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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 07:10
Les grands textes de Karl Marx - 20 - Le Capital, I, section 2, chapitre 7: Production de la plus-value

Les grands textes de Karl Marx - 20

Karl Marx 1818-1883

Le travail: activité essentielle à l'homme, facteur d'humanisation ou d'aliénation

Le Capital, livre 1. Troisième section chapitre 7: Production de la plus-value

" Le produit - propriété du capitaliste -  est une valeur d'usage, telle que des filés, de la toile, des bottes, etc. Mais bien que des bottes, par exemple, fassent en quelque sorte marcher le monde, et que notre capitaliste soit assurément homme de progrès, s'il fait des bottes, ce n'est pas par amour des bottes. En général, dans la production marchande, la valeur d'usage n'est pas chose qu'on aime pour elle même. Elle n'y sert que de porte valeur. Or, pour notre capitaliste, il s'agit d'abord de produire un objet utile qui ait une valeur échangeable, un article destiné à la vente, une marchandise. Et, de plus, il veut que la valeur de cette marchandise surpasse celle des marchandises nécessaires pour la produire, c'est à dire la somme de valeurs des moyens de production et de la force de travail, pour lesquels il a dépensé son cher argent. Il veut produire non seulement une chose utile, mais une valeur, et non seulement une valeur, mais encore une plus-value.

En fait, jusqu'ici nous n'avons considéré la production marchande qu'à un seul point de vue, celui de la valeur d'usage. Mais de même que la marchandise est à la fois valeur d'usage et valeur d'échange, de même sa production doit être à la fois formation de valeurs d'usage et formation de valeur.

Examinons donc maintenant la production au point de vue de la valeur.

On sait que la valeur d'une marchandise est déterminée par le quantum de travail matérialisé en elle, par le temps socialement nécessaire à sa production. Il nous faut donc calculer le travail contenu dans le produit que notre capitaliste a fait fabriquer, soit dix livres de filés.

Pour produire les filés, il avait besoin d'une matière première, mettons dix livres de coton. Inutile de chercher maintenant quelle est la valeur de ce coton, car le capitaliste l'a acheté sur le marché ce qu'il valait, par exemple dix shillings. Dans ce prix le travail exigé par la production du coton est déjà représenté comme travail social moyen. Admettons encore que l'usure des broches - et elles nous représentent tous les autres moyens de travail employés   s'élève à deux shillings. Si une masse d'or de douze shillings est le produit de vingt quatre heures de travail, il s'ensuit qu'il y a deux journées de travail réalisées dans les filés.

(...) Le temps de travail nécessaire pour produire les filés, comprend le temps de travail nécessaire pour produire leur matière première, le coton. Il en est de même du temps nécessaire pour reproduire les broches usées.

En calculant la valeur des filés, c'est à dire le temps nécessaire à leur production, on doit donc considérer les différents travaux,   séparés par le temps et l'espace qu'il faut parcourir, d'abord pour produire coton et broches, ensuite pour faire des filés   comme des phases successives de la même opération. Tout le travail contenu dans les filés est du travail passé, et peu importe que le travail exigé pour produire leurs éléments constitutifs soit écoulé avant le temps dépensé dans l'opération finale, le filage. S'il faut trente journées, par exemple, pour construire une maison, la somme de travail qui y est incorporée ne change pas de grandeur, bien que la trentième journée de travail n'entre dans la production que vingt neuf jours après la première. De même le temps de travail contenu dans la matière première et les instruments du filage doit être compté comme s'il eût été dépensé durant le cours de cette opération même.

(...)

Nous connaissons à présent la valeur que le coton et l'usure des broches donnent aux filés. Elle est égale à douze shillings   l'incorporation de deux journées de travail. Reste donc à chercher combien la valeur que le travail du fileur ajoute au produit.

Ce travail se présente maintenant sous un nouvel aspect. D'abord c'était l'art de filer. Plus valait le travail, plus valaient les filés, toutes les autres circonstances restant les mêmes. Le travail du fileur se distinguait d'autres travaux productifs par son but, ses procédés techniques, les propriétés de son produit et ses moyens de production spécifiques. Avec le coton et les broches qu'emploie le fileur, on ne saurait faire des canons rayés. Par contre, en tant qu'il est source de valeur, le travail du fileur ne diffère en rien de celui du foreur de canons, ou, ce qui vaut mieux, de celui du planteur de coton ou du fabricant de broches, c'est à dire des travaux réalisés dans les moyens de production des filés. Si ces travaux, malgré la différence de leurs formes utiles, n'étaient pas d'une essence identique, ils ne pourraient pas constituer des portions, indistinctes quant à leur qualité, du travail total réalisé dans le produit. Dès lors les valeurs coton et broches ne constitueraient pas non plus des parties intégrantes de la valeur totale des filés. En effet, ce qui importe ici, ce n'est plus la qualité mais la quantité du travail; c'est elle seule qui entre en ligne de compte. Admettons que le filage soit du travail simple, moyen. On verra plus tard que la supposition contraire ne changerait rien à l'affaire.

Pendant le procès de la production, le travail passe sans cesse de la forme dynamique à la forme statique. Une heure de travail par exemple, c'est à dire la dépense en force vitale du fileur durant une heure, se représente dans une quantité déterminée de filés.

Ce qui est ici d'une importance décisive, c'est que pendant la durée de la transformation du coton en filés, il ne se dépense que le temps de travail socialement nécessaire. Si dans les conditions normales, c'est à dire sociales, moyennes de la production, il faut que durant une heure de travail A livres de coton soient converties en B livres de filés, on ne compte comme journée de travail de douze heures que la journée de travail qui convertit 12 x A livres de coton en 12 x B livres de filés. Le temps de travail socialement nécessaire est en effet le seul qui compte dans la formation de la valeur.

On remarquera que non seulement le travail, mais aussi les moyens de production et le produit ont maintenant changé de rôle. La matière première ne fait que s'imbiber d'une certaine quantité de travail. Il est vrai que cette absorption la convertit en filés, attendu que la force vitale de l'ouvrier a été dépensée sous forme de filage, mais le produit en filés ne sert que de gradimètre indiquant la quantité de travail imbibée par le coton,   par exemple dix livres de filés indiqueront six heures de travail, s'il faut une heure pour filer une livre deux tiers de coton. Certaines quantités de produit déterminées d'après les données de l'expérience ne représentent que des masses de travail solidifié   la matérialité d'une heure, de deux heures, d'un jour de travail social.

Que le travail soit précisément filage, sa matière coton et son produit filé, cela est tout à fait indifférent, comme il est indifférent que l'objet même du travail soit déjà matière première, c'est à-dire un produit. Si l'ouvrier, au lieu d'être occupé dans une filature, était employé dans une houillère, la nature lui fournirait son objet de travail. Néanmoins un quantum déterminé de houille extrait de sa couche, un quintal par exemple, représenterait un quantum déterminé de travail absorbé.

Lors de la vente de la force de travail, il a été sous entendu que sa valeur journalière = 3 shillings,   somme d'or dans laquelle six heures de travail sont incorporées   et que, par conséquent, il faut travailler six heures pour produire la somme moyenne de subsistances nécessaires à l'entretien quotidien du travailleur. Comme notre fileur convertit pendant une heure une livre deux tiers de coton en une livre deux tiers de filés, il convertira en six heures dix livres de coton en dix livres de filés. Pendant la durée du filage le coton absorbe donc six heures de travail. Le même temps de travail est fixé dans une somme d'or de trois shillings. Le fileur a donc ajouté au coton une valeur de trois shillings.

Faisons maintenant le compte de la valeur totale du produit. Les dix livres de filés contiennent deux journées et demie de travail; coton et broche contiennent deux journées; une demi-journée a été absorbée durant le filage. La même somme de travail est fixée dans une masse d'or de quinze shillings. Le prix de quinze shillings exprime donc la valeur exacte de dix livres de filés; le prix de un shilling six pence celle d'une livre.

Notre capitaliste reste ébahi. La valeur du produit égale la valeur du capital avancé. La valeur avancée n'a pas fait de petits; elle n'a point enfanté de plus value et l'argent, par conséquent, ne s'est pas métamorphosé en capital. Le prix de dix livres de filés est de quinze shillings et quinze shillings ont été dépensés sur le marché pour les éléments constitutifs du produit, ou, ce qui revient au même, pour les facteurs du procès de travail, dix shillings pour le coton, deux shillings pour l'usure des broches, et trois shillings pour la force de travail. Il ne sert de rien que la valeur des filés soit enflée, car elle n'est que la somme des valeurs distribuées auparavant sur ces facteurs, et en les additionnant on ne les multiplie pas. Toutes ces valeurs sont maintenant concentrées sur un objet, mais elles l'étaient aussi dans la somme de quinze shillings avant que le capitaliste les sortit de son gousset pour les subdiviser en trois achats.

Il n'y a rien d'étrange dans ce résultat. La valeur d'une livre de filés revient à un shilling six pence et au marché notre capitaliste aurait à payer quinze shillings pour dix livres de filés. Qu'il achète sa demeure toute faite, ou qu'il la fasse bâtir à ses propres frais, aucune de ces opérations n'augmentera l'argent employé à l'acquisition de sa maison.

Le capitaliste, qui est à cheval sur son économie politique vulgaire, s'écriera peut-être qu'il n'a avancé son argent qu'avec l'intention de le multiplier. Mais le chemin de l'enfer est payé de bonnes intentions, et personne ne peut l'empêcher d'avoir l'intention de faire de l'argent sans produire. Il jure qu'on ne l'y rattrapera plus; à l'avenir il achètera, sur le marché, des marchandises toutes faites au lieu de les fabriquer lui même. Mais si tous ses compères capitalistes font de même, comment trouver des marchandises sur le marché ? Pourtant il ne peut manger son argent. Il se met donc à nous catéchiser : on devrait prendre en considération son abstinence, il pouvait faire ripaille avec ses quinze shillings; au lieu de cela il les a consommés productivement et en a fait des filés. C'est vrai, mais aussi a t il des filés et non des remords. Qu'il prenne garde de partager le sort du thésauriseur qui nous a montré où conduit l'ascétisme.

D'ailleurs là où il n'y a rien, le roi perd ses droits. Quel que soit le mérite de son abstinence, il ne trouve pas de fonds pour la payer puisque la valeur de la marchandise qui sort de la production est tout juste égale à la somme des valeurs qui y sont entrées. Que son baume soit cette pensée consolante : la vertu ne se paie que par la vertu. Mais non ! Il devient importun. Il n'a que faire de ses filés; il les a produits pour la vente. Eh bien, qu'il les vende donc ! Ou ce qui serait plus simple, qu'il ne produise à l'avenir que des objets nécessaires à sa propre consommation : Mac Culloch, son Esculape ordinaire, lui a déjà donné cette panacée contre les excès épidémiques de production. Le voilà qui regimbe. L'ouvrier aurait il la prétention de bâtir en l'air avec ses dix doigts, de produire des marchandises avec rien ? Ne lui a t il pas fourni la matière dans laquelle et avec laquelle seule il peut donner un corps à son travail ? Et, comme la plus grande partie de la société civile se compose de pareils va nu-pieds, n'a t il pas avec ses moyens de production, son coton et ses broches, rendu un service immense à la susdite société, et plus particulièrement à l'ouvrier auquel il a avancé par dessus le marché la subsistance ? Et il ne prendrait rien pour ce service ! Mais est ce que l'ouvrier ne lui a pas en échange rendu le service de convertir en filés son coton et ses broches ? Du reste, il ne s'agit pas ici de services. Le service n'est que l'effet utile d'une valeur d'usage, que celle ci soit marchandise ou travail. Ce dont il s'agit c'est de la valeur d'échange.

Il a payé à l'ouvrier une valeur de trois shillings. Celui ci lui en rend l'équivalent exact en ajoutant la valeur de trois shillings au coton, valeur contre valeur. Notre ami tout à l'heure si gonflé d'outrecuidance capitaliste, prend tout à coup l'attitude modeste d'un simple ouvrier. N'a t il pas travaillé lui aussi ? Son travail de surveillance et d'inspection, ne forme t il pas aussi de la valeur ? Le directeur de sa manufacture et son contremaître en haussent les épaules. Sur ces entrefaites le capitaliste a repris, avec un sourire malin, sa mine habituelle. Il se gaussait de nous avec ses litanies. De tout cela il ne donnerait pas deux sous. Il laisse ces subterfuges, ces finasseries creuses aux professeurs d'économie politique, ils sont payés pour cela, c'est leur métier. Quant à lui, il est homme pratique et s'il ne réfléchit pas toujours à ce qu'il dit en dehors des affaires, il sait toujours en affaires ce qu'il fait.

Regardons y de plus près. La valeur journalière de la force de travail revient à trois shillings parce qu'il faut une demi journée de travail pour produire quotidiennement cette force, c'est à dire que les subsistances nécessaires pour l'entretien journalier de l'ouvrier coûtent une demi journée de travail. Mais le travail passé que la force de travail recèle et le travail actuel qu'elle peut exécuter, ses frais d'entretien journaliers et la dépense qui s'en fait par jour, ce sont là deux choses tout à fait différentes. Les frais de la force en déterminent la valeur d'échange, la dépense de la force en constitue la valeur d'usage. Si une demi journée de travail suffit pour faire vivre l'ouvrier pendant vingt quatre heures, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse travailler une journée tout entière. La valeur que la force de travail possède et la valeur qu'elle peut créer, diffèrent donc de grandeur. C'est cette différence de valeur que le capitaliste avait en vue, lorsqu'il acheta la force de travail. L'aptitude de celle-ci, à faire des filés ou des bottes, n'était qu'une conditio sine qua non, car le travail doit être dépensé sous une forme utile pour produire de la valeur. Mais ce qui décida l'affaire, c'était l'utilité spécifique de cette marchandise, d'être source de valeur et de plus de valeur qu'elle n'en possède elle-même. C'est là le service spécial que le capitaliste lui demande. Il se conforme en ce cas aux lois éternelles de l'échange des marchandises. En effet le vendeur de la force de travail, comme le vendeur de toute autre marchandise, en réalise la valeur échangeable et en aliène la valeur usuelle.

Il ne saurait obtenir l'une sans donner l'autre. La valeur d'usage de la force de travail, c'est à dire le travail, n'appartient pas plus au vendeur que n'appartient à l'épicier la valeur d'usage de l'huile vendue. L'homme aux écus a payé la valeur journalière de la force de travail; usage pendant le jour, le travail d'une journée entière lui appartient donc. Que l'entretien journalier de cette force ne coûte qu'une demi journée de travail, bien qu'elle puisse opérer ou travailler pendant la journée entière, c'est à dire que la valeur créée par son usage pendant un jour soit le double de sa propre valeur journalière, c'est là une chance particulièrement heureuse pour l'acheteur, mais qui ne lèse en rien le droit du vendeur.

Notre capitaliste a prévu le cas, et c'est ce qui le fait rire. L'ouvrier trouve donc dans l'atelier les moyens de production nécessaires pour une journée de travail non pas de six mais de douze heures. Puisque dix livres de coton avaient absorbé six heures de travail et se transformaient en dix livres de filés, vingt livres de coton absorberont douze heures de travail et se transformeront en vingt livres de filés. Examinons maintenant le produit du travail prolongé. Les vingt livres de filés contiennent cinq journées de travail dont quatre étaient réalisées dans le coton et les broches consommés, une absorbée par le coton pendant l'opération du filage. Or l'expression monétaire de cinq journées de travail est trente shillings. Tel est donc le prix des vingt livres de filés. La livre de filés coûte après comme avant un shilling six pence. Mais la somme de valeur des marchandises employées dans l'opération ne dépassait pas vingt sept shillings et la valeur des filés atteint trente shillings. La valeur du produit s'est accrue de un neuvième sur la valeur avancée pour sa production. Les vingt sept shillings avancés se sont donc transformés en trente shillings. Ils ont enfanté une plus value de trois shillings. Le tour est fait. L'argent s'est métamorphosé en capital.

Le problème est résolu dans tous ses termes. La loi des échanges a été rigoureusement observée, équivalent contre équivalent. Sur le marché, le capitaliste achète à sa juste valeur chaque marchandise   coton, broches, force de travail. Puis il fait ce que fait tout autre acheteur, il consomme leur valeur d'usage. La consommation de la force de travail, étant en même temps production de marchandises rend un produit de vingt livres de filés, valant trente shillings. Alors le capitaliste qui avait quitté le marché comme acheteur y revient comme vendeur. Il vend les filés à un shilling six pence la livre, pas un liard au dessus ou au-dessous de leur valeur et cependant il retire de la circulation trois shillings de plus qu'il n'y avait mis. Cette transformation de son argent en capital se passe dans la sphère de la circulation, et ne s'y passe pas. La circulation sert d'intermédiaire. C'est là sur le marché, que se vend la force de travail, pour être exploitée dans la sphère de la production, où elle devient source de plus-value, et tout est ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Le capitaliste, en transformant l'argent en marchandises qui servent d'éléments matériels d'un nouveau produit, en leur incorporant ensuite la force de travail vivant, transforme la valeur   du travail passé, mort, devenu chose   en capital, en valeur grosse de valeur, monstre animé qui se met à travailler comme s'il avait le diable au corps.

La production de plus-value n'est donc autre chose que la production de valeur, prolongée au delà d'un certain point. Si le procès de travail ne dure que jusqu'au point où la valeur de la force de travail payée par le capital est remplacée par un équivalent nouveau, il y a simple production de valeur; quand il dépasse cette limite, il y a production de plus-value.

Comparons maintenant la production de valeur avec la production de valeur d'usage. Celle-ci consiste dans le mouvement du travail utile. Le procès de travail se présente ici au point de vue de la qualité. C'est une activité qui, ayant pour but de satisfaire des besoins déterminés, fonctionne avec des moyens de production conformes à ce but, emploie des procédés spéciaux, et finalement aboutit à un produit usuel. Par contre, comme production de valeur, le même procès ne se présente qu'au point de vue de la quantité. Il ne s'agit plus ici que du temps dont le travail a besoin pour son opération, ou de la période pendant laquelle le travailleur dépense sa force vitale en efforts utiles. Les moyens de production fonctionnent maintenant comme simples moyens d'absorption de travail et ne représentent eux-mêmes que la quantité de travail réalisé en eux. Que le travail soit contenu dans les moyens de production ou qu'il soit ajouté par la force de travail, on ne le compte désormais que d'après sa durée; il est de tant d'heures, de tant de jours, et ainsi de suite. Et de plus il ne compte qu'autant que le temps employé à la production de la valeur d'usage est le temps socialement nécessaire. Cette condition présente plusieurs aspects différents. La force de travail doit fonctionner dans des conditions normales. Si dans le milieu social donné, la machine à filer est l'instrument normal de la filature, il ne faut pas mettre un rouet entre les mains du fileur. De plus le coton doit être de bonne qualité et non de la pacotille se brisant à chaque instant, Sans cela le travailleur emploierait dans les deux cas plus que le temps nécessaire à la production d'une livre de filés, et cet excès de temps ne créerait ni valeur ni argent. Mais le caractère normal des facteurs matériels du travail dépend du capitaliste et non pas de l'ouvrier. D'autre part, le caractère normal de la force de travail elle-même est indispensable. Elle doit posséder dans la spécialité à laquelle on l'emploie le degré moyen d'habileté, d'adresse et de célérité; aussi notre capitaliste a pris bien garde de l'acheter telle sur le marché. Cette force doit de plus fonctionner avec le degré d'intensité habituel. Aussi le capitaliste veille t il anxieusement à ce que l'ouvrier ne ralentisse pas ses efforts et ne perde pas son temps. Il a acheté cette force pour un temps déterminé; il tient à avoir son compte. Il ne veut pas être volé. Enfin la consommation des moyens de production doit se faire d'une manière normale, parce que le gaspillage des instruments et des matières premières représente une dépense inutile en travail déjà réalisé, lequel, par conséquent, n'est pas compté dans le produit et ne lui ajoute pas de valeurs.

On le voit, la différence entre le travail utile et le travail source de valeur que nous constations au commencement de nos recherches par l'analyse de la marchandise, vient de se manifester comme différence entre les deux faces de la production marchande. Dès qu'elle se présente non plus simplement comme unité du travail utile et du travail créateur de valeur, mais encore comme unité du travail utile et du travail créateur de plus-value, la production marchande devient production capitaliste, c'est à dire production marchande sous la forme capitaliste.

En examinant la production de la plus-value, nous avons supposé que le travail, approprié par le capital, est du travail simple moyen. La supposition contraire n'y changerait rien. Admettons, par exemple, que, comparé au travail du fileur, celui du bijoutier est du travail à une puissance supérieure, que l'un est du travail simple et l'autre du travail complexe où se manifeste une force plus difficile à former et qui rend dans le même temps plus de valeur. Mais quel que soit le degré de différence entre ces deux travaux, la portion de travail où le bijoutier produit de la plus-value pour son maître ne diffère en rien qualitativement de la portion de travail où il ne fait que remplacer la valeur de son propre salaire. Après comme avant, la plus-value ne provient que de la durée prolongée du travail, qu'il soit celui du fileur ou celui du bijoutier.

D'un autre côté, quand il s'agit de production de valeur, le travail supérieur doit toujours être réduit à la moyenne du travail social, une journée de travail complexe, par exemple, à deux journées de travail simple. Si des économistes comme il faut se sont récriés contre cette « assertion arbitraire », n'est ce pas le cas de dire, selon le proverbe allemand, que les arbres les empêchent de voir la forêt ! Ce qu'ils accusent d'être un artifice d'analyse, est tout bonnement un procédé qui se pratique tous les jours dans tous les coins du monde. Partout les valeurs des marchandises les plus diverses sont indistinctement exprimées en monnaie, c'est à dire dans une certaine masse d'or ou d'argent. Par cela même, les différents genres de travail, représentés par ces valeurs, ont été réduits, dans des proportions différentes, à des sommes déterminées d'une seule et même espèce de travail ordinaire, le travail qui produit l'or ou l'argent."

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-7.htm

Lire aussi:

Les grands textes de Karl Marx - 1 : la critique des libertés formelles de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont le pivot est le droit de propriété - une critique des déterminants bourgeois de la Révolution Française

Les grands textes de Karl Marx - 2 - La religion comme opium du peuple

Les grands textes de Karl Marx - 3: l'aliénation produite par la propriété privée et le capitalisme dans les Manuscrits de 1844

Les grands textes de Marx - 4: Les pouvoirs de l'argent (Ebauche d'une critique de l'économie politique, 1844)

Les grands textes de Karl Marx - 5: le matérialisme historique théorisé dans l'Idéologie allemande (1845)

Les grands textes de Karl Marx - 6 - L'idéologie, antagonismes de classes sociales et idées dominantes

Les grands textes de Karl Marx - 7 - Le Manifeste du Parti communiste - Les conditions du communisme se développent dans le développement du capitalisme et de la domination de la bourgeoisie

Les grands textes de Karl Marx - 8 - Qu'est-ce qu'être communiste? - Manifeste du Parti communiste (1848)

Les grands textes de Karl Marx - 9 - Sur le socialisme et le communisme utopique, Manifeste du Parti communiste

Les grands textes de Karl Marx - 10 - La lutte des classes en France - Les raisons de l'échec de la révolution de Février 1848

Les grands textes de Karl Marx - 11 - Les luttes de classe en France - les leçons de la répression du soulèvement ouvrier de juin 1848

Les grands textes de Karl Marx - 12 - l'élection de Louis Napoléon Bonaparte - Les luttes de classe en France

Les grands textes de Karl Marx - 13 - la journée révolutionnaire du 23 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 14 - la journée révolutionnaire du 24 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 15 - la journée révolutionnaire du 25 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 16 - La Guerre Civile en France: le petit monde interlope et opportuniste des Versaillais, la carrière d'Adolphe Thiers avant mai 1871

Marx et Engels: les vies extravagantes et chagrines des deux théoriciens du communisme!

Les grands textes de Karl Marx - 20 - Le Capital, I, section 2, chapitre 7: Production de la plus-value
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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 06:04

 

Avec pas moins de 2 500 interviews, les matinales TV et radio ont accueilli en moyenne neuf invités chaque jour. Où ce sont souvent les mêmes qui trustent les places.

La proportionnalité politique n’est pas la même que la proportionnalité médiatique. La compilation, effectuée par le Figaro, à partir des données du site Internet Politiquemedia, des principales interviews politiques matinales dans l’audiovisuel (1) témoigne d’une écrasante surreprésentation du tandem gouvernement/majorité parlementaire.

Avec la crise des gilets jaunes, ministres et secrétaires d’État, envoyés sur les plateaux ou les studios pour diffuser les éléments de langage ou effectuer la « pédagogie des réformes », se taillent la part du lion des 2 500 passages analysés avec 745 passages en tout (+ 153 par rapport à l’année dernière). Tous médias audiovisuels confondus, le gouvernement est le plus représenté le matin sur les antennes, à raison de… deux interviews par jour en moyenne. Premier de cette classe, le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer (47 passages). Mais moins que Yannick Jadot qui, sur la même période, s’est vu invité 54 fois, à la faveur de la campagne des européennes. Troisième sur le podium, Benjamin Griveaux, comme porte-parole du gouvernement puis candidat à la Mairie de Paris. En quatrième position, figure François de Rugy, qui a écumé plateaux et studios pour se défendre, avant et après sa démission forcée du gouvernement.

Le décalage est flagrant selon l’appartenance politique

Le palmarès reflète en creux le besoin des grands médias de « bons clients » ; ainsi, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan est… la cinquième personnalité la plus invitée durant la période étudiée (1) avec 38 passages en un peu moins d’un an, tout en ayant réalisé 3,5 % aux dernières élections européennes. Pourtant, hormis Olivier Faure (PS, 30 passages) et Stanislas Guerini (LaREM, 22), les chefs de parti n’apparaissent guère. C’est parfois une stratégie de garder la parole rare, donc solennelle. Si Jean-Luc Mélenchon, avec 2 passages, a quasiment déserté les émissions matinales, c’est le député Adrien Quatennens (31) qui est désormais la première figure médiatique des Insoumis. Année électorale, 2019 a vu l’émergence de têtes de liste nouvelles, comme Raphaël Glucksmann (13 passages), François-Xavier Bellamy (LR, 20) ou Manon Aubry (FI, 30). Les invitations, une fois l’élection passée, se sont taries…

C’est si l’on prend ces chiffres par ventilation partisane que le décalage est flagrant. Sur 2 500 passages médias, gouvernement et majorité s’en arrogent 1 062. Juste derrière, « Les Républicains » cumulent 504 passages. Puis viennent le PS, avec 197 passages, le Rassemblement national de Marine Le Pen (180 passages), la France insoumise (165 passages), EELV avec 93 invitations, et enfin le PCF, avec 56 occurrences, en dépit de posséder deux groupes parlementaires et 7 500 élus. Lesquelles invitations doivent beaucoup, si l’on regarde plus en détail, au fait qu’une campagne électorale s’est tenue. Ainsi sa tête de liste aux européennes, Ian Brossat, cumule 41 % des invitations faites au PCF.

(1) Liste établie entre le 21 août 2018 et le 13 juillet 2019. Émissions étudiées : RTL Matin (7 h 45), l’Interview politique sur Europe 1 (8 h 15), l’Invité politique sur France Inter (8 h 20), l’Interview de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews (8 h 5), l’Invité de Jean-Jacques Bourdin sur RMC (8 h 35), l’Invité de 8 h 30 Aphatie sur France Info (8 h 30), les 4 Vérités sur France 2 (7 h 35), l’Invité politique de Guillaume Durand sur Radio classique et Paris première (8 h 15), l’Invité du matin de RFI (7 h 50), l’Invité de Territoires d’infos sur Public Sénat et Sud Radio (8 heures).

Lionel Venturini

 

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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 06:03

 

Le gouvernement a prévenu qu’il choisirait les mesures à appliquer dans le cadre du projet promis par le chef de l’État. Des propositions retiennent déjà l’attention des élus.

«Hors-sol ou plein champ ? » questionnait la Gazette des communes au sujet de l’« agenda rural », dont un premier rapport a été remis à la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, le 26 juillet. La question du journal destiné aux élus municipaux, qui se veut d’ordinaire pragmatique, n’est pas anodine. Les habitants des campagnes françaises sont échaudés par les annonces successives censées redynamiser les territoires où ils vivent, tandis que se poursuivent sous leurs yeux les fermetures des services publics et des commerces. Face à cela, lors du grand débat qu’il a lancé, Emmanuel Macron avait repris l’idée d’élaborer un « agenda rural », dont les conclusions pourraient être rendues à l’occasion du congrès de l’Association des maires ruraux, à la mi-septembre. Le député Daniel Labaronne (LaREM), le sénateur Patrice Joly (PS) et les maires Dominique Dhumeaux (se présentant comme sans étiquette), Cécile Gallien (LaREM) et Pierre Jarlier (Parti radical) ont élaboré les 200 propositions. Et ils semblent plutôt confiants.

Un passe numérique déjà existant ou le permis à 1 euro par jour

Rien d’étonnant, au regard de leur pedigree politique. Cécile Gallien, édile de Vorey (Haute-Loire) et l’une des rares macronistes à siéger dans l’Association des maires de France, où, en tant que vice-présidente, elle s’applique à défendre la politique gouvernementale, a été plusieurs fois prise à partie par les gilets jaunes. Ce sont ces mêmes mobilisations qui ont conduit le gouvernement à accélérer sa politique à l’égard des milieux ruraux.

C’est donc un rapport aux multiples facettes, dont certaines retiennent l’attention de nombreux maires. On y trouve notamment la création d’un pack jeunesse délivré aux jeunes de 16 ans et comprenant un passe culture, un passe numérique (déjà existant) ou encore le permis à 1 euro par jour.

Aucun dispositif pour conserver les services publics existants

Le rapport propose aussi d’ouvrir l’expérimentation de la 5G aux territoires ruraux et celle du « territoire zéro chômeur de longue durée ». Il s’agirait « d’élargir le dispositif des emplois francs aux zones rurales les plus fragiles » en faisant bénéficier une entreprise ou une association « d’une prime pour l’embauche en CDD de plus six mois ou en CDI d’un demandeur d’emploi résidant dans ces zones fragiles ». Des aides financières aux employeurs dont on sait que les expériences passées n’ont pas donné les résultats prétendus sur l’emploi. D’autres mesures visent à lutter contre l’isolement, avec notamment 1 000 cafés en zone rurale ou avec la garantie de l’accès à un socle de service universel à moins de 30 minutes de trajet. L’obligation pour les internes en médecine de réaliser des stages en milieu rural représenterait l’équivalent de 3 000 médecins immédiatement disponibles, croient savoir certains observateurs. En revanche, aucun dispositif n’est mentionné pour conserver les établissements ou les services publics existants.

La perspective de planification, via la mise en œuvre d’un agenda rural, est saluée par les maires ruraux. L’AMRF parle d’« un marqueur d’une nouvelle écoute du monde rural, sans doute motivée par la nécessité impérieuse d’apporter des réponses aux habitants ayant exprimé leur ras-le-bol et leur sentiment d’être abandonnés par les acteurs publics, à l’exception de la mairie », tout en demandant à l’exécutif et au Parlement de « prévoir les moyens financiers adaptés à la mise en œuvre effective des propositions les plus urgentes ». Lors de la présentation des pistes de l’agenda par Jacqueline Gourault dans l’Allier, le président de l’Association des maires ruraux du département, Dominique Bidet (PCF), a rappelé qu’un suivi de cet agenda serait nécessaire. Reste à voir si le gouvernement joue aussi sa partition dans les négociations sur la politique agricole commune, dont le budget est prévu à la baisse par la Commission européenne. Il concerne les premiers acteurs de la ruralité, les agriculteurs.

Olivier Morin

 

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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 06:01
QU'EST CE QUE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ("Progressistes - revue PCF)

À propos de « Progressistes »

 

La revue Progressistes est un trimestriel articulant les enjeux du monde du travail, de l’environnement, et les avancées scientifiques et techniques.

Chaque numéro est organisé autour d’un dossier spécifique et des rubriques régulières en lien, plus ou moins distendu, avec l’actualité immédiate.

Nombre de ses articles font appel à des spécialistes dont les préoccupations vont bien au delà des seuls aspects purs de la science, de la technologie ou de la technique qu’on peut habituellement retrouver ailleurs.

Au cours de ce mois d’août notre Blog vous propose quelques articles de « Progressistes » parus entre novembre 2018 et août 2019.

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QU'EST CE QUE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ("Progressistes - revue PCF)
QU'EST CE QUE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ("Progressistes - revue PCF)
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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 05:56
QU'EST CE QU'UNE POLITIQUE INTERNATIONALE DE LA PAIX (Cause commune - Juillet Août 2019 - revue d'action politique du PCF)
QU'EST CE QU'UNE POLITIQUE INTERNATIONALE DE LA PAIX (Cause commune - Juillet Août 2019 - revue d'action politique du PCF)
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15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 07:18
Les grands textes de Karl Marx - 19 - Le Capital, livre I. chapitre 7, Le travail: activité essentielle à l'homme, facteur d'humanisation ou d'aliénation dans le mode de production capitaliste

Les grands textes de Karl Marx - 19

Karl Marx 1818-1883

Le travail: activité essentielle à l'homme, facteur d'humanisation ou d'aliénation

Le Capital, livre 1. Troisième section chapitre 7: Production de valeurs d'usage

" Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce mouvement, sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ, c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c’est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même coup son propre but, dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que par son objet et son mode d'exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles; en un mot, qu'il est moins attrayant.

Voici les éléments simples dans lesquels le procès de travail se décompose : 1° activité personnelle de l'homme, ou travail proprement dit; 2° objet sur lequel le travail agit; 3° moyen par lequel il agit.

La terre (et sous ce terme, au point de vue économique, on comprend aussi l'eau), de même qu'elle fournit à l'homme, dès le début, des vivres tout préparés, est aussi l'objet universel de travail qui se trouve là sans son fait. Toutes les choses que le travail ne fait que détacher de leur connexion immédiate avec la terre sont des objets de travail de par la grâce de la nature. Il en est ainsi du poisson que la pêche arrache à son élément de vie, l'eau; du bois abattu dans la forêt primitive; du minerai extrait de sa veine. L'objet déjà filtré par un travail antérieur, par exemple, le minerai lavé, s'appelle matière première. Toute matière première est objet de travail, mais tout objet de travail n'est point matière première; il ne le devient qu'après avoir subi déjà une modification quelconque effectuée par le travail.

Le moyen de travail est une chose ou un ensemble de choses que l'homme interpose entre lui et l'objet de son travail comme constructeurs de son action. Il se sert des propriétés mécaniques, physiques, chimiques de certaines choses pour les faire agir comme forces sur d’autres choses, conformément à son but. Si nous laissons de côté la prise de possession de subsistances toutes trouvées   la cueillette des fruits par exemple, où ce sont les organes de l'homme qui lui servent d'instrument,   nous voyons que le travailleur s'empare immédiatement, non pas de l'objet, mais du moyen de son travail. Il convertit ainsi des choses extérieures en organes de sa propre activité, organes qu'il ajoute aux siens de manière à allonger, en dépit de la Bible, sa stature naturelle. Comme la terre est son magasin de vivres primitif, elle est aussi l'arsenal primitif de ses moyens de travail. Elle lui fournit, par exemple, la pierre dont il se sert pour frotter, trancher, presser, lancer, etc. La terre elle-même devient moyen de travail, mais ne commence pas à fonctionner comme tel dans l'agriculture, sans que toute une série d'autres moyens de travail soit préalablement donnée. Dès qu'il est tant soit peu développé, le travail ne saurait se passer de moyens déjà travaillés. Dans les plus anciennes cavernes on trouve des instruments et des armes de pierre. A côté des coquillages, des pierres, des bois et des os façonnés, on voit figurer au premier rang parmi les moyens de travail primitifs l'animal dompté et apprivoisé, c'est à dire déjà modifié par le travail.

L'emploi et la création de moyens de travail, quoiqu'ils se trouvent en germe chez quelques espèces animales, caractérisent éminemment le travail humain.

Aussi Franklin donne t il cette définition de l'homme : l’homme est un animal fabricateur d'outils « a toolmaking animal ».

Les débris des anciens moyens de travail ont pour l’étude des formes économiques des sociétés disparues la même importance que la structure des os fossiles pour la connaissance de l'organisation des races éteintes. Ce qui distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce que l'on fabrique, que la manière de fabriquer, les moyens de travail par lesquels on fabrique. Les moyens de travail sont les gradimètres du développement du travailleur, et les exposants des rapports sociaux dans lesquels il travaille. Cependant les moyens mécaniques, dont l'ensemble peut être nommé le système osseux et musculaire de la production, offrent des caractères bien plus distinctifs d’une époque économique que les moyens qui ne servent qu'à recevoir et à conserver les objets ou produits du travail, et dont l’ensemble forme comme le système vasculaire de la production, tels que, par exemple, vases, corbeilles, pots et cruches, etc. Ce n’est que dans la fabrication chimique qu'ils commencent à jouer un rôle plus important.

Outre les choses qui servent d'intermédiaires, de conducteurs de l'action de l'homme sur son objet, les moyens du travail comprennent, dans un sens plus large, toutes les conditions matérielles qui, sans rentrer directement dans ses opérations, sont cependant indispensables ou dont l'absence le rendrait défectueux. L'instrument général de ce genre est encore la terre, car elle fournit au travailleur le locus standi, sa base fondamentale, et à son activité le champ où elle peut se déployer, son field of employment. Des moyens de travail de cette catégorie, mais déjà dus à un travail antérieur, sont les ateliers, les chantiers, les canaux, les routes, etc.

Dans le procès de travail, l'activité de l'homme effectue donc à l'aide des moyens de travail une modification voulue de son objet. Le procès s'éteint dans le produit, c'est à dire dans une valeur d'usage, une matière naturelle assimilée aux besoins humains par un changement de forme. Le travail, en se combinant avec son objet, s'est matérialisé et la matière est travaillée. Ce qui était du mouvement chez le travailleur apparaît maintenant dans le produit comme une propriété en repos. L'ouvrier a tissé et le produit est un tissu.

Si l'on considère l'ensemble de ce mouvement au point de vue de son résultat, du produit, alors tous les deux, moyen et objet de travail, se présentent comme moyens de production, et le travail lui-même comme travail productif.

Si une valeur d'usage est le produit d'un procès de travail, il y entre comme moyens de production d'autres valeurs d'usage, produits elles mêmes d'un travail antérieur. La même valeur d'usage, produit d'un travail, devient le moyen de production d'un autre. Les produits ne sont donc pas seulement des résultats, mais encore des conditions du procès de travail.

L'objet du travail est fourni par la nature seule dans l'industrie extractive,   exploitation des mines, chasse, pêche, etc.,   et même dans l'agriculture en tant qu'elle se borne à défricher des terres encore vierges. Toutes les autres branches d'industrie manipulent des matières premières, c'est à dire des objets déjà filtrés par le travail, comme, par exemple, les semences en agriculture. Les animaux et les plantes que d'habitude on considère comme des produits naturels sont, dans leurs formes actuelles, les produits non seulement du travail de l'année dernière, mais encore, d'une transformation continuée pendant des siècles sous la surveillance et par l'entremise du travail humain. Quant aux instruments proprement dits, la plupart d'entre eux montrent au regard le plus superficiel les traces d'un travail passé.

La matière première peut former la substance principale d'un produit ou n'y entrer que sous la forme de matière auxiliaire. Celle-ci est alors consommée par le moyen de travail, comme la houille, par la machine à vapeur, l'huile par la roue, le foin par le cheval de trait; ou bien elle est jointe à la matière première pour y opérer une modification, comme le chlore à la toile écrue, le charbon au fer, la couleur à la laine, ou bien encore elle aide le travail lui-même à s'accomplir, comme, par exemple, les matières usées dans l'éclairage et le chauffage de l'atelier. La différence entre matières principales et matières auxiliaires se confond dans la fabrication chimique proprement dite, où aucune des matières employées ne reparaît comme substance du produit.

Comme toute chose possède des propriétés diverses et prête, par cela même, à plus d'une application, le même produit est susceptible de former la matière première de différentes opérations. Les grains servent ainsi de matière première au meunier, à l'amidonnier, au distillateur, à l'éleveur de bétail, etc.; ils deviennent, comme semence, matière première de leur propre production. De même le charbon sort comme produit de l'industrie minière et y entre comme moyen de production. (...)

Le procès de travail tel que nous venons de l'analyser dans ces moments simples et abstraits,  l'activité qui a pour but la production de valeurs d'usage, l'appropriation des objets extérieurs aux besoins   est la condition générale des échanges matériels entre l'homme et la nature, une nécessité physique de la vie humaine, indépendante par cela même de toutes ses formes sociales, ou plutôt également commune à toutes. Nous n'avions donc pas besoin de considérer les rapports de travailleur à travailleur. L'homme et son travail d'un côté, la nature et ses matières de l'autre, nous suffisaient. Pas plus que l'on ne devine au goût du froment qui l'a cultivé, on ne saurait, d'après les données du travail utile, conjecturer les conditions sociales dans lesquelles il s'accomplit. A t il été exécuté sous le fouet brutal du surveillant d'esclaves ou sous l’œil inquiet du capitaliste ? Avons nous affaire à Cincinnatus labourant son lopin de terre ou au sauvage abattant du gibier d'un coup de pierre ? Rien ne nous l'indique.

Revenons à notre capitaliste en herbe. Nous l'avons perdu de vue au moment où il vient d'acheter sur le marché tous les facteurs nécessaires à l'accomplissement du travail, les facteurs objectifs  moyens de production  et le facteur subjectif - force de travail. Il les a choisis en connaisseur et en homme avisé, tels qu'il les faut pour son genre d'opération particulier, filage, cordonnerie, etc. Il se met donc à consommer la marchandise qu'il a achetée, la force de travail, ce qui revient à dire qu'il fait consommer les moyens de production par le travail. La nature générale du travail n'est évidemment point du tout modifiée, parce que l'ouvrier accomplit son travail non pour lui-même, mais pour le capitaliste. De même l'intervention de celui-ci ne saurait non plus changer soudainement les procédés particuliers par lesquels on fait des bottes ou des filés. L'acheteur de la force de travail doit la prendre telle qu'il la trouve sur le marché, et par conséquent aussi le travail tel qu'il s'est développé dans une période où il n'y avait pas encore de capitalistes. Si le mode de production vient lui-même à se transformer profondément en raison de la subordination du travail au capital, cela n'arrive que plus tard, et alors seulement nous en tiendrons compte.

Le procès de travail, en tant que consommation de la force de travail par le capitaliste, ne montre que deux phénomènes particuliers.

L'ouvrier travaille sous le contrôle du capitaliste auquel son travail appartient. Le capitaliste veille soigneusement à ce que la besogne soit proprement faite et les moyens de production employés suivant le but cherché, à ce que la matière première ne soit pas gaspillée et que l'instrument de travail n'éprouve que le dommage inséparable de son emploi.

En second lieu, le produit est la propriété du capitaliste et non du producteur immédiat, du travailleur. Le capitaliste paie, par exemple, la valeur journalière de la force de travail, dont, par conséquent, l'usage lui appartient durant la journée, tout comme celui d'un cheval qu'il a loué à la journée. L'usage de la marchandise appartient à l'acheteur et en donnant son travail, le possesseur de la force de travail ne donne en réalité que la valeur d'usage qu'il a vendue. Dès son entrée dans l'atelier, l'utilité de sa force, le travail, appartenait au capitaliste. En achetant la force de travail, le capitaliste a incorporé le travail comme ferment de vie aux éléments passifs du produit, dont il était aussi nanti. A son point de vue, le procès de travail n'est que la consommation de la force de travail, de la marchandise qu’il a achetée, mais qu'il ne saurait consommer sans lui ajouter moyens de production. Le procès de travail est une opération entre choses qu'il a achetées, qui lui appartiennent. Le produit de cette opération lui appartient donc au même titre que le produit de la fermentation dans son cellier".

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-7.htm

Lire aussi:

Les grands textes de Karl Marx - 1 : la critique des libertés formelles de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont le pivot est le droit de propriété - une critique des déterminants bourgeois de la Révolution Française

Les grands textes de Karl Marx - 2 - La religion comme opium du peuple

Les grands textes de Karl Marx - 3: l'aliénation produite par la propriété privée et le capitalisme dans les Manuscrits de 1844

Les grands textes de Marx - 4: Les pouvoirs de l'argent (Ebauche d'une critique de l'économie politique, 1844)

Les grands textes de Karl Marx - 5: le matérialisme historique théorisé dans l'Idéologie allemande (1845)

Les grands textes de Karl Marx - 6 - L'idéologie, antagonismes de classes sociales et idées dominantes

Les grands textes de Karl Marx - 7 - Le Manifeste du Parti communiste - Les conditions du communisme se développent dans le développement du capitalisme et de la domination de la bourgeoisie

Les grands textes de Karl Marx - 8 - Qu'est-ce qu'être communiste? - Manifeste du Parti communiste (1848)

Les grands textes de Karl Marx - 9 - Sur le socialisme et le communisme utopique, Manifeste du Parti communiste

Les grands textes de Karl Marx - 10 - La lutte des classes en France - Les raisons de l'échec de la révolution de Février 1848

Les grands textes de Karl Marx - 11 - Les luttes de classe en France - les leçons de la répression du soulèvement ouvrier de juin 1848

Les grands textes de Karl Marx - 12 - l'élection de Louis Napoléon Bonaparte - Les luttes de classe en France

Les grands textes de Karl Marx - 13 - la journée révolutionnaire du 23 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 14 - la journée révolutionnaire du 24 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 15 - la journée révolutionnaire du 25 juin 1848 racontée dans la Neue Rheinische Zeitung

Les grands textes de Karl Marx - 16 - La Guerre Civile en France: le petit monde interlope et opportuniste des Versaillais, la carrière d'Adolphe Thiers avant mai 1871

Marx et Engels: les vies extravagantes et chagrines des deux théoriciens du communisme!

Les grands textes de Karl Marx - 19 - Le Capital, livre I. chapitre 7, Le travail: activité essentielle à l'homme, facteur d'humanisation ou d'aliénation dans le mode de production capitaliste
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15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 05:47

 

Dans les territoires occupés comme en Israël, Bédouins et Palestiniens subissent la destruction de leurs maisons, les brimades et les arrestations, marques de la politique coloniale, comme l’explique Salah Khawaja.
 

Salah Khawaja - Coordinateur de la campagne Stop the wall

Jérusalem-Est occupée, envoyé spécial.

 

En quoi la question des Bédouins n’est pas seulement une question humaine mais est directement en lien avec la stratégie politique israélienne ?

Salah Khawaja Il existe 46 regroupements de Bédouins en Cisjordanie, qui sont la cible d’une politique de transfert et d’expulsion israélienne de ces villages et regroupements. Le but de cette politique d’expulsion est l’arrêt de la vie palestinienne telle qu’elle existe et de regrouper les Palestiniens dans leur diversité au sein de cantons. Cela se traduit par une interdiction de fait du droit au travail, à l’éducation, à la santé et à la mobilité des Palestiniens. Ce transfert dans des cantons s’apparente tout simplement à un enfermement dans de grandes prisons ou à des réserves comme les États-Unis en ont créé pour les Indiens-Américains. Tous leurs droits humains basiques seront confisqués.

 

Quel est le projet politique d’Israël dans cette zone, à l’est de Jérusalem, sachant qu’on y trouve la colonie de Maale Adumim, la plus grande existante ? Qu’est-ce qui est prévu ?

Salah Khawaja Le but est clair. Il s’agit de contourner la loi internationale qui reconnaît que tous les territoires pris par les Israéliens aux Palestiniens en 1967 sont des territoires occupés. La guerre israélienne est menée contre tout un peuple, contre toute une société. On veut donc empêcher les Palestiniens d’exercer leur droit à l’autodétermination. En 1947, les Nations unies ont voté le partage de la Palestine en deux États avec Jérusalem comme zone internationale. En 1948, Israël en a saisi beaucoup plus : 78 %. Après 1967, les 22 % restants ont été occupés par Israël. À partir de ce moment-là, la colonisation s’est développée. Ainsi, Maale Adumim a été construite après 1982. Cette colonie est maintenant la plus grande de Cisjordanie tant en population qu’en superficie. Dans cette région, Israël a un plan nommé A1, qui vise à élargir cette colonie à celles qui l’entourent, pour faire une seule et grande colonie. Les camps de Bédouins sont un obstacle à ce projet, et donc les Israéliens les expulsent afin d’achever leur plan. La surface finale de cette nouvelle colonie sera de 62 km2, alors que la ville de Tel-Aviv s’étend sur 61 km2 ! Ce projet A1 comprend également, entre autres, la construction d’une cité bédouine dans la colonie, une zone industrielle pour laisser penser qu’il s’agit d’une ville « normale » et non pas d’une colonie. C’est violer la loi internationale sans devoir rendre des comptes. Le but final d’Israël est de rendre éternelle l’existence coloniale et de réprimer les humains. Le ministre de l’Intérieur d’Afrique du Sud, qui a vu la situation, a même estimé que la colonisation dans les territoires occupés était bien plus dangereuse que l’apartheid.

 

En termes politiques, il semble que les mouvements palestiniens, Fatah et Hamas, soient dans l’impasse. Comment le peuple palestinien réagit-il ? On parle de comités populaires, de résistance populaire. Qu’en est-il ?

Salah Khawaja L’Autorité palestinienne, créée avec les accords d’Oslo, a misé sur une solution politique, mais Israël en a profité pour renforcer sa présence coloniale. Nous sommes convaincus que le mouvement de la première Intifada est le meilleur exemple de luttes unies et celui qui nous a permis d’accomplir le plus de choses. La résistance populaire peut permettre de rassembler tout le monde et d’organiser une désobéissance civique qui prendrait alors la forme d’une intifada civile. Nous travaillons dans deux directions. D’abord, regagner la confiance des gens avec un travail populaire et solidaire. Après les échecs successifs depuis les accords d’Oslo eux-mêmes, les gens se sont détournés de l’engagement collectif et militant. Il faut leur montrer qu’il est possible d’agir, d’influer sur les décisions, de faire changer les choses, en s’engageant. Par ailleurs, nous cherchons à accumuler de petits succès pour parvenir à une victoire plus importante et plus durable.

 

Est-ce qu’il existe une coordination entre ces comités populaires et les partis traditionnels ?

Salah Khawaja Il existe une coordination de travail, mais il n’y a malheureusement pas une volonté politique de la direction palestinienne d’unir ces efforts. Notre travail consiste donc à unir, afin de parvenir à faire pression sur les organisations politiques pour qu’elles en terminent avec leur division, et engager une nouvelle stratégie gagnante face aux Israéliens. Nous devons retrouver la confiance en nous-mêmes.

 

La campagne BDS est-elle un outil qui va dans ce sens ?

Salah Khawaja Oui, c’est un moyen efficace pour aider la cause palestinienne. Il existe également d’autres initiatives comme « Pour un monde sans murs ». Il faut continuer à être créatif pour dévoiler la face fasciste d’Israël.

 

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

 

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15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 05:44
CONSTRUIRE UN RAPPORT DE FORCE FACE A LA HAINE ET AUX DÉRIVES DE DÉMOCRATIE (CAUSE COMMUNE - revue PCF)
CONSTRUIRE UN RAPPORT DE FORCE FACE A LA HAINE ET AUX DÉRIVES DE DÉMOCRATIE (CAUSE COMMUNE - revue PCF)
CONSTRUIRE UN RAPPORT DE FORCE FACE A LA HAINE ET AUX DÉRIVES DE DÉMOCRATIE (CAUSE COMMUNE - revue PCF)
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15 août 2019 4 15 /08 /août /2019 05:37

 

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat rend public aujourd’hui un rapport consacré aux interactions entre les sols, les écosystèmes et le réchauffement. Outre le climat, la sécurité alimentaire est en jeu.

Ce sera le deuxième d’une série de trois : le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) rend public, ce matin, un rapport spécial consacré au secteur dit « des terres », à ses interactions avec le climat et à leur impact sur la sécurité alimentaire. Après la publication, en octobre 2018, d’une analyse explorant la possibilité de limiter le réchauffement global à 1,5 °C, et avant une prochaine synthèse, attendue fin septembre, qui portera sur la cryosphère (les zones glacées de la planète) et les océans, les scientifiques mettent donc le focus sur les sols. Et l’on ne parle pas là uniquement humus : l’idée désigne la totalité de la surface émergée du globe et de ses écosystèmes, inclut les pratiques agricoles, forestières et pastorales. À la fois victime, problème et solution, l’ensemble constitue un point clé de la bataille contre le changement climatique. Un casse-tête, aussi, quand, à l’enjeu de réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’ajoute celui de nourrir une planète en pleine croissance.

« Le changement climatique peut être un moteur important de la désertification et de la dégradation des terres, et affecter ainsi la production alimentaire », relevait le Giec en 2017, au moment d’entamer ses travaux. La sécurité alimentaire, quant à elle, « a des répercussions sur les émissions de gaz à effet de serre », poursuivaient les experts. « Le secteur des terres représente actuellement près d’un quart des émissions anthropiques mondiales », rappelle aujourd’hui Jean-François Soussana, directeur scientifique environnement à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), qui compte au nombre des coauteurs du rapport à paraître aujourd’hui. L’agriculture, et plus singulièrement l’agriculture industrielle, inclus élevages, en émet une très large part, essentiellement composée de protoxyde d’azote (N2O) et méthane (CH4). L’épandage et la production d’engrais azotés sont tout spécialement impliqués dans la production du premier. L’essentiel du méthane, gaz au pouvoir réchauffant 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2), est quant à lui le fruit du système digestif des bovins. L’élevage de ces derniers est en outre bien souvent impliqué dans un autre fléau climatique : la déforestation, et plus largement les changements d’usage des sols, fournit l’essentiel du CO2 émis par le secteur. Le système alimentaire mondial, en outre, est loin de faire la preuve de son efficacité, et affiche, par les chiffres, ses déséquilibres intrinsèques. « 800 millions de personnes sont toujours en situation de sous-nutrition chronique », reprend Jean-François Soussana. Un chiffre qui tend à augmenter. « À l’opposé, les maladies chroniques telles que l’obésité augmente dans les pays occidentaux. »

Réussir à trouver la combinaison qui permette à la fois de limiter le réchauffement et d’alimenter une population appelée à grandir – on parle de près de 9,8 milliards d’humains à l’horizon 2050, contre 7,5 milliards aujourd’hui –, voilà tout le but de l’exercice. L’intérêt entre les deux enjeux, en outre, est mutuel. Sécheresses, inondations, désertifications… Paru en 2013, le dernier grand rapport du Giec (à différencier des rapports spéciaux intermédiaires) avançait déjà clairement les menaces que fait peser le changement climatique sur la sécurité alimentaire mondiale. Un rapport de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) est venu enfoncer le clou en 2014. Si rien n’est fait, assurent les experts, les rendements de la production alimentaire mondiale pourraient avoir baissé de 10 % en 2050. Protéger sols et végétation, à l’inverse, permettrait non seulement de les améliorer, mais constituerait également un levier majeur pour lutter contre le réchauffement.

Les terres sont un secteur clé pour parvenir aux objectifs de décarbonation permettant de contenir les températures sous la barre des 2 °C, voire 1,5 °C, avancent unanimement les spécialistes. Il offre tout à la fois des possibilités de stockage de carbone dans les écosystèmes et de la biomasse de substitution au carbone fossile, insistent-ils. Finalisé et voté hier par la centaine de scientifiques qui ont participé à sa rédaction et l’ensemble des 195 États membres de l’ONU, le nouveau rapport du Giec devrait non seulement préciser toutes ces données mais aussi établir un panorama des options possibles pour agir en conséquence.

Marie-Noëlle Bertrand

 

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14 août 2019 3 14 /08 /août /2019 09:12
photo L'Humanité - Paul Vaillant-Couturier

photo L'Humanité - Paul Vaillant-Couturier

Paul Vaillant-Couturier Une plume contre le fascisme
Lundi, 12 Août, 2019

Lanceurs d'alerte en 1939 16/29. Brillant rédacteur en chef de l’Humanité, il joua un rôle majeur pour rassembler les intellectuels progressistes contre Hitler et Mussolini. Et mit en lumière, sans relâche, les périls qui se dessinaient pour le monde.

 

Déjà, le sang coule sur le pavé parisien. Ce 6 février 1934, les extrémistes fascistes des Ligues sont parvenus à manipuler les mécontentements pour lancer des milliers de manifestants à l’assaut de l’Assemblée nationale. En dépit des réticences de son directeur, qui sous-estime la menace, le rédacteur en chef de l’Humanité dépêche sur place un jeune reporter qu’il protège dans son équipe, un certain Louis Aragon. Alors que l’Italie et l’Allemagne, et à leur suite des pays d’Europe centrale, ont déjà basculé dans le fascisme, c’est de ce brasier parisien que naît le Front populaire. Pour Paul Vaillant-Couturier, le combat antifasciste ne débute pas. Son journal, bien seul dans la presse française, a montré les persécutions anticommunistes et antisémites, le soutien de la grande bourgeoisie allemande aux nazis, le complot de l’incendie du Reichstag. Le journaliste Daniel Schneidermann – qui vient de publier Berlin 1933. La presse internationale face à Hitler – constate malgré ses préventions que « voilà que cette langue de propagande, cette langue de bois, (lui) apparaît aujourd’hui comme celle qui sonne le plus juste – la plus clairvoyante, la plus efficace pour dire la folie montante de l’hitlérisme (…) celle qui a le mieux traversé l’apocalypse ».

L’écrivain engage son journal dans la solidarité avec l’Espagne républicaine qui résiste à Franco

Vaillant-Couturier met en garde l’opinion, comme ce 18 septembre 1935 : « Les déclarations pacifiques d’Hitler ne font plus illusion qu’à ceux qui veulent s’illusionner ou qui ont d’inavouables intérêts à propager l’illusion (…). Nous savons, nous, que dans l’impossibilité où sont les fascistes d’apporter le moindre soulagement réel aux malheureux peuples qui les subissent, ils n’espèrent plus qu’en une issue : la guerre. Quand des déments en armes parcourent le monde, la plus immédiate garantie réside dans la force des accords conclus par les nations pacifiques pour sauvegarder la paix. » Malgré l’interdiction d’entrer en Allemagne des journalistes de l’Humanité à partir de 1933, il publie des témoignages sur les persécutions, les tortures, les premiers camps.

Le flamboyant rédacteur en chef connaît le prix de la guerre. Il est de la génération du Feu, mobilisé dès le cinquième jour du conflit de 1914. Il a connu les tranchées et les premiers chars, les corps déchiquetés et les âmes avilies, la peur de mourir et la fureur de tuer. « La guerre a fait de moi un combattant à vie », écrira-t-il. Elle l’a conduit en prison, mais aussi à figurer parmi les grands fondateurs du PCF, en 1920. Écrivain, peintre, poète, avocat, député et maire de Villejuif, il s’est voué à l’Humanité, envers et malgré tout. Il fera de son journal le grand quotidien du Front populaire. Il joue un rôle majeur dans le rassemblement des intellectuels antifascistes et dénonce sans rêves la montée des périls.

Ainsi, le 4 octobre 1935, fustige-t-il les accords de Rome, « que nous seuls, communistes, avons refusé de contresigner », et qui donnent les mains libres à l’Italie : « Le feu est mis à l’Éthiopie, et maintenant Mussolini menace de mettre le feu au monde entier (…) Mussolini libre de bafouer la conscience universelle, la loi de la jungle reconnue comme la seule règle internationale, c’est demain Hitler se jetant sur la Lituanie, sur l’Autriche, sur la Tchécoslovaquie, sur l’Alsace, sur la France… » Déjà, en 1927, Vaillant-Couturier avait été expédié à la Santé pour avoir traité « Mussolini de cabotin et avoir dit de l’enfant Zamponi (assassiné par les chemises brunes), percé de quatorze coups de poignard, qu’il était un martyr » ! Et d’interpeller le ministre : « Rappelez vos juges à l’ordre, Barthou ! Précisez qu’ils portent désormais sur leur hermine une pancarte avec ces mots : “Ici, Duce, s’il vous plaît, essuyez vos pieds !” »

Il engage pleinement l’Humanité dans la solidarité avec l’Espagne républicaine qui résiste à Franco. Il expédie des envoyés spéciaux, Gabriel Péri, Arthur Koestler, Simone Téry. Lui-même se rend sur le front de Bilbao en mai 1937 (cinq mois avant sa mort près de Rambouillet) et il écrit : « Ce peuple “tient” dans la rue, dans ses maisons, dans ses abris, devant sa table vide, malgré ses nerfs et ses forces qui s’épuisent, malgré sa faim et sa terreur de l’air… » Et il décrit, raconte, dépeint « ce canapé sanglant, sous l’escalier du casino de Saint-Sébastien, où avait été attaché nu, par les fascistes, un jeune soldat asturien. Une large tache sombre de sang séché marquait encore le velours jaune, reproduisant la forme d’un corps humain. Et de là, le sang avait ruisselé sur le dallage. Durant tout le temps qu’avait duré l’attaque du casino par les troupes loyales et les miliciens, le soldat avait été torturé là, à petits coups de baïonnette et de poignard ». Mais il analyse et alerte, évoquant « Guernica, ville cobaye : c’est le crime qui annonce le sort que les tueurs fascistes de l’Espagne entendent réserver à Bilbao, et que Paris doit méditer ». Hélas, le gouvernement Blum a choisi la non-intervention qui laisse les mains libres à Hitler et à Franco.

Patrick Apel-Muller
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