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24 août 2019 6 24 /08 /août /2019 05:20

 

Les sept puissances économiques ont tant de fois promis de sauver le monde que le monde a fini d’y croire. Le sommet qui s’ouvre à Biarritz la semaine prochaine ne convainc pas plus que les autres. Organisé en contre-sommet, le mouvement citoyen travaille à déconstruire l’opération de communication du capitalisme financier.

C’est une contre-attaque militante bien rodée. Chaque année, le groupe des sept plus grosses puissances économiques se réunit quelque part dans le monde. Et chaque année – ou quasi –, le mouvement altermondialiste, dans sa composante la plus large, œuvre à déconstruire l’opération de communication orchestrée par ce « directoire économique et financier » de la planète.

2019 n’échappera pas à la règle. Alors que le G7 qui doit démarrer samedi à Biarritz s’annonce comme l’un des plus restrictifs en termes de droit d’accès accordé à la société civile (lire ci-après), le contre-sommet citoyen organisé à quelques encablures entend, lui, briser la vitrine un peu trop alléchante du capitalisme financier. « La lutte contre les inégalités, l’urgence climatique et sociale ne peuvent se contenter de beaux discours », écrivent ainsi une centaine d’organisations dans un appel à participer à ce contre-G7, dont les travaux démarrent mercredi à Hendaye.

En 1986, l’enjeu environnemental s’impose

Car, c’est là une réalité entendue : plus les années passent et plus la crédibilité du G7s’effrite, le portant bien loin de son objectif initial de mettre en évidence les bénéfices du système financier qu’il sous-tend.

Lancé sous Valéry Giscard d’Estaing en 1975 alors que les répliques du choc pétrolier de 1973 grondaient, le G7 – initialement G5 – visait à redonner de la stabilité à une économie mondiale malmenée par la secousse. Enjeux sociaux et environnementaux restaient, alors, nettement éloignés de ses préoccupations. Il finira par s’y intéresser, par la force des choses. « La première fois, ce sera en 1986, peu après l’explosion de Tchernobyl », raconte Maxime Combes, économiste et membre du conseil scientifique d’Attac. « Réuni au Japon, le G7 s’attache alors à se porter garant de la sécurité nucléaire mondiale, dès lors que celle-ci reste sous contrôle de l’Occident… »

Mêmes espoirs, mêmes désillusions concernant la question sociale

Les années passent. Viennent les premiers rapports du GIEC et des sommets de la Terre, suivis des premières conférences internationales sur le climat. Le sujet, peu à peu, s’impose à lui, sans se voir pour autant accorder plus qu’un petit paragraphe de complaisance. En 2009, toutefois, le G8 (la Russie a alors été intégrée au groupe) de l’Aquila, en Italie, tranche d’avec les autres. Quelques mois avant la retentissante conférence de Copenhague sur le climat, « il est le premier à prendre des engagements chiffrés et conséquents en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre », reprend l’économiste. Et le seul, convient-il d’ajouter. « Jamais ces ambitions n’ont, depuis, été de nouveau énoncées. »

Mêmes espoirs, suivis des mêmes désillusions concernant les questions sociales. Dès le début des années quatre-vingt-dix, le groupe des sept puissants engage des discussions sur la dette des pays pauvres. Réuni à Cologne, le G7 de 1999 annonce même en annuler une partie à hauteur de 100 milliards de dollars. Quelques années plus tard, en 2005, en Écosse, Tony Blair, qui le préside alors, promet, lui, d’en finir avec la pauvreté. « Ce sera le summum de la prise en compte des questions sociale par le G7 », reprend Maxime Combes. Ce sera aussi le début de la fin « de la croyance populaire en sa capacité à sauver la planète », conclut l’économiste. Quinze ans plus tard, l’état de la pauvreté dans le monde laisse comprendre pourquoi.

De fait, même placé sous l’égide de la lutte contre les inégalités, le nouveau G7 qui s’ouvre dans quelques jours ne par­vient pas convaincre de ses bonnes intentions.

« Voilà des années que nous agissons pour que la question des inégalités soit mise au premier plan de ce type de rencontre au sommet », explique Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam France, ONG de développement qui a fait de ce sujet son cœur de bataille. « Le fait que le G7 s’en empare enfin est en soi une demi-victoire », poursuit le porte-parole… dont l’enthousiasme ne va cependant pas au-delà. « Il s’agit maintenant de savoir comment cela va se traduire, reprend-il. Or, après plusieurs mois de plaidoyers, nous voyons très peu d’aboutissements se dessiner. »

Rien ou presque, par exemple, sur la question d’une fiscalité minimale à imposer aux multinationales, ni sur le contrepoids à opposer aux lobbies qui contrôlent les marchés et pèsent sur les économies locales. Plus globalement, estime le porte-parole d’Oxfam, « ce sont les politiques construites depuis quarante ans qui génèrent pauvreté et inégalités. Or, nous doutons que ce G7, plus qu’un autre, soit prêt à reconnaître les contradictions du système libéral ». D’où l’utilité des contre-sommets citoyens, note-t-il.

Criminalisation et répression de la contestation

Enclenchés à la fin de la décennie quatre-vingt-dix par un mouvement altermondialiste naissant, ces derniers n’ont de cesse, depuis, de faire entendre l’idée qu’un autre monde est possible. Les rassemblements de Seattle (États-Unis), en 1999, en ont marqué la naissance officielle, ceux de Gènes, en 2002, l’apogée de leur criminalisation et de leur répression par les puissances visées. Plus ou moins gros selon les années et les pays d’accueil, les contre-sommets du G7 ne lâchent pas pour autant l’affaire, tentant de donner à voir les alternatives au système capitaliste. Celui d’Hendaye ne fera pas exception, placé sous les bannières communes des justices climatique et sociale.

Marie-Noëlle Bertrand

 

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23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 07:04

 

À elle seule, la région turque de la mer Noire assure 70 % de la production mondiale de noisettes. Une mine d’or pour le géant de la pâte à tartiner Ferrero, principal acheteur des noisettes turques, mais pas pour la myriade de petits producteurs locaux, contraints de faire travailler dans des conditions difficiles des saisonniers kurdes ou arabes. Premier volet de notre série sur Nutella.

Giresun et Ordu (Turquie), de notre envoyé spécial. – Ceylan Teker n’a jamais entendu parler de Ferrero. Cela fait pourtant onze ans que la jeune femme se rend chaque été sur les rives turques de la mer Noire pour la cueillette des noisettes, et une partie de sa récolte a forcément fini dans des pots de Nutella, le produit phare du géant italien de l’agroalimentaire, qui absorbe plus du tiers de la production turque.

Ceylan avait douze ans quand elle a entrepris pour la première fois, avec sa famille, le long voyage menant de son village, le hameau kurde de Yeditas, près de Pervari, dans le département de Sanliurfa (sud-est), jusqu’aux collines verdoyantes d’Ordu (nord), au cœur du royaume de la noisette. Environ 700 kilomètres qui s’effectuaient à l’époque à l’arrière d’un camion, maintenant dans un minibus bondé.

Chaque été, au mois d’août, quelque 350 000 travailleurs saisonniers kurdes et arabes affluent comme elle des régions pauvres et dévastées par le conflit kurde de l’est et du sud-est de la Turquie vers les rives de la mer Noire pour recueillir la précieuse manne des vergers : en moyenne 600 000 tonnes de noisettes par an, comptant pour 70 % de la production mondiale.

Ils y rejoignent plusieurs dizaines de milliers de travailleurs locaux, venus des villages de montagne avoisinants, jusqu’à 20 000 Géorgiens et, depuis peu, quelques centaines de réfugiés syriens, selon les estimations fournies par le syndicat de producteurs de noisettes Findik-Sen.

Pendant toute sa jeunesse, Ceylan, issue d’une famille de petits éleveurs comptant dix enfants, a connu l’inconfort des tentes jetées l’été au bord des vergers – des marabouts en plastique bleu ou blanc dans lesquels s’entassent les saisonniers. « On n’avait pas l’eau courante – on devait aller la chercher au village le plus proche –, pas de toilettes – on devait les creuser nous-mêmes –, pas d’électricité ni de douches », se souvient-elle.

Depuis deux ans, la situation s’est un peu améliorée pour elle. Son nouvel employeur, un paysan de la bourgade de Bulancak, dans le département de Giresun, fournit un hébergement en dur, avec des sanitaires, même si l’eau ne suffit pas pour prendre des douches tous les jours.

Certaines conditions en revanche n’ont pas changé, à commencer par les longues journées de travail, d’au moins 9 h 30, entrecoupées par deux pauses de quinze minutes et un arrêt déjeuner d’une heure, sept jours sur sept. Ou encore l’absence de sécurité sociale, de cotisations retraite, même si la « carte verte », une couverture universelle, permet d’accéder aux soins de base dans les dispensaires des alentours.

En dépit des interdictions édictées par les préfectures et des programmes de sensibilisation menés par les ONG, le travail des enfants de moins de 16 ans est encore monnaie courante dans les vergers. « La principale caractéristique du travail agricole saisonnier, c’est que sa main-d’œuvre est composée de familles avec de nombreux enfants. À 13 ou 14 ans, ces derniers deviennent des travailleurs à part entière », commente l'économiste du travail Saniye Dedeoglu, spécialiste du sujet, à l’université de Mugla. « Du coup, un tiers de la main-d’œuvre a entre 13 et 17 ans. »

Les femmes continuent de composer la majorité des effectifs, comme dans l’équipe de Ceylan, où elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes. « Dans mon village, la plupart des garçons sont partis travailler dans la construction à Istanbul, ce sont les filles qui s’occupent des travaux des champs », explique-t-elle.

Et les Kurdes continuent d’être en butte à l’ostracisme de la population locale de la mer Noire, très nationaliste. En six ans de cueillette à Ordu, « ça m’est déjà arrivé deux fois qu’on cherche la bagarre avec moi parce que je suis kurde », confie Orhan Toptal, un cueilleur de 24 ans, originaire de Pervari, dans le département de Siirt, rencontré dans les vergers pentus du hameau de Kardesler. D’autres saisonniers relatent des incidents fréquents sur les routes – insultes, queues de poisson –, les Kurdes étant identifiés par la plaque de leur véhicule.

« Il y a une culture de la confrontation qui n’est pas du tout passée ici. Les Kurdes sont toujours vus comme des criminels potentiels, des terroristes », confirme Yasar Kelekçi, un fournisseur de main-d’œuvre kurde. « Cela fait 24 ans que je viens dans la région tous les étés, et je me sens toujours comme un étranger. »

Pour Ceylan, le principal problème reste cependant le salaire, insuffisant à ses yeux et source de nouvelles discriminations. Les préfectures de la mer Noire ont publié avant le début des récoltes une grille des rémunérations journalières allant de 85 à 115 livres turques [de 13,7 à 18,5 euros – ndlr], selon la nature du travail. Mais dans la pratique, l’échelle des salaires est aussi basée sur l’origine des travailleurs : « C’est 85 livres turques pour les Kurdes, 100 pour les Géorgiens, 115 pour les locaux », résume Imdat, métayer à Kardesler.

Ceylan s’insurge : « C’est une vraie injustice : on touche moins que les locaux alors qu’on travaille plus qu’eux, qu’on doit payer le transport. Et en plus on doit aussi verser une commission à l’intermédiaire qui nous a trouvé ce travail. »

Le travail des migrants agricoles venus du sud-est est organisé par des intermédiaires – les dayibasi ou « oncles en chef » – qui réunissent, en fonction des besoins des producteurs, des équipes allant d’une dizaine à une trentaine d’ouvriers, souvent recrutés dans leur propre famille élargie. Ils gèrent le transport des équipes et tous les problèmes pouvant survenir sur place, du différend avec un employeur au rapatriement du corps d’un travailleur décédé. Les travailleurs reversent habituellement 10 % de leurs revenus au dayibasi.

Venue cette année à Bulancak avec deux sœurs et un frère au sein d’un groupe de 25 travailleurs, Ceylan enchaînera en septembre sur la récolte du coton, un travail encore plus dur, dit-elle, sous le soleil écrasant de la plaine de la Cukurova, dans le sud du pays. Les travaux agricoles n’ont pas empêché la jeune femme aux yeux noisette et au discret foulard rose d’achever des études de cartographie et de cadastre. Mais l’absence d’emploi la condamne à poursuivre son itinérance estivale. Certains saisonniers du sud-est parcourent la Turquie pendant la moitié de l’année, au gré des récoltes – patates, oignons, raisins, abricots, agrumes…

Une enquête sur la répartition des revenus du commerce de la noisette en Turquie, réalisée lors de la récolte 2017 par l’Association pour un travail équitable (FLA), basée aux États-Unis, évalue à environ 730 dollars (650 euros) la somme moyenne gagnée par une famille de huit travailleurs saisonniers, un chiffre qu’elle qualifie de « bien en-deçà du seuil de famine » calculé par les syndicats turcs.

Toutefois, elle n’accable pas les producteurs, estimant que ceux-ci « ne seraient pas capables de payer un salaire [décent] du fait du prix actuel de la noisette et des revenus qu’ils en retirent ».

« On parvient tout juste à survivre »

Analysant la répartition de la valeur ajoutée – salaires et bénéfices – entre les différents acteurs de la filière sur deux produits – une pâte à tartiner contenant 13 % de noisettes et une barre chocolatée en contenant 20% –, elle conclut qu’un huitième seulement de celle-ci (12,6 % et 12,1 % respectivement) atteignent les paysans. Le reste se partage entre les intermédiaires (14,6 % et 13,9 %), l’usine de transformation (30,3 % et 31,5 %) et le réseau de distribution (42,5 %).

Sururi Apaydin en tout cas ne correspond pas au profil type de l’exploiteur. À 63 ans, l’employeur de Ceylan, efflanqué et édenté, paraît usé jusqu’à la corde. Pendant toute sa vie, il a travaillé au milieu des noisetiers, s’occupant seul d’onze hectares de vergers, dont six appartiennent à sa sœur et aux enfants de son frère décédé, partis s’installer en Allemagne.

Face aux récriminations de la jeune femme, Sururi encaisse avec tristesse. « Mon seul rêve, ce serait de pouvoir leur construire un bel endroit où ils pourraient vivre confortablement. Mais je ne peux pas, je n’ai pas d’argent », s’excuse-t-il. « L’an dernier, pour la première fois de ma vie, j’ai dressé mon bilan financier au centime près. Et j’ai découvert que j’avais perdu de l’argent, 3 000 livres turques [490 euros]. Mes revenus se sont élevés à 52 000 livres turques [8 455 euros] pour 55 000 livres turques [8 945 euros] de dépenses. »

Pour le paysan, le bilan de 2018 n’avait rien d’exceptionnel. « Une fois tous les six ou sept ans, on a une bonne année, soit parce qu’il y a eu des gelées chez les autres et qu’on peut vendre nos noisettes plus cher, soit parce que le gouvernement a annoncé un prix de base correct », explique-t-il. « Mais le reste du temps, on parvient tout juste à survivre. C’est comme ça que ma vie s’est passée. »

Le constat de Sururi est très largement partagé par les autres cultivateurs de la région, qui décrivent une dégradation progressive de leurs revenus. Fonctionnaire à Fatsa, une ville de 100 000 habitants dans le département d’Ordu, Hakan[1] possède six hectares de noisetiers, qui lui assurent une production de cinq à six tonnes de noisettes par an.

« Il y a 30 ans, un type qui produisait une telle quantité de noisettes pouvait tenir l’année et, en plus, payer le mariage d’une de ses filles tous les deux ou trois ans », commente-t-il. « Aujourd’hui, je ne pourrais pas m’en sortir si je n’avais pas un travail à côté. » Pour cause de ses maux, le fonctionnaire-paysan désigne le pouvoir grandissant des grands négociants turcs et des multinationales dans la détermination des prix. « On produit 70 % des besoins mondiaux de noisette, mais la principale bourse qui détermine le cours de la noisette est à Hambourg, en Allemagne. Pourquoi ? » s’interroge-t-il.

Face aux exportateurs – une trentaine de firmes, dont cinq captent le plus gros du marché – et aux acheteurs européens, la myriade de petits exploitants fait en effet peu de poids. Le secteur compte entre 430 000 et 500 000 exploitations, selon les sources, pour 700 000 hectares de vergers. Soit une taille moyenne de 1,4 à 1,6 hectare par exploitant. « Mais quand on ôte les 70 000 plus gros propriétaires, la moyenne tombe à 0,8 hectare, de quoi produire à peine quelques centaines de kilos de noisettes », précise Özer Akbasli, ancien président de la chambre d’agriculture de Giresun et propriétaire d’un verger de 10 hectares.

L'économiste du travail  Saniye Dedeoglu explique cet émiettement de la propriété par un particularisme régional : « Les gens ici ne vendent pas leur verger parce que leurs grands-parents y sont enterrés. Du coup, année après année, les parcelles deviennent de plus en plus petites au fil des partages entre héritiers. »

Mais cette production en mode patchwork a une conséquence. « L’émiettement a atteint un tel niveau que la rentabilité des noisetiers a cessé d’être un enjeu parce que, de toute façon, les producteurs ont déjà dû trouver une autre activité qui assure le plus gros de leurs revenus », indique la chercheuse.

« Notre problème, c’est que seulement 12 % des paysans vivent vraiment de la noisette. Les 88 % restants sont paysans 15 jours par an. Le reste du temps, ils sont policiers, pharmaciens ou journalistes », résume Özer Akbasli. « En septembre, ils doivent rentrer en ville, faire la rentrée des gamins. Stocker les noisettes pour vendre à un meilleur prix ne les intéresse pas. »

Si l’impuissance des paysans trouve des causes dans la sociologie locale, elle est aussi le fruit des politiques agricoles mises en œuvre par le gouvernement turc depuis le tournant libéral des années 1980, à commencer par le démantèlement progressif de la puissante coopérative des producteurs de noisettes, Fiskobirlik, qui jouait un rôle de premier plan dans la détermination des prix.

Principal acheteur sur le marché, la coopérative a été créée en 1938, au moment où l’État turc développait la culture de la noisette. Forte de plus de 200 000 membres, elle disposait de ses propres entrepôts de stockage, de ses usines de cassage des coques, de ses fabriques de pâte à tartiner et de chocolat à la noisette, qui lui permettaient d’alimenter le marché intérieur et d’exporter des produits affinés, à plus forte valeur ajoutée.

Plusieurs réformes successives, visant à libéraliser le secteur, ont cependant réduit Fiskobirlik à un rôle d’acteur secondaire, criblé de dettes. « La grande rupture a eu lieu en 2006, quand le gouvernement a arrêté les achats via Fiskobirlik et a fait entrer en action à sa place le Bureau des semences de Turquie (TMO) », une administration d’État, sous le contrôle du ministère de l’agriculture, retrace Umut Kocagöz, un thésard travaillant sur l’organisation des producteurs de noisettes. « Auparavant, l’État exerçait déjà un contrôle sur la coopérative, mais celle-ci continuait quand même de réguler les prix dans l’intérêt des paysans. »

La nouvelle institution a vite démontré qu’elle avait une compréhension différente de sa mission, achetant des noisettes en quantité limitée et les libérant sur le marché à un moment inopportun si l’on se place dans une logique de soutien des cours. « L’an dernier, le TMO a annoncé son prix d’achat à la mi-octobre, alors que tous les paysans avaient déjà vendu leurs récoltes », donne pour exemple Hakan, de Fatsa.

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[1] Un nom d’emprunt, l’intéressé, en raison de son statut de fonctionnaire, n’a pas le droit de s’exprimer publiquement.

Une libéralisation destructrice

Avec la mise hors-circuit de Fiskobirlik, la plupart des agriculteurs, qui ne disposent pas de leurs propres capacités de stockage, sont par ailleurs contraints de mettre la part invendue de leur récolte en dépôt-vente auprès des manav, le premier échelon des acheteurs, se privant de la capacité de jouer sur les cours.

Cette année, le prix d’achat des noisettes par le TMO a été solennellement annoncé fin juillet par le président Recep Tayyip Erdogan en personne, à 16,5 livres turques (2,7 euros) le kilo avec coques. Et cette fois encore, il a déçu les paysans. « Avec ce prix, je n’ai aucune chance de vivre de ma production », commente Atalay Kesikoglu, enseignant à la retraite et propriétaire de deux hectares de vergers à Bulacak. « Je continue de produire uniquement pour empêcher que la forêt n’avale les vergers. » Le syndicat Fistik-Sen a évalué à 15,82 livres turques le coût de production moyen d’un kilo de noisettes et réclame un prix de vente de base de 27,67.

« Depuis que Fiskobirlik n’est plus capable d’acheter une part importante de la production, ce sont les entreprises qui définissent les règles du marché », conclut Abdullah Aysu, président du syndicat paysan Ciftçi-Sen. « L’action du TMO ne sert pas à maintenir un niveau élevé de prix, mais à offrir des prix bas aux entreprises. »

Le fait que la paternité de la réforme de 2006 soit attribuée par de nombreux observateurs à Cüneyd Zapsu, qui était à cette époque un des principaux conseillers d’Erdogan, alors premier ministre, mais aussi le dirigeant d’une des trois plus grandes firmes d’exportation de noisettes du pays, Balsu, semble étayer la thèse du syndicaliste.

Au premier rang des entreprises bénéficiaires de ces prix bas figure bien sûr Ferrero, de loin le premier acheteur de noisettes sur le marché turc, au point d’être accusé par de nombreux acteurs du secteur de vouloir en prendre totalement le contrôle.

La culture du secret est bien installée dans le groupe et bloque l’accès à des informations précises sur son approvisionnement. Interrogée par Mediapart sur les quantités de noisettes achetées en Turquie et sur ses entreprises partenaires, la firme italienne a éludé la question, évoquant « une quantité significative » et des « sources multiples », comprenant « des manav [petits acheteurs locaux], d’autres compagnies locales et des exportateurs ».

Selon un rapport publié en mars 2019 par la chambre des agronomes (ZMO), Ferrero s’assure en Turquie 65 % de son approvisionnement, ce qui correspond à plus de 30 % de la production turque – une hypothèse basse de l’avis de plusieurs sources interrogées. Le groupe a pris une envergure inédite en Turquie avec le rachat, en 2014, d’un des trois plus grands exportateurs turcs de noisettes, Oltan Gida, devenu Ferrero Findik. Répondant par écrit à Mediapart, il a par ailleurs admis qu’un autre membre du trio de tête des exportateurs turcs, Balsu, « est un de [ses] fournisseurs traditionnels ».

Le rachat d’Oltan Gida a permis à Ferrero de pénétrer en profondeur le marché turc de la noisette et d’atteindre directement les petits revendeurs, une position qui lui offre un avantage concurrentiel par rapport aux autres acheteurs internationaux. « Cette année, Ferrero va me prendre directement des noisettes en coque. En me les achetant en avance, il assure son approvisionnement avant que le TMO ne décide d’acheter et de stocker », indique ainsi Kurtulus Bas, manav à Bulancak.

Le jeune homme, par qui transitent chaque année entre 1 500 et 2 000 tonnes de noisettes, s’inquiète par ailleurs des pressions que fait peser la firme italienne sur les petits revendeurs. « Pour fonctionner, les manav ont besoin d’emprunter aux banques, et les taux d’intérêts sont élevés », indique-t-il. « Aujourd’hui, Ferrero est dans une telle position de domination qu’il peut leur proposer des tarifs d’achat inférieurs à ce que ces derniers paient aux producteurs, et certains vont accepter parce qu’ils ont des emprunts à rembourser. »

Questionné sur le prix d’achat des noisettes qu’il pratique en Turquie et ses conséquences sur les conditions de vie des travailleurs saisonniers, le groupe dit assumer toutes ses responsabilités sociales, à travers des initiatives comme « la construction d’unités de logement décents et humains pour les travailleurs agricoles saisonniers » et la formation de certains d’entre eux à « des sujets divers incluant les conditions de travail et de logement, le travail des enfants et des jeunes, la discrimination, les premiers soins, l’hygiène, les équipements de protection, les accidents du travail et les blessures ».

La holding aux 94 entreprises et au chiffre d’affaires de 10,7 milliards d’euros en 2018 met surtout en avant son programme de valeurs agricoles (FFV), qu’elle applique depuis 2012 en Turquie dans le but « d’encourager le secteur de la noisette à adopter [les] meilleures pratiques, pour parvenir à un business model plus résilient et durable qui crée de la valeur pour toutes les parties impliquées ».

Ce programme passe notamment par la multiplication de vergers-modèles, actuellement au nombre de 65, bénéficiant d’un soutien technique plus important pour faire croître leur rendement de 80-100 kilos à 250 kilos par hectares. « Le programme [FFV] implique une équipe de 120 personnes, dont nos agronomes et nos experts sociaux qui […] ont approché à ce jour 42 000 paysans », affirme Ferrero.

Mais c’est bien ce programme qui inquiète le plus les producteurs, qui y voient un pas supplémentaire dans l’installation d’un pouvoir hégémonique. « Ferrero se comporte comme s’il avait pris la place du ministère de l’agriculture », assène Kutsi Yasar, le président de Findik-Sen. « Ses équipes vont dans les villages, distribuent des sacs de jute, des engrais, des pesticides, des cartes avec lesquelles les paysans peuvent acheter du fuel. De cette façon, il crée une dépendance. »

Le syndicaliste dénonce par ailleurs le « recours massif » aux produits chimiques dans les vergers donnés en modèle aux paysans locaux. L’inquiétude est partagée par Refik Aslan, le seul producteur de noisettes bio du département de Giresun. « Ici, même si les paysans ne font pas dans l’organique, ils pratiquent quand même une agriculture naturelle, avec peu de pesticides », explique le paysan. « Mais Ferrero veut produire beaucoup et vite, en utilisant des pesticides et des engrais chimiques, avec une vision à court terme. Ce n’est pas bon pour nos sols et pour nos arbres. »

Selon un acteur local connaissant de près Ferrero, les bons apôtres du groupe italien ont une autre mission, sur laquelle le groupe se garde de communiquer. « Avec ses agronomes, Ferrero détermine, champ par champ, la production à venir. Les données qu’ils recueillent sont analysées en corrélation avec celles de 17 stations météo dont dispose l’entreprise en Turquie », affirme cette source, parlant sous le couvert de l’anonymat. « C’est une information d’une valeur inestimable. »

La même source s’inquiète par ailleurs du risque que fait peser le groupe italien sur les exportateurs turcs, dont le nombre a déjà diminué de moitié au cours des deux dernières décennies. « Ferrero achète des noisettes pour lui-même, mais il en vend aussi aux autres grandes firmes européennes, comme Nestlé », révèle-t-elle. « Et avec son assise financière, il peut tuer tous ses concurrents turcs, qui, eux, ont besoin de crédits pour mener leurs activités. »

Abdullah Aysu, le président de Ciftçi-Sen, arrive la même conclusion. « Ferrero ne peut pas racheter les vergers à cause de leur émiettement et de la myriade d’ayants droit, mais il peut en prendre le contrôle. Pour y parvenir, il va s’efforcer de devenir le seul acheteur possible », estime le syndicaliste, qui voit dans la réactivation de la coopérative de producteurs l’unique recours contre l’installation d’un monopole.

 

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23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 05:49

 

Le groupe Casino compte ouvrir son hypermarché d’Angers le dimanche après-midi en ayant recours à des caisses automatiques. La CGT dénonce un dumping social.

Ouvrir toujours plus longtemps les magasins reste une obsession pour les poids lourds du commerce. Fin août, c’est l’hypermarché Géant Casino d’Angers (Maine-et-Loire) qui sera accessible aux clients le dimanche après-midi… sans salariés ou presque. « Trois agents de sécurité et une ou deux animatrices devraient être mobilisés pour aider les gens à se servir des caisses automatiques », explique Jean Pastor, délégué syndical central CGT Géant Casino.

Un non-sens économique et social

Une manière de contourner la réglementation, la loi n’autorisant les commerces à dominante alimentaire à n’ouvrir que jusqu’à 13 heures le dimanche, en dehors d’autorisations municipales ou préfectorales ponctuelles. « Et comme les agents de sécurité et les animatrices – qui sont affiliées à la convention collective du spectacle, même si c’est pour faire du travail de caissière – ne bénéficient pas de notre majoration de 50 % pour le travail dominical, cela coûtera moins cher à la direction que de prendre du personnel Géant », précise le syndicaliste, ajoutant que ces salariés seront employés par des entreprises sous-traitantes.

Si le groupe Casino avait déjà testé des ouvertures dominicales ou nocturnes sans employés dans certains de ses supermarchés, c’est la première fois qu’une enseigne de la grande distribution décide d’ouvrir un hypermarché dans de telles dispositions. Symptomatique de la guerre permanente pour les parts de marché entre les leaders du secteur, cette nouvelle extension des heures d’ouverture des très grandes surfaces ne devrait même pas générer d’activité supplémentaire substantielle.

Mardi, à l’antenne de BFM TV, l’expert du secteur de la consommation, Olivier Dauvers, prophétisait d’ailleurs l’échec de ce modèle : « Ouvrir sur de grandes amplitudes horaires, cela va finir par coûter trop cher et les groupes vont se rendre compte que le jeu n’en vaut pas la chandelle, à part pour des effets de communication », expliquait-il, anticipant « un chiffre d’affaires tellement minable que ça n’apportera pas grand-chose à la vie économique du magasin ».

Comme toujours, les défenseurs des fermetures dominicales rappellent que les clients n’achèteront pas plus parce que le magasin offre des plages plus importantes. « Le chiffre d’affaires qui sera réalisé le dimanche après-midi sera du chiffre en moins un autre jour de la semaine », résume Jean Pastor. Le but semble donc uniquement de concurrencer les autres enseignes. « Cela va rompre l’équilibre avec les petits commerçants, et les deux hypermarchés Carrefour de la ville ont déjà annoncé qu’ils ouvriraient désormais le dimanche matin. Le résultat, c’est un véritable dumping social », déplore le syndicaliste, qui s’inquiète de la vitesse de propagation de ces logiques. « Il y a quelques mois, le Géant d’Angers n’ouvrait même pas le dimanche matin », se souvient-il. Une tendance que dénoncent également les élus locaux. « L’ouverture des hypermarchés le dimanche matin est une mauvaise idée. Le dimanche après-midi, une très mauvaise idée », a lancé sur Twitter le député écologiste et ex-LaREM Matthieu Orphelin.

« Qu’une grande surface veuille ouvrir le dimanche après-midi sans son personnel relève d’un non-sens économique et social. Cette décision participe à une surenchère dont personne ne sortira gagnant, car une société déshumanisée n’a pas d’avenir », a de son côté condamné Christophe Béchu, maire de droite d’Angers. Pour contrer cette décision, la CGT appelle tous les opposants à manifester devant le Géant de la ville, le dimanche 25 août, à 11 heures, jour de la mise en œuvre de ces nouveaux horaires.

Loan Nguyen

 

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23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 05:46
L'INDUSTRIE DU FUTUR : VERS UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ? ("Progressistes" - revue PCF - Avril mai juin 2019)
L'INDUSTRIE DU FUTUR : VERS UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ? ("Progressistes" - revue PCF - Avril mai juin 2019)
L'INDUSTRIE DU FUTUR : VERS UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ? ("Progressistes" - revue PCF - Avril mai juin 2019)
L'INDUSTRIE DU FUTUR : VERS UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ? ("Progressistes" - revue PCF - Avril mai juin 2019)
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23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 05:42
URGENCE CLIMATIQUE : FAIRE BOUGER LES CHOSES POSITIVEMENT ("Cause Commune" - Juillet Août 2019 - Revue d'action politique du PCF)
URGENCE CLIMATIQUE : FAIRE BOUGER LES CHOSES POSITIVEMENT ("Cause Commune" - Juillet Août 2019 - Revue d'action politique du PCF)
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23 août 2019 5 23 /08 /août /2019 05:12

 

Le chef de l’État a placé ce G7 sous le signe de la lutte contre les inégalités. Un comble pour Attac, pour qui Emmanuel Macron est en train d’abattre un par un tous les mécanismes de solidarité. Entretien avec Aurélie Trouvé, Porte-parole d’Attac France.

«Ensemble, éteignons les sept brasiers du capitalisme ! » C’est main dans la main avec les mouvements basques que l’association Attac organise le contre-G7, abandonnant ainsi son université d’été cette année. Une centaine de conférences et d’ateliers sont prévus pour débattre de capitalisme, de féminisme ou encore d’environnement, avant une manifestation, le 24 août.

 

Le contre-G7 ouvre aujourd’hui. Qu’en attendez-vous ?

AURÉLIE TROUVÉ On veut s’opposer à un monde incarné par sept chefs d’État se retrouvant dans une ville bunckerisée, avec un dispositif policier et militaire ahurissant. Sept chefs d’État qui vont discuter, enfermés, de politique au service des plus riches et des multinationales. Nous voulons y opposer un autre monde, ancré dans le territoire, pluriel, ouvert et revendicatif. Contre leurs voix, il y a des mouvements sociaux qui s’élèvent, à commencer par les alternatives locales, concrètes, et les mouvements du pays Basque. À la fin du contre-sommet, nous souhaitons la tenue d’une assemblée citoyenne et la rédaction d’un texte qui définisse les grandes mobilisations de la rentrée.

 

Depuis le G7 de Gênes, en 2001, où des centaines d’altermondialistes furent réprimés, ces sommets sont marqués par des affrontements. Celui-ci fera-t-il exception ?

AURÉLIE TROUVÉ La première violence que nous craignons, c’est la violence des forces policières. Car nous avons mis en œuvre toutes les conditions pour que cela se passe le mieux possible, avec un consensus d’action publique très clair, fondé sur des mobilisations déterminées mais pacifiques. Nous avons prévu sur place un service de médiation, avec des militants expérimentés qui interviendront afin que ce consensus soit respecté. Maintenant, la balle est dans le camp des forces de l’État. On a vécu ces dernières années des répressions extrêmement graves contre les manifestants, et nous espérons que ce n’est pas ce qui sera donné à voir aux caméras du monde entier.

 

Que pensez-vous du fait qu’Emmanuel Macron affiche comme objectif de ce sommet « la lutte contre les inégalités » ?

AURÉLIE TROUVÉ C’est d’un cynisme incroyable. Ce G7 est quand même accueilli par un chef d’État dont la politique ultralibérale aggrave profondément les inégalités. Il a décidé d’une redistribution fiscale au service des plus riches comme on en a rarement vu en France, et il est en train d’abattre un par un tous les mécanismes de solidarité. C’est ce chef d’État-là qui entend s’ériger aux yeux du monde comme le grand défenseur de la planète et des droits sociaux. Il est hors de question de le laisser faire.

 

Contre les inégalités qui se creusent, que proposez-vous ?

AURÉLIE TROUVÉ Nous ne pouvons pas penser la réponse aux inégalités sans penser à l’urgence écologique. Nous proposons la mise en place d’un grand plan aux niveaux local et national, afin de développer massivement les transports en commun, des services publics de proximité et de qualité, et les énergies renouvelables. Nous défendons également une taxation des multinationales et de la finance beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. Cet argent, une fois récupéré, doit servir à la fois à cette transition écologique et à la solidarité entre les peuples. Car, pour nous, fin du monde et fin du mois, c’est un même combat.

Entretien réalisé par Philippine Ramognino

 

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22 août 2019 4 22 /08 /août /2019 05:39

 

Bien avant la rentrée du gouvernement, mercredi, le chef de l’État a multiplié les messages politiques.

Installé au fort de Brégançon depuis trois semaines, Emmanuel Macron n’a toutefois pas cessé d’envoyer des cartes postales aux Français. Au cours d’un séjour évidemment « studieux », a fait savoir l’Élysée, Emmanuel Macron a sacrifié au ­rituel du ­président-comme-un-autre avec une escapade pour ­savourer une pizza et un colonel en dessert, là encore en toute simplicité très travaillée.

Visite de Vladimir Poutine

Ce samedi, Emmanuel Macron doit également participer à une cérémonie plus informelle, célébrant la libération de Bormes-les-Mimosas, occasion d’un moment « convivial » avec les habitants, selon l’Élysée. Les vacances du président prendront fin la semaine prochaine, avec une rentrée diplomatique en recevant, lundi, au fort de Brégançon, le président russe Vladimir Poutine.

Il s’est pourtant agi, hier, de la ­première sortie officielle depuis le début de ses vacances, hormis un bref aller-retour à Tunis pour ­assister aux funérailles du prési­dent tunisien Béji Caïd Essebsi, et une visite le 28 juillet à l’abbaye du ­Thoronet. Là encore, une discrète « carte postale », adressée cette fois à l’électorat catholique. Un sondage Ifop réalisé pour la Croix au ­lendemain des élections européennes signalait un bascu­lement de l’électorat catholique, délaissant la droite pour voter majoritairement (37 %) pour la liste de la ­majorité (LaREM-Modem), portée par ­Nathalie Loiseau. Un taux qui ­montait même à 43 % chez les pratiquants.

Soigner l’électorat catholique

Avec le discours au collège des Bernardins en avril 2018, puis la rencontre avec le pape François deux mois plus tard, jusqu’à son implication personnelle après ­l’incendie de Notre-Dame en avril dernier, Emmanuel Macron s’est montré régulièrement attentif à un catholicisme pourtant en perte de vitesse, « zombie » même selon l’expression d’Emmanuel Todd. Mais tout ce qui lui permet de ­siphonner l’électorat de droite est bon à prendre. En témoigne, incidemment, l’invitation faite à ­Nicolas Sarkozy d’assister hier à la commémoration. Les deux hommes s’étaient déjà affichés ensemble sur le plateau des Glières en mars dernier.

Lionel Venturini

Pas d’allusion à l’actualité politique dans son discours commémorant, hier, le 75e anniversaire du débarquement de Provence, à Saint-Raphaël (Var). Tout juste a-t-il lancé un appel « aux maires de France » pour que les rues honorent mieux les soldats africains de la Libération. Un appel qui ne mange pas de pain et tranche surtout avec sa politique ­envers les migrants : pas de quoi le réconcilier avec la gauche. C’est que le chef de l’État regarde, en fait, ailleurs.

 

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22 août 2019 4 22 /08 /août /2019 05:38

 

Ministre de l’Air du Front populaire, cet homme de loyauté et de courage n’a pas hésité à contourner la politique de non-intervention de Léon Blum en organisant la livraison de bombardiers à la République espagnole.

Pierre Cot (1895-1977), c’est l’histoire d’un fervent catholique au départ homme de droite devenu militant pour la paix et contre le fascisme, pour des relations respectueuses avec l’Union soviétique et acteur déterminant de l’aide à l’Espagne républicaine. Il avait perçu le putsch de Franco, soutenu par Hitler et Mussolini, comme une répétition générale avant la tragédie qui allait suivre. Pour toutes ces raisons et son compagnonnage avec le Parti communiste, il affrontera des campagnes de dénigrement inspirées par le patronat et la droite, et des accusations, notamment celle d’être un agent soviétique. Accusations par la suite définitivement démenties.

En avril 1928, Pierre Cot est élu député de Chambéry. À l’occasion de la campagne électorale, il a noué de solides liens d’amitié avec un certain Jean Moulin, alors sous-préfet à Albertville. Il s’impose parmi les réformateurs du parti radical et est nommé sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, puis ministre de l’Air. Il se distingue alors dans les dossiers de l’aéronautique civile et de l’armée de l’air. Il œuvre à la nationalisation de l’industrie aéronautique et fait de son ministère un véritable laboratoire social. Et surtout, ministre du Front populaire, il est l’artisan du contournement de la politique de non-intervention, organisant avec son équipe la livraison d’avions et d’armes à la République espagnole. Une sacrée équipe : Jean Moulin et Jean Meunier, respectivement directeur et chef du cabinet, et Robert Chambeiron au secrétariat particulier. Pour ces hommes, la politique de non-intervention en Espagne est un crime et une faute. Aussi vont-ils faire tout leur possible pour venir en aide aux républicains espagnols.

Robert Chambeiron, dans un entretien recueilli par Claude Lecomte pour l’Humanité en novembre 1996, révélait :

« Le premier appel au secours venu d’Espagne a été, le 22 juillet 1936, un télégramme du président du Conseil, José Giral, à Léon Blum. Celui-ci était d’accord pour y répondre favorablement sur la base des accords franco-espagnols de décembre 1935 qui prévoyaient la possibilité pour ce gouvernement d’acheter des armes à la France à concurrence de 20 millions de francs. Demandes bien modestes puisqu’elles consistaient en 20 bombardiers Potez, 10 mitrailleuses, 8 canons Schneider. Immédiatement, Pierre Cot préparait cette livraison, sans rien prélever sur les stocks de l’armée française, contrairement aux calomnies de la droite, mais sur un matériel destiné à des clients étrangers. Mais très rapidement, Blum va commencer à faiblir et à reculer. »

Léon Blum a cherché un dérivatif en tentant de contourner l’obstacle avec une livraison par l’intermédiaire de pays tiers comme le Mexique. Nouvelle opposition d’Édouard Daladier et d’Yvon Delbos en Conseil des ministres. Seuls trois ministres se sont prononcés jusqu’au bout pour l’aide à l’Espagne : Pierre Cot, Maurice Viollette, Marx Dormoy. Pierre Cot a suggéré alors de démissionner. « Je crois même qu’il en a parlé à Blum, mais ce sont les Espagnols qui s’y sont opposés, préférant voir à Paris ce gouvernement plutôt qu’une droite qui fermerait totalement la frontière », précisait Robert Chambeiron.

Il s’installe à Alger en juin 1943

Jean Moulin va particulièrement s’occuper du recrutement d’aviateurs comme André Malraux, ainsi que du passage des brigadistes à la frontière. D’autres hommes vont jouer un rôle important : Gaston Cusin, futur commissaire de la République à la Libération, qui était au cabinet de Vincent Auriol, ministre des Finances, patron donc des douaniers et qui prit avec eux les mesures pour que les armes soviétiques arrivées au Havre transitent par la France sans encombre. « Ce n’est pas par hasard que tous se retrouveront dans la Résistance », poursuivait Robert Chambeiron.

Après avoir clairement choisi le camp de la Résistance, tenté de rejoindre de Gaulle, qui le rejeta, et un séjour aux États-Unis, Pierre Cot s’installe à Alger en juin 1943. Il est désigné pour participer à l’Assemblée consultative provisoire. S’ouvre alors le dernier temps de son parcours politique. Élu en Savoie à la tête d’une liste d’Union des gauches à la seconde Constituante, puis député de Savoie en novembre 1946 sur une liste de même nature, il s’inscrit au groupe des députés communistes et apparentés.

Pierre Cot sera député jusqu’en 1968, maire jusqu’en 1971 et conseiller général jusqu’en 1973. Il restera dans l’Histoire comme une personnalité profondément ancrée à gauche, un homme de devoir, de loyauté et de courage.

José Fort

 

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22 août 2019 4 22 /08 /août /2019 05:36

 

Le chômage et les retraites à bas coût sont le lot de plus en plus commun de soignants, en établissement ou à domicile, poussés à la porte par leur entreprise lorsque leur santé se dégrade à la suite d’un accident du travail.

Il fut un temps où travailler dans le bâtiment et les travaux publics n’était pas bon pour la santé. Désormais, ce sont les métiers de l’aide à la personne, en institution ou à domicile, qui détiennent le record des accidents du travail et des maladies professionnelles. Samira (1) en est la preuve. Elle a démissionné avant d’en arriver là, alors que chacune de ses journées s’achevait sur des crises de larmes. Cette jeune aide-soignante en Ehpad a rendu sa blouse une dizaine de jours seulement avant d’être titularisée. Dans l’établissement où elle travaillait, en CDD depuis quatre ans, elle courait en permanence. Elle se voyait confier des gestes interdits comme distribuer les médicaments aux patients, une tâche normalement dévolue aux infirmières. Les forces lui manquant, le sentiment de maltraiter les résidents a eu raison de sa vocation. Elle est partie « faire un break », rechercher une nouvelle orientation professionnelle avant que le mal-être ne la ronge plus avant.

Dans les Ehpad, les aides-soignantes et infirmières sont peu nombreuses « au lit des malades », comme elles disent. De 22,8 postes par tranches de 100 places dans les structures privées à but lucratif à 36,7 dans les structures publiques. 15 % du personnel ont moins d’un an d’ancienneté. 63 % des établissements reconnaissent l’existence de postes non pourvus depuis plus de six mois, selon la Drees, un service interministériel d’études et statistiques sur les questions sanitaires et sociales. Des chiffres qui signent l’évidence de conditions de travail dégradées.

Les employeurs ne reclassent plus, ne proposent plus de postes adaptés

La fréquence des accidents du travail dans le secteur du BTP a diminué de plus de 3 % pour atteindre 56,8 accidents pour 1 000 salariés, mais elle poursuit sa hausse dans le secteur de l’aide et des soins à la personne, avec un indice de fréquence de 52,8 dans les Ehpad, et jusqu’à 97 pour 1 000 dans le secteur de l’aide à domicile, selon le dernier bilan de la Sécurité sociale. Celle-ci confirme que les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les chutes  sont le plus souvent à l’origine de ces accidents. Samira s’est protégée, mais nombreuses sont ses collègues qui, trop âgées ou parce qu’elles élèvent seules leurs enfants, ne peuvent se permettre d’aller voir ailleurs. Lorsqu’elles sont fatiguées, blessées, leurs dossiers atterrissent de plus en plus souvent sur les tables des commissions de réforme. Ces commissions statuent sur le sort des salariés qui ne peuvent plus exercer leur métier, ou que partiellement. Malika Belarbi, responsable CGT, défend les intérêts de ces salariés dans l’une d’elles, en région parisienne : « Les employeurs ne reclassent plus. Ils ne proposent plus de postes adaptés. Ils ont trouvé la parade pour se séparer de leurs salariés reconnus inaptes : la retraite pour invalidité. C’est une véritable mode. En 2014, la commission examinait un ou deux dossiers de retraite pour invalidité par an, pour un âge moyen de 55 ans. Depuis 2017, deux voire trois dossiers par mois nous sont soumis pour des salariés de plus en plus jeunes. Compte tenu de leur carrière courte et hachée, ces retraités se retrouvent avec des pensions misérables. »

C’est ce qu’a vécu Ourdia, ancienne aide-soignante à domicile, gravement blessée par le chien agressif d’un malade : « J’avais 61 ans lors de mon accident de travail. Je ne pouvais pas prétendre à une retraite à taux plein. J’ai donc refusé, et j’ai perdu 1 000 euros par mois durant cette période. Je voulais continuer de travailler, mais mon employeur ne m’a jamais proposé de poste adapté. Je suis désormais à la retraite mais en mauvaise santé. »

Les commissions de réforme ont plusieurs cordes à leur arc pour maintenir le salarié dans l’entreprise. Les reconversions professionnelles, l’aménagement du poste de travail ou la proposition d’un nouveau poste en font partie. Mais, là encore, le reclassement se passe rarement à la faveur du professionnel devenu inapte à son poste. Et plus encore depuis la récente réforme du Code du travail. « Avec les ordonnances Macron, l’employeur dispose d’un mois pour reclasser un salarié sur tout le territoire national. Si le reclassement s’avère impossible, le licenciement est enclenché, y compris en cas de refus de mobilité géographique. Ce sont les articles L12-26-2 et 12-26-10 », explique vivement Malika Belarbi. Une situation vécue par une aide-soignante de l’hôpital Foch à Paris, licenciée à la suite d’une inaptitude médicale causée par un accident du travail. La direction lui a proposé un poste en Bretagne alors qu’elle vit et élève ses trois enfants en Île-de-France.

Mais les employeurs ne sont pas les seuls à se montrer peu diligents à l’égard des salariés accidentés. Selon Malika Belarbi, « la Sécurité sociale rejette de plus en plus les dossiers d’accidents de travail, prétendant des guérisons ou des séquelles sans lien avec les accidents. Ainsi, l’usure due à l’âge a motivé le rejet de la prise en charge des problèmes de dos d’une aide-soignante consécutifs à un accident ».

Opérée plusieurs fois, Claudine a vécu la « dégringolade sociale »

Les parcours qui aboutissent au licenciement ou à la retraite en invalidité sont, de plus, extrêmement difficiles et douloureux, souvent très longs, jalonnés d’expertises et de contre-expertises, surtout lorsque salarié et employeur ne parviennent pas à se mettre d’accord. Le récit de Claudine, ex-aide-soignante dans le service long séjour d’un grand hôpital parisien, en témoigne. Son accident du travail remonte à juillet 2013. Ce matin-là, qui marque la fin de sa carrière professionnelle, un patient hémiplégique avait réagi d’un geste vigoureux aux soins qu’il n’avait pas envie de subir. « Cela arrive, mais l’homme était fort et moi beaucoup moins. J’ai été blessée au bras et à l’épaule », raconte-t-elle. L’accident de travail est reconnu. Comme elle est opérée plusieurs fois, son arrêt de travail se prolonge, tandis que son salaire est d’abord amputé des heures supplémentaires et des week-ends durant lesquels, comme tous les soignants, elle était amenée à travailler, puis il est tout bonnement divisé par deux. « C’est la dégringolade sociale, la dépression, deux tentatives de suicide », raconte-t-elle. C’est une procédure judiciaire qui lui a permis de recouvrer ses droits. Elle aura 60 ans dans quelques semaines. Désormais en retraite, elle doit vivre avec moins de 500 euros par mois.

(1) Les prénoms ont été changés.

Sylvie Ducatteau

 

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22 août 2019 4 22 /08 /août /2019 05:33
L'ESSOR DE L'ULTRA DROITE EN EUROPE ET LES ELECTIONS EUROPÉENNES ("Cause Commune" - Juillet Août 2019 - revue d'Action politique du PCF)
L'ESSOR DE L'ULTRA DROITE EN EUROPE ET LES ELECTIONS EUROPÉENNES ("Cause Commune" - Juillet Août 2019 - revue d'Action politique du PCF)
L'ESSOR DE L'ULTRA DROITE EN EUROPE ET LES ELECTIONS EUROPÉENNES ("Cause Commune" - Juillet Août 2019 - revue d'Action politique du PCF)
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