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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 06:15
Nuit du 27 au 28 février 1933, l'incendie du Reichstag: "acte de naissance du régime nazi", point de départ d'une arrestation de 100 000 opposants de gauche (Jean-Philippe Mathieu, historien - L'Humanité)
Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. Les nazis, déjà en partie au pouvoir, accusent les communistes du forfait. Plus de 100 000 opposants communistes sont arrêtés et jetés dans les premiers camps de concentration.
https://humanite.fr/tribunes/l-incendie-du-reichstag-acte-de-naissance-du-regim-515901
https://humanite.fr/node/307170
L’incendie du Reichstag, « acte 
de naissance du régime nazi »
JEAN-PHILIPPE MATHIEU, HISTORIEN.
VENDREDI, 22 FÉVRIER, 2013
L'HUMANITÉ

Dans la nuit du 27 au 28 février 1933, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. 
Les nazis, déjà en partie au pouvoir, accusent les communistes du forfait. Plus de 100 000 opposants sont arrêtés 
et jetés dans les premiers camps de concentration.

Dans la nuit du 27 au 28 février, un incendie ravage le Reichstag, le bâtiment qui abrite le Parlement allemand. Sur les lieux, la police découvre un Hollandais de vingt-quatre ans, Marinus Van der Lubbe, ex-membre des Jeunesses communistes et « prolétaire déclassé en révolte ». Jugé à Leipzig en septembre, condamné à mort en décembre, il est exécuté en janvier 1934.

Est-il l’un des incendiaires ? Incontestablement, oui. Il a été pris pratiquement en flagrant délit. Du reste, pour inciter les Allemands à la révolte, il avait déjà essayé trois fois de mettre le feu à des bâtiments publics, sans succès (mais sans se faire prendre).

A-t-il agi seul ? Incontestablement, non. Le chef des pompiers de Berlin (qui l’a payé de sa vie) a démontré que c’était impossible.

Qui a donc mis le feu au Reichstag ?

Enquêtes, contre-enquêtes, hypothèses et réfutations ne manquent pas. Il est évidemment tentant et nullement invraisemblable d’accuser les nazis, à qui le crime profite. Le fait est que, sur le plan policier, l’énigme n’est pas résolue. Certes, l’enquête a été bâclée, entravée par les autorités nazies, et ni les complices ni les instigateurs n’ont été sérieusement recherchés, « faute de temps » selon le commissaire chargé de l’affaire… Mais cela ne permet pas de déduire l’identité des commanditaires.

La thèse nazie accusant les communistes est clairement absurde, l’acte ne correspondant ni aux méthodes, ni à la tactique, ni à la stratégie du KPD. Et les communistes avaient bien plus à perdre qu’à gagner dans cette affaire. Les flammes n’étaient pas celles de la révolution.

En revanche, l’incendie servait les intérêts du pouvoir et la thèse d’un incendiaire unique stipendié par le Parti communiste convenait parfaitement aux dirigeants nazis, qui ont 
dès lors tout fait pour qu’elle soit la seule thèse officielle.

Depuis le 30 janvier 1933, Hitler est chancelier du Reich. Il n’y a encore que deux autres nazis dans son gouvernement, dont Hermann Göring, qui obtient du maréchal 
von Hindenburg, président du Reich, pratiquement tous les pouvoirs en Prusse dès le 6 février 1933. Et Göring en use : dissolution du parlement prussien, éviction du ministère social-démocrate, incorporation des SA dans la police, ordre à celle-ci de faire usage de ses armes et garantie d’être couverte « quelles qu’aient été les conséquences de ses actes ».

Aux élections de novembre 1932, le Parti nazi, encore groupusculaire en 1930, obtient près de 12 millions de voix mais recule par rapport à juillet 1932. Le 6 février 1933, Hindenburg dissout le Parlement et fixe au 5 mars suivant les élections, qui seront « certainement les dernières du siècle à venir », selon Göring. Et ces élections, les nazis veulent les gagner coûte que coûte. Arrivés très vite devant le Reichstag en flammes, Hitler et Göring déclarent immédiatement que l’incendie est un coup des communistes et qu’il convient « d’anéantir d’un poing de fer cette peste mortelle ». Les opérations commencent dès le 28 février.

L’incendie est présenté par la presse nazie comme la première phase d’une guerre civile décrétée à Moscou. Les journaux communistes et sociaux-démocrates sont interdits ; environ 12 000 opposants au nazisme (pour l’essentiel communistes et sociaux-démocrates) sont arrêtés dans les quarante-huit heures, 100 000 dans les semaines suivantes, et jetés dans les premiers camps de concentration. Enfin, l’incendie du Reichstag sert de prétexte, dès le 28 février, à une « ordonnance du président du Reich pour la protection du peuple et de l’État » suspendant « provisoirement » les droits constitutionnels fondamentaux (liberté des personnes, inviolabilité du domicile, secret postal, liberté d’opinion, de réunion, d’association, droit de propriété).

Aussi est-ce à une véritable seconde prise de pouvoir des nazis qu’on assiste ces jours-là. L’incendie du Reichstag est bien le véritable « acte de naissance du régime nazi » (1).

Le procès de Leipzig donne lieu à une contre-attaque qui prend deux formes : la publication d’un Livre brun, et l’organisation d’un contre-procès à Londres.

Le Livre brun conclut que « Göring est l’organisateur de l’incendie du Reichstag ». 
Il consacre 80 pages à l’incendie et plus de 300 à la répression, à l’anéantissement de la culture, aux camps de concentration, à la persécution des juifs, etc. Les journaux du monde entier en rendent compte.

Fondé en mars 1933, le Comité international d’aide aux victimes du fascisme (président d’honneur : Einstein ; le président est lord Marley, vice-président de la Chambre des lords ; Gide, Romain Rolland, Malraux, Paul Langevin en sont membres) crée une « commission d’enquête internationale sur l’incendie du Reichstag », constituée de juristes, qui organise à Londres du 14 au 18 septembre 1933 un contre-procès concluant à « de fortes présomptions de la culpabilité des dirigeants nazis ».

Le procès des soi-disant incendiaires   Le 9 mars 1933, on arrête trois Bulgares, accusés d’avoir fomenté l’incendie avec 
Van der Lubbe et Ernst Torgler, député communiste. L’un des trois est Georges Dimitrov, membre du comité exécutif de l’Internationale puis responsable du Komintern, dont le 
bureau est à Berlin depuis 1929 et qui chapeaute les partis communistes allemand, français, belge, polonais, italien et autrichien. 
Dimitrov séjourne à Berlin sous une fausse identité. Le procès s’ouvre à Leipzig 
le 21 septembre et tourne rapidement 
au fiasco pour les nazis. Dimitrov, parfaitement préparé, maître de lui et d’un calme olympien, démontre l’inanité de l’accusation, ridiculise Göring devant l’opinion internationale, 
et fait voir à quel point le président de la cour 
est aux ordres du pouvoir, décrédibilisant 
la justice. Le 23 décembre, les trois Bulgares sont acquittés mais maintenus en prison. 
Le 15 février, l’URSS leur octroie la nationalité soviétique. Le 27 février, ils sont expulsés d’Allemagne et arrivent à Moscou. 
Un échec pour le régime.

(1) Lire Feu au Reichstag. L’acte de naissance 
du régime nazi, de Gilbert Badia. Éditions sociales, 
« Problèmes », 1983, 334 pages.

Nuit du 27 au 28 février 1933, l'incendie du Reichstag: "acte de naissance du régime nazi", point de départ d'une arrestation de 100 000 opposants de gauche (Jean-Philippe Mathieu, historien - L'Humanité)
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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 16:47
1848 est une révolution du peuple! - François Perche, écrivain (L'Humanité, 23 février 2018)

22, 23, 24, 25 février : « 1848 est une révolution du peuple » !


La grande trahison du peuple par la bourgeoisie.

Voilà comment on peut qualifier la révolution de 1848. Elle n’a jamais fait l’objet d’une quelconque commémoration. Comme on veut oublier le bain de sang dans lequel on l’a noyée.

En 1845 et 1846, les classes pauvres souffrent durement d’une disette due à de mauvaises récoltes. Les paysans se révoltent contre les « accapareurs de grains ». Les ouvriers multiplient des « sociétés de résistance ». Le chômage s’accroît, dû à la fermeture de petites et moyennes entreprises, conséquence d’une crise industrielle. Peu à peu on assiste à une prise de conscience révolutionnaire, chez les commerçants, puis chez les ouvriers.
On parle d’une réforma électorale. On pressent qu’elle va s’imposer par la violence. Pendant six mois, ses partisans, dont les républicains qui demandent le suffrage universel, organisent en France des banquets de mille convives environ où l’on signe une pétition en sa faveur. Louis-Philippe interdit le banquet du 22 février 1848 à Paris.
Une immense manifestation secoue la ville. Puis se transforme en véritable émeute. Le peuple est là. Des fabricants, des boutiquiers, des bourgeois, des ouvriers, des étudiants, des chômeurs, des miséreux, des traine-savates, des riens du tout. La haine conte Guizot, chef du gouvernement, est là, elle aussi. Guizot démissionne le 23. À cette nouvelle, le peuple de Paris réclame l’illumination des rues. Des barricades apparaissent un peu partout. Bientôt, la fusillade se fait entendre. Deux compagnies de ligne tirent sans sommation, à bout portant, sur un groupe d’ouvriers chantant la Marseillaise.

Cinquante-deux morts. On a parlé « d’épouvante muette ». Cinq cadavres sont hissés sur un chariot. Le peuple traîne ses morts toute la Nuit. Ce que l’on a appelé « la promenade des cadavres » est un appel aux armes. Thiers succède à Guizot. La foule marche vers les Tuileries. Les Tuileries sont mises à sac. Le roi s’enfuit en Angleterre. Le peuple, le 25 février, est maître de la rue. Pas un soldat, pas un gendarme, pas un garde national n’est visible. C’est la fête. On danse. C’est l’euphorie. La IIe République est proclamée.

Le peuple a gagné, oui, mais pas pour longtemps. Comme toujours, les bourgeois allaient lui ravir sa victoire. Se profile lentement, fortement, ce que l’on peut appeler une contre-révolution. Comme toujours, tout se passe chez les banquiers. La finance impose son ordre. Rien de nouveau. L’aristocratie financière s’associe à la bourgeoisie industrielle et commerçante. Puis la banque va dominer, élargir son pouvoir, et absorbera peu à peu le monde de l’industrie et du commerce. Le peuple qui vient lui aussi conscience qu’il existe, qui a beau crier « La liberté ou la mort », est sur le point de se faire « griller » par le gouvernement provisoire (adoubé par le banquier Goud-chaux). Dans celui-ci se trouvent des hommes tous bien ancrés à droite, comme Lamartine, Ledru-Rollin, Arago, Dupont-de l’Eure, qui vont éliminer l’opposition socialiste. Le 15 mai Blanqui, Barbès, Raspail, Leroux, notamment, sont arrêtés.

ON FUSILLE PARTOUT SANS SOMMATION. ON VA JUSQU’AU BOUT DE L’HORREUR !
Le 24 juin, l’Assemblée constituante, expurgée des républicains, transmet ses pouvoirs au ministre de la guerre, le général Cavaignac. L’Assemblée proclame la dictature et l’état de siège. Le 26 juin 1848, à midi, commence alors une répression méthodique. Pour dire les choses simplement ; douze mille prisonniers, trois mille morts, quatre mille personnes déportées aux colonies sans jugement. Pour s’en tenir aux chiffres officiels. On en avance beaucoup d’autres beaucoup plus importants.

On fusille partout sans sommation. On va jusqu’au bout de l’horreur. Les survivants de cette tuerie sont enfermés dans les souterrains des Tuileries, dans les caves de l’École militaire, et dans celles de l’Hôtel de Ville. Les prisonniers croupissent, entassés les uns sur les autres, affamés, étouffés, dans la boue et les ordures. Çà et là les gardes tirent sur eux par les lucarnes, pour rire un peu. En février, on a vu ensemble les ouvriers, les étudiants, les boutiquiers, les commerçants, la petite bourgeoisie. Mais après l'horreur des journées de juin, le peuple a compris qu'il avait été berné. Que la révolution lui a été confisquée au profit de ces gens-là, les nantis, les boutiquiers, la petite bourgeoise. Les étudiants également l'ont abandonné. Le peuple saigné, ne se mêlera plus de rien. Ils ne croient plus que les prolétaires soient liés à la République. Il ne bougera plus. Il a décidé qu'il ne serait plus le seul acteur de la révolution, et "qu'il ne la jouera qu'à son heure". Et ce sera bien plus tard la Commune.  

Friedrich ENGELS : Les journées de juin 1848 !
« Le peuple n’est point comme en février sur les barricades chantant – Mourir pour la patrie – les ouvriers du 23 juin luttent pour leur existence, la patrie a perdu pour eux toute signification. La révolution de juin est la révolution du désespoir et c’est avec la colère muette, avec le sang-froid sinistre du désespoir qu’on combat pour elle, les ouvriers savent qu’ils mènent une lutte à la vie et à la mort, et devant la gravité terrible de cette lutte le vif esprit français lui-même se tait. (…) L’unanimité de la révolution de février a disparu, cette unanimité poétique, pleine d’illusions éblouissantes, pleine de beaux mensonges et qui lui fut présentée si dignement par le le traître aux belles phrases, Lamartine.

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 07:23
Gilbert Brustlein

Gilbert Brustlein

Henri Krasucki

Henri Krasucki

Marcel Rayman

Marcel Rayman

Ils ont combattu pour la liberté, la fraternité, l'égalité, les droits de l'Homme, la France, l'espoir du communisme et d'une société sans classes, face aux Nazis et à leurs valets de l'extrême-droite française.

L’engagement dans la Résistance des jeunes d'origine juive parisiens avec la MOI (1940-1945)

par Robert Endewelt, témoignage lors d'un colloque organisé le 15 décembre 2006 à l'hôtel de ville de Paris par l’Association des amis de la commission centrale de l’enfance. repris par les "Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique" (2015)

La conclusion de Robert Endewelt est importante:  

" Je voudrais conclure en soulignant que les raisons de notre engagement dans la Résistance ne furent pas seulement motivées par la nécessité de nous opposer à l’entreprise nazie contre les juifs, ce qui aurait été amplement suffisant. Dès le début de cet engagement, ce fut aussi pour nous la volonté clairement affirmée de nous battre pour la liberté de notre pays, pour ses valeurs humanistes et républicaines étranglées par le fascisme hitlérien et par celui de Vichy. Notre combat ne fut jamais un repli sur nous-mêmes, distinct de l’objectif final de tous ceux qui combattaient en France. Avec notre spécificité, compte tenu des circonstances, nous avons fait partie intégrante de la Résistance nationale".

 

Témoignage présenté par Robert Endewelt lors d’un colloque organisé le 15 décembre 2006 à l’Hôtel de ville de Paris sur le thème : « Les juifs ont résisté en France (1940-1945) », par l’Association des amis de la commission centrale de l’enfance. Ce texte a été publié initialement dans les actes de ce colloque

Je suis sans doute l’un des derniers anciens jeunes ayant appartenu à la Résistance des jeunes juifs de la FTP-MOI (Francs-tireurs et Partisans-Main d’œuvre immigrée) à Paris à pouvoir témoigner de notre engagement dans la capitale sur toute la période de 1940 à 1945.

 

L’organisation clandestine de résistance des jeunes communistes juifs s’est constituée au cours de l’été 1940 sous l’égide du secteur juif de la MOI. C’est vers la fin de cette année que je l’ai rejointe dans le Xe arrondissement où j’habitais. Plus tard, je suis devenu membre de sa direction régionale parisienne jusqu’aux arrestations de mars 1943, où plus d’une cinquantaine de jeunes résistants de notre organisation clandestine sont tombés aux mains des Brigades spéciales de la préfecture de police de Paris.

 

En 1943 se formaient en France, dans les deux zones, l’UJRE (Union des juifs pour la Résistance et l’entraide) et L’UJJ (Union de la jeunesse juive). Ayant échappé à toutes les arrestations, c’est à cette date que j’ai été nommé à la direction de l’UJJ pour Paris par mes responsables hiérarchiques « adultes » ; c’est ainsi que nous appelions nos aînés dans la Résistance. Cette activité s’est poursuivie jusqu’à l’insurrection et la Libération de Paris, et ensuite jusqu’à la victoire et la capitulation de l’Allemagne nazie par notre engagement dans l’armée française. C’est donc au titre de cette expérience et des responsabilités que j’ai assumées à Paris durant toutes ces années de guerre et d’occupation que j’apporterai mon témoignage sur l’engagement dans la Résistance de ces jeunes Parisiens, issus de familles juives immigrées, nés en France ou venus très jeunes avec leurs parents de Pologne et d’autres pays d’Europe centrale et orientale.

 

Je veux dire d’abord que le groupe de langue yiddish de la MOI fut certainement l’un des principaux initiateurs de la Résistance dans la population juive. C’est lui qui a jeté très rapidement les bases de l’organisation clandestine « Solidarité ». Dès l’été 1940, les jeunes juifs communistes et sympathisants furent eux aussi appelés par le groupe de langue à venir s’organiser dans la Résistance sur une base spécifiquement juive, ce qui n’allait pas forcément de soi. Beaucoup de ces jeunes militaient en dehors de la MOI, dans des organisations françaises telles que les JC où ils avaient beaucoup de leurs camarades non juifs. Ces jeunes étaient intégrés dans le pays et assez éloignés de tout esprit communautaire. Ils ont accepté, presque tous, de se retrouver dans une organisation de résistance spécifiquement juive, sans précédent. Henri Krasucki, fils d’immigrés polonais, l’un des premiers organisateurs et dirigeants des jeunes juifs MOI, aimait répéter aux journalistes qui l’interrogeaient après la guerre : « Nous étions devenus des petits Français, que nous soyons nés en France ou que nous y soyons venus bambins avec nos parents ». Il ajoutait : « En même temps, nous étions liés à notre milieu d’origine, nous savions d’où nous venions ». Beaucoup de ces jeunes appartenaient à des familles militantes, actives à la section juive de la MOI et dans le mouvement social et associatif. Il faut dire aussi que, parmi ces jeunes, certains fréquentaient des patronages laïques ouverts à la culture yiddish progressiste et aux idéaux humanistes, ce qui a certainement déterminé leur engagement. Il ne fallut donc pas longtemps à ces jeunes, déjà très motivés, de plus brutalement confrontés à leur judéité, pour s’engager dans la Résistance. Leur destin était devenu commun à celui de leurs parents et de toute leur famille.

Dès l’été 1940, la mise en place d’une organisation juive de résistance dans la jeunesse fut donc au départ le fait des jeunes communistes et des sympathisants. Je fais appel ici aux souvenirs de Roger Trugnan qui en fut l’un des premiers organisateurs. Je le cite :

 

« Alors que je me promenais sur le boulevard Saint-Martin en août 1940, je reconnus Albert Youdine, un ami de mon père, responsable parisien de la MOI. Il m’apprit qu’une structure de la JC se mettait en place sur Paris afin de regrouper les jeunes de l’immigration. Il me demanda si je souhaitais en être. Je répondis affirmativement. Il me proposa de m’envoyer un camarade et de commencer à prospecter autour de moi avec la plus grande prudence. Je révélai ces informations à deux amis dont j’étais absolument sûr : Marcel Rayman et Maurice Lubczanski. Ainsi débuta pour nous la grande aventure pour la libération de la France. En quatre mois, à la fin de 1940, nous étions dans un bon morceau du XIe arrondissement plus de quarante JC-MOI ».

 

Ce fut le même itinéraire pour moi dans le Xe arrondissement.

 

Nombre de jeunes juifs étaient déjà avant la guerre des militants de la JC. Je me souviens de Robert Bourstin, de Bernard Grimbaum et de Charles Feld, tous trois animateurs du cercle des JC de la porte Saint-Martin et qui furent parmi les premiers à organiser l’action clandestine de la Résistance. Maurice Feld aussi, le jeune frère de Charles, qui vendait L’Avant-Garde dans le faubourg Saint-Denis. Le club sportif de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), le CPS 10, dont le secrétaire était Bernard Grimbaum, et la salle de gymnastique du YASK, rue de Paradis, étaient des lieux de rencontre pour les jeunes de l’arrondissement et des environs. J’en connaissais beaucoup qui rejoignirent la Résistance dès qu’elle fut mise en place : Anna Wolmach, Simon Tyszelman, Henri Schlos, Denise et Bernard Grimberg, Thérèse et Georges Ghertman, Raymonde Royal et j’en oublie malheureusement. La plupart d’entre eux y perdirent la vie, fusillés ou déportés.

 

Le 10 mai 1942, Maurice Feld et son inséparable compagnon d’armes Maurice Feferman, tous deux engagés avec les premiers FTP, tombèrent au cours d’une attaque contre un hôtel de la Wehrmacht situé square Montholon. Bernard Grimbaum, arrêté en décembre 1940 au cours d’une distribution de tracts, fut fusillé comme otage à Poitiers le 30 avril 1942. Raymonde Royal et sa mère moururent à Auschwitz. Thérèse et Georges Ghertman connurent la prison et y perdirent leur nouveau-né interné avec sa mère. Je veux rendre ici un hommage tout particulier à Georges Ghertman, qui fut pour beaucoup dans mon engagement personnel et qui joua un rôle considérable dans la mise en place de la Résistance des jeunes juifs MOI dans le Xe et les arrondissements alentour. Le premier groupe auquel j’ai été affecté dans le Xe comprenait deux autres jeunes, Henri Mendzilewski et David Spiro. Tous deux furent arrêtés et disparurent dans les camps de la déportation. Jeanne List, une jeune femme de la section juive MOI, nous apportait conseils et informations et suivait l’activité du groupe.

 

Dans le XXe, Henri Krasucki avait pris la tête de ce mouvement. Paulette Schlifka, venue du XIe, y contribua activement aussi. Parmi ces jeunes du XXe, je me souviens notamment de Simon Fiszof, qui avait mené à bien avec son groupe une première récupération d’arme sur un soldat allemand. D’un autre aussi, tout jeune, Victor Cygelman. Il était particulièrement doué pour le graphisme et j’ai appris plus tard que c’était lui qui, le 20 septembre 1942, avait réalisé à la main un grand nombre d’affiches pour célébrer le 150e anniversaire de la bataille de Valmy. Cette célébration pleine de symboles n’avait pas été prise à notre initiative, mais nous tenions beaucoup à nous y associer. Comme quoi notre combat ne fut jamais celui d’un groupe isolé et replié sur lui-même. D’autres arrondissements, où vivaient d’importantes communautés juives immigrées, connurent une mobilisation semblable. Il ne m’est pas possible, malheureusement, d’énumérer ici tous ceux et toutes celles qui participèrent aux premiers pas de notre résistance.

 

La mise en place de notre organisation clandestine ne fut pas une chose aisée : il fallut demander à nos jeunes d’obéir à des règles contraignantes de sécurité. Le cloisonnement de l’organisation en groupe de trois exigeait et imposait de limiter nos relations et de faire preuve d’une grande discrétion. C’était beaucoup demander à des adolescents. Il fallait d’abord nous faire connaître des jeunes du quartier, et nous avions édité un petit journal fabriqué avec les moyens rudimentaires de cette époque, c’est-à-dire ronéoté ou reproduit sur des feuilles polycopiées à l’alcool. « En avant ! » était le journal des jeunes communistes juifs. En ce début d’année 1941, l’activité de notre organisation ne se distinguait pas beaucoup de celle des autres JC non juifs. Elle était encore presque entièrement insérée dans celle de la JC. Nous allions lancer des tracts à la sortie des cinémas de quartier, nombreux à cette époque, sur des marchés ou à partir des rames du métro aérien, par exemple au dessus de la station Jaurès. Ces tracts et ces journaux étaient souvent ceux du PC clandestin ou de la JC. Nous faisions aussi beaucoup d’inscriptions sur les murs et collions des papillons un peu partout.

 

Trois manifestations de rue ont été organisées en 1941, auxquelles nous avons tous participé. Je me souviens de la première, qui remonta le faubourg du Temple jusqu’au métro Goncourt, applaudie par la population de ce quartier populaire qui s’était précipitée aux fenêtres ou rassemblée sur les trottoirs en entendant nos cris, nos chants et nos slogans patriotiques. Le 14 juillet 1941, nous avons participé à une autre manifestation sur les Grands Boulevards en direction de Richelieu-Drouot, à l’occasion de la fête nationale, puis à celle du mois d’août entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Cette dernière fut tragique : Samuel Tyszelman et Henri Gautherot furent arrêtés. Une affichette rouge apposée par la Kommandantur et signée d’un tribunal militaire nous informait quelques jours plus tard, que « le juif Szmul Tyszelman et le nommé Henri Gautherot » avaient été fusillés le 19 août 1941 pour aide à l’ennemi, ayant pris part à une manifestation dirigée contre les troupes allemandes d’occupation. Nous avons mesuré ce jour-là à quelle impitoyable répression nous allions être confrontés.

1

Nous avons aussi à cette époque mené des actions à coups de pavés contre les vitrines des permanences des collabos. C’était une façon de stigmatiser la collaboration avec l’ennemi par le saccage de ces boutiques de la honte. Mais c’est à la suite des mesures découlant du statut des juifs que notre activité s’est aussi rapidement reportée sur le terrain de la solidarité, de l’entraide et de l’action résistante contre les persécutions. Notre action spécifique a alors pris toute sa dimension.

 

De jeunes juifs qui souhaitaient se soustraire à cette situation, de plus en plus périlleuse, ont trouvé grâce à nous les moyens d’entrer dans la clandestinité et de nous rejoindre. Nous-mêmes, à un certain moment, nous étions presque tous devenus clandestins, munis de fausses cartes d’identité et logés dans des planques sous des noms d’emprunt. Lorsque le moment de la lutte armée est venu, nous étions déjà fortement organisés. Quelques-uns d’entre nous ont très tôt participé aux premières actions armées avec « l’Organisation spéciale ». Ce fut le cas de Jean Capiévic qui en fut l’un des organisateurs avec Gilbert Brustlein dans le XIe. Mais c’est dans les débuts de l’année 1942 que furent crées les FTP. Il avait été convenu que 10 % de nos effectifs y seraient versés. Nous voulions tous en être, et il a fallu choisir ! Henri Krasucki eut cette tâche délicate à accomplir : vérifier l’aptitude de chacun à remplir cette mission. Il devint le point de passage entre nous et les FTP jusqu’à son arrestation en 1943.

 

Les motivations des jeunes pour se battre les armes à la main étaient très fortes, car beaucoup d’entre eux avaient vu leurs parents déportés. Je me souviens de Wolf Wajsbrot, du IIIe arrondissement, né en Pologne en 1925, arrivé très jeune à Paris. Le 16 juillet 1942, ses parents furent arrêtés, envoyés à Drancy et déportés à Auschwitz. Lui-même réussit à échapper à cette rafle et il n’avait qu’un désir : venger ses parents, se battre contre les nazis. Il avait dix-sept ans à peine lorsqu’il prit la décision de rejoindre les FTP-MOI. Je peux citer aussi, parmi d’autres, Léon Goldberg, qui fit ce choix pour les mêmes raisons, et Maurice Radzinski, engagé à seize ans, tombé au combat en plein Paris le 10 février 1943. Nous avions tous la rage au cœur et nous voulions saisir cette chance qui nous était offerte de pouvoir enfin faire payer leurs crimes aux hitlériens. Nous étions informés des faits d’armes accomplis par les FTP-MOI dans Paris, de la solidarité qui unissait tous ces combattants de nationalités différentes, parmi lesquels ceux du 2e détachement juif, dont nous avons appris l’existence exacte après la guerre. Nous connaissions bien Marcel Rayman, il était devenu pour nous un véritable héros, un exemple d’audace et de courage qui nous remplissait d’admiration.

 

Le sabotage contre la production destinée aux troupes allemandes a pris aussi une grande importance pour nous. Il faut savoir qu’à Paris tous les ateliers et toutes les entreprises appartenant aux professions de l’habillement, des cuirs et peaux, de la ganterie, de la fourrure et de la chaussure, étaient réquisitionnés pour les besoins de l’armée allemande. Il était crucial pour nous d’intervenir dans ce secteur, car une partie importante de la main-d’œuvre était juive, beaucoup travaillant à domicile. Ce fut pour nous, dans cette période, un objectif majeur que de ralentir et de saboter cette production. Ce n’était pas une affaire simple, car pour nombre de familles il n’y avait pas d’autre alternative pour vivre que d’y travailler. Il y avait aussi chez certains l’illusion d’être provisoirement épargnés et protégés par le système d’Ausweis délivrés par les autorités d’occupation. Nous avons donc engagé une grande bataille d’explications, appelant à briser les machines, à saboter la production et à quitter les entreprises. Des familles ont abandonné leur travail et se sont réfugiées en zone Sud ; nous avons offert à des jeunes de quitter leurs entreprises en leur remettant des faux papiers, et certains nous ont rejoints dans la lutte ; nous avons aussi fait embaucher ponctuellement des jeunes résistants pour saboter, subtiliser des pièces de machines, couper des fils électriques, déposer de l’acide ou des engins incendiaires dans des ateliers et des dépôts de cuir, de peaux de mouton et de peaux de lapin. Je me souviens de quelques expéditions auxquelles j’ai participé, effectuées notamment dans certains ateliers de tricoteurs où, à coups de marteaux, nous mettions hors d’usage les aiguilles des machines. Ces actions, comme toutes les autres, comportaient des dangers. C’est au cours de l’une d’elles qu’Élie Wallach et Léon Pakin furent arrêtés et fusillés le 27 juillet 1942, que Georges Ghertman connut la prison et que Victor Cygelman, au cours d’une opération d’intimidation contre le patron d’une importante entreprise de la rue Martel, faillit connaître le même sort. Certes, notre action n’a pas pu arrêter cette machine de guerre, mais elle a permis de la ralentir, de la perturber et surtout d’ouvrir à ces travailleurs juifs d’autres choix plus conformes à l’intérêt général et à celui de leur survie.

Léon Golberg

Léon Golberg

Maurice Radzinski

Maurice Radzinski

Samuel Tyzelman

Samuel Tyzelman

Olga Bancic et sa fille

Olga Bancic et sa fille

Organigramme de direction de la FTP - MOI en 1943

Organigramme de direction de la FTP - MOI en 1943

C’est sans doute cette activité qui nous a permis aussi de nouer des relations avec les jeunes qui travaillaient dans ces entreprises. Nous avions de nombreux contacts avec eux dans les ateliers de chez Révillon, TouMain, Fisher, Grundel (rue Martel), Pilain (rue d’Enghien) et d’autres firmes. Bien des jeunes de ces ateliers ont renforcé nos rangs après les arrestations de mars 1943. Les clivages idéologiques qui avaient été les nôtres au début de l’Occupation s’étaient estompés au fur et à mesure que s’affirmaient les buts communs à tous. Les jeunes qui venaient à nous savaient qui nous étions, mais seul importait le sort commun qui était le nôtre. La grande rafle du 16 juillet, qui avait emporté nombre de familles, femmes, enfants, vieillards, devait encore accélérer ce rapprochement et cet élargissement. Nos appels à se cacher et à fuir avaient amené des jeunes à suivre leur famille, décidée à franchir la ligne de démarcation vers la zone Sud. Des jeunes de notre organisation prirent le même chemin avec leurs parents. Nous avons appris par la suite que presque tous avaient rejoint les groupes de combat de l’UJJ à Lyon, Grenoble, Toulouse et autres villes de la zone Sud. D’autres jeunes, restés à Paris, sont entrés dans la clandestinité et sont venus renforcer nos rangs.

 

Je veux parler maintenant de la répression qui nous a frappés, et tout particulièrement des arrestations de mars 1943. Malgré toutes les précautions prises, malgré les constants conseils de prudence et de vigilance, la catastrophe est arrivée. C’est le 23 mars 1943, au petit matin, que s’abattit sur nous le coup de filet des Brigades spéciales de la Préfecture de police. Des semaines et des mois de filature avaient permis de repérer des dizaines de nos jeunes dans leurs planques. Il a été possible après la guerre de mesurer, à partir des archives de la police, l’ampleur des filatures et des moyens mis en œuvre pour parvenir à nous atteindre. Une cinquantaine de jeunes furent arrêtés le même jour. Parmi eux figuraient les principaux dirigeants de notre organisation : Henri Krasucki, Roger Trugnan, Samuel Radzinski, Thomas Fogel, le responsable du XIXe. Henri fut arrêté le matin du 23 mars en sortant de sa planque du 8 rue Stanislas-Meunier, dans le XXe. Après trois semaines de tortures aux mains des Brigades spéciales, il fut remis aux services allemands de sécurité, le SD de la rue des Saussaies à Paris. L’attitude de tous les jeunes arrêtés fut digne et courageuse devant leurs tortionnaires. À la veille du départ d’un convoi de déportés vers Auschwitz, ils furent tous envoyés à Drancy, d’où ils furent déportés. Nous avons appris ce que fut leur calvaire comme celui de tous les déportés des camps. Seuls six revinrent de cette déportation.

 

Je voudrais ici lire une page du livre d’Henri Bulawko, le président de l’Amicale d’Auschwitz, Les jeux de la mort et de l’espoir. Son témoignage sur trois de nos camarades, dont il fut le compagnon d’infortune, est poignant. Il s’agit de Thomas Fogel et de deux autres jeunes, que malheureusement nous n’avons pas pu identifier :

 

« La faim domine notre vie, mais certains semblent parvenir à la dominer. Ainsi, les trois inséparables : Lucien, Henri et Thomas. Quel âge avaient-ils lors de leur arrestation ? Vingt ans à peine. Ils étaient tous trois membres des jeunesses communistes clandestines à Paris. Ils eurent la chance de se retrouver ensemble dans le train de la déportation. Ils luttèrent pour ne pas être séparés à Birkenau (camp d’accueil d’Auschwitz) et à Jaworzno. Ils se retrouvèrent dans mon bloc. Nous devînmes amis. En hiver, nous dormions à deux sur une couchette pour avoir moins froid : Lucien et Henri dormaient ensemble et Thomas avec moi. Ces trois garçons donnaient un spectacle étrange dans cette jungle. Ils avaient décidé de tout mettre en commun. Et chaque jour, on les voyait soupeser le pain avec une balance improvisée, faite de deux bouts de bois et d’une ficelle, mesurer leur margarine et leur saucisson pour que chacun ait une part égale. Certains se moquaient d’eux. Ils n’y prirent garde, continuant à respecter les principes de solidarité et de collectivité dont ils étaient imprégnés. Il semblait même que les trois souffraient quand l’un d’eux était frappé. Un jour, l’un d’eux manqua à l’appel. Ce jour-là, en mon for intérieur, je pensai que c’était la fin du groupe. Peu après, les deux autres disparurent à leur tour. Étrange destin que le leur. Ensemble ils avaient combattu, ensemble ils furent arrêtés et déportés, ensemble ils luttèrent chaque jour contre la faim et les coups. Ensemble ils dépérirent, jusqu’à ressembler à trois squelettes ambulants. Ils n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Mais jamais ils ne perdirent la tête. Jusqu’au dernier instant, leurs yeux conservèrent leur lueur d’intelligence et de bonté. Ils vivaient dans un monde qu’ils avaient du mal à comprendre. Ils ne pouvaient s’y adapter. Ils n’avaient plus la force physique pour lui résister. Ils tombèrent non comme des moutons que l’on mène à l’abattoir, mais comme des combattants, ayant épuisé leur dernière cartouche, mais qui savent que d’autres poursuivront le combat. »

 

Nous avons appris aussi plus tard que certains d’entre eux, comme Henri Krasucki, Roger Trugnan, Sam Radzinski et d’autres, avaient pu reprendre le chemin de la résistance à l’intérieur même des camps grâce à la solidarité internationale des détenus.

 

Ce 23 mars fut un coup très dur pour nous. Notre triangle de direction avait été atteint par l’arrestation d’Henri Krasucki. Nous étions deux rescapés, une jeune camarade, Renée Wilezenski, qui fut mutée en zone Sud, et moi-même. Notre responsable direct, Adam Raïski, avait échappé lui aussi aux arrestations. C’est dans ces conditions qu’il me fut demandé de rester à Paris et de prendre la direction de l’organisation des jeunes et de poursuivre le combat avec les objectifs qui devenaient ceux de l’UJJ et de son journal Jeune Combat. Cette mutation existait déjà dans les faits. Comme je l’ai dit, les clivages idéologiques des débuts de notre organisation étaient loin dernière nous, et les jeunes qui venaient à nous contribuaient, eux aussi, à lui donner un caractère différent, ouvert à tous les jeunes juifs. Notre activité fut ralentie. Le cloisonnement de nos structures avait permis de limiter les arrestations, mais il fallait nous réorganiser et renouer les fils avec des jeunes qui avaient perdu le contact. Cela a pris un certain temps.

 

Quelques mois plus tard, nous apprenions la chute des FTP-MOI, l’arrestation du « groupe Manouchian » et, par ailleurs, d’autres arrestations importantes qui s’étaient produites dans les rangs du secteur des adultes. Je me souviens de ce matin, où, sortant de ma planque pour me rendre à un rendez-vous, je suis tombé sur l’affiche allemande dénonçant « l’armée du crime ». Une immense affiche rouge. Trois de mes camarades, Wajsbrot, Rayman et Fingercwajg, y figuraient parmi d’autres avec leurs noms et leurs visages meurtris.

 

En 1944, malgré les pertes, nous étions en mesure de donner une nouvelle perspective de combat à nos jeunes. Sur tous les fronts, les armées allemandes subissaient, après Stalingrad, des revers importants qui présageaient de la proximité d’un débarquement allié en France et du déclenchement de l’insurrection nationale. C’est à cette éventualité que nous devions nous préparer, et la directive est venue de nous constituer en milice patriotique juive. Jean Tancerman, dit Jean Drappier, fut détaché de la zone Sud pour cette tâche d’encadrement et de préparation militaire des jeunes résistants juifs de Paris. La première rencontre entre Jean et notre direction s’est tenue à Paris, je crois me souvenir de la présence de Georges Tachnof, Jean-Claude Schwartz, Guy Birenbaum, Jacques Adler et moi-même. Jean Capiévic n’était plus avec nous à ce moment, muté pour d’importantes responsabilités nationales auprès de la MOI. En avril 1944, nous avions édité un tract dans lequel nous appelions à former ces milices. Cet appel signé de l’UJJ se terminait ainsi : « Jeunes juifs, quittez vos logements, passez à l’illégalité ! Entrez en masse dans la milice patriotique qui, en union avec toute la population, contribuera à abattre notre ennemi mortel et libérer la France. L’insurrection libératrice approche ! Soyons prêts pour le grand combat ! ». Un double objectif nous avait été fixé : récupérer des armes et détruire les panneaux indicateurs qui servaient pour la circulation des convois militaires.

 

J’ai évoqué, au début de mon témoignage, une récupération d’arme sur un soldat allemand. Ce fut la première du genre. Désarmer un soldat allemand en plein Paris était une entreprise des plus périlleuses, il nous fallait trouver des moyens moins risqués. Nous avions observé, en ces mois ensoleillés, que nombre de militaires se baignaient dans la Marne aux environs de Paris. Un groupe composé de Jean-Claude Schwartz, de Simon Fiszof et d’André Radzinski est parti aux abords d’une de ces baignades. Ils ont repéré un soldat nageant dans la rivière et une femme allongée sur le bord, les vêtements du soldat et une arme avec son ceinturon sous la tête. C’était une situation inespérée et des plus favorables pour nos jeunes de s’en emparer et de s’enfuir. C’est ainsi que nous avons commencé à nous préparer pour le grand jour.

 

Jean Tancerman, notre chef militaire, avait fixé avec nous les premières dispositions à prendre dès le début de l’insurrection. Il fallait occuper d’anciens locaux communautaires dans lesquels nous pourrions nous installer pour organiser nos forces au grand jour. C’est ce que nous avons fait en occupant les locaux de la rue des Tournelles dans le IIIe arrondissement, où nous avons installé notre quartier général et une partie de nos forces. D’autres jeunes furent installés dans l’ancienne école de l’ORT, située rue Georges Lardennois dans le XIXe et dans les locaux du dispensaire de la rue Julien Lacroix, dans le XXe. Ces jeunes furent mis à la disposition des FFI de ces arrondissements. Le 120 boulevard de Belleville fut ouvert pour y tenir les premières réunions publiques avec des populations qui sortaient comme par miracle de leurs cachettes. Quelque deux cents jeunes juifs, jeunes gens et jeunes filles, étaient ainsi disponibles pour participer aux combats de la Libération. Nous avons pu obtenir quelques armes en plus de celles que nous avions et des brassards FFI. Une partie de nos effectifs a pu participer aux combats aux abords de la préfecture de police, autour de la caserne de la place de la République et dans le XIXe. Les armes n’étaient malheureusement pas en nombre suffisant, mais tous nos jeunes se sont rendus utiles sur les barricades aux côtés des Parisiens.

 

Je me souviens du dernier jour de l’insurrection. Nous étions en patrouille à proximité de la caserne de la République. Celle-ci était devenue silencieuse et refermée sur elle-même. Les tirs avaient cessé de toutes parts. Jean-Claude Schwartz, intégré à un groupe de FFI et de policiers patriotes, était parvenu à pénétrer dans une partie de la caserne et en ressortir avec une impressionnante quantité d’armes abandonnées par les Allemands. C’est là, sur la place de la République, que nous avons vu arriver les premiers chars de la division Leclerc et, comme par miracle, une foule énorme en liesse arrivant de toutes parts. Le grand portail de la caserne s’est alors ouvert sur un officier allemand brandissant un drapeau blanc. C’était la fin, mais pas encore la fin de la guerre.

 

Les résistants de la MOI, toutes nationalités confondues, décidèrent immédiatement de former un bataillon FFI intégré à l’armée régulière française et de s’y engager comme volontaires pour la durée de la guerre. C’est ainsi que le bataillon FFI 51/22 a été crée et qu’il s’est installé dans les bâtiments de la caserne de Reuilly, dans le XIIe arrondissement. Avec l’UJJ, devenue organisation légale au grand jour, nous avions appelé les jeunes juifs à s’engager et à former avec nous une compagnie à laquelle fut donné le nom de Marcel Rayman. Cent soixante volontaires répondirent à notre appel et nous aurions pu être le double si les jeunes filles avaient eu la possibilité de le faire. À la tête du bataillon se trouvait le commandant Boris Holban, dit Olivier, l’un des chefs des FTP-MOI de la région parisienne. Le lieutenant Jean Tancerman était notre commandant de compagnie. La plupart des engagés étaient des résistants venus des FTP-MOI et de l’UJJ clandestine, mais d’autres jeunes étaient venus aussi nous rejoindre.

 

Nous avions hâte d’être aux côtés des armées du front, malheureusement les autorités militaires ne répondirent jamais à notre attente. Finalement, le bataillon, après bien des périples de caserne en caserne, fut dissous et ses effectifs mutés et dispersés dans diverses unités de l’armée, sans combattre. Pour ma part, je me suis retrouvé en Allemagne dans un régiment de tirailleurs algériens de la 1re armée avec le grade de sergent-chef. J’y ai fêté la victoire le 8 mai 1945. Je n’ai été démobilisé que le 18 avril 1946, car entre temps les jeunes français de ma classe avaient été appelés sous les drapeaux.

J’arrive à la fin de mon témoignage. J’ai essayé de résumer notre histoire dans le temps limité qui m’était imparti. Mon témoignage n’est donc évidemment qu’un survol très rapide d’un combat qui a duré plus de quatre ans. Je voudrais conclure en soulignant que les raisons de notre engagement dans la Résistance ne furent pas seulement motivées par la nécessité de nous opposer à l’entreprise nazie contre les juifs, ce qui aurait été amplement suffisant. Dès le début de cet engagement, ce fut aussi pour nous la volonté clairement affirmée de nous battre pour la liberté de notre pays, pour ses valeurs humanistes et républicaines étranglées par le fascisme hitlérien et par celui de Vichy. Notre combat ne fut jamais un repli sur nous-mêmes, distinct de l’objectif final de tous ceux qui combattaient en France. Avec notre spécificité, compte tenu des circonstances, nous avons fait partie intégrante de la Résistance nationale.

 

Lire aussi: 

 

21 février 1944: 23 étrangers et nos frères pourtant - Il y a soixante-treize ans, le 21 février 1944, les nazis exécutaient au Mont-Valérien les héros de l'Affiche rouge.

Résistance : Arsène Tchakarian, à 100 ans, il est le dernier rescapé des Manouchian (Le Parisien, Lucile Métout, 25 décembre 2016)

Olga Bancic, une héroïne de la résistance juive communiste FTP-Moi en France

L'Affiche rouge: "Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant" (numéro spécial de L'Humanité, février 2007- Jean de Leyzieu)

Les communistes français dans la résistance avant l'invasion de l'URSS en juin 1941: relisons Albert Ouzoulias et ses "Bataillons de la jeunesse"

une conférence importante de Léon Landini prouvant que, quoiqu'en disent les révisionnistes, la résistance communiste a débuté bien avant le printemps 1941

 

 

Robert Endelwet pendant la guerre

Robert Endelwet pendant la guerre

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22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 21:56
Tokyo, fin juin 1950. Interdit en 1935 mais reparu en 1945, Akahata fut à nouveau censuré de 1950 à 1952 par le général MacArthur, pendant la guerre de Corée. AP Photo/Sipa

Tokyo, fin juin 1950. Interdit en 1935 mais reparu en 1945, Akahata fut à nouveau censuré de 1950 à 1952 par le général MacArthur, pendant la guerre de Corée. AP Photo/Sipa

Le journal communiste japonais célèbre son 90e anniversaire. Plusieurs fois interdit par les militaristes japonais et américains, Akahata a toujours revendiqué l'indépendance dans le cadre de la construction de son identité révolutionnaire.

Être antimilitariste dans le Japon des années 1930 pouvait aboutir au choix à la prison, la torture ou la mort.

À cette époque, la guerre était «seisen», une croisade sacrée, prétendument destinée à conduire le reste de l'Asie vers le développement, sous la houlette de l'empereur. Dans ce contexte, il fallait une certaine audace pour imaginer sortir, à partir du 1er février 1928, un journal communiste alors même que le parti était interdit depuis sa création, en 1922. Akahata (le drapeau rouge), alors appelé Sekki, consacre ainsi l'une de ses éditions datées de février 1933 à la mort de l'écrivain communiste Takiji Kobayashi, lors de son interrogatoire par la Tokko, la police politique.

Selon Hiroshi Yonezawa, responsable du secteur international du Parti communiste japonais (PCJ), « ce drapeau rouge est celui de la souveraineté nationale et de la paix, un drapeau visant la libération de l'humanité ». Le journal paraît alors bien isolé.

Lorsque le reste de la presse célèbre l'invasion de la Mandchourie, Akahata prend fermement position contre la guerre. À la même époque, pour servir la propagande impériale, le Tokyo Nichi Nichi Shimbun, depuis renommé Mainichi Shimbun, dépeint des «soldats chinois diaboliques et brutaux».

Akahata demande, lui, l'arrêt d'envoi de soldats au front. Il va même plus loin en plaidant pour l'abolition de la monarchie, pour la liberté d'expression, de publication, de réunion et d'association mais aussi pour l'indépendance des nations colonisées par le Japon. En 1935, le journal est interdit. Sa publication ne reprendra qu'après la guerre mais il est désormais identifié comme à la pointe du combat démocratique dans le camp progressiste.

 

LES ÉDITIONS QUOTIDIENNES ET DOMINICALES SONT DIFFUSÉES À 1,13 MILLION D'EXEMPLAIRES

 

Aujourd'hui, les militants communistes estiment que cette ligne de conduite a été validée par l'histoire. Dans sa Constitution de 1947, le Japon stipule qu'il « renonce à jamais à la guerre ». Le fait est inédit. Dans l'éditorial du numéro célébrant le 90e anniversaire, le journal souligne que « de plus en plus de citoyens dirigent leur attention la diffusion année après année ». Akahata possède des correspondants à Pékin, Hanoi, Le Caire, Berlin et Washington.

vers Akahata » du fait des tentatives actuelles de révision de la constitution pacifiste. Les éditions quotidiennes et dominicales sont diffusées à 1,13 million d'exemplaires, un record alors que le journal n'est pas vendu en kiosques. « La vente et la diffusion d'Akahata aux abonnés sont une activité difficile. Les militants qui s'en occupent au quotidien sont respectés au même niveau que des héros. Ce n'est pas obligatoire mais le Parti attache beaucoup d'importance à cette activité et il s'efforce d'augmenter

Au Japon, où la remise en cause de la parole des dirigeants n'est pas naturelle, le journal assume une mission originale et presque jaurésienne : « Certains géants médiatiques diffusent les assertions du gouvernement Abe comme s'ils étaient l'organe du régime, ils ne remplissent plus leur rôle de surveillance. A contrario, Akahata s'engage dans une confrontation frontale avec le plan Abe et assume une mission décisive dans la divulgation de la vérité, sans crainte de couvrir des sujets tabous. » Après la catastrophe de Fukushima, en 2011, le journal est l'un des premiers à révéler les mensonges de Tepco, l'opérateur de la centrale accidentée concernant le respect des normes de sécurité. Un rôle apprécié audelà des rangs communistes.

L'ancien diplomate Magosaki Ukeru expliquait ainsi : « Alors que la plupart des médias traditionnels se compromettent, Akahata est le seul média qui essaie de révéler la vérité et, pour de nombreux citoyens, c'est le journal qui garantit leur droit d'avoir accès à cette vérité. »

Dans le contexte de la guerre froide, Akahata mène déjà bataille contre la présence américaine, alors que les bases de l'Oncle Sam disséminées sur l'archipel servent de porteavions pour les expéditions militaires de Washington. De 1950 à 1952, alors que la guerre de Corée bat son plein, le général MacArthur, en tant qu'administrateur du Japon, prend de nouveau l'initiative d'interdire Akahata. La démocratie a ses limites. À cette époque, l'armée américaine teste à une douzaine de reprises ses armes biologiques dans les rizières d'Okinawa et stocke également ses défoliants destinés à être déversés sur le maquis vietnamien. Les campus japonais sont alors en ébullition et les anciens étudiants se souviennent encore du rôle alors joué par le journal. Plus récemment, en 2003, Akahata mène une grande campagne contre l'expédition militaire en Irak et appelle à la prudence contre les prétendues armes de destruction massives de Saddam Hussein. Cet effort pour préserver la paix est consubstantiel de la lutte pour préserver une politique étrangère et nationale indépendante. Le journal ouvre également le débat sur l'identité du courant communiste japonais. «Akahata joue un rôle indispensable, alors que l'URSS et la Chine tentent toutes deux de créer des fractions au sein du Parti afin de l'influencer, analyse encore Hiroshi Yonezawa. Le journal affirme que les Japonais doivent décider seuls du cours qu'ils souhaitent donner au mouvement révolutionnaire. »

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17 février 2018 6 17 /02 /février /2018 09:06
AFFAIRE AUDIN : LE TEMOIGNAGE QUI RELANCE L'EXIGENCE DE VERITE (L’HUMANITE – MERCREDI 14 FEVRIER – MAUD VERGNOL)

Le témoignage d'un ancien appelé, qui pense avoir « enterré » le corps de Maurice Audin, torturé par l'armée française en juin 1957, relance l'exigence de vérité et ravive les horreurs d'une guerre dont l'État français n'a toujours pas assumé sa responsabilité.

 « Je crois que c’est moi qui ai enterré le corps de Maurice Audin. » Jacques Jubier (1) a la voix un peu tremblante. Il hésite, regarde autour de lui. Mais il veut témoigner. Comme près de deux millions d’appelés, il avait préféré oublier, se taire « pour protéger (sa) famille ». Et puis, le temps a fait son oeuvre. Et la peur de « représailles » de la Grande Muette s’est dissipée. C’est l’entretien publié dans nos colonnes, le 28 janvier, avec le mathématicien Cédric Villani qui l’a convaincu. Si un député de la majorité est déterminé à faire reconnaître la responsabilité de l’État français dans l’assassinat, en juin 1957, du jeune mathématicien communiste Maurice Audin, c’est que les langues peuvent commencer à se délier… Et l’exigence d’une reconnaissance de ce crime d’État, bientôt aboutir. Avec « l’aff aire » Maurice Audin, c’est la pratique généralisée de la torture pendant la guerre d’Algérie qui refait surface. Une sauvagerie institutionnalisée, dont le refoulement a rongé comme une gangrène la société française. Mais les mécanismes de fabrication de l’oubli finissent toujours par céder. Ce nouveau témoignage en est la preuve.

 

TÉMOIGNAGE - «Une saloperie de communiste, il faut le faire disparaître»

Alors que la capitale est engourdie par la neige, Jacques Jubier, 82 ans, a fait le voyage depuis Lyon pour soulager sa conscience et «se rendre utile pour la famille Audin», assure-t-il. Son histoire est d'abord celle du destin de toute une génération de jeunes appelés dont la vie a basculé du jour au lendemain. En 1955, après le vote «des pouvoirs spéciaux», le contingent est envoyé massivement en Algérie. Jacques n'a que 21 ans. Fils d'un ouvrier communiste, résistant sous l'occupation nazie en Isère, il est tourneuraléseur dans un atelier d'entretien avant d'être incorporé, le 15 décembre 1955. Un mois plus tard, le jeune caporal prendra le bateau pour l'Algérie, afin d'assurer des «opérations de pacification», lui assure l'armée française. Sur l'autre rive de la Méditerranée, il découvre la guerre. Les patrouilles, les embuscades, les accrochages avec les «fels», la solitude, et surtout, la peur, permanente. Cette « guerre sans nom », il y participe en intégrant une section dans un camp perché sur les collines, sur les hauteurs de Fondouk, devenue aujourd'hui Khemis El Khechna, une petite ville située à 30 kilomètres à l'est d'Alger. Jacques Jubier nous tend son livret militaire, puis les photographies que l'armée française n'a pas censurées : d'abord, des paysages sublimes de montagnes et vallées, où on aperçoit le barrage du Hamiz, qui draine l'extrémité orientale de la grande plaine algéroise.

«IL Y AVAIT DES VOLONTAIRES POUR LA TORTURE, QUI NE SE FAISAIENT PAS PRIER»

Quelques clichés de ce camp isolé ont échappé à la censure. Sur l'un d'entre eux, un Algérien tient à peine sur ses jambes aux côtés de cinq jeunes soldats, une pelle à la main, qui sourient. Jacques est l'un d'eux. En arrière-plan, on distingue une cabane en troncs et ciment. «C'est ici qu'ils torturaient les Algériens, explique-t-il. Moi, au début, je les appelais "les partisans", et puis j'ai vite compris qu'il fallait que j'arrête. » Pendant des mois, la bière est le seul «divertissement» de jeunes soldats qui s'interrogent encore sur ces étranges opérations de «pacification». «On a vite compris de quoi il s'agissait. Il y avait des volontaires pour la torture. Certains ne se faisaient pas prier. Moi, j'ai refusé. Mon capitaine n'a pas insisté», assure-t-il. Mais il a vu, aux premières loges, le conditionnement, puis l'engrenage de la violence, individuelle et collective.

« Un trou était creusé dans le sol du camp, où les prisonniers étaient détenus entre deux séances de torture, raconte-t-il. Ils ne repartaient jamais vivants. C'était le principe. Les soldats ne se rendaient pas compte de l'horreur de ces exactions. On était conditionnés, mais nous ne réagissions pas tous de la même manière. J'ai vu des choses horribles que je n'ai jamais oubliées : la gégène, mais bien pire encore. » Dans cette guerre de renseignements, les appelés ont très vite été encouragés à commettre des exécutions sommaires et des actes de torture, avec le sentiment d'obéir à des ordres et donc de servir leur pays. Dès le début, non seulement les gouvernements savaient, mais couvraient et légiféraient.

«À MON RETOUR D'ALGÉRIE, UN COPAIN M'A DEMANDÉ COMMENT C'ÉTAIT ? J'AI COMMENCÉ À LUI PARLER DE LA GÉGÈNE ET DU RESTE. IL NE M'A PAS CRU. APRÈS J'AI ESSAYÉ D'OUBLIER.»

« Une scène m'a longtemps hanté, confie-t-il avec émotion. Un petit Kabyle de 1415 ans n'avait pas été jeté dans la fosse avec les autres Algériens. Les soldats français pensaient que ce gamin allait les aider à faire parler les autres. Mais il était devenu trop encombrant. Un jour, on part en patrouille et le capitaine l'emmène avec nous. Il s'arrête au milieu de la route et lui dit qu'il peut partir. Le petit refuse d'abord, comme s'il sentait quelque chose... et puis, il s'est enfui en courant. Ils lui ont tiré dessus avec un fusil-mitrailleur. Il a pris des rafales, est tombé à terre. Il n'était pas mort. Je revois cette scène comme si c'était hier. Le capitaine a dit aux gars : achevez-le ! Et là, j'ai vu des sauvages, ils s'y sont mis à plusieurs. Et encore, c'étaient des gars du contingent, donc vous imaginez les paras... Ils lui ont éclaté la cervelle. C'était une scène d'horreur. Je me souviens de ses grands yeux clairs qui regardaient vers le ciel... Des sauvages... »

« LÀ-BAS, LES GARS DEVENAIENT COMME DES ANIMAUX »

Déserter? «C'était impossible! Chaque soir, j'appréhendais ce qu'on allait me demander de faire le lendemain. Comme les Algériens ne sortaient jamais vivants du camp, il fallait, pour l'armée, se débarrasser des corps. On m'a donc demandé de les charger dans un GMC (véhicule de l'armée), bâché, et on devait les abandonner devant les fermes. Je ne sais pas ce que les habitants en faisaient, une fois qu'ils les trouvaient, ils devaient les enterrer sur place. Moi, je voulais du respect pour les morts. Certains osaient même fouiller les corps pour trouver trois pièces. Là-bas, les gars devenaient comme des animaux.»

Si Jacques ne songe pas à la désertion, il fait valoir une blessure au genou et finit par être muté à la compagnie de commandement pour l'entretien des véhicules dans la ville de Fondouk. C'est ici que, un après-midi du mois d'août, un adjudant de la compagnie lui demande de bâcher un camion: «Un lieutenant va venir et tu te mettras à son service. Et tu feras TOUT ce qu'il te dira.» Le lendemain matin, le temps est brumeux et le ciel bas quand un homme « au physique athlétique » s'avance vers lui, habillé d'un pantalon de civil mais arborant un blouson militaire et un béret vissé sur la tête. C'était un parachutiste. «On va accomplir une mission secret-défense, me dit le gars. Il me demande si je suis habile pour faire des marches arrière. Puis, si j'ai déjà vu des morts. Puis, si j'en ai touché, etc. » « Malheureusement oui», relate l'ancien appelé. «C'est bien», lui répond le para, qui le guide pour sortir de Fondouk et lui demande de s'arrêter devant une ferme. «Est-ce que tu as des gants? Tu en auras besoin...» Jacques s'arrête à sa demande devant l'immense portail d'une ferme assez cossue qui semble abandonnée. Il plisse les yeux pour en décrire le moindre détail qui permettrait aujourd'hui de l'identifier. «Descends et viens m'aider !» lui lance le para, dont il apprendra l'identité bien plus tard: il s'agirait de Gérard Garcet (lire l'Humanité du 14 janvier 2014), choisi par le sinistre général Aussaresses pour recruter les parachutistes chargés des basses besognes. Le même qui fut, plus tard, désigné par ses supérieurs comme l'assassin de Maurice Audin...

« ON LES A PASSÉS À LA LAMPE À SOUDER POUR QU'ILS NE SOIENT PAS IDENTIFIÉS »

Le tortionnaire ouvre une cabane fermée à clé, dans laquelle deux cadavres enroulés dans des draps sont cachés sous la paille. « J'ai d'abord l'impression de loin que ce sont des Africains. Ils sont tout noirs, comme du charbon », se souvient Jacques, à qui Gérard Garcet raconte, fièrement, les détails sordides : « On les a passés à la lampe à souder. On a insisté sur les pieds et les mains pour éviter qu'on puisse les identifier. Ces gars qu'on tient au chaud depuis un bout de temps, il faut maintenant qu'on s'en débarrasse. C'est une grosse prise. Il ne faut jamais que leurs corps soient retrouvés. » « C'est des gens importants ? » lui demande le jeune appelé. « Oui, c'est le frère de Ben Bella et l'autre, une saloperie de communiste. Il faut les faire disparaître. » Un sinistre dialogue que Jacques relate des sanglots dans la voix. C'est qu'il est aujourd'hui certain qu'il s'agissait bien de Maurice Audin. Quant à l'autre corps, il est impossible qu'il s'agisse d'un membre de la famille d'Ahmed Ben Bella, l'un des chefs historiques et initiateurs du Front de libération nationale (FLN). Sans doute un dirigeant du FLN, proche de Ben Bella... À moins que Garcet n'ait affabulé ? « Je ne crois vraiment pas. Vous savez, ces hommeslà, ils se croyaient dans leur bon droit. »

« Après les avoir enterrés, on a repris la route au nord du barrage du Hamid, poursuit-il. Je ne disais pas un mot. Après vingt minutes de trajet environ, on s'est arrêtés devant un portail. Il n'était pas cadenassé, celui-là. Ça m'a étonné. Au milieu de la ferme, il y avait une sorte de cabane sans toit avec des paravents, comme un enclos entouré de bâches. Il m'a demandé d'attendre. Quand il a ouvert la bâche : quatre civils algériens avaient les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Ils leur avaient fait creuser un énorme trou, qui faisait au moins 4 mètres de profondeur. Dans le fond, j'ai aperçu des seaux, des pioches et une échelle. Il m'a demandé de recouvrir les deux cadavres. Ce que j'ai fait. D'abord il m'a félicité. Puis, me dit de n'en parler à personne, que j'aurais de gros ennuis si je parle. Et ma famille aussi. Il me menace.

On est rentrés à Fondouk et il me demande de le déposer devant les halles du marché. »

INCITER LES DERNIERS TÉMOINS À PARLER

Et puis, Jacques a oublié, pour continuer à vivre. Comme toute une génération marquée à vie, murée dans le silence et la honte, il n'a pas parlé. Ni de cette nuit-là, ni du reste. Dans la Question, Henri Alleg relate un dialogue avec ses bourreaux à qu'il dit, épuisé par la torture : «On saura comment je suis mort.» Le tortionnaire lui réplique: «Non, personne n'en saura rien. » « Si, répondit Henri Alleg, tout se sait toujours...»

La recherche de la vérité, entamée à Alger par Josette Audin et relayée en France, n'est toujours pas terminée, plus de soixante ans après les faits. Le récit de Jacques permettrat-il de recoller certains morceaux du puzzle? Et d'inciter les derniers témoins à parler? Si son témoignage, qui a été transmis à la famille Audin, ne fait pas de doute sur sa sincérité et que le faisceau de coïncidences est troublant, il n'existe qu'une chance infime pour qu'il s'agisse bien de Maurice Audin. «Comme dans toutes les disparitions, l'absence du corps de la victime empêche d'y mettre un point final et rend impossible la cicatrisation des plaies de ceux que la disparition a fait souffrir», explique Sylvie Thénault. Pour l'historienne (2), qui a travaillé avec la famille Audin, ce témoignage, comme les révélations qui ont émergé dans les années 2011-2014, ont des fragilités inhérentes à leur caractère tardif. «Mais il est possible d'imaginer qu'un jour un document émerge, contenant un élément nouveau qui, telle une pièce manquante à un puzzle, viendrait conforter l'une ou l'autre des hypothèses envisageables, voire en prouver une au détriment des autres.» Peut-être que, comme l'affirmait Benjamin Stora dans la Gangrène et l'oubli, l'écriture de l'histoire de la guerre d'Algérie ne fait que re-commencer.

(1) Le témoin a souhaité garder l'anonymat mais « se tient à la disposition de la famille Audin ».

(2) « La disparition de Maurice Audin. Les historiens à l'épreuve d'une enquête impossible (1957-2004) », Histoire@Politique. Sylvie Thénault. Lire aussi de la même auteure, Histoire de la guerre d'indépendance algérienne, Flammarion. 2005

 

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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 15:18
Annick Louët, à gauche, avec son mari Vincent et Félicia Le Guillou, médecin du 2e Bataillon Stalingrad, en 1944

Annick Louët, à gauche, avec son mari Vincent et Félicia Le Guillou, médecin du 2e Bataillon Stalingrad, en 1944

La Quimpéroise Annick Louët vient de décéder à l'âge de 99 ans. Cette ancienne résistante fut agent de liaison du Bataillon Stalingrad et Croix de guerre avec étoile de bronze. Annick Louët naquit en 1919 à Leuhan. Après avoir été garde-malade chez une tante au Havre, elle s'installa à Quimper où elle exerça comme employée de commerce. Son nom est associé à celui du 2e Bataillon Stalingrad, créé en juillet 1944 dans le secteur de Spézet-Saint-Goazec-Leuhan.

Bernard Le Guillou, qui travaille sur cette histoire, donne quelques précisions. Ce bataillon libéra, début août 1944, le Centre-Finistère et participa à la libération du Menez-Hom (1e r septembre) et de la presqu'île de Crozon (19 septembre 1944). Le 2e Bataillon Stalingrad était commandé par Auguste Le Guillou (FTPF) et Marcel Siche (SOE parachuté par Londres).

Annick et son mari Vincent participèrent au 2e Bataillon Stalingrad, elle en tant qu'agent de liaison et lui comme intendant, un poste important car il fallait nourrir 650 hommes et quelques femmes. Agent de liaison était un poste particulièrement exposé car, lors de leurs déplacements (souvent à pied ou à vélo) dans tout le Finistère, ils ne manquaient pas de rencontrer des patrouilles allemandes. Chaque agent avait sa cachette pour les messages. Annick utilisait son abondante chevelure, alors que les Allemands inspectaient le vélo ou les ourlets du manteau. Au cours des mois d'août et septembre vécus à Châteaulin, Annick se lia d'amitié avec Félicia Le Guillou, médecin du 2e Bataillon Stalingrad.

Après la guerre, Annick travailla dans plusieurs commerces à Quimper, dont le célèbre hôtel Pascal, à la gare. Les propriétaires de cette table renommée assurèrent le repas du Général de Gaulle de passage en 1969. Ce fut Annick qui fit le service à la préfecture, ce qui lui valut les félicitations du Président de la République pour son action dans la Résistance.
 

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 10:03
ll y a aujourd'hui 28 ans, après 27 ans 6 mois et 6 jours d'emprisonnement, Nelson Mandela était libéré. Ici avec Joe Slovo président du Parti communiste sud-africain (SACP) et Winnie Mandela (photo Page Facebook de Philippe Bouvier) ​​​​

ll y a aujourd'hui 28 ans, après 27 ans 6 mois et 6 jours d'emprisonnement, Nelson Mandela était libéré. Ici avec Joe Slovo président du Parti communiste sud-africain (SACP) et Winnie Mandela (photo Page Facebook de Philippe Bouvier) ​​​​

Mandela et Castro

Mandela et Castro

11 février 1990 : Libération de Nelson Mandéla
Il y a vingt sept ans, Nelson Mandela, le leader du Congrès national africain (ANC), symbole de la lutte contre le pouvoir ségrégationniste blanc, sortait enfin libre du bagne de Robben Island. 
Le 15 octobre 1989, sept compagnons de Nelson Mandela emprisonnés avec lui dans le sinistre bagne de Robben Island, au large de la ville du Cap, sont libérés par le pouvoir de l'apartheid. « Je savais que je n'aurai plus longtemps à attendre'», écrit Mandela dans son autobiographie, Un long chemin vers la liberté. De fait, le 11 février 1990, il y a vingt ans jour pour jour, le leader du Congrès national africain (ANC), symbole de la lutte contre le pouvoir ségrégationniste blanc, sort de sa prison.

Une libération fêtée dans le monde entier par tous ceux qui se sont mobilisés depuis des années parce que c'est la première grande victoire contre ce régime honni, soutenu presque jusqu'au bout par les «démocraties occidentales».

Lui dont on ne connaissait que quelques photos réalisées dans les années cinquante, alors qu'il n'avait que la quarantaine, stupéfait le monde entier, ému, avec sa chevelure grisonnante. Mais avec le recul, ce qui a sans doute le plus surpris lorsqu'on l'a vu avec, à ses côtés, celle qui était encore son épouse, Winnie, c'est la dignité de cet homme que le pouvoir blanc ne voulait pas seulement faire plier: il voulait le briser. Il n'y parviendra pas. En avril 1964, déjà emprisonné (il a été arrêté le 5 août 1962), devant ses juges qui le condamneront à la perpétuité,

Mandela déclare : « J'ai combattu la domination blanche, j'ai combattu la domination noire. J'ai chéri l'idée d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et atteindre. Mais s'il en était besoin, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

Nelson Mandela est décédé le 5 décembre 2013.

Robert Clément

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 10:00
Le comité de grève de 1924, avec au centre, au premier rang, le maire de Douarnenez, Daniel Le Flanchec. Photo DR

Le comité de grève de 1924, avec au centre, au premier rang, le maire de Douarnenez, Daniel Le Flanchec. Photo DR

Anarchiste issu d’une famille catholique, fondateur du Parti communiste dans le Finistère avant de s’en faire exclure, ancien marin, tatoué et borgne, Daniel Le Flanchec a été maire de Douarnenez pendant quinze ans. Si ce personnage controversé est tombé dans l’oubli, il fut pourtant l’un des hommes politiques bretons les plus marquants de l’entre-deux-guerres.

« Daniel Le Flanchec sent le soufre, écrit Jean-Michel Le Boulanger, dès la première phrase de la biographie qu’il consacre à l’ancien maire de Douarnenez. Il laisse en cette ville des souvenirs tellement contrastés qu’ils en deviennent suspects. Héros pour certains, salopard pour d’autres, l’évocation de son nom soulève, trop souvent, des silences gênés ». 

Il reste, en effet, peu de traces aujourd’hui de ce personnage atypique. Né le 2 juillet 1881, à Trédrez, près de Lannion dans les Côtes-du-Nord, Daniel Le Flanchec est le fils d’un menuisier et d’une mère fileuse. Ses parents sont très croyants, son père occupe même le poste de sacristain dans la paroisse de Landerneau, où le couple et ses neuf enfants déménagent quelques mois après sa naissance.

 La mort n’épargne pas la famille catholique : Daniel perd quatre de ses frères et sœurs, ainsi que son père alors qu’il n’a que huit ans. Profondément marqué, il s’éloigne peu à peu de son éducation catholique. Après l’obtention de son certificat d’études, il devient apprenti charpentier et s’enrôle dans la Marine en 1899. À 18 ans, le voilà engagé volontaire pour cinq ans : il embarque sur les navires militaires et vogue vers la mer de Chine, pour participer à la guerre des Boxeurs.

Naissance d’un anarchiste

Entre deux campagnes, il fréquente les bistrots de la rue de Siam à Brest, où il perçoit l’effervescence de nouvelles idées socialistes et anarchistes. Il assiste même à un meeting du député du Tarn, un certain Jean Jaurès. Se forgeant une conscience politique, il est de plus en plus réfractaire à l’ordre militaire, et termine son engagement au mitard pour insubordination. 

 

Rendu à la vie civile, le corps marqué par de nombreux tatouages, dont le symbole, sur chaque main, signifiant « mort aux vaches », il se marie en 1904 avec la fille d’un cheminot normand. Le couple s’installe à Brest en 1907, date à laquelle Daniel Le Flanchec perd un œil, dans des circonstances inconnues. Employé de mairie, le Breton est considéré comme un agitateur et un révolutionnaire par les services de la Sûreté. Il participe, en effet, à de nombreuses manifestations politiques où il fait entendre sa voix gouailleuse. Il écrit aussi dans des revues anarchistes et prend le parti de la bande à Bonnot, un groupe de braqueurs anarchistes qui défraie la chronique au début des années 1910.

Fondateur du PCF dans le Finistère 

Durant la Première Guerre mondiale, Le Flanchec est réformé, du fait de son œil crevé. Profondément antimilitariste, il devient militant socialiste et défend la révolution bolchévique. En 1919, à 39 ans, il divorce et se remarie avec une jeune veuve. Un an plus tard, le militant parcourt le Léon pour appeler à l’adhésion du Parti socialiste à la Troisième Internationale et le brillant orateur, capable de transcender le public, se fait peu à peu un nom. Il est d’ailleurs présent au congrès de Tours, en décembre 1920, qui voit la scission des socialistes et la naissance du Parti communiste français. 

Daniel Le Flanchec devient même le secrétaire fédéral du PCF pour le Finistère, et se présente aux élections. Il est élu maire de Douarnenez en 1924, à l’âge de 43 ans. La fin de cette année-là est marquée par les grandes grèves dans les usines de conserves. Les ouvriers, qui vivent dans la misère, dénoncent des salaires trop bas. Le conflit s’envenime et de multiples manifestations sont organisées. Le nouveau maire y participe, il est un soutien indéfectible des sardinières et fait parler du conflit jusqu’à Paris, où des souscriptions sont organisées en faveur des grévistes. Le Flanchec devient l’un des personnages incontournables du mouvement ; il accueille de nombreux députés venus soutenir la cause des ouvriers douarnenistes.

Le héros du peuple 

Début janvier 1925, alors que le combat est sur le point d’être gagné, un « Jaune » à la solde des patrons d’usines tire sur Le Flanchec. Touché à la gorge, il s’en sort miraculeusement, ce qui renforce encore sa popularité. Il devient le héros des classes opprimées, et des chansons à sa gloire fleurissent dans les ports finistériens et dans tout l’Hexagone. Après cet épisode, Le Flanchec prend à cœur son rôle de maire. Finie la contestation, il devient gestionnaire et lance une politique de grands travaux à Douarnenez. Il fait construire de nombreux logements pour les sans-abri, développe le pavage des rues et l’éclairage public, dote la ville d’une nouvelle mairie et d’une salle des fêtes et lance le chantier d’agrandissement du port. Un programme qui plaît à ses administrés, qui le rééliront largement trois fois de suite, entre 1924 et 1940.

 

Une fin tragique

Adulé par les siens, Daniel Le Flanchec commence à déranger les instances nationales du PCF (Parti communiste français). Dès 1930, il en est exclu temporairement. Certains de ses «camarades» dénoncent son clientélisme auprès des marins-pêcheurs et son affairisme. Pire, il n’applique pas à la lettre la politique du parti, ce qui fait grincer des dents à Paris. Mais c’est sa vie privée qui gène le plus. Depuis quelques mois, le maire de Douarnenez fréquente une comtesse, peu de temps après la mort de sa seconde épouse. La belle dame, brestoise d’origine, ex-religieuse et veuve du comte Morice du Lérain, est propriétaire d’un établissement de repos à Roscoff. Le couple détonne dans les rues de Douarnenez, et la femme a une forte influence sur son amant. 

En 1936, alors que les idées du Front Populaire gagnent l’Hexagone, Le Flanchec autorise la tenue d’un meeting du PSF, un parti d’extrême droite ! Le Breton ne cache pas non plus son amitié avec un autre paria du Parti communiste: Jacques Doriot, ce qui entraîne son exclusion définitive en 1937. Des élections municipales anticipées sont organisées, auxquelles il se présente avec le soutien de la droite, ce qui ne l’empêche pas d’être réélu une nouvelle fois. En 1940, alors que l’armée allemande envahit la Bretagne, il refuse, par bravade, d’enlever le drapeau français du toit de l’hôtel de ville, un acte qui entraîne sa destitution, le 29 juin 1940. Contrairement à Doriot, qui se fourvoie dans la collaboration, Le Flanchec supporte mal l’occupation. En décembre 1941, il insulte des soldats allemands, croisés dans un bar. L’accident aurait pu en rester là si sa compagne n’avait pas tout fait pour l’éliminer: lassée de son Dany, celle-ci cherche à s’en débarrasser en le dénonçant pour détention d’arme. Il est arrêté et condamné à deux ans de prison, avant d’être déporté à Buchenwald en tant que militant communiste. Il y meurt le 11 mars 1944, d’une pneumonie. 

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 09:26
Fernand Yveton

Fernand Yveton

On oublie pas : Au petit matin du 11 février 1957, Fernand Iveton est guillotiné, exécuté à la prison Barberousse à Alger, en même temps que les deux autres patriotes algériens Mohamed Ounnouri et Ahmed Lakhnache.

"Fernand Iveton est né à Alger le 12 juin 1926. Il a un peu plus de trente ans quand il est guillotiné le 11 février 1957 à la prison de Barberousse d’Alger.

Le père, Pascal, enfant recueilli par l’Assistance Publique avait reçu le nom patronymique d’Iveton. Pascal vécut dans un quartier populaire d’Alger, le Clos Salembier (aujourd’hui El Madania). Communiste et syndicaliste, Pascal Iveton fut révoqué sous le régime de Vichy de son emploi à Électricité et Gaz d’Algérie (EG.A.).

Fernand, son fils, suivit son exemple en devenant employé de l’usine à gaz d’El-Hamma au Ruisseau. En 1943, il adhère à la section de la Redoute (un quartier proche du Clos Salembier) des jeunesses communistes. Il milite aux côtés d’Henri Maillot et Ahmed Akkache au sein de cette section. Quand L’Union de la Jeunesse Communiste Algérienne est dissoute pour faire place à l’Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne qui rassemblera dans ses rangs des jeunes communistes et nationalistes et d’autres patriotes, Fernand Iveton rejoindra le cercle de la redoute de l’UJDA. Il militera également au sein des syndicats d’Algérie affiliés à la CGT de France (Confédération Générale du Travail) puis à l’UGSA (Union Générale des Syndicats Algériens) organisation syndicale algérienne qui demeurera affiliée à la CGT. Il sera désigné par les travailleurs de l’usine à gaz du Hamma comme délégué syndical.

En 1953, il épouse Hélène Ksiazek, une Polonaise émigrée en France, qu’il connut lors de l’un de ses séjours en région Parisienne. Son épouse le rejoint et ils s’installeront au Clos Salembier.

En juin 1955 il s’intègre dans les groupes armés des Combattants de la Libération au côté de Abdelkader Guerroudj, Félix Collosi, Mohamed Hachelaf, Yahia Briki, Georges Accampora et d’autres camarades communistes.

Après l’Accord FLN-PCA les Combattants de la Libération sont intégrés dans l’ALN-FLN, il fera partie du commando du Grand Alger. Après avoir participé à plusieurs actions (sabotages de wagons sur le port, incendie des Bouchonneries Internationales) il sera chargé de placer une bombe à l’usine à gaz du Hamma. Elle est déposée le 14 novembre 1956. Mais tout prouve qu’il a pris toutes ses précautions pour que la bombe ne cause que des dommages matériels. À ce propos Pierre Vidal-Naquet écrit dans sa préface à l’ouvrage de jean Luc-Einaudi « Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton. Enquête » ce qui suit : « Iveton ne voulait pas d’une explosion-meurtre. Il voulait une explosion témoignage. »

Dans son ouvrage « Des douars et des Prisons » Jacqueline Guerroudj qui lui a apporté la bombe fabriquée par Abderahmane Taleb et Daniel Timsit raconte qu’elle était chargée de lui donner deux bombes. Le 25 novembre 1956, onze jours seulement après son arrestation il est passé devant le tribunal. « Dans une atmosphère de pogrom » est-il écrit dans « La guerre d’Algérie » tome 2, page 364 (ouvrage sous la direction d’Henri Alleg).

Il est condamné à mort au cours d’une parodie de procès « dans un prétoire où montaient des cris de haine et de mort ».

Le ministre français de la Justice de l’époque, François Mitterrand, et le président de la République Française refuseront de le gracier après la demande introduite par ses avocats. Le 11 février 1957 au petit matin il sera guillotiné en même temps que deux autres patriotes algériens. « Fernand Iveton, Mohammed Ouennouri et Ahmed Lakhnèche marchent courageusement au supplice. Les 3 hommes s’embrassent et clament « Vive l’Algérie libre ! » au pied de la guillotine tandis que, de la prison tout entière, s’élève un grand cri de solidarité, de colère, d’espérance. Les détenus politiques pleurent, entonnent des chants patriotiques, ébranlent de leurs poings les portes des cellules. »

Dans sa dernière lettre à son avocat Joe Nordmann, Iveton déclare : « Pour moi, seuls la lutte de notre peuple et l’appui désintéressé du peuple Français sont les gages de notre libération. » William Sportisse

(Lu sur la page Facebook de Philippe Bouvier)

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28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 08:28
Mort de la cotisation sociale, fin de la sécurité sociale: un livre pour comprendre les enjeux de la Secu, la lutter et la conserver, par Michel Etiévebt

2018 Fin de la cotisation sociale, mort de la sécurité sociale…, )

UN LIVRE POUR COMPRENDRE LES ENJEUX DE LA SECU ET LUTTER POUR LA CONSERVER; MICHEL ETIEVENT

Il est à craindre que les français ne soient pas conscients de ce qu'ils sont en train de perdre avec les attaques violentes contre la sécurité sociale. Ce formidable projet de société, imposé par le peuple français à la libération et qui, selon Ambroise Croizat, le bâtisseur, devait « mettre fin à l'obsession de la misère et aux incertitudes du lendemain" est aujourd’hui en passe de s’effondrer sous les coups de boutoir du gouvernement contre ce qui fait son fondement solidaire : la cotisation sociale. Au fil des 70 ans qui nous séparent de sa création, un continuum acharné de mesures de dégradation et de plans de casse successifs n’a cessé de mettre à mal une institution devenue pierre angulaire de notre identité sociale. Dès sa conception en effet, droite, patrons, médecins libéraux, lobbyings privés de tous ordres, ont peu à peu sapé les principes fondateurs de l’institution. A ces oppositions, un moment tues par le rapport de force de l’époque, s’est ajoutée une avalanche de réformes passant par les ordonnances gaulliennes de 1967 qui ont fait basculer sa gestion dans les mains du patronat, les plans Barre de 1980 libérant les honoraires, les mesures Fabius ouvrant aux complémentaires santé la gestion de la protection sociale, l’impôt CSG de Rocard l’étatisant progressivement. Viendront ensuite les mesures Georgina Dufoix imposant forfait hospitalier et déremboursements , les lois Veil Balladur de1993 à 1995 allongeant la durée de cotisation à 40 ans et accélérant la fermeture des hôpitaux, les plans Chirac Raffarin attentant aux retraites, les lois Jospin de 2001 imposant les règles assurantielles et les normes européennes aux mutuelles. Sans oublier les lois Douste Blazy de 2004 qui videront les conseils d’administration de leurs pouvoirs en chapeautant la sécurité sociale par la création de l’Uncam directement nommée par l’état. N’oublions pas enfin l’instauration de la T2A en 2005, les lois Bachelot de 2009 confiant la gestion de la protection sociale aux « préfets sanitaires » des ARS. En imposant l’obligation de mutualité d’entreprise, l’ANI 2013 accélérera un peu plus la voie de la privatisation, 
Si la destruction affichée de la cotisation sociale par le gouvernement Macron, n’est pas récente, elle est aujourd’hui ouvertement frontale . Le rêve du patronat devenu une arme de gouvernement néo libéral. Il importe de rappeler la quadruple peine qu’elle impose aux bénéficiaires. Elle est tout d’abord une amputation directe du salaire dont la cotisation est partie intégrante. C’est un « salaire socialisé » fondé sur les richesses créées dans l’entreprise. La seule création de richesse qui va directement du cotisant vers le bien être des gens afin de faire face aux aléas de la vie sans passer par la poche des actionnaires. Si le salaire net c’est pour le quotidien du mois, le salaire brut c’est pour la vie. La seconde peine réside dans la destination même de cette « économie » patronale. Elle n’ira ni vers l’emploi, ni l’investissement mais servira comme le gouvernement l’annonce à « restaurer » ou à augmenter les marges patronales et à gonfler les poches des actionnaires. (80% des profits patronaux terminent leur course dans la poche des actionnaires). A cette atteinte aux salaires, s’ajoute la troisième peine : la hausse de la CSG qui alourdit la feuille d‘impôt et plus gravement encore fiscalise et étatise un peu plus encore la sécurité sociale. ( Depuis 1995 la part de la fiscalisation dans le financement de la sécu est passé de 4, 9 à 28 % tandis que la part de la cotisation sociale tombe de 86,8 à 67,3 %) Imagine-t-on ce que pourrait devenir une sécurité sociale entièrement abandonnée aux mains de l’état ? il lui suffira de dire on ne peut plus payer et une seule ordonnance à l’image de ce qu’a vécu l’Espagne pourrait engendrer coupes sombres et surtout privatisation immédiate.. La quatrième peine est encore plus lourde. Par la fin du grand principe de solidarité, la mort de la cotisation sociale n’est rien d‘autre que la mort de la sécu. Une coquille vide prête à être livrée par l’état au privé, aux assurances santé inégalitaires et coûteuses. La fin du droit de vivre dignement…
Michel Etiévent 
Historien, biographe d’Ambroise Croizat

Mort de la cotisation sociale, fin de la sécurité sociale: un livre pour comprendre les enjeux de la Secu, la lutter et la conserver, par Michel Etiévebt

Un article que j'ai écrit en 2013...

Qui se souvient de Ambroise Croizat?... - par Ismaël Dupont, à partir de la lecture du livre de Michel Etiévent

Quel média, quel éditorialiste, quel intellectuel médiatique aborde l'œuvre révolutionnaire et néanmoins si proche de nous de ce député communiste ouvrier, fils du peuple, que la République capitularde, puis Vichy, firent croupir dans leurs prisons abjectes, à Paris puis en Algérie, avant qu'il ne soit libéré en 1943 et ne contribue à mettre en place les bases de la démocratie sociale à la française au sortir de la guerre, après avoir été un des contributeurs du programme du CNR: « Les jours heureux ».

Le devoir de mémoire, on s'y astreint volontiers quand il s'agit de remuer les plaies avec une certaine complaisance voyeuriste ou sensationnaliste, de confronter l'homme et la nation à leurs limites, à leurs souffrances passées, à leurs puissances de destruction et de division, mais surtout, se disent les gardiens de la mémoire, petits ou grands bourgeois serviteurs du système qui se conçoivent aussi souvent comme des gardiens du troupeau, n'allons pas montrer, en faisant revivre des figures héroïques et populaires de la conquête sociale, que la volonté du peuple a su être souveraine, que le progrès social rapide et réel, facteur d'émancipation immédiate des travailleurs, ont pu être d'actualité.

On efface les traces ...

Les traces de la fierté et de la combativité ouvrière, de la République sociale et de la contribution décisive qu'y ont apporté les luttes des travailleurs et des communistes admirablement dévoués, intelligents et rassembleurs, formés par l'expérience de l'injustice sociale, les combats ouvriers, les jours lyriques du Front Populaire, la répression sans pitié d'une droite revancharde et collaboratrice, la Résistance et l'espérance d'un monde meilleur.

L'historien Michel Etiévent, universitaire de Grenoble qui a collaboré récemment au film « Les jours heureux » de Gilles Peret, nous permet de découvrir ce si noble modèle d'humanité et d'action politique au service du peuple dans une biographie magnifiquement illustrée qui fait la part belle aux dits et écrits de Croizat et de ses compagnons, Ambroise Croizat ou l'invention sociale (Editions GAP, 20€).

J'ai rencontré Michel Etiévent à la fête de l'Humanité Bretagne de Lanester et nous espérons pouvoir l'inviter à venir parler à Morlaix au printemps prochain d'Ambroise Croizat et de ses réalisations comme député, négociateur du programme du CNR, ministre du Travail de la Libération.

Les éléments d'information qui suivent sont tous empruntés au livre de Michel Etiévent dont on ne saurait trop recommander l'achat et la lecture. 

Ambroise Croizat est né en 1901 dans la vallée de la Tarentaise, en Savoie.

Son père, originaire de Chambéry, est ferblantier dans la métallurgie et « travaille douze heures par jour, face à l'éclat des fours, sept jours sur sept (la loi sur l'attribution du congé hebdomadaire ne date que du 13 juillet 1906), le visage et les mains brûlés par les ébarbures de métal en fusion ». Ils travaillent d'abord à Notre-Dame de Briançon et vivent dans une maisonnette de deux pièces bien exigües pour une famille de cinq, mais c'était le lot commun du peuple à l'époque. En 1906, son père, ayant récemment adhéré au Parti Ouvrier Français et à la CGT est un des meneurs d'une grande grève organisée après un accident de travail ayant causé la mort de huit ouvriers. Il est licencié et doit embaucher à Ugine, dans une autre usine, dont il sera à nouveau chassé pour activités syndicales.

Ambroise commence à travailler à treize ans comme apprenti ajusteur-outilleur dans une usine de Lyon. A 19 ans, au sortir de la guerre, il adhère à la Jeunesse socialiste qui rejoint la IIIème Internationale et prend vite des responsabilités dans le Syndicat CGTU des Métaux. Dans les années 1920, Ambroise Croizat milite contre le militarisme, pour une paix plus juste avec l'Allemagne, contre le colonialisme et la guerre du Rif au Maroc, quand Pétain et Franco s'associent pour éliminer les insurgés dans les montagnes du Nord du Maroc. En 1926, il devient permanent du PCF à Paris, puis secrétaire général de la Fédération CGTU des métaux, pour laquelle il organise des grèves partout en France pour les salaires, la réduction du temps de travail, contre le chômage. En 1934, le PCF et la CGTU lancent une stratégie de Front Populaire face à la montée de la menace fasciste et la tentative de coup d'état du 6 février 1934. Les mots d'ordre de la gauche unifiés sont « Pain, Paix, Liberté ». L'unité de la CGT sera finalement réalisée le 1er mars 1936, deux mois avant l'arrivée du Front Populaire au pouvoir. Aux élections législatives du 28 avril 1936, Croizat devance le candidat socialiste sortant de 900 voix environ dans la circonscription de Plaisance, 14e arrondissement de Paris puis il est élu député avec trois mille voix d'avance sur le candidat de droite.

« Devant la porte de l'usine,

Le travailleur soudain s'arrête.

Le beau temps l'a tiré par la veste,

Et comme il se retourne

Et regarde le soleil,

Tout rouge, tout rond,

Souriant sous un ciel de plomb,

Il cligne de l'œil

Familièrement:

Dis-donc camarade soleil,

Tu ne trouves pas

Que c'est plutôt con

De donner une journée pareille

A un patron? »

A l'image de ces Paroles de Jacques Prévert, l'été 1936 est lumineux. Dès la victoire du Front Populaire, un vaste mouvement de grèves avec occupations d'usines traverse la France. Le but est autant d'aider le gouvernement face au patronat que de le pousser à entreprendre les profondes réformes réclamées depuis longtemps par la classe ouvrière. Tout commence à l'usine Bréguet-Le Havre, une usine de construction d'avions, le 9 mai, à l'initiative des métallos. Croizat est présent sur place. Il encourage le mouvement qui s'étend à l'ensemble de la métallurgie: dès le 14 mai, les ouvriers de Block à Courbevoie, de Lavalette à Saint-Ouen, d'Hochkiss à Levallois prennent en main leurs usines. Les 33 000 travailleurs de Renault à Billancourt les rejoignent le 28 mai. Le mouvement s'étend aux grands magasins pour paralyser, fin mai, la France entière. Partout, on prend possession des ateliers. On y entretient l'outil, on y découvre les loisirs et la culture. Le 7 juin s'ouvrent les discussions qui aboutiront aux Accords de Matignon qui donneront à la classe ouvrière les congés payés, les 40 heures, les conventions collectives, le libre exercice du droit syndical.. Dans les entreprises, les salaires augmentent de 15 à 40%, doublent parfois. Une énorme flambée syndicale accompagne le mouvement. Le 25 novembre 1936, à la tribune du Congrès d'unité de la Fédération des métaux, Croizat dresse un premier bilan: « En mars dernier, nous étions 40 000, en juin 100 000, aujourd'hui 700 000, repartis en 725 syndicats. A Lyon, de 1000 adhérents en trois syndicaux lors de l'unité, le syndicat unifié enregistre aujourd'hui 25 000 cartes. Marseille passe de 600 à 15 000 adhérents, Bordeaux de 300 à 10 000, dans le Haut Rhin, 97% des ouvriers se sont syndiqués. Partout, les métallos ont été à la pointe du mouvement et s'enorgueillissent aujourd'hui de l'avoir déclenché. La France vit de belles heures. Jamais de son histoire, le mouvement ouvrier n'aura connu de telles conquêtes. En un mois a té réalisé ce que trente législatures n'étaient jamais parvenues à accomplir. Le patronat a cédé mais restons vigilants. Tout reste à faire. Dans chaque secteur, chaque entreprise, il faut maintenant défendre et faire germer les acquis obtenus. Tout dépendra du syndicat, de sa puissance. Tout dépendra de nous, et de nous seuls...  ».

Depuis mai 1936, Croizat siège à la « Commission spéciale » du gouvernement qui a été chargée d'élaborer les réformes et veille à leur application sur le terrain. En 1937, il inaugure des maisons de repas, des parcs de loisirs, des colonies de vacances pour la classe ouvrière. Mais dès février 1937, le gouvernement, sous la pression du patronat, décide d'une pause dans les réformes. La guerre civile en Espagne, et le refus de Blum et du gouvernement, sous la pression anglaise notamment, de venir en aide à la République assiégée par les fascistes, éloigne les communistes de leurs alliés socialistes et radicaux. Le 12 novembre 1938, le gouvernement Daladier publie une série de décrets-lois qui instaurent la baisse des salaires, déjà fortement grignotés par l'inflation (50% en 2 ans), des impôts nouveaux et surtout la fin de la semaine des 40 heures, qualifiée pour l'occasion de « loi de paresse et de trahison nationale ». Entre ces parlementaires qui vont remettre la République dans les mains de Vichy et l'UMP actuelle, la comparaison s'impose... Daladier le capitulard s'écrie déjà tel un Jean-François Copé, reprenant le discours haineux des privilégiés vis à vis de la classe populaire: « Cette loi est responsable de tous les maux de l'économie. On ne peut avoir une classe ouvrière à deux dimanches et un patronat qui s'étrangle pour faire vivre le pays ». En novembre 1938, suite à de grandes grèves ouvrières suivies de licenciements arbitraires et d'états de sièges policiers, le gouvernement envoie les troupes devant les entreprises. Le 1er décembre 1938, 36 000 ouvriers sont licenciés dans l'aéronautique et les arsenaux, 8000 dans la chime et l'autombile. Plus de la moitié sont des responsables syndiquaux CGT. Dans son modeste appartement du 79, rue Daguerre où il vit depuis 1936, Croizat rédige son édito: « Le 30 novembre, le patronat a opéré le savant triage qu'il attendait. Il tient sa revanche sociale sur 1936. Des femmes ont faim, des enfants ont froid. L'homme n'est plus au travail. Partout, les consignes ont été données par les patrons revanchards. Des listes noires circulent. Les sous-traitants des grandes entreprises ont été sommés de ne pas embaucher des ouvriers licenciés sous peine de voir leurs commandes supprimées. La haine est partout. Ils ont défendu leurs outils parce qu'ils croyaient en la grandeur de la France, en ses traditions de dignité, en cet espoir que mai 1936 avait fait éclore. Plus que jamais, nos solidarités vont vers eux. C'est eux, la France. Cette France bafouée par ceux qui ne rêvaient que de revanche ».

Le mouvement ouvrier est décapité. Début 1939, avec l'aval de Daladier, Hitler s'empare de la Tchécoslovaquie. Le pacte germano-soviétique signé à l'été 1939, les communistes, contre lesquels on avait déjà prévus des mesures de rétorsion en cas de conflit avant la connaissance du pacte, sont jetés en pâture. Le 27 août, l'ensemble de la presse communiste est interdite. Le 26 septembre, le PCF est dissous. 666 élus sont déchus. Le 7 octobre 1939, Croizat est arrêté sur les marches de l'Assemblée Nationale, puis enfermé à la Prison de la Santé avec d'autres députés communistes, dont le père de Guy Môquet, bientôt fusillé à Chateaubriand, Prosper. L'extrême-droite réclame purement et simplement la loi martiale pour les communistes. En Janvier 1940, Croizat fait parti des 36 députés communistes condamnés à 5 ans de prison au terme d'un simulacre de procès, sous l'impulsion des anciens collègues de l'Assemblée Nationale, dont certains appartenaient à la majorité du Front Populaire. En octobre 1941, Croizat est au côté de Prosper Môquet quand le député communiste apprend l'assassinat de son fils Guy, arrêté le 13 octobre 1940 alors qu'il distribuait des tracts, le plus jeune des otages cégétistes ou communistes fusillés à Châteaubriand. Dans son ouvrage « Le temps des illusions », le chef de cabinet de Pétain révéla, quelques temps plus tard, que le nom de Guy Môquet ne figurait pas sur la liste des otages de Châteaubriand. Le ministère de l'Intérieur l'avait « rajouté ».

En avril 1941, Croizat et ses camarades communistes sont envoyés en prison en Algérie, où ils vivent dans des conditions de détention très dures. Le débarquement allié à Alger a lieu le 8 novembre 1942 mais les députés communistes ne sont libérés que le 5 février 1943, après trois ans d'enfermement. Les communistes dérangent, inquiètent. Les Américains craignent qu'une fois libérés, ils ne deviennent vite les principaux animateurs de la politique anti-vichyste et soulèvent entre autre le problème du droit à la Liberté des pays du Maghreb. Et de fait, une fois libéré, Ambroise Croizat contribue à réorganiser le mouvement communiste et le syndicat au Maghreb, à tel point qu'en janvier 1944, la CGT affiche 120 000 adhérents en Afrique du Nord. Dès août 1943, dans un discours devant un public d'ouvriers, il parle de cette France nouvelle qui naîtra de la Libération: « Redonner à la Nation sa grandeur et aux travailleurs la place qu'ils méritent par leur effort et leur sang versé sera notre tâche. Les larmes et la mort n'auront pas été vaines. Elles accoucheront d'une France nouvelle, celles des nationalisations et de la Sécurité Sociale ».

« En septembre 1943, Ambroise Croizat rejoint, au titre de la CGT clandestine, l'Assemblée Consultative instaurée autour du Conseil National de la Résistance créé par De Gaulle à Alger le 3 juin 1943. Il préside la commission du Travail. C'est là que va prendre vie le programme du Conseil National de la Résistance. «Véritable déclaration des droits nouveaux, charte des futures grandes réformes nées dans la nuit et le feu du maquis ». (Michel Etiévent).

Le lien de la résistance aux conquêtes sociales de la Libération, c'est d'abord un contexte politique: c'est la gauche et les communistes qui à partir de 1943 constituent les gros bataillons de la résistance armée intérieure tandis que même la résistance de droite ou de centre-droit se déporte vers la gauche en voyant le patronat et la droite traditionnelle s'enfoncer dans la collaboration en France occupée et en mesurant combien l'unité de la Résistance, qui ne peut se faire que sur un projet politique commun, est précieuse pour gagner et la guerre et préparer l'après-guerre, éviter une soumission de la France aux probables vainqueurs américains. C'est aussi une donnée existentielle: la lutte forge et se nourrit du rêve, de l'exigence, de l'optimisme: elle est surtout le fait d'hommes jeunes qui rêvent d'un pays neuf débarrassé des injustices, des faillites démocratiques et sociales de l'avant-guerre, celles-ci s'étant encore aggravées pendant l'occupation. Dans la douleur, la soif de vivre est immense: c'est elle qui permet d'endurer en attendant des lendemains meilleurs, de s'astreindre à une discipline de fer, de consentir au sacrifice de sa vie en sachant qu'il prépare un monde meilleur, que le combat ne sera pas vain. « La souffrance engendre les rêves, écrit Michel Etiévent, et les rêves parlent tout haut ». Et l'auteur de citer De Gaulle lui-même, homme d'ordre qui a cette époque considère la réforme sociale et morale de la France inéluctable: « Impossible de ne pas entendre la voix profonde du peuple comme on entend la rumeur de la mer... La France délivrée ne voudra ni reprendre la route de l'abîme, ni demeurer dans celle de l'esclavage. D'avance, elle a choisi un chemin nouveau. Elle aura subi trop d'épreuves pour ne pas être résolue à de profondes transformations. Elle veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la Nation, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations des travailleurs ».

 

Le Conseil National de la Résistance, né le 27 mai 1943 grâce aux efforts de Jean Moulin notamment, chargé par le général de Gaulle de travailler à unifier la résistance intérieure et à la soumettre à l'autorité du général, à l'époque rival de Giraud, soutenu par les américains et même les anglais en sous-main, trace les contours de son programme révolutionnaire par l'ampleur et le caractère structurel des réformes proposés, même s'il ne met pas à bas le capitalisme, se contentant de le neutraliser en partie et de créer de nombreuses espaces de socialisation des richesses, est arrêté le 15 mars 1944. Il paraît en zone sud sous le nom simple et magnifique « Les jours heureux » et décline au futur liberté, démocratie économique, solidarité, avec pour fondement L'humain et l'intérêt général d'abord.« Mettre définitivement l'homme à l'abri du besoin, en finir avec l'indignité, la souffrance, le rejet, l'exclusion ». Les mots esquissent les grandes réformes qui fondent une nouvelle République de citoyens ayant conquis une égalité fondamentale. L'invention sociale est en marche: « Instaurer une véritable démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des féodalités économiques et financières de la direction de l'économie... Retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sol-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques... Droit d'accès dans le cadre de l'entreprise aux fonctions de direction et d'administration pour les ouvriers et participation des travailleurs à la direction de l'économie... Droit au travail... Liberté de pensée et d'expression ».

Le chantier s'ouvre à la Libération avec une classe ouvrière grandie par engagement dans la résistance, une CGT à cinq millions d'adhérents, un parti communiste à 27% des voix... Le « Parti des Fusillés », premier parti de France, a acquis le prestige et l'autorité d'un parti national, d'autant que les groupes FTP ont accepté de rendre les armes pour que s'installent les commissaires de la République et l'autorité des lois plutôt que celles des maquis. En Octobre 1945, 5 millions de voix se portent aux législatives sur les communistes, qui obtiennent 151 députés à l'Assemblée Nationale. Le 13 novembre 1945, De Gaulle, chef du gouvernement provisoire, fait appel à cinq communistes. Aucun grand ministère régalien mais Charles Tillon au ministère de l'armement, François Billoux à l'Economie Nationale, Marcel Paul à la Production Industrielle, tandis que Maurice Thorez se voit confier un ministère d'état et qu'Ambroise Croizat hérite du travail et de la Sécurité Sociale.

 L'ordonnance qui crée la Sécurité Sociale paraît le 4 octobre 1945. La protection sociale, qui relevait jusque là des « Assurances sociales » (loi du 5 avril 1928, combattue par les patrons d'entreprises jusqu'à la nouvelle loi du 1er juillet 1930), ne protégeait contre la maladie qu'une faible partie des salariés et de leurs ayant droit. A peine un tiers de la population française... Le système était anarchique, avec une multitude de caisses patronales, confessionnelles, syndicales, mutuelles, concurrentes entre elles et n'offrant pour la plupart qu'une protection aléatoire. Pour les retraites (loi de 1910), la couverture est dérisoire ou inexistante. Pas plus d'un million de Français en bénéficient, alors que 5 millions d'entre eux pourraient y prétendre et n'ont pour seuls recours que la charité et leurs économies. 

 

"Désormais, analyse Michel Etiévent, la sécurité sociale devient un droit fondamental, universel, obligatoire et solidaire et non un mécanisme d'assurance couvrant un risque. Dans l'esprit d'Ambroize Croizat, la Sécurité Sociale devait couvrir tous les travailleurs, salariés ou non (loi du 22 mars 1946). Les non-salariés (petits commerçants, professions libérales et artisans notamment) refusèrent par la voix de leurs responsables, qui n'acceptaient pas de se laisser assimiler à de "vulgaires prolétaires". Beaucoup le regretteront. 

Le nouveau système va "digniser" l'ensemble autour de quatre mots clefs: 

L'unicité: une institution unique, obligatoire, couvrira désormais l'ensemble des domaines de la protection sociale, des "risques sociaux", dit-on à l'époque (maladie, vieillesse, décès, invalidité ainsi que les accidents du travail, gérés jusque-là par les assurances privées). "L'ambition, déclarait Croizat à l'Assemblée, le 20 mars 1946, est d'assurer le bien-être de tous, de la naissance à la mort. De faire enfin de la vie autre chose qu'une charge ou qu'un calvaire". 

L'universalité: la couverture est étendue à tous les citoyens, avec la volonté de généraliser à court terme le nouveau système. Et ceci malgré l'opposition de certaines professions qui refuseront de s'y intégrer....

La solidarité: c'est la pierre angulaire du système. Solidarité inter-générations, solidarité actifs-inactifs, malades bien-portants. Le tout financé par les richesses créées dans l'entreprise. En ce qui concerne le financement de l'institution, les propos de Croizat sont d'une modernité brûlante: "Outre le fait que cela grèverait fortement les contribuables, disait-il, faire appel au budget de l'Etat serait subordonner l'efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières qui paralyseraient les efforts accomplis". 

Démocratie enfin, et c'est là "l'exception française" car seule une gestion par les intéressés eux-mêmes peut garantir que la santé restera un droit fondamental pour tous. Là encore, les mots du ministre sont novateurs: "Pour la première fois, l'appareil nouveau met la gestion de l'intérêt des travailleurs dans les mains des travailleurs eux-mêmes. Ceci est d'autant plus important car l'assurance (et particulièrement pour les accidents du travail) relevait jusqu'à ce jour de compagnies commerciales et, pour les allocations familiales, d'une gestion purement patronale". 

L'ordonnance n'avait fait qu'énoncer les principes. Il restait à bâtir l'édifice. Ce sera l'oeuvre principale de Croizat. Entouré d'une équipe au sein de laquelle on retrouve entre autres, Marcel Willard, Jean Briquet, Maurice Patinaud, Marcel Lamour, Le Quéré, Henri Raynaud, le "bâtisseur de la Sécu" y consacrera l'essentiel de ses deux années de ministère. Deux ans d'un chantier immense, rendu possible par l'élan de solidarité et le nouveau rapport de forces politiques qui suit la Libération. Tout est à faire, substituer à l'immense fatras des 1093 Caisses diverses et organismes privés un système cohérent, décentralisé, bâti autour de 138 Caisses primaires d'assurance-maladie et 113 caisses d'allocations familiales, essentiellement gérées - au début tout du moins- par les travailleurs...".. 

En mai 1946, grâce aux efforts d'Ambroise Croizat, une loi accorde une pension de retraite à tous les salariés âgés de plus de 65 ans. Quand Croizat quittera le gouvernement en mai 1947, le montant des retraites sera majoré de 130 à plus de 200%. 4 millions de français bénéficient de la retraite.

Croizat présente ainsi dans un discours à l'Assemblée Nationale le 4 août 1946 le sens de son action gouvernementale:

"La sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises, sans considération politique, philosophique ou religieuse. Ce qu'elle donne aux Français ne résulte pas de la compassion ou de la charité, elle est un droit profond de la nature humaine. Elle sera, nous en sommes sûrs, d'une portée considérable à long terme. Elle permet d'espérer, en raison des perfectionnements postérieurs qui pourront lui être apportés, voir la France et la République se placer au premier rang des nations du point de vue du progrès social...".

Le travail de Croizat au ministère du travail ne s'arrête pas là. Le 25 février 1946, il fait voter la loi sur la majoration des heures supplémentaires (25% entre 40 et 45h, 50% au-delà, 100% les dimanches et jours fériés). Il fit de même pour l'augmentation des primes et le travail de nuit et du dimanche. C'est également Croizat qui fixe la durée des congés payés à un mois pour les jeunes de moins de 18 ans et à 3 semaines pour la classe d'âge entre 18 et 21 ans. Il est également à l'origine d'un vrai service public de l'emploi, de la refonte d'une grande partie du Code du Travail, de la revalorisation des rentes des mutilés du Travail et des vieux mineurs, de la création d'un Conseil national du Travail chargé d'examiner les projets relatifs à la législation sociale, mais également d'innover en la matière. Il engage un vaste chantier dans le domaine de la formation professionnelle pour libérer l'enseignement technique de la tutelle patronale ou confessionnelle. Grâce à ses efforts et à ceux de Maurice Thorez, de nouveaux statuts de la fonction publique sont adoptées. "On y trouve des avancées extraordinaires comme la reconnaissance intégrale du droit syndical, la participation des syndicats à la gestion du personnel, la démocratisation du recrutement, l'égalité des sexes pour l'accès à la promotion dans les services publics". On développe la prévention des accidents et des maladies du travail en créant la médecine du travail, les ancêtres des comités hygiène et sécurité. On attribue pour la première fois un rôle économique et décisionnel aux comités d'entreprise. En avri 1946, Croizat propose d'instituer l'égalité de salaire entre homme et femme: "Si l'égalité politique est une victoire partielle, l'égalité économique est une victoire complète" dit-il alors. 

" Aux côtés de Marcel Paul, complice de longue date, il se battra avec acharnement pour imposer le statut des mineurs (14 février 1946) et celui du personnel du gaz et de l'électricité (22 juin 1946). Il cosignera d'ailleurs ces documents, qui vont transformer les conditions matérielles, sociales et culturelles des agents de ces deux services publics. On retrouve en effet, dans les deux statuts, des avancées considérables: sécurité d'emploi, protection sociale de haut niveau, unicité de traitement, activités sociales gérées par les travailleurs eux-mêmes, 1% des recettes d'EDF pour les électriciens et les gaziers".

Pour faire comprendre et obtenir une mise en oeuvre concrète de ces mesures en contournant les obstacles et les difficultés, Croizat effectue des centaines de déplacements, aussi bien à Paris qu'en province. Il y démontre sa capacité d'écoute et son humilité, en même temps que son sens de l'efficacité et du travail bien fait.

Cette profond mouvement de rénovation sociale de la société française pour l'universalité de l'accès au droit et la souveraineté du travail va pourtant s'interrompre.

En 1946, le patronat redresse la tête, sabote l'application du programme du CNR. Les tensions au sein du gouvernement croissent. Droite et socialistes freinent les nationalisations ou remettent en cause les statuts des mineurs, des gaziers et électriciens, des cheminots et des travailleurs de chez Renault... Ils entament la guerre d'Indochine. Le blocage des salaires et la flambée des prix créent un climat social tendu. Les pressions des Américains sur le gouvernement s'accentue pour faire sortir les communistes.

L'éviction a lieu le 5 mai 1947. Le motif est la solidarité trop voyante des communistes aux revendications des ouvriers de Renault. En réalité, dans un contexte de début de guerre froide, les Américains monnayent leur aide à la France contre une marginalisation des communistes.  

Evincé du gouvernement, Croizat reprend à plein temps la tête de la Fédération CGT de la métallurgie. En cette année charnière, les grèves contre le blocage des salaires et la vie chère se multiplient: mineurs, métallos, dockers, ouvriers de chez Renault. "La police intervient. Elle embarque, incarcère. Partout, au coeur des carreaux de Lorraine ou du Pas de Calais, la violence s'installe. A Firminy, dans le bassin de la Loire, la grève lancée le 4 octobre 1948 tournera à l'émeute entre mineurs et CRS pour la possession du puits". 2 mineurs sont tués par balle.

Croizat tonne en décembre 1947 dans l'Union des métallurgistes: "Ce gouvernement n'a pas hésité à faire tirer sur les grévistes, à employer des gaz lacrymogènes, en un mot, à mettre tout en oeuvre pour venir à bout de la résistance ouvrière. Rien n'a été ménagé. On a utilisé des mesures répressives et spéculé à fond sur la misère et la faim des valeureux combattants... Si Hitler n'a pas réussi à mater le peuple, ce n'est pas Jules Moch et ses sbires qui y parviendront".  

Plus tard, en 1950, Croizat bataille contre le plan Schuman et le projet de Communauté du Charbon et de l'Acier avec l'Allemagne. Il y voit un projet de mise sous tutelle américaine, de réduction de l'indépendance industrielle de la France. Il remet aussi en cause les cadences et la productivité imposés par le patronat dans les industries.

En juillet 1950, Croizat, déjà éprouvé par un cancer du poumon, perd son fils, ouvrier électricien de 26 ans, dans un accident du travail à Lyon. Il meurt le 12 février 1951 après une opération qui n'a pas suffit. Son cortège funèbre, le 17 février 1951, rassemble des centaines de milliers de personnes venus lui rendre hommage.

A cette vie exemplaire et si riche de réalisations durables et révolutionnaires, nous avons le désir d'être fidèles à notre humble niveau en perpétuant et prolongeant l'héritage et surtout en commençant par le défendre face à la réaction capitaliste progressant depuis 30 ans sous des gouvernements de droite comme (prétendument) de gauche sous couvert de modernisme, d'adaptation à la mondialisation, à la concurrence internationale.

Ismaël Dupont

Un autre livre indispensable de Michel Etiévent

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