Retailleau, Genevard, Dati, Vautrin, Lecornu… Au mépris des urnes, le camp présidentiel et « Les Républicains » se partagent les postes gouvernementaux. Un virage austéritaire et réactionnaire se dessine mais, au vu du rapport de force parlementaire, le nouvel exécutif n’aura pas les coudées franches. Sauf à s’acoquiner avec le RN.
Nouveau gouvernement ou remaniement ? Peu importe le terme choisi, le résultat est le même : la coalition des battus prend vie. Emmanuel Macron a officiellement topé avec « Les Républicains », qui font désormais office d’assurance-vie au chef de l’État. Il aura fallu attendre 66 jours depuis la démission de Gabriel Attal et ses ministres pour voir nommé un nouveau gouvernement. Un record sous la Ve République mais aussi sous la IVe.
Depuis le 5 septembre, le nom de son chef était déjà connu : Michel Barnier. Voici désormais son équipe de choc (austéritaire) et réactionnaire mise sur pied après quinze jours de tractations. Elle n’augure aucune réorientation politique ni changement de cap. Le premier ministre a beau ânonner « justice fiscale » devant chacun de ses interlocuteurs, comment y croire avec un tel casting ?
Le gouvernement Barnier ressemble à s’y méprendre aux précédents. La légitimité démocratique en moins. Et pour cause : on prend les mêmes, ou presque, et on recommence. Mais comme s’il n’y avait pas eu d’élections législatives. Comme si le président de la République n’avait pas été battu deux fois dans les urnes. Comme si le groupe « Les Républicains » à l’Assemblée ne comptait pas seulement 47 députés.
C’est un exécutif aux accents sarkozystes saupoudré de macronisme qu’a composé Michel Barnier. La pente du second quinquennat Macron était déjà raide, voici qu’elle s’accentue encore avec la sédimentation du bloc bourgeois. Et la présence d’un ministre « divers gauche », comme il est présenté, ne suffit pas à faire écran.
L’ancien bras droit de Philippe de Villiers à l’Intérieur
Nouveau titulaire du portefeuille de la Justice après avoir dirigé la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’ex-socialiste Didier Migaud côtoiera, au Conseil des ministres, tout ce que la droite fait de pire. Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR qui a fait ses armes avec Philippe de Villiers, hérite de l’Intérieur et le sénateur François-Noël Buffet arrive aux Outre-Mer.
Le député macroniste Antoine Armand hérite de l’Économie, des Finances et de l’Industrie et Laurent Saint-Martin du Budget, alors que le vote de ce dernier s’annonce explosif pour le gouvernement. La députée Annie Genevard récupère l’Agriculture et son collègue, le conservateur Patrick Avezel, l’Enseignement supérieur.
Un temps pressenti pour le ministère de la Famille, la très conservatrice Laurence Garnier, opposée au mariage pour tous et à la constitutionnalisation de l’IVG, sera ministre déléguée à la Consommation. Ancienne ministre du Travail, Catherine Vautrin, elle aussi opposante au mariage pour tous, devient ministre du partenariat avec les Territoires et à la Décentralisation. Le député du Nord (Horizons) Paul Christophe fait son entrée au ministère des Solidarités, de l’Autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes. La macroniste de la première heure Astrid Panosyan-Bouvet hérite du portefeuille du Travail. Le maire de Châteauroux Gil Avérous officiera aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative. Guillaume Kasbarian lâche le logement pour la Fonction publique.
En bon écologiste, Michel Barnier a aussi lancé une opération recyclage des transfuges de droite présents dans le gouvernement de son prédécesseur : Sébastien Lecornu et Rachida Dati conservent respectivement la Défense et la Culture. Agnès Pannier-Runacher à l’Écologie et Jean-Noël Barrot aux Affaires étrangères complètent le tableau. L’ex-ministre déléguée Modem chargée des Personnes en situation de handicap Geneviève Darrieussecq fait son retour au gouvernement, cette fois à la Santé. L’Éducation nationale, le plus gros ministère, échoit à la députée de la 11e circonscription des Français de l’étranger Anne Genetet (Renaissance). L’ancienne secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy Valérie Létard sera en charge du logement. Le vice-président de la région Île-de-France et détracteur du mariage pour tous Othman Nasrou est désormais secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations. Nombre de troisièmes voire quatrièmes couteaux de la Macronie bénéficient, eux, d’une promotion comme Maud Bregeon qui devient porte-parole. Une ambiance de fin de règne et de guerre de succession où les cadors macronistes se planquent dans l’espoir de rafler la mise en 2027.
Au total, le gouvernement est composé de 39 membres (ministres, ministres délégués et secrétaires d’État), à parité. Le premier Conseil des ministres autour d’Emmanuel Macron se tiendra lundi. Les réactions du Nouveau Front populaire ne se sont pas fait pas attendre. « On nous promettait un gouvernement de concorde, on a un gouvernement de droite dure. C’est la démocratie qui est humiliée ce soir avec la fin de ce suspense de papier », écrit Lucie Castets sur X (ex-Twitter), indignée. « Ce n’est pas un nouveau gouvernement. C’est un remaniement. Ce n’est pas une cohabitation. C’est une collaboration. Vite, tournons la page », a enjoint Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. L’écologiste Marine Tondelier a fait mine d’interroger : « Un gouvernement contre nature et contre la nature…. Qui aurait pu prédire ? » De son côté, Jean-Luc Mélenchon a tancé un gouvernement composé par « des perdants des élections législatives. (Il) est dans la main de l’inquiétant ministre de l’Intérieur, président du groupe dominant du Sénat où se décidera donc désormais le contenu des textes supportés par LR. Cette combinaison n’a ni légitimité ni futur. Il faudra s’en débarrasser aussitôt que possible. »
La bienveillance du Rassemblement national
Emmanuel Macron et Michel Barnier n’ont franchi que la première haie en formant ce gouvernement. La course d’obstacles est loin d’être terminée. Se dresse devant eux le périlleux exercice du budget, soumis le 9 octobre à l’Assemblée nationale où le tandem ne dispose d’aucune majorité.
En scellant cette « coalitation » (mélange de coalition et de cohabitation), les deux têtes de l’exécutif ont surtout mis leur avenir dans les mains de Marine Le Pen, qui peut décider de censurer l’équipe ministérielle à tout moment. « Le fait de ne pas avoir posé de censure préalable ne nous prive pas de la possibilité, en fonction du budget, de voter une censure si nous considérons que le peuple français est bafoué dans ses intérêts supérieurs », menaçait, avant même l’annonce sur le perron de l’Élysée, la présidente du groupe RN dans Le Parisien.