Le FN et sa candidate prétendent parler « au nom du peuple ». Pour le préserver, c’est un grand bond en arrière que propose Marine Le Pen, en programmant, dès son accession à l’Élysée, l’appauvrissement de sa voix au Parlement et en Europe.
La "démocratie de proximité"... loin des Français
La présidente du FN, bien qu’ayant trouvé confortable, dix-huit ans durant et dans deux régions différentes, le statut d’élue régionale, envisage d’en finir avec les conseils régionaux et les communautés de communes… sans le dire expressément. Elle préfère parler de « maintien de trois niveaux d’administration : commune, département, État », sans s’expliquer sur les échelons voués à disparaître. Derrière sa proposition de « référendum en vue de réviser la Constitution » pour « élargir le champ d’application de l’article 11 », se cache la volonté de donner « plus de poids »… au chef de l’État. Car, au-delà du rétablissement du « septennat, non renouvelable » proposé par Marine Le Pen, l’article visé organise les conditions du référendum, notamment son contrôle par le Parlement. Le projet du FN ne fait pas mention de ce dernier à part pour valider son affaiblissement. Ainsi la proposition de « réduction du nombre de députés à 300, contre 577 aujourd’hui, et du nombre de sénateurs à 200, contre 348 actuellement », est-elle inspirée par une démarche à la fois comptable – moins de parlementaires égale moins de dépenses – et antiparlementariste, bien dans la tradition de l’extrême droite, qui surfe sur le climat actuel du « Tous pourris », entretenu – à tort – par les affaires. Ces mesures lui permettraient de se « débarrasser » d’un seul coup de 2 183 élus (1 758 conseillers régionaux et 425 parlementaires). Et si son programme prétend instaurer la proportionnelle à toutes les élections, il faut lire dans les détails pour déceler les lourdes concessions faites au scrutin majoritaire qui en dénature le sens : à l’Assemblée nationale, une « une prime majoritaire de 30 % des sièges » serait réservée à « la liste arrivée en tête » et un seuil d’éligibilité fixé à 5 %. Une manière d’assurer aux partis majoritaires une hégémonie ad vitam aeternam…
L'Europe, mère de tous les maux
Le FN prétend garantir l’indépendance de la France… mais ne va pas jusqu’à défendre la sortie de notre pays de l’Otan. Marine Le Pen fait illusion en prônant une mesure qui n’effraiera personne dans les cercles atlantistes : la sortie du « commandement militaire » de l’Alliance… ou comment faire passer la France du rang de caution à celui de vassale des puissances de l’Otan ! Cela colle bien à la volonté de Le Pen fille de s’afficher en élève modèle du nouveau président américain, dont elle se rêve en alliée, tout comme Le Pen père se voulait le « Reagan français ». Non, ce ne sont pas les États-Unis de Trump qui posent un problème au FN, mais l’Europe. Le parti compte mettre un terme à toute coopération européenne. Saluant le Brexit, à l’instar du président des États-Unis, elle entend, après une « négociation avec nos partenaires européens », organiser « un référendum » sur « l’appartenance à l’Union européenne ». Il s’agit, dit-elle, de « redonner à la France sa souveraineté monétaire, législative, territoriale et économique ». Pourtant, Marine Le Pen a l’air de douter des vertus de son propre programme : la sortie de l’euro ne figure plus clairement dans le texte, le FN lui préférant le terme de « retour à une monnaie nationale adaptée à notre économie ». Sortir de l’Europe sans sortir de l’euro, tout en en sortant… Le programme du FN a tout du leurre électoral, monument de tromperies sur les intentions réelles du parti et, surtout, sur les conséquences de ses choix pour la France et l’Europe.
Une nouvelle constituion pour valider l'isolement
Le FN a depuis longtemps tranché : il ne veut ni se battre pour une Europe plus sociale et solidaire, pour une Europe politique, mais en isoler la France. L’introduction de nouveaux principes (défense de l’identité, priorité nationale, lutte contre le communautarisme) dans la nouvelle constitution que propose Marine Le Pen participe de cette volonté. Comme le rétablissement de la « supériorité du droit national » sur le droit européen. Dans les faits, cela veut dire aussi, par exemple, supprimer le droit de vote des résidents européens aux élections locales. Pour parachever ce mouvement, la candidate FN veut que, « en cas de conflit de normes devant une juridiction entre un traité (européen – NDLR) et une loi (française – NDLR), le juge tranche en faveur de la loi, si celle-ci est postérieure au traité ». En clair, si un Parlement FN votait, demain, une loi sur le rétablissement du travail des enfants, elle serait supérieure à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne… Marine Le Pen propose, en outre, de « réaffirmer la supériorité de l’autorité judiciaire française sur les autorités judiciaires internationales reconnues par la France », Cour européenne des droits de l’Homme, Cour de justice et Tribunal pénal international inclus !
Marine Le Pen a un « problème » avec l’augmentation du Smic : « Cela entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, qui sont déjà dans une très grande fragilité dans notre pays », a-t-elle déclaré, le 25 janvier, sur Europe 1, pour justifier qu’elle ne l’augmentera pas. Niant l’effet mécanique d’une hausse du salaire de base, elle préfère distribuer des aumônes catégorielles pour flatter ses électorats.
Faute d'augmenter les salaires, le FN colle des rustines
La présidente du FN n’a jamais été pour la hausse des bas salaires : depuis 2012, sa ligne est de faire financer la hausse du pouvoir d’achat aux travailleurs eux-mêmes, les 200 euros d’augmentation qu’elle proposait à la dernière présidentielle étant en fait une baisse de cotisations sociales du même montant, grevant les finances publiques. En 2017, elle propose une ridicule « prime de pouvoir d’achat » annuelle – Marine Le Pen a avancé à Lyon, dimanche, le chiffre de 1 000 euros par an, qui n’est pas repris dans son projet présidentiel –, pour « les bas revenus (jusqu’à 1 500 euros – NDLR) et les petites retraites ». La mesure serait financée par « une contribution sociale sur les importations de 3 % »… ce qui aura pour effet mécanique de faire grimper les prix des produits concernés d’autant, les consommateurs les plus modestes, qui sont aussi les plus tentés par les produits importés à bas coût, finançant ainsi eux-mêmes cette soi-disant prime de pouvoir d’achat ! Concernant l’augmentation promise du minimum vieillesse, pas besoin d’annoncer de financement : cela se déduit tout seul de la suppression de son versement aux étrangers, puisqu’il sera désormais « conditionné à la nationalité française ou à vingt ans de résidence en France ». Quant à la « diminution de la taxe d’habitation pour les ménages modestes » et à celle « de 10 % des taux des trois premières tranches de l’impôt sur le revenu », le FN ne précise pas non plus de financement. Et quant à la « défiscalisation des heures supplémentaires », elle est inefficace, l’expérience Sarkozy l’a prouvée. Non seulement cette défiscalisation a privé la protection sociale de 4 milliards d’euros par an de cotisations, mais encore elle a fortement dégradé l’emploi, des plus précaires notamment : une étude du ministère du Travail de 2010 a montré que 44 % des entreprises concernées utilisaient cette mesure comme alternative au recrutement en CDI ou CDD, et 52 % pour remplacer l’intérim.
Des promesses... non financées pour le public
Les salariés de la fonction publique et leurs bataillons d’électeurs (5,4 millions de salariés) sont une nouvelle proie pour le FN. Aussi avance-t-il des propositions destinées à les séduire, qui l’engagent d’autant moins que Marine Le Pen ne dit pas comment elle compte les financer, comme la « hausse du point d’indice », de même que la promesse de « maintenir au maximum les hôpitaux de proximité », ce qui n’engage pas à grand-chose, ou d’« augmenter les effectifs ». Les quelques pistes avancées sont là aussi imprégnées par l’obsession de la « priorité nationale » : ainsi celle de « relever le numerus clausus » dans les études de santé, justifiée par la nécessité d’« éviter le recours massif aux médecins étrangers », celle de la suppression de l’aide médicale d’État pour les étrangers, ou encore celle de « lutter contre la fraude » en créant une carte Vitale biométrique « fusionnée avec le titre d’identité », donc réservée aux seuls Français…
Le FN avance ici aussi à visage masqué : alors qu’il s’est toujours prononcé pour la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou sa disparition-fusion avec d’autres impôts comme la taxe foncière, le FN ne mentionne plus ce marqueur sans doute jugé trop ouvertement ultralibéral dans la nouvelle mouture de son programme, proposant désormais son maintien… Si d’autres expressions sont apparues, comme la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le FN préserve toujours le capital, en menant, sous couvert de « fiscalité plus juste », une politique à la discrétion des plus riches.
Des héritiers non épargnés
Le diable est dans les détails. Certes, le FN inscrit en gras son refus de « toute hausse de la TVA » ou son intention de « baisser de 10 % l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches », mais il faut regarder plus loin. Que cache, par exemple, la proposition, insérée dans la partie « Garantir la protection sociale » et intitulée « Renforcer la solidarité intergénérationnelle », de pouvoir « transmettre sans taxation 100 000 euros à chaque enfant tous les cinq ans (au lieu de quinze ans actuellement) et en augmentant le plafond des donations sans taxation aux petits-enfants à 50 000 euros, également tous les cinq ans » ? Une mesure de préservation du capital des plus fortunés. Pour rappel, le patrimoine des Le Pen, bien que Marine et Jean-Marie le sous-estiment sciemment dans leurs déclarations de patrimoine, dépasse plusieurs millions d’euros… Quant à la suppression des « impôts à très faible rendement », Marine Le Pen ne dit pas lesquels sont visés… mais il est clair que l’ISF peut entrer dans ce cadre, si on le compare à l’impôt sur le revenu ou à la TVA. Est-il crédible, enfin, d’annoncer vouloir « lutter efficacement contre l’évasion fiscale » ? Non, si l’on se souvient que le nom de Le Pen père était cité dans l’affaire d’évasion fiscale dite des Panama Papers, comme ceux de proches de Marine Le Pen (Frédéric Châtillon, principal acteur de sa communication).
Le Medef n'en demandait pas tant
L’entreprise familiale Le Pen n’oublie pas l’entreprise tout court. Ainsi Marine Le Pen veut-elle réduire le taux d’impôt sur les sociétés à 15 % pour les TPE et créer un « taux intermédiaire » à 24 % (contre 33 % aujourd’hui) pour les entreprises moyennes, abaisser les « charges » sociales des TPE et PME, autant de recettes dont le patronat a toujours goûté la saveur. Le « soutien aux entreprises » est inscrit dans l’ADN du parti d’extrême droite, pour qui privilégier « l’économie réelle » n’est bien évidemment pas améliorer les conditions de travail des Français.
Le dialogue social sous contrôle
Sur le plan social également, le FN est « Medef-compatible »: la réduction des « obligations administratives liées au seuil social de 50 salariés » est assortie d’une fusion des institutions représentatives du personnel qui va éloigner les salariés de leurs élus et affaiblir le dialogue en entreprise. En cohérence avec la proposition d’instaurer une « véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de représentativité » qui ouvre la voie aux syndicats « maison » et celle de « moraliser la vie syndicale par un contrôle public (de leur) financement », prétexte à leur musellement et à leur contrôle tout courts. Ajoutez à cela la « possibilité d’allongement du temps de travail via des accords au niveau des branches professionnelles », en contradiction flagrante avec l’affirmation du « maintien de la durée de travail à 35 heures », et vous aurez la teneur de l’imposture du FN. Un exemple ? Marine Le Pen dit vouloir abroger la loi travail, et pourtant les sénateurs FN n’ont pas voté la proposition de loi communiste déposée en janvier. Les actes en disent plus que les mots…
La retraite à 60 ans, un leurre intégral pour le FN
Le FN reprend la proposition phare de la gauche, abandonnée par le social-libéralisme de Hollande et Valls, de la retraite à 60 ans au bout de « quarante annuités de cotisations pour percevoir une retraite pleine ». Disons-le tout net, c’est une filouterie : le FN n’avance en effet aucune piste de financement, pourtant plus essentielle que dans n’importe quel autre domaine pour permettre de garantir ce droit, puisque c’est au nom du déficit des caisses de retraite et du refus d’envisager de nouveaux financements que les gouvernements successifs ont mené leur réforme d’allongement de l’âge légal à 62 ans et des annuités demandées pour y prétendre. Faute de réduire significativement le temps de travail, de proposer une politique de relance audacieuse des salaires apte à générer de l’emploi et des cotisations, et de mettre à contribution les revenus financiers, il n’y a aucune chance de voir rétablie la retraite à 60 ans. Ces questions ne sont en effet pas un détail technique qui pourrait se régler une fois passées les élections : elles sont au cœur de la lutte à mener face au refus catégorique des forces de l’argent de contribuer davantage au financement du système solidaire. Il est donc clair que le FN avance sur ce terrain par pur opportunisme électoral, dans le but tactique de priver ses adversaires d’un argument, mais qu’il n’a aucunement l’intention de passer aux actes.
Garantir la Sécu... en l'accusant de tous les maux
Cette indigence des propositions sur le point crucial du financement s’illustre d’ailleurs dans le chapitre concernant l’assurance-maladie, le FN se targuant de « garantir la Sécurité sociale pour tous les Français (la précision est capitale, puisqu’il faut alors comprendre que les étrangers, qui cotisent pourtant dans les mêmes conditions, en seraient exclus – NDLR) ainsi que le remboursement de l’ensemble des risques pris en charge par l’assurance-maladie ». On voit bien l’objectif, pour le FN, de prendre le contre-pied de la proposition de Fillon de ne plus faire rembourser les « petits risques » par le régime de base qui a tant inquiété les électeurs : Marine Le Pen espère faire venir à elle les déçus du candidat de la droite. Mais comment compte-t-elle pérenniser la couverture santé – qu’elle ne propose d’ailleurs aucunement d’améliorer, en dépit de son insuffisance ? Eh bien, « en simplifiant l’administration du système , en luttant contre la gabegie financière et en investissant dans les nouveaux outils numériques pour permettre des économies durables ». Quel est le montant de cette mystérieuse « gabegie », alors que le système crève du sous-financement ? L’administration est-elle si complexe qu’on puisse gagner de l’argent en la « simplifiant », alors que tout le monde reconnaît que la Sécu a des frais de gestion inférieurs à n’importe quelle assurance complémentaire ? Les « économies durables » escomptées de l’usage des outils numériques annoncent-elles des fermetures de guichets d’accueil du public ? Tout cela n’est pas sérieux, si ce n’est que le vocabulaire employé (gabegie, simplification, économies…) désigne à nouveau la Sécu comme coupable des maux du système, et semble bien plutôt préparer de nouvelles réformes d’austérité.