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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 12:00
L'Humanité, un siècle de combat pour l'affranchissement des femmes - lettre de la féministe libertaire Séverine, L'Humanité du 19 mai 1919

Le 19 mai 1919, L'Humanité titrait à la Une : "Pour l'affranchissement des femmes". L'éditorial était signé de la journaliste libertaire Séverine :

"Mon féminisme

Hé ! quoi, aurais-je l'orgueil d'en avoir un à moi toute seule ; de m'instaurer en schismatique à l'égard d'un dogme reconnu ?

Oh ! pas du tout ! Mais c'est question de tempérament, et de circonstances.

Vallès, révolutionnaire jusqu'aux moelles, nul ne le contestera, entendit demeurer en marge de toutes les écoles socialistes. Moi qui fait, au contraire, partie de la plupart des associations féministes, je n'appartiens qu'à la tendance commune, sans vouloir m'inféoder à aucun mode de tactique. Tantôt avec celui-ci, tantôt avec celui-là, sans ambition dans tous, et sans aucun souci de popularité, je suis l'audace qui m'agrée, l'initiative qui me paraît juste, l'intervention qui me semble heureuse - d'où qu'elle vienne.

Un seul but m'apparaît : l'émancipation féminine, l'égalité des droits comme des salaires, la communion sincère des deux sexes pour l'effacement d'une longue et cruelle injustice.

Mais j'avoue ne pas me satisfaire complètement des théories en présence.

Beaucoup de politiciennes, et parmi les plus subtiles, s'imaginent avoir partie gagnée lorsque des parlementaires semblent acquis à la cause. Pure duperie ! Même les plus loyaux de nos hommes d'État hésitent devant l'inconnu du problème, s'efforcent de gagner du temps, reculent devant la disproportion formidable qu'a créée la guerre, et qui remettrait entre les mains de la majorité féminine le sort du pays tout entier.

Elles s'abusent, celles qui prennent les mots pour des réalités, des promesses pour des actes. On les lanterne, on les berne, on les "emploie".

Elles ont servi, pendant la guerre, à de toutes autres fins que le féminisme. Celui-ci n'a presque plus existé qu'à titre accessoire, raison sociale, tradition. Je n'aurai pas l'injustice d'alléguer qu'on n'a rien fait pour son service. Mais je persiste à croire, et à dire, qu'il n'existe plus qu'à l'état secondaire dans les préoccupations et les sollicitudes.

Une des fiertés de ma carrière sera de m'être fait conspuer à la mairie Drouot, en décembre 1916, pour avoir dit que si nous comptions comme électeurs nous aurions pu, peut-être imposer l'examen des propositions autrichiennes et abréger la durée du massacre.

Cela, tout le monde va le proclamer demain. Trois cents dames, alors, me huèrent ; trente femmes, dont la plupart en deuil, m'acclamèrent avec d'inoubliables apostrophes d'encouragement et de confiance. Jamais je n'ai ressenti telle satisfaction de conscience, ni - je le répète exprès - semblable fierté.

Ailleurs, le féminisme me déroute quelque peu par son accent agressif. Toutes, nous avons plus ou moins souffert de l'homme. En tant que "citoyennes", unanimement. Dans le privé, la nature des peines est infiniment variable suivant qu'il s'agit du père, du frère, du fiancé, de l'époux, de l'ami ou du fils. Mais la somme des déceptions, des chagrins ne varie guère...

Et il ne faudrait pas que l'amertume qui en résulte fît dégénérer le féminisme en bataille des sexes. Ceci n'a rien à voir avec cela. Nos épreuves personnelles ne doivent servir qu'à nous rendre plus compréhensives du mystère des êtres, plus indulgentes envers les défaillances, plus tendres, plus pitoyables.

A ne regarder que le mauvais côté de l'humanité, on deviendrait sinon féroce, du moins parfaitement indifférent aux maux qu'il lui plaît de subir. Mais le secret, sinon du bonheur, du moins de la souriante acceptation de vivre, c'est de relever toujours les miettes de beauté, les parcelles de bonté qui consolent du reste. Métier de chercheur d'or, évidemment, mais où la récolte est autrement précieuse !

S'il est de mauvais pères, il en est aussi d'excellents ; s'il est de tristes compagnons, il en est dont la sollicitude inlassable perpétue en vous la douceur de l'enfance. Pourquoi - alors qu'il suffisait dans la Bible implacable, d'un seul juste pour sauver une ville - pourquoi les uns ne feraient-ils pas oublier les autres ?

Rien ne se fonde que sur l'amour : la haine est stérile. Nous ne sommes jamais qu'une moitié de l'humanité. Réclamons-en les droits. Mais sans manquer au pacte fondamental de tendresse qui nous lie depuis le commencement du monde. C'est le berceau qui nous rattache : la nature est une finaude qui a tendu le piège qui convient. Acceptons tendrement d'être prise à celui-là.

Mais refusons hautement, dignement, avec grâce s'il est possible, avec malice au besoin, de le laisser devenir prétexte à tout un réseau de chausse-trappes. Ça, c'est fini, il faut désormais jouer franc jeu.

On a mis le temps pour en arriver là. Voilà bien une trentaine d'années que je m'appliquai à prouver, par l'exemple, qu'une femme peut exercer un métier jusque-là presque exclusivement masculin. Car Delphine de Girardin, malgré son talent, à cause de sa situation privilégiée, n'avait pas été une professionnelle.

J'ai lutté, j'ai prouvé. Et, dès le début, j'ai soutenu en toute occasion la cause des femmes. Si j'ai affirmé ma volonté de n'être rien, jamais, j'ai soutenu tout effort féminin, la solidarité entre nous me paraissant chose due.

Et en 1900, au Congrès féministe que Marguerite Durand, alors directrice de la Fronde, organisa avec tant d'intelligence, d'audace et de tact, j'adhérai pleinement à son initiative et à ses travaux. Ouvrez-le, cadettes, ce gros volume des procès-verbaux de nos séances : vous verrez qu'y sont discutées la plupart des questions qui vous passionnent aujourd'hui.

Il y a dix-huit ans ! Alors, vous comprenez, j'ai un peu le sourire, quand des jeunes femmes m'interpellent sévèrement : "Etes-vous féministe ?"

Trente-six ans de journalisme où - sauf trois meurtrières mondaines acquittées d'ailleurs parmi d'élégantes ovations - j'ai toujours défendu socialement, sentimentalement la femme et ses droits ; dix-huit ans de service actif pour la cause, me confèrent le privilège un peu mélancolique de répondre : "Je l'étais bien avant vous !"

Mais sans révérences au pouvoir ni coups de griffe au compagnon. Et révolutionnairement.

Le féminisme ne me semble pas un tout, mais une fraction de l'immense effort à fournir pour affranchir le monde. Il y a là une criante iniquité à réparer. Le prolétariat masculin doit, se doit à lui-même de nous aider à l'abolir, comme nous lui devons toutes nos énergies pour secouer le joug qui l'écrase. On ne saurait disjoindre les aspirations, les intérêts: il faut marcher du même pas sur la route encore obscure - et s'appuyer un peu contre l'épaule voisine aux instants de lassitude.

Tout mon féminisme tient en deux mots : Justice, d'abord ; et puis tout de suite, bien vite, Tendresse.

SÉVERINE

L'Humanité, un siècle de combat pour l'affranchissement des femmes - lettre de la féministe libertaire Séverine, L'Humanité du 19 mai 1919
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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 10:35
Léon Moussinac. Ciné Histoire

Léon Moussinac. Ciné Histoire

Cette semaine, un film documentaire très émouvant à été présenté à la télévision retraçant la vie de Léon MOUSSINAC journaliste et critique cinéma communiste à l'Huma. L'occasion de retrouver une figure qui illustre l'apport des communistes à la culture et l'art au XXe siècle. 
Télévision. Léon Moussinac, le cinéma et l’héritage de Spartacus
ÉMILE BRETON
VENDREDI, 27 OCTOBRE, 2017
L'HUMANITE
 
 

Léon Moussinac, l’héritage de Spartacus. Samedi 28 à 18 h 45 et jeudi 2 novembre à 0 h 40 sur Ciné + Classic. Un film de Patrick Cazals sur ce poète, militant du cinéma, ami d’Eisenstein, de Louis Delluc, Aragon, Paul Vaillant-Couturier, et aussi critique pourl’Humanité.

Voilà une belle vie. Pleine. Léon Moussinac, né en 1890 à Migennes, en Bourgogne, où son père, passionné de l’histoire des chemins de fer, était chef de gare à Laroche-Migennes, est mort en 1964 à Paris. Homme de grande culture, il fut poète, écrivain, historien du cinéma. Et militant communiste de 1924 à sa mort. « Je me suis efforcé, écrivit-il, de mettre mes actes en accord avec ma conscience d’écrivain militant. » Il fut l’ami de son aîné Francis Jourdain, de ses contemporains Eisenstein, Louis Delluc, Aragon, Paul Vaillant-Couturier. Et de bien d’autres. Il créa en 1926 le ciné-club les Amis de Spartacus, bientôt interdit par le préfet de police, où pour la première fois en France fut projeté le Cuirassé « Potemkine ».

Passionné de cinéma, il écrivit dans diverses revues avant de tenir la rubrique critique dans l’Humanité et, figurant, il boxa Gaston Modot dans Fièvre, de Louis Delluc. Dans l’Humanité justement, il critiqua le film américain Jim le harponneur, bien oublié aujourd’hui, n’eût été le procès que lui firent les distributeurs, mécontents qu’on vînt ainsi déprécier leur marchandise. Procès que lui et son journal gagnèrent, après bien des années. Ainsi naquit le droit de critique cinématographique : il est notre père à tous.

Emprisonné en 1940

S’intéressant à l’architecture et au théâtre, il participa en 1930 à la fondation du Théâtre ouvrier de France et, à Moscou, fit jouer Labiche par le Théâtre juif. Il fut emprisonné en 1940 à la Santé pour « propagande communiste » puis interné au camp de Gurs. Résistance et Libération. Directeur de l’Idhec en 1945, d’abord, puis de l’Ensad (École nationale supérieure des arts décoratifs), il se retira ensuite dans le Lot avec sa femme Jeanne. Tout cela, Patrick Cazals le dit dans ce film d’une heure. Et sans emphase. Avec des témoins, et notamment son neveu, fils de Jean Lods, cinéaste lui aussi, ceux qui le connurent à la fin de sa vie, des historiens… Ce qui frappe dans tous ces témoignages, c’est autant le respect que l’affection qui les baignent. Une belle vie, oui.

journaliste
Léon Moussinac, homme de passions, intellectuel communiste
ÉMILE BRETON
MERCREDI, 28 JANVIER, 2015
L'HUMANITÉ
Photo : Ciné histoire

En deux volumes, l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC) publie, avec le concours de la Fondation Gabriel-Péri, un ensemble de contributions sur l’apport du théoricien aux avancées du cinéma en France dans les années 1930 et au-delà, et un choix de ses textes.

«Léon Moussinac est très certainement un des intellectuels français de l’entre-deux-guerres le plus original quant à la compréhension théorique des enjeux sociaux et culturels des arts ; or, sa notoriété n’excède pas les quelques spécialistes du politique, alors qu’il publia sur le cinéma, le théâtre ou les arts décoratifs, et qu’il occupa nombre de responsabilités institutionnelles. » Ainsi s’ouvre la préface de Valérie Vignaux à Léon Moussinac, un intellectuel communiste, ensemble d’études collectives qu’elle dirigea avec François Albéra. Donnant quelques exemples, assez cruels pour les auteurs cités, de cet escamotage, elle rappelle quelle place il tint aux côtés d’Henri Barbusse et de Paul Vaillant-Couturier dans l’élaboration de ce « communisme culturel » qui marqua la France des années trente. Ce fut aussi le temps où – écrit Laurent Véray dans sa contribution, « Écrire et agir pour aider le cinéma français à s’élever à la dignité d’art » – son exigeante amitié avec les cinéastes d’alors, Delluc, Gance, L’Herbier et Epstein, fut décisive pour la naissance de ce que Langlois devait appeler « la première vague du cinéma français ». Renvoyons sur ce point à la lecture des différentes contributions évoquant le théoricien, pour retenir la place qui fut la sienne dans la naissance d’une vraie critique de cinéma en un temps (est-il vraiment révolu, même si les formes en sont plus insidieuses ?) où il s’agissait avant tout de « faire la réclame » des films sortis. Il fut, en effet, le premier à publier une critique cinématographique dans une revue littéraire alors prestigieuse, le Mercure de France, de 1920 à 1925. Mais c’est par les critiques régulières qu’il donna à l’Humanité de 1922 à 1932 qu’il put mettre en œuvre son souci de pédagogie (lancement de ciné-clubs, conférences), que d’autres contributions de ces deux volumes soulignent.

Exigeant à l’égard des films 
comme des spectateurs

Quarante et un de ces articles sont publiés et c’est un bonheur que de voir à quelle hauteur se situaient ses exigences à l’égard des films comme des spectateurs. Une citation pour en donner idée. Il écrivait, dans l’Humanitédu 4 juin 1926, mettant en garde les intellectuels attendant du cinéma qu’il devienne un art pour l’élite : « [C]es intellectuels n’ont pas compris que l’image pouvait n’être pas seulement expressive dans son ordre, son mouvement ou son sujet, mais belle plastiquement et riche ainsi d’une émotion nouvelle, et qu’il s’agissait de déterminer quels éléments plastiques pouvaient contribuer à cette beauté. » Qu’on lise ses articles pour apprendre à garder le regard clair devant une œuvre.

Haute idée de son métier d’écrire, qui le conduisit à mener, et à gagner, la première en date des batailles pour la liberté de la critique. Pas seulement pour lui, mais pour tous les critiques. Ayant exercé sa dent dure sur une adaptation fleur bleue de Moby Dick (de Lloyd Bacon, 1930, qui avait, pour les États-Unis, gardé le titre de Melville) et que son distributeur français, Jean Sagène, mini-nabab de l’époque, avait rebaptisée Jim le harponneur, il fut assigné en justice, et l’Humanité avec lui, par ce distributeur. Trois procès s’ensuivirent que « le harponneur » finit par perdre et qui consacraient la liberté de critique. Historique – et c’est bien la seule raison pour laquelle Jean Sagène mérite de passer à la postérité, à ce seul titre. Pour ça, et pour avoir écrit – rappelé par Moussinac dans l’Humanité du 14 mai 1926 : « J’ai réussi dans le camembert, dans le journalisme, il n’y a aucune raison que je ne réussisse pas dans le cinéma ». Ce combat pour une critique libre et contre la censure des films après l’envoi de policiers (1928) aux séances du ciné-club Spartacus, qu’il animait, puis contre l’interdiction de projections, bien d’autres contributions de ces deux livres sont là pour les rappeler, et qu’il faut aller voir. Mais, aussi bien, Jean-Pierre Léonardini pourrait consacrer (ce n’est pas une suggestion, encore moins une injonction) un article d’égal volume à ses batailles pour le théâtre… La raison pour laquelle ces deux livres tranchent sur les idées reçues en matière d’étude sur des auteurs engagés (a fortiori engagés avec les communistes), c’est sans doute qu’on s’y est, tout du long, attaché « surtout à ne pas faire disparaître la personne, car elle est la définition même de l’engagement, celui-ci étant d’abord un choix individuel avant de devenir une action pour autrui » (Valérie Vignaux, «Léon Moussinac 
théoricien du cinéma : d’une poétique 
des arts à une politique de la culture»). 
Un Moussinac vivant.

 
Léon Moussinac. Journaliste, cinéphile et militant
DOMINIQUE WIDEMANN
MERCREDI, 1 AOÛT, 2012
L'HUMANITÉ

Léon Moussinac sera le premier à signer des critiques cinématographiques dans les colonnes de l’Humanité. Précurseur, il restera jusqu’à sa mort, en 1964, fidèle à ses idées et à son parti.

Léon Moussinac entre à l’Humanité en 1922. Il y tiendra durant une dizaine d’années une chronique de critique cinématographique inédite, sur le fond et la forme, dans la presse de l’époque. Au fil du temps, Moussinac affirmera la liberté de la critique et de l’opinion, la dimension artistique du cinéma. On lui doit également l’émergence de la notion de patrimoine cinématographique, qui dote ainsi le cinéma d’une histoire dont Léon Moussinac fixera les films étapes. Il confiera plus tard la tâche à son successeur, Georges Sadoul, qui publiera l’encyclopédie que l’on sait. Grâce à quoi, son image recouvrira celle de Moussinac dans le panthéon communiste.

Avant l’arrivée de Léon Moussinac, point de critique cinématographique dans l’Humanité. Il entame une critique à la première personne, qui vise à créer une esthétique de l’écran. Il y dissèque jeu des acteurs, cadrage, montage, photographie, technique et technologie, tout en s’employant à la recherche du beau et de l’émotion. Avec une constante : la dénonciation des « tripatouillages, des mercanti, de la médiocrité », dénonciation qui va se faire de plus en plus véhémente contre le capitalisme et ses mauvais films. Ceux-là, Moussinac leur fait la chasse. Il va dans les salles populaires et note les réactions du public. En toute indépendance, il défendra envers et contre tout l’Auberge rouge, du jeune Jean Epstein, « contre les vieillards impuissants encore maîtres – pour combien de temps ? – des destinées du cinéma ». De même, il soutient la Roue, d’Abel Gance, tandis que Pierre Sémard, dirigeant des cheminots dont les grandes grèves hurlent encore, s’en prend au film, qu’il juge « contraire aux intérêts de la classe ouvrière ». Moussinac rétorque : « Dans l’état actuel du développement de la cinégraphie, comme dans toute formation d’un art, il s’agit de perfectionner l’outil et de fouiller la matière. » Dont acte. Moussinac admire le cinéma américain, la sensualité de ses stars. Pour lui, le corps de l’acteur accueille une cinématographie. Moussinac s’attache vite à la notion de patrimoine cinématographique. Au point de faire racheter le négatif de Fièvre, film de son ami Louis Delluc, pour en tirer des copies et les diffuser dans les ciné-clubs. Dès 1927, il dressera un historique des films scientifiques et des films comiques.

Au cours des années précédentes, Moussinac a mené, par sa chronique, un combat politique, esthétique et littéraire, non sans une certaine verve surréaliste. Il n’hésite pas, dans ses débuts à l’Humanité, à s’en prendre à tous les « cinéphobes », au premier rang desquels Anatole France, communiste et prix Nobel dont tout le PCF porte le deuil récent. Avec la « bolchevisation » du Parti, la plume de Moussinac, à partir de 1923, va se charger de « menaces et de silences, de prophéties rageuses et anticapitalistes », explique Tangui Perron, évoquant les contradictions de Léon Moussinac qui au fil des années vont s’aiguiser à vouloir tout à la fois « trouver la beauté du film, malgré le film » et « faire table rase » de l’indigence qui régnerait partout dans le cinéma du capital. Article du 16 mars 1927 : « Nous le rappelons ici sans cesse : en régime capitaliste, le cinéma ne saurait être qu’une industrie, un film ne pouvant avoir d’autre but que de “faire de l’argent” ; en régime communiste, le cinéma ne saurait être qu’un art, un film ne pouvant avoir d’autre but que d’amuser, d’émouvoir ou d’instruire. » Du même auteur, une chronique du 5 mai suivant : « Il y a très peu de films intéressants à voir. Il s’agit donc de n’aller au cinéma qu’à bon escient, donc rarement, pour siffler un film dont la médiocrité est offensante, ou d’esprit dangereux, et pour applaudir toute 
œuvre vraiment cinématographique. Pas simple. »

Pourtant, la politique des bruits et des cris va, sur papier journal, servir d’arme pour la critique et le cinéma. « Les communistes en général et Léon Moussinac veulent accentuer et politiser les réactions de la foule, la transformer en masse critique et agissante », soulignent les intervenants. En témoignent les appels à « siffler chaque semaine les actualités du Pathé-Aubert-Gaumont-Journal ». Inlassablement, le vendredi, Moussinac tient les comptes, décrit les hauts faits : l’Internationale qui couvre la Madelon à Châlons, les « À bas la guerre ! » qui retentissent à Limoges, à Courbevoie. Il synthétise deux traditions, celle qui consiste à siffler au théâtre, et le « sabotage » ouvrier. L’Humanité du 2 juillet 1927 : « Nos camarades allemands siffleront à Berlin pour les mêmes raisons que nous. »

En 1928, pour avoir fustigé le film Jim le harponneur, Léon Moussinac est attaqué en justice par un grand patron de l’industrie cinématographique, Jean Sapène, qui vient de rénover les studios de Joinville. La presse corporative conspue Moussinac « le Moscoutaire ». Condamné, Moussinac gagne en appel. Il fonde avec d’autres critiques – Jean Prévost, de la NRF, ou encore le cinéaste René Clair – l’Association amicale de la critique cinématographique. Conquête encore vivante.

La même année, Léon Moussinac va fonder les Amis de Spartacus pour diffuser le cinéma soviétique. Les séances sont privées, pour tenter de contourner la censure. Les militants communistes distribuent les cartes pour y assister dans les bistrots, dans la rue, à l’Humanité. Le choc visuel est énorme. Les spectateurs s’identifient aux films. Vantent leurs « qualités documentaires » en même temps que celles des premiers romans « prolétariens » que publie le journal. Le courrier des lecteurs montre à quel point la « réalité » des mots et des images fait exister ce pour quoi ces femmes et ces hommes se battent. Le rendent « vrai ». L’aventure sera interrompue au bout de six mois par le ministère de l’Intérieur. Lorsque Léon Moussinac meurt, en 1964, fidèle à son parti, bouleversé par le rapport Khrouchtchev, son ami Aragon, rencontré en 1918, lui adresse, dans les Lettres françaises, l’un de ses textes magnifiques, Cette nuit de nous, et s’engage, en poète, à ne jamais la quitter.

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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 20:53
Marie - Maï- Politzer morte à Auschwitz, il y a 75 ans, le 6 mars 1943
Marie - Maï- Politzer morte à Auschwitz, il y a 75 ans, le 6 mars 1943
Marie - Maï- Politzer morte à Auschwitz, il y a 75 ans, le 6 mars 1943

Marie Politzer morte à Auschwitz, il y a 75 ans, le 6 mars 1943

Marie Politzer, également connue sous le nom de « Maï ou Maïe Politzer », est née le 15 août 1905 à Biarritz et morte le 6 mars 1943 à Auschwitz. Mariée à Georges Politzer, philosophe français d'origine hongroise.
Jeune, Marie Politzer est passionnée par le théâtre et met en scène des pièces avec ses amies. Après avoir fait ses études secondaires dans un couvent de Biarritz, elle suit une formation de sténo - dactylo à Bayonne, fait des études ce commerce par correspondance1puis elle part à Paris pour entrer dans une école de sage-femme.

Elle est diplômée de la Pitié - Salpétriere. Elle rencontre Georges Politzer, son futur mari, dans un train en rentrant pour les vacances,, en 1929. Il divorce pour l'épouser et le couple se marie le 5 mars 1931.
Son mari étant communiste, elle adhère à ses idéaux et entre en clandestinité avec lui durant l'occupation, en août 1940, après avoir confié leur fils de sept ans à ses parents. Il écrit des articles pour des journaux de résistants. Elle prend en charge le transport des textes aux imprimeries clandestines et, alors qu'elle est blonde, elle se teint les cheveux en brun pour être moins reconnaissable.
Georges et Marie Politzer sont arrêtés à leur domicile clandestin dans le 18e arrondissement de Paris le 14 février 1942 par les brigades spéciales. Elle reste au dépôt jusqu'au 23 mars, puis est détenue au secret à la prison de la Santé où elle voit une dernière fois Georges Politzer avant qu'il soit fusillé le 23 mai 1942. Elle est ensuite transférée au Fort de Romainville en août 1942.
Elle est transférée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943, convoi qui contient entre autres des résistantes françaises, la plupart non juives et en majorité communistes, parmi lesquelles de nombreuses veuves de fusillés, telle Hélène Solomon-Langevin, femme de l'écrivain Jacques Solomon.
Elle porte à Auschwitz le numéro 31 680. Danielle Casanova, arrivée par le même convoi qu'elle, et qui a pris la fonction de dentiste au camp, arrive à lui trouver un poste de médecin au Revier du camp, bien qu'elle ne soit que sage-femme. Les conditions sont difficiles, mais un peu moins mauvaises que dans le reste du camp : les médecins n'ont pas à subir d'appel, sont abrités du froid et mangent correctement. Elle y meurt du typhus le 6 mars 1943.
C'est par Marie-Claude Vaillant-Couturier, elle aussi déportée par le convoi du 24 janvier 1943, que la famille de Maï Politzer apprend sa mort, après la libération des camps.
Comme pour Georges Politzer, la mention « mort pour la France » fut accordée à Maï Politzer le 18 mai 1946.

Robert Clément

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1 mars 2018 4 01 /03 /mars /2018 11:44
Annie Lacroix-Riz

Annie Lacroix-Riz

 Cause commune: le grand capital, de l’entre-deux-guerres à l’Occupation Par Annie Lacroix-Riz (historienne Annie Lacroix-Riz)

Lu sur le site: 

https://histoireetsociete.wordpress.com

De 1922 à 1944, le noyau dirigeant du capital financier opta pour une formule fasciste de gestion directe du pouvoir. Son plan connut un début d’exécution à l’ère Daladier – Reynaud (avril 1938-juin 1940), où la liquidation de fait des institutions parlementaires aligna la France sur le modèle pré-hitlérien allemand (mai 1930-janvier 1933). L’objectif fut pleinement atteint de l’été 1940 à l’été 1944 où, sous la protection de l’occupant allemand et l’apparente houlette de Pétain, Darlan et Laval, le capital financier assura directement le gouvernement de la France.

Le plan d’assassinat de la République par le noyau dirigeant du capital financier

La solution fasciste est couramment décrite comme « contre-révolution préventive » contre un péril rouge qui aurait épouvanté les classes dirigeantes, notamment en Italie et en Allemagne (Pierre Milza, Les fascismes,1991). De fait, après leurs rudes émotions de 1917-1919 (1920 au plus tard), celles-ci perçurent partout, France incluse, que la révolution n’aurait hors de Russie aucune chance à court ou moyen terme. Si haïe et « assiégée », de sa naissance à sa mort, qu’eût été la « forteresse » soviétique, ce n’est pas le péril révolutionnaire qui incita le noyau dirigeant du capital financier à abattre des structures politiques qu’il contrôlait pourtant presque autant que l’économie. La Banque de France, club de la haute banque privée, exerçait en effet depuis sa naissance (1802) – cadeau de Bonaparte aux bailleurs de fonds de son coup d’État du 18 brumaire – un pouvoir dictatorial sur tous les gouvernements, monarchique, impérial ou républicain, par l’octroi ou le refus de ses « avances ». « Rois, parlements, presse, […] armée, Église […] meilleurs élèves des grandes écoles », etc., trancha un observateur de 1942 ou 1943, sont « depuis un demi-siècle complètement passés sous le contrôle du haut patronat. [L]es hommes politiques, les ministres, les vénérables des loges et les secrétaires de syndicats, cela ne pèse pas lourd devant le Comité des Forges et le Comité des houillères », qui, avec « les “Deux Cents Familles” » [les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France], achètent « la moitié des hommes publics importants ». La longue liste des secteurs par eux contrôlés s’achevait sur le rejet, d’apparence provocatrice, du distinguo entre « démocraties » et États fascistes : « L’État d’aujourd’hui n’est rien devant les trusts. Ni l’État de Lebrun [président de la République depuis 1931], de Daladier, de Paul Reynaud [présidents du Conseil d’avril 1938 à juin 1940], ni l’État de Pétain ni de Laval ni ceux de Mussolini, de Hitler ou de Roosevelt. Derrière tous les rois, chefs d’État et ministres, il y a le haut patronat, dont le public ne connaît pas les chefs, qui n’aiment pas à se faire connaître » (rapport reproduit par les RG de la Sûreté nationale, août 1943).

Pourquoi donc ce « haut patronat français » décida-t-il, si peu après sa si fructueuse victoire de 1918, de balayer une république aussi bonne fille que l’était le nouveau régime pour son homologue allemand ? Seulement par haine des Soviets, auxquels il ne pardonnait pas de lui avoir « fermé l’accès des matières premières » de l’ancien empire : « l’or, le fer, le cuivre, le charbon, le pétrole, etc. », seule vraie « patrie [du…] haut patronat international » ? Malgré l’obsession antisoviétique des vrais décideurs français de l’entre-deux-guerres, « Moscou » n’explique pas seule le « plan d’action […] pour la France » qu’ils conduisirent autour du noyau de « ce que l’on appel[ait] les “Deux cents familles” ».

L’organisation d’une « synarchie »

Une douzaine de personnes s’organisèrent en 1922 en club politique, autoqualifié de « synarchie », pour liquider la république. Car, si obligeante que fût celle-ci, elle n’allait jamais assez vite en besogne, entravée par les moyens de défense des détenteurs de revenus non-monopolistes, ouvriers, fonctionnaires, paysans, petite bourgeoisie capitaliste, partis ouvriers ou de « gauche », syndicats, parlement, dont les décisions, lentes et trop molles, faisaient perdre tant de temps et d’argent. Certes, les bailleurs de fonds patronaux faisaient élire et guidaient de nombreux députés et la quasi-totalité des sénateurs. Mais l’obligation pour ces élus de se faire réélire ralentissait leur exécution de « l’assainissement financier », maître mot de la Banque de France, synonyme de verrouillage de tous les revenus autres que ceux de la haute banque et de la grande industrie.

Ce cénacle financier, grand prêteur à l’Italie, qu’il avait entraînée contre son gré dans la guerre récente, prônait pour ce gros débiteur une formule politique à poigne. Elle seule contraindrait le peuple italien à accepter les conditions impitoyables du remboursement dictées depuis la fin du conflit, solution que les créanciers internationaux, français inclus, firent triompher avec Mussolini fin octobre 1922. « Le haut patronat » français, comme tous ses pairs, britanniques et américains inclus, ne cessa d’exalter le modèle italien avant de trouver (en 1933) la formule politique, meilleure encore, adaptée au règlement de l’énorme « dette [extérieure] » allemande.

« Les milieux financiers rêvaient d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. »

Quand la synarchie se fonda, elle était dominée (et le resta) par « la banque Worms, […] grande organisatrice des gouvernements de Vichy », par le mystérieux « groupe de Nervo », employeur de Du Moulin de Labarthète (financier des ligues fascistes de l’entre-deux-guerres puis chef du cabinet civil de Pétain), par la Banque d’Indochine et par l’industrie lourde (avec Peyerimhoff, chef du Comité des Houillères), et des obligés du Comité des Forges dominé par François de Wendel et Schneider. Ces gens financèrent et guidèrent, 1° toutes les ligues fascistes, liées à l’Action française, matrice du fascisme née de la lutte contre Dreyfus, puis 2° la Cagoule dans laquelle, sans disparaître, elles se regroupèrent depuis le tournant de 1935. Leurs ligues essaimaient depuis la victoire fugace, en avril 1924, du Cartel des Gauches du radical Édouard Herriot, qui avait promis l’impôt sur le capital et la laïcité en Alsace-Moselle, mais capitula d’emblée devant le Mur d’Argent.

Dans les années 1920, la synarchie, banque Worms en tête, reine de cette spécialité, conquit et forgea le personnel indispensable au bon fonctionnement de sa future dictature : issu de l’École libre des Sciences politiques, inspection des Finances en tête, sans préjudice du Conseil d’État, et des grandes écoles, Polytechnique au premier chef sans oublier l’École normale supérieure et l’École centrale, ce personnel fournissait déjà les cadres de l’État – et, du côté de l’inspection des Finances, ceux de la haute banque –, après un stage étatique plus ou moins bref. Ces hauts fonctionnaires civils issus d’un sérail dominé par « Sciences Po », et les généraux cléricaux et factieux, détestaient la république et « ne la serv[ai]ent qu’à contrecœur », déplora Marc Bloch dans son Étrange Défaite de 1940.

Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que « le public » ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy : dans la petite cinquantaine de noms du « rapport sur la synarchie » d’Henri Chavin (un des prédécesseurs de René Bousquet au secrétariat général à la police) de juin 1941 figurent ces non-élus devenus gouvernants, presque tous liés à la banque Worms : tel son directeur général, l’inspecteur des Finances Jacques Barnaud, mais aussi Pierre Pucheu (ancien normalien devenu « directeur des services d’exportation du Comptoir sidérurgique de France et administrateur des Établissements Japy »), François Lehideux (directeur général de la Société anonyme des Usines Renault), Jean Bichelonne (X-Mines, « sorti major de Polytechnique », directeur général de « la Société métallurgique Senelle-Maubeuge »), le polytechnicien Jean Berthelot (ancien chef de l’exploitation du réseau ferré (Paris-Ouest), un des dirigeants de la SNCF, fief synarchiste, sous l’Occupation), les inspecteurs des Finances Jacques Guérard (porté en 1938 à la tête des assurances Worms, administrateur de Japy) et Paul Baudouin (directeur général puis président de la Banque d’Indochine), etc. ; et, seul à n’avoir pas « pantouflé », l’inspecteur des Finances Yves Bouthillier, pilier de l’administration des Finances puis son ministre auprès de Reynaud puis de Pétain.

« Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que “le public” ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy. »

Un fort ralliement de « gauche » à Pétain

La crise aiguisa la « stratégie du choc » (Naomi Klein) contre les salaires et autres revenus pesant sur le niveau des profits. Elle aviva l’impatience de la synarchie à l’égard du régime, qui décidément l’importunait : ainsi quand, à l’été 1931, il fallut attendre quelques semaines que l’État, même avec le docile Flandin aux Finances, acceptât de prendre à sa charge (celle du contribuable) les coûteuses décisions de la Banque de France sur le règlement de la dette extérieure allemande. Elle l’obligea aussi à étendre son recrutement au-delà des grandes écoles, condition nécessaire pour séduire une partie des masses radicalisées. Elle puisa de notables soutiens dans la gauche anticommuniste, politique (SFIO et radicaux), syndicale (CGT de Jouhaux), franc-maçonne : c’est cet efficace travail de sape qui explique un fort ralliement de « gauche » à Pétain ; mais il est si méconnu de ceux qui négligent les archives originales qu’ils opposent une gauche largement antisémite et « collabo » à une droite vichyste patriote et résistante (comme dans les thèses de Simon Epstein).

De ce volet du recrutement témoignent deux personnages importants, tant avant-guerre (surtout pour le premier) que sous l’Occupation : le socialiste Charles Spinasse, qui apporta au chef idéologique des synarques, Jean Coutrot, autre employé de la banque Worms, un sérieux coup de main dans l’investissement de l’appareil d’État quand son ami Léon Blum en fit, en 1936-1937, son ministre de l’Économie nationale ; et le socialiste et syndicaliste CGT René Belin, lieutenant-successeur du secrétaire général Jouhaux, que son traitant depuis le début des années 1930, Jacques Barnaud, transforma en potiche ministérielle sous Vichy. L’effort aboutit même à la conquête d’un des dirigeants du PCF, Jacques Doriot, qui, espéraient ses mentors, pourrait (en apparence) diriger un parti de masse fasciste : en liaison avec les futurs occupants, fort intéressés à la chose, les synarques lui édifièrent en juillet 1936 un parti, le Parti populaire français ; son Bureau politique, originalité pour un parti censément né du terreau populaire de Saint-Denis, fut peuplé de synarques importants, dont Pucheu. Dès 1934, la synarchie choisit la formule qui offrirait une façade civile et militaire à son pouvoir direct : Laval – Pétain (alors ministres respectifs des colonies et de la guerre). Ce choix, définitif, résista à tous les aléas des six années menant la France à la Débâcle et au putsch de juillet 1940.

« Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. »

Vichy : les synarques ministres ou l’exercice direct du pouvoir

Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. En témoigne un commentaire du 7 janvier 1942 du diplomate américain Anthony Joseph Drexel Biddle Jr sur le conseil des ministres de Pétain et Darlan (après Laval, juillet – décembre 1940 et avant Laval, avril 1942 – août 1944), avis d’autant plus intéressant que cet ambassadeur auprès de divers pays occupés représentés à Londres appartenait aussi aux milieux financiers : « Nombre d’entre eux avaient de longue date des liens d’affaires importants et intimes avec les intérêts allemands et rêvaient encore d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. Laval était depuis longtemps lié à ce groupe. Darlan, bien qu’il ne fût pas de leur monde, était assez intelligent pour se les associer. S’ils adoraient Laval, ils servaient Darlan, comme ils auraient servi quiconque jouait le jeu. » Au sommet de ce groupe « ne portant d’attention qu’à la défense de [leurs] intérêts » trônaient « de nombreuses grandes banques […] : la Banque nationale pour le commerce et l’industrie (qui était par excellence le groupe de Laval), la Banque d’Indochine (dont Baudouin était le chef), la Banque de Paris et des Pays-Bas. Mais celle qui s’identifiait particulièrement au régime Darlan était la banque Worms et Cie » comme le montrait « un bref examen du conseil des ministres et des secrétaires d’État ».

Des membres de « la clique Worms », Biddle n’exclut que quatre « hommes de Pétain » (en se trompant : ceux-ci étant de longue date liés à la synarchie, tel Joseph-Barthélémy, ministre de la Justice, chef cagoulard, qui avait requis de lâcher l’alliée tchécoslovaque dans un article du 12 juin 1938 dans Le Temps, organe du Comité des Forges) : « Pierre Pucheu (Intérieur) et Yves Bouthillier [Finances] étaient des membres de la clique Worms. Le général Bergeret (secrétaire d’État à l’aviation) était classé par les uns dans l’entourage personnel de Pétain, par les autres dans le groupe Worms. Lui excepté, les secrétaires d’État étaient à un homme près associés à la même clique ». Au « groupe Worms » appartenaient aussi « un grand nombre de fonctionnaires subalternes (surtout les secrétaires généraux) », parmi lesquels Bichelonne : secrétaire général puis, d’avril 1942 à août 1944, ministre de la Production industrielle, il dirigeait aussi le Travail, dont Hubert Lagardelle fut le titulaire officiel entre le départ de la potiche précédente, René Belin, en avril 1942, et le sien, en novembre 1943.

« Pratiquement tout ministère ou secrétariat touchant les affaires économiques était aux mains d’un homme ou d’un autre de la clique Worms. » (d’après un des trois rapports – janvier, mars 1942, novembre 1943 – sur la banque Worms cités par William Langer dans Our Vichy gamble, Amden, Archon Books, 1965, p. 168-169).

Malgré des retraits liés, depuis 1942, aux mutations du rapport de forces militaire et de politique général mais aussi à la certitude de la défaite allemande, cette maîtrise fut maintenue jusqu’au bout. Elle fut symbolisée par Bichelonne, personnage emblématique de la baisse de 50 % du salaire réel des ouvriers et employés sous l’Occupation, et au moins autant par Jacques Guérard. Resté inconnu du public, cet « homme de sang » fut, comme secrétaire général de Laval de son retour à la Libération de Paris, le maître du gouvernement français et le principal interlocuteur de l’occupant.

*Annie Lacroix-Riz est historienne. Elle est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris 7.

 

Dans le grand patronat: les yeux de Chimène pour Hitler (L'Humanité spécial Front Populaire, entretien avec Annie Lacroix-Riz)

 

Louis Renault n'a pas attendu l'occupation allemande pour être prêt à collaborer. En 1935, il rencontrait Hitler

Louis Renault n'a pas attendu l'occupation allemande pour être prêt à collaborer. En 1935, il rencontrait Hitler

Une explication historique de la montée irrésistible du fascisme et du nazisme que l'on entend bien peu aujourd'hui et qui ouvre des perspectives de compréhension, avec quelques échos renvoyant à notre présent...

Syndicats liquidés, communistes et sociaux-démocrates enfermés à Dachau ou Buchenwald, Gestapo omniprésente. Le régime nazi offrait des possibilités inespérées d'exploitation des ouvriers.

La célèbre formule "Plutôt Hitler que le Front Populaire" est quelque fois interprétée comme un ralliement du patronat français au fascisme face à "la peur des rouges". Une manière de la justifier ou de l'atténuer?

Annie Lacroix-Riz: Le modèle social nazi, qui permet de faire travailler les ouvriers 16 heures par jour six jours par semaine sans autorisation administrative, et les prive de partis, de députés, de syndicats et de droit de grève, a enthousiasmé le patronat international (Etats-Unis inclus, qui avaient tant investi dans le Reich depuis la décennie 1920). Il avait séduit d'emblée le patronat français qui, au surplus, se heurte à une forte résistance ouvrière entre 1934 et 1938. Il voit dans le modèle social allemand un motif de plus à ne pas faire la guerre au Reich, qui, lui, la fera. Car, l'occupant une fois sur place, tout ira mieux, comme le claironnent nombre de patrons à leurs ouvriers grévistes en 1936-1937, tel le président de l'imprimerie Lang: "Hitler viendra mettre de l'ordre en France!". Ce qui se fait chez Lang et ailleurs depuis l'été 1940, je l'ai montré dans Industriels et banquiers français sous l'occupation.

Le grand patronat français fait donc non seulement le choix de l'Allemagne mais aussi le choix de Hitler avant le Front Populaire?

Annie Lacroix-Riz: C'est un pan essentiel de l'histoire du fascisme français de l'entre-deux guerres. Car, fondamentalement, c'est son principal intérêt, le fascisme écrase les salaires et les salariés. Il a séduit les milieux d'affaires parce qu'il empêche les détenteurs de revenus non monopolistes de se défendre, qu'ils se soient battus auparavant ou pas: les ouvriers allemands ont été dociles... En France, ils se défendent, y compris sur le plan du Parlement, soumis à réélection tous les quatre ans, forcément sensible aux électeurs. En outre, le système parlementaire, même contrôlé par le capital financier, retarde l'exécution de ses décisions de plusieurs semaines, mois ou années. Les fonds de police attestent précisément comment, à partir de 1922, s'organise, sous la férule de la "synarchie", le mouvement fasciste en France, comment le capital financier finance les "ligues". A l'extérieur, l'impérialisme français a les mêmes goûts. Il est notoire, depuis le début des années 1930, que Skoda, c'est à dire Schneider, soutient Hitler et son auxiliaire en Tchécoslovaquie, le chef du "parti des Sudètes", Konrad Henlein. Pourquoi? Parce que seul un régime fasciste brisera le mouvement ouvrier, interdira les grèves, verrouillera les salaires en laissant grimper les prix industriels et les "opportunités" bancaires, donc les profits des grands groupes. Cette orientation s'accentue avec la crise. Elle donne au capital français, qui adore le fascisme italien (et adorera Franco), les yeux de Chimène pour le nazisme, en toute connaissance de cause sur son bellicisme, son racisme et son antisémitisme criminels.

Le Front populaire est quelquefois accusé d'avoir précipité la défaite de la France face à l'Allemagne. Qu'en est-il?

Annie Lacroix-Riz: La caractéristique remarquable de l'entre-deux-guerres pour l'impérialisme français, et dans une certaine mesure aussi, pour l'impérialisme britannique, c'est que, de manière plus caricaturale qu'avant la Première Guerre Mondiale, de très fortes rivalités inter-impérialistes sont compensées par la tendance des impérialismes affaiblis ou dominés de céder aux exigences de l'impérialisme dominant. La Grande-Bretagne se soumet à l'impérialisme américain, et à l'impérialisme allemand aussi, comme la France. Londres tente le compromis européen jusqu'au bout, et sur l'Autriche, sur la Tchécoslovaquie après l'avoir fait sur l'Espagne (zone d'intérêts décisifs). Ce qui fait reculer l'impérialisme britannique, c'est qu'il n'arrive pas à trouver sur la question coloniale de compromis qui permettrait aux Allemands, comme il le leur avait déjà proposé (en vain) en 1912, de s'emparer des empires français, belge, portugais, en épargnant l'anglais. Le Reich veut tout. C'est ce qui explique que, à partir du printemps 1938, Anthony Eden qui a été un grand apaiseur jusqu'alors, se retourne (comme Churchill avant lui) et abandonne le Foreign Office à Halifax, symbole de l'aplatissement. C'est la ligne Chamberlain-Halifax qui, du côté français, l'emporte du début à la fin.

Entretien réalisé par Jérôme Skalski

Lire aussi: 

 

Venise Gosnat, alias Georges, inter-régional responsable de la résistance communiste en Bretagne (décembre 1940- décembre 1942)

Leur drôle de guerre contre les rouges: septembre 1939- mai 1940: La persécution des communistes par le gouvernement Daladier après le pacte germano-soviétique (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2)

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 12:04
Venise Gosnat, alias Georges, inter-régional responsable de la résistance communiste en Bretagne (décembre 1940- décembre 1942)

Venise Gosnat est né le 30 novembre 1887 à Bourges.

Son père et sa mère étaient respectivement ouvrier charpentier, ancien compagnon, et couturière. Ses parents avaient 32 ans à sa naissance, mais il fut orphelin très jeune, son père mourant à 34 ans et sa mère à 36 ans, ses deux parents mourant des suites de maladie contractées à cause notamment d'un travail harassant pour nourrir leurs quatre enfants. Venise va être accueilli par ses grands-parents maternels, humbles travailleurs de la terre, et ne peut en raison de leur pauvreté fréquenter l'école communale de manière très assidue. Venise est berger toute une partie du temps scolaire. Il sert aux offices religieux dans son village d'Asnières-les-Bourges et assiste au catéchisme, ses grands-parents étant catholiques pratiquants.

Le certificat d'études primaire obtenu, Venise se fait embaucher pour aider ses grands-parents comme manœuvre aux établissements "Le Panama", fabrique de sellerie, de bourrellerie, de cordonnerie. Il y apprend à travailler le cuir. Ses sœurs Rachel et Clélie deviennent religieuses à Bourges. Clélie décède de maladie au début de la guerre 14-18. Venise Gosnat a 27 ans au déclenchement de la Grande guerre.  

Adhérent de la CGT depuis 1907, membre du Parti Socialiste (SFIO) depuis 1911, il est marqué au carnet B comme "rouge" dangereux depuis les années 1908-1910. A l'époque, quoique artisan cordonnier de formation, il travailleur comme poseur de lignes pour les PTT.  Venise, grand admirateur de Jaurès, accepte difficilement le ralliement des cadres socialistes, y compris Jules Guesde et Edouard Vaillant, en août 1914, à l'Union Sacrée. Pendant la guerre, il est mobilisé à l'arsenal de Bourges. Après la révolution russe de février, en juin 1917, 1700 ouvriers de l'arsenal de Bourges font grève pour des augmentations, plus de jours de repos et aussi avec des mots d'ordre politique contre la guerre. Venise, organisateur du mouvement syndical, a été éloigné de l'Arsenal de Bourges et du Cher, et renvoyé au front en mai 1917. Durant cette deuxième période au front, Venise fut gazé, commotionné par une bombe qui le projeta en l'air, lors d'une mission de ravitaillement, et eut le tympan crevé.    

En novembre 1917, il adhère à l'Association Républicaine des Anciens Combattants qu'ont fondé Henri Barbusse, Paul Vailland-Couturier, Raymond Lefebvre, Georges Bruyère. 

La révolution d'Octobre stimule le mouvement ouvrier. 100 000 métallurgistes font grève le 1er mai 1918 malgré la décision de la CGT, dirigée par Jouhaux, de ne pas chômer ce jour-là. A Bourges, le mot d'ordre de Jouhaux ne sera pas suivi. Les dragons à cheval sont lancés contre les hommes et les femmes qui défilent en chantant "l'Internationale" et en criant "A bas la guerre, vive la paix!". Venise est toujours mobilisé au 1er Parc d'Artillerie comme soldat et rêve de revenir à l'arsenal pour agir politiquement. A sa démobilisation, en avril 1919, il intègre l'Arsenal de Bourges mais est révoqué en 1922 pour lui faire payer son action syndicale et politique dans l'entreprise et dans le département du Cher. 

Venise a choisi la IIIe Internationale pendant et à l'issue du Congrès de Tours et il est un membre actif du Parti Communiste. Il est très actif dans les grèves de 1920 dans le Cher et cherche à empêcher, en vain, la division syndicale. En 1923, il préside le congrès extraordinaire de la CGTU à Bourges. En 1925, Venise Gosnat est réintégré sous conditions à l'Arsenal et prend part à l'action de propagande contre la guerre coloniale du Rif au Maroc et aux grèves politiques de l'Arsenal contre cette guerre.  

En décembre 1925, le Parti communiste appelle Venise à Paris et celui-ci l'encourage à s'embaucher comme forgeron aux Ateliers de Suresnes pour y mener la bataille politique et syndicale, puis aux forges de Clichy, dépendant de la société anonyme André Citroën. 

Venise est actif dans le mouvement social de solidarité avec l'Espagne Républicaine, pour le Front populaire et les conquêtes sociales de 36, il dénonce les accords de capitulation anglo-française face à l'impérialisme nazi de Munich. Seuls au Parlement, les 72 députés communistes et deux autres parlementaires votèrent contre la ratification de ce honteux traité.

Pendant la drôle de guerre, Venise Gosnat vit la persécution contre les communistes après le pacte germano-soviétique à Ivry, la circonscription où Maurice Thorez est élu député. Venise est président de l'office du logement social H.B.M à Ivry et travaille à la mairie en même que le secrétaire de la Région du Parti Communiste Clandestin. 

Son fils et celui d'Alice, son épouse, Georges est mobilisé. Il ne reverra sa famille qu'après la victoire du 8 mai 1945, et 5 ans de captivité... Georges était officier, sous-lieutenant de réserve, et Maurice Thorez lui avait confié la responsabilité de la Compagnie "France-Navigation" qui ravitaillait en vivres et en armes l'Espagne républicaine avec 22 navires et 2000 marins. Cette compagnie effectuera aussi plusieurs transports de réfugiés républicains espagnols en Amérique Latine. 

Alors que "Ce soir", "L'Humanité" sont interdits depuis le 27 août 1939, Venise Gosnat fait tirer l'Huma clandestine et les tracts du PCF à partir d'octobre-novembre 1939 dans les bureaux de l'office H.B.M de Vitry. Venise est déchu officiellement de son mandat de maire-adjoint de Vitry le 21 janvier 1940, mais garde curieusement ses fonctions de président de l'office public H.B.M de Vitry.       

En mai 1940, néanmoins, Venise est arrêté, embarqué au camp du Baillet en Seine-et-Oise à destination de l'Ile d'Yeu. Venise décide de s'évader à la première occasion avec André Marrane, frère de Georges Marrane, maire d'Ivry. L'évasion de la prison de Riom réussie a lieu le 24 octobre 1940 à l'occasion d'une corvée en forêt. Venise Gosnat et André Marrane rejoignent Bourges, puis Paris. 

A Paris, il fut demandé à Venise de prendre quelques semaines de repos avant de succéder à Marcel Paul, comme responsable de l'Inter 4, c'est-à-dire de la Bretagne. 

Venise Gosnat va réorganiser l'action de résistance des communistes en Bretagne (les cinq départements, y compris donc la Loire-Inférieure) pendant deux ans, de décembre 1940 à décembre 1942. Dans un aussi vaste territoire, l'INTER PR 4, il fallait mettre en place des directions efficaces par départements, ou par secteurs de départements, dans les villes et les campagnes. Venise sera le fondateur du Front national et des premiers groupes de Francs Tireiurs et Partisans français dont il jeta les bases dès le début de 1941. 

C'est Venise Gosnat qui met en place le service de liaisons avec les internés du camp de Châteaubriant et organise entre autre les évasions retentissantes de Léon Mauvais, Fernand Grenier, Eugène Hénaff, Henri Reynaud, tous membres du Comité central du PCF. Le Front National prend naissance en Loire-Atlantique avec des personnalités du Parti socialiste et du Parti radical. 

La fiche de signalement de la Gestapo et de la police de Vichy indique sur Venise Gosnat, le responsable du Parti Communiste clandestin en Bretagne: 

"Vieux Georges, alias Pitard Georges, taille 1,80 m; 55 ans environ; cheveux grisonnants; légère calvitie frontale, assez forte corpulence, parfois des lunettes, se sert d'une canne canée; médaille du Travail, responsable politique inter-région. Doit se trouver en liaison directe ou faire partie du Comité central du parti communiste". 

En réalité, Venise Gosnat se faisait appeler "Pichart" et non "Pitard". 

Pierre Corre, qui sera fusillé ensuite avec 18 autres camarades, de l'arsenal de Brest, le convainc de rentrer à l'arsenal de Brest, occupé par les Allemands pour recruter et encourager à la Résistance. Après son départ, 5 des 7 transformateurs électriques de l'arsenal ont sauté. Une des planques bretonnes de Venise Gosnat se trouve à Brest, rue de Bohar, actuellement rue du Commandant Drogou. Il avait d'autres planques, à Nantes, Saint-Nazaire, et Quimper.

"Toutefois, Brest et le Finistère, souligne Jean Chaumeil, furent au centre de l'action générale dirigée par Venise Gosnat. Il y a laissé un très grand nombre d'amis, sans oublier les familles et dizaines de compagnons d'armes fusillés ou déportés dans les camps de la mort".

Pendant ce temps, Venise Gosnat vit comme un grand-père tranquille en apparence avec sa petite-fille, Raymonde, la fille aînée de son fils, en captivité, à qui il apprend à lire et à écrire, alors que sa mère a été arrêtée par la Gestapo. 

Envers et contre tout, l'action dirigeante de Venise se poursuivit de plus belle en Bretagne. Jean Chaumeil a retrouvé dans ses archives personnelles une:

 lettre adressée par Venise Gosnat à Corentin André, alors responsable des Anciens résistants en Côtes-du-Nord, datée du 11 mars 1963: 

"(...) J'ai été envoyé fin décembre 1940 à Nantes, comme inter-régional politique, avec mission d'achever la réorganisation du Parti dans les cinq départements bretons. Sous le nom de Georges Pichard ou Georges tout simplement, j'étais accompagné de ma femme et de la petite fille endimanchée dont parle Fernand Grenier dans son livre "C'était ainsi". 

Je parcourais seul la Bretagne tous les mois, pendant une vingtaine de jours, ayant des rendez-vous avec les responsables... 

Mon séjour en Bretagne se prolongea jusqu'à la fin 1942. Dénoncé et traqué pendant plusieurs jours dans le Finistère, je fus généreusement aidé pour m'échapper, par le patron du Bar de l'Arrivée à Quimper, le jeune Bernard, également de Quimper, à qui sa mère, téléphoniste, avait donné les renseignements communiqués à toutes les autorités policières et allemandes, et enfin par le vaillant camarade David, de Huelgoat. 

A noter que c'est à Nantes que j'avais pris contact, au début de ma mission, avec les camarades du département, dans des conditions qui faillirent tourner au tragique. Un camarade devait me présenter dans un café du Petit-Chantilly. Ce camarade étant en retard, je me trouvais seul dans la salle. Une jeune femme vint me demander ce que je voulais. Je commandais une consommation qu'on ne me servait pas. Enfin le camarade arrive, et tout s'éclaira. Les responsables, qui m'avaient pris pour un flic, étaient dans une salle à côté, et s'apprêtaient à me liquider. 

C'est donc dans ce café du Petit-Chantilly que je pris contact avec Robert Ballanger qui, après être passé par la Loire-Atlantique, son département, fut responsable du Finistère, puis d'Ille-et-Vilaine, avant d'être rappelé à des fonctions plus importantes dans la région parisienne; avec Pierre Charrier, fusillé dans la Gironde; Jean Vigneau, tué au combat dans les FTPF et sa soeur Zazeth Le Guyader, dont le fils, tué au combat dans la Côte-d'Or, à l'âge de 16 ans, repose avec son oncle Jean Vigneau au cimetière d'Ivry, au milieu des héros de cette localité de banlieue; puis avec Millot, professeur, fusillé, et sa femme actuellement institutrice à Paris, qui devait être chargée, avec le dentiste de Châteaubriant, de mettre au point l'évasion de nos camarades Fernand Grenier, Léon Mauvais, Henri Reynaud et Eugène Hénaff; Marcelle Baron, la boîte aux lettres, déportée par la suite; Georges Divet, qui a été maire-adjoint du 14e arrondissement de Paris, avant la révocation de tous nos représentants dans les mairies de Paris, par le gouvernement; les frères Hervé, fusillés; Trovallet, le courageux boulanger de Treffieux; les trois frères Delouche, de Saffré et Notre-Dame-des-Langueurs; Le Goff de Nort, mort des suites des tortures; et de Nantes encore: les camarades Pinard, Joseph, Auvin, Marrec, Tintin; les responsables de Saint-Nazaire, dont j'ai toujours ignoré les noms, qui firent un magnifique travail, en liaison avec les Républicains espagnols, etc., etc. 

Dans les Côtes-du-Nord, le responsable était Le Quennec, qui devait par la suite organiser et diriger les FTPF de l'inter-région, Le Hénaff, de Guingamp, Marzin de Lannion, et quantité d'autres anonymes (pour moi) qui participaient à l'action. A Paimpol, habitait notre cher Marcel Cachin à qui je rendis visite au nom du Parti. 

En Ille-et-Vilaine, Robert Ballanger dirigeait l'action avec Antoine et un bon camarade qui, après la guerre, fut secrétaire de l'Union des syndicats. 

Dans le Morbihan, le camarade Lelay, ancien secrétaire de la mairie de Concarneau que nous avions affecté dans le Morbihan par mesure de sécurité, et qui fut reconnu et arrêté par l'ancien commissaire de police de Concarneau, lui aussi muté dans ce département; le camarade Conan, cheminot d'Auray, arrêté à la suite d'une fouille dans les placards du dépôt, fusillé; Marie Le Fur, d'Hennebont, un autre cheminot d'Auray, mari d'une institutrice d'un village voisin, un imprimeur de Pontivy et de nombreux inconnus.

Dans le Finistère, le camarade Larnicol, ancien maire de Léchiagat, resté fidèle au Parti, le jeune et courageux Albert Abalain, fusillé, sa tante Jeanne Goasguen, adjointe au maire de Brest après la Libération, Pierre Corre, ouvrier de l'arsenal de Brest et organisateur de la lutte au sein de l'Etablissement, mort au combat par la suite, la camarade Salou, déportée; Le Nedelec; Georges Abalain; Cadiou (Charlot); le camarade et la camarade Lijour (déportée) de Concarneau; David, de Huelgoat, mort au combat; Guyomarch, aujourd'hui capitaine, qui faussa compagnie aux gendarmes alors qu'il avait les menottes aux mains; François et sa mère, bouchers à Scaër, les frères Le Pape, de Pont de Buis, Jojo (?), pêcheur de Douarnenez, une sabotière de Rosporden, Bernard, de Quimper, et sa mère, le cheminot Halle (je crois) de Quimper, fusillé, et beaucoup d'autres...". 

Près de 1000 patriotes communistes sont ainsi organisés par le parti en 1941 et 1942 dans les cinq départements bretons, par groupes de trois, sans compter les nombreuses liaisons avec d'autres organisations, notamment le Front National. 

"Un des premiers coups de main, écrit toujours Goisnat à Corentin André, fut dirigé sur les carrières de Pelerin, en Loire-Atlantique, ce qui nous procura de la dynamite pour les cinq départements. L'approvisionnement fut assuré par la suite par les pêcheurs de Concarneau, Léchiagat, Douarnenez, qui récupéraient en mer les tonnelets amenés par les Anglais; Marcel Paul était venu sur place donner des leçons d'utilisation de la dynamite. A partir de ce moment-là, la destruction des pylônes et des foyers de locomotives fut permanente et à grande échelle. 

A Saint-Nazaire, un prototype d'hydravion sévèrement gardé, est pulvérisé le jour même où il devait être essayé. 

A l'arsenal de Brest, tous les transformateurs, sauf deux, sautent le même jour, paralysant l'arsenal pendant plusieurs jours. 

A Pont-de-Buis, le téléphérique de la poudrerie saute. 

A Brest, des navires et des sous-marins furent immobilisés pendant des mois, parce qu'il était impossible aux Allemands de faire provision d'eau potable, toutes les analyses étant mauvaises, malgré les précautions les plus strictes. 

Un jour d'été, à 18 heures, en pleine ville à Brest, au moment où des milliers de personnes étaient dans la rue, un acte d'une audace inouïe fut accompli: une petite bonne femme, la camarade Salou, avec de gros boulons, fit voler en éclats les glaces de la devanture du bureau d'embauche allemande (à proximité de la préfecture maritime), traversa la rue, et gagna tranquillement la rue Pasteur, protégée par un groupe armé de grenades qui n'eut pas à intervenir. L'opération qui avait duré deux à trois minutes, fut spectaculaire et mobilisatrice pour les masses laborieuses de la ville.  

A Nantes, un petit groupe alla chercher le jeune Hervé, arrêté, dans le cabinet du juge d'instruction, abattant ce dernier. En octobre 1941, le chef de la Kommandantur fut tué et une terreur sans nom s'abattit sur la région: exécution de 27 camarades à Châteaubriant et 21 à Nantes. 

"Il faudrait un volume" écrit Venise "pour retracer tous les actes des patriotes bretons. Les cheminots de toutes les grandes gares continuellement sur la brêche, les pêcheurs, avec leurs actions périlleuses en mer; les pompiers de Nantes, qui ne sont pas responsables si Doriot leur a échappé au Théâtre Graslin; les groupes qui faisaient flamber la paille réquisitionnée, les actes individuels, etc, etc.

Population magnifique où j'ai été fraternellement accueilli pendant les années 1941-1942, dans des centaines de maisons, avidement questionné pendant une partie de la nuit, lumières éteintes, d'où je repartais le matin avec une provision de crêpes. J'ai gardé de cette époque un souvenir inoubliable...."

Le 12 janvier 1969, Venise Gosnat est venu à la Maison du Peuple de Brest rendre hommage aux 19 fusillés brestois du 17 septembre 1943 au Mont Valérien (après leur jugement par le tribunal militaire de Rennes en décembre 1942 et par le Conseil de guerre allemand). 

La femme de Venise, Alice née Morand, parcourt elle aussi la Bretagne et le Finistère, recherchée elle aussi par la police française, privée de carte d'alimentation comme Venise Gosnat. Elle a participé à de nombreuses distributions de tracts anti-allemands dans le secteur de Brest entre janvier 1941 et la fin de l'année 42 et a organisé durant toute la période de 41 et 42 les femmes patriotes du Finistère pour protester contre l'insuffisance du ravitaillement et contre la vie chère. Elle a dirigé une manifestation de ménagères en 1941 et deux au début de 1942. Pierre Berthelot de Brest a témoigné de ses activités de résistance après la guerre.  

Fin 1942, le Parti Communiste rappelle à Paris Venise Gosnat, qui vient d'échapper de peu à une arrestation, avec Alice et Raymonde, leur petite-fille. Jacques Duclos lui confie la responsabilité du choix et de la sécurité des cadres sous la direction de Jean Chaumeil. Des milliers de documents sont passés entre les mains de Venise Gosnat qui, s'ils étaient tombés aux mains de l'Etat français d'extrême-droite, ou des Allemands, auraient conduit à des rafles monstres. En août 44, Venise fut nommé président du Comité de Libération d'Ivry, puis premier adjoint au maire d'Ivry sous la direction de Georges Marrane avec lequel il va mettre en place un plan de construction de 5000 logements sociaux.        

Venise Gosnat est décédé en 1970.    

 

   Extraits de Venise Gosnat par Jean Chaumeil, éditions sociales, 1975 (exemplaire dédicacé à Pierre Le Rose, ancien résistant communiste de Concarneau, par Jean Chaumeil)          

Lire aussi:

"Les communistes et la Résistance": un appel d'anciens résistants, membres du PCF, à l'occasion d'un hommage à Venise Gosnat à Concarneau le 12 octobre 1975 au CAC (mémoire de la résistance finistérienne, Archives Pierre Le Rose)

Résistance et répression des communistes brestois de 1939 à 1943 (à partir des souvenirs et des enquêtes d'Eugène Kerbaul, résistant communiste)

Contribution à l'histoire de la libération de Concarneau - par Alphonse Duot, ancien responsable du Front National de lutte pour la Libération et l'indépendance de la France, adjoint au commandement de la 7ème Compagnie F.T.P.F: un document exceptionnel des archives Pierre Le Rose

Un document exceptionnel sur le Parti Communiste dans le Finistère au début de la IVe République: le livret de la 10ème conférence fédérale du Parti Communiste à Brest en mai 1947 (archives Jean-Claude Cariou)

Rol-Tanguy: 1994, à l'occasion des 50 ans de la libération de Paris, la presse revient sur ses actes de résistance: un Brestois né à Morlaix dirige l'insurrection de Paris

Albert Rannou: Lettres de prison d'un résistant communiste brestois né à Guimiliau fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien

Lettre à ses parents de la prison de Rennes du résistant communiste brestois Albert Abalain, fusillé au Mont-Valérien le 17 septembre 1943 (fonds d'archives ANACR 29)

Dernière lettre de Paul Monot, résistant brestois fusillé au Mont-Valérien le 17 septembre 1943 avec Albert Rannou et 17 autres résistants brestois dont André Berger et Henri Moreau

Dernière lettre à sa femme de Jules Lesven, dirigeant de la résistance communiste brestoise, ouvrier et syndicaliste à l'Arsenal, fusillé le 1er juin 1943,

Communistes de Bretagne (1921-1945)

L'audience du Parti Communiste à la libération dans le Finistère

 

 

 

 

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 12:00
Edouard Daladier, septembre 1939

Edouard Daladier, septembre 1939

Maurice Thorez

Maurice Thorez

Leur drôle de guerre contre les rouges: septembre 1939- mai 1940: La persécution des communistes par le gouvernement Daladier après le pacte germano-soviétique (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2)
Leur drôle de guerre contre les rouges: septembre 1939- mai 1940: La persécution des communistes par le gouvernement Daladier après le pacte germano-soviétique (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2)
"Le 9 avril 1940, le socialiste Albert Sérol, ministre de la Justice, signe un décret qui prévoit la peine de mort pour les communistes".

"Le 9 avril 1940, le socialiste Albert Sérol, ministre de la Justice, signe un décret qui prévoit la peine de mort pour les communistes".

26 août 1939 - dernier numéro légal de L'Humanité qui reparaîtra clandestinement le 26 octobre 1939

26 août 1939 - dernier numéro légal de L'Humanité qui reparaîtra clandestinement le 26 octobre 1939

"Les premiers jours qui suivent le pacte germano-soviétique, l'Internationale communiste subit le choc. Tandis qu'à Paris, le groupe des députés communistes, réuni au Palais-Bourbon, sous la présidence de Maurice Thorez, "rappelle la volonté de tous les communistes de lutter contre le fascisme et le nazisme" (1er septembre 1939), puis vote les crédits demandés par Daladier pour la défense nationale (3 septembre), à Moscou, les plus hauts responsables kominterniens, Dimitrov et Manouilski, mis à gêne, se permettent de suggérer à Staline que le Parti communiste français garde sa ligne de résistance "à l'agression de l'Allemagne fasciste". 

Staline coupe court, on l'a vu, le 7 septembre, recevant Dimitrov: que les partis communistes des pays capitalistes renoncent aux mots d'ordre de Front populaire et se dressent contre leur propre gouvernement, contre la guerre! A partir du 20 septembre, le Parti communiste français, appliquant les nouvelles consignes, commence à dénoncer la "guerre impérialiste" et à exiger l'arrêt des hostilités; mais le manifeste qu'il adopte, en l'absence de Thorez, mobilisé, sous le titre, "Il faut faire la paix", n'est pas diffusé. 

Le 26 septembre, le gouvernement de la France excipe du pacte pour dissoudre par décret le parti et les organisations qui se rattachent à lui.

Le Journal officiel du 29 septembre annonce la constitution, à la Chambre, d'un Groupe ouvrier et paysan français (GOPF), qui rassemble 42 députés communistes, rejoints par quelques autres les 4 et 5 octobre. Un député sur trois a fait défection! L'un des premiers actes du GOPF est d'envoyer au président Herriot une lettre datée du 1er octobre, qui réclame un débat sur la paix avec l'Allemagne. 

L'IC exige de Thorez, qui a rejoint son unité, qu'il déserte et quitte la France. Thorez regimbe. Puis cède. Le 4 octobre, il est secrètement exfiltré en Belgique, où le noyau de l'Internationale l'initie à la nouvelle ligne. Après un mois d'attente clandestine, le 8 novembre, il arrive à Moscou, avec sa femme, Jeannette Vermeersch. Pendant toute la guerre, il va ronger son frein en URSS. Dès avant son arrivée dans la capitale soviétique, le Présidium de l'IC a critiqué la direction du parti français -sauf Marty qui partage l'analyse de Staline et se confronte avec Thorez. Le 14 novembre, dans une réunion du secrétariat consacrée à la France, Thorez consent péniblement à son autocritique; il a fallu près de douze semaines. La ligne soviétique reste en vigueur jusqu'à la ruée allemande de mai 1940. Thorez accepte de l'exprimer, mais seulement dans un article confidentiel d'une publication de l'Internationale (Die Welt) en allemand (!), puis dans Les Cahiers du bolchevisme clandestins". 

Ce soir, Commune, Europe, et 79 publications communistes au total sont interdites. La Maison de la Culture est fermée, les réunions communistes sont interdites. Le Parti est désorganisé par la mobilisation. 

"Le décret du 26 septembre 1939 dissout non seulement le parti communiste, mais aussi toutes les organisations prétendument satellites. La ceinture rouge de Paris est visée, la vie culturelle ouvrière démantelée: sont dissous les Bourses du travail, des clubs sportifs, des patronages municipaux, des harmonies municipales, des amicales de locataires, l'Aéro-Club des Aiglons à Ivry, l'Amicale des pêcheurs de Gentilly, l'Oeuvre des vacances populaires enfantines de Malakoff, les amis de la boule ferrée de la même ville ("En raison de son caractère nettement communiste (...) elle a groupé jusqu'à 20 adhérents", note le rapport de police). On n'en finit plus d'énumérer. 

Le 18 novembre 1939, un autre décret permet l'arrestation et l'internement administratif, sans jugement, de tout individu considéré comme dangereux pour la défense nationale.

Une loi du 20 janvier 1940 porte déchéance "de tout membre d'une assemblée élective qui faisait partie de la IIIe Internationale".

Suivant un bilan ministériel établi le 19 mars 1940, 60 députés et un sénateur ont été déchus; 11 000 perquisitions opérées (par exemple le 3 octobre 1939, au domicile des Aragon, rue de la Sourdrière, les documents saisis n'étant récupérés au greffe correctionnel qu'en janvier 1949); 3400 militants ont été arrêtés, 1500 condamnations prononcées. En pleine déroute de l'armée française, la police passera encore son temps à traquer des communistes: au 31 mai 1940, on en est à 15 000 perquisitions et 5553 arrestations. On a trop oublié cela.      

Daladier allègue le pacte. Or, dès le 3 décembre 1936, une dépêche très secrète, qu'il a signée comme ministre de la Guerre du gouvernement Blum, a enjoint aux généraux commandants de Paris et aux Régions militaires de préparer des unités pour mater on ne sait quel coup de force communiste, en particulier des chars et des troupes coloniales. Après Munich, Daladier a reprimé une grève générale lancée par la CGT. Le 17 décembre 1938, un appel signé par 432 journaux a demandé l'interdiction du parti communiste, alors accusé non pas de soutenir le pacte germano-soviétique, mais de pousser à la guerre contre Hitler! 

La répression de 1939-1940, c'est avant tout la revanche de 1936, y compris de la part de nombreux participants au Front populaire.  

Le 20 mars 1940, le 3e tribunal militaire permanent ouvre le procès, à huis clos, de 44 députés communistes qui n'ont pas lâché leur parti, dont 35 présents. En avril, ces élus écopent de plusieurs années de prison ferme, de lourdes amendes, et t'interdiction des droits civiques et politiques. A tous les prévenus, le capitaine de Moissac, juge d'instruction, a demandé s'ils reniaient leur appartenance au "PC mondial (sic) dont le PCF n'est qu'une section", s'ils désavouaient la discipline de l'Internationale, le pacte germano-soviétique, la lettre à Herriot (procès-verbaux d'interrogatoires conservés aux archives de Fontainebleau). Vichy continuera Daladier: dans les dossiers des communistes emprisonnés ou recherchés, l'approbation du pacte restera un test discriminant. 

Mais cette persécution a un effet inattendu. Sans le vouloir, Daladier fait de la question du pacte une épreuve de vérification des cadres communistes. Certains doutent ou ne sont pas d'accord. Mais, face à la répression, la fidélité prend le pas sur toute autre considération, chez ceux-là mêmes qui, comme Gabriel Péri, tourmenté et mystérieux, ont pu avoir in petto des désaccords graves. Fidélité contre persécution, fierté contre déni de justice, confiance contre panique, de très nombreux cadres communistes, sélectionnés et formés dans les années 1930, tiennent bon dans le désastre. Leur solidité aura des conséquences considérables quand la mouvance communiste se reprendra et que le parti sortira de sa ligne erronée et de son discrédit pour se place en tête de la Résistance. 

(...)

Le 7 septembre 1939, Daladier nomme le général Pierre Héring gouverneur militaire de Paris. En vertu de l'état de siège Héring est responsable de la sécurité de la capitale. Hanté, soixante-dix ans après, comme beaucoup de généraux, par la peur de la Commune, il vise les communistes; le 15 septembre, il exige que les tribunaux militaires soient, contre eux, fermes et rapides; cadres et troupes participent, sous sa direction personnelle, à des exercices de guerres de rue et de répression d'émeutes; en guise d'avertissement, des défilés et des revues montrent la "force" aux Parisiens. Héring essaie d'obtenir du gouvernement que des "indésirables", arrêtés et parqués au stade Roland-Garros, soient expédiés dans des camps, en province ou aux colonies. Il fait surveiller les ouvriers des usines métallurgiques par des détachements de soldats. Il "épure" le contingent des "affectés spéciaux". Dans un rapport adressé au gouvernement en janvier 1940, il qualifie le communisme d'"ennemi numéro un". Et Hitler dans cela?"

La loi punit toute propagande communiste d'amendes et de prison, et bientôt de mort.

"Le 9 avril 1940, le socialiste Albert Sérol, ministre de la Justice, signe un décret qui prévoit la peine de mort pour les communistes".    

Voir: http://pcf-1939-1941.blogspot.fr/2014/03/decret-loi-du-9-avril-1940-dit-decret_26.html

L'Humanité clandestine n° 38 du 10 avril 1940 dénoncera avec vigueur ce "décret scélérat" pris par un "gouvernement social-fasciste" en soulignant que le Parti communiste ne renoncera pas à son combat contre "la guerre impérialiste" :

 

Le décret scélérat
[...] Mardi, le ministre "socialiste" de la justice, Sérol, a soumis son décret-loi à la signature du président de la République !
Il est vrai que dans la forme, le décret diffère un peu de celui annoncé par l'agence Havas. Au lieu de dire cyniquement que seule sera réprimée la propagande communiste, on parle "d'entreprises de démoralisation de l'armée et de la nation".
Cette hypocrisie dévoile le père spirituel du décret : c'est Blum ! si ce n'était pas de l'hypocrisie, il faudrait commencer par l'appliquer à la racaille des Munichois et des amis de l'espion Abetz, à tous ceux dont les crimes d'hier ont préparé les massacres d'aujourd'hui. Il faudrait l'appliquer aux profiteurs de guerre et aux spéculateurs qui ramassent des fortunes dans le sang et les privations des travailleurs. Il faudrait l'appliquer à Paul Reynaud [président du Conseil et ancien ministre des Finances], auteur d'une fiscalité qui ruine les commerçants et les paysans et affame les familles des mobilisés, aux malfaiteurs du gouvernement qui ont aboli toutes les libertés et qui prétendent maintenant bâillonner le peuple sous la menace de mort !
Ce sont eux qui démontrent à la nation et à l'armée qu'elles ne souffrent et ne se battent ni pour la liberté, ni pour l'indépendance nationale. Leurs actes prouvent que cette guerre est une guerre des riches, une guerre contre le peuple !
S'ils veulent effrayer les communistes, le coup est manqué ! [...]
Vous avez beau prendre des décrets copiés sur ceux de Hitler, vos jours sont comptés messieurs les ennemis du peuples ! [...]
La France de 89, de 48 et de la Commune saura débarrasser le pays de votre tyrannie et laver la honte de vos décrets scélérats !
Avec, à sa tête, un parti trempé comme le Parti communiste, elle sûre de la victoire !
 
A BAS LE DECRET SCELERAT !
A BAS LE GOUVERNEMENT SOCIAL-FASCISTE !
A BAS LA GUERRE !
Le décret Sérol ne fera l'objet d'aucune application entre sa publication en avril 1940 et la fin de la guerre franco-allemande en juin 1940.


Les quatre ouvriers communistes qui seront condamnés à la peine de mort le 27 mai 1940 pour les sabotages des moteurs d'avion de l'usine Farman le seront sur la base de l'article 76 (2°) qui prévoit cette sanction pour "Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident".

Un communiste sera amnistié par le président de la République le 18 juin 1940 en raison de son âge. Les trois autres seront exécutés le 22 juin 1940 à Pessac, près de Bordeaux.

   

Leur drôle de guerre contre les rouges: septembre 1939- mai 1940: La persécution des communistes par le gouvernement Daladier après le pacte germano-soviétique (Pierre Juquin, Aragon un destin français, tome 2)
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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 06:15
Nuit du 27 au 28 février 1933, l'incendie du Reichstag: "acte de naissance du régime nazi", point de départ d'une arrestation de 100 000 opposants de gauche (Jean-Philippe Mathieu, historien - L'Humanité)
Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. Les nazis, déjà en partie au pouvoir, accusent les communistes du forfait. Plus de 100 000 opposants communistes sont arrêtés et jetés dans les premiers camps de concentration.
https://humanite.fr/tribunes/l-incendie-du-reichstag-acte-de-naissance-du-regim-515901
https://humanite.fr/node/307170
L’incendie du Reichstag, « acte 
de naissance du régime nazi »
JEAN-PHILIPPE MATHIEU, HISTORIEN.
VENDREDI, 22 FÉVRIER, 2013
L'HUMANITÉ

Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. 
Les nazis, déjà en partie au pouvoir, accusent les communistes du forfait. Plus de 100 000 opposants sont arrêtés 
et jetés dans les premiers camps de concentration.

Dans la nuit du 27 au 28 février, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. Sur les lieux, la police découvre un Hollandais de vingt-quatre ans, Marinus Van der Lubbe, ex-membre des Jeunesses communistes et « prolétaire déclassé en révolte ». Jugé à Leipzig en septembre, condamné à mort en décembre, il est exécuté en janvier 1934.

Est-il l’un des incendiaires ? Incontestablement, oui. Il a été pris pratiquement en flagrant délit. Du reste, pour inciter les Allemands à la révolte, il avait déjà essayé trois fois de mettre le feu à des bâtiments publics, sans succès (mais sans se faire prendre).

A-t-il agi seul ? Incontestablement, non. Le chef des pompiers de Berlin (qui l’a payé de sa vie) a démontré que c’était impossible.

Qui a donc mis le feu au Reichstag ?

Enquêtes, contre-enquêtes, hypothèses et réfutations ne manquent pas. Il est évidemment tentant et nullement invraisemblable d’accuser les nazis, à qui le crime profite. Le fait est que, sur le plan policier, l’énigme n’est pas résolue. Certes, l’enquête a été bâclée, entravée par les autorités nazies, et ni les complices ni les instigateurs n’ont été sérieusement recherchés, « faute de temps » selon le commissaire chargé de l’affaire… Mais cela ne permet pas de déduire l’identité des commanditaires.

La thèse nazie accusant les communistes est clairement absurde, l’acte ne correspondant ni aux méthodes, ni à la tactique, ni à la stratégie du KPD. Et les communistes avaient bien plus à perdre qu’à gagner dans cette affaire. Les flammes n’étaient pas celles de la révolution.

En revanche, l’incendie servait les intérêts du pouvoir et la thèse d’un incendiaire unique stipendié par le Parti communiste convenait parfaitement aux dirigeants nazis, qui ont 
dès lors tout fait pour qu’elle soit la seule thèse officielle.

Depuis le 30 janvier 1933, Hitler est chancelier du Reich. Il n’y a encore que deux autres nazis dans son gouvernement, dont Hermann Göring, qui obtient du maréchal 
von Hindenburg, président du Reich, pratiquement tous les pouvoirs en Prusse dès le 6 février 1933. Et Göring en use : dissolution du parlement prussien, éviction du ministère social-démocrate, incorporation des SA dans la police, ordre à celle-ci de faire usage de ses armes et garantie d’être couverte « quelles qu’aient été les conséquences de ses actes ».

Aux élections de novembre 1932, le Parti nazi, encore groupusculaire en 1930, obtient près de 12 millions de voix mais recule par rapport à juillet 1932. Le 6 février 1933, Hindenburg dissout le Parlement et fixe au 5 mars suivant les élections, qui seront « certainement les dernières du siècle à venir », selon Göring. Et ces élections, les nazis veulent les gagner coûte que coûte. Arrivés très vite devant le Reichstag en flammes, Hitler et Göring déclarent immédiatement que l’incendie est un coup des communistes et qu’il convient « d’anéantir d’un poing de fer cette peste mortelle ». Les opérations commencent dès le 28 février.

L’incendie est présenté par la presse nazie comme la première phase d’une guerre civile décrétée à Moscou. Les journaux communistes et sociaux-démocrates sont interdits ; environ 12 000 opposants au nazisme (pour l’essentiel communistes et sociaux-démocrates) sont arrêtés dans les quarante-huit heures, 100 000 dans les semaines suivantes, et jetés dans les premiers camps de concentration. Enfin, l’incendie du Reichstag sert de prétexte, dès le 28 février, à une « ordonnance du président du Reich pour la protection du peuple et de l’État » suspendant « provisoirement » les droits constitutionnels fondamentaux (liberté des personnes, inviolabilité du domicile, secret postal, liberté d’opinion, de réunion, d’association, droit de propriété).

Aussi est-ce à une véritable seconde prise de pouvoir des nazis qu’on assiste ces jours-là. L’incendie du Reichstag est bien le véritable « acte de naissance du régime nazi » (1).

Le procès de Leipzig donne lieu à une contre-attaque qui prend deux formes : la publication d’un Livre brun, et l’organisation d’un contre-procès à Londres.

Le Livre brun conclut que « Göring est l’organisateur de l’incendie du Reichstag ». 
Il consacre 80 pages à l’incendie et plus de 300 à la répression, à l’anéantissement de la culture, aux camps de concentration, à la persécution des juifs, etc. Les journaux du monde entier en rendent compte.

Fondé en mars 1933, le Comité international d’aide aux victimes du fascisme (président d’honneur : Einstein ; le président est lord Marley, vice-président de la Chambre des lords ; Gide, Romain Rolland, Malraux, Paul Langevin en sont membres) crée une « commission d’enquête internationale sur l’incendie du Reichstag », constituée de juristes, qui organise à Londres du 14 au 18 septembre 1933 un contre-procès concluant à « de fortes présomptions de la culpabilité des dirigeants nazis ».

Le procès des soi-disant incendiaires   Le 9 mars 1933, on arrête trois Bulgares, accusés d’avoir fomenté l’incendie avec 
Van der Lubbe et Ernst Torgler, député communiste. L’un des trois est Georges Dimitrov, membre du comité exécutif de l’Internationale puis responsable du Komintern, dont le 
bureau est à Berlin depuis 1929 et qui chapeaute les partis communistes allemand, français, belge, polonais, italien et autrichien. 
Dimitrov séjourne à Berlin sous une fausse identité. Le procès s’ouvre à Leipzig 
le 21 septembre et tourne rapidement 
au fiasco pour les nazis. Dimitrov, parfaitement préparé, maître de lui et d’un calme olympien, démontre l’inanité de l’accusation, ridiculise Göring devant l’opinion internationale, 
et fait voir à quel point le président de la cour 
est aux ordres du pouvoir, décrédibilisant 
la justice. Le 23 décembre, les trois Bulgares sont acquittés mais maintenus en prison. 
Le 15 février, l’URSS leur octroie la nationalité soviétique. Le 27 février, ils sont expulsés d’Allemagne et arrivent à Moscou. 
Un échec pour le régime.

(1) Lire Feu au Reichstag. L’acte de naissance 
du régime nazi, de Gilbert Badia. Éditions sociales, 
« Problèmes », 1983, 334 pages.

Nuit du 27 au 28 février 1933, l'incendie du Reichstag: "acte de naissance du régime nazi", point de départ d'une arrestation de 100 000 opposants de gauche (Jean-Philippe Mathieu, historien - L'Humanité)
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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 16:47
1848 est une révolution du peuple! - François Perche, écrivain (L'Humanité, 23 février 2018)

22, 23, 24, 25 février : « 1848 est une révolution du peuple » !


La grande trahison du peuple par la bourgeoisie.

Voilà comment on peut qualifier la révolution de 1848. Elle n’a jamais fait l’objet d’une quelconque commémoration. Comme on veut oublier le bain de sang dans lequel on l’a noyée.

En 1845 et 1846, les classes pauvres souffrent durement d’une disette due à de mauvaises récoltes. Les paysans se révoltent contre les « accapareurs de grains ». Les ouvriers multiplient des « sociétés de résistance ». Le chômage s’accroît, dû à la fermeture de petites et moyennes entreprises, conséquence d’une crise industrielle. Peu à peu on assiste à une prise de conscience révolutionnaire, chez les commerçants, puis chez les ouvriers.
On parle d’une réforma électorale. On pressent qu’elle va s’imposer par la violence. Pendant six mois, ses partisans, dont les républicains qui demandent le suffrage universel, organisent en France des banquets de mille convives environ où l’on signe une pétition en sa faveur. Louis-Philippe interdit le banquet du 22 février 1848 à Paris.
Une immense manifestation secoue la ville. Puis se transforme en véritable émeute. Le peuple est là. Des fabricants, des boutiquiers, des bourgeois, des ouvriers, des étudiants, des chômeurs, des miséreux, des traine-savates, des riens du tout. La haine conte Guizot, chef du gouvernement, est là, elle aussi. Guizot démissionne le 23. À cette nouvelle, le peuple de Paris réclame l’illumination des rues. Des barricades apparaissent un peu partout. Bientôt, la fusillade se fait entendre. Deux compagnies de ligne tirent sans sommation, à bout portant, sur un groupe d’ouvriers chantant la Marseillaise.

Cinquante-deux morts. On a parlé « d’épouvante muette ». Cinq cadavres sont hissés sur un chariot. Le peuple traîne ses morts toute la Nuit. Ce que l’on a appelé « la promenade des cadavres » est un appel aux armes. Thiers succède à Guizot. La foule marche vers les Tuileries. Les Tuileries sont mises à sac. Le roi s’enfuit en Angleterre. Le peuple, le 25 février, est maître de la rue. Pas un soldat, pas un gendarme, pas un garde national n’est visible. C’est la fête. On danse. C’est l’euphorie. La IIe République est proclamée.

Le peuple a gagné, oui, mais pas pour longtemps. Comme toujours, les bourgeois allaient lui ravir sa victoire. Se profile lentement, fortement, ce que l’on peut appeler une contre-révolution. Comme toujours, tout se passe chez les banquiers. La finance impose son ordre. Rien de nouveau. L’aristocratie financière s’associe à la bourgeoisie industrielle et commerçante. Puis la banque va dominer, élargir son pouvoir, et absorbera peu à peu le monde de l’industrie et du commerce. Le peuple qui vient lui aussi conscience qu’il existe, qui a beau crier « La liberté ou la mort », est sur le point de se faire « griller » par le gouvernement provisoire (adoubé par le banquier Goud-chaux). Dans celui-ci se trouvent des hommes tous bien ancrés à droite, comme Lamartine, Ledru-Rollin, Arago, Dupont-de l’Eure, qui vont éliminer l’opposition socialiste. Le 15 mai Blanqui, Barbès, Raspail, Leroux, notamment, sont arrêtés.

ON FUSILLE PARTOUT SANS SOMMATION. ON VA JUSQU’AU BOUT DE L’HORREUR !
Le 24 juin, l’Assemblée constituante, expurgée des républicains, transmet ses pouvoirs au ministre de la guerre, le général Cavaignac. L’Assemblée proclame la dictature et l’état de siège. Le 26 juin 1848, à midi, commence alors une répression méthodique. Pour dire les choses simplement ; douze mille prisonniers, trois mille morts, quatre mille personnes déportées aux colonies sans jugement. Pour s’en tenir aux chiffres officiels. On en avance beaucoup d’autres beaucoup plus importants.

On fusille partout sans sommation. On va jusqu’au bout de l’horreur. Les survivants de cette tuerie sont enfermés dans les souterrains des Tuileries, dans les caves de l’École militaire, et dans celles de l’Hôtel de Ville. Les prisonniers croupissent, entassés les uns sur les autres, affamés, étouffés, dans la boue et les ordures. Çà et là les gardes tirent sur eux par les lucarnes, pour rire un peu. En février, on a vu ensemble les ouvriers, les étudiants, les boutiquiers, les commerçants, la petite bourgeoisie. Mais après l'horreur des journées de juin, le peuple a compris qu'il avait été berné. Que la révolution lui a été confisquée au profit de ces gens-là, les nantis, les boutiquiers, la petite bourgeoise. Les étudiants également l'ont abandonné. Le peuple saigné, ne se mêlera plus de rien. Ils ne croient plus que les prolétaires soient liés à la République. Il ne bougera plus. Il a décidé qu'il ne serait plus le seul acteur de la révolution, et "qu'il ne la jouera qu'à son heure". Et ce sera bien plus tard la Commune.  

Friedrich ENGELS : Les journées de juin 1848 !
« Le peuple n’est point comme en février sur les barricades chantant – Mourir pour la patrie – les ouvriers du 23 juin luttent pour leur existence, la patrie a perdu pour eux toute signification. La révolution de juin est la révolution du désespoir et c’est avec la colère muette, avec le sang-froid sinistre du désespoir qu’on combat pour elle, les ouvriers savent qu’ils mènent une lutte à la vie et à la mort, et devant la gravité terrible de cette lutte le vif esprit français lui-même se tait. (…) L’unanimité de la révolution de février a disparu, cette unanimité poétique, pleine d’illusions éblouissantes, pleine de beaux mensonges et qui lui fut présentée si dignement par le le traître aux belles phrases, Lamartine.

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 07:23
Gilbert Brustlein

Gilbert Brustlein

Henri Krasucki

Henri Krasucki

Marcel Rayman

Marcel Rayman

Ils ont combattu pour la liberté, la fraternité, l'égalité, les droits de l'Homme, la France, l'espoir du communisme et d'une société sans classes, face aux Nazis et à leurs valets de l'extrême-droite française.

L’engagement dans la Résistance des jeunes d'origine juive parisiens avec la MOI (1940-1945)

par Robert Endewelt, témoignage lors d'un colloque organisé le 15 décembre 2006 à l'hôtel de ville de Paris par l’Association des amis de la commission centrale de l’enfance. repris par les "Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique" (2015)

La conclusion de Robert Endewelt est importante:  

" Je voudrais conclure en soulignant que les raisons de notre engagement dans la Résistance ne furent pas seulement motivées par la nécessité de nous opposer à l’entreprise nazie contre les juifs, ce qui aurait été amplement suffisant. Dès le début de cet engagement, ce fut aussi pour nous la volonté clairement affirmée de nous battre pour la liberté de notre pays, pour ses valeurs humanistes et républicaines étranglées par le fascisme hitlérien et par celui de Vichy. Notre combat ne fut jamais un repli sur nous-mêmes, distinct de l’objectif final de tous ceux qui combattaient en France. Avec notre spécificité, compte tenu des circonstances, nous avons fait partie intégrante de la Résistance nationale".

 

Témoignage présenté par Robert Endewelt lors d’un colloque organisé le 15 décembre 2006 à l’Hôtel de ville de Paris sur le thème : « Les juifs ont résisté en France (1940-1945) », par l’Association des amis de la commission centrale de l’enfance. Ce texte a été publié initialement dans les actes de ce colloque

Je suis sans doute l’un des derniers anciens jeunes ayant appartenu à la Résistance des jeunes juifs de la FTP-MOI (Francs-tireurs et Partisans-Main d’œuvre immigrée) à Paris à pouvoir témoigner de notre engagement dans la capitale sur toute la période de 1940 à 1945.

 

L’organisation clandestine de résistance des jeunes communistes juifs s’est constituée au cours de l’été 1940 sous l’égide du secteur juif de la MOI. C’est vers la fin de cette année que je l’ai rejointe dans le Xe arrondissement où j’habitais. Plus tard, je suis devenu membre de sa direction régionale parisienne jusqu’aux arrestations de mars 1943, où plus d’une cinquantaine de jeunes résistants de notre organisation clandestine sont tombés aux mains des Brigades spéciales de la préfecture de police de Paris.

 

En 1943 se formaient en France, dans les deux zones, l’UJRE (Union des juifs pour la Résistance et l’entraide) et L’UJJ (Union de la jeunesse juive). Ayant échappé à toutes les arrestations, c’est à cette date que j’ai été nommé à la direction de l’UJJ pour Paris par mes responsables hiérarchiques « adultes » ; c’est ainsi que nous appelions nos aînés dans la Résistance. Cette activité s’est poursuivie jusqu’à l’insurrection et la Libération de Paris, et ensuite jusqu’à la victoire et la capitulation de l’Allemagne nazie par notre engagement dans l’armée française. C’est donc au titre de cette expérience et des responsabilités que j’ai assumées à Paris durant toutes ces années de guerre et d’occupation que j’apporterai mon témoignage sur l’engagement dans la Résistance de ces jeunes Parisiens, issus de familles juives immigrées, nés en France ou venus très jeunes avec leurs parents de Pologne et d’autres pays d’Europe centrale et orientale.

 

Je veux dire d’abord que le groupe de langue yiddish de la MOI fut certainement l’un des principaux initiateurs de la Résistance dans la population juive. C’est lui qui a jeté très rapidement les bases de l’organisation clandestine « Solidarité ». Dès l’été 1940, les jeunes juifs communistes et sympathisants furent eux aussi appelés par le groupe de langue à venir s’organiser dans la Résistance sur une base spécifiquement juive, ce qui n’allait pas forcément de soi. Beaucoup de ces jeunes militaient en dehors de la MOI, dans des organisations françaises telles que les JC où ils avaient beaucoup de leurs camarades non juifs. Ces jeunes étaient intégrés dans le pays et assez éloignés de tout esprit communautaire. Ils ont accepté, presque tous, de se retrouver dans une organisation de résistance spécifiquement juive, sans précédent. Henri Krasucki, fils d’immigrés polonais, l’un des premiers organisateurs et dirigeants des jeunes juifs MOI, aimait répéter aux journalistes qui l’interrogeaient après la guerre : « Nous étions devenus des petits Français, que nous soyons nés en France ou que nous y soyons venus bambins avec nos parents ». Il ajoutait : « En même temps, nous étions liés à notre milieu d’origine, nous savions d’où nous venions ». Beaucoup de ces jeunes appartenaient à des familles militantes, actives à la section juive de la MOI et dans le mouvement social et associatif. Il faut dire aussi que, parmi ces jeunes, certains fréquentaient des patronages laïques ouverts à la culture yiddish progressiste et aux idéaux humanistes, ce qui a certainement déterminé leur engagement. Il ne fallut donc pas longtemps à ces jeunes, déjà très motivés, de plus brutalement confrontés à leur judéité, pour s’engager dans la Résistance. Leur destin était devenu commun à celui de leurs parents et de toute leur famille.

Dès l’été 1940, la mise en place d’une organisation juive de résistance dans la jeunesse fut donc au départ le fait des jeunes communistes et des sympathisants. Je fais appel ici aux souvenirs de Roger Trugnan qui en fut l’un des premiers organisateurs. Je le cite :

 

« Alors que je me promenais sur le boulevard Saint-Martin en août 1940, je reconnus Albert Youdine, un ami de mon père, responsable parisien de la MOI. Il m’apprit qu’une structure de la JC se mettait en place sur Paris afin de regrouper les jeunes de l’immigration. Il me demanda si je souhaitais en être. Je répondis affirmativement. Il me proposa de m’envoyer un camarade et de commencer à prospecter autour de moi avec la plus grande prudence. Je révélai ces informations à deux amis dont j’étais absolument sûr : Marcel Rayman et Maurice Lubczanski. Ainsi débuta pour nous la grande aventure pour la libération de la France. En quatre mois, à la fin de 1940, nous étions dans un bon morceau du XIe arrondissement plus de quarante JC-MOI ».

 

Ce fut le même itinéraire pour moi dans le Xe arrondissement.

 

Nombre de jeunes juifs étaient déjà avant la guerre des militants de la JC. Je me souviens de Robert Bourstin, de Bernard Grimbaum et de Charles Feld, tous trois animateurs du cercle des JC de la porte Saint-Martin et qui furent parmi les premiers à organiser l’action clandestine de la Résistance. Maurice Feld aussi, le jeune frère de Charles, qui vendait L’Avant-Garde dans le faubourg Saint-Denis. Le club sportif de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), le CPS 10, dont le secrétaire était Bernard Grimbaum, et la salle de gymnastique du YASK, rue de Paradis, étaient des lieux de rencontre pour les jeunes de l’arrondissement et des environs. J’en connaissais beaucoup qui rejoignirent la Résistance dès qu’elle fut mise en place : Anna Wolmach, Simon Tyszelman, Henri Schlos, Denise et Bernard Grimberg, Thérèse et Georges Ghertman, Raymonde Royal et j’en oublie malheureusement. La plupart d’entre eux y perdirent la vie, fusillés ou déportés.

 

Le 10 mai 1942, Maurice Feld et son inséparable compagnon d’armes Maurice Feferman, tous deux engagés avec les premiers FTP, tombèrent au cours d’une attaque contre un hôtel de la Wehrmacht situé square Montholon. Bernard Grimbaum, arrêté en décembre 1940 au cours d’une distribution de tracts, fut fusillé comme otage à Poitiers le 30 avril 1942. Raymonde Royal et sa mère moururent à Auschwitz. Thérèse et Georges Ghertman connurent la prison et y perdirent leur nouveau-né interné avec sa mère. Je veux rendre ici un hommage tout particulier à Georges Ghertman, qui fut pour beaucoup dans mon engagement personnel et qui joua un rôle considérable dans la mise en place de la Résistance des jeunes juifs MOI dans le Xe et les arrondissements alentour. Le premier groupe auquel j’ai été affecté dans le Xe comprenait deux autres jeunes, Henri Mendzilewski et David Spiro. Tous deux furent arrêtés et disparurent dans les camps de la déportation. Jeanne List, une jeune femme de la section juive MOI, nous apportait conseils et informations et suivait l’activité du groupe.

 

Dans le XXe, Henri Krasucki avait pris la tête de ce mouvement. Paulette Schlifka, venue du XIe, y contribua activement aussi. Parmi ces jeunes du XXe, je me souviens notamment de Simon Fiszof, qui avait mené à bien avec son groupe une première récupération d’arme sur un soldat allemand. D’un autre aussi, tout jeune, Victor Cygelman. Il était particulièrement doué pour le graphisme et j’ai appris plus tard que c’était lui qui, le 20 septembre 1942, avait réalisé à la main un grand nombre d’affiches pour célébrer le 150e anniversaire de la bataille de Valmy. Cette célébration pleine de symboles n’avait pas été prise à notre initiative, mais nous tenions beaucoup à nous y associer. Comme quoi notre combat ne fut jamais celui d’un groupe isolé et replié sur lui-même. D’autres arrondissements, où vivaient d’importantes communautés juives immigrées, connurent une mobilisation semblable. Il ne m’est pas possible, malheureusement, d’énumérer ici tous ceux et toutes celles qui participèrent aux premiers pas de notre résistance.

 

La mise en place de notre organisation clandestine ne fut pas une chose aisée : il fallut demander à nos jeunes d’obéir à des règles contraignantes de sécurité. Le cloisonnement de l’organisation en groupe de trois exigeait et imposait de limiter nos relations et de faire preuve d’une grande discrétion. C’était beaucoup demander à des adolescents. Il fallait d’abord nous faire connaître des jeunes du quartier, et nous avions édité un petit journal fabriqué avec les moyens rudimentaires de cette époque, c’est-à-dire ronéoté ou reproduit sur des feuilles polycopiées à l’alcool. « En avant ! » était le journal des jeunes communistes juifs. En ce début d’année 1941, l’activité de notre organisation ne se distinguait pas beaucoup de celle des autres JC non juifs. Elle était encore presque entièrement insérée dans celle de la JC. Nous allions lancer des tracts à la sortie des cinémas de quartier, nombreux à cette époque, sur des marchés ou à partir des rames du métro aérien, par exemple au dessus de la station Jaurès. Ces tracts et ces journaux étaient souvent ceux du PC clandestin ou de la JC. Nous faisions aussi beaucoup d’inscriptions sur les murs et collions des papillons un peu partout.

 

Trois manifestations de rue ont été organisées en 1941, auxquelles nous avons tous participé. Je me souviens de la première, qui remonta le faubourg du Temple jusqu’au métro Goncourt, applaudie par la population de ce quartier populaire qui s’était précipitée aux fenêtres ou rassemblée sur les trottoirs en entendant nos cris, nos chants et nos slogans patriotiques. Le 14 juillet 1941, nous avons participé à une autre manifestation sur les Grands Boulevards en direction de Richelieu-Drouot, à l’occasion de la fête nationale, puis à celle du mois d’août entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Cette dernière fut tragique : Samuel Tyszelman et Henri Gautherot furent arrêtés. Une affichette rouge apposée par la Kommandantur et signée d’un tribunal militaire nous informait quelques jours plus tard, que « le juif Szmul Tyszelman et le nommé Henri Gautherot » avaient été fusillés le 19 août 1941 pour aide à l’ennemi, ayant pris part à une manifestation dirigée contre les troupes allemandes d’occupation. Nous avons mesuré ce jour-là à quelle impitoyable répression nous allions être confrontés.

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Nous avons aussi à cette époque mené des actions à coups de pavés contre les vitrines des permanences des collabos. C’était une façon de stigmatiser la collaboration avec l’ennemi par le saccage de ces boutiques de la honte. Mais c’est à la suite des mesures découlant du statut des juifs que notre activité s’est aussi rapidement reportée sur le terrain de la solidarité, de l’entraide et de l’action résistante contre les persécutions. Notre action spécifique a alors pris toute sa dimension.

 

De jeunes juifs qui souhaitaient se soustraire à cette situation, de plus en plus périlleuse, ont trouvé grâce à nous les moyens d’entrer dans la clandestinité et de nous rejoindre. Nous-mêmes, à un certain moment, nous étions presque tous devenus clandestins, munis de fausses cartes d’identité et logés dans des planques sous des noms d’emprunt. Lorsque le moment de la lutte armée est venu, nous étions déjà fortement organisés. Quelques-uns d’entre nous ont très tôt participé aux premières actions armées avec « l’Organisation spéciale ». Ce fut le cas de Jean Capiévic qui en fut l’un des organisateurs avec Gilbert Brustlein dans le XIe. Mais c’est dans les débuts de l’année 1942 que furent crées les FTP. Il avait été convenu que 10 % de nos effectifs y seraient versés. Nous voulions tous en être, et il a fallu choisir ! Henri Krasucki eut cette tâche délicate à accomplir : vérifier l’aptitude de chacun à remplir cette mission. Il devint le point de passage entre nous et les FTP jusqu’à son arrestation en 1943.

 

Les motivations des jeunes pour se battre les armes à la main étaient très fortes, car beaucoup d’entre eux avaient vu leurs parents déportés. Je me souviens de Wolf Wajsbrot, du IIIe arrondissement, né en Pologne en 1925, arrivé très jeune à Paris. Le 16 juillet 1942, ses parents furent arrêtés, envoyés à Drancy et déportés à Auschwitz. Lui-même réussit à échapper à cette rafle et il n’avait qu’un désir : venger ses parents, se battre contre les nazis. Il avait dix-sept ans à peine lorsqu’il prit la décision de rejoindre les FTP-MOI. Je peux citer aussi, parmi d’autres, Léon Goldberg, qui fit ce choix pour les mêmes raisons, et Maurice Radzinski, engagé à seize ans, tombé au combat en plein Paris le 10 février 1943. Nous avions tous la rage au cœur et nous voulions saisir cette chance qui nous était offerte de pouvoir enfin faire payer leurs crimes aux hitlériens. Nous étions informés des faits d’armes accomplis par les FTP-MOI dans Paris, de la solidarité qui unissait tous ces combattants de nationalités différentes, parmi lesquels ceux du 2e détachement juif, dont nous avons appris l’existence exacte après la guerre. Nous connaissions bien Marcel Rayman, il était devenu pour nous un véritable héros, un exemple d’audace et de courage qui nous remplissait d’admiration.

 

Le sabotage contre la production destinée aux troupes allemandes a pris aussi une grande importance pour nous. Il faut savoir qu’à Paris tous les ateliers et toutes les entreprises appartenant aux professions de l’habillement, des cuirs et peaux, de la ganterie, de la fourrure et de la chaussure, étaient réquisitionnés pour les besoins de l’armée allemande. Il était crucial pour nous d’intervenir dans ce secteur, car une partie importante de la main-d’œuvre était juive, beaucoup travaillant à domicile. Ce fut pour nous, dans cette période, un objectif majeur que de ralentir et de saboter cette production. Ce n’était pas une affaire simple, car pour nombre de familles il n’y avait pas d’autre alternative pour vivre que d’y travailler. Il y avait aussi chez certains l’illusion d’être provisoirement épargnés et protégés par le système d’Ausweis délivrés par les autorités d’occupation. Nous avons donc engagé une grande bataille d’explications, appelant à briser les machines, à saboter la production et à quitter les entreprises. Des familles ont abandonné leur travail et se sont réfugiées en zone Sud ; nous avons offert à des jeunes de quitter leurs entreprises en leur remettant des faux papiers, et certains nous ont rejoints dans la lutte ; nous avons aussi fait embaucher ponctuellement des jeunes résistants pour saboter, subtiliser des pièces de machines, couper des fils électriques, déposer de l’acide ou des engins incendiaires dans des ateliers et des dépôts de cuir, de peaux de mouton et de peaux de lapin. Je me souviens de quelques expéditions auxquelles j’ai participé, effectuées notamment dans certains ateliers de tricoteurs où, à coups de marteaux, nous mettions hors d’usage les aiguilles des machines. Ces actions, comme toutes les autres, comportaient des dangers. C’est au cours de l’une d’elles qu’Élie Wallach et Léon Pakin furent arrêtés et fusillés le 27 juillet 1942, que Georges Ghertman connut la prison et que Victor Cygelman, au cours d’une opération d’intimidation contre le patron d’une importante entreprise de la rue Martel, faillit connaître le même sort. Certes, notre action n’a pas pu arrêter cette machine de guerre, mais elle a permis de la ralentir, de la perturber et surtout d’ouvrir à ces travailleurs juifs d’autres choix plus conformes à l’intérêt général et à celui de leur survie.

Léon Golberg

Léon Golberg

Maurice Radzinski

Maurice Radzinski

Samuel Tyzelman

Samuel Tyzelman

Olga Bancic et sa fille

Olga Bancic et sa fille

Organigramme de direction de la FTP - MOI en 1943

Organigramme de direction de la FTP - MOI en 1943

C’est sans doute cette activité qui nous a permis aussi de nouer des relations avec les jeunes qui travaillaient dans ces entreprises. Nous avions de nombreux contacts avec eux dans les ateliers de chez Révillon, TouMain, Fisher, Grundel (rue Martel), Pilain (rue d’Enghien) et d’autres firmes. Bien des jeunes de ces ateliers ont renforcé nos rangs après les arrestations de mars 1943. Les clivages idéologiques qui avaient été les nôtres au début de l’Occupation s’étaient estompés au fur et à mesure que s’affirmaient les buts communs à tous. Les jeunes qui venaient à nous savaient qui nous étions, mais seul importait le sort commun qui était le nôtre. La grande rafle du 16 juillet, qui avait emporté nombre de familles, femmes, enfants, vieillards, devait encore accélérer ce rapprochement et cet élargissement. Nos appels à se cacher et à fuir avaient amené des jeunes à suivre leur famille, décidée à franchir la ligne de démarcation vers la zone Sud. Des jeunes de notre organisation prirent le même chemin avec leurs parents. Nous avons appris par la suite que presque tous avaient rejoint les groupes de combat de l’UJJ à Lyon, Grenoble, Toulouse et autres villes de la zone Sud. D’autres jeunes, restés à Paris, sont entrés dans la clandestinité et sont venus renforcer nos rangs.

 

Je veux parler maintenant de la répression qui nous a frappés, et tout particulièrement des arrestations de mars 1943. Malgré toutes les précautions prises, malgré les constants conseils de prudence et de vigilance, la catastrophe est arrivée. C’est le 23 mars 1943, au petit matin, que s’abattit sur nous le coup de filet des Brigades spéciales de la Préfecture de police. Des semaines et des mois de filature avaient permis de repérer des dizaines de nos jeunes dans leurs planques. Il a été possible après la guerre de mesurer, à partir des archives de la police, l’ampleur des filatures et des moyens mis en œuvre pour parvenir à nous atteindre. Une cinquantaine de jeunes furent arrêtés le même jour. Parmi eux figuraient les principaux dirigeants de notre organisation : Henri Krasucki, Roger Trugnan, Samuel Radzinski, Thomas Fogel, le responsable du XIXe. Henri fut arrêté le matin du 23 mars en sortant de sa planque du 8 rue Stanislas-Meunier, dans le XXe. Après trois semaines de tortures aux mains des Brigades spéciales, il fut remis aux services allemands de sécurité, le SD de la rue des Saussaies à Paris. L’attitude de tous les jeunes arrêtés fut digne et courageuse devant leurs tortionnaires. À la veille du départ d’un convoi de déportés vers Auschwitz, ils furent tous envoyés à Drancy, d’où ils furent déportés. Nous avons appris ce que fut leur calvaire comme celui de tous les déportés des camps. Seuls six revinrent de cette déportation.

 

Je voudrais ici lire une page du livre d’Henri Bulawko, le président de l’Amicale d’Auschwitz, Les jeux de la mort et de l’espoir. Son témoignage sur trois de nos camarades, dont il fut le compagnon d’infortune, est poignant. Il s’agit de Thomas Fogel et de deux autres jeunes, que malheureusement nous n’avons pas pu identifier :

 

« La faim domine notre vie, mais certains semblent parvenir à la dominer. Ainsi, les trois inséparables : Lucien, Henri et Thomas. Quel âge avaient-ils lors de leur arrestation ? Vingt ans à peine. Ils étaient tous trois membres des jeunesses communistes clandestines à Paris. Ils eurent la chance de se retrouver ensemble dans le train de la déportation. Ils luttèrent pour ne pas être séparés à Birkenau (camp d’accueil d’Auschwitz) et à Jaworzno. Ils se retrouvèrent dans mon bloc. Nous devînmes amis. En hiver, nous dormions à deux sur une couchette pour avoir moins froid : Lucien et Henri dormaient ensemble et Thomas avec moi. Ces trois garçons donnaient un spectacle étrange dans cette jungle. Ils avaient décidé de tout mettre en commun. Et chaque jour, on les voyait soupeser le pain avec une balance improvisée, faite de deux bouts de bois et d’une ficelle, mesurer leur margarine et leur saucisson pour que chacun ait une part égale. Certains se moquaient d’eux. Ils n’y prirent garde, continuant à respecter les principes de solidarité et de collectivité dont ils étaient imprégnés. Il semblait même que les trois souffraient quand l’un d’eux était frappé. Un jour, l’un d’eux manqua à l’appel. Ce jour-là, en mon for intérieur, je pensai que c’était la fin du groupe. Peu après, les deux autres disparurent à leur tour. Étrange destin que le leur. Ensemble ils avaient combattu, ensemble ils furent arrêtés et déportés, ensemble ils luttèrent chaque jour contre la faim et les coups. Ensemble ils dépérirent, jusqu’à ressembler à trois squelettes ambulants. Ils n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Mais jamais ils ne perdirent la tête. Jusqu’au dernier instant, leurs yeux conservèrent leur lueur d’intelligence et de bonté. Ils vivaient dans un monde qu’ils avaient du mal à comprendre. Ils ne pouvaient s’y adapter. Ils n’avaient plus la force physique pour lui résister. Ils tombèrent non comme des moutons que l’on mène à l’abattoir, mais comme des combattants, ayant épuisé leur dernière cartouche, mais qui savent que d’autres poursuivront le combat. »

 

Nous avons appris aussi plus tard que certains d’entre eux, comme Henri Krasucki, Roger Trugnan, Sam Radzinski et d’autres, avaient pu reprendre le chemin de la résistance à l’intérieur même des camps grâce à la solidarité internationale des détenus.

 

Ce 23 mars fut un coup très dur pour nous. Notre triangle de direction avait été atteint par l’arrestation d’Henri Krasucki. Nous étions deux rescapés, une jeune camarade, Renée Wilezenski, qui fut mutée en zone Sud, et moi-même. Notre responsable direct, Adam Raïski, avait échappé lui aussi aux arrestations. C’est dans ces conditions qu’il me fut demandé de rester à Paris et de prendre la direction de l’organisation des jeunes et de poursuivre le combat avec les objectifs qui devenaient ceux de l’UJJ et de son journal Jeune Combat. Cette mutation existait déjà dans les faits. Comme je l’ai dit, les clivages idéologiques des débuts de notre organisation étaient loin dernière nous, et les jeunes qui venaient à nous contribuaient, eux aussi, à lui donner un caractère différent, ouvert à tous les jeunes juifs. Notre activité fut ralentie. Le cloisonnement de nos structures avait permis de limiter les arrestations, mais il fallait nous réorganiser et renouer les fils avec des jeunes qui avaient perdu le contact. Cela a pris un certain temps.

 

Quelques mois plus tard, nous apprenions la chute des FTP-MOI, l’arrestation du « groupe Manouchian » et, par ailleurs, d’autres arrestations importantes qui s’étaient produites dans les rangs du secteur des adultes. Je me souviens de ce matin, où, sortant de ma planque pour me rendre à un rendez-vous, je suis tombé sur l’affiche allemande dénonçant « l’armée du crime ». Une immense affiche rouge. Trois de mes camarades, Wajsbrot, Rayman et Fingercwajg, y figuraient parmi d’autres avec leurs noms et leurs visages meurtris.

 

En 1944, malgré les pertes, nous étions en mesure de donner une nouvelle perspective de combat à nos jeunes. Sur tous les fronts, les armées allemandes subissaient, après Stalingrad, des revers importants qui présageaient de la proximité d’un débarquement allié en France et du déclenchement de l’insurrection nationale. C’est à cette éventualité que nous devions nous préparer, et la directive est venue de nous constituer en milice patriotique juive. Jean Tancerman, dit Jean Drappier, fut détaché de la zone Sud pour cette tâche d’encadrement et de préparation militaire des jeunes résistants juifs de Paris. La première rencontre entre Jean et notre direction s’est tenue à Paris, je crois me souvenir de la présence de Georges Tachnof, Jean-Claude Schwartz, Guy Birenbaum, Jacques Adler et moi-même. Jean Capiévic n’était plus avec nous à ce moment, muté pour d’importantes responsabilités nationales auprès de la MOI. En avril 1944, nous avions édité un tract dans lequel nous appelions à former ces milices. Cet appel signé de l’UJJ se terminait ainsi : « Jeunes juifs, quittez vos logements, passez à l’illégalité ! Entrez en masse dans la milice patriotique qui, en union avec toute la population, contribuera à abattre notre ennemi mortel et libérer la France. L’insurrection libératrice approche ! Soyons prêts pour le grand combat ! ». Un double objectif nous avait été fixé : récupérer des armes et détruire les panneaux indicateurs qui servaient pour la circulation des convois militaires.

 

J’ai évoqué, au début de mon témoignage, une récupération d’arme sur un soldat allemand. Ce fut la première du genre. Désarmer un soldat allemand en plein Paris était une entreprise des plus périlleuses, il nous fallait trouver des moyens moins risqués. Nous avions observé, en ces mois ensoleillés, que nombre de militaires se baignaient dans la Marne aux environs de Paris. Un groupe composé de Jean-Claude Schwartz, de Simon Fiszof et d’André Radzinski est parti aux abords d’une de ces baignades. Ils ont repéré un soldat nageant dans la rivière et une femme allongée sur le bord, les vêtements du soldat et une arme avec son ceinturon sous la tête. C’était une situation inespérée et des plus favorables pour nos jeunes de s’en emparer et de s’enfuir. C’est ainsi que nous avons commencé à nous préparer pour le grand jour.

 

Jean Tancerman, notre chef militaire, avait fixé avec nous les premières dispositions à prendre dès le début de l’insurrection. Il fallait occuper d’anciens locaux communautaires dans lesquels nous pourrions nous installer pour organiser nos forces au grand jour. C’est ce que nous avons fait en occupant les locaux de la rue des Tournelles dans le IIIe arrondissement, où nous avons installé notre quartier général et une partie de nos forces. D’autres jeunes furent installés dans l’ancienne école de l’ORT, située rue Georges Lardennois dans le XIXe et dans les locaux du dispensaire de la rue Julien Lacroix, dans le XXe. Ces jeunes furent mis à la disposition des FFI de ces arrondissements. Le 120 boulevard de Belleville fut ouvert pour y tenir les premières réunions publiques avec des populations qui sortaient comme par miracle de leurs cachettes. Quelque deux cents jeunes juifs, jeunes gens et jeunes filles, étaient ainsi disponibles pour participer aux combats de la Libération. Nous avons pu obtenir quelques armes en plus de celles que nous avions et des brassards FFI. Une partie de nos effectifs a pu participer aux combats aux abords de la préfecture de police, autour de la caserne de la place de la République et dans le XIXe. Les armes n’étaient malheureusement pas en nombre suffisant, mais tous nos jeunes se sont rendus utiles sur les barricades aux côtés des Parisiens.

 

Je me souviens du dernier jour de l’insurrection. Nous étions en patrouille à proximité de la caserne de la République. Celle-ci était devenue silencieuse et refermée sur elle-même. Les tirs avaient cessé de toutes parts. Jean-Claude Schwartz, intégré à un groupe de FFI et de policiers patriotes, était parvenu à pénétrer dans une partie de la caserne et en ressortir avec une impressionnante quantité d’armes abandonnées par les Allemands. C’est là, sur la place de la République, que nous avons vu arriver les premiers chars de la division Leclerc et, comme par miracle, une foule énorme en liesse arrivant de toutes parts. Le grand portail de la caserne s’est alors ouvert sur un officier allemand brandissant un drapeau blanc. C’était la fin, mais pas encore la fin de la guerre.

 

Les résistants de la MOI, toutes nationalités confondues, décidèrent immédiatement de former un bataillon FFI intégré à l’armée régulière française et de s’y engager comme volontaires pour la durée de la guerre. C’est ainsi que le bataillon FFI 51/22 a été crée et qu’il s’est installé dans les bâtiments de la caserne de Reuilly, dans le XIIe arrondissement. Avec l’UJJ, devenue organisation légale au grand jour, nous avions appelé les jeunes juifs à s’engager et à former avec nous une compagnie à laquelle fut donné le nom de Marcel Rayman. Cent soixante volontaires répondirent à notre appel et nous aurions pu être le double si les jeunes filles avaient eu la possibilité de le faire. À la tête du bataillon se trouvait le commandant Boris Holban, dit Olivier, l’un des chefs des FTP-MOI de la région parisienne. Le lieutenant Jean Tancerman était notre commandant de compagnie. La plupart des engagés étaient des résistants venus des FTP-MOI et de l’UJJ clandestine, mais d’autres jeunes étaient venus aussi nous rejoindre.

 

Nous avions hâte d’être aux côtés des armées du front, malheureusement les autorités militaires ne répondirent jamais à notre attente. Finalement, le bataillon, après bien des périples de caserne en caserne, fut dissous et ses effectifs mutés et dispersés dans diverses unités de l’armée, sans combattre. Pour ma part, je me suis retrouvé en Allemagne dans un régiment de tirailleurs algériens de la 1re armée avec le grade de sergent-chef. J’y ai fêté la victoire le 8 mai 1945. Je n’ai été démobilisé que le 18 avril 1946, car entre temps les jeunes français de ma classe avaient été appelés sous les drapeaux.

J’arrive à la fin de mon témoignage. J’ai essayé de résumer notre histoire dans le temps limité qui m’était imparti. Mon témoignage n’est donc évidemment qu’un survol très rapide d’un combat qui a duré plus de quatre ans. Je voudrais conclure en soulignant que les raisons de notre engagement dans la Résistance ne furent pas seulement motivées par la nécessité de nous opposer à l’entreprise nazie contre les juifs, ce qui aurait été amplement suffisant. Dès le début de cet engagement, ce fut aussi pour nous la volonté clairement affirmée de nous battre pour la liberté de notre pays, pour ses valeurs humanistes et républicaines étranglées par le fascisme hitlérien et par celui de Vichy. Notre combat ne fut jamais un repli sur nous-mêmes, distinct de l’objectif final de tous ceux qui combattaient en France. Avec notre spécificité, compte tenu des circonstances, nous avons fait partie intégrante de la Résistance nationale.

 

Lire aussi: 

 

21 février 1944: 23 étrangers et nos frères pourtant - Il y a soixante-treize ans, le 21 février 1944, les nazis exécutaient au Mont-Valérien les héros de l'Affiche rouge.

Résistance : Arsène Tchakarian, à 100 ans, il est le dernier rescapé des Manouchian (Le Parisien, Lucile Métout, 25 décembre 2016)

Olga Bancic, une héroïne de la résistance juive communiste FTP-Moi en France

L'Affiche rouge: "Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant" (numéro spécial de L'Humanité, février 2007- Jean de Leyzieu)

Les communistes français dans la résistance avant l'invasion de l'URSS en juin 1941: relisons Albert Ouzoulias et ses "Bataillons de la jeunesse"

une conférence importante de Léon Landini prouvant que, quoiqu'en disent les révisionnistes, la résistance communiste a débuté bien avant le printemps 1941

 

 

Robert Endelwet pendant la guerre

Robert Endelwet pendant la guerre

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22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 21:56
Tokyo, fin juin 1950. Interdit en 1935 mais reparu en 1945, Akahata fut à nouveau censuré de 1950 à 1952 par le général MacArthur, pendant la guerre de Corée. AP Photo/Sipa

Tokyo, fin juin 1950. Interdit en 1935 mais reparu en 1945, Akahata fut à nouveau censuré de 1950 à 1952 par le général MacArthur, pendant la guerre de Corée. AP Photo/Sipa

Le journal communiste japonais célèbre son 90e anniversaire. Plusieurs fois interdit par les militaristes japonais et américains, Akahata a toujours revendiqué l'indépendance dans le cadre de la construction de son identité révolutionnaire.

Être antimilitariste dans le Japon des années 1930 pouvait aboutir au choix à la prison, la torture ou la mort.

À cette époque, la guerre était «seisen», une croisade sacrée, prétendument destinée à conduire le reste de l'Asie vers le développement, sous la houlette de l'empereur. Dans ce contexte, il fallait une certaine audace pour imaginer sortir, à partir du 1er février 1928, un journal communiste alors même que le parti était interdit depuis sa création, en 1922. Akahata (le drapeau rouge), alors appelé Sekki, consacre ainsi l'une de ses éditions datées de février 1933 à la mort de l'écrivain communiste Takiji Kobayashi, lors de son interrogatoire par la Tokko, la police politique.

Selon Hiroshi Yonezawa, responsable du secteur international du Parti communiste japonais (PCJ), « ce drapeau rouge est celui de la souveraineté nationale et de la paix, un drapeau visant la libération de l'humanité ». Le journal paraît alors bien isolé.

Lorsque le reste de la presse célèbre l'invasion de la Mandchourie, Akahata prend fermement position contre la guerre. À la même époque, pour servir la propagande impériale, le Tokyo Nichi Nichi Shimbun, depuis renommé Mainichi Shimbun, dépeint des «soldats chinois diaboliques et brutaux».

Akahata demande, lui, l'arrêt d'envoi de soldats au front. Il va même plus loin en plaidant pour l'abolition de la monarchie, pour la liberté d'expression, de publication, de réunion et d'association mais aussi pour l'indépendance des nations colonisées par le Japon. En 1935, le journal est interdit. Sa publication ne reprendra qu'après la guerre mais il est désormais identifié comme à la pointe du combat démocratique dans le camp progressiste.

 

LES ÉDITIONS QUOTIDIENNES ET DOMINICALES SONT DIFFUSÉES À 1,13 MILLION D'EXEMPLAIRES

 

Aujourd'hui, les militants communistes estiment que cette ligne de conduite a été validée par l'histoire. Dans sa Constitution de 1947, le Japon stipule qu'il « renonce à jamais à la guerre ». Le fait est inédit. Dans l'éditorial du numéro célébrant le 90e anniversaire, le journal souligne que « de plus en plus de citoyens dirigent leur attention la diffusion année après année ». Akahata possède des correspondants à Pékin, Hanoi, Le Caire, Berlin et Washington.

vers Akahata » du fait des tentatives actuelles de révision de la constitution pacifiste. Les éditions quotidiennes et dominicales sont diffusées à 1,13 million d'exemplaires, un record alors que le journal n'est pas vendu en kiosques. « La vente et la diffusion d'Akahata aux abonnés sont une activité difficile. Les militants qui s'en occupent au quotidien sont respectés au même niveau que des héros. Ce n'est pas obligatoire mais le Parti attache beaucoup d'importance à cette activité et il s'efforce d'augmenter

Au Japon, où la remise en cause de la parole des dirigeants n'est pas naturelle, le journal assume une mission originale et presque jaurésienne : « Certains géants médiatiques diffusent les assertions du gouvernement Abe comme s'ils étaient l'organe du régime, ils ne remplissent plus leur rôle de surveillance. A contrario, Akahata s'engage dans une confrontation frontale avec le plan Abe et assume une mission décisive dans la divulgation de la vérité, sans crainte de couvrir des sujets tabous. » Après la catastrophe de Fukushima, en 2011, le journal est l'un des premiers à révéler les mensonges de Tepco, l'opérateur de la centrale accidentée concernant le respect des normes de sécurité. Un rôle apprécié audelà des rangs communistes.

L'ancien diplomate Magosaki Ukeru expliquait ainsi : « Alors que la plupart des médias traditionnels se compromettent, Akahata est le seul média qui essaie de révéler la vérité et, pour de nombreux citoyens, c'est le journal qui garantit leur droit d'avoir accès à cette vérité. »

Dans le contexte de la guerre froide, Akahata mène déjà bataille contre la présence américaine, alors que les bases de l'Oncle Sam disséminées sur l'archipel servent de porteavions pour les expéditions militaires de Washington. De 1950 à 1952, alors que la guerre de Corée bat son plein, le général MacArthur, en tant qu'administrateur du Japon, prend de nouveau l'initiative d'interdire Akahata. La démocratie a ses limites. À cette époque, l'armée américaine teste à une douzaine de reprises ses armes biologiques dans les rizières d'Okinawa et stocke également ses défoliants destinés à être déversés sur le maquis vietnamien. Les campus japonais sont alors en ébullition et les anciens étudiants se souviennent encore du rôle alors joué par le journal. Plus récemment, en 2003, Akahata mène une grande campagne contre l'expédition militaire en Irak et appelle à la prudence contre les prétendues armes de destruction massives de Saddam Hussein. Cet effort pour préserver la paix est consubstantiel de la lutte pour préserver une politique étrangère et nationale indépendante. Le journal ouvre également le débat sur l'identité du courant communiste japonais. «Akahata joue un rôle indispensable, alors que l'URSS et la Chine tentent toutes deux de créer des fractions au sein du Parti afin de l'influencer, analyse encore Hiroshi Yonezawa. Le journal affirme que les Japonais doivent décider seuls du cours qu'ils souhaitent donner au mouvement révolutionnaire. »

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