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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 05:42

Daniel Bertone, secrétaire général CGT d’Aéroports de Paris nous détaille 4 raisons qui justifient de s’opposer à la privatisation du groupe ADP. La question n’est pas de savoir si on est pour ou contre mais bien d’ouvrir le débat sur le service public aéroportuaire aux citoyens, souligne-t-il.

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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 05:41
18 août 1944, il y a 75 ans : Libération du camp de Drancy (Robert Clément)

Occupés par les troupes allemandes en juin 1940, les lieux servent de camp d’internement pour des prisonniers de guerre et des civils étrangers. C’est sous leur impulsion que la Préfecture de police y crée le 20 août 1941 un camp destiné aux Juifs. 4 230 hommes dont 1 500 Français, raflés à Paris entre le 20 et le 25 août, sont les premiers internés juifs du camp de Drancy.

Le camp devient à partir de mars 1942 le camp de rassemblement et de transit en vue de la déportation de tous les Juifs de France, ce qui lui confère un rôle majeur dans les persécutions antijuives perpétrées en France pendant la Seconde Guerre mondiale. 63 convois sont formés et partent de la gare du Bourget-Drancy jusqu'en juillet 1943 puis de la gare de Bobigny. Ils emmènent au total 65 000 personnes vers les camps d’extermination, principalement vers le camp d’Auschwitz-Birkenau.

Durant les périodes les plus intenses, et notamment dans la deuxième moitié de l’année 1942, deux voire trois convois par semaine sont formés au camp de Drancy. Le camp est alors surpeuplé, les installations sont insuffisantes et les nouveaux arrivants manquent de tout. Au plus fort des rafles, le camp compte environ 7 000 détenus alors que sa capacité théorique est de 5 000 places. Le comble de la détresse est atteint dans la deuxième quinzaine d’août 1942. Arrivent alors à Drancy, en provenance des camps du Loiret, les enfants de 2 à 12 ans qui ont été séparés de leurs parents le mois précédent.
A partir de l’été 1942, les départs rythment la vie à Drancy. À partir du 19 juillet 1942, les déportations se succèdent au nombre de trois par semaine. Elles offrent toutes un spectacle désolant. Durant l’été 1942, une atmosphère de terreur permanente règne à Drancy. Les larmes, les crises de nerfs sont fréquentes et l’on assiste à plusieurs suicides par défenestration. La veille du départ d’un convoi, les détenus déportés sont fouillés et dépouillés de tout ce qui peut avoir un prix. Ils sont ensuite enfermés dans les chambres attribuées aux « déportables » (les trois premières cages d’escalier) jusqu’à l’aube. De là, des autobus viennent les chercher pour les conduire à la gare de Bobigny ou du Bourget où ils sont entassés dans des wagons à bestiaux qui sont ensuite scellés.

À partir de juin-juillet 1943, un commando de S.S. autrichiens, avec à sa tête Aloïs Brunner, prend en charge l’administration du camp jusqu’alors confiée à la Préfecture de police – la gendarmerie assure cependant la surveillance générale de 1941 à 1944 – et y institue une administration violente et un renforcement de la discipline tout en procédant à des aménagements matériels. Brunner fait tout ce qu’il peut pour rafler le plus grand nombre de Juifs, jusqu’à charger des internés de convaincre des Juifs de sortir de la clandestinité et de rejoindre Drancy, faute de quoi leur famille internée à Drancy sera déportée immédiatement.
Le dernier convoi à destination d’Auschwitz part le 31 juillet 1944. Le 17 août 1944, en pleine débandade de l’armée allemande, Brunner arrive à organiser le départ du dernier convoi dont 39 personnes réussiront à s’échapper avant l’entrée en Allemagne. Le 18 août 1944, 1 467 prisonniers sont libérés après l'arrivée du représentant diplomatique suédois et de membres de la Croix rouge. Plus de 80 000 Juifs auront été détenus à Drancy, entre mai 1941 et août 1944, à 4 kilomètres de Paris.

 

18 août 1944, il y a 75 ans : Libération du camp de Drancy (Robert Clément)
18 août 1944, il y a 75 ans : Libération du camp de Drancy (Robert Clément)
18 août 1944, il y a 75 ans : Libération du camp de Drancy (Robert Clément)
18 août 1944, il y a 75 ans : Libération du camp de Drancy (Robert Clément)
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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 05:38

En dépit de toutes les conventions et accords internationaux, les expulsions de réfugiés vers Khartoum se poursuivent en 2019 alors que la situation au Soudan est toujours très tendue. De plus, ces renvois forcés sont organisés avec la collaboration de la junte soudanaise.

Il est 14 h 15 le samedi 3 août quand les fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) conduisent Rami, un réfugié soudanais de 29 ans, à l’aéroport de Roissy. Les policiers le font monter à bord d’un Airbus A330 de la compagnie Turkish Airlines. Destination Khartoum, la capitale du Soudan, après un changement à Istanbul. Arrêté en Indre-et-Loire le 5 juillet, Rami était depuis enfermé au Centre de rétention administrative (CRA) de Rennes en Ille-et-Vilaine.

Lors du seul appel qu’il parvient à passer vers la France, Rami affirme avoir été maintenu bâillonné et menotté durant tout ce premier vol. C’est ce que raconte son amie Françoise, la dernière personne à lui avoir parlé. « Il les a suppliés de ne pas le renvoyer et il a été maîtrisé très brutalement. J’ai réussi à lui parler au téléphone avant qu’il ne descende de l’avion. Il avait très peur », rapporte-t-elle, bouleversée. Ces pratiques violentes ont déjà été observées lors de précédentes expulsions.

Rami est issu de l’ethnie Berti, une minorité de la région du Darfour, dans l’est du Soudan. Il affirme être le petit frère d’un militant du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), un parti rebelle. Au cours de l’été 2008, les services de renseignements soudanais arrêtent son frère à Khartoum. Il n’est jamais réapparu. D’après le témoignage qu’il a fourni pour soutenir sa demande d’asile, Rami a lui-même été arrêté et torturé en 2013. Le régime le soupçonnait de sympathie pour le JEM. Cet épisode le conduira à prendre la fuite pour rejoindre l’Europe.

Depuis décembre 2018, le Soudan connaît en outre un mouvement de contestation sans précédent. La répression du régime a fait d’innombrables victimes. Actuellement, le maintien de l’ordre est assuré par les Forces d’appui rapide (RSF), créées en 2013 et issues des milices janjawids, qui ont participé à la politique génocidaire du régime au Darfour et commis de nombreux crimes de guerre.

 

Débouté de l’asile, Rami est parvenu à déposer in extremis une demande de réexamen auprès de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lors de son arrivée au CRA. La procédure de réexamen n’étant pas suspensive de la mesure d’éloignement, Rami demeure expulsable. Les officiers de protection de l’OFPRA l’entendent par visioconférence le mercredi 31 juillet et Rami est expulsé dès le samedi suivant. La mesure de rétention administrative à son encontre prenait fin le lendemain de cette expulsion.

Les membres de la Cimade, seule association présente dans le CRA de Rennes pour proposer du soutien juridique, ne cachent pas leur exaspération. « Vendredi soir, quand j’ai parlé à Rami avant de partir du centre, il n’avait toujours pas eu le courrier de l’OFPRA », se désole Paul Chiron, membre de la Cimade. La préfecture d’Indre-et-Loire affirme que l’OFPRA a rendu son refus le 1er août. Elle concède ne pas l’avoir notifié à Rami. Ce dernier n’a donc pas eu la possibilité d’exercer son droit de recours.

L’expulsion de Rami n’est pas un événement isolé. D’après l’Office de statistique de l’Union européenne, 75 personnes ont ainsi été renvoyées par la France vers le Soudan en 2018 en dépit des conventions internationales que Paris a signées. Quarante-cinq d’entre elles ont fait l’objet d’un retour forcé. Sollicité, le ministère de l’intérieur n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart.

À l’autre bout de la France, le 9 juillet, la police interpelle deux réfugiés d’origine soudanaise et les emmène au Centre de rétention administrative de Coquelles dans le Pas-de-Calais. La préfecture prononce deux obligations de quitter le territoire (OQTF) à leur encontre et entreprend d’organiser leur expulsion.

Un premier vol est prévu le soir du 9 août à 22 h 15 sur un appareil d’Ethiopian Airlines. L’homme de 24 ans que la préfecture du Pas-de-Calais souhaite expulser n’a jamais vu le pays vers lequel l’avion doit le conduire. Il est né en Libye. Ces parents sont eux-mêmes des réfugiés soudanais.

Le jeune Soudanais fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention (JLD), qui prolonge sa rétention. L’audience est fixée le 9 août à 13 heures. Dans la matinée, l’administration informe le greffe de la cour d’appel de Douai que le réfugié embarquera le soir même. Les fonctionnaires de police ne prennent pas la peine de le conduire à l’audience. Une attitude qui n’est pas du goût des magistrats. À 15 h 40, dans une ordonnance que Mediapart s’est procurée, ces derniers dénoncent « une violation des droits de la défense » et ordonnent la libération du jeune homme.

Contactée par Mediapart, la préfecture du Pas-de-Calais affirme qu’il « n’était pas matériellement possible de le présenter devant la Cour ». Dans sa décision, la justice estime quant à elle qu’il « était loisible à l’administration de le déferrer et d’attendre sa décision ».

Le second Soudanais est toujours enfermé au CRA de Coquelles. La préfecture du Pas-de-Calais a d’ores et déjà réservé un vol, sans escorte, ce mercredi 14 août à 22 h 15. Direction Khartoum.

Une politique menée avec le concours du régime soudanais

Samedi 3 août, il est 23 h 03. Le Boeing 737 dans lequel Rami et son escorte sont montés après leur escale à Istanbul se pose finalement à Khartoum. Avant de descendre, Rami parvient à passer un ultime appel téléphonique en France. « Il m’a dit que la police l’attendait sur le tarmac », sanglote Françoise. Ce sont les dernières informations dont disposent les personnes qui soutiennent Rami. Le jeune homme n’a plus donné aucune nouvelle par la suite.

Mohamed Alasbat, le porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (APS), fer de lance de la contestation du régime, dénonce des expulsions qu’il estime injustes et inhumaines. « En ce moment, on ne sait pas ce qui arrive aux gens qui sont expulsés. Auparavant, ils les mettaient en prison et certains d’entre eux étaient tués. Maintenant, la situation est floue avec la transition d’un régime à l’autre, expose-t-il à Mediapart. Mais leur vie est toujours en danger en cas de retours. »

Plusieurs réfugiés soudanais interrogés par Mediapart expriment leur inquiétude et jugent les expulsions actuelles plus dangereuses encore que les précédentes. En cause, la perte d’influence des anciens cadres du régime et la présence, à l’aéroport de Khartoum, d’éléments des Forces d’appui rapide.

Amnesty International réclame pour sa part un moratoire sur la question. « Pour nous, la situation dans le pays reste imprévisible », explique Keani Vonge, du programme de protection des populations d’Amnesty International. « L’accord conclu entre les civils et les militaires pour organiser la transition est un accord qui reste très fragile. On continue à considérer qu’il y a des risques importants en cas de renvoi forcé. »

« En renvoyant des personnes vers le Soudan, la France viole le principe de non-refoulement. Nous considérons que les renvois vers le Soudan sont illégaux au regard du droit international », affirme Keani Vonge. Pour Amnesty International, l’expulsion de Rami contrevient au principe édicté par la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies. Celle-ci interdit le refoulement d’un réfugié vers un territoire sur lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées. Un principe repris par la Convention contre la torture de l’ONU et la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Confrontée à ces accusations, la préfecture d’Indre-et-Loire rétorque que Rami n’était pas bénéficiaire du statut de réfugié et n’était plus considéré comme demandeur d’asile. La préfecture du Pas-de-Calais utilise le même argument. Or, si la convention de Genève précise bien que ce principe s’applique aux réfugiés, ce n’est pas le cas des deux autres textes.

En 2015, dans deux arrêts simultanés (A.A. et A.F. contre la France), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’expulsion d’une personne vers le Soudan violait l’article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants. En l’occurrence, les plaignants, deux militants du JEM, n’étaient ni bénéficiaires du statut de réfugié ni demandeurs d’asile.

Ces renvois sont rendus possibles par la collaboration entre l’État français et les autorités consulaires du régime de Khartoum. Ainsi, dès le 10 juillet, quatre jours après son arrivée au CRA, les autorités du Soudan auditionnent Rami dans leur consulat à Paris. Une semaine plus tard, elles lui délivreront un laissez-passer consulaire d’une validité d’un mois. Le sésame nécessaire à la police de l’air et des frontières pour reconduire Rami sous bonne escorte au Soudan.

La préfecture d’Indre-et-Loire assure que Rami n’était pas considéré comme demandeur d’asile au moment de cette audition. Sa demande de réexamen n’est effectivement déposée que le lendemain. La préfecture a donc présenté Rami aux diplomates du régime dont il disait être victime alors même que le délai imparti pour demander à nouveau l’asile n’était pas écoulé.


La préfecture du Pas-de-Calais emploie le même procédé. Les représentants du régime de Khartoum à Paris auditionnent également les deux réfugiés soudanais enfermés à Coquelles. Alors qu’ils affirment tous deux avoir refusé de répondre au personnel diplomatique soudanais, celui-ci délivre deux laissez-passer permettant leur expulsion par la France. La préfecture du Pas-de-Calais invoque également l’absence de demande d’asile pour justifier cette démarche.

À la lumière de ces expulsions, l’image d’une France accueillante pour les Soudanais qui fuient la junte de Khartoum doit être nuancée. En 2018, le taux d’attribution de l’asile dépasse bien les 80 % et le nombre total des Soudanais protégés atteint 14 700 d’après le dernier rapport d’activité de l’OFPRA. Mais, dans le même temps, le nombre de Soudanais déclarés irréguliers et faisant l’objet d’une décision leur imposant de quitter le territoire s’élève à 1 455. Parmi ces personnes, on compte 85 femmes et 135 mineurs. Tous risquent l’expulsion vers Khartoum où leur liberté et leur vie sont menacées.

 

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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 04:56

 

Il va être au cœur des discussions du contre-G7 qui s’ouvre ce mercredi à Hendaye. L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, ratifié par l’Assemblée nationale le 23 juillet, fera venir dans nos assiettes un bœuf nourri avec des substances interdites en Europe.

Il a suscité la colère des agriculteurs au moment de sa ratification en plein cœur de l’été : en Saône-et-Loire, dans le Cantal, en Corrèze et dans la Creuse, des députés ont été pris à partie, l’un d’eux a vu sa permanence murée, des éleveurs se sont rassemblés pour protester ici et là. Le Ceta, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, déjà en vigueur depuis dix-huit mois (il a été voté par le Parlement européen en février 2017) et approuvé côté français par l’Assemblée nationale le 23 juillet, a suscité une vive opposition du côté des deux principaux syndicats agricoles. FNSEA et Confédération paysanne ont dénoncé tous deux, malgré leurs divergences de fond, un accord dangereux pour notre alimentation et notre environnement.

À l’heure où le contre-sommet du G7 s’ouvre à Hendaye pour faire émerger des alternatives et des solutions face à l’urgence climatique et aux traités de libre-échange en amont du rassemblement des sept puissances les plus riches de la planète ce week-end, Mediapart a décidé de décrypter le volet alimentaire de cet accord canado-européen, tant l’impact va être lourd dans nos assiettes et sur notre environnement.

Trois filières, en particulier, sont concernées : la filière bovine – avec l’ouverture, pour les Canadiens, d’un quota de 64 750 tonnes de viande exemptées de droits de douane –, la filière porcine – 75 000 tonnes de viande exemptées de droits de douane –, et la filière du froment – 100 000 tonnes.

Les filières de production européenne ne sont pourtant pas en manque, et le développement du commerce international est en contradiction totale avec l’urgence de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais la portée du Ceta va encore plus loin. Les standards de la production bovine outre-Atlantique n’ont en effet rien à voir avec ceux du continent européen. Les conséquences ne sont pas anodines : en termes de bien-être animal, d’impact sanitaire, de biodiversité et de lutte contre le changement climatique, l’importation de viande de bœuf canadienne va bousculer les équilibres agroalimentaires européens, pourtant déjà largement perfectibles en matière de préservation de l’environnement.

Car la production canadienne repose sur un modèle intensif poussé à l’extrême : deux tiers des exploitations bovines comptent plus de 10 000 bêtes. Une échelle incomparable avec la taille des fermes en France où l’on trouve, en moyenne, 60 à 70 vaches. Ces exploitations, que l’on appelle outre-Atlantique les feedlots, parquent les bêtes les unes sur les autres dans des zones d’engraissement à ciel ouvert, hiver comme été. Nul pâturage dans ces fermes industrielles, mais de la boue et du maïs OGM qui constitue 80 % de l’alimentation (on peut s’en faire une idée dans cette vidéo réalisée en 2014 par Interbev, association interprofessionnelle qui représente et défend les intérêts de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire de la filière bovine). Le transport du bétail pose aussi question : en Europe, l’acheminement à l’abattoir est limité à quatre heures de trajet. Au Canada, où il n’existe aucun texte législatif sur la question du bien-être animal, la limite est de huit heures.

Autre problème majeur de la production bovine canadienne : les substances ingurgitées par l’animal. Si le modèle agricole européen, développé depuis des décennies par les pouvoirs publics et encouragé par la PAC (Politique agricole commune), reste adossé à un schéma productiviste qui a déjà fait d’innombrables dégâts, il faut reconnaître que prises de conscience, épidémies et scandales agroalimentaires ont, depuis une vingtaine d’années, fait évoluer la législation. Rien de tel au Canada, où un total de quarante-six substances actives interdites en Europe sont utilisées comme pesticides dans la chaîne de production.

L’une de ces substances, c’est l’atrazine, un herbicide interdit dans l’UE depuis 2003. Diagnostiqué comme ayant des effets néfastes dans le développement de l’embryon humain par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et quelques années plus tard par l’université de Berkeley en Californie, il est massivement utilisé dans la filière bovine canadienne pour sa fonction d’« activateur » qui permet aux bêtes de prendre plus de poids plus rapidement.

Autres substances interdites dans l’élevage européen : les farines animales. Contrairement à ce qu’assurent le gouvernement et les défenseurs de l’accord, rien n’est dit, dans le Ceta, sur le respect de l’interdit européen concernant le bœuf importé. Perspective d’autant plus inquiétante que l’Agence canadienne d’inspection des aliments a confirmé le 19 juillet à l’agence de presse Agra Presse que la législation canadienne autorisait l’utilisation de certaines protéines de ruminant dans l’alimentation de ces mêmes ruminants, comme les farines de sang et la gélatine.

Cela va à l’inverse du principe de non-cannibalisme de la production européenne, imposé en France et en Europe après le scandale de la vache folle à la fin des années 1990. Le règlement sur l’alimentation du bétail au Canada, lui, n’a pas changé depuis 1983 et les farines animales y sont bel et bien autorisées, comme on peut le constater sur le site de la législation canadienne.

Les antibiotiques s’ajoutent à cette longue liste de substances problématiques. Non pas que ceux-ci soient interdits dans les élevages français, mais ils y sont limités à un usage thérapeutique, alors qu’au Canada ils sont également utilisés comme activateurs de croissance, ce qui ne se fait plus en Europe depuis 1996. En outre, les bêtes ne peuvent être conduites à l’abattoir moins de quatre mois après leur dernière absorption d’antibiotiques. Il n’existe pas de telle règle au Canada.

Incohérences

Bref, le bœuf qui arrive dans nos supermarchés grâce au Ceta n’est pas du tout produit dans les mêmes conditions que sur le continent européen, et l’UE ne pourra pas imposer ses normes de production à son partenaire d’outre-Atlantique. D’ailleurs, Ottawa et Washington n’ont jamais caché leur ambition de contester les règles européennes, qui, à leurs yeux, entravent le commerce international. Après l’interdiction européenne du bœuf aux hormones américain, les deux pays avaient ainsi obtenu de l’organe de règlement des différends de l’OMC, en 2008, qu’il autorise des sanctions commerciales contre l’UE. Sanctions par la suite suspendues en l’échange de l’octroi aux États-Unis de quotas exemptés de droits de douane… Les deux pays, avec d’autres, formulent aussi régulièrement des critiques vis-à-vis de la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens.

Il n’y a finalement qu’un point dans le Ceta sur lequel le Canada s’engage, il s’agit l’utilisation d’hormones. Bœufs et porcs à destination de l’UE ne pourront pas avoir été nourris aux hormones et aux anabolisants. Cela implique le développement d’une filière spécifique pour l’exportation, tant la production en Amérique du Nord repose massivement sur ces substances.

Comment vérifier que ce mince engagement est respecté ? Le Ceta, comme l’accord commercial à venir avec le Mercosur (entériné en juillet à Bruxelles par la Commission sortante), prévoit la possibilité de contrôle de la chaîne de production canadienne par les autorités européennes. Mais ces contrôles seront organisés en collaboration avec les autorités locales, donc ils n’auront rien d’inopiné ni d’indépendant. Pour la FNB, l’Institut français de l’élevage bovin, ce n’est donc pas une garantie suffisante. L’organisme pointe en outre le manque de moyens du côté des services sanitaires européens pour contrôler la viande à l’arrivée.

D’autant qu’il est difficile de déterminer les substances ingurgitées par l’animal quand on est face à des conteneurs de viande transformée… Et dans l’Hexagone comme en Europe, il y a déjà bien des abus qui échappent aux contrôles. « On ne peut pas vérifier sur de la viande découpée si elle a été traitée aux hormones. C’est quelque chose qu’on ne peut voir que sur des animaux vivants », assure Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, joint par Mediapart.

Pourtant différents rapports avaient alerté à temps sur les conséquences néfastes du Ceta et sur ses aberrations vis-à-vis des règlements européens. L’un d’eux, que l’on peut difficilement attribuer à un lobby ou à une prise de position radicale, le rapport Schubert, commandé il y a deux ans par le gouvernement et rédigé par une commission d’universitaires, relevait : « Rien n’est prévu dans l’accord Ceta en ce qui concerne l’alimentation des animaux (utilisation de farines animales et de maïs et soja OGM, résidus de pesticides…), l’utilisation des médicaments vétérinaires (notamment des antibiotiques) en élevage, le bien-être des animaux (élevage, transport et abattage). »

La longue étude concluait, entre autres, sur le risque d’influence grandissante des lobbies dans la décision publique avec le mécanisme de coopération réglementaire entre l’UE et le Canada, au caractère illusoire des contrôles sanitaires, et à la nocivité du traité pour le climat. On y lisait : « On peut regretter que cet accord de nouvelle génération ne prenne pas mieux en compte les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et de développement durable en promouvant de manière ambitieuse la mise en place de systèmes agroalimentaires locaux et territorialisés, reliant consommateurs et producteurs en limitant les besoins de transformation et de transport des denrées alimentaires. »

Si on regarde d’un peu plus près les engagements de Paris et de Bruxelles en matière climatique, sanitaire ou alimentaire, les incohérences du traité sont à vrai dire innombrables. Accord de Paris, États généraux de l’alimentation, déclarations politiques… Le Ceta va à l’encontre de tous les affichages de ces dernières années.

Ainsi selon la loi votée à l’issue des États généraux de l’alimentation à la fin de l’année dernière : il est interdit, dit l’article 44, « de proposer à la vente […] en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation ». Et que dire de l’objectif affiché par l’article 24 qui instaure un seuil de 50 % de production locale dans la restauration collective ?

Quant à Emmanuel Macron, il déclarait, un mois avant la ratification du Ceta, à l’occasion du centenaire de l’Organisation internationale du travail : « Je ne veux plus d’accords commerciaux internationaux qui alimentent le dumping social et environnemental, et en tant que dirigeant européen, je le refuserai partout où je n’aurai pas les garanties sur ce point. »

Derrière le Ceta, ce sont en réalité deux philosophies radicalement différentes de la production animale qui s’affrontent : en Europe, on privilégie le principe de précaution et la traçabilité tout au long de la chaîne, tandis qu’au Canada et aux États-Unis, c’est l’étape finale qui est privilégiée : la décontamination et le contrôle du produit. Autrement dit, si la bête répond aux critères sanitaires au moment de l’abattage, quel que soit ce qu’elle a vécu ou ingurgité au cours de son cycle de vie, elle pourra arriver sur les étals de supermarché.

Changer de logiciel

« On n’imaginait pas le Canada avec des méthodes à des années-lumière de ce qui se fait en Europe, lâche Patrick Bénézit. Si un exploitant français se mettait à pratiquer les méthodes d’élevage canadiennes, il irait en prison. D’un côté, nos agriculteurs sont sous pression pour faire de la production de qualité et respectueuse de l’environnement, et de l’autre on fait rentrer, avec cet accord, de la merde sur nos marchés… Ça ne passe pas. »

Au-delà de la défense d’un type de production à la française, la FNSEA fait surtout valoir un argument économique : la filière bovine, déjà en difficulté, va souffrir encore davantage de l’importation de viande d’un autre continent. Surtout, celle-ci, bien meilleur marché que le bœuf européen en raison de coûts de production deux fois moins élevés, va tirer les prix à la baisse. La vente d’aloyau, pièce noble du bœuf qui fournit les entrecôtes, filets et autres faux-filets, risque d’être touchée en premier lieu, car le marché nord-américain, très tourné vers le steak haché, est moins friand que nous de cette partie la plus rémunératrice de la bête (elle représente le tiers de la valeur d’une carcasse). D’après Interbev, le prix de revient de l’aloyau en Europe est de 13,70 euros le kilo tandis qu’il est de 8,60 euros au Canada.

Christian Arvis, secrétaire de la FDSEA (section départementale de la FNSEA) de la Creuse, département agricole où 80 % des exploitants sont des éleveurs bovins, pointe les contradictions de la majorité présidentielle, pour laquelle il avait pourtant voté en 2017, espérant « que cela allait faire bouger un peu les choses ». Le député qui a porté le Ceta à l’Assemblée nationale, Jean-Baptiste Moreau, est précisément l’élu de sa circonscription : un ancien éleveur bovin qui fut le président de sa coopérative. « C’est pourtant quelqu’un qui connaît le terrain ! Il a perdu ses racines. C’est devenu un politicard. Est-ce qu’il vise une place au gouvernement ? »

Les critiques de la FNSEA sont toutefois à prendre avec des pincettes, tant le syndicat majoritaire a défendu pendant des décennies une agriculture française d’exportation. Or qui dit exportation dit traités commerciaux et dit importations. Difficile d’avoir l’un sans l’autre… La confédération à laquelle appartient la FNSEA au niveau européen, la Copa Cogeca, est d’ailleurs toujours favorable au traité de libre-échange avec le Canada.

Reste que l’impact économique du Ceta n’est pas négligeable. Une étude d’Interbev réalisée en 2015 fournit à ce titre une base intéressante. À l’époque, l’étude portait sur l’impact conjugué des deux traités alors en cours de négociation, le Ceta et le TTIP – l’accord de libre-échange avec les États-Unis, abandonné depuis. Mais les volumes pris en compte, 200 000 tonnes de viande bovine, correspondent aujourd’hui à peu de choses près au cumul entre Ceta, accord UE-Mercosur en cours de ratification (99 000 tonnes), et accord UE-Mexique (20 000 tonnes). L’association de la filière bovine française concluait sur un total de 30 000 exploitations menacées, soit 1/5e des éleveurs bovins de l’Hexagone.

Plus que les quantités proprement dites, c’est l’effondrement des prix consécutif à l’importation d’aloyau qui fera disparaître les exploitations. Or dans ce secteur, les éleveurs peinent déjà à dégager un revenu annuel entre 10 000 et 20 000 euros, et le manque de fourrage entraîné par trois années de sécheresse dans certains départements rend la situation particulièrement tendue. Cerise sur le gâteau : les quotas du Ceta peuvent être réévalués par l’UE à tout moment sans négociation avec les États membres, et d’autres traités commerciaux à venir prenant modèle sur cet accord vont continuer à augmenter les volumes.

Pour toutes ces raisons, la Confédération paysanne tient un discours bien plus général que la seule opposition au Ceta. Selon elle, c’est le principe même des accords de libre-échange et notre modèle de production qui sont à revoir. « Chacun regarde les accords de libre-échange en fonction de son propre intérêt, dénonce ainsi Olivier Thouret, éleveur bovin et caprin et co-porte-parole de la Conf’ dans la Creuse. Selon nos dirigeants, même si le secteur bovin en pâtit, le Ceta serait globalement favorable à la France, donc il faut être pour. Comme si la France était au centre du monde ! C’est un raisonnement purement économique. Mais si on est tous d’accord aujourd’hui sur le diagnostic du changement climatique, il faut changer de logiciel. Il ne s’agit pas juste de mieux travailler pour mieux respecter l’environnement. Il faut se mettre dans la logique de la transition écologique. »

Nicolas Girod, porte-parole du syndicat au niveau national, renchérit : « Le Ceta reste dans ce modèle d’agriculture industrielle basée sur les échanges et le produire plus et moins cher. Pourtant, on est actuellement dans un moment de convergence : d’un côté les altermondialistes et ce que la Confédération paysanne défend depuis trente ans, et de l’autre, les jeunes mobilisés sur le climat. Le G7 pourrait marquer ce moment de basculement. »

Il y a tout juste vingt ans, en août 1999, le McDonald’s de Millau était démonté. Avec ce geste, la Confédération paysanne voulait dénoncer les décisions de l’OMC, la malbouffe et les effets de la mondialisation sur le monde agricole. Depuis, les dérèglements climatiques se sont dangereusement accélérés. Le Ceta, accord qui se prétend d’un nouveau type, fait l’effet d’un douloureux surplace.

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site frenchleaks.fr.

 

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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 04:52

 

À la veille du G7 de Biarritz, les signaux les plus alarmants s’accumulent sur la montée des risques de récession en Europe et aux États-Unis, alors que nombre de pays émergents sont d’ores et déjà frappés de plein fouet par une crise gravissime.

Les symptômes les plus alarmants surgissent sur l’état de santé de l’économie mondiale, à la veille de la réunion à Biarritz du petit groupe des sept puissances occidentales. Les spécialistes du Fonds monétaire international (FMI) revoient sans cesse à la baisse leurs prévisions de croissance planétaire. Ils l’ont ramenée à 3,2 % pour 2019, la réduisant de 0,1 point sur leur précédent pronostic publié en avril, lequel avait déjà été abaissé par rapport à celui de janvier qui avait déjà été revu en baisse sur son prédécesseur… Leurs homologues de la Banque centrale européenne (BCE) anticipent des résultats encore plus préoccupants à l’échelle du Vieux Continent.

On voit mal comment la première économie de la zone euro pourrait échapper à une entrée en récession en bonne et due forme (la répétition d’une croissance négative ce trimestre après celle enregistrée durant les trois mois précédents), elle, dont l’industrie manufacturière est déjà en récession depuis fin 2018. Même les États-Unis, qui semblaient échapper au coup de mou général en continuant d’afficher une expansion de près de 3 % de l’activité, devraient être contaminés à leur tour et plonger dans les affres d’une croissance négative au plus tard en 2021, affirment une majorité d’économistes dits d’affaire (voir notre édition du 20 août).

Pourquoi les pays émergents sont touchés de longue date

D’aucuns font mine de découvrir l’émergence simultanée de ces terribles signaux comme une surprise. Pourtant les symptômes du déclenchement d’une crise, non pas passagère, conjoncturelle, mais systémique, apparaissent déjà depuis plusieurs années. À l’origine de cet aveuglement : l’obstination, très partagée par les dirigeants du G7, à considérer que le salut passerait par un sauvetage coûte que coûte du processus de financiarisation de l’économie mondiale. Nous allons voir que c’est précisément lui qui empêche le changement copernicien, si crucial aujourd’hui pour le genre humain, de l’affectation de l’argent aux biens communs de l’humanité, comme à la lutte contre les dérèglements climatiques.

La crise, qui rejaillit de façon évidente désormais sur les centres névralgiques du système jusqu’en Europe et aux États-Unis, est déjà bien installée dans nombre de pays émergents. De la Turquie à l’Argentine, nombre de pays sont frappés de plein fouet par un effondrement de leur activité, avec à la clé une explosion de la pauvreté et un renforcement des inégalités, grand thème alibi de ce G7. Les fameux Brics (acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), présentés, il y a peu de temps encore, comme le cœur de la dynamique mondiale, ne sont pas épargnés. Tous se sont massivement endettés en dollars, profitant des taux nuls de la Réserve fédérale, la banque centrale états-unienne, pour financer de nouveaux investissements.

Seulement cette utilisation du billet vert, doté de telles prérogatives qu’il fonctionne, de fait, comme une monnaie commune mondiale, a depuis deux à trois ans des effets très pervers. Le processus de remontée des taux enclenché par la Fed à partir de décembre 2015 renchérit en effet mécaniquement le poids des dettes de ces pays, au point de les étrangler.

En conséquence, nombre de ces économies à l’arrêt ont réduit considérablement leurs achats en biens d’équipement ou en automobiles. Ce qui est directement en relation avec la récession qui paraît programmée désormais outre-Rhin. L’industrie germanique, tournée massivement vers l’export, voit se réduire très sensiblement ses carnets de commandes. Ce qui rend la situation d’autant plus préoccupante pour l’Allemagne, et derrière elle pour ses partenaires de la zone euro, que la consommation intérieure n’apparaît pas franchement en mesure de prendre le relais, compte tenu de la persistance d’un énorme secteur à bas salaire et de l’explosion des prix de l’immobilier et des loyers.

Le national-libéralisme de Trump and Co comme facteur aggravant

Parfois appréhendé comme une sauvegarde populiste ou (et) autoritaire de ce système global en crise, le national-libéralisme présente en fait toutes les caractéristiques d’un facteur aggravant qui pourrait au contraire précipiter rapidement le monde vers l’abîme. Les dumpings fiscal, social et environnemental pratiqués par Donald Trump ont déjà commencé à montrer leurs limites. Ils sont même entachés d’un effet boomerang déjà bien perceptible, si l’on en croit une majorité d’analystes états-uniens.

On a vu les incidences des privilèges du dollar. Ceux-là permettent, de fait, un endettement considérable de l’hyperpuissance, qui s’est notamment lancée dans une débauche inédite de dépenses militaires. De quoi rajouter des tensions internationales, voire des menaces de guerre à l’instabilité ambiante. D’autant que le président des États-Unis ne cache pas sa volonté d’imposer d’ici à la fin de l’année un nouveau deal commercial à la Chine en usant de toutes les cartes dont il dispose pour infléchir le rapport de forces.

Les enseignements, pas si vieux, du krach de 2007-2008, oubliés !

L’obsession à jouer dans la main de la finance – consensuelle parmi les dirigeants du G7 – est au cœur de la crise du système. Oubliés, les enseignements pourtant encore si frais du krach de 2007-2008. Pis, les nationaux-libéraux comme Donald Trump ou Boris Johnson, le petit nouveau du club des sept, très attendu à Biarritz, qui vient de faire son entrée au 10 Downing Street, ne croient qu’en de nouvelles dérégulations. Le président des États-Unis a déjà envoyé par-dessus bord les quelques timides garde-fous, les lois Dodd-Frank, instaurés en 2009 pour contenir l’influence des agioteurs et protéger les épargnants, consommateurs de services financiers. Et le premier ministre britannique entend mettre la City au diapason sur le Vieux Continent.

Résultat de cette soumission générale à la finance : les politiques développées partout à la suite de l’effondrement de 2008 pour réduire le loyer de l’argent, relancer le crédit et stimuler la croissance n’ont eu que peu d’effets sur l’activité réelle. L’utilisation de l’argent a été massivement détournée par les banques et les grands opérateurs boursiers vers des investissements réputés rapidement lucratifs. Ce qui contribue à l’accumulation de nouvelles bulles financières.

Le crédit gratuit n’est pas en soi une mauvaise recette. À condition cependant de mettre en place une sélectivité de l’accès à cet argent pour qu’il aille à l’économie réelle et ne soit plus confisqué par les marchés financiers. Si le G7 est bien incapable de penser un tel saut, les citoyens du monde y auraient, eux, tout intérêt.

Bruno Odent

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 05:35

 

Le G7 se réunit dans une ambiance de bunker à Biarritz du 24 au 26 août prochains. Le PCF dénonce un cadre illégitime à décider du destin de la planète. Le G7 réunit les fauteurs de guerre et d'austérité, les responsables de l'essor de la pauvreté et de l'absence de volonté de lutter contre le réchauffement climatique. Ce n'est ni chez les défenseurs du capitalisme financier et productiviste, ni chez les promoteurs des accords de libre-échange, ni chez les responsables de la fermeture des frontières contre les migrants, que les grands défis internationaux trouveront une solution dans l'intérêt des peuples.

Contre le G7 illégitime de Macron et des siens, pour le G195 des peuples et des nations !

Le PCF dénonce un cénacle obsolète et fermé qui ne représente même pas les plus grandes puissances économiques du monde d’aujourd’hui, sans la Chine, sans l’Inde, sans la Russie.
Les aménagements promis par la présidence française, promettant de lutter contre la pauvreté et de s'ouvrir à des États « associés », ne peuvent être que cosmétiques. La seule photographie est éloquente : d'Emmanuel Macron, le président des riches, à Donald Trump ; d'Angela Merkel, dont le gouvernement a donné le la des politiques austéritaires européennes, à Boris Johnson, qui représente ce que les conservateurs britanniques ont de plus droitier ; de Guiseppe Conte, chef d'un gouvernement en faillite mené de fait par l'extrême-droite, à Justin Trudeau, maître du greenwashing, et à Shinzo Abe, qui mène une politique ouvertement militariste, sans oublier Jean-Claude Junker et Donald Tusk, en fin de mandat et représentants des politiques européennes austéritaires et productivistes.

Le PCF dénonce une démonstration sécuritaire et répressive. La réunion du G7 est le prétexte à un déploiement policier et sécuritaire massif. Biarritz et une partie du pays basque français sont transformés en bunker.

Le PCF participe au contre-sommet d'Hendaye et d'Irun organisé par la plate-forme G7 EZ.
Marie-Pierre Vieu, membre de la direction du PCF, y sera présente. Nous appelons à participer à la manifestation à Hendaye samedi 24 août et à l'occupation pacifique de sept places du Pays-Basque le 25 août.


Les peuples n'ont pas besoin du G7. La crise climatique, sociale, économique, les risques de guerre, ne peuvent pas être solutionnés par ceux qui en sont responsables. On ne confie pas le camion du don du sang à Dracula !

L'heure est à une véritable initiative internationale portée par les peuples et les nations et consacrée aux urgences de la planète. C'est un véritable G195, sous l'égide de l'ONU, réunissant, à égalité, l'ensemble des membres de l'ONU auxquels il faut ajouter les peuples palestinien et sahraoui.

 

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 05:30

Lorsque la guerre éclate en juillet 1936, le poète chilien, alors consul à Madrid, défend la jeune République. Trois ans plus tard, en exercice à Paris, il est la cheville ouvrière de l’exil de plus de 2000 républicains embarqués à bord du Winnipeg.

Pablo Neruda a toujours soigné la part d’enfant qui était en lui, conscient que, sans cette insouciance, son existence ne serait pas entière. Le poète chilien, prix Nobel de littérature en 1971, perdait ­pourtant sa soif de vie à la seule évocation de l’Espagne et de la terrible guerre qui l’a ravagée, lorsqu’en 1936, Franco et des généraux félons ont renversé la jeune République et le Front populaire. Il a gardé de son vécu en ces terres martyrisées une ­blessure ouverte, un traumatisme jamais pansé qui a radicalement transformé sa poésie en réquisitoire politique.

À l’aube des années 1920, Ricardo Eliecer Neftali Reyes Basoalto, de son vrai nom, publie son premier roman, Crépusculaire, suivi de Vingt Poèmes d’amour et une chanson désespérée, avec lequel il rencontre un franc succès. Doté d’une impressionnante curiosité, il plonge dans son siècle où les révolutions et les réactions s’entrechoquent. Il intègre le corps diplomatique du Chili. Après des missions en Asie, il foule le sol espagnol en 1934, où il est nommé consul à Barcelone puis à Madrid. Il retrouve alors Federico Garcia Lorca, qu’il a connu un an plus tôt en Argentine, ainsi que les autres poètes de la Génération de 27, dont Rafael Alberti et Miguel Hernandez.

L’homme de lettres se mue en « barde d’utilité publique », selon son expression

Le coup d’État du 17 juillet 1936 le déchire. L’assassinat de son ami Lorca en août le mortifie. Neruda prend parti. Sa plume se métamorphose. « Madrid seule et solennelle / Juillet t’avait surprise avec ta joie (…) Un hoquet noir / De généraux, une vague / De soutanes rageuses / Rompit entre tes genoux / Ses eaux boueuses et leurs ruisseaux de fange. / Les yeux encore tout meurtris de sommeil / Avec un vieux fusil et des pierres, Madrid / Récemment blessée / Tu te défendis ». Madrid 1936 est l’un des poèmes qu’il écrit dès les premières heures sombres de la guerre. Il sera rassemblé dans le recueil l’Espagne au cœur, qu’il publie en 1937 à Santiago du Chili, où il a été contraint de rentrer. Son engagement aux côtés des « rouges » est vu d’un mauvais œil. Un an plus tard, l’ouvrage est édité en France où il est préfacé par Louis Aragon. En Espagne, les soldats républicains le font circuler sur du papier recyclé.

Pablo Neruda se mue en « barde d’utilité publique », selon son expression. « Vous allez demander : Où sont donc les lilas ? Et la métaphysique couverte de coquelicots ? Et la pluie qui frappait si souvent vos paroles les remplissant de brèches et d’oiseaux ? (…) Des bandits avec des avions, avec des Maures, des bandits avec des bagues et des ­duchesses, des bandits avec des moines noirs pour bénir tombaient du ciel pour tuer des enfants. (…) Vous allez demander pourquoi votre poésie ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles, des grands volcans de votre pays natal ? Venez voir le sang dans les rues, venez voir le sang dans les rues, venez voir le sang dans les rues ! » enrage-t-il dans J’explique certaines choses.

Relevé de ses fonctions de diplomate, il est l’un des fondateurs en 1937 du Comité ­hispano-américain de soutien à l’Espagne. Cette même année à Paris, il coordonne avec la poétesse anglaise Nancy Cunard Les poètes du monde défendent le peuple espagnol. À la faveur du gouvernement chilien de Front populaire qui remporta les élections en octobre 1938, Pablo Neruda est nommé consul à Paris l’année suivante. Son soutien aux républicains est indéfectible. Après trois ans de conflit monstrueux, les franquistes, soutenus par l’Allemagne nazie, s’érigent en maîtres. Aux premiers mois de 1939, c’est l’exode. Plus de 500 000 Espagnols franchissent les Pyrénées dans des conditions épouvantables. Leur accueil par les autorités ­françaises est tout aussi honteux. Grâce au soutien de l’exécutif chilien, du gouvernement espagnol en exil et du Parti communiste français, Pablo Neruda ­acquiert un vieux bateau, le ­Winnipeg. Le 3 août 1939, le bâtiment prend la mer en direction de Valparaíso avec à son bord plus de 2 000 républicains.

Bien des années plus tard, à Isla Negra, l’une des résidences de Pablo Neruda, située face à l’océan Pacifique, ils apposeront une plaque en hommage à celui qui a eu ­l’Espagne au cœur, conscient du drame mondial qui se tramait dans ce pays.

Cathy Dos Santos

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 05:29

 

Escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine, ralentissement économique mondial, monnaies, marchés financiers… : depuis le début du mois, les craquements du monde deviennent assourdissants. Ces événements qui se succèdent pourraient amener à une nouvelle crise. Récit de ces jours où l’ordre ancien se décompose en accéléré.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand les financiers brusquement redécouvrent l’attrait de l’or, quand ils sont prêts à perdre de l’argent pour le mettre dans des placements jugés sûrs, quand ils commencent à s’inquiéter de la liquidité sur les marchés, c’est que la mécanique financière est en train de se dérégler, que la peur est en train de gagner.

Depuis le début du mois d’août, le spectre d’une nouvelle crise est revenu planer. Des secousses de plus en plus fortes, de plus en plus fréquentes saisissent les marchés. Mercredi 14 août, Wall Street a connu sa plus forte chute depuis le début de l’année : − 3 % en une séance. Dix jours auparavant, le marché financier américain avait connu une baisse à peu près comparable, avant de se reprendre un peu.

 

Les signes de dérèglement les plus patents sont sur les marchés obligataires. Leur univers désormais est celui des taux négatifs, où l’argent ne vaut plus rien, où des banques font payer les déposants pour garder leurs avoirs. Mercredi, les derniers points de résistance se sont effondrés : les courbes des taux des obligations américaines et britanniques sont désormais inversées ; emprunter de l’argent à dix ans coûte moins cher qu’emprunter à deux ans. Cette inversion des courbes, qui n’est pas intervenue depuis 2007, est analysée comme un chat noir par le monde financier. Beaucoup y voient les signes annonciateurs d’une récession imminente.

Brusquement, les financiers prennent en compte des informations, à l’œuvre pourtant parfois depuis des mois, mais qu’ils avaient minimisées, négligées, voire superbement ignorées. La récession qui menace l’Allemagne et toute la zone euro, l’essoufflement de la croissance américaine, l’escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis, le ralentissement chinois, le conflit à Hong Kong, le Brexit, l’Argentine…

Tout devient source d’inquiétude et d’alarme.

Alors que les craquements du monde deviennent assourdissants, des flots de capitaux vont déjà se cacher dans les lieux censés être les plus sûrs. L’once d’or est ainsi revenue au-dessus de la barre des 1 500 dollars pour la première fois depuis 2013. Les signatures jugées sûres, comme celles de l’Allemagne, de la Suisse, de la Suède, de la France, sont recherchées, quel qu’en soit le prix. Toutes les obligations d’État allemandes et suisses, même au-delà de 30 ans, ont des taux négatifs. En d’autres termes, pour garder leurs avoirs en lieu sûr, les investisseurs acceptent de perdre de l’argent. La totalité des titres offrant des taux négatifs dans le monde est estimée désormais à 15 000 milliards de dollars.

« Pour l’instant, certains investisseurs restent encore sur la piste de danse, puisque l’orchestre joue encore. Mais ils se tiennent près de l’issue de secours, au cas où la musique s’arrêterait brutalement », écrivait il y a quelques jours un des chroniqueurs du Financial Times, résumant l’état d’esprit ambiant.

Et la musique risque de s’arrêter brutalement. Quand ? Comment ? Pourquoi ? Les analystes et les économistes avancent des hypothèses. Chacun a ses explications ou ses obsessions du moment : la Chine, le Brexit, Donald Trump, l’endettement privé. Mais tous dressent finalement un même constat : le système actuel est à bout de souffle.

L’addition de la crise non résolue de 2008, faute d’avoir voulu tirer les leçons des échecs qui l’avaient provoquée, et des remèdes qui y ont été apportés avec une débauche d’argent gratuit déversé dans le système financier par les banques centrales a contribué à créer une instabilité, des déformations économiques et des niveaux d’inégalité ingérables, sans parler des problèmes environnementaux. Le moindre grain de sable peut gripper la machine, la moindre étincelle mettre le feu aux poudres. Le moindre tweet, surtout.

C’est un tweet vengeur de Donald Trump, début août, qui a provoqué la nervosité actuelle. Furieux des décisions de la Fed, qui n’allait pas assez loin à son goût, le président américain a annoncé le 1er août une augmentation de 10 % des droits douaniers sur toutes les importations chinoises qui n’étaient pas encore taxées.

L’annonce a pris tout le monde de court, à commencer par Pékin. Mais elle était surtout à usage interne : « C’est la Fed et non la Chine qui est visée », analyse un éditorialiste de Bloomberg. En poursuivant l’escalade des tensions avec la Chine, le président américain veut forcer la main au président de la Réserve fédérale, avec lequel il est en conflit depuis l’automne, et l’obliger à baisser les taux directeurs américains, voire à renouer avec la politique de rachats de titres (quantitative easing) qu’elle a abandonnée depuis 2015.

Car Donald Trump est en campagne pour sa réélection. Il a besoin de présenter un bilan, prouvant que sa politique est la bonne, qu’avec lui, « America is back ». Or, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les formidables allègements fiscaux (baisse de l’IS de 35 % à 21 %, suppression des droits sur les capitaux rapatriés) qu’a consentis l’administration Trump aux grands groupes, pour les inciter à ramener leurs capitaux cachés dans les paradis fiscaux, n’ont pas eu les effets escomptés.

Selon les estimations, à peine 400 milliards de dollars sont revenus aux États-Unis. Les groupes se sont servis de cet argent pour augmenter leurs dividendes, racheter leurs actions mais pas pour investir et créer des emplois. Ce qui prouve à nouveau au passage l’inanité de la théorie du ruissellement, établie sur un coin de table par l’économiste Arthur Laffer.

Pendant ce temps, l’État américain a continué à s’appauvrir. En 2018, les recettes fiscales sur les entreprises ont diminué de 22 %, à 263 milliards de dollars, tandis que le déficit budgétaire américain se creusait de 17 % à 779 milliards de dollars. Pour les dix premiers mois de l’année fiscale en cours – l’année fiscale se termine fin septembre aux États-Unis, le déficit a encore augmenté de 27 % à 866,8 milliards de dollars. Il risque de dépasser allègrement les 1 000 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année.

Quand la Chine hausse le ton

Mais les résultats de Donald Trump sont encore plus piteux en matière de rééquilibrage commercial, avancé comme justification dans la guerre commerciale avec la Chine. Dans un récent article publié dans le New York Times, l’économiste Paul Krugman reprenait tous les chiffres de cette guerre commerciale lancée contre Pékin depuis un an. Ses conclusions sont implacables : « La guerre commerciale ne marche pas. Elle ne conduit pas aux résultats escomptés par Trump. »

À l’appui de sa démonstration, Paul Kurgman donne des chiffres : le déficit commercial avec la Chine augmente au lieu de baisser ; les débouchés américains, notamment pour les produits agricoles, se réduisent ; les entreprises n’ont pas ramené leurs activités aux États-Unis mais les ont déplacées vers d’autres pays comme le Vietnam ; et ce sont les consommateurs américains qui finalement doivent payer le prix des augmentations des tarifs douaniers imposés aux importations chinoises. 100 milliards de dollars seraient ainsi prélevés chaque année sur le budget des ménages américains, selon ses estimations.

D’où les pressions sur la Banque centrale américaine pour qu’elle renoue avec une politique monétaire non conventionnelle. Abaisser les taux dans une économie où tous les ménages empruntent à taux variable, c’est donner une bouffée d’oxygène immédiate aux consommateurs, leur donner le sentiment qu’ils regagnent du pouvoir d’achat. Déverser à nouveau des milliards, c’est soutenir un système financier et des marchés dopés à l’argent gratuit, c’est créer une apparence de richesse censée soutenir l’économie.

Rien ne prouve que les remèdes déjà utilisés maintes fois par la Fed auront cette fois les mêmes effets. Car ils sont devenus en partie la cause des malaises et des tensions actuelles. Mais ce n’est pas la préoccupation de Donald Trump : l’important est de donner l’illusion du succès de sa politique, d’une économie prospère. Au moins le temps d’une campagne électorale.

Ayant depuis le début de sa présidence institué le Dow Jones comme baromètre de sa politique, Donald Trump s’est alarmé de sa chute ces derniers jours. Comprenant peut-être qu’il avait été trop loin, il a annoncé le 13 août que la nouvelle hausse des tarifs douaniers pour les importations chinoises, prévue initialement pour début septembre, serait reportée à décembre. Un geste de bonne volonté dans l’espoir de trouver un accord commercial large avec Pékin, a expliqué le président américain. Dans les faits, il semble aussi que l’administration Trump ait pris conscience qu’une hausse brutale des tarifs, notamment sur tous les composants et produits électroniques, jusque-là épargnés, risquait de provoquer une rupture brutale pour les entreprises high tech.

Pendant une demi-journée, Donald Trump a pu se croire maître du monde : le Dow Jones s’est envolé. Le lendemain, la fête était finie : les marchés financiers mondiaux ont plongé durement, l’indice phare de Wall Street en tête. Avec sa mauvaise foi habituelle, Donald Trump s’est défaussé de toute responsabilité, accusant à nouveau dans un tweet vengeur le président de la Réserve fédérale d’être responsable de tout. Puis il a multiplié les déclarations à l’adresse de « son ami » Xi Jinping, lui proposant une rencontre pour régler les différends commerciaux entre les États-Unis et la Chine, et parler du sort de Hong Kong.

Il y a encore quelques mois, cette invitation aurait pu avoir quelque chance d’aboutir. Mais elle risque de rester lettre morte, désormais. Car le gouvernement chinois a changé d’attitude. Il ne cherche plus, comme il y a un an quand Donald Trump a pris ses premières sanctions douanières, à temporiser, à rappeler son attachement aux traités internationaux, à l’ordre international. Il est désormais décidé à défendre ce qu’il considère comme ses droits et ses ambitions, même s’il lui faut en payer un prix élevé.

Le monde a pris la mesure de ce durcissement le 5 août. Ce jour-là, le président Xi Jinping a annoncé sa riposte, en représailles aux nouvelles hausses douanières annoncées par les États-Unis. Non seulement la Chine ne reprendrait pas ses achats de soja américain, comme elle l’avait fait miroiter dans les négociations, mais elle laissait filer sa monnaie, permettant au yuan de passer pour la première fois sous le seuil symbolique de 1 dollar pour 7 yuans.


Contrairement à la plupart des pays, la Chine garde un contrôle étroit de sa monnaie : elle encadre les fluctuations du yuan dans un couloir de 2 %, autour d’un cours pivot. Malgré le ralentissement de l’économie chinoise depuis plus d’un an et les sanctions américaines, les autorités de Pékin ont veillé pendant tout ce temps à ne pas laisser tomber la valeur de la monnaie, afin de ne pas être accusées de manipuler leur monnaie en vue de soutenir leurs exportations et d’effacer les sanctions douanières américaines. Le yuan a perdu 10 % de sa valeur par rapport au dollar l’an dernier. Pour certains économistes et même le FMI, il aurait pu chuter beaucoup plus, compte tenu de la situation économique de la Chine.

Voir les autorités chinoises autoriser la monnaie à passer au dessus des 7 yuans, considérés comme la ligne magique par les marchés, et même fixer ironiquement par la suite le nouveau cours pivot à 7,0001 yuans pour un dollar, ne peut être lu que comme un signe politique. Pékin ne s’en cache même pas d’ailleurs. Dans un communiqué, la Banque centrale de Chine a expliqué que la chute du yuan était « due aux effets des mesures unilatérales et protectionnistes [américaines – ndlr] et aux prévisions à la suite des annonces tarifaires contre la Chine ».

« Ça s’appelle de la manipulation monétaire », s’est emporté Donald Trump, avant de s’en prendre à nouveau à la Fed. Dans la minute, tous les marchés ont commencé à dégringoler, s’alarmant de l’escalade des tensions entre La Chine et les États-Unis. « Les représailles de Pékin sont massives ; sur une échelle de 1 à 10, elles sont à 11. […] les mesures prises par Pékin ciblent directement la Maison blanche et semblent conçues pour avoir un impact politique maximum », dit Chris Krueger, responsable à l’institut de recherche Cowen.

Décomposition

Des économistes commencent à évoquer les risques d’une nouvelle guerre des monnaies, chaque pays tentant de soutenir son activité en pratiquant des dévaluations compétitives sur le dos des autres. Les souvenirs des effets dévastateurs des politiques suivies pendant les années 1930 sont rappelés à tous. La comparaison avec les événements de la « Grande Dépression » n’est toutefois pas totalement pertinente. Car il y a une dimension nouvelle par rapport aux années 1930 : la liberté totale de circulation des capitaux.

Chaque changement de taux, chaque mouvement de monnaie amènent dans les heures qui suivent des déplacements massifs de capitaux, qui, libres de tout mouvement, se déplacent à la vitesse de la lumière, pour trouver des places plus rentables ou spéculer sur les écarts entre les monnaies des uns et des autres. Cette masse de capitaux volants, qui a grossi dans des proportions gigantesques avec la création monétaire débridée depuis la crise de 2008, est désormais un facteur d’instabilité financière, économique et politique majeure, comme le prouvent les derniers événements en Argentine. La Chine n’est pas à l’abri de cette menace. Elle aussi doit gérer au plus près les risques de fuite de capitaux. D’autant que, malgré ses excédents commerciaux gigantesques, sa balance des paiements ne cesse de se détériorer et pourrait devenir négative dès cette année.

Mais il y a un autre facteur qui inquiète la planète financière dans l’attitude récente de la Chine. Le ton très dur adopté par Pékin, accompagné de campagnes ultranationalistes dans le pays, laisse entendre que la Chine est désormais déterminée à jouer sa partie, à défendre ce qu’elle considère comme ses intérêts et prépare sa population à accepter de lourds sacrifices, si cela s’avère nécessaire. L’approche coopérative que Pékin avait adoptée depuis 30 ans n’est plus de mise.

Or, le rôle de la Chine a été déterminant ces dernières années. Tout au long de la crise financière de 2008, Pékin a accepté de prendre des mesures extraordinaires pour stabiliser l’économie mondiale, injectant des centaines de milliards pour éviter l’effondrement de ses banques, mais aussi relancer la machine économique, soutenir une demande internationale. Rarement un gouvernement aura mis autant de moyens sur la table en temps de paix pour soutenir les équilibres précaires du monde, rappelle l’historien Adam Tooze dans son livre Ces dix années qui ont changé le monde. Ces mesures, qui se sont traduites par des surinvestissements et un surendettement, sont aujourd’hui une des causes du ralentissement et du malaise chinois.

Qu’adviendra-t-il si, en cas de crise, le gouvernement chinois n’est plus d’accord pour aider à stabiliser le système économique et financier mondial ? Des économistes assurent que, malgré tout, Xi Jinping n’est pas prêt à tirer un trait sur une politique de soft power, mise en œuvre après le massacre de Tian’anmen, qui lui a été profitable. La façon dont Xi Jinping va gérer la question de Hong Kong dans les jours, voire dans les heures qui viennent dira ce qu’il en est.

Une des victimes collatérales manifestes de cette escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis est l’Europe. Et elle risque sans doute d’être un des terrains d’affrontement privilégiés entre les deux superpuissances à l’avenir.

L’Allemagne, première puissance économique du continent, est la première atteinte. Son modèle mercantiliste, reposant sur des excédents commerciaux hors norme et leur recyclage financier à Wall Street, est touché au cœur depuis la montée des tensions commerciales mondiales. Elle voit des marchés se fermer, des débouchés disparaître. La Chine, qui était son premier client, est en passe de devenir son premier concurrent. De plus, la spécialisation de son économie, bâtie sur l’industrie automobile, est remise en cause, au fur et à mesure que les questions environnementales deviennent de plus en plus préoccupantes.

Au deuxième trimestre, l’Allemagne a enregistré une baisse de 0, 2 % de son activité économique. Pour de nombreux observateurs, Berlin n’échappera pas à une récession cette année. La contraction de l’économie allemande a déjà entraîné un ralentissement dans ses principaux pays sous-traitants (Hongrie, Pologne, Tchéquie). Mais elle risque aussi d’emmener avec elle toute la zone euro, qui ne s’est toujours pas relevée de la crise de 2008.

Pourtant, rien ne bouge. L’Allemagne a ainsi répété ces derniers jours qu’elle se refusait à renoncer à sa règle d’or de l’équilibre budgétaire, comme ne cessent de le lui suggérer de nombreux économistes, afin d’adopter des mesures contracycliques susceptibles de soutenir son économie et celle de l’Europe.

Alors, une nouvelle fois, la Banque centrale européenne est montée au créneau. Inquiète des risques grandissants dans le système financier mondial, elle a fait savoir de façon tout à fait inhabituelle le 15 août qu’elle était prête à prendre des mesures de soutien hors norme pour venir en aide à l’économie européenne dès le début septembre. « Il est important que nous élaborions un train de mesures important et percutant en septembre. Lorsque vous travaillez avec les marchés financiers, il est souvent préférable de tirer plus fort plutôt qu’en dessous, et de disposer d’un ensemble très solide de mesures politiques, plutôt que de bricoler », a déclaré Olli Rehn, membre du conseil de la BCE en tant que gouverneur de la Banque centrale de Finlande.

Alors que les taux directeurs de la BCE sont déjà négatifs, que l’institution monétaire a racheté des tombereaux de titres obligataires ces dernières années pour 2 600 milliards d’euros, beaucoup se demandent de quelles armes dispose encore la Banque centrale européenne pour reprendre sa politique de soutien monétaire. Très introduit dans les plus grandes capitales européennes, le fonds d’investissement BlackRock suggère que la BCE ose franchir le dernier pas et fasse comme la Banque centrale du Japon : racheter directement des actions. Ce qui reviendrait purement et simplement à nationaliser les marchés et à débarrasser les investisseurs de tout risque…

La parenthèse de la mondialisation telle que nous la connaissons depuis 30 ans, depuis la chute du mur de Berlin, est en train de se refermer. Une certaine démondialisation a déjà commencé, sans que l’on puisse savoir à ce stade quelle forme prendra la suite. C’est face à cette décomposition accélérée de l’ordre ancien que les responsables du G7 (États-Unis, Allemagne, Japon, Canada, France, Italie, Royaume-Uni) vont se retrouver à Biarritz entre le 24 et 26 août.

Cette réunion, comme tant d’autres auparavant, risque de n’aboutir qu’à des déclarations de circonstance. Comme à leur habitude, les responsables politiques, incapables de tirer la moindre leçon de leurs échecs passés, seront tentés de dire qu’il est urgent d’attendre. Comme à leur habitude, ils n’imagineront pas adopter d’autre approche, tant leurs traités, leurs politiques, les principes idéologiques qui les sous-tendent, leur semblent des chefs-d’œuvre indépassables. Au risque du monde…

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 05:24

 

La région de Raguse, à la pointe sud-est de la Sicile, concentre près de la moitié de la production de légumes en serre d’Italie. Les ouvriers agricoles, pour la plupart d’origine étrangère, y travaillent dans des conditions extrêmement précaires. La situation est encore pire pour les femmes.

Marina di Acate et Raguse (Italie), de notre envoyée spéciale.

Vue du ciel, Marina di Acate émerge timidement parmi les milliers de bâches blanches et grises qui cernent ce tronçon de littoral du sud-est de la Sicile. Sur l’écran de son ordinateur, Vincenzo La Monica pointe un long voile gris métallique qui s’étend sur des dizaines de kilomètres : « Ce sont des serres ! En 1943, c’est là qu’avaient débarqué les Américains ! Autrefois, la région était faite de dunes et de sable, mais l’arrivée des serres a transformé tout le territoire. » Au premier étage du grand bâtiment qui abrite le diocèse de Raguse, le responsable du projet Presidio mené par la Caritas italienne, l’organisation de charité de l’Église catholique, revient sur cinq ans de travail auprès des travailleurs agricoles employés dans les serres : « Ici règnent d’autres lois, c’est un peu la terre de personne. »

Vue du sol, Marina di Acate est une paisible commune de 11 000 habitants, assoupie en bord de mer jusqu’à l’arrivée de l’été, quand les vacanciers raniment ses maisons désertées. Pourtant, de part et d’autre de la route qui part de Raguse, le chef-lieu de province, jusqu’à la côte, se joue une partition bien plus cruelle. Partout, les serres bouchent l’horizon, protégées par de hauts grillages. Dix mois sur douze, de septembre à juin, les travailleurs agricoles – dans leur grande majorité roumains, tunisiens et albanais – y produisent les tomates, mais aussi une partie des fruits et légumes qui arrivent sur les tables des Italiens et des Européens. Dans un silence que ne dérange que le claquement des bâches secouées par le vent, les abus des employeurs se sont multipliés : salaires inférieurs de moitié au minimum syndical, contrats de travail irréguliers, normes de sécurité inexistantes ou précaires, habitat indigne et plusieurs cas d’exploitation sexuelle des travailleuses, en particulier roumaines.

 

Chaque lundi après-midi, Vincenzo La Monica et son équipe de la Caritas arpentent à bord d’un minibus les chemins les plus isolés de la région pour apporter les produits de première nécessité à ces travailleurs invisibles, qui vivent souvent dans la propriété agricole. « C’est un labyrinthe, on repère avant sur Google Maps et souvent, au milieu d’une voie publique, on trouve un portail qui barre la route et derrière, les serres. » Sur les photos qu’il fait défiler, on découvre une écurie dont chaque box a été transformé en logement, des garages où des réchauds ont été installés par terre, des tables faites de cagettes de légumes, des cabanes dont le seul isolant est fait de toiles de plastique tendues pour éviter la pluie. « Un jour, on a découvert quelqu’un qui dormait dans une citerne pour l’eau », se souvient le travailleur social. Presque systématiquement, les ouvriers agricoles font office de gardiens des lieux et n’ont pas la clé de la barrière qui les retient, de fait, prisonniers de la propriété.

Parmi eux, la Caritas a recensé environ 140 mineurs dont la moitié seulement sont scolarisés. « Nous avons eu connaissance de quelques cas de mineurs qui travaillent, mais ce n’est pas fréquent. En revanche, ces enfants, complètement isolés, sont souvent laissés seuls dès huit ou neuf ans, les plus grands s’occupent des plus petits », explique Giuseppe Scifo, le secrétaire général du syndicat CGIL Raguse. Sans service de ramassage scolaire, dans des endroits localisés à plusieurs kilomètres d’un arrêt de bus et avec un travail qui commence souvent entre 6 et 7 heures du matin, les parents sont incapables d’accompagner leurs enfants à l’école.

« Il y avait cette petite fille de quatre ou cinq ans dont la mère ne voulait pas qu’elle sorte quand elle travaillait. Donc elle déposait de grosses pierres devant la porte du baraquement », se rappelle Vincenzo La Monica. Certains signalements ont été faits aux services de la mairie, voire à la police, sans succès. « Les familles changent de serre, ce qui les rend difficilement localisables. Une fillette nous avait raconté que le propriétaire de la serre arrivait en s’annonçant par des tirs de pistolet en l’air, comme au Far West en somme. Nous voulions l’aider mais nous ne l’avons plus retrouvée pendant un an », raconte le travailleur social.

La région concentre à elle seule près de la moitié des cultures en serre du pays. Les récoltes sont ensuite vendues à quelques kilomètres de là, au marché de fruits et légumes frais de Vittoria, l’un des plus grands d’Europe. Contrairement à la Calabre ou aux Pouilles qui attirent une main-d’œuvre saisonnière, les travailleurs restent là toute l’année, soumis à des conditions de travail extrêmement précaires. « Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui me dise avoir un contrat en règle ou un logement décent et on parle de 10 à 12 000 personnes qui travaillent dans les serres », tempête Michele Mililli, syndicaliste à l’USB, qui s’occupe depuis fin 2018 des travailleurs des serres.

Le ciel est d’un gris orageux en ce mardi après-midi lorsque Vincenzo La Monica et son équipe ouvrent les portes de leur permanence de Marina di Acate. Alors que la mer roule ses vagues au loin, Cristian, un travailleur agricole originaire de la région de Bucarest, la capitale roumaine, se met à l’abri du vent dans la cour de la maisonnette. C’est le seul travailleur agricole roumain qui accepte de parler et de montrer le contrat de travail qu’il tient fermement entre ses mains, plié en quatre.

Cet homme de trente-cinq ans travaille dans les serres de tomates, en théorie 102 jours par an, en réalité, tous les jours, de juin à septembre. Pour 30 euros par jour. C’est le cas typique du « travail gris ». La plupart des travailleurs ont un contrat, plus encore depuis que les contrôles de police se sont intensifiés dans la région à la suite d’une loi sur l’organisation du travail agricole votée en octobre 2016. Mais le nombre d’heures, de jours travaillés et les salaires perçus ne correspondent jamais à la réalité.

Cristian fait partie des mieux lotis : « Ça fait quatorze ans que je travaille ici, dont quatre dans la même entreprise, j’ai loué un appartement et mon fils ira à l’école à la rentrée », confie-t-il dans un italien encore rudimentaire. Parmi la quinzaine de travailleurs roumains rencontrés ce jour-là, tous éludent les questions sur leurs conditions de travail. « Buono, buono », coupent net ceux qui baragouinent quelques mots d’italien.

Exploitation sexuelle

Islam Hassan, lui, se montre plus loquace. Arrivé en Italie à douze ans, ce Tunisien en a aujourd’hui quarante et a toujours travaillé dans les serres. « Ça fait dix ans que c’est vraiment dur », se désole-t-il, « il y a trente ans mon salaire en lires équivalait à 60 euros par jour, aujourd’hui c’est 30 pour le même travail ». « Le taux journalier national est fixé à 58 euros, mais comme personne ne proteste, ces salaires sont devenus la norme », précise Dario Biazio, le juriste de la permanence.

Comme Islam Hassan, les premiers travailleurs étrangers de la région sont arrivés dans les années 1980-1990, presque tous originaires de Mahdia, une ville côtière entre Sousse et Sfax. « Ils forment une communauté très soudée, qui plus est d’un pays où la tradition syndicale est forte et où un gros travail a été fait pour améliorer leurs conditions de travail », commente Giuseppe Scifo, qui explique être en contact régulier avec la branche de Mahdia de l’UGTT, l’Union générale tunisienne du travail.

En 2007, la Roumanie entre dans l’Union européenne. C’est un tournant dans la région qui voit affluer une main-d’œuvre venue principalement de la région de Botoșani et de Iași, non loin de la frontière moldave. Douze ans plus tard, dans la province de Raguse, 8 997 Roumains sont enregistrés, représentant la première communauté étrangère.

Combien sont-ils à travailler dans les serres ? Difficile de le savoir, explique le juriste Dario Biazio : « Les ressortissants roumains n’ont pas besoin de permis de séjour, donc beaucoup d’entre eux ne s’inscrivent nulle part, n’ont aucun contrat ni de travail ni de location, c’est comme s’ils étaient des fantômes. » Encore plus vulnérables que les travailleurs en règle, pour nombre d’entre eux, les serres de la région se sont transformées en cauchemar.

 

Pour prendre la mesure du phénomène, Emiliano Amico fournit des chiffres intéressants. À l’accueil de la permanence, il consigne toutes les demandes de prise en charge des travailleurs agricoles depuis cinq ans : « 54,3 % viennent de la Roumanie, ensuite on a la Tunisie avec 23 %, puis Maroc, Albanie et quelques Italiens. Mais la grande spécificité roumaine, c’est qu’on a plus de femmes que d’hommes qui travaillent dans les serres. » À la précarité de leurs conditions de travail s’ajoute pour une partie d’entre elles le tabou ultime : l’exploitation sexuelle.

Dans la presse italienne, dès 2015, le curé de Vittoria, Don Beniamino Sacco, est le premier à alerter l’opinion publique sur les « orgies agricoles » organisées par certains propriétaires des serres, avec la présence de leurs employées contraintes d’avoir des relations sexuelles. Dans sa paroisse, il accueille même plusieurs jeunes femmes mises enceintes par leur employeur.

Ses déclarations font grand bruit, mais nombreux sont ceux à crier à l’exagération, disant qu’aucune plainte n’a été déposée. C’est faux même si cela reste l’exception. « L’un des points qui ne peuvent pas être sous-évalués, c’est le très haut taux d’avortement des femmes roumaines dans la région, souligne Giuseppe Scifo. Mais là encore, certains milieux médicaux ont expliqué que, pour ces femmes, c’était une pratique usuelle et fréquente, comme si c’était un moyen de contraception. »

S’il est difficile à faire émerger, le phénomène est pourtant une réalité. Au bord d’une route longée par les serres, un épouvantail trône au-dessus du portail d’une exploitation. « Parfois il est vêtu, parfois non, parfois masqué, parfois non, son pubis est peint en vert, il ne sert évidemment pas à faire fuir les oiseaux, mais à indiquer un lieu de prostitution, où on trouve des femmes », explique le responsable du projet Presidio Vincenzo La Monica.

Plusieurs cas de prostitution parmi les travailleuses agricoles ont été rapportés, aussi bien auprès d’autres travailleurs des serres que des employeurs. « On a aussi rencontré plusieurs cas où les femmes doivent répondre aux attentes de leur patron, à tous les points de vue », confie Michele Mililli du syndicat USB.

« Certains employeurs considèrent ces femmes comme leur propriété. Ça peut vouloir dire les regarder travailler en short et tee-shirt court en les fixant. Il faut se rappeler que dans les serres, il fait déjà 40 °C le matin au printemps, ou bien avoir les mains baladeuses, voire les exploiter sexuellement », précise Vincenzo La Monica, qui a rencontré plusieurs cas au cours de ses cinq années auprès des travailleuses des serres. « Parfois, avoir des relations sexuelles avec son patron, ça peut faire la différence entre manger une fois ou trois fois par jour, entre dormir dans un baraquement où il pleut ou dormir au chaud, avec l’eau courante. » « Le chantage est latent, poursuit Giuseppe Scifo. Certains employeurs se défendent en disant que les relations sont consenties, mais avec de si fortes disparités de pouvoir, il est difficile de parler de consentement. »

« Dans le secteur agricole de la province de Raguse, le système tout entier semble créer les conditions pour “l’acceptation” des violences sexuelles de la part des employeurs, simplement pour avoir le droit de travailler », analysent les chercheuses italiennes Letizia Palumbo et Alessandra Sciurba, auteures du rapport fourni en mai 2018 au Parlement européen intitulé « La vulnérabilité à l’exploitation des migrantes travailleuses agricoles dans l’Union européenne : la nécessité d’une approche basée sur les droits de l’homme et le genre ».

Les deux chercheuses citent l’exemple de cette femme qui travaille dans une petite ferme de la région. Son fils et sa fille sont avec elle. Pour accepter de les conduire à l’école en voiture, le propriétaire de la serre demande à leur mère d’avoir des relations sexuelles avec lui. Un jour, il décide de ne plus emmener les enfants à l’école. La mère arrête d’avoir des rapports avec lui. Le propriétaire les prive alors d’eau potable, elle et ses enfants. « L’exploitation sexuelle est principalement rendue possible à travers des pressions psychologiques et du chantage. Les employeurs abusifs n’ont pas besoin d’avoir recours à la force physique, l’exploitation sexuelle est une dérive possible d’un système d’exploitation par le travail qui s’assimile à un “néo-esclavagisme” », poursuivent dans leur rapport les deux chercheuses italiennes.

Face à l’ampleur du problème, les gouvernements italien et roumain se sont rendus dans la région. La commission des droits de l’homme du Sénat a mandaté un rapport. Une multitude de tables rondes ont été organisées, sans que rien ne bouge pendant des années. Pourtant, soulignent tous les acteurs de terrain rencontrés, depuis le vote de la loi d’octobre 2016 et l’intensification des contrôles de police, la situation s’est légèrement améliorée.

Mais le cœur du problème, soulignent les syndicats, reste le modèle d’exploitation, complètement dépassé pour faire face aux conditions du marché. Les entrepreneurs, eux, se défendent en invoquant des prix de rachat toujours plus bas. Pourtant, précise Giuseppe Scifo, secrétaire général du syndicat CGIL de Raguse, « l’emploi est stable dans la région : 6 000 entreprises sont enregistrées à la chambre de commerce, 5 000 environ fonctionnent bel et bien, de la petite entreprise familiale de deux, trois personnes à la grosse entreprise, cela représente 28 000 employés dont 40 % environ d’origine non italienne ».

Pour lui, le problème est ailleurs : « C’est un secteur très en retard, avec peu d’innovation scientifique et aucune coopération ; pourtant, il existe des entreprises plus grandes et structurées, avec de bonnes positions sur le marché et complètement hors de ces logiques d’exploitation. Ça veut dire qu’il existe un autre modèle possible. » Si certaines entreprises parviennent à restructurer leur modèle de production, d’autres préfèrent miser sur une main-d’œuvre toujours plus vulnérable : les migrants hébergés dans les centres d’accueil de la région constituent leurs nouvelles recrues. Ils les payent entre 15 et 20 euros par jour.

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 05:21
FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE ET VALEUR du CARBONE : ÉLÉMENTS D'ANALYSE  ET PROPOSITIONS ("Progressistes" - Juillet Août 2019 - Revue PCF)
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