C'est le troisième volet du récit de vie de Jean-Marie Le Scraigne que m'a fait découvrir notre amie et camarade Patricia Paulus.
Le conteur breton, militant communiste, ancien résistant, et élu communiste à Huelgoat pendant plus de 40 ans, Jean-Marie Le Scraigne y raconte sa vie professionnelle et son dur labeur de petit paysan, "héritier" de générations de paysans sans terre, sans capital et aux terres pauvres du hameau du Fao, percuté par la révolution technique agricole et de tailleur de pierre, sa vie municipale et politique, le pittoresque de la vie sociale au Huelgoat quand il était plus jeune, les rivalités avec Scrignac et Berrien (première communiste communiste du centre-Finistère, depuis l'avant-guerre).
Le récit, émaillé d'expressions en breton, est passionnant, truculent. Il fait revivre un Finistère intérieur et rural haut en couleur, les spécificités d'une agriculture centrée sur l'élevage de chevaux de labour dans les Monts d'Arrée, florissant pendant la guerre et dans l'après-guerre, mais déclinant avec la mécanisation des années 1950-1960.
L'implantation du PC à Huelgoat est ancienne, avec notamment l'élection aux élections municipales du secrétaire de section, le médecin des pauvres Fernand Jacq, élu au Conseil Municipal en 1935, puis battu à 20 voix d'écart seulement par le candidat socialiste aux élections cantonales de 1937, exécuté en 1941 près de Chateaubriant où il avait été enfermé avec les autres internés communistes, dont les 27 fusillés le 22 octobre 1941.
8 mai 2025: le PCF rend hommage à Fernand Jacq au cimetière de Huelgoat. Discours de Pierre-Yves Thomas
« Médecin des pauvres » et Résistant : un hommage rendu à Fernand Jacq, ce 8 mai dans le Finistère - Mariam Fournier, Ouest-France, 6 mai 2025
Le jeudi 8 mars au cimetière de Huelgoat à 15h45, le PCF rendra hommage à Fernand Jacq, médecin des pauvres et élu et militant communiste du Huelgoat, fusillé par les Nazis le 15 décembre 1941
Jean-Marie Le Scraigne adhère au PCF en 1947 après avoir été candidat une première fois sur la liste municipale du PCF en 1945, au sortir de la résistance. C'est son beau-père, petit paysan pauvre lui aussi mais plus conservateur qui sera élu à sa place au 1er tour du scrutin, et à l'époque, deux membres d'une même famille ne pouvaient être élus sur la même liste. A l'époque, le Parti communiste compte quatre cellules au Huelgoat: celle du centre-ville, celle du Vieux tronc, celle de Kervao, celle du Coat-Guinec. On se réunit chez le maire communiste depuis 1945, Alphonse Penven, où chez d'autres camarades. Le PC pousse Jean-Marie Le Scraigne à prendre des responsabilités dans la mutuelle chevaline indemnisant les paysans ayant eu des pertes de bêtes lors de la reproduction des chevaux. Dans l'après-guerre il y avait 50 exploitations agricoles avec des paysans de Huelgoat, aujourd'hui deux.
Jean-Marie Le Scraigne raconte avec verve et force anecdotes les batailles homériques entre l'équipe de Pierre Blanchard, le candidat socialiste, appuyé sur le centre et la droite, très anti-communiste, et celle de Alphonse Penven, né en 1913 au village de Pierre Mocun, premier maire communiste du Huelgoat en 1945, puis sans discontinuer jusqu'en 1985, et député communiste aux élections à la proportionnelle de 1956, pendant la guerre d'Algérie, avec deux autres députés communistes finistériens: Marie Lambert, et G. Paul (de 1956 à 1958, avant la fin de la IVe République, et l'avènement de de Gaulle).
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 35/ Alphonse Penven (1913-1994)
Il nous conte les virées électorales d'Alphonse Penven, très charismatique et bon orateur, proche du monde paysan dont il était issu, sachant s'exprimer en breton, dans le Léon, où il l'accompagnait comme "garde du corps" avec Pierre Lozach. Mais aussi les opérations coups de poing de solidarité pour empêcher les saisies contre les petits paysans endettés, comme à l'époque des années 30 le faisait Tanguy Prigent et ses compagnons.
Jean-Marie Le Scraigne nous raconte aussi les campagnes saisonnières de la ramasse des betteraves à sucre dans l'Aisne, au service de propriétaires terriens richissimes, souvent issus de l'aristocratie, où les travailleurs, paysans bretons pauvres bien souvent, étaient obligés d'accepter des cadences dures et des salaires chichement comptés pour pouvoir améliorer l'ordinaire. Même betteravier saisonnier dans l'Aisne, Jean-Marie Le Scraigne continue à faire de la politique pour le PC et à défendre les idées du PCF contre de Gaulle et la droite, les référendums plébiscitaires.
L'auteur nous raconte aussi comment il faut responsable des associations de parents d'élèves au collège Jean Jaurès, inauguré en 1953, les relations parfois difficiles avec des directions de collège hostiles aux communistes, et plutôt proches des socialistes, les clivages de classe et politique entre lui, devenu ouvrier carrier, tailleur de pierre, cégétiste et communiste, et ses camarades issus des milieux populaires, et des enseignants ou ingénieurs de la centrale nucléaire de Brennilis, issus de milieux plus bourgeois mais tentés par le gauchisme, PSU et d'extrême-gauche, dans les années autour de 68.
Il nous raconte aussi les fêtes de plein air du Parti, au mois d'août, à Huelgoat (Kervao), Scrignac et Berrien, avec kermesse l'après-midi et fest-noz le soir, très populaires dans les années 60-70, avant de connaître une fréquentation plus réduite dans les années 80, ses tournées des bars pour vendre les tickets d'entrée et vignettes pour les fêtes du Parti, parfois plus de 100 dans une tournée, au prix de cuites carabinées.
Un jour, il vend 130 vignettes bon de soutien pour la Fête de l'Humanité de Vincennes et devient le premier vendeur de billets sur le département du Finistère: le Parti lui offre donc le voyage en bus depuis Morlaix et l'entrée. Il retrouve à la fête de l'Huma à Paris des vieux copains exilés de Huelgoat, discute avec des communistes afghans, toute la magie de la fête! Le lendemain il est invité par un parlementaire communiste à suivre une séance du parlement européen à Strasbourg où il voit une délégation afghane demander de l'aide pour ses combattants contre le gouvernement communiste.
Dans le dernier chapitre conclusif de ces mémoires "Et Maintenant?", Jean-Marie Le Scraigne montre qu'il n'a rien perdu de ses convictions communistes alors que Sarkozy gouverne, récupère le nom et le sacrifice de Guy Môquet (ce troisième livre de mémoire est publié chez Emglao Breizh en 2013, trois ans avant la mort de Jean-Marie Le Scraigne):
" Dès que l'on veut parler politique avec la majorité des gens, tous vous disent que cela va mal. Nombreux sont même ceux qui vous disent que le capitalisme tire à sa fin, qu'il va dans le mur. Si c'est vrai, et je pense que ça l'est, par quoi va t-on le remplacer? A ceux qui me le demandent, je réponds que, bon gré mal gré, il faudra un jour en revenir aux théories de Marx et qu'il faut pour cela un changement de comportement et de mentalité. Il faut faire en sorte que l'humanité cesse d'être la jungle qu'elle est devenue, où ce ne sont pas des bêtes féroces qui dominent, mais des gens aux dents longues qui accaparent toutes les richesses de la planète.
Pour le camoufler, pour endormir les opinions publiques, ils se sont emparés en quelque sorte de tous les moyens d'information. Journaux, radios, télévisions, etc, diffusent chaque jour un refrain à la mode: la crise. La crise, d'accord, mais la faute à qui? Et ce n'est pas la crise pour tout le monde! Alors que les États se disent tous endettés, les grandes entreprises, elles, affichent des bénéfices toujours en hausse. (...). Le capitalisme, c'est comme le chiendent, il faut le déraciner. "
On ne peut que vous conseiller la lecture de ces mémoires de Jean-Marie Le Scraigne, un ressourcement militant et une plongée aussi dans l'histoire du Huelgoat et du centre-Finistère.
Ismaël Dupont
15 novembre 2025
Voir aussi: 1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 63/ Jean-Marie Le Scraigne (1920-2016)t
L'oncle du journaliste, historien et écrivain quimpérois Georges Cadiou (L'hermine et la croix gammée), Jean-Marie Le Scraigne (en breton Jan-Mari Skragn, dit-il) est né au Huelgoat en juin 1920 (décédé en décembre 2016). Il a été retiré de l'école à 13 ans pour aider à la ferme malgré ses excellents résultats scolaires. Il est d’abord resté travailler à la ferme familiale, sur le plateau granitique de cette commune (en breton ar c’hludou), au cœur de l’Arrée.
Après son mariage, devenu père de famille, il préféra changer de métier et travailla comme carrier et marbrier, jusqu’à sa retraite.
Fervant militant communiste, il fut longtemps (une vingtaine d'années) conseiller municipal d’Huelgoat, élu sur la liste d"Alphonse Penven (maire et conseiller général PCF de la Libération à 1983, paysan de ce même quartier qui fut également député dans les années d'après-guerre).
Jean-Marie Le Scraigne s’est parfois exprimé à la télévision en breton (FR 3) sur la période du Front Populaire et nous a expliqué son engagement, contre la volonté paternelle...Il était connu comme chanteur de fest-noz (dans les années soixante-dix, avec B. Le Guern, L. Lozac’h). C’est à l’heure de la retraite qu’il s’est mis à composer des chansons, notamment à danser, en breton et en français. En 1986, il s'inscrit à un concours de contes en breton et obtient le premier prix. C'est en français il commencera à mettre ses contes par écrit, avant que les responsables de "Brud Nevez" lui conseillent de le faire en breton.
Francis Favereau, linguiste, spécialiste de la culture et de la langue bretonne, raconte:
" Parallèlement, Jean-Marie Le Scraigne a commencé à raconter divers contes (rismodilli, dit-il), qu’il avait entendus dans sa jeunesse à Kervinaouet, de la bouche de valets ou de mendiants, essentiellement. Il est ainsi devenu conteur, à la radio ou à la télévision, comme dans les veillées organisées ces dernières années, notamment par Dastum... Il compte actuellement parmi les meilleurs, avec Marcel Guilloux (Haute-Cornouaille) ou Jude Le Paboul (de Baud, Vannetais, disparu en 2001). L’originalité de J.M.Le Scraigne, c’est qu’il a transcrit la plupart de ses contes, d’abord en français, ne sachant guère écrire le breton, nous disait-il. Chez lui, Bilz(ic), l’adversaire déclaré du seigneur ainsi que du recteur, devient un «voleur honnête», comme il en faudrait davantage, conclut-il. Voilà qui, pour ce qui est de l’idéologie, nous situe aux antipodes de la morale traditionnelle héritée de FEIZ HA BREIZ etc. Il y a chez lui un peu de cet «esprit sauvage de la Montagne», comme le dit si bien Y. Gwernig. On comprend mieux ce positionnement original grâce à l’étude qu’en a faite Ronan Le Coadic dans Campagne Rouges de Bretagne (SKOL VREIZH n° 22, 1991), où il a donné laparole aux communistes de cette région, en breton (F. Landré, maire de Scrignac, décédé en 1999, Daniel Trellu - cf. tome 3 - et Alphonse Penven, maire du Huelgoat et conseiller général du cantonde 1945 à 1983, qui fut député communiste de 1956 à 1958, disparu peu après son interview, ancien paysan dans la ferme de Coat Mocun sur les hauteurs du Huelgoat, dont J.M. Le Scraigne fut longtemps le colistier :
«Cela vient de loin, cela est ancien, parce que cette région était pauvre et que la terre était mauvaise. Les habitants pauvres avaient envie d’améliorer leur situation. Oui. Certains dans cette région ont fait la Révolution des Bonnets Rouges. Il y en avait beaucoup dans la région de Carhaix. A Plouyé, on en a découvert beaucoup en faisant le nouveau cimetière, beaucoup d’ossements. Ces gens avaient été tués par les soldats. Il y avait eu des heurts au Ty meur en Poullaouen, un combat entre Poullaouen et Carhaix. Et les Rouges, malheureusement, avaient perdu. Beaucoup avaient étét ués. Puis ce pays a été longtemps radical. Oui, c’était une région rouge par ici autrefois» (p. 55)...«Moi, je crois que les communistes ont confiance en l’homme, en son travail, et qu’ils soutiennent les pauvres surtout. Oui, des humanistes. Il s’agit d’aider ceux qui sont en bas de l’échelle à remonter et d’essayer d’avoir plus de justice dans ce pays» disait Jean-Marie Le Scraigne...
Francis Favereau (https://ffavereau.monsite-orange.fr)
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