira-t-il.

Son théâtre est aussi subversif par sa langue : indisciplinée, rugueuse, joyeuse. Le lire et le relire aujourd’hui est à la fois vertigineux et salutaire. Comme un Gatti, un Benedetto, ses écrits sont à redécouvrir. Il serait temps de retourner à ces création denses, d’oser les remettre sur le métier. À Paris, un square dans le 13e arrondissement porte son nom. À Grenoble, une bibliothèque. Le théâtre de Tizi Ouzou. C’est peu au regard de l’immensité de son talent, de son engagement. On ne connaît pas la date de naissance exacte de Kateb Yacine. On est sûr qu’il est mort le 28 octobre 1989. Laissant une œuvre inachevée qui respire encore…

Il est enterré au cimetière d'Al Alia à Alger.
 
Source: Wikipedia, article de Marina Da Silva dans Le Monde Diplomatique, article de Marie-José Sirach dans L'Humanité
LES FOURMIS ROUGES -
Kateb Yacine (1929-1989)
 
Fallait pas partir.
Si j'étais resté au collège, ils ne m'auraient pas arrêté.
Je serais encore étudiant, pas manoeuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde fois, pour un coup de tête.
Fallait rester au collège, comme disait le chef de district.
Fallait rester au collège, au poste.
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s'étaient groupés.
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas.
Y avait plus ni principal ni pions.
L'odeur des cuisines n'arrivait plus.
Le cuisinier et l'économe s'étaient enfuis.
Ils avaient peur de nous, de nous, de nous !
Les manifestants s'étaient volatilisés.
le suis passé à l'étude. J'ai pris les tracts.
J'ai caché la Vie d'Abdelkader .
J'ai ressenti la force des idées.
J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration...
La respiration de l'Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l'Algérie elle même est devenue...
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les enterrés dans la rivière.
J'ai tracé sur le sable un plan...
Un plan de manifestation future.
Qu'on me donne cette rivière, et je me battrai.
je me battrai avec du sable et de l'eau.
De l'eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J'étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l'appelai, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu'il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait...
Tout le monde sait qu'un paysan n'a pas d'esprit.
Un paysan n'est qu'un estomac. Une catapulte.
Moi j'étais étudiant. J'étais une puce.
Un puce sentimentale... Les fleurs des peupliers...
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j'étais en guerre. je divertissais le paysan.
Je voulais qu'il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant
mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
 
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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 06:55
Colette Anna Grégoire, dite Anna Greki

Colette Anna Grégoire, dite Anna Greki

Communist'Art
 
Colette Anna Grégoire, dite Anna Greki, est une poétesse algérienne d’origine et d'expression française, fille d'instituteur, née à Batna le 14 mars 1931.
Elle est élevée au milieu d'une communauté berbère chaoui et se trouve très tôt confrontée à la misère des algériens.
Elle passe son enfance à Menaa et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (Philippeville) et Annaba.
Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien.
En 1955, elle interrompt ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice.
Ahmed Inal est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
Devenue à son tour, par conviction, institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, elle milite au Parti Communiste algérien.
Membre actif des "Combattants de la Libération", elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957, elle est torturée puis emprisonnée à la prison civile d'Alger, transférée au camp de transit de Beni Messous en 1958, et ensuite expulsée d'Algérie (sans doute parce qu'elle était française).
Elle travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961.
Elle épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki ».
Membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime.
Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger.
Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature.
Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Elle décède tragiquement à 35 ans au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par "Présence africaine".
 
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès..."
 
Extrait de "Même en hiver"...
Communist'Art
Avec la rage au cœur - Anna Gréki (1931-1966)
 
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
C'est ma manière d'avoir du cœur à revendre
C'est ma manière d'avoir raison des douleurs
C'est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d'or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l'abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l'acier brûle ces méduses
Secrètes que j'ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n'ont plus besoin d'excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m'ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n'en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C'est bien suffisant pour que j'en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu'il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m'étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t'aimais
Plus souvent qu'a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l'ancre dans ma mémoire et j'ai peur
Quand de mes amis l'ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s'ouvre à la place de mes yeux - je suis jeune
Ce qui n'est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu'il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule - à ne pas croire...
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours - dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante - je ne sais plus aimer
Qu'avec cette plaie au cœur qu'avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu'on les ait aimés
Eux que l'on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l'amour qu'ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire
 
***
J’habite une ville… - Anna Greki (1931-1966)
J’habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne
 
***
Par-delà les murs clos
Par-delà les murs clos comme des poings fermés
à travers les barreaux ceinturant le soleil
nos pensées sont verticales et nos espoirs
L'avenir lové au coeur monte vers le ciel
comme des bras levés en signe d'adieu
des bras dressés enracinés dans la lumière
en signe d'appel d'amour de reviens ma vie
Je vous serre contre ma poitrine mes soeurs
bâtisseuses de liberté et de tendresse
et je vous dis à demain car nous le savons
L'avenir est pour demain
L'avenir est pour bientôt
***
JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n"entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Dans des pays des morceaux de moi font semence
et donnent-surgeons de ma tendresse-de tels
Oasis que les jours sont des vergers en fête
Ou l'homme boit une vigueur amniotique
Le bonheur tombe dans le domaine public
 
Colette Anna Grégoire, dite Anna Greki, est une poétesse algérienne d’origine et d'expression française, fille d'instituteur, née à Batna le 14 mars 1931.
Elle est élevée au milieu d'une communauté berbère chaoui et se trouve très tôt confrontée à la misère des algériens.
Elle passe son enfance à Menaa et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (Philippeville) et Annaba. Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien. En 1955, elle interrompt ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice. Ahmed Inal est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
Devenue à son tour, par conviction, institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, elle milite au Parti Communiste algérien.
Membre actif des "Combattants de la Libération", elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957, elle est torturée puis emprisonnée à la prison civile d'Alger, transférée au camp de transit de Beni Messous en 1958, et ensuite expulsée d'Algérie (sans doute parce qu'elle était française).
Elle rejoint alors Jean Melki, son mari, à Tunis.
Elle travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961. Elle épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki ». Membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime. Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger. Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature. Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Elle décède tragiquement à 35 ans au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par "Présence africaine".
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès..."
Extrait de "Même en hiver"...
 
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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 08:24
Alberto Moravia et Elsa Morante à Capri dans les années 1940.

Alberto Moravia et Elsa Morante à Capri dans les années 1940.

Moravia -
L'homme nu et autres poèmes (Flammarion)
 
Qui me rendra
l'odeur
enivrante
et suffocante
des petites roses blanches
entre les piquets
des grilles
des jardins
de mai?
 
Comparaison - Moravia
 
La vie est comme une boule
de mercure
elle se divise
se fragmente
se pulvérise
sous le pouce
de la pensée
et puis se reforme
boule liquide
si lourde
d'angoisse.
 
Alberto Moravia (1907-1990)
Alberto Moravia, nom de plume d'Alberto Pincherle, naît dans un quartier aisé de Rome le 28 novembre 1907 d'un père, architecte d'origine vénitienne et de confession juive, et d'une mère catholique d'origine dalmate dans une famille de quatre enfants.
Tout jeune, il est en partie élevé par une gouvernante française.
Il dit avoir fait à neuf ans le choix de la littérature, comme "une vocation", "un besoin physiologique".
À l'âge de neuf ans, il est atteint de tuberculose osseuse, ce qui l'immobilise pendant huit années et l'empêche de suivre ses études. Il séjourne dans des sanatoriums durant deux ans. Cela lui laissera de profondes séquelles. Durant cette période, il lit Shakespeare, Molière, Goldoni, Marcel Proust, Arthur Rimbaud, Dostoïevski.
Il n'a que 19 ans, lorsque Les Indifférents, son premier roman, connaît un succès critique qui marque l’entrée fracassante d’Alberto Moravia, qui s’est entre-temps trouvé un nom de plume, sur la scène intellectuelle et littéraire italienne.
Il écrit Les Indifférents dans le sanatorium de Bressanone, au nord de l'Italie. L'ouvrage est publié à compte d'auteur. Il s'agit d'un roman existentialiste avant la lettre qui restera la référence idéologique et littéraire la plus marquante de l'œuvre de Moravia. Le livre obtient un succès de scandale en raison de l'âpre description désenchantée de la bourgeoisie romaine. À partir de ce succès, l'auteur écrit avec une « régularité bureaucratique » une œuvre abondante.
En 1927, Moravia rencontre Corrado Alvaro et Massimo Bontempelli.
Il commence sa carrière de journaliste au magazine 900.
À partir de 1930, il séjourne à Londres, Paris, New York et visite la Chine, la Grèce, l'Allemagne et le Mexique. Il voyage pour échapper, dit-il, à l'atmosphère étouffante du fascisme. En Italie, il signe des articles de presse (journaux et revues). Son net antifascisme le rend suspect et les origines juives de son père contribuent à la précarité de sa situation.
Durant l'écriture de son deuxième roman, d'une durée de six années, il lit Karl Marx et Sigmund Freud.
En 1941, Moravia épouse Elsa Morante, qu'il quittera en 1962. Peu après son divorce, il partage sa vie avec Dacia Maraini. Toutes deux sont des femmes de lettres.
Recherché par les fascistes à partir de 1943, Moravia s'enfuit de Rome et se réfugie dans les montagnes de la ville de Fondi, au nord de Naples où il séjournera neuf mois.
En mai 1944, Alberto Moravia retourne à Rome et commence à collaborer avec Corrado Alvaro, écrivant pour des journaux italiens de premier plan comme Il Mondo et Il Corriere della Sera, pour lequel il continuera à écrire jusqu'à sa mort.
C'est le succès de La Romana (1947) qui lui apporte une certaine aisance matérielle et la consécration par la critique. Ces œuvres sont mises à l'Index en 1952. Avec Alberto Carocci, il lance la revue Nuovi Argomenti en 1953, une des plus importantes revues littéraires de l'après-guerre. Pier Paolo Pasolini les rejoindra plus tard.
Entre 1959 et 1962 Moravia est président du PEN International.
Moravia est l'auteur de plusieurs essais sur l'Afrique, la Chine, l'URSS. C'est un compagnon de route du Parti communiste même s'il n'a jamais adhéré formellement au PCI.
Moravia est un grand ami de Pasolini, le poète, cinéaste et intellectuel marxiste, communiste, d'origine bourgeoise et "libertin" comme lui, tué le 2 novembre 1975 sur la plage d'Ostie à Rome.
En 1984, Moravia est élu au Parlement européen, représentant le Parti communiste italien.
Cette expérience, qui s'achève en 1988, est contée dans Il Diario Europeo (The European Diary). En 1986, peu après la mort d'Elsa Morante en novembre 1985, il épouse Carmen Llera à qui est dédicacé son recueil de nouvelles La Chose.
 
Plusieurs romans de Moravia sont adaptés au cinéma:
La Provinciale de Mario Soldati (1953) et La Belle Romaine de Luigi Zampa (1954), tous deux avec Gina Lollobrigida, "Le conformiste" de Bertolucci (1970, avec Jean-Louis Trintignant: le thème principal de ce film : la bourgeoisie italienne, qu'il situe dans les années 1930 et qu'il associe à la mentalité fasciste), Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot adapté de son roman de 1954.
 
L'œuvre d'Alberto Moravia dissèque souvent les rapports amoureux, sexuels ou non, charnels ou spirituels, en fouillant de manière distanciée la psychologie de ses personnages.
Jouant avec les conventions sociales et leur influence sur les sentiments, ses livres questionnent volontiers la société et le couple dans leurs rapports (Le Mépris, L'Ennui, L'Amour conjugal, La Femme léopard).
La matière parfois scabreuse de ses romans et de ses nouvelles est moins superficielle que le succès à scandale qu'elle a souvent entraîné : les personnages velléitaires de cette œuvre sont les produits d'une crise de la société bourgeoise, puritaine et fasciste, que Moravia regarde d'un œil impitoyable, mais non dépourvu de complaisance littéraire.
Il a été nommé 15 fois pour le Prix Nobel de littérature entre 1949 et 1965.
Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma.
Le Mépris est classé 48e dans le classement des Cent livres du siècle réalisé par le journal le Monde.
 
 
 
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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 08:21
Communist'Art: Italo Calvino (1923-1985)
Crâne - Italo Calvino
 
Dans votre petit crâne
est enfermée une guêpe
folle furieuse
qui grille et vrombit.
Mon crâne est ouvert
battu par le vent.
Ô vent combien de pensées
apportes-tu en moi et en chasses-tu
rapide à tout moment,
Ô vent.
Ô pluie, je suis sans
couvercle
et ma tête est une conque.
Tu la laves et débordes.
Ô pluie.
J’ai la tête pleine de pluie
et de vent et de soleil et de mer.
Ô vent.
Si tu pouvais suspendre une pensée.
Si tu pouvais la suspendre un moment.
Ô vent.
Mais mon crâne est sans paroi
C’est le monde.
Dans votre petit crâne
il n’y a de la place
que pour une guêpe méchante
folle furieuse
qui vrombit
et se cogne la tête
contre les parois aveugles.
 
Poème de jeunesse d'Italo Calvino (1942) - Cairn Info
 
***
 
Peuple, un jour tu accrocheras tes mains
lasses aux grilles, dans un vrombissement de ruche.
Tu te répandras, flot émacié,
allégées les digues de la longue injure.
Une armée en guenilles sans défense
en pavois de deuils, de déchirures et de bandes
avancera à la reconquête tardive
du bien perdu toutes ces années de patience.
Je ne sais d’où, tremblant,
hommes, je suivrai votre rachat.
Avec des cris ou muet j’inciterai à la furie ;
ou s’il suffira encore à votre débandade
d’entendre le pas d’un patron ou de ses sbires,
hommes, je ne regarderai plus vos yeux,
vils comme les miens sont vils.
 
Italo Calvino - Écrit sous terre, Le 11-12-44
Publié par Cairn Info
 
Italo Calvino (1923, Santiago de las Vegas à Cuba - 1985, Sienne, Toscane)
Italo Calvino naît à Cuba où son père Mario (1875-1951), d'origine ligurienne, travaille comme agronome, et sa mère Eva Mameli Calvino (1886-1978), native de Sardaigne, est biologiste. En 1925, la famille rentre en Italie, alors mussolinienne, où le jeune Italo grandit (à Sanremo) et reçoit une éducation laïque et antifasciste.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il interrompt ses études d'agronomie ; en 1943, il rejoint la résistance communiste en Ligurie et les partisans des brigades Garibaldi. En 1945, il se retrouve à Turin où il participe à plusieurs journaux. Il travaille pour l’imprimerie turinoise qui publie L’Unita (le quotidien officiel du parti communiste italien) entre 1948 et 1949 et milite au Parti communiste italien. Italo Calvino entreprend des études de lettres qu'il conclut par un mémoire de littérature anglaise sur Joseph Conrad. À cette époque, il fait la connaissance de Cesare Pavese qui l'encourage à écrire et qui parle d'Italo Calvino dans son journal intime "Le Métier de Vivre".
En 1947, il publie son premier roman, Le Sentier des nids d'araignées, qui évoque son expérience de résistant. L'œuvre rencontre un certain succès. En 1949 paraît Le Corbeau vient le dernier. Ces deux œuvres naissent dans l'atmosphère néoréaliste. En 1952, sur les conseils de son éditeur, il abandonne sa manière néo-réaliste pour se tourner vers le conte fantastique, à travers Le Vicomte pourfendu qui formera, avec Le Baron perché et Le Chevalier inexistant, la célèbre trilogie Nos ancêtres, vision allégorique de la condition humaine moderne.
Entre 1950 et 1956, il entreprend la compilation et la traduction des Contes populaires italiens à partir de contes folkloriques du XIXe siècle.
Après l'invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques en 1956, Calvino quitte le parti communiste comme des centaines d'intellectuels.
Il défend néanmoins en 1957 "La Chute de Berlin", le film sur l’armée rouge pendant la deuxième guerre mondiale réalisé par Michail Ciaureli.
En 1968, Italo Calvino est à Paris pour participer aux évènements du « Joli Mai » (à ce sujet, il nous laissa d’ailleurs un lettre magnifique, relativement peu connue, mais qui vaut la peine d’être citée : « nous vivons les derniers jours de cette ville extraordinaire sans voitures et sans métro, avec les files d’attentes devant les magasins, et les discours de De Gaulle, avec les klaxons de ses soutiens qui essaient de pénétrer le Quartier Latin mais qui se font refouler; la Sorbonne ressemble à une forteresse assiégée, avec les militants prêts au combat et les jeunes qui craignent le pire et insultent le Parti Communiste. Des nuits durant lesquelles vous ne faites rien si ce n’est marcher parmi les alarmes qui ne cessent jamais, dans un climat d’excitation continue. […] Il me semble que quelque chose est véritablement en train de changer en Europe. Sans aucun doute c’est un pas vers l’organisation d’une nouvelle force révolutionnaire soutenue par la classe ouvrière, alors qu’à ce moment précis la voie prise par les partis communistes est irréversible, comme le fut celle des démocraties sociales à la veille de la première guerre mondiale. La question de savoir à quel point la réaction au mouvement va progressivement s’orienter vers le fascisme ne semble pas inquiéter les jeunes révolutionnaires : et qui sait, peut-être ont-ils raison, car nous vivons une époque tellement différente de notre passé, et les choses ne sont jamais comme nous les avions présagées »).
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  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
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