
Quand il sort du pis de la vache, le bilan carbone du lait est plus élevé dans le Grand-Ouest de la France qu’en Franche-Comté. Quand le produit laitier arrive sur la table du consommateur, cette différence s’est encore accrue. Pourtant, une récente étude réalisée en France sur la compétitivité des filières laitières dans le monde par le cabinet Agrex Consulting gomme totalement le bilan carbone des différents systèmes de production. Voilà qui ne contribuera à mettre en place une production laitière durable en France et dans le monde.
Parmi les propos tenus par Emmanuel Macron le 10 janvier dernier lors de sa rencontre avec les membres de la « Convention climat», il faudra se souvenir de cette phrase : « Je défendrai une économie de marché libre et ouverte et je pense qu’elle est compatible avec l’écologie». Plutôt que de polémiquer sur cette phrase lâchée ce jour-là par le chef de l’Etat, nous proposons d’analyser l’étude que vient de publier le cabinet Agrex Consulting sur le marché mondialisé des produits laitiers. Ses travaux ont été vendus à FranceAgriMer, l’organisme parapublic qui travaille à l’organisation des principales filières agricoles et des produits de la mer en France.
Dans un document de 36 pages, Agrex Consulting analyse les atouts de la filière laitière dans huit pays de l’Union européenne (France, Allemagne, Pays Bas, Danemark, Irlande, Italie, Royaume Uni, Pologne) et ceux de cinq pays tiers qui sont l’Argentine, l’Australie, le Brésil, les Etats Unis et la Nouvelle Zélande. L’étude retient 7 axes de compétitivité pour chacun de ces pays. Ils vont du « poids de l’agroalimentaire dans les exportations » jusqu’à la « capacité à conquérir des marchés » en passant par la « durabilité des ressources », le « potentiel de production des filières », la « maîtrise technique ». Il manque juste le bilan carbone du litre de lait quand il sort du pis de la vache et celui du produit laitier quand il arrive sur la table du consommateur. Et comme ce produit laitier a parfois fait le tour du monde avant d’être consommé, on peut dire que l’étude d’Agrex Consulting, occulte totalement la contribution de cette filière agricole, agro-industrielle et commerciale, au réchauffement climatique global.
Un bilan carbone différent de la Bretagne à la Franche-Comté
Nous allons, dans cet article, nous limiter au cas de la France en partant de deux exemples précis. Dans l’article suivant, nous évoquerons surtout la situation des Pays Bas. En France, les principales zones laitières sont situées au nord de la Loire. Les régions Bretagne, Pays de la Loire et Hauts de France sont parmi celles qui produisent chaque année les plus gros volumes de lait. Ce sont aussi celles où les traditions fromagères sont moindres qu’en Normandie, en Franche Comté ou en Auvergne. Quand il sort du pis des vaches, le lait produit en Bretagne présente un bilan carbone nettement plus élevé que le lait produit en Franche-Comté. En Bretagne, les vaches laitières consomment beaucoup de maïs broyé et conservé dans un silo. Sa culture a nécessité des labours, du carburant et des engrais très émetteurs de gaz à effet de serre. Comme cet aliment énergétique est pauvre en protéines, la ration quotidienne des vaches est complétée par des tourteaux de soja importés d’Amérique du sud, ce qui contribue à la déforestation de l’Amazonie.
En Franche-Comté, dans la zone d’appellation du fromage connu sous le nom de comté, le cahier des charges de l’appellation fromagère, interdit les aliments fermentés comme le maïs en silo ou l’herbe d’ensilage. Les vaches consomment l’herbe des prés à la belle saison et du foin durant la saison hivernale. Les apports de soja sont limités et l’on recherche plutôt une herbe enrichie avec des mélanges appropriés de graminées et de légumineuses que l’on retrouve aussi dans le foin. C’est donc l’existence de ce cahier des charges rigoureux destiné à produire un fromage de qualité qui fait que le bilan carbone de chaque litre de lait sortant du pis des vaches en Franche Comté est nettement plus bas qu’en Bretagne. Les critères utilisés par Agrex Consulting occultent cette différence.
400 litres de lait pour une meule de fromage pesant 40 kilos
Mais il nous faut aussi regarder le bilan carbone du produit laitier arrivant sur la table du consommateur. En Franche-Comté, le lait est collecté par des « fruitières », ces petites coopératives qui rayonnent au niveau d’un canton. Cela diminue la distance parcourue par les camions citernes qui transportent de lait de la ferme à la fruitière. Ensuite, ce lait est surtout transformé en fromage d’appellation comté, à quoi s’ajoutent souvent un peu de beurre et de crème, des produits souvent consommés localement. Comme il faut 400 litres de lait pour produire une meule de comté pesant une quarantaine de kilos et que les protéines du «petit lait» sont récupérées localement pour l’alimentation des animaux, toute la matière première est valorisée. Une fois affiné, le poids du fromage est dix fois moindre que celui du lait utilisé pour le produire dans la fruitière. Le transport de ce fromage dans tout l’Hexagone comme sur des marchés d’exportation dans quelques pays frontaliers présente donc un bilan carbone modeste.
20% du lait de vache produit sur 7% du territoire
En revanche, le lait breton sera souvent transformé en lait de grande consommation, en beurre, en yaourts, en emmental d’entrée de gamme. Comme la Bretagne produit environ 20% de lait de vache en France sur seulement 7% du territoire, les laits liquides, les fromages, le beurre et les autres produits frais sortis de laiteries bretonnes devront parcourir une distance moyenne relativement longue avant d’arriver sur la table du consommateur, y compris sur le seul territoire français. C’est d’autant plus vrai que l’on produit peu de lait liquide en France en dessous d’une ligne qui va de La Rochelle à Lyon.
Cette comparaison franco-française nous montre que l’analyse produite par Agrex Consulting s’inscrit dans « une économie libre et ouverte » telles que la défend Emmanuel Macron. Mais la comparaison de nos deux exemples démontre qu’elle n’est pas « compatible avec l’écologie». Les auteurs de l’étude, eux, ne se posent même pas ce genre de question. Voilà qui montre à quel point une réflexion économique fondée sur la seule conquête des parts de marché dans une économie capitaliste mondialisée accentue le réchauffement climatique alors qu’il est vital de le freiner.
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