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6 janvier 2016 3 06 /01 /janvier /2016 08:14

Une génération marquée par la grande guerre

On estime aujourd'hui entre 130 000 ( « Avec près de 130 000 morts, la région a été plus touchée que le reste de tout le territoire : 3,9 % de la population de 1911 ont succombé contre 3,4 % pour tout le territoire ; 21,9 % des appelés bretons ont perdu la vie contre 17 % pour tous les soldats français. La ruralité de la Bretagne a pesé lourd et les paysans ont payé le plus lourd tribut : 70 % des victimes originaires des Côtes-du-Nord sont des agriculteurs, 64 % des Morbihanais » Didier Guyvarc'h - « Les Bretons et la guerre de 14-18 » dans 11 questions qui ont fait l'histoire de la Bretagne, sous la direction de Dominique Le Page, Skol Vreizh – 2009), et 150 000 le nombre de Bretons (des cinq départements) tués pendant la Première Guerre Mondiale alors qu'après la première guerre mondiale, on parlait de 200 000 (L'Ouest-Eclair en 1922) à 240 000 ou 250 000 Bretons tués (selon l'URB qui envoie en 1926 une lettre au président américain Wilson justifiant par « le sang de nos 250 000 morts » la reconnaissance enfin par l'Etat français des droits de la langue bretonne) parce qu'on les aurait envoyé tout particulièrement en première ligne pour en faire de la chair à canon, disaient les milieux nationalistes.

Cette guerre a été un traumatisme et un agent de modernisation pour toute la société mais aussi un ferment de radicalisation et d'engagement pour la jeunesse, en Bretagne comme en France. La Pâques irlandaise, la prise de la Grande Poste de Dublin qui en 1916 lança la révolution au pays de Padraig Pearse et de James Connolly, sera un modèle pour une nouvelle génération, plus révolutionnaire et radicale, de militants nationalistes bretons. L'insurrection irlandaise reçoit le soutien de Vallée et Taldir Jaffrenou. Leur journal Kroaz ar Vretoned est suspendu, du fait de l'alliance franco-anglaise.

Sébastien Carnet, dans son récent et excellent ouvrage Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré, une mystique nationale (1901-1948) explique bien quel rôle a joué la Grande guerre dans la construction d'une nouvelle vision du monde et d'un tempérament particuliers à la jeunesse bourgeoise et cultivée des années 1920, celle qui n'a pas connu le feu. Tout d'abord, elle a été baignée par un discours nationaliste et raciste furieux : l'allemand était le barbare sanguinaire et grossier, la France la gardienne de la civilisation. Ce discours, très présent dans la presse quotidienne nourrissant chaque matin le mythe de la « guerre du droit », était étayé au besoin par l'anthropologie. Ces jeunes nés au début du siècle sont adolescents confrontés à la survalorisation de l'héroïsme militaire, du sacrifice. Pour beaucoup, leurs pères, leurs frères sont à la guerre : après l'armistice, ils éprouveront un complexe et une culpabilité à ne pas l'avoir faite. Ils se sentiront de plus en plus étrangers à leurs pères, aux valeurs et traditions anciennes de leur milieu social et familial. Ils voudront compenser un complexe d'infériorité lié à leur non participation à la grande guerre patriotique soit par une négation radicale du patriotisme et du militarisme français, soit, et ce sont deux formes de révoltes compatibles dans le cas des jeunes de Breiz Atao, par la rupture avec l'humanisme et parfois le christianisme, une recherche de vie aventureuse, d'absolu, de sensations fortes, le développement d'un mythe d'engagement eschatologique au service du salut d'une communauté d'appartenance largement fantasmée, identité imaginaire et construite venant compenser et conclure une véritable « crise identitaire ». La dimension excessive et radicale de l'engagement nationaliste breton des enfants de la Grande guerre peut être mise en relation avec le parcours d'autres jeunes intellectuels bourgeois rebelles et anti-conformistes qui s'engageront au service du fascisme dans les années 30 et 40.

« Les quatre chefs bretons Mordrel, Lainé, Delaporte, Fouéré s'inscrivent, écrit l'historien Sébastien Carney, dans « la queue de génération » de celle du feu, appelée en Allemagne « Kiegjugendgeneration », « Sachliche Géneration », « génération inutile », qui couvre les naissances comprises entre 1900 et 1910 et qui, après 1918, fournit nombre de déracinés et de déclassés. Ce cadre ne doit évidemment pas être envisagé sans nuances : la date de naissance importe moins que l’événement matriciel. Ceci dit, la césure majeure reste l'année 1900. Elle sépare ceux qui ont fait la guerre de ceux qui ne l'ont pas faite. Jean Prévost, dans Notre temps, constate :

« Il y donc un abîme, deux époques séparées par un seul jour, une heure, entre le plus jeune mobilisé de la classe 18, dernière classe combattante, et le plus ancien de la classe 19, qui commence les générations jeunes et les grandes espérances brisées de l'après-guerre »

C'est, entre autres la génération des Luchaire, Daniel-Rops, Lamour, Mounier, Jouvenel, Jardin, Maxence, Maulnier, Marc, Galey, qu'on a qualifiés de « non-conformistes français ». C'est aussi celle de Mordrel, né en 1901, Delaporte en 1907, Lainé en 1908 et Fouéré en 1910. S'adressant aux « moins de trente ans » de 1933, Pierre Brossolette présente cette génération :

« Cette génération a été ardente, et elle a été malheureuse. Ce qui l'a marquée, c'est d'avoir ouvert les yeux sur un monde en folie. Elle n'a pas connu l'avant-guerre, avec ses certitudes trompeuses, sa foi dans le progrès, son intellectualisme tranquille et sa morale toute faite. Dès que nous avons regardé autour de nous, c'est le plus effroyable gâchis que nous avons vu : la guerre avec ses vies sacrifiées, ses souffrances mortelles, ses mensonges, sa haine et sa férocité ; la paix, avec son absurdité, sa violence et ses rodomondates patriotiques ; l'après-guerre avec ses appétits, ses combines et sa médiocrité (…). Nous sommes entrés dans la vie à un moment où la mort seule avait de la grandeur, mais où elle était absurde»

En effet, poursuit Sébastien Carney, ils ont vécu la Grande Guerre adolescents ou enfants, ils sont arrivés trop tard pour pouvoir y participer, mais ils s'en disent nés. Mordrel se revendique ainsi d'une génération moderne, « celle qu'a pétri cet événement mondial : la guerre », qui réunit les « hommes neufs » face aux « hommes usés ». Bien qu'ils aient manqué la bataille victorieuse, les graves enfants de cette « génération sans sourire », « nés sous le signe de la force », qui avaient accepté l'idée de leur propre mort ont mûri trop tôt, tant ils ont vite été marqués par la politique.

L'historiographie récente du premier conflit mondial est marquée par la place de « l'expérience de guerre en tant qu'expérience de la violence », et ses conséquences à court, moyen et long terme. Les sociétés européennes, combattants et civils, ont connu une brutalization, c'est à dire un ensauvagement et une diffusion nouvelle de représentations et de pratiques violentes ».

Breiz Atao est donc le produit des tendances au romantisme révolutionnaire de cette génération de la guerre, lequel s'oriente davantage vers un nationalisme puis plus tard un nationalisme aux tendances fascistes, en raison sans doute du milieu social bourgeois, clérical et conservateur des nouveaux jeunes dirigeants du mouvement breton élevés dans le conservatisme catholique, le rejet du socialisme et de la République avancée, l'attachement à l'élitisme, aux ordres hiérarchiques naturels, à la spiritualité contre le matérialisme, et le culte maurassien de la Patrie.

Morvan Marchal en 1920 ( photo tiré du fond iconographique Mordrel- Sébastien Carney, Breiz Atao)

Morvan Marchal en 1920 ( photo tiré du fond iconographique Mordrel- Sébastien Carney, Breiz Atao)

Marchal, « l'homme du destin »

Dans le premier numéro de Breiz Atao, le texte inaugural écrit par Maurice (Morvan) Marchal intitulé « Ce que nous sommes » évoque les buts du « Groupe Régionaliste Breton » - « travailler activement au relèvement de la Patrie bretonne », « veiller à la conservation de la langue, des costumes et des traditions bretonnes », « unir plus fortement Haute et Basse-Bretagne », « développer des liens d'amitié entre les peuples celtes », obtenir « l'autonomie administrative » de la Bretagne – Marchal désigne comme adversaire ce qu'incarne le socialiste morlaisien Yves Le Febvre, l'ancien militant socialiste morlaisien, directeur de La Pensée bretonne, l'un des organes qui s'efforcent de détruire tout ce qui jusqu'ici avait fait la force « de notre race » et qui rêvent d'une Bretagne rationaliste et démocratique.

Marchal est né à Vitré. Son père, d'origine lorraine tandis que sa mère est née à Châteaugiron, était contrôleur général des Chèques Postaux à Rennes. Il débute alors ses études aux Beaux-Arts de Rennes après être passé au Collège Saint Martin, « pépinière de nationalistes ». Il a 18 ans. De la même manière que son ami Job de Roincé, royaliste, Marchal est un admirateur de la Chouannerie.

En septembre 1918, Joseph Boreau de Roincé, vingt-deux ans, alias Job de Roincé, hobereau du Haut-Léon (de père angevin et de mère bretonne, il est élevé dans un château à Plougoulm et fit ses études à Saint Pol de Léon), Morvan Marchal et son frère cadet Yves, Saig Le Goff (alias Saïg ar Go, qui sera le premier président de la première section de l'Union de la Jeunesse Bretonne, U.Y.V, à Paris en 1920), vingt-cinq ans, ancien combattant comme Job de Roincé (lientenant d'infanterie, revient du front bardé de médaille), Goulven Mazéas, Yann Karof, Prado, Deschars, Losquin, fondent le Groupe régionaliste breton (Liste donnée par Anna Youenou, Fransez Debauvais de breiz-Atao et les siens, t. 1 p. 46).

Camille Le Mercier d'Erm, Job Loyant, venant du PNB et des milieux aristocratiques et maurassiens, les rejoignent.

Circonstance d'une portée symbolique forte si l'on pense au destin de ce mouvement, la première réunion de Breiz Atao, sous la présidence de François Vallée, eut lieu, relate Olier Mordrel, « dans le local obligeamment prêté par l'Action Française à Saint Brieuc ». L'action française était rappelons-le un mouvement monarchiste et ultra-nationaliste d'extrême-droite fondé en 1899 par Charles Maurras.

L'idée de créer le « Groupe Régionaliste Breton » est d'ailleurs venue après une réunion de l'Action Française à Maurice (alias Morvan) Marchal.

Ce petit groupe résolu fonde la revue Breiz Atao ! (« Bretagne toujours !») en janvier 1919, dont le tirage n'excède pas les 500 numéros par livraison, les premières années, la revue ne comptant qu'une cinquantaine d'abonnés en 1919.

C'est Job de Roincé, aux dires de Anna Youenou, qui trouve le nom de Breiz Atao pour la revue.

Pour tirer le journal Breiz Atao, Marchal emprunte de l'argent à son père.

Dans son livre de mémoires et d'auto-justification de 1973 sur l'histoire du mouvement breton, Olier Mordrel qui est un écrivain remarquable, brosse de très beaux portraits des fondateurs du nouveau mouvement nationaliste et de Breiz Atao, et tout particulièrement de Morvan Marchal, qui incarne entre 1919 et 1945 de manière paradigmatique l'audace, la créativité, les ambivalences et les dérives du mouvement nationaliste breton, même si les régionalistes de gauche après-guerre retiennent souvent simplement qu'il a pris des distances dans les années 30 par rapport à la « dérive » anti-républicaine, raciste et fasciste de Breiz Atao puis de Stur conduits par Mordrel et Debauvais.

« En cette fin de 1918, l'homme du destin fut Maurice Marchal, étudiant en architecture de l'Ecole des Beaux-Arts de Rennes, né à Vitré, à douze kilomètres de la frontière. Au milieu de ses jeunes camarades, dont la culture bretonne se résumait souvent au souvenir de quelques chansons de Botrel, il était celui qui savait. Il possédait à fond son histoire de Bretagne et avait quelques lumières sur les réveilleurs de la nationalité assoupie. Nous accourions à lui comme à un oracle. Il était l'âme du petit groupement qui s'était ébauché en marge des fêtes de l'armistice, auquel Henri

Prado insufflait son fanatisme de chouan du Vannetais et Job de Roincé, qui allait bientôt déposer sa capote frangée de poilu, était le mentor... C'est en se rendant à Ploemeur, sur l'invitation de son ami Prado, qui enterrait son père, que Marchal avait eu la révélation du celtisme. Il avait rapporté de son excursion l'émerveillement des poèmes de granit qui parsemaient la campagne, des gâs qui ripaillaient et chantaient à côté d'un cercueil, comme du parler rauque et chuintant du bas-Vannetais dont il s'efforçait de reproduire, avec une gravité mystique, les phrases qu'il avait retenues. Mais sa vraie patrie était la Haute-Bretagne et la langue de cœur le patois gallo, qu'il avait assimilé en jouant avec les gosses du Râchâ, le faubourg du Rachapt de Vitré. Il en donnait les intonations attendrissantes à son français de potache et l'en truffait d'expressions savoureuses, au point de passer insensiblement du français au patois et du patois au français, selon le tour que prenait la conversation. Nous l'imitions à qui mieux mieux et dans les lieux publics les gens se retournaient, n'en croyant pas leurs oreilles. Il n'était pas d'usage jusqu'à nous que les « villotins » parlassent comme les « pâtoux ». Il connaissait les coiffes et leurs aires de répartition, où se retrouvent les unités territoriales des siècles les plus anciens. Il retraçait, d'un crayon décidé et moelleux d'architecte, l'évolution de la coupe des habits masculins, montrant la parenté originelle des différents styles et surtout le travail créateur du génie esthétique breton. Pour lui, le costume était un des éléments de la personnalité. Il avait acquis un chupen de mouton blanc de Pontivy et le revêtait pour assister aux réunions estivales de l'emsav. Sous son chapeau à rubans, il n'était plus le même, il se sentait un symbole. (…).

Il (Marchal) demeurait chez ses parents Place de Bretagne, au n°4, adresse magique s'il en fut. L'immeuble est toujours là, intact, avec la seule différence que la ficelle qui pendait dans l'escalier et sur laquelle nous tirions pour agiter, tout en haut, une clochette annonçant notre arrivée, a disparu au profit d'une installation à hauteur de la technique moderne. Entrez dans la cour et regardez, après vous être retourné, à la dernière fenêtre à droite, au dernier étage. C'est là que ça s'est passé. Là était notre place Beauvau, notre Quai d'Orsai, notre Pavillon de Flore. « Entre, nous disait Morvan, dans le sanctuaire du régionalisme ! » C'était sa chambre à coucher. Plus tard, quand la police s'en est mêlée, il avait modifié sa formule : « Entrez, Messieurs, ceci est une maison de verre ! » Et c'était vrai. Il était fait pour conspirer comme moi pour être bedeau... Son amour de la vie, sa verve rabelaisienne, son intelligence aux multiples facettes ne comptèrent pas peu dans la popularité du jeune mouvement. Marchal était un aimant. Les étudiants acclamaient ses improvisations verre en main. Ses répliques à l'emporte-pièce devenaient légendaires. Le peuple l'aimait à vue. S'il avait su se discipliner et poursuivre un but, il serait devenu un grand tribun populaire » (Olier Mordrel, Breiz Atao, édition Alain Moreau, p. 42-47)

En dehors de Youenn Drezen, ancien séminariste natif de Pont l-Abbé, Morvan Marchal est en 1919-1920 est le seul jeune du groupe des jeunes nationalistes bretons a connaître quelques phrases de breton et il maîtrise surtout excellemment l'histoire, la culture et le folklore bretons. C'est l'initiateur. Mordrel, qui prendra ses distances avec lui par la suite, dira : « C'est lui qui avait été mon premier magister en bretonisme et celtisme »

Cette aura de « maître en bretonisme » de Maurice-Morvan Marchal souligne de manière éclatante à rebours l'ignorance de la langue et de la culture bretonne, et tout particulièrement basse-bretonne, d'une partie des autres jeunes militants au début de Breiz Atao.

Breiz Atao, en mai 1920, devient l'organe de l'UYV, l'Unvaniez Yaouankiz Vreiz, l'Union de la Jeunesse Bretonne. Le nom du nouveau mouvement est né d'un heureux hasard : « Notre bonne fée voulut que notre aîné F.Gourvil1 nous fît cadeau d'un lot de magnifiques insignes émaillés, qui avaient été commandés pour une Unvaniez laouankis Breiz restée au paradis des bonnes intentions bardiques, sur lesquels se détachait une branche de gui. Ainsi naquit notre « Union de la Jeunesse Bretonne », qui, superposée et confondue au primitif Groupe Régionaliste Breton, passant pour des raisons d'insigne au second plan, devait se muer quelques années plus tard en Parti Autonomiste » (Olier Mordrel).

Une photographie de Morvan Marchal en 1920 vêtu d'un costume Bas-Breton, les joues rebondies et glabres, l'air vaguement inquiet, rappelle que ce sont des enfants qui sont à l'origine de l'UYV , leur jeunesse pendant la guerre eût-elle été particulière.

Marchal dirigera Breiz Atao jusqu'en 1928 mais avec des périodes de retrait et de bouderie, car le garçon, quoique très talentueux, est caractériel quoique non rancunier et son goût pour la boisson n'arrange rien.

Anna Youenou rapporte le témoignage de Fransez Debauvais dans Fransez Debauvais et les siens. Mémoires du chef breton commentées par sa femme (tome 1 « Fondation et essor de Breiz Atao ») : « Les « Je te fous ma démission » de Marchal étaient légendaires. On n'en faisait plus de cas, mais on ne pouvait pas compter sur lui d'une façon régulière et un tout petit journal, même mensuel, doit paraître à date fixe si l'on veut conserver ses clients. Pour pondre un article, il lui fallait l'ambiance qu'il trouvait sans une chopine dans un petit café des environs de Rennes (dixit F. Debauvais). Mme Gefflot m'a raconté récemment qu'un soir où son mari voulait persuader Marchal d'écrire un article pour son journal, il devait entretenir l'inspiration avec des rasades d'alcool. Elle se souvenait particulièrement de ce soir-là, où ça ne venait pas. Quand enfin l'accouchement se fit, il ne restait que des fonds de bouteille, mais aussi quelle récompense ! » (p.61).

Parallèlement, il fut chargé de cours à la faculté des Beaux-Arts de Rennes. Architecte, il influencera d'ailleurs la vocation d'Olier Mordrel, qui deviendra un des architectes les plus en vue de Quimper et du Finistère après avoir étudié aux Beaux-Arts de Rennes.

En 1923, Marchal, qui avait démissionné une première fois de « Breiz Atao » en 1921 avant de revenir en juin 1922, crée, en s'inspirant du drapeau américain, le Gwen ha Du, l'actuel drapeau breton (qui deviendra le drapeau breton du nouveau PNB, le PAB, à son congrès de 1927) : neuf bandes, cinq noires pour les cinq évêchés de la Haute-Bretagne (pays briochin, malouin, rennais, nantais, Dolois) et quatre blanches pour ceux de la Basse-Bretagne (Léon, Trégor, Cornouaille et Vannetais). Les hermines, les couleurs blanches et noires étaient les symboles utilisés par les souverains bretons depuis le XIIIe siècle.

En 1924, Marchal est le premier dans Breiz Atao à définir l'opposition Bretagne-France comme celle des cultures nordique et latine. Cette opposition sera plus tard abondamment reprise et fondatrice chez Roparz Hémon et Olier Mordrel dans la justification culturelle d'un rapprochement politique avec l'Allemagne. Toutefois, cette opposition au monde latin et à sa rationalité démocratique, à son idée de la civilisation, était déjà présente dans le mouvement bardique et le paradigme celtique. Ainsi Jean-Pierre Calloc'h, alias Bleimor, le poète de Groix, fils de marin-pêcheur, pouvait écrire à Drumont, le directeur de la Libre Parole, d'un antisémitisme furieux, en 1909: « Dans cinq à six ans, si ce régime de pourriture latine et de charogne juive n'est pas crevé, nous serons tous séparatistes ! ».

Marchal a été souvent présenté dans le mouvement breton comme un fédéraliste de gauche en raison de son évolution idéologique depuis la création de « Breiz Atao » et de sa proximité idéologique avec la gauche républicaine dans les années 30 : Marchal est rentré au milieu des années 30 dans la franc-maçonnerie, et a adhéré au parti radical-socialiste. Il choisira le camp des fédéralistes en 1931 quand le PAB éclate et il est des signataires du "Manifeste des fédéralistes bretons" qui en 1938 condamne fermement les théories fascistes et pro-nazis que Mordrel a réussi à imposer au PNB et à Breiz Atao. Néanmoins, alors qu'il est architecte à Laval, Marchal fonde en 1942 pendant l'occupation une revue néo-païenne et ésotérique d'études druidiques, Nemeton, violemment antisémite. Ce n'est pas un coup d'essai : déjà en 1937, comme le revèle Mordrel, il participe à la revue culturelle Kad professant théories raciales et néo-paganisme sous le pseudonyme druidique de Maen-Nevez. De mars 1941 à juillet 1943, il est d'ailleurs adhérent du Rassemblement National Populaire, parti national-socialiste de Marcel Déat, un ancien dirigeant de la SFIO. A la Libération, Marchal est d'ailleurs condamné à 15 ans d'indignité nationale (voir Georges Cadiou, L'Hermine et la croix gammée, p. 241-242)

1Fanch Gourvil est né en 1889 à Morlaix dans un milieu modeste. Jeune adulte, il est d'abord tailleur puis journaliste à Carhaix dans le journal de Taldir Jaffrenou, Ar Bobl. De 1918 à 1934, il sera libraire à Morlaix et écrira aussi dans Breiz Atao que dans la Dépêche. Fanch Gourvil contribuera plus tard à la revue culturelle ne cachant pas sa sympathie pour les théories racistes et les États fascistes d'Olier Mordrel, Stur. Mais en 1938, il quitte le PNB et pendant la guerre, il entre dans la résistance gaulliste. Il aurait été dénoncé par Bricler, le beau-frère de Mordrel, administrateur de Stur. A la Libération, il est secrétaire du Comité d’Épuration et se montre intransigeant vis à vis des militants bretons. Dans les années 50, il participe aux activités d'Ar Falz et publie une thèse qui déconstruit la production du Barzaz Breizh en mettant en doute l'authenticité des chants collectés par la Villemarqué. Source : Dictionnaire biographique du mouvement breton par Lionel Henry.

Vie et destins de l'Emsav: deuxième partie: "Breiz Atao" jusqu'à la crise du Parti Autonomiste Breton en 1931 - par Ismaël Dupont
Photo de Fransez Debauvais
Photo de Fransez Debauvais

Mordrel et Debauvais, deux piliers de Breiz Atao.

C'est aussi au n°4 de la place de Bretagne qu'Olivier Mordrel, dix-huit ans, rencontre Francis Debauvais, « un gamin de quinze, encore en culottes courtes, à l'abondante perruque noire et au corps fluet, qui était l'image même de l'exaltation sans nuance » : « il avait certainement passé ses nuits, ajoute malicieusement Olivier Mordrel, sur toutes sortes de livres et de grimoires, car il n'en sortait pas, de Conan Mériadec au camp de Conlie, la tête farcie d'une imagerie d'Epinal faite de combats héroïques et de sacrifices sublimes pour la patrie ».

Francois Debauvais, né à Rennes en 1903, dont le père est préparateur en pharmacie, a seize ans à l'époque. Deux ans et demi plus tôt, en avril 1916, il collait des papillons « Vive l'Irlande » sur les WC publics de Rennes par enthousiasme pour le soulèvement irlandais contre la domination britannique. Il achète pour la première fois la revue Breiz-Atao dans un étalage de journaux à Rennes en février 1919 et, quelques jours après cet achat, prend contact avec Maurice Marchal.

Le premier éditorial de Debauvais dans « Breiz Atao » est dirigé contre la célébration par le maréchal Foch du « traître Bertrand du Guesclin » à Rennes en juillet 1921. Durant la nuit précédant la fête, Debauvais couvrit les murs de Rennes de papillons dénonçant la glorification du traître breton par un général français et annonçant la sortie du prochain Breiz Atao. « L'action bretonne était née », commente Mordrel.

Bertrand Du Guesclin, « petit reître besogneux et fourbe" (Robert Lafont), ancien pilleur de routes passé au service du roi de France, qui a combattu Jean IV, le futur duc de Bretagne, alors Montfort, au service des Blois, et qui a envahi la Bretagne dont le duc séjournait en Angleterre pour le compte de Charles V, est la tête de turc du mouvement nationaliste breton qui voit dans la renommée de ce breton acquise dans l'histoire de France officielle le symbole même d'une volonté d'abaissement de la Bretagne, comme l'exprime en 1970 Morvan Lebesque dans Comment peu-on être breton ? : « Or, le petit Breton qui ignore ses rois, ses ducs, qui n'a jamais entendu parler de Nominoë ou de Jeanne la Flamme – seule exception, la duchesse Anne, mais parce que vaincue, contrainte d'épouser le roi de France, bref intégrée à la Famille – le petit Breton, donc, est enseigné à admirer ce traître, que dis-je : à n'admirer que lui, à le considérer comme son héros national... Du Guesclin, tout est dit, « incarne les vertus bretonnes » (Morvan Lebesque, Comment peut-on être breton ? Seuil, 1970 – p. 47).

Yves Drezen, venu faire son service militaire à Rennes, s'associe à cette équipe de jeunes idéalistes rêvant de restaurer la grandeur perdue de la Bretagne. Journaliste, il suivra la ligne dure du PNB avec Mordrel et Debauvais dans les années 1930, collaborera à la revue Gwalarn de Roparz Hemon. Pendant les années d'occupation, il écrira dans la presse collaborationniste bretonne et française des articles antisémites et favorables à l'Europe allemande, retrouvera les nationalistes bretons au QG du bar du Petit Triskell à Rennes, décoré par René-Yves Creston : il partira d'ailleurs en Allemagne avec la centaine de nationalistes collaborateurs les plus compromis à la Libération. C'est en même temps un écrivain et romancier très important pour la littérature bretonnante: son Itron Varia Garmez, publié en 1941, restitue avec verve la vie sociale du pays bigouden pendant le Front Populaire et manifeste des préoccupations sociales réelles.

Jeanne Coroller du Guerny, qui fournira les détonateurs à Célestin Lainé en 1932 pour abattre le monument de l'Union de la Bretagne à la France, la statue de Jean Boucher inaugurée en 1911, devant la mairie de Rennes et dont la fortune personnelle et familiale servira souvent à éponger les dettes de Breiz Atao, adhère au mouvement en décembre 1919. Elle écrira une histoire de Bretagne d'inspiration nationaliste avec Camille Le Mercier d'Erm, illustrée par son amie Jeanne Malivel2. A une époque où excepté les marges révolutionnaires, l'engagement politique est encore souvent une affaire d'hommes, des femmes de fort tempérament vont s'illustrer dans l'Emzav d'avant-guerre : on aura l'occasion de reparler entre autre de Denise Guieysse, Anna Youenou, et Françoise Rousic, alias Meavenn.

Mordrel est né à Paris en 1901. Il a grandi à Paris dans un hôtel particulier de la rue de Grenelle, fréquenté en élève brillant le lycée Condorcet avant de finir son lycée à Rennes. Son père, ancien élève de Saint-Cyr, officier de l'armée coloniale, puis général, était né à Hédé en Ille-et-Vilaine. Politiquement, il était admirateur de Maurras et de sensibilité royaliste. Sa mère, qui a élevé Olivier et ses autres enfants seule la majeure partie du temps, le mari étant retenu en Chine, au Tonkin, au Congo ou au Maroc, puis engagé dans la Grande Guerre où il s'illustre la défense de Nancy, était la fille d'un négociant de Coulommiers et d'une grande famille corse de l'île Rousse. En dehors de ses étés passés à Saint-Malo, Dinard, Paramé, ses liens avec la Bretagne étaient donc tenus, et ses liens avec la langue et la culture basse-bretonne absolument nuls.

C'est en 1918, au moment où il s'éloigne de ses parents qui auraient préféré pour lui une carrière militaire qu'une vocation d'architecte et qui reprouvent ses emportements, qu'il achète La langue bretonne en 40 leçons de François Vallée et assiste à des conférences de Charles Le Goffic à Rennes, que Mordrel commence à s'attribuer une nouvelle identité de substitution, celle de « Celte » résistant à la latinisation. Ce n'est qu'à l'été 1920 que Mordrel découvre la Basse-Bretagne au cours de trois semaines de randonnée. Toutefois, breton sous une forme idéologique et intellectuelle, à la manière d'un bourgeois français converti et fantasmant les vertus essentielles du peuple breton et de la race, Mordrel, comme la plupart des militants de Breiz Atao, aura toujours un mépris aristocratique à l'égard du peuple breton que selon eux, « comprend à peu près autant la Bretagne que le Groënland » (Breiz Atao, 15 janvier 1922).

Avec Debauvais pour principal associé dans le rôle du gestionnaire quand lui se réserve celui de l' « imagination créatrice », du théoricien et du stratège, Mordrel va prendre assez rapidement grâce à son ambition, son besoin de briller et l'ascendant naturel lié à son intelligence et sa capacité de séduction, la direction politique du mouvement nationaliste, imprimant dans le mouvement breton la marque de son tempérament élitiste, anti-démocratique, mais aussi réaliste, pragmatique, ennemi du sentimentalisme.

En 1922, le bureau de Breiz Atao est établi dans une mansarde au 11, rue de Saint Malo à Rennes, au-dessus de l'ancien logement des parents de Debauvais, dépendant de la pharmacie Lemonnier-le patron du père de Lemonnier, dont le fils est un compagnon de route de Breiz Atao, était un poète amateur et régionaliste passionné d'histoire, qui ne fut pas étranger à l'affirmation de la passion bretonne du jeune François.

« Dès sa plus tendre enfance, Fransez entendit parler de la Bretagne autour de lui, par M.Lemonnier, chez qui était employé son père et qu'il voyait souvent, leurs habitations étant continguës. « Ar Monnier eus Dol », ainsi qu'il se nomme lui-même, édita le 12 septembre 1903 un petit recueil de poésies à la gloire de Brizeux dont les vers reflètent un esprit très breton » (Fransez Debauvais de breiz-Atao et les siens. t1, p.41) .

Les contributeurs à la revue sont peu nombreux et Mordrel et Debauvais, notamment, écrivent sous plusieurs pseudonymes, dont celui pour Debauvais de F.J Fixot, le nom de sa grand-mère maternelle associé aux initiales de son prénom.

Jeune militant de Breiz Atao et du « Groupe régionaliste breton » dès 1918, puis de l'Union de la jeunesse de Bretagne », alors qu'il apprend le métier d'instituteur à l'école normale, futur fondateur de « War Zao » et d'Ar Falz en 1933, l'instituteur militant culturel et politique breton de gauche Jean Sohier, alias Yann Sohier, héritier du socialisme fédéraliste breton d'Emile Masson, fils d'un gendarme de Sel de Bretagne, devenu percepteur à Lamballe, ayant grandi dans une famille catholique plutôt aisée et pleinement francophone, regrettera nous dit sa fille Mona Ozouf dans son très beau texte autobiographique Composition française de n'être pas né dans une famille paysanne du Bas-Léon comparable à celle de sa femme, finistérienne de Lannilis, dont la mère portait la coiffe du Léon.

Les militants bretons de Breiz Atao de la génération 1920 sont, pour la plupart d'entre eux, en particulier ceux qui se feront les chantres de la race de l'ethnie, du « bon sang qui ne saurait mentir », des bretons de volonté et d'identification intellectuelle et affective, très loin de la sensibilité effective du peuple breton réel dont ils n'ont pas la langue populaire en usage. Cela créera une fuite en avant et des malentendus tragiques.

François Debauvais reconnaît lui-même que les Bretons en dépit de l'agitation de ces activistes accueillent mal cette cause nationaliste bretonne, ce qui induit une conception élitiste de la stratégie politique à conduire: "Nous ne pouvons prétendre créer, pour le moment, un vaste mouvement populaire. Notre tâche doit se borner à la conquête de la partie pensante, capable de devenir agissante, de la nation: l'élite bretonne. C'est seulement lorsque nous en aurons groupé toutes les forces vives, les intelligences et les capitaux, que nous pourrons atteindre la masse ouvrière et paysanne" (cité par Michel Nicolas dans Le Séparatisme en Bretagne p 22 et par Joël Cornette dans son Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome 2, Points Histoire, p. 459).

Mordrel en 1929 (photo tiré du livre de Sébastien Carney, Breiz Atao! Mordrel, Delaporte, Lainé, une mystique nationale (1901-1948)

Mordrel en 1929 (photo tiré du livre de Sébastien Carney, Breiz Atao! Mordrel, Delaporte, Lainé, une mystique nationale (1901-1948)

Le premier Breiz Atao : un séparatisme refréné

Au départ, le mouvement Breiz Atao est dans ses revendications un simple mouvement régionaliste, revendiquant plus d'autonomie politique pour la Bretagne et la liberté d'exprimer sa culture et de développer sa langue.

Anna Youenou cite un projet de manifeste de Debauvais daté de 1920 (sans doute jamais publié) qui semble confirmer que le projet des jeunes militants de Breiz Atao n'est pas, dans le contexte de l'époque, de se battre pour l'indépendance de la Bretagne, mais plutôt pour sa reconnaissance en tant qu'entité culturelle distincte digne d'estime et protégée contre une volonté d'assimilation culturelle totale et pour son autonomie plus grande dans un cadre fédéral, son progrès dans le cadre d'un État moins centralisateur, moins jacobin.

« J'ai dit que je ne m'effrayais pas du mot « séparatiste » ; je ne m'effraye pas non plus de la chose. J'ai même beaucoup de sympathies pour les séparaistes. Ce sont des gens désintéressés et nobles qui espèrent refaire une Bretagne indépendante. C'est un beau rêve, avouons que je l'ai eu jadis, mais avant tout, soyons réalistes et positivistes... et comprenons bien qu'avec l'état actuel des choses, je dis et souligne actuel, le séparatisme est pas d'ordre pratique... » (Fransez Debauvais de breiz-Atao et les siens, t.1, p. 56)

Breiz Atao, dont les objectifs et les principes s'affichent dans les premiers numéros de la revue, est donc en retrait par rapport au parti-pris nationaliste et séparatiste de l'éphémère PNB de Camille Mercier d'Erm avant 1914.

Faut-il y avoir une reconstruction retrospective, Mordrel précise qu'il y a là surtout précaution oratoire et prudence tactique dans un contexte d'Union Sacrée suivant la victoire et les sacrifices énormes accomplis « le salut la Patrie » en 14-18.

Pour les Bretons, après la Grande Guerre, qui ont été nombreux à connaître pour la première fois dans les tranchées la diversité du peuple français, et qui ont vécu une intense propagande nationaliste cocardière avant, pendant, et dans les mois suivant la guerre, il n'est tout simplement pas imaginable à ce moment d'envisager le divorce de la Bretagne avec la France. Les jeunes de Breiz Atao, formés eux-mêmes intellectuellement avec les idées de l'extrême-droite cocardière, en ont conscience.

Mordrel écrit ainsi soixante ans plus tard qu'en 1919 : « les précautions oratoires sont de règle (dans la revue Breiz Atao) : Bretagne d'abord, oui, mais « indéfectiblement » unie à la France ! Quand Job de Roincé écrit que c'est pour le plus grand bien de la France que nous allons lutter, il énonce une grande vérité... mais qui était une assertion gratuite en 1919, et de la part de nos rédacteurs une hypocrisie pure, faisant partie du double jeu traditionnel des patriotes bretons, dont nous eûmes peine à nous affranchir » (Olier Mordrel, Breiz Atao – Alain Moreau éditeur, 1973 p. 59).

Toutefois, si le cœur souhaite la liberté complète et l'indépendance de la Bretagne, la raison peut à cette date tempérer ces élans, non pas simplement parce que le « peuple breton » n'est pas prêt à prendre au sérieux cette idée, mais aussi peut-être parce que la Bretagne elle-même n'est pas préparée à voler de ses propres ailes, comme l'écrit Olier Mordrel peu avant dans son récit :

« Quand Marchal et de Roincé firent voir le jour au n°1 de Breiz Atao en janvier 1919, il leur était impossible de dévoiler au grand jour leurs tendances nationalistes, tant l'orgueil d'être français avait été stimulé d'un bout à l'autre de l'hexagone par la victoire sur les empires centraux. Le drapeau déployé fut celui du régionalisme. Il n'y avait pas de séparatistes parmi nous. Non pas que nous jugions l'idée « criminelle », mais parce que nous ne pensions pas que la Bretagne pût vivre sans la France et parce que nous nous serions irrémédiablement discrédités dans le public rien qu'en prononçant le mot » (Olier Mordrel - Breiz Atao, Alain Moreau éditeur, 1973, p. 48).

Pour un renouveau de la culture bretonne

C'est en 1923 toujours que naît autour de Maurice Marchal, de René-Yves Creston, de Fanch Elies, de Youenn Drezen et Xavier de Langlais le mouvement culturel et artistique des Seiz Breur, ce groupe d'artistes bretons soucieux de dépoussiérer la culture bretonne, de renouveler, en réinterprétant et actualisant des motifs celtiques, les arts en Bretagne. Ce mouvement entend créer un art national véritablement moderne et productif, ne se contentant pas d'imiter les modes et les avant-gardes européennes ou françaises, ou de reproduire à l'identique des motifs folkloriques.

Puisant dans l'avant-garde et les innovations de la modernité artistique des moyens graphiques de renouveler et de réinterpréter la tradition bretonne et celtique, qui est la matière de son art,travaillant y compris dans le domaine des arts appliqués et de la production d'objets utilitaires, ce mouvement artistique a laissé une empreinte véritable, et pas simplement en Bretagne.

Cette dimension culturelle de l'Emsav de l'entre-deux guerres est accentuée par la contribution de bretons de Paris, comme la peintre et illustratrice Jeanne Malivel, née à Loudéac, qui fait aussi partie des membres fondateurs du Seiz Breur en septembre 1923, et qui prendra une part importante à la conception du pavillon breton pour l'Exposition des arts décoratifs de Paris en 1923. Jeanne Malivel décède peu de temps après à Rennes en septembre 1926, âgée de trente et un ans. Elle était perçue comme « la madre » du petit groupe Breiz Atao, notamment par Olier Mordrel1. C'est René-Yves Creston qui prend la responsabilité des Seiz Breur par la suite. Le nazairien créera ensuite la revue artistique Kornorg (le nom d'un vent de nord-ouest) en 1929 et illustrera les livres d'auteurs nationalistes comme Drezen ou Sohier.

Excursus- René-Yves Creston

René-Yves Creston deviendra chef du département ethnographique du Trocadero à Paris en 1936 après avoir participé en 1936 à la campagne du Pourquoi pas ? du commandant Charcot comme peintre de marine. Il participe aux travaux des Bretons émancipés, association culturelle bretonne très active à Paris et proche du Parti Communiste. Pendant la guerre, il est illustrateur pour « L'heure bretonne », le journal collaborateur du PNB, comme Xavier de Langlais ou Yann Goulet, le sculpteur nazairien, et participe à l'Institut celtique de Bretagne créé sous l'égide de l'occupant par Yann Fouéré et Roparz Hemon, ce qui lui vaut d'être inquiété à la Libération. Mais sa participation à la Résistance dès août 1940 comme membre du réseau du Musée de l'Homme et sa contribution au renseignement des Alliés sur les structures allemandes à Saint-Nazaire l'innocente. Après guerre, il militera au Parti Communiste et à Ar Falz.

René-Yves Creston

René-Yves Creston

Mordrel raconte dans Breiz Atao, reprenant des mémoires écrites antérieurement :

« Les « exilés » de Paris ne furent pas les moins actifs. Je rencontre alternativement un lieutenant d'infanterie démobilisé, devenu étudiant en droit, dans sa chambre de répétiteur au collège Stanislas, Saïg Le Goff, et Jeanne Malivel, qui sera notre Vélleda, dans son atelier de la rue N. D.-des-Champs où elle s'applique à faire revivre les arts appliqués bretons, afin de jeter les bases de l'action bretonne à Paris :

« Paris a été autant, sinon plus que Rennes, de 1921 à 1926, le creuset du renouveau breton. L'atelier de Jeanne Malivel fut l'exacte réplique de la chambre à coucher de Marchal. C'était le point de ralliement où, sous la présidence de cette petite femme énergique au regard de nonain, Saïg et moi tracions nos plans. Malivel restait aussi étrangère à la Ville-Lumière que si elle n'avait jamais quitté son Loudéac natal. Elle s'était vouée à la renaissance du vitrail et de la gravure sur bois dans le cadre de la renaissance bretonne. Pour elle, l'une n'allait pas sans l'autre. Elle était si pure qu'il nous aurait semblé sacrilège de la regarder comme une femme. Nous savions qu'il y avait un demi-million de Bretons à Paris, mais nous ne savions pas où. Nous nous précipitions partout où nous apercevions l'étiquette « régionaliste »... chacun de nous finissait par ramener « son » Breton chez Malivel. C'était tantôt un écolier, tantôt un soldat ou un employé de métro. Nous fîmes nos premières armes en nous efforçant par tous les moyens dialectiques de convaincre nos hôtes d'un soir et ce fut, en effet, peut-être là que commencèrent à se profiler l'idéologie de combat et les méthodes de propagande ». (Breiz Atao – Olier Mordrel, p. 110)

En 1920, Jeanne Malivel écrit en gallo un conte, issu de la tradition orale, que lui racontait sa grand-mère paternelle, originaire de Noyal-sur-Seiche, auquel elle donne le nom de "Les Sept Frères", préfacé par Maurice Denis. Les Sept Frères est une référence aux sept Saints Fondateurs de la Bretagne, Brieuc, Malo, Samson, Patern, Corentin, Pol-Aurélien et Tugdual. Voulant renouer avec la force des bois populaires, elle contribue au renouveau de la gravure sur bois. En 1922 elle illustre, par de beaux bois gravés, "L'Histoire de notre Bretagne" rédigée par l'autonomiste bretonne, future collaborationniste, Jeanne Coroller-Danio qui signait souvent ses oeuvres "C-Danio". À cette même période, elle devient la co-fondatrice d'un mouvement artistique breton en compagnie de René-Yves Creston et de sa femme Suzanne Creston auquel elle va donner le nom breton de Ar Seiz Breur, en français "les Sept frères". Visant à rénover l'artisanat breton, elle fait réaliser du mobilier, des tapisseries, des broderies, des tissus, des faïences. Seiz Breur regroupe alors une cinquantaine d'artistes avec des disciplines et des techniques modernes. Ce travail de création de meubles et éléments de décor va prendre une part importante dans la conception du pavillon de la Bretagne à l'Exposition internationale des arts décoratifs en 1925, qui est un succès et qui va contribuer au renouveau des arts de Bretagne, en relation avec les milieux artisanaux.

Vie et destins de l'Emsav: deuxième partie: "Breiz Atao" jusqu'à la crise du Parti Autonomiste Breton en 1931 - par Ismaël Dupont
gravure sur bois de Jeanne Malivel parodiant l'union de la Bretagne à la France, dans l'ouvrage "L'histoire de notre Bretagne" de Jeanne Coroller Danio

gravure sur bois de Jeanne Malivel parodiant l'union de la Bretagne à la France, dans l'ouvrage "L'histoire de notre Bretagne" de Jeanne Coroller Danio

Lors de ses premiers numéros, dans Breiz Atao, que vient rejoindre Abeozen (Fanch Elies), ce dernier ce dernier étant au départ aux dires de Mordrel un des seuls bretonnants authentiques de l'équipe avec Drezen, ces jeunes journalistes militants font le procès de la France en Bretagne, la France qui a conquis un peuple par l'école, qui proscrit l'enseignement de la langue et de l'histoire bretonne, qui a saigné la jeunesse bretonne pour une guerre sans utilité pour eux entre 1914 et 1918, qui est responsable du sous-développement de la Bretagne et de l'émigration massive de la jeunesse. La France qui sous-exploite le potentiel maritime et agricole de la Bretagne, maintient pour le mouvement la région dans une forme d'arriération économique, alors que les atouts économiques de la Bretagne sont nombreux, mais ignorés par une administration et des décideurs qui sont souvent étrangers à la Bretagne.

Excursus - Fanch Elies

François dit Fanch Elies (1896-1963), a passé son enfance dans une famille modeste de Landivisiau (son père est terrassier), est mobilisé après avoir fait le petit séminaire à Quimper. Il est touché par des gaz asphyxiants en août 1918 et démobilisé en 1919. Il renonce alors à devenir prêtre et poursuit des études de lettres à Paris. C'est quand il devient professeur agrégé de lettres à Dinan, puis St Brieuc, qu'il se lie aux membres de Breiz Atao. C'est un des spécialistes de la littérature et des meilleurs bretonnants de la revue Gwarlarn. Il signe sous le pseudonyme d'Abeozen. Avant-guerre, Fanch Elies est perçu à raison comme un régionaliste breton de gauche : anti-colonialiste, pacifiste et égalitariste, proche du directeur de L'Humanité et du responsable communiste Marcel Cachin dont il revoit les discours en breton, il collabore en même temps avec Louis Guilloux et son épouse au « Secours Rouge » de Saint Brieuc et écrit avec Creston dans War Sao des Bretons Emancipés où il milite pour le soutien aux Républicains espagnols. Le pacte germano-soviétique, la défaite de 1940, sa séparation avec son épouse et sa liaison avec une femme dont la famille était proche de Marcel Déat, vont lui faire accomplir un virage pro-allemand pendant la guerre. Il collabore à Radio-Rennes avec Roparz Hémon et Meavenn (Françoise Rousic), et écrit dans plusieurs journaux financés également par les Allemands : à L'Heure bretonne, dans la revue pro-nazie Galv de Hervé Le Helloco, il écrit des articles correspondant tout à fait aux intérêts des nazis : dénonciation des franc-maçons, des juifs, des anglais et des américains qui les servent, appel à la régénération de l'Europe grâce à l'Allemagne nazie. A la Libération, il est emprisonné pendant 14 mois, radié de l'Education nationale et interdit de séjour en Bretagne (voir Résistance et conscience bretonne de Jean-Jacques Monnier, p. 36 - La résistance bafouée de Françoise Morvan, Emsav. Dictionnaire critique, historique et biographique de George Cadiou, )

Abeozen - Fanch Elies

Abeozen - Fanch Elies

Breiz Atao n'est pas nostalgique d'un âge d'or de la Bretagne, clérical et d'ancien régime : il ne veut pas du retour à une société traditionnelle mais de l'auto-détermination et du progrès pour la Bretagne.

Breiz Atao lutte surtout contre une forme d'orientalisation de la Bretagne, de construction d'une Bretagne folklorique, passéiste, pittoresque, charmante dans son caractère domestiqué de carte postale d'un autre temps pour le français. Le « pittoresque breton », servi par des artistes qui en font leur fond de commerce, sans percevoir forcément qu'ils alimentent un rapport de supériorité de type « colonial », est la cible, même si ce combat est ambigu car il s'agit de dénoncer la réduction de la Bretagne à sa différence infamante, car signe d'infériorité, tout en revendiquant avec fierté sa singularité, sa différence nationale irréductible, venue du fond des âges.

« Nous partions en guère, écrit Mordrel, contre la « biniouserie », ce que les Allemands appellent le

« kitsch », dans laquelle on prétendait enfermer la Bretagne. Le pauvre Botrel, qui malgré son grand talent et le réel patriotisme qui l'inspirait, en fut le chantre, tomba une des premières victimes de notre offensive. Nos garçons huaient ses chansons sur une scène bretonne, en hurlant : « Brezoneg!Brezoneg ! » Botrel – que dans le fond nous aimions bien et auquel nous devions tant – avait eu le tort d'apprendre aux Bretons à aimer leur pays... en français. Mais Bécassine, dont l'origine était à Paris hors de la portée de nos coups, échappa longtemps à la tuerie. Elle continuait à inspirer d'insipides livres pour enfants, tolérés par l'habitude, comme le témoin miraculeux d'une littérature dont le but inconscient était de ravaler l'idée bretonne à un niveau rassurant, la pointe de sympathie faisant passer le mépris » (Olier Mordrel, Breiz Atao – Alain Moreau éditeur, 1973 – p. 93).

Très loin de la valorisation du folklore et des traditions à l'URB ou à la FRB, Breiz Atao stigmatise la recherche du pittoresque régional conventionnel : il veut construire une nation moderne sûre de ses forces et tournée vers l'avenir plutôt que vers le passé.

Le mouvement des Seiz Vreur qui par certains aspects peut s'apparenter par son esthétique à l'art fasciste de ces années là en Italie et en Allemagne, comme d'ailleurs à certains aspects de l'art soviétique (goût du monumental, refus de la psychologie), est emblématique de cette volonté moderniste.

L'apprentissage de la langue bretonne est posé comme un impératif de construction nationale. La plupart des militants de départ de Breiz Atao viennent de la bourgeoisie de Haute-Bretagne, ou même quand ils viennent de Basse-Bretagne, ils ne sont pas forcément bretonnants de naissance.

En même temps, ils prennent au sérieux la formule du lexicographe et grammarien François Vallée, qui préside la première réunion des adhérents de Breiz Atao à Saint Brieuc en 1919 : « Pas de langue, pas de nationalité ». Même les militants originaires de la zone géographique du gallo se mettent donc à publier leurs articles en breton.

François Vallée

François Vallée

Louis Nemo, alias Roparz Hémon

Louis Nemo, alias Roparz Hémon

A l'hiver 1924-1925, Roparz Hémon prépare l'agrégation d'anglais à Paris et il loge dans le même hôtel que Olier Mordrel qui suit lui les cours d'architecture de l'école des Beaux-Arts. Les deux hommes se connaissent déjà. Même si Roparz Hémon n'était pas des débuts de l'aventure de Breiz Atao en 1919-1920, car il travaillait alors pour l'armée américaine à Coblence, il a déjà commencé à collaborer avec Breiz Atao à travers une série d'articles qui fourniront la matière du livre Un Breton retrouve la Bretagne. Olier Mordrel raconte avec sa tendresse habituelle: « nous sommes émerveillés de voir d'un coup le niveau d'expression du breton s'élever à la hauteur du français, nous délivrant du handicap fatal de la littérature d'édification ou d'almanach à laquelle jusque-là semblait condamnée à perpétuité la langue bretonne » ( Olier Mordrel, Breiz Atao – Alain Moreau éditeur, 1973 – p. 104).

Excursus - Roparz Hémon

Roparz Hémon, Louis-Paul Némo (1900-1978) à l'état civil, d'origine brestoise, a vingt-quatre ans quand il commence à collaborer avec Breiz Atao. Némo, raconte Georges Cadiou dans L'Hermine et la croix gammée, était « le nom qu'avait donné un adjoint au maire de Brest à son père, né de parents inconnus (Nemo signifiant personne en latin). Roparz Hemon (Hemon, anagramme bretonnisé de son patronyme) naquit donc dans une famille francisante. Mais il apprit quelques bribes de la langue bretonne auprès de ses grands-parents maternels léonard et vannetais. Et surtout, dit-on, avec les femmes de ménage et les servantes de la maison.

Élève brillant et sérieux, Roparz Hemon, après avoir renoncé à Polytechnique, devient professeur agrégé d'anglais, ce qui lui permet de faire de longs séjours en Grande-Bretagne dans les années 20.

Il se prend surtout de passion pour la langue bretonne, à laquelle il va consacrer tout son temps libre, en dehors des heures qu'il consacre à l'enseignement de l'anglais dans sa bonne ville de Brest.

En février 1925, Roparz Hemon lance la revue Gwalarn (Gwalarn, c'est le "Noroît", le vent de nord-ouest). Gwalarn est d'abord supplément littéraire en breton au journal Breiz Atao avant de devenir une publication indépendante, en juillet 1926, puis une publication mensuelle en 1930. Bientôt, la revue Gwalarn (Nord-Ouest), qui touchait surtout les néo-bretonnants (et était écrite par eux), comptera 300 abonnés, et sera une matrice de création littéraire en breton. La revue Gwalarn paraîtra jusqu'en 1944, on en comptera 165 numéros publiés. Joël Cornette, dans son Histoire de la Bretagne et des Bretons, note: "Vivant uniquement de souscriptions privées et d'abonnements, elle est diffusée en vase clos - le nombre de lettrés bretonnants est très limité - , mais prend en charge une maison d'édition et des publications annexes. Sous l'impulsion de Roparz Hémon, infatigable "passeur", on assiste à un flot de traductions, d'Eschyle à Tchekhov, sans oublier Edgar Poe, Cervantès ou les frères Grimm. Sont aussi traduits des traités scientifiques, des lexiques, des manuels de physique, de chimie, de géométrie, des ouvrages de littérature générale... Bref, Gwalarn fait du breton une langue qui n'est plus celle des cantiques et des contes, mais une langue moderne, modernisée et unifiée à partir du "KLT", le parler de Cornouaille, Léon, Trégor, au détriment du vannetais". (Points Seuil Histoire, p. 462)

Les parlers de Cornouaille, Léon, Trégor avaient été fédérés en 1907 sous l'impulsion de Vallée et Le Roux (alias Meven Mordiern) pour donner naissance au KLT (Kerne, Leon, Tregor). Le breton vannetais reste alors isolé, se développant de manière indépendante autour notamment du journal Dihunamb de Loeiz Herrieu, tandis que la plupart des autres organes de presse indépendants, notamment ceux des régionalistes et nationalistes, utilisent le KLT. Plusieurs appels à unifier le KLT avaient été rejetés par Vallée et Mordiern, persuadés qu'ils étaient de tenir la seule langue valable littéraire.

A la fin des années 1930, Raymond Delaporte pour le Bleun Brug tentera de reprendre ce projet et d'unir les bonnes volontés en dépassant les sectarismes pour unifier la langue bretonne en prenant en compte le vannetais et donc en modifiant la langue écrite de Vallée et "Gwalarn" pour créer une orthographe KLTG ("G" pour gwenedeg, vannetais) mais il se heurtera à une réaction de rejet violente de Roparz Hemon. Finalement, cette unification mettant fin, en principe, à l'existence des deux langues bretonnes écrites, eut lieu pendant l'occupation en 1941, créant ainsi le KLTG ou le yezh peurunvan , langue parfaitement unifiée.

En février 1925, pour le premier numéro de Gwalarn, le « Premier et dernier manifeste de Gwalarn en langue française » clame les buts de la revue, présentée comme une « réaction violente et raisonnée de la jeunesse cultivée » bretonne : donner un lieu d'expression à une littérature bretonne moderne et unifiée, produite par des bretonnants instruits pour des bretonnants instruits. Gwalarn tourne résolument le dos à l'ancien régionalisme, valorisant les traditions, le folklore, les aspects primitifs de la culture bretonne, au profit de la construction d'une littérature au service d'un projet national engagé dans son siècle et ouvert sur l'avenir.

Gwalarn rompt aussi avec la tradition du bilinguisme, et de la promotion de la culture bretonne en français. Au moment où le druide Taldir Jaffrenou écrit dans l'Ouest-Eclair qu'aucun homme de bon sens n'aurait formulé « l'énormité qui consisterait à vouloir proscrire le français », Roparz Hémon répond, contre les timidités du bilinguisme : « Tuons le français, ou le français nous tuera. » (Olier Mordrel, Breiz Atao – Alain Moreau éditeur, 1973 – p. 106) .

Ce parti-pris monolingue participe d'une volonté de construction nationale mais néanmoins, Roparz Hémon et Olier Mordrel précisent : « Les colonnes de Gwalarn sont ouvertes à toutes les plumes, sans distinction de parti. L'adhésion à Gwalarn n'implique pas l'adhésion au nationalisme breton. La littérature peut être mise au service de la politique, mais elle n'en dépend pas essentiellement ».

Roparz Hemon est pour sa part cependant un nationaliste intransigeant et radical, considérant que la Bretagne n'a qu'une langue, le breton, que le français n'est qu'une langue étrangère et le gallo lui-même un métissage suspect. L'objectif est bien de bretonniser à terme toute la Bretagne, de faire du breton la langue nationale de la Bretagne.

En attendant, l'objectif de Roparz Hémon est prioritairement de hisser le breton au rang de langue de culture et de lettres, de le sortir de la pauvreté d'un usage populaire et rural. Contrairement à d'autres revues bretonnantes , Kroaz ar Vretoned dans le diocèse de Saint Brieuc, et Feiz ha Breiz dans le Léon, Gwalarn ne se définit pas par la question religieuse ou la défense du catholicisme.

En février 1925, dans Breiz Atao, le blason herminé évocateur d'une Bretagne traditionnelle d'Ancien Régime est remplacé par un svastika baptisé en breton hevoud, bien être. Ce qui correspond à la traduction sanskrite du mot « svastika » : l'état d'être bien. Faut-il y voir une référence à la Croix gammée nazie : probablement pas car à cette époque, le NSDAP, qui a adopté ce symbole en juillet 1920, est un petit parti ultra-nationaliste peu connu. En revanche, quand le symbole apparaît en 1932 sur les cartes des adhérents du PNB ou en 1935 sur la première page du même journal « Breiz Atao » (il avait disparu en 1929), la signification de ce symbole réutilisé par la culture celtique, n'est plus aussi neutre idéologiquement. En 1927, l'hevoud orne les poitrines des militants réunis au congrès de Rosporden.

Ni gauche, ni droite : Bretons d'abord !

En février 1925, dans Breiz Atao, le blason herminé évocateur d'une Bretagne traditionnelle d'Ancien Régime est remplacé par un svastika baptisé en breton hevoud, bien être. Ce qui correspond à la traduction sanskrite du mot « svastika » : l'état d'être bien. Faut-il y voir une référence à la Croix gammée nazie : probablement pas car à cette époque, le NSDAP, qui a adopté ce symbole en juillet 1920, est un petit parti ultra-nationaliste peu connu. En revanche, quand le symbole apparaît en 1932 sur les cartes des adhérents du PNB ou en 1935 sur la première page du même journal « Breiz Atao » (il avait disparu en 1929), la signification de ce symbole réutilisé par la culture celtique, n'est plus aussi neutre idéologiquement. En 1927, l'hevoud orne les poitrines des militants réunis au congrès de Rosporden.

Breiz Atao lance le slogan Breiz da genta, « Bretagne d'abord », devant remplacer le Feiz ha Breiz le « Foi et Bretagne » du régionalisme de droite de la fin du dix-neuvième siècle : c'est aussi le nom de la revue animée par l'abbé Perrot, qui est dès les années 1920 néanmoins un ami et un inspirateur de plusieurs jeunes militants nationalistes, dont Célestin Lainé. Ses militants écrivent sur les murs « Na ruz, na gwenn, Breizhad hepken » : « Ni rouge, ni blanc, breton seulement ! »

Olier Mordrel commente une soixantaine d'années plus tard dans Breiz Atao : « Insouciant du scandale qu'il soulevait dans des milieux qui l'avaient couvé à sa naissance, Breiz Atao soutint qu'on pouvait être libre penseur ou protestant, druidiste ou matérialiste, franc-maçon ou capucin et être excellent breton » (Olier Mordrel, Breiz Atao – Alain Moreau éditeur, 1973 -p. 73)

« Dans les années 20, écrit Sébastien Carney, se dire Breton, c'était la plupart du temps être catholique et de droite... D'ailleurs la presse locale de gauche ne se privait pas de le souligner. Après le congrès de Quimper de 1924, le journal brestois Le Cri du Peuple fait un sort à Breiz Atao, « petit groupe d'agités » qui ne serait en fait que la dernière trouvaille des régionalistes conservateurs pour faire diversion ».

Pourtant Marchal défend pour le journal et le mouvement la neutralité politique et religieuse : ils

peuvent accueillir toute personne dont le seul but est la Bretagne, qu'elle vienne de l'extrême-droite à l'extrême-gauche.

En novembre 1925 commence à paraître, lancée par le groupe « Breiz Atao », un journal populaire de tendance communiste, « War Zao » (Debout), à destination de « la Bretagne aux mains caleuses, la vraie Bretagne, la plus pure des Bretagnes », rédigé par le groupe de nationalistes de gauche de Guingamp du cheminot Louis (Loeiz) Derrien. Fransez Debauvais et Olier Mordrel collaborent avec ce journal militant.

Une autre forme de régionalisme, catholique et conservateur, qui rencontre un écho populaire beaucoup plus important car il est lié à l'église, fait concurrence à l'équipe de Breiz Atao même si des liens existent entre les hommes. Dès 1925, l'abbé Jean-Marie Perrot, figure du Bleun-Brug et du journal Feiz ha Breiz, réclame pour la Bretagne la conquête d'un statut d'autonomie. Il s'agit aussi pour lui d'éviter que les ardeurs des jeunes « patriotes bretons » se tournent vers Breiz Atao l'agnostique où l'on trouve un peu trop d'hommes et de femmes libérés de la direction morale de l'église. Malgré les mises en garde de l'évêque Monseigneur Duparc, la politisation du Bleun-Brug s'accélère avec l'arrivée en 1927 de l'abbé Madec, ancien combattant aux convictions régionalistes bien affirmées. « Son action, écrit Sébastien Carney dans l'article « Le mouvement breton dans l'entre-deux guerres » de Toute l'histoire de la Bretagne des origines à nos jours (Skol Vreizh, 2012) « accentue le conflit entre l'évêché et le Bleun Brug qui cède devant les menaces de Monseigneur Duparc. Madec et quelques autres démissionnent en 1928 d'un Bleun Brug qui reste une organisation de propagande pour la langue bretonne, et fondent un nouveau groupe, l'Adsao , ou « Relèvement », en 1929".

La solidarité interceltique, les liens avec le nationalisme flamand et alsacien

En juin 1926, Breiz Atao devient « la revue mensuelle du nationalisme breton et du fédéralisme international ». Elle situe son action dans le cadre d'une Europe du réveil des nationalités dépassant le cadre des États centralisateurs pour celui d'une fédération des peuples. L'affirmation nationaliste est accentuée par l'intransigeance jacobine de l’État français. Lors de l'inauguration du pavillon breton de l'exposition des Arts décoratifs, à Paris, le ministre de l'Instruction publique peut ainsi déclarer tout de go : « pour l'unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ».

Ce projet fédéraliste s'appuyant sur l'alliance avec d'autres autonomismes combattant l’État français ou belge est quelque part la résultante de l'échec initial du projet d'association celtique.

A partir de 1922, se dotant d'un supplément, Panceltia, organe des relations interceltiques, Breiz Atao a tenté une politique de solidarité des peuples celtiques en voie d'émancipation.

L'idée panceltique vit dans le mouvement breton depuis la fin du XIXe siècle. En 1897, des relations outre-mance avaient été inaugurés par la Gorsedd - communauté des Bardes – galoise, sans grand succès. Déjà Vallée pensait à l'époque faire retrouver à la Bretagne ses vertus originelles au contact des autres celtes. Mordrel fait sien ce programme, commente Sébastien Carney : « Pour échapper aux ténèbres et retrouver leur âge d'or, ressusciter, c'est à dire se défranciser, les Bretons doivent se receltiser et pour cela « retremper leur intelligence aux sources de (leur) culture », au contact de leurs supposés « frères de race » (Breiz Atao n°7, juillet 1921).

En février 1923, Yann Bricler représente Breiz Atao et le petit groupe de nationalistes bretons, en lieu et place de son cousin Mordrel, retenu par le service militaire, pour une tournée au Pays de Galles à l'invitation des étudiants de l'université nationale galloise. L’Écosse est aussi objet d'intérêt, pour sa musique et son caractère indompté. L'Irlande fait l'objet d'un mythe suite à sa révolution et la guerre civile au terme de laquelle elle obtient son indépendance en 1921. En juin 1925, Mordrel, Marchal, Roparz Hémon et une certaine mademoiselle Le Roux se rendent à Dublin pour le congrès panceltique. Toutefois, les Irlandais ne prêtent pas beaucoup d'intérêt ni de sérieux aux militants bretons et, dans l'ensemble, ces relations panceltiques sont plutôt tenues et décevantes pour l'équipe Breiz Atao. Cependant, pendant quatre ans, l'équipe de Breiz Atao fera paraître le supplément Panceltia, avec des articles en gallois et en anglais.

Des contacts autrement plus productifs et inspirants sont aussi pris à partir de 1925 avec des nationalistes flamands et alsaciens.

« Du 7 au 16 février 1925, raconte Sébastien Carney, Mordrel, Marchal, accompagnés du chanteur Emile Cueff sont en visite chez les étudiants flamands de Belgique. Cette destination n'a rien de surprenant pour des Bretons qui, dès 1921, envisageaient les Flamands comme des Germains latinisés. Comme les Bretons, ils avaient été dénationalisés par une culture qui n'était pas la leur. « Nous autres Bretons, qui mettons toutes nos espérances dans la culture racique et qui puisons notre force dans le nationalisme ethnique, comprenons les Flamands et les assurons de notre sympathie » ( Breiz Atao n°7, juillet 1921 « Le réveil flamand »), assure Mordrel. De fait, à défaut de parenté raciale supposée, c'est un sort identique que Mordrel observe en Bretagne et en Flandre, à tel point que les deux régions lui paraissent semblables. Revenant sur son service militaire, il raconte une promenade qui l'avait mené de Dunkerque à Bergues : « Soudain dans la brume, un fantôme gris et vert s'éleva au-dessus d'une multitude de toits bruns, puis deux, puis trois fantômes, beffrois immenses, étendards massifs de la magnificience communale. Et j'eus la vision d'un autre Saint-Pol-de-Léon, d'un Saint-Pol-de-Léon flamand, en briques moussues, mais bien frère du premier par son aspect de lieu sacré, de sanctuaire où s'exhalent toutes les ferveurs du passé » (Breiz Atao, n°12, 1er décembre 1924 « Vers un monde nouveau, nouvelles de Flandre »)

Auprès des flamands, Mordrel et l'équipe de « Breiz Atao » défendent non des idées nationalistes d'extrême-droite, mais le fédéralisme et l'auto-détermination des petites nations dans le cadre d'une Europe fédérale reconnaissant les cultures opprimées par des Etats impérialistes. Même si plusieurs militants flamands des années 1920 seront influencés par les idées nazies et le fascisme, comme la plupart des dirigeants du mouvement breton des années 1920-1930, il n'est probablement pas juste intellectuellement de réinterpréter et repeindre les choses rétrospectivement en établissant une identité essentielle ou une continuité factice entre des périodes bien distinctes.

La naissance du Parti Autonomiste Breton (1927-1931) au congrès de Rosporden

Le groupe Breiz Atao, selon les souvenirs de Mordrel, comptait au moment du congrès de Rosporden une centaine de membres actifs. Des sympathisants viennent grossir les rangs. Parmi les congressistes, on trouve 20% de commerçants, 15% d'étudiants, 10% d'ouvriers, 5% de petits fonctionnaires, 16% de professions libérales, 15% de prêtres et poètes, 6% d'employés, 5% de paysans (Chiffres cités par Michel Nicolas dans son Histoire du mouvement breton, p. 78).

Les 10 et 11 septembre 1927, au congrès de Rosporden de l'UYV, le petit groupe autour de Breiz Atao, qui paraît à cet époque comme bimensuel tiré à 1000 ou 1200 exemplaires, mais comptant un nombre limité d'abonnés (une trentaine dans la région brestoise, selon les archives du ministère de l'intérieur, dépouillées par Sébastien Carney, avec peu de pénétration des milieux catholiques, précise alors le Commissaire enquêteur; cette enquête avait été diligentée en raison d'un signalement par le consul de France à Ostende du lien très fort entre « Breiz Atao » et un journal nationaliste flamand), se transforme en un parti politique véritable, le Parti Autonomiste Breton (PAB) dans un contexte de faiblesse structurelle contrastant avec la prétention à construire un fédéralisme internationaliste reposant sur la renaissance des petites patries.

Debauvais malade, Marchal en retrait, ce sont Mordrel, depuis Guingamp, où, vendant un moment des aspirateurs à domicile, il a installé la documentation du journal Breiz Atao en pleine déroute financière, dans sa chambre de l'hôtel du Commerce, et son cousin Bricler, depuis Le Havre, qui organisent à grand peine ce congrès de Rosporden.

Les effectifs de l'UYV ou de B.A sont très faibles comparés aux 1500 à 2000 militants des Ligues d'extrême-droite nationalistes en Bretagne en 1926-1927. « Conservée dans les archives Feutren, une liste « BA 1919-1927 » compte 56 noms pour cette période, et 30 supplémentaires pour la période « 1927-1932 ». Il est fort probable qu'il s'agit des membres de l'UYV puis de ceux qui rejoignent le PAB » (Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948). PUR, p. 101).

La rédaction de Breiz Atao connaît des difficultés financières depuis 1921, compensés par des appels à la souscription continuels qui permettent au journal de perdurer.

Mordrel réussit à convaincre les « anciens » Loeiz Herrieu, Marcel Guieysse, Duhamel de venir au congrès, Bricler fait le reste en rabattant le ban et l'arrière-ban des sympathisants de Breiz Atao, soit environ 80 personnes.

Né à Lanester, Marcel Guieysse (1881-1967) est le fils de Paul Guieysse, député radical de Lorient de 1889 à 1910, et plusieurs fois ministre, notamment des Colonies. Il suit des cours de civilisation celtique à Paris après des études de droit et de sciences politiques, devient sous-préfet se présente aux élections législatives dans la circonscription de son père en 1910, où il est battu. En 1919, il participe aux négociations du traité de Versailles. Il participe au Congrès inter-celtique de 1924 organisé par Breiz-Atao à Quimper avec sa fille, Denise, qui deviendra une des compagnes de Célestin Lainé. L'image qui est restée de ce congrès fondateur du PAB est le dépôt de la gerbe aux « 250 000 Bretons victimes de la guerre » au monument au mort de Rosporden. Marcel Guieysse sera un des dirigeants du PNB fasciste des années 1930.

Le 10 septembre, le Congrès débute par une réunion en comité restreint, réunissant une quarantaine de personnes, où Marchal et Mordrel font un bilan moral de l'évolution de l'UYV et lisent le projet de statuts du nouveau parti, le septième article prévoyant l'instauration d'un service d'ordre, ou groupe de défense entraîné militairement et sportivement, si le modèle du groupe de défense des autonomistes alsaciens de Paul Schall, appelé Schutztruppe.

« Le soir, raconte Sébastien Carney, cinq cent personnes selon la police et sept cents selon Breiz Atao viennent écouter Mordrel dénoncer l'exploitation de la Bretagne par la France, prôner l'antimilitarisme et entendre Marchal dresser une rapide histoire de la Bretagne et des provinces opprimées. Leurs discours sont entrecoupées de huées et de sifflets. « Nous voulons être Bretons, mais nous voulons aussi être Français », ou « Assez de frontières comme ça ! », leur hurlerait-on de la salle. Le Maigre, de la SFIO, tente d'apporter la contradiction : en vain. A vrai dire, la contestation peine aussi à se faire entendre : le service d'ordre sait donner de la voix. Quelqu'un chante L'Internationale, couverte par le Bro Goz »( Sébastien Carney, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948) p. 140-141).

Le congrès de Rosporden adopte pour drapeau breton le gwenn-ha-du conçu par Morvan Marchal et se fixe un but : la Bretagne aux Bretons !

Le jeune Raymond Delaporte, né en 1907 dans une famille noble et aisée de Châteauneuf-du-Faou, qui deviendra le dirigeant du PNB pendant la guerre, fait son entrée dans la mouvance Breiz Atao au congrès de Rosporden. Célestin Lainé, alors étudiant à Navale à Brest, né à Nantes quai de la Fosse le 25 octobre 1908, mais qui grandit à Ploudalmezau, avec sa mère (son père, marin de commerce, était souvent absent, comme celui de Mordrel), qui connaît déjà Youenn Drezen, Jakez Riou, l'abbé Perrot et Morvan Marchal, participe lui aussi au congrès fondateur du Parti Autonomiste Breton à Rosporden. Célestin Lainé, qui devient à cette époque un lecteur régulier de L'Humanité, est fasciné par la figure de Lénine, son héros du moment avec Cadoudal, et de plus en plus en rupture avec son milieu conservateur et catholique même s'il restera toujours proche et dans une relation filiale avec l'abbé Perrot.

Étaient présents au Congrès de Rosporden les Alsaciens Hermann Bickler et Paul Schall, le Corse Petru Rocca, les Flamands Edouard Buyck, Joseph Takx et Franz Wieldiers, la Galloise Meirion Dyfnallt Owen, le Tchécoslovaque Levterntz, et l'Irlandais Oscar Mac Uileas. La dimension panceltique du combat breton devient moins réellement prometteuse que la réunion avec les nationalistes alsaciens, corses et flamands dans le cadre d'un Comité central des Minorités nationales de France... inauguré au terme du Congrès à Quimper, au café de l'Epée, le 12 septembre 1927.

Hermann Bickler deviendra un fervent nazi. Il sera haut gradé du service de renseignement de la SS en France pendant l'occupation. Bickler formera en France des mouvements de contre-guerilla dirigés contre la résistance et impliquant des collaborateurs français. Il finira chef de la Gestapo à Paris et gardera des relations amicales et politiques avec les responsables du mouvement breton les plus engagés dans la collaboration avec les nazis pendant la guerre, résolvant leurs problèmes matériels à distance, comme on peut le voir en lisant les souvenirs d'Anna Youenou sur son mari Fransez Debauvais.

La création du PAB intervient justement en réponse, en forme de désolidarisation, à un manifeste de parlementaires bretons protestant contre le parallélisme effectué entre le mouvement autonomiste alsacien, accusé d'être à la solde des Allemands, et le mouvement régionaliste breton, mais finissant cette lettre ouverte par une protestation de fidélité indestructible à la France. Le modèle du nouveau Parti Autonomiste Breton est le mouvement alsacien de Paul Schall, qui connaît une véritable audience populaire, et qui est victime de la répression de l’État français qui sait les journaux nationalistes alsaciens soutenus financièrement par les Allemands. L'équivalent de Breiz Atao en Alsace, le journal Diz Zufunft, créé en 1925, a 28 000 abonnés.

C'est suite au soutien affirmé et bruyant de Mordrel et de Breiz Atao aux autonomistes alsaciens qui sont arrêtés les uns après les autres, soupçonnés de travailler pour les intérêts allemands, que les autorités françaises commencent à s'intéresser à Breiz Atao que jusqu'à présent elles ignoraient. Le Comité Central des Minorités Nationales de France se réunit à Paris le 4 décembre 1927 pour protester contre les mesures anti-alsaciennes. Le 4 février 1928, sur ordre du juge d'instruction Mitton de Mulhouse, intrigué par l'existence de ce CCMNF, des perquisitions ont lieu en Corse, en Flandre, et en Bretagne, chez Debauvais, Mordrel, Duhamel. Ce début d'intérêt de l’État et de la presse pour le mouvement autonomiste breton répond au vœu de ses chefs, qui en espèrent un regain de publicité leur permettant de toucher enfin le grand public.

A l'époque, ce sont paradoxalement davantage les liens de certains leaders du mouvement breton avec les communistes et l'URSS qui inquiètent les autorités et la presse jacobine. Ainsi, Le Matin voit la « main de Moscou » derrière l'action du CCMNF. La police, quand elle perquisitionne chez lui, constate que Mordrel s'est rapproché, par l'intermédiaire de l'ex-anarchiste Colomer, des Amis de l'URSS. On trouve aussi chez lui une chanson antimilitariste de Duhamel. Le journal L'Humanité, le PCF de l'époque, étant très ouvert aux revendications autonomistes au nom du modèle de l'URSS de fédération des peuples et de l'anticolonialisme, et très critique vis à vis de la répression des militants alsaciens, certains, comme le journaliste André Chaumeix, dans le Figaro, n'hésitent pas à voir une conspiration soviétique dans le regain d'activité des autonomismes et leur association : « Dans toutes ses formes et dans toutes ses acceptions, l'autonomie n'est que le nom de la révolte contre la patrie. (…) Dans sa lutte contre les sociétés occidentales, Moscou se sert de toutes les armes. La notion d'autonomie lui sert à rassembler contre la France toutes les passions insensées ou suspectes qu'elle flatte (André Chaumeix - « Autonomismes », Le Figaro, 13 février 1928 – cité par Sébastien Carney p. 145)».

De fait, Maurice Duhamel tente une démarche auprès du Komintern en 1929 à travers un mémorendum envoyé à l'ambassade soviétique à Paris pour obtenir une aide financière et idéologique pour le PAB de l'Internationale communiste mais elle n'aboutit pas.

Maurice Duhamel, de son vrai nom Maurice Bourgeaux

Maurice Duhamel, de son vrai nom Maurice Bourgeaux

Les premiers liens avec l'Allemagne

Breiz Atao reçoit son premier soutien financier venu d'Allemagne en octobre 1929 de Robert Ernst, qui soutient différents mouvements autonomistes européens au profit de son pays. Robert Ernst prend alors 10 000 francs de parts dans l'imprimerie dont Breiz Atao fait l'acquisition.

Un ami de Robert Ernst, Hans-Otto Wagner, est présent au congrès de Rosporden et de Châteaulin. Jeune étudiant allemand, membre d'une association nationaliste et pangermaniste, l'alsacien est « notre abonné le plus ancien » dira Mordrel dans Breiz Atao. Wagner travaille alors pour le compte de l'Auswärtiges Amt à qui il rend des comptes. Il vient en Bretagne non seulement par sympathie autonomiste mais pour évaluer l'importance et les possibilités du mouvement breton. Il met les jeunes bretons en relation avec les milieux officiels allemands pour leur obtenir notamment des bourses pour qu'ils puissent faire leurs études en Allemagne. Hervé Le Helloco, dit « Bob », est le premier à se rendre en Allemagne après le congrès de Châteaulin. Par la suite, chaque année, au moins un militant autonomiste breton verra son voyage en Allemagne financé et organisé. Breiz Atao fait même de la réclame pour ces voyages d'étude.

Hans Otto Wagner qui sera un des responsables de l'Abwehr, les services secrets allemands, avant guerre, collaborera à la Société d'études celtiques ( cette société d'études celtiques, comme l'a montré Georges Cadiou dans L'hermine et la croix gammée, n'avait que l'apparence universitaire : elle était liée à la section du renseignement de l'espionnage militaire -l'Abwerh II- préparant l'intervention clandestine auprès des mouvements séparatistes des minorités nationales : les Flamands, les Bretons, les Irlandais, les Basques, Tyroliens et Corses... ) et écrira dans Stur, la revue fasciste de Mordrel, sous le pseudonyme de Dr Welter, dans les années 1930. Il entretiendra notamment des liens très forts avec Lainé et Mordrel jusqu'à la guerre.

Néanmoins, avant le début des années 30, personne à Breiz Atao ne songe à cautionner le nazisme qui gagne du terrain. « La préoccupation, écrit Sébastien Carney, serait même de s'en démarquer : la confusion possible entre l'hevoud et le symbole du NSDAP incite le PAB à abandonner son insigne, tout en envisageant l'Allemagne avec bienveillance. Si Hitler « n'est sûrement qu'un aventurier démagogue ( (Maurice Duhamel, « Les « Nazis » », Breiz Atao n°125, 2 novembre 1930»), son succès, bien compréhensible, est la rançon des frustrations héritées des traités de 1919, et de la politique étrangère de la France, seule à blâmer dans cette affaire. Sans approuver la politique du chef du NSDAP, Duhamel se montre assez compréhensif vis-à-vis du « geste de self-défense » de l'Allemagne, qui ne cherche qu'à protéger sa culture menacée par la mutilation de son territoire. Dans la même veine, Mordrel salue la fin de l'occupation de la Rhénanie par la France, tout en déplorant de voir s'y manifester l'impérialisme allemand qu'il justifie cependant par les maladresses des chefs séparatistes rhénans compromis avec la France » (Sébastien Carney - Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), p.153)

Morvan Marchal et Olier Mordrel sont nommés co-présidents du nouveau Parti autonomiste Breton. Yann Bricler, le cousin de Mordrel, en est le secrétaire général et Fransez Debauvais l'administrateur du journal Breiz Atao. « Pendant l'année 1928, écrit Sébastien Carney, le PAB tente de s'organiser en sections regroupées en fédérations provinciales sous l'autorité d'un Comité directeur composé de Marchal, Debauvais, et Mordrel et d'un Comité politique qui réunit probablement Duhamel, Sohier, Millardet, Tassel, Derrien... Aux sections s'ajoute la toute nouvelle Fédération des étudiants bretons fondée à Rennes en décembre 1927. Une vingtaine de jeunes groupés autour de Célestin Lainé décident d'avoir une existence officielle »2. Célestin Lainé bretonnise alors son nom : Gwenael An Henaff.

Un conseil politique et de rédaction est aussi nommé avec notamment Maurice Duhamel, le critique musical de Breiz Atao, et Yann Sohier, deux hommes de gauche par conséquent, proches de la mouvance communiste.

A la suite du congrès, les représentants des nationalistes alsaciens-lorrains et corses signent avec nos bretons à l'hôtel de l'Epée la charte de fondation du Comité Central des Minorités Nationales de France. Des nationalistes flamands assistent à la scène.

Le fédéralisme international du PAB

Pour la première fois, à Châteaulin, un congrès du mouvement « Breiz Atao » bénéficie d'une vraie publicité médiatique grâce aux répurcussions des procès de Colmar contre les autonomistes alsaciens : des journaux comme Le Temps, Le Figaro, L’œuvre, Vu, s'intéressent pour la première fois aux autonomistes bretons. Après Colmar, il y a eu semble t-il une augmentation importante du tirage de Breiz Atao : 800 exemplaires imprimés en 1927, 2000 ou 3000 en 1928. Certaines sources évoquent 350 abonnés de Breiz Atao en 1929. Des concours d'abonnements sont organisés par l'équipe de B.A pour stimuler les ventes : Paris se place au premier rang, avec derrière Rennes, Quimper, Guingamp, Nantes, Briec, Angers...

En août 1928, le congrès de Châteaulin fixe l'orientation doctrinale du parti, qui ne compte à l'époque pas plus d'une centaine d'adhérents actifs et plusieurs centaines de sympathisants, en affirmant l'existence d'une nation bretonne et le droit qu'elle a de disposer d'elle-même à travers une autonomie législative et administrative dans le cadre d'une structure fédérale européenne des nationalités qui correspond à l'unification économique progressive de l'Europe. Comme à Rosporden, de nombreuses autres minorités nationales ont été invitées.

Le PAB demande la création d'un Parlement Breton, c'est à dire d'une assemblée législative élue, dont un exécutif serait issu, et la suppression des départements. A la suite des Alsaciens, le PAB milite pour changer la constitution française afin de l'adapter aux réalités régionales.

Le programme du Parti, rédigé par Mordrel, est placardé avant le Congrès de Châteaulin sur une grande affiche collée partout dans le pays, dont la version bretonne est de Fanch Gourvil, secrétaire de la section de Morlaix.

Inquiet par cet activisme, le ministre de l'Intérieur interdit au maire de Châteaulin de louer au PAB la salle de la mairie, poste des gendarmes pour faire disparaître les drapeaux bretons, et réquisitionne les chambres d'hôtel réservés aux congressistes.

On décide de lancer Breiz Atao comme hebdomadaire. Mordrel, dans ses Mémoires, précise quà ce moment le capital de la société financière K.K.E.A.B (« Kevredad-Kretaat evit adsevel Breizh » : « Société de Crédit pour le relèvement de la Bretagne ») passe de 15 000 F à 100 000 ( Olier Mordrel, Breiz Atao, édition Alain Moreau – p. 137)

Le 29 octobre 1929, l'Imprimerie de Bretagne est créée, à la grande satisfaction de Debauvais qui sillonne la Bretagne à la recherche de souscripteurs. Debauvais se fait rémunérer par cette Imprimerie.

Au Congrès de Châteaulin, le rennais athée et franc-maçon Maurice Duhamel, très bien introduit à Paris dans le monde intellectuel et la gauche, prend la succession de Morvan Marchal.

Seule fausse note du congrès de Châteaulin, Marcel Guieysse quitte le PAB, reprochant à Mordrel et ses amis d'imposer une marque trop internationale et de solidarité inter-autonomismes à Breiz Atao et au Parti en délaissant l'éducation politique et culturelle du peuple breton.

Mordrel s'affirme partisan d'une Bretagne autonome dans une France et une Europe fédérales dans Breiz Atao : « Au-delà de la patrie, de la terre des pères, - la Bretagne – nous ne connaissons qu'une mère : l'Europe ».

Le PAB exprime alors une orientation relativement modérée, qui correspond au vœu de la majorité : il n'est ni séparatiste, ni anti-français, mais fédéraliste et décentralisateur, prêt à collaborer avec toutes les forces de progrès à condition qu'on reconnaisse à un Parlement breton une souveraineté sur ses affaires intérieures.

La déclaration solennelle publiée à l'issue du congrès de Châteaulin dit ainsi :

« Nous ne sommes pas séparatistes. Nous considérons que, dans l'état actuel de l'Europe et du Monde, la rupture de tous les liens entre la Bretagne et la France n'apporterait que des solutions insuffisantes aux problèmes qui se posent à notre pays. Mais nous repoussons une « assimilation » néfaste à nos intérêts matériels et moraux.

Nous ne sommes pas rétrogrades. La vieille Bretagne de nos rois et de nos ducs est à jamais évanouie... Nos regards sont tournés vers l'avenir. Nous sommes des Bretons modernes.

Nous ne sommes pas anti-français. Nous n'avons aucune hostilité à l'égard du peuple français, pas plus d'ailleurs qu'à l'égard d'aucun autre peuple. Nous constatons l'illégitimité de l'autorité de l’État français sur notre pays, où elle s'est imposée en 1790 en violation du traité de 1532.. Nous nous élevons contre son indifférence pour nos besoins économiques, son incompréhension de nos aspirations culturelles, (…) la France n'est pas une nation mais un État comprenant un certain nombre de nationalités, et nous n'acceptons pas qu'on oppose à nos revendications le dogme mystique de la nation une et indivisible, aujourd'hui délaissé par tous les peuples éclairés du globe... Nous revendiquons donc une autonomie administrative et politique dont les modalités et les limites seront fixées par un traité librement débattu et dont l'organe représentatif sera un Parlement breton. (…). Notre programme est fédéraliste (...) Nous ne pensons pas que les Etats modernes soient la forme définitive ne varietur des sociétés humaines» (cité par Georges Cadiou dans L'hermine et la croix gammée – p. 33-34).

Une expérience électorale en forme d'épreuve de vérité

En 1930, le PAB décide de présenter des candidats aux élections législatives partielles de Guingamp et Rennes. « Cette décision, rappelle Michel Nicolas dans son Histoire du mouvement breton, n'est pas sans rapport avec les succès des autonomistes alsaciens qui, en 1928, la même année où s'était déroulé leur procès, avaient fait élire treize députés sur les vingt-cinq candidats présentés ».

C'est un échec retentissant.

Unique candidat présenté par le PAB, Goulven Mazéas, ancien combattant, militant Breiz Atao de la première heure, négociant en pommes de terre, apprécié dans la région, ne recueille que 2 % des exprimés (376 voix sur 16 777) dans sa législative de la deuxième circonscription de Guingamp malgré une campagne de trois semaines très active (80 réunions), animée en particulier par Debauvais et Mordrel.

Mordrel donne de cette campagne une description épique, malgré le résultat dérisoire, qu'il impute de manière assez perfide à la fadeur du candidat Goulven Mazéas, son futur adversaire fédéraliste, peu taillé pour la tâche :

« Le pays fut profondément remué. Les paysans, vers la fin, saluaient du haut de leurs champs nos guimbardes du cri de « Breiz Atao !». A Rostronen, l'auditoire enthousiaste me porte en triomphe. Callac est resté longtemps étonné de l'éloquence d'un mince jeune homme brun prenant à partie le président Daladier sur sa propre estrade et dominant les vociférations et qui, s'étant imposé par son courage, put se retirer sans qu'un geste ait été esquissé contre lui. C'était Debauvais1. Mais le PAB n'était pas dans la course. Deux candidats millionnaires, disposant de cadres éprouvés et faisant appel à la corruption électorale sur une grande échelle, avaient relancé les deux vieux courants : bleus contre chouans. En outre, et ce fut notre erreur, notre candidat, s'il avait eu à nos yeux le mérite rare de faire face aux frais, n'avait ni le physique ni le tempérament d'un candidat. Nos amis nous ont plusieurs fois suppliés de le remplacer par l'un de nous, ce que nous ne pouvions pas faire » (Olier Mordrel, Breiz Atao, édition Alain Moreau, p. 141-142).

A l'élection législative partielle de Rennes Sud, le candidat du PAB fait encore moins bien : 81 voix sur 16 088 !

Au quatrième congrès du PAB, qui se tient à Saint Brieuc en octobre 1930, l'avocat parisien Philippe Lamour, né en 1903, futur père de la DATAR, passé par l'Action Française, par le Faisceau de Georges Valois, puis par un éphémère Parti fasciste révolutionnaire, qui s'est rapproché de Mordrel et de Breiz Atao en 1929, clôt le congrès par un discours qui fait date.

« Se posant en observateur des progrès du parti, écrit Sébastien Carney, il demeure dubitatif et diagnostique un état de crise aux causes multiples. Il pointe les élections, et surtout les commentaires interminables qu'elles suscitent. Si le Parti veut devenir un gouvernement breton, il faut « qu'il prenne les méthodes de la réussite, et non celles de l'échec ». « Vous êtes des révolutionnaires au sens étymologique du mot, qui signifie substituer à un système périmé une nouvelle organisation mieux adaptée aux besoins actuels. Vous êtes un parti qui se développe en dehors des institutions et contre elles », clame t-il... Il prône l' « existence d'une minorité agissante, attendant les événements et prête à les utiliser qui donne à l'ensemble du peuple des mots d'ordre qu'il attend ».

1931 : la crise de l'Emsav et la fin du PAB

L'union sacrée bretonne entre les démocrates de gauche autonomistes, les nationalistes communisants, les militants inspirés davantage par la droite catholique, le mouvement anti-parlementaire monarchiste et fasciste, va se déliter sous la triple influence des conséquences de l'échec électoral, de la montée en puissance et en attrait du « modèle » fasciste, et des difficultés financières liées à l'achat de l'imprimerie et à la parution plus régulière de Breiz Atao.

Les frais de la campagne électorale de Mazéas ne sont couverts qu'en décembre 1930. Le capital de 100 000 francs de la KAB est quasiment englouti, la dette à court terme de la KAB monte à 40 000 francs. Breiz Atao, devenu hebdomadaire, avec les frais liés au salaire du directeur de l'imprimerie, Debauvais, qui n'a jamais su gérer, est déficitaire. Cette question financière gangrène d'autant plus le Parti qu'elle est récurrente et que certaines familles aisées de militants sont mises à contribution.

Maurice Duhamel lui-même, quand il publie en février 1931 dans Breiz Atao sa lettre où il annonce son départ, met en avant le clivage entre nationalistes et fédéralistes, ces derniers étant censés être de moins en moins bien vus au Parti sous l'effet d'une droitisation, exprime peut-être en termes idéologiques la désillusion lié à la frustration de son désir d'obtenir un statut de permanent lié à la direction de la rédaction de Breiz Atao. En tout cas, ce qui est avéré, c'est que Duhamel était en désaccord avec Debauvais et le choix d'avoir acheté une imprimerie, dont le matériel vétuste devait constamment être renouvelé. Il demandait depuis des mois à Mordrel de pousser à la démission de Debauvais. Le refus de suivre de Mordrel aurait peut-être provoqué la décision de rompre de Duhamel (Olier Mordrel, Breiz Atao, p. 146 ).

Mordrel était déjà à ce moment moins présent, peut-être ébranlé notamment par un accident mortel qu'il avait provoqué en tuant un petit garçon en roulant à pleine vitesse dans le bourg de Quimerc'h à bord de sa Citröen C 4 en juin 1930.

Lors du extraordinaire du PAB convoqué deux jours avant par Debauvais dans un numéro spécial de Breiz Atao pour les 11 et 12 avril à l'hôtel Moderne à Rennes, Debauvais, accusé de la déroute financière d'un journal qui n'a plus paru depuis deux mois est désavoué.

Mordrel démissionne avec lui.

Dans Breiz Atao, il rend un bel hommage à son ancien associé avec lequel les rapports vont singulièrement se tendre à la fin des années 1930 : « Debauvais passait son temps à se battre avec des factures, des traites et des comptes courants... Ce grand travailleur consacra sa vie à constituer et surtout, surtout, à maintenir sur pied une organisation d'action. Il fut plus que le grand commis du mouvement. Par sa constance dans l'effort le moins rétribué qui soit, en réussissant à faire marcher pendant vingt ans une affaire en permanence déficitaire ; par son sang-froid souriant en face des pires catastrophes ; par son intelligence aiguë et son goût implacable des faits, allant de pair quand il le jugeait bon avec le plus complet détachement sentimental ; par sa profonde humanité et son dévouement à la personne des camarades dont il faisait siennes les peines et les difficultés ; par ses qualités de diplomate sachant donner le change sur ses intentions, alliées à une fermeté pouvant aller jusqu'à la brutalité, il restera sans doute unique dans nos annales militantes. Son physique n'imposait pas ; il manquait de lettres et d'imagination créatrice, mais il avait la chose la plus rare : le caractère. Sa santé était chancelante, mais il n'a jamais donné de répit à sa carcasse, sauf pour quelques séjours en sana, et pendant des années, il n'a pas dormi plus de trois ou quatre heures, car après avoir passé ses journées sur les marchés où il déballait avec sa mère, ou dans une arrière-boutique de pharmacien à doser les potions, il s'enfermait la nuit au bureau de B.A. Minuit ou midi, pour lui, cela n'avait pas beaucoup d'importance : ce qui devait être fait était fait à l'heure

fixée. Il n'a jamais su ce qu'était un dimanche, jour consacré par définition au travail de direction » (Olier Mordrel, Breiz Atao p.150).

D'autres militants du PAB sont moins élogieux et indulgents vis-à-vis de la gestion de Debauvais. Certains laissent entendre que Debauvais aurait pu se servir dans la caisse de l'impremerie pour payer « le chauffage central », et Mordrel s'y servir pour financer ses virées dans les « night clubs ».

De fait, Mordrel, dont les affaires d'architecte ne marchent pas malgré son talent certain, du fait sans doute des réticences à faire travailler un autonomiste breton déclaré, est couvert de dettes, d'autant qu'il aime mener grande vie, sortir, séduire, et s'est acheté une « Amilcar » toute neuve à crédit. Selon Anna Youenou - dont le magasin de produits bretons, Ti Breiz, sert de pompe à liquidités pour la cause bretonne et ses militants - qui n'aime guère Olier Mordrel, il fait sans cesse des demandes d'argent auprès de son cousin Bricler, dont la femme est « bien rentée » et auprès du journal (Anna Youenou, Fransez Debauvais de Breiz Atao et les siens, t. 1 – p. 393).

Le Congrès décide de réduire la parution à une cadence bimensuelle, il ouvre une souscription et nomme un nouveau Comité de rédaction de 5 membres, avec une majorité au courant fédéraliste de gauche, dirigé par Ronan Klec'h et inspiré par Duhamel, soutenu par Morvan Marchal. Ce dernier, qui a pourtant démissionné et été remplacé par Duhamel l'année précédente, est réélu.

Debauvais reste néanmoins secrétaire du PAB, et refuse de remettre à ses successeurs la comptabilité du journal. On sous-entend en face de lui qu'il aurait pu puiser dans les caisses, les frais normaux du journal n'expliquant pas un déficit de 130 000 francs en deux ans.

La nouvelle direction du PAB, pour ne pas avoir à assumer les dettes de l'imprimerie de Breiz Atao, décide de saborder le journal et de créer à la place La Nation bretonne (gardant « Breiz Atao » en sous-titre) dont le premier numéro paraît le 7 juin 1931. Les sections de Paris et d'Angers, les plus nationalistes, s'indignent, parlent de coup d'Etat.

Une réunion de conciliation a lieu à Guingamp le 19 juillet 1931 en présence notamment de Yann Bricler, Fransez Debauvais, Loeiz Derrien, André Gefflot, Ronan Klec'h, René-Yves Creston, Meavenn, Olivier Mordrel, Louis Rouzic, Yann Sohier : « l'assemblée reconnaît les décisions du congrès extraordinaire de Rennes, décide que le nouveau titre cédera la place à l'ancien dès que les administrateurs actuels auront reçu les garanties qu'ils demandent et remet au prochain congrès du parti qui aura lieu au même endroit fin août toutes les questions d'organisation et de doctrine qui devront être résolues dans un esprit de concorde retrouvé".

Debauvais immédiatement annonce que ses successeurs ont trahi leur mandat, exploite l'émotion causée par la disparition de Breiz Atao en annonçant la parution d'un nouveau journal que rien ne distingue de l'ancien sous le même titre : ce Breiz Atao rebelle de Debauvais finalisé en novembre est proclamé organe du Parti.

La section de Rennes réclame l'exclusion de Debauvais.

C'est la confusion la plus totale. Debauvais explique à sa manière la crise du PAB dans ce Breiz Atao 100 % Deb : « Breiz-Atao a été jusqu'à ce jour une large fraternité jusqu'au jour où une ignoble cabale lui porta un coup mortel ; mais le jour où la discorde fut attisée, « Breiz Atao » était moribond... un mouvement c'est un moral. Le moral du nôtre a été brisé sciemment et volontairement. La ligue fédéraliste de Bretagne s'est offerte comme un bassin de décantation...

Quand on appartient à un mouvement comme le nôtre, on ne doit pas ignorer que la police n'emploie jamais d'autres procédés pour démolir un mouvement qui gêne le gouvernement... ».

Des deux côtés, on fait courir les rumeurs. Yves Delaporte laisse entendre que Duhamel entend ruiner l’œuvre de vingt ans de Mordrel et Debauvais pour réintégrer la SFIO qu'il avait quitté vingt ans plus tôt. Pierre de Flotte, du groupe War Zao est décrit comme un agent du ministère de l'Intérieur. Maurice Duhamel, en face, fait courir des bruits sur la malhonnêteté de Debauvais et Mordrel. L'ennemi devient intérieur.

Scission du PAB entre la Ligue Fédérale de Bretagne et le second PNB (Parti National Breton)

Seulement, les fédéralistes « de gauche » décident de la scission et de la création de la Ligue Fédérale de Bretagne démocrate, décentralisatrice, internationaliste et pacifiste, bien que comptant des nationalistes bretons bon teint: en sont Mazéas, Marchal, Creston, Klec'h, Gefflot, Duhamel et d'autres. Lors de leur congrès de Dol, en août 1932, les fédéralistes présents ne sont que dix-sept.

Pourtant, les animateurs de la Ligue Fédérale de Bretagne, aussi bien opposés à l'autoritarisme et à la dérive nationaliste ultra de Debauvais et Mordrel qu'au courant clérical et anti-républicaine et anti-communiste des Delaporte, ne sont pas en reste de légitimité au regard du combat autonomiste.

Marchal est le personnage clef de la renaissance de l'emsav après guerre.

Goulven Mazéas est l'un des fondateurs du Groupe régionaliste Breton et de « Breiz Atao » en 1919. Le jeune Mazéas, originaire du Léon, était revenu des tranchées antimilitariste, résolument hostile au discours cocardier et nationaliste français. Un de ses slogans pour l'élection législative de Guingamp était « A bas la guerre ! ». Goulven Mazéas, marié à une alsacienne de religion juive, vera sa famille, femme et enfants, dénoncée et envoyée à Drancy en décembre 1943. Prevenu et supplié, l'ancien ami nationaliste alsacien-lorrain Herman Bikler, devenu un ponte de la Gestapo, les fera libérer et les sauvera d'une déportation à Auschwitz (Jean-Jacques Monnier, Résistance et conscience bretonne – Yoran Embanner – p. 43-45).

Maurice Duhamel, rennais issu d'une famille républicaine et laïque, dreyfusard précoce à 15 ans, qui rompt avec la franc-maçonnerie à vingt ans après « l'affaire des fiches » (le ministère Combes faisait dépendre l'avancement des officiers et fonctionnaires de leurs opinions politiques et religieuses) est le principal théoricien et orateur du PAB après 1927, celui qui est le plus connu.

La Ligue Fédérale de Bretagne n'est pas un Parti en tant que telle : la double appartenance est acceptée. Par exemple, Morvan Marchal, qui s'est rapproché du Grand Orient, sera aussi membre du Parti radical socialiste. La Ligue Fédérale de Bretagne ne rassemblera qu'un quart environ des adhérents du PAB, soit une centaine d'adhérents. Son lieu d'implantation géographique est plutôt la Haiute-Bretagne et Paris.

La nation bretonne cesse de paraître fin août, bientôt remplacée par La Bretagne fédérale en novembre 1931. La Bretagne Fédérale sera un journal anticlérical plutôt marqué à gauche dans lequel on trouve les signatures de Goulven Mazéas, Maurice Duhamel, Morvan Marchal, Arsène Gefflot, Hervé Le Menn, Augustin Catelliot, René Ryckwaert, Fanch Elies. Ce journal pacifiste, fédéraliste, anti-fasciste, paraîtra vingt et une fois en trois an et demi (voir Jean-Jacques Monnier, Résistance et conscience bretonne – Yoran Embanner – p. 20).

Ainsi, cet article cité par Kristian Hamon, dans Les nationalistes bretons sous l'occupation (Yoran Embanner, p.21) :

« Le langage des feuilles nationalistes bretonnes n'est pas différent de celui des journaux chauvins du monde entier. L’œuvre de libération consiste essentiellement à inculquer la haine de « l'étranger » au cœur des Bretons (…) La pensée des racistes bretons semble singulièrement dangereuse pour la figure du futur État breton. Un pays aussi varié que le nôtre ne saurait s'accommoder d'un Etat fondé sur un principe unitaire, ni au nom de la race aryenne, ni au nom d'une confession déterminée, ni au nom d'un celtisme imposé et de commande (la Bretagne n'est, anthropologiquement parlant, que fort peu nordique). Il n'y a jamais eu, il n'y a pas, il ne peut y avoir en Bretagne de mise à l'index contre l'un quelconque de ses enfants. Derrière le drapeau, même breton, largement déployé, il y a presque toujours un coffre-fort ».

Le n°1 de la Bretagne Fédérale le 20 novembre 1931 rappelle avec une certaine naïveté ou grandiloquence incantatoire la dimension internationaliste et pacifiste du mouvement, la paix et l'amitié entre les peuples étant posées comme l'objectif à valeur universelle de la lutte politique contre le chauvinisme, l'impérialisme et le militarisme français : « Nous sommes fédéralistes et nous sommes Bretons. Des hommes positifs conscients de ce qu'ils sont, pénétrés d'un idéal de fraternité des peuples. (…) Nous jugeons qu'au-dessus des nationalités, il y a l'homme, l'humanité, le monde, qui, s'il était mu par un sentiment de fraternité humaine, aspirerait au règne de la paix, de la concorde universelle, ce qui ne sera possible que lorsque chaque peuple aura pris conscience de lui-même (….) Mais nous ne verserons pas dans l'utopie qui consiste à vouloir fédérer des pays impérialistes, des États unitaristes qui, chacun dans son cadre, se défient, s'enorgueillissent d'un nationalisme outrancier et prêchent au monde leur supériorité sur les autres pays du globe ».

Le rennais Ronan Klec'h (de son vrai nom René Rickwaert) qui a participé avec Morvan Marchal à la création du drapeau breton, le Gwenn-ha-Du, exprime bien que ce qui distingue le courant fédéraliste du mouvement breton, c'est qu'il ne limite pas le combat au nationalisme et au séparatisme, mais se bat en plus pour des valeurs humaines universalistes, des idées de progrès, de démocratie, d'égalité, de paix, dans la conscience de l'enjeu de l'imminence d'une nouvelle guerre liée à la montée du fascisme :

« Certes, Bretons, conscients de notre nationalité, nous aimons notre patrie et estimons, en accord avec les nationalistes, qu'un « self governement » lui est nécessaire pour réaliser pleinement toutes ses possibilités. Pourtant, comme dit l'autre, il y a la manière. Et voilà où nous nous séparons. Tout l'idéal des nationalistes et séparatistes bretons consiste en ceci : rendre à la Bretagne, par tous les moyens, les libertés qui lui furent arrachées par la force. Le reste, on s'en fout (…). L’œuvre de libération consiste essentiellement à inculquer la haine de l'étranger au cœur de tous les Bretons sans faire aucune discrimination entre l'Etat responsable et le peuple français (…). Cet antagonisme nous amena à la séparation d'août 1931. On n'allie pas le feu et l'eau. Aujourd'hui, en présence des événements qui marchent à pas de géant et nous conduisent inéluctablement à une nouvelle catastrophe mondiale, je ne puis que nous féliciter de voir notre action enfin libérée de l'influence débilitante de tous ceux qui, endormis dans les songes du passé, ne veulent rien connaître au-delà des horizons de la Bretagne » (« Eux et nous », 1932 - Cité par Jean-Jacques Monnier, Résistance et conscience bretonne – Yorann Embanner, p. 21).

Le 27 décembre 1931, au mini-congrès de Landerneau, 16 délégués d'un PAB qu'ont quitté les fédéralistes de gauche décident de créer le Parti National Breton après avoir fait le procès de la politique suivie depuis le Congrès de Rosporden, marquée selon eux par trop de participation à la politique nationale, trop d'internationalisme fédéraliste, pas assez de formations des cadres,

d'enseignement de la langue, d'organisation locale. Le PNB revient à un nationalisme étroit, sans programme politique international ni programme économique, se bornant à réclamer pour la nation bretonne des droits remis à cause par la domination française.

L'ancienne direction du PAB est partiellement désavouée, même si Debauvais continue à travailler au nouveau journal Breiz Atao : Mordrel n'est pas présent lors des débuts de ce second PNB, désormais dirigé par les frères Delaporte. Il cesse de contribuer à Breiz Atao après avoir dit qu'il « se retirait de l'action politique pour des raisons familiales et professionnelles » puis il part en Allemagne, où il est reçu par Robert Ernst.

Breiz Atao, dans ces divisions, aurait perdu 75 % de ses abonnés : 302 en 1932, selon le journal.

En vue du congrès de Landerneau, néanmoins, les anciens du PAB ont décidé de suivre le nouveau « Parti nationaliste breton » (Strollad broadel Breiz) qui s’appellera finalement « Parti National Breton » parce que Raymond Delaporte, tout à son christianisme, est rétif à l'intrusion d'autres -ismes. Sohier, Guiyesse, Bricler, Debauvais, Mordrel, soutiennent le PNB.

Debauvais continue à faire paraître un Breiz Atao qui n'est plus que mensuel, avec l'aide de Raymond Delaporte, de Herrieu, de Meavenn.

BREIZ ATAO, 1927: le congrès de Rosporden qui donne naissance au Parti Autonomiste Breton

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