À la mi-décembre, 25.500 tonnes de maïs traité à la phosphine - un pesticide hautement toxique - étaient débarquées dans le port de Brest. Depuis, la quasi-intégralité de la marchandise est stockée, sur place, dans des silos. En cause, une teneur en gaz non conforme... malgré trois semaines de ventilation.
Que vont devenir les 25.500 tonnes de maïs venues de Roumanie et arrivées dans le port de Brest le 16 décembre dernier ? Depuis cette date, l'importante quantité de nourriture pour animaux (l'équivalent de 830 camions) est toujours là, régulièrement ventilée.
« Des relevés sont ponctuellement réalisés. Tout sortira quand les derniers résidus de phosphine auront été éliminés. Mais il n'y a rien d'extraordinaire », certifie Alain Castanier, le secrétaire général de la préfecture du Finistère. La phosphine ? Un gaz « extrêmement inflammable, provoquant des brûlures de la peau et des lésions oculaires graves, mortel par inhalation et très toxique pour les organismes aquatiques » selon la fiche de l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité). Le pesticide est couramment utilisé dans les bateaux pour tuer les insectes et éviter les moisissures.
La phosphine placée directement sur le maïs
Selon la version officielle, c'est lors d'un contrôle de routine en magasin portuaire, réalisé quelques jours après le débarquement, qu'une teneur en phosphine non conforme a donc été détectée. La date de ce contrôle ? « Je ne la connais pas précisément », répond Alain Castanier, soucieux aujourd'hui de comprendre pourquoi les taux ne baissent pas, alors que la phosphine « ne laisse habituellement pas de trace ». L'un des dockers brestois qui a procédé au déchargement a, sans doute, un début de réponse. « Nous nous sommes rendu compte assez vite qu'il y avait de la phosphine en quantité importante. Normalement, ce pesticide est placé dans des grandes chaussettes. Mais là, il avait été mis directement en contact avec le maïs ». Et le docker de poursuivre : « Les taux sont vite montés. Cela aurait pu être très dangereux si l'un d'entre nous avait respiré le gaz juste au-dessus de la cale. Avec ce truc-là, on peut partir en un quart d'heure (*)».
« Pas un sujet de santé publique » selon la préfecture
Personne ne parlerait aujourd'hui de la phosphine si, le 21 décembre dernier, le syndicat Solidaires et plusieurs associations de victimes des pesticides n'avaient rendu le dossier public (le Télégramme du 22 décembre), après avoir été alertés que 59 tonnes de maïs roumain traité à la phosphine avaient quitté le port de Brest, direction Plouisy (22) et les silos de l'entreprise Nutréa. Depuis, les services de l'État multiplient les investigations. La Direction du travail, les affaires maritimes, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dréal), ainsi que la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt (DRAF) ont été saisies. « Mais il n'y a pas de sujet de santé publique », affirme Alain Castanier. En attendant, l'entreprise Cobrena, une filiale de Triskalia spécialisée dans l'approvisionnement en matières premières destinées à la nutrition animale, attend toujours de récupérer ses 25.500 tonnes de maïs.
* Selon l'INRS, l'inhalation d'une dose massive de phosphine provoque rapidement des troubles neurologiques (coma, convulsions), respiratoires (oedème aigu du poumon) et cardiaques (foyers de nécrose du myocarde).
*****************************
Voir aussi l'article d'Alexandra Chaignon dans l'Humanité du 23 décembre dernier :
Pesticides. Peur sur la coopérative
En 2014, la coopérative bretonne Nutréa-Triskalia avait déjà été condamnée pour « faute inexcusable de l’employeur » pour avoir intoxiqué deux de ses salariés, en 2011.
Les salariés de l’usine Nutréa-Triskalia s’inquiètent des risques sanitaires encourus après la livraison de maïs traité avec un produit toxique.
L’inquiétude est à nouveau palpable chez les salariés de la coopérative Nutréa-Triskalia de Plouisy (Côtes-d’Armor), qui craignent d’avoir été exposés cette semaine à un produit antiparasitaire hautement toxique. « D’anciens salariés ont déjà été empoisonnés par des produits dangereux. Alors, forcément, on s’inquiète », lâche Serge Le Quéau, de l’Union syndicale Solidaires Bretagne, faisant référence aux multiples affaires d’intoxication aux pesticides en cours au sein de cette entreprise spécialisée dans les aliments pour bétail, qui a, en outre, toujours nié ses responsabilités.
La phospine, un gaz incolore mortellement toxique
« Nous avons été contactés en ce début de semaine par des salariés qui nous ont fait part de leur grande inquiétude concernant leur santé, après avoir découvert incidemment sur leur lieu de travail que plusieurs tonnes de maïs, en provenance du port de Brest, avaient été fumigées et traitées par de la phosphine, un biocide hautement toxique, sans en avoir été informés préalablement », explique le militant, qui, avec les collectifs de soutien aux victimes de pesticides, tire la sonnette d’alarme. Le 15 décembre dernier, une cargaison de 25 000 tonnes de maïs destinée à l’alimentation animale et traitée à la phosphine est en effet arrivée à Brest. 59 tonnes ont été acheminées vers l’usine Nutréa de Plouisy, près de Guingamp, mais plusieurs autres usines de Bretagne sont également concernées par cette cargaison. Alors que la phosphine peut entraîner des complications neurologiques, respiratoires et cardiaques, « les salariés n’avaient pas été prévenus qu’ils devaient se protéger », indique SergeLe Quéau, d’autant plus soucieux que « les dockers de Brest, qui ont réceptionné la marchandise, ont indiqué qu’il y avait une grande fermentation dans le cargo ». « Des instructions ont immédiatement été données pour qu’aucun salarié ne reste à proximité de la zone de déchargement », assure de son côté la direction dans un communiqué, tout en précisant qu’un contrôle de la marchandise « a révélé une absence totale de résidus ».
Alertées, les autorités devaient procéder jeudi à des analyses
Une allégation qu’ont bien du mal à croire les militants antipesticides, d’autant que certains signes ne trompent pas : le salarié qui les a alertés s’est aussitôt rendu chez Laurent Guillou, l’un des ex-salariés qui a réussi à faire condamner la coopérative pour faute inexcusable et souffre d’hypersensibilité aux produits chimiques multiples, lequel a aussitôt eu une crise très violente. « Le salarié était chez moi depuis quelques minutes à peine que j’ai commencé à me sentir mal. Je connais les symptômes, j’ai été moi-même exposé à ce produit. Le salarié avait sans doute été contaminé, au sein de l’usine, par des poussières chargées de phosphine. Comment se fait-il que j’aie réagi si violemment si le salarié n’a pas lui-même été contaminé par ce produit ? » interroge Laurent Guillou.
Alertées mercredi, les autorités devaient procéder jeudi à des analyses des céréales et de l’air, là où était stockée une partie de la cargaison, ainsi que dans les usines de fabrication d’aliments pour bétail. « Les céréales ont été stockées et n’ont pas encore été manipulées. Mais les déchargements provoquent une poussière intense qui fait que tout le monde se retrouve exposé. Au passage, d’autres professions sont susceptibles d’être exposées, marins, dockers, ouvriers, chauffeurs, agriculteurs », rappelle le syndicaliste. Et le pire, c’est que tout ça finit dans la chaîne alimentaire…
*****************************
Pas de problème de santé publique pour la préfecture du Finistère ?
Qu'en pensent les paysans, les marins, les dockers, les salariés des transports et de l'agroalimentaire exposés à ces produits hautement toxiques ?
Et particulièrement ceux de Nutréa, filiale du géant agroalimentaire breton Triskalia, qui sont depuis plusieurs années victimes de l'exposition aux pesticides dans leur travail ?
Avec pour certains la double peine : licenciés et malades !
Un premier procès vient d'aboutir en septembre pour deux d'entre eux, près de 7 ans apès leur contamination, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de St Brieuc qui a condamné Nutréa à les indemniser. Pour d'autres, comme cet ancien salarié qui s'est suicidé, c'est déjà trop tard.
Et comme le souligne l'Huma, tout cela finit dans la chaîne alimentaire.
Pour la santé des salariés, celle du monde paysan, celle des consommateurs, pour la souveraineté et la sécurité alimentaire, il est urgent de tourner le dos à cette agriculture intensive polluante et financiarisée et d'encourager une agriculture paysanne, relocalisée, permettant aux agriculteurs de vivre de leur travail et aux consommateurs d'accéder à une alimentation saine et de qualité, répondant à leurs attentes et à leurs besoins.
Yvonne Rainero
membre de la commission nationale santé protection sociale du PCF