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26 août 2019 1 26 /08 /août /2019 05:38

En dépit de toutes les conventions et accords internationaux, les expulsions de réfugiés vers Khartoum se poursuivent en 2019 alors que la situation au Soudan est toujours très tendue. De plus, ces renvois forcés sont organisés avec la collaboration de la junte soudanaise.

Il est 14 h 15 le samedi 3 août quand les fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) conduisent Rami, un réfugié soudanais de 29 ans, à l’aéroport de Roissy. Les policiers le font monter à bord d’un Airbus A330 de la compagnie Turkish Airlines. Destination Khartoum, la capitale du Soudan, après un changement à Istanbul. Arrêté en Indre-et-Loire le 5 juillet, Rami était depuis enfermé au Centre de rétention administrative (CRA) de Rennes en Ille-et-Vilaine.

Lors du seul appel qu’il parvient à passer vers la France, Rami affirme avoir été maintenu bâillonné et menotté durant tout ce premier vol. C’est ce que raconte son amie Françoise, la dernière personne à lui avoir parlé. « Il les a suppliés de ne pas le renvoyer et il a été maîtrisé très brutalement. J’ai réussi à lui parler au téléphone avant qu’il ne descende de l’avion. Il avait très peur », rapporte-t-elle, bouleversée. Ces pratiques violentes ont déjà été observées lors de précédentes expulsions.

Rami est issu de l’ethnie Berti, une minorité de la région du Darfour, dans l’est du Soudan. Il affirme être le petit frère d’un militant du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), un parti rebelle. Au cours de l’été 2008, les services de renseignements soudanais arrêtent son frère à Khartoum. Il n’est jamais réapparu. D’après le témoignage qu’il a fourni pour soutenir sa demande d’asile, Rami a lui-même été arrêté et torturé en 2013. Le régime le soupçonnait de sympathie pour le JEM. Cet épisode le conduira à prendre la fuite pour rejoindre l’Europe.

Depuis décembre 2018, le Soudan connaît en outre un mouvement de contestation sans précédent. La répression du régime a fait d’innombrables victimes. Actuellement, le maintien de l’ordre est assuré par les Forces d’appui rapide (RSF), créées en 2013 et issues des milices janjawids, qui ont participé à la politique génocidaire du régime au Darfour et commis de nombreux crimes de guerre.

 

Débouté de l’asile, Rami est parvenu à déposer in extremis une demande de réexamen auprès de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lors de son arrivée au CRA. La procédure de réexamen n’étant pas suspensive de la mesure d’éloignement, Rami demeure expulsable. Les officiers de protection de l’OFPRA l’entendent par visioconférence le mercredi 31 juillet et Rami est expulsé dès le samedi suivant. La mesure de rétention administrative à son encontre prenait fin le lendemain de cette expulsion.

Les membres de la Cimade, seule association présente dans le CRA de Rennes pour proposer du soutien juridique, ne cachent pas leur exaspération. « Vendredi soir, quand j’ai parlé à Rami avant de partir du centre, il n’avait toujours pas eu le courrier de l’OFPRA », se désole Paul Chiron, membre de la Cimade. La préfecture d’Indre-et-Loire affirme que l’OFPRA a rendu son refus le 1er août. Elle concède ne pas l’avoir notifié à Rami. Ce dernier n’a donc pas eu la possibilité d’exercer son droit de recours.

L’expulsion de Rami n’est pas un événement isolé. D’après l’Office de statistique de l’Union européenne, 75 personnes ont ainsi été renvoyées par la France vers le Soudan en 2018 en dépit des conventions internationales que Paris a signées. Quarante-cinq d’entre elles ont fait l’objet d’un retour forcé. Sollicité, le ministère de l’intérieur n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart.

À l’autre bout de la France, le 9 juillet, la police interpelle deux réfugiés d’origine soudanaise et les emmène au Centre de rétention administrative de Coquelles dans le Pas-de-Calais. La préfecture prononce deux obligations de quitter le territoire (OQTF) à leur encontre et entreprend d’organiser leur expulsion.

Un premier vol est prévu le soir du 9 août à 22 h 15 sur un appareil d’Ethiopian Airlines. L’homme de 24 ans que la préfecture du Pas-de-Calais souhaite expulser n’a jamais vu le pays vers lequel l’avion doit le conduire. Il est né en Libye. Ces parents sont eux-mêmes des réfugiés soudanais.

Le jeune Soudanais fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention (JLD), qui prolonge sa rétention. L’audience est fixée le 9 août à 13 heures. Dans la matinée, l’administration informe le greffe de la cour d’appel de Douai que le réfugié embarquera le soir même. Les fonctionnaires de police ne prennent pas la peine de le conduire à l’audience. Une attitude qui n’est pas du goût des magistrats. À 15 h 40, dans une ordonnance que Mediapart s’est procurée, ces derniers dénoncent « une violation des droits de la défense » et ordonnent la libération du jeune homme.

Contactée par Mediapart, la préfecture du Pas-de-Calais affirme qu’il « n’était pas matériellement possible de le présenter devant la Cour ». Dans sa décision, la justice estime quant à elle qu’il « était loisible à l’administration de le déferrer et d’attendre sa décision ».

Le second Soudanais est toujours enfermé au CRA de Coquelles. La préfecture du Pas-de-Calais a d’ores et déjà réservé un vol, sans escorte, ce mercredi 14 août à 22 h 15. Direction Khartoum.

Une politique menée avec le concours du régime soudanais

Samedi 3 août, il est 23 h 03. Le Boeing 737 dans lequel Rami et son escorte sont montés après leur escale à Istanbul se pose finalement à Khartoum. Avant de descendre, Rami parvient à passer un ultime appel téléphonique en France. « Il m’a dit que la police l’attendait sur le tarmac », sanglote Françoise. Ce sont les dernières informations dont disposent les personnes qui soutiennent Rami. Le jeune homme n’a plus donné aucune nouvelle par la suite.

Mohamed Alasbat, le porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (APS), fer de lance de la contestation du régime, dénonce des expulsions qu’il estime injustes et inhumaines. « En ce moment, on ne sait pas ce qui arrive aux gens qui sont expulsés. Auparavant, ils les mettaient en prison et certains d’entre eux étaient tués. Maintenant, la situation est floue avec la transition d’un régime à l’autre, expose-t-il à Mediapart. Mais leur vie est toujours en danger en cas de retours. »

Plusieurs réfugiés soudanais interrogés par Mediapart expriment leur inquiétude et jugent les expulsions actuelles plus dangereuses encore que les précédentes. En cause, la perte d’influence des anciens cadres du régime et la présence, à l’aéroport de Khartoum, d’éléments des Forces d’appui rapide.

Amnesty International réclame pour sa part un moratoire sur la question. « Pour nous, la situation dans le pays reste imprévisible », explique Keani Vonge, du programme de protection des populations d’Amnesty International. « L’accord conclu entre les civils et les militaires pour organiser la transition est un accord qui reste très fragile. On continue à considérer qu’il y a des risques importants en cas de renvoi forcé. »

« En renvoyant des personnes vers le Soudan, la France viole le principe de non-refoulement. Nous considérons que les renvois vers le Soudan sont illégaux au regard du droit international », affirme Keani Vonge. Pour Amnesty International, l’expulsion de Rami contrevient au principe édicté par la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies. Celle-ci interdit le refoulement d’un réfugié vers un territoire sur lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées. Un principe repris par la Convention contre la torture de l’ONU et la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Confrontée à ces accusations, la préfecture d’Indre-et-Loire rétorque que Rami n’était pas bénéficiaire du statut de réfugié et n’était plus considéré comme demandeur d’asile. La préfecture du Pas-de-Calais utilise le même argument. Or, si la convention de Genève précise bien que ce principe s’applique aux réfugiés, ce n’est pas le cas des deux autres textes.

En 2015, dans deux arrêts simultanés (A.A. et A.F. contre la France), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’expulsion d’une personne vers le Soudan violait l’article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants. En l’occurrence, les plaignants, deux militants du JEM, n’étaient ni bénéficiaires du statut de réfugié ni demandeurs d’asile.

Ces renvois sont rendus possibles par la collaboration entre l’État français et les autorités consulaires du régime de Khartoum. Ainsi, dès le 10 juillet, quatre jours après son arrivée au CRA, les autorités du Soudan auditionnent Rami dans leur consulat à Paris. Une semaine plus tard, elles lui délivreront un laissez-passer consulaire d’une validité d’un mois. Le sésame nécessaire à la police de l’air et des frontières pour reconduire Rami sous bonne escorte au Soudan.

La préfecture d’Indre-et-Loire assure que Rami n’était pas considéré comme demandeur d’asile au moment de cette audition. Sa demande de réexamen n’est effectivement déposée que le lendemain. La préfecture a donc présenté Rami aux diplomates du régime dont il disait être victime alors même que le délai imparti pour demander à nouveau l’asile n’était pas écoulé.


La préfecture du Pas-de-Calais emploie le même procédé. Les représentants du régime de Khartoum à Paris auditionnent également les deux réfugiés soudanais enfermés à Coquelles. Alors qu’ils affirment tous deux avoir refusé de répondre au personnel diplomatique soudanais, celui-ci délivre deux laissez-passer permettant leur expulsion par la France. La préfecture du Pas-de-Calais invoque également l’absence de demande d’asile pour justifier cette démarche.

À la lumière de ces expulsions, l’image d’une France accueillante pour les Soudanais qui fuient la junte de Khartoum doit être nuancée. En 2018, le taux d’attribution de l’asile dépasse bien les 80 % et le nombre total des Soudanais protégés atteint 14 700 d’après le dernier rapport d’activité de l’OFPRA. Mais, dans le même temps, le nombre de Soudanais déclarés irréguliers et faisant l’objet d’une décision leur imposant de quitter le territoire s’élève à 1 455. Parmi ces personnes, on compte 85 femmes et 135 mineurs. Tous risquent l’expulsion vers Khartoum où leur liberté et leur vie sont menacées.

 

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