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Le Chiffon Rouge
Morlaix
Un point important que Sorek fait remarquer dans son livre, c’est que Zayyad et le communisme sont indissociables. La vision de Zayyad était fermement enracinée dans la solidarité de classe, l’anticolonialisme et le cosmopolitisme. De plus, Zayyad n’hésitait pas à défendre ses points de vue, réprimandant même Gamal Abdel Nasser en 1959 – le dirigeant arabe le plus populaire de l’époque, et même à ce jour – d’avoir adopté une position anticommuniste. La foi inébranlable de Zayyad en l’idéologie marxiste modelait sa vision dans le sens d’une réconciliation juste des Palestiniens et des Israéliens et d’un optimisme constant à propos d’un partenariat commun entre Palestiniens et Juifs.
« Il cherchait des ponts vers les Israéliens juifs en raison de sa foi en une humanité partagée, en une affiliation de classe partagée. » (Sorek, p. 282).
Kateb Yacine n’a cessé d’écrire, amassant au fil de ses pérégrinations des documents, multipliant les rencontres, les expériences. Ici, vers 1965.- Photo publiée dans l'Humanité
Et la figure de Nedjma fera des apparitions récurrentes dans son œuvre, fantôme incarné qui franchit le temps et l’espace, toujours là avec, à ses côtés, Lakhdar et Mohamed.
En 1958, le metteur en scène et ami Jean-Marie Serreau monte le Cadavre encerclé, de Kateb. Cela fait quatre ans que l’Algérie est le théâtre d’une guerre sans nom. Les autorités françaises interdisent la pièce. Elle se jouera au Théâtre Molière, à Bruxelles, dans un climat de grande tension. Dans la distribution, Serreau, mais aussi José Valverde, Edwine Moatti, Paul Crauchet ou encore Antoine Vitez.
« Notre théâtre, confiait-il en 1975 à Colette Godard dans le Monde, est de combat. (…) Nous défendons, nous attaquons, c’est une forme d’action politique dans la ligne de la Révolution.(…) Nous ne faisons peut-être pas du théâtre, mais nous créons le débat idéologique sans lequel toute révolution n’est qu’un exercice militaire. » Kateb ne cède rien, ni aux sirènes de la gloire, ni au confort d’une reconnaissance réelle, ni au public qu’il bouscule dans ses retranchements : « Il faut le harceler, ne pas le laisser reprendre son souffle. Le vrai théâtre est un combat pour le public et contre lui », dira-t-il.
Son théâtre est aussi subversif par sa langue : indisciplinée, rugueuse, joyeuse. Le lire et le relire aujourd’hui est à la fois vertigineux et salutaire. Comme un Gatti, un Benedetto, ses écrits sont à redécouvrir. Il serait temps de retourner à ces création denses, d’oser les remettre sur le métier. À Paris, un square dans le 13e arrondissement porte son nom. À Grenoble, une bibliothèque. Le théâtre de Tizi Ouzou. C’est peu au regard de l’immensité de son talent, de son engagement. On ne connaît pas la date de naissance exacte de Kateb Yacine. On est sûr qu’il est mort le 28 octobre 1989. Laissant une œuvre inachevée qui respire encore…
Tant qu'il y a de la lutte, il y a de l'espoir (et de la joie) - Journée internationale de lutte pour les droits des femmes: Rose Zehner , militante CGTU , membre du PCF . Photographie prise en mars 1938 par Willy Ronis dans l’atelier de sellerie des Usines Citroën , Quai de Javel , à Paris .
Le combat contre ce système patriarcal mondialisé et pour les droits des femmes est partie prenante des luttes pour l’émancipation humaine, pour une société d’égalité et de plein épanouissement pour toutes et tous.
Clara Zetkin disait à Paris en 1889 lors de la 1ère conférence de l’Internationale ouvrière « L'émancipation de la femme comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s'émancipera du capital. »
La Journée internationale des droits des femmes, officialisée par les Nations unies en 1977 et célébrée dans de nombreux pays à travers le monde le 8 mars, est une occasion de faire un bilan sur la situation des femmes.
Cette journée est marquée par de très nombreux événements et manifestations à travers le monde organisés par des mouvements, associations (parmi lesquelles Amnesty International) pour fêter les victoires et les acquis en matière de droits des femmes, mais aussi pour faire entendre leurs revendications, afin d’améliorer la situation des femmes.
La Journée internationale des droits des femmes, ou journée internationale des femmes pour l'ONU, est apparue dans le contexte des mouvements sociaux au tournant du XXe siècle en Amérique du Nord et en Europe.
Le mouvement féministe en plein essor, qui avait été renforcé par quatre conférences mondiales sur les femmes organisées sous l’égide de l’ONU, a aidé à faire de la célébration de cette Journée le point de ralliement des efforts coordonnés déployés pour exiger la réalisation des droits des femmes et leur participation au processus politique et économique.
1909 - Conformément à une déclaration du Parti socialiste américain, la première Journée nationale des femmes a été célébrée sur l’ensemble du territoire des États-Unis d'Amérique le 28 février. Les femmes ont continué à célébrer cette journée le dernier dimanche de février jusqu’en 1913.
1910 - L’Internationale socialiste réunie à Copenhague a instauré une Journée des femmes, de caractère international, pour rendre hommage au mouvement en faveur des droits des femmes et pour aider à obtenir le suffrage universel des femmes. La proposition a été approuvée à l’unanimité par la conférence qui comprenait plus de 100 femmes venant de dix-sept pays, dont les trois premières femmes élues au Parlement finlandais. Aucune date précise n’a été fixée pour cette célébration.
1911 - À la suite de la décision prise à Copenhague l’année précédente, la Journée internationale des droits des femmes a été célébrée pour la première fois, le 19 mars, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse, où plus d’un million de femmes et d’hommes ont assisté à des rassemblements. Outre le droit de voter et d’exercer une fonction publique, elles exigeaient le droit au travail, à la formation professionnelle, ainsi que l’arrêt des discriminations sur le lieu de travail.
1913 - Dans le cadre du mouvement pacifiste qui fermentait à la veille de la Première Guerre mondiale, les femmes russes ont célébré leur première Journée internationale des droits des femmes le dernier dimanche de février 1913. Dans les autres pays d’Europe, le 8 mars ou à un ou deux jours de cette date, les femmes ont tenu des rassemblements soit pour protester contre la guerre, soit pour exprimer leur solidarité avec leurs sœurs.
1917 - Deux millions de soldats russes ayant été tués pendant la guerre, les femmes russes ont de nouveau choisi le dernier dimanche de février pour faire la grève afin d'obtenir « du pain et la paix ». Les dirigeants politiques se sont élevés contre la date choisie pour cette grève, mais les femmes ont passé outre. Le reste se trouve dans les livres d’histoire : quatre jours plus tard, le tsar a été obligé d’abdiquer et le gouvernement provisoire a accordé le droit de vote aux femmes.
La militante révolutionnaire et communiste allemande Clara Zetkin, qui militera au Congrès de Tours pour l'adhésion à la IIIe Internationale communiste en décembre 1920, est, avec la militante communiste russe Alexandra Kollantai, à l'origine de cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, proclamée au Congrès de la Seconde Internationale à Copenhague, en 1910.
« Les pays dans lesquels existe le suffrage dit universel, libre et direct, nous montrent qu'en réalité il ne vaut pas grand-chose. Le droit de vote sans liberté économique n'est ni plus ni moins qu'un chèque sans provision. Si l'émancipation sociale dépendait des droits politiques, la question sociale n'existerait pas dans les pays où est institué le suffrage universel. L'émancipation de la femme comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s'émancipera du capital. »
Clara Zetkin, Discours à la Première Conférence de l'Internationale Ouvrière
L'objectif principal de l'Internationale des femmes socialistes est l'obtention du droit de vote pour toutes les femmes. Mais la « Journée internationale des femmes » se veut une journée de manifestation annuelle qui permet de militer non seulement pour le droit de vote, mais aussi pour l'égalité entre les sexes et le socialiste. La première Journée, à laquelle participe Clara Zetkin, est fixée le . Cette initiative constitue directement l'origine de l'actuelle Journée internationale de lutte pour le droit des femmes, manifestation annuelle fixée de nos jours le 8 mars.
Lire aussi:
Congrès de l'Internationale socialiste à Copenhague en 1910: au centre Clara Zetkin et Alexandra Kollantai
Issu du programme du Conseil national de la Résistance, notre système de retraite a permis à des millions de personnes d’avoir une existence épanouissante après une vie de travail. En recul depuis la fin des années 1980, il constitue une bataille civilisationnelle qui se poursuit encore aujourd’hui dans la rue, contre la réforme d’Emmanuel Macron. Analyse.
Imaginez une création sociale si enthousiasmante que vous seriez prêt à construire et à peindre les murs des administrations à bâtir. « C’est ce qui s’est passé lors de la fondation de la Sécurité sociale et du régime général de retraite. Pour la première fois, tous les Français avaient droit à une pension. Ils ont été des milliers à donner un coup de main de façon bénévole et volontaire pour ouvrir 138 caisses de Sécurité sociale en quelques mois à travers le pays, car ils mesuraient bien qu’ils étaient en train de créer un patrimoine commun et de mener une conquête humaine formidable », raconte Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat (1901-1951), fondateur de la Sécu, en 1945.
Une mobilisation massive, une conscience collective qui se retrouvent aujourd’hui dans les pas des millions de citoyens qui composent les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement. Manifester, c’est montrer sa force, son nombre et sa cohésion. C’est marcher pour ses droits et défendre cette grande conquête des retraites.
Une conquête sur le temps, et sur l’argent : un nouvel âge de la vie, grâce à des richesses socialisées. Mais une conquête menacée. « Marre de simuler ma retraite, je veux en jouir », peut-on lire sur les pancartes des citoyens opposés au report de l’âge légal à 64 ans. Car le droit à la retraite est en recul depuis les années 1980 et se trouve au cœur d’un bras de fer qui ne cesse de s’accentuer : le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.
Le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.
Un rêve qui s’est pleinement concrétisé à la Libération, émanation directe du programme du Conseil national de la résistance (CNR). « En 1945, l’objectif était de faire en sorte que la vie après le travail ne rime pas avec pauvreté. À cette époque, il y avait 4,7 millions de salariés ou anciens salariés de plus de 60 ans, mais seuls 1,7 million bénéficiaient d’un régime de retraite », expose Jean-Christophe Le Duigou, conseiller d’État et ancien dirigeant de la CGT, sur le site de l’Institut CGT d’histoire sociale.
La création du régime de retraite général, à l’initiative du ministre communiste et cégétiste Ambroise Croizat, constitue alors un tournant majeur : tous les Français bénéficient désormais d’un droit à la retraite et d’une pension concrète. « Des millions d’entre eux sont sortis du jour au lendemain de l’angoisse de la vieillesse, qui signifiait pour eux l’indigence, tout comme ils sont sortis de l’angoisse de la maladie et de l’accident du travail, qui signifiait la perte de l’emploi et la plongée dans la misère la plus absolue », insistait Michel Étiévent, historien de la Sécurité sociale et biographe de Croizat décédé en 2021.
« Avant 1945, nous étions quelque part dans l’antiquité de nos droits », estime le député PCF Pierre Dharréville, pour qui la généralisation du droit à la retraite et sa mise en place effective constituent « une œuvre civilisationnelle majeure, avec à la fois une protection de ceux qui ont fait leur part de travail et vieillissent et l’ouverture d’un autre temps de vie, d’un autre horizon, le tout grâce à une forme de collectivisation des richesses imposée au capital ».
En 2021, les Français ont ainsi consacré 345 milliards d’euros pour financer leurs retraites, dont 79 % issus des cotisations sociales. Selon l’OCDE, la France offre une « bonne protection » et un régime avantageux en comparaison de ses voisins. Tout n’est pas parfait et beaucoup reste à améliorer, mais les Français partent en moyenne plus tôt à la retraite, et seuls 7,6 % de ces retraités vivent sous le seuil de pauvreté, soit l’un des taux les plus faibles au monde. Les retraites sont ainsi devenues l’un des piliers de notre modèle social. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Il s’agit même d’une conquête toute fraîche. Se mettre à l’abri du besoin lors de ses vieux jours a été un objectif dès les débuts de la condition humaine, mais la solidarité familiale et la charité ont longtemps semblé un horizon indépassable pour le commun des mortels.
Le tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine.
Des tentatives d’entraides communes et des innovations visant les serviteurs de l’État ont bien émaillé le Moyen Âge, mais de façon non pérenne ou uniquement pour quelques-uns. Quant au tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, il est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine. De là à dire que, prendre sa retraite, c’est voir la mer, il y a encore un large pas à franchir.
« L’ambition est d’attirer du monde, de développer la marine militaire mais aussi marchande. Et donc il s’agit d’une sorte d’avantage proposé. Cela va peu à peu s’étendre aux militaires, avec cette idée : vous allez souffrir, risquer votre vie, peut-être mourir, mais à la fin vos vieux jours seront assurés », note le député centriste Charles de Courson.
La véritable révolution philosophique arrive ainsi à partir de 1789. À travers leurs cahiers de doléances, les citoyens insistent sur le besoin d’accorder assistance et dignité aux plus âgés, notamment à travers des « rentes » versées à domicile. « Les révolutionnaires instaurent les droits-créances, qui préfigurent notre modèle social actuel », souligne l’historienne Sophie Wahnich.
Pour la toute première fois, les pensions de retraite sont défendues comme un droit universel, au nom du droit à une existence digne placé comme premier des droits de l’homme. « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler », indique la Constitution de 1793 dans son préambule. La loi du 22 floréal an II (mai 1794) crée une forme de droit à la retraite quasi universel, finalement jamais mis en place dans le tourbillon de la Révolution et de ses épreuves. Mais les bases sont jetées. Le principe de cotisation par répartition a même été proposé, et la volonté que chaque pensionné touche au minimum l’équivalent d’un Smic actuel clairement signalé. Preuve de la formidable modernité de la Révolution française.
Si l’utopie a été aperçue, elle sera encore longue à devenir réalité. Des régimes monarchiques succèdent à la Révolution. Surtout, l’industrialisation provoque une explosion des morts et des vies brisées au travail, ainsi que l’émergence d’une classe ouvrière sous un nouveau visage, noir de suie.
Les retraites (en dehors de celles d’État pour les fonctionnaires, ou via des mutuelles inégales, comme encouragé par Napoléon III) sont données à certains des métiers les plus pénibles et dangereux (mineurs, métallurgistes, cheminots), branche patronale par branche patronale (les syndicats étant interdits), avec la volonté de fixer la main-d’œuvre. « Votre travail sera pénible, vous serez silicosé, mais vous aurez une retraite », résume Charles de Courson.
Mais le mouvement ouvrier, de plus en plus conscient et déterminé à se défendre, ne se satisfait pas d’un système d’exploitation violent et de pensions qui tiennent du paternalisme. En outre, l’idée que des droits liés au travail – en lieu et place de ceux liés au patrimoine (une dualité toujours présente aujourd’hui) – doivent apporter à l’ensemble des salariés des moyens de subsistance pour toute la vie ne cesse de monter en puissance.
Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».
Arrive alors le XXe siècle. La question des retraites ne cesse de s’intensifier et va animer continuellement la vie parlementaire de la IIIe République, sans que les progrès soient forcément à la hauteur des enjeux ou comme un droit pour tous passé un certain âge ? Faut-il fonctionner par capitalisation ? Les débats prennent leur temps.
Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi, la même année : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».
En 1910 est votée la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. L’âge de départ est fixé à 65 ans, après trente années de cotisations. C’est « la retraite pour les morts », dénonce la CGT, qui rappelle que 94 % des ouvriers meurent alors avant 65 ans et exige un bien meilleur système. Reste que l’histoire est en marche. « Dès demain, tous les vieux relèveront le front, et tous les jeunes, tous les hommes mûrs se diront du moins que la fin de la vie ne sera pas pour eux le fossé où se couche la bête aux abois », lance Jean Jaurès. La suite va lui donner raison, malgré des chemins sinueux et une lutte permanente.
En 1936, le Front populaire n’a pas le temps de mettre en place le système de retraite ambitieux souhaité par Léon Blum, chef du gouvernement. Mais la gauche au pouvoir et la formidable mobilisation populaire, massive, lors des grandes grèves permet de mettre en place les premiers congés payés et la semaine de 40 heures. Une avancée décisive vers la conquête du temps libre. Un camouflet infligé au capital, pour qui chaque jour payé doit être travaillé.
Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ». Ambroise Croizat
Un député communiste se distingue alors : Ambroise Croizat. Très engagé dans le programme du CNR sous l’Occupation, il devient ministre à la Libération. « Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie », lance-t-il le 3 décembre 1945. « Rien ne pourra se faire sans vous. La Sécurité sociale n’est pas une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains… », ajoute-t-il un an plus tard.
La Sécu sera donc une œuvre collective majeure, dont la très belle aventure est racontée dans le film « La Sociale » (2016), de Gilles Perret. « La Sécu n’est pas tombée du ciel. C’est le résultat d’un combat pour la dignité qui vient du fond des siècles et s’enracine alors. En 1945, le rapport de forces est clair : le PCF fait 29 % des voix, il y a 5 millions d’adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par la Résistance et un patronat mouillé dans la collaboration », soulignait Michel Étiévent.
La retraite passe ensuite à 60 ans sous François Mitterrand, en 1982, avec l’idée de libérer du temps au fur et à mesure que la productivité et les richesses augmentent. Mais le « patronat ne désarme jamais », prévenait Ambroise Croizat. Et les gouvernements soumis au capital n’ont eu de cesse d’attaquer pour rogner ce droit malmené, jusqu’à nos jours. C’est face à ce projet que se sont dressés des millions de citoyens depuis le 19 janvier. Ils seront de nouveau dans la rue le 7 mars pour défendre les droits de tous. Le combat en vaut la chandelle. Car, « ce qui a marqué socialement le XIXe siècle, c’est l’accès à l’éducation. Et l’événement social du XXe siècle, c’est la Sécurité sociale », déclarait, à raison, Jack Ralite, ministre communiste de la Santé entre 1981 et 1983.
Depuis la fin des années 1980, les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de détricoter l’héritage du Conseil national de la Résistance. Certains avec succès, en jouant principalement sur l’allongement de la durée de cotisation et de l’âge légal.
La casse progressive du système de retraite ? C’est Denis Kessler qui en parle le mieux : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR », proposait l’ancien numéro deux du Medef dans la revue « Challenges » en 2007. Ils ne s’en cachent pas : tous les acquis sociaux du système de retraite par répartition, les libéraux tentent de les saboter méthodiquement avec, comme inlassable argument, un prétendu « sauvetage ».
Dès 1987, la réforme Séguin choisit d’indexer les pensions uniquement sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen brut. Entraînant, sur vingt-cinq ans, une baisse de 20 % du niveau des pensions, selon la CGT. Le livre blanc de Michel Rocard devient, quatre ans plus tard, la ligne de conduite des réformes successives. Dans ce premier rapport, l’idée d’un allongement de la durée de cotisation s’impose.
C’est dans cette optique qu’Édouard Balladur entérine en 1993 le passage de 37,5 à 40 annuités pour les salariés du secteur privé et change progressivement les calculs des pensions, se fondant sur les 25 meilleures années, au lieu de 10 jusqu’alors. Le plan Juppé, mené en 1995, embrase le pays.
Le premier ministre de Jacques Chirac étend les règles de calcul des pensions de la réforme Balladur aux fonctionnaires et aux salariés des entreprises publiques (RATP, SNCF et EDF). Après trois semaines de blocage de l’économie par les syndicats, le gouvernement recule. Les rapports ministériels qui se succèdent ensuite invitent au renflouement du déficit de la Sécurité sociale par des réformes paramétriques.
Avec sa réforme en 2003, François Fillon épouse ces vieilles recettes libérales. Il parvient cette fois-ci à instaurer les 40 annuités pour les fonctionnaires. Les salariés des entreprises publiques et des professions à statut particulier connaissent le même sort sous Nicolas Sarkozy : en 2010, son ministre du Travail, Éric Woerth, fait reculer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. L’héritage de François Mitterrand est directement attaqué, malgré des manifestations massives pour s’y opposer.
Le PS revient au pouvoir en 2012, mais François Hollande valide les politiques libérales en cours : la réforme Touraine relève en 2014 la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020 pour parvenir à 43 annuités en 2035. C’est ce paramètre que la première ministre, Élisabeth Borne, souhaite aujourd’hui accélérer dans la réforme actuelle, pour atteindre cet objectif dès 2027, en plus de vouloir décaler l’âge de départ à 64 ans. Avant elle, la Macronie avait tenté un pilonnage en règle du système de retraite par répartition, avec un projet de régime universel à points.
Cette réforme, dont le but caché était de faire chuter le niveau des pensions, tombe finalement sous l’effet des mobilisations massives et de la crise du Covid. Mais ne retire en rien la détermination des tenants du libéralisme à continuer le détricotage du système. « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » ajoutait Denis Kessler dans son entretien. Gage d’un absolutisme libéral sans bornes.