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3 décembre 2017 7 03 /12 /décembre /2017 08:24
photo Eco-musée des Forges

photo Eco-musée des Forges

Au début du XXe siècle, les Forges d’Hennebont, un établissement produisant du fer-blanc pour les conserveries, deviennent l’un des centres de l’anarcho-syndicalisme en France. Les conflits de 1903, puis 1906, marquent profondément l’histoire sociale de la Bretagne.

 

Le 30 avril 1860, deux ingénieurs d’origine angevine, les Trottier, demandent à l’empereur l’autorisation d’ouvrir une usine destinée à produire «tôles, fer-blanc, fer, fonte et tuyaux en bois et coaltar» au lieu-dit Kerglaw, à Inzinzac, près de Lorient. 

Le choix du site n’a rien d’un hasard, puisqu’il occupe une position centrale sur la côte sud de la Bretagne, où se développent alors des conserveries de poisson, grandes consommatrices de fer-blanc. Le Blavet est navigable et son débit peut produire de l’énergie. Encore très rural, le Morbihan dispose d’une main-d’œuvre abondante… 

L’affaire est rapidement florissante. En 1880, 660 employés produisent plus de 5.000 tonnes de fer-blanc. Les Trottier envisagent de construire des fours plus performants, permettant de mélanger le fer-blanc collecté et le minerai de fer breton. Pour cela, il leur faut augmenter le capital et ils passent sous contrôle de la Société générale des cirages français (SGCF), même s’ils continuent de diriger le site morbihannais jusque 1893. Cette multinationale prend peu à peu le pouvoir aux Forges. 

La vallée noire de Kerglaw

Les dirigeants de la SGCF s’inscrivent dans un contexte européen, voire mondial, de la métallurgie. Ils développent le site d’Inzinzac qui prend le nom de «Forges d’Hennebont» et ne cesse de s’étendre, occupant jusqu’à 2,50 km des berges du Blavet et 21 ha… Kerglaw devient la « vallée noire », remplie de cheminées, d’ateliers de fonderie et de laminoirs. L’espace se structure avec la création de cités ouvrières ou de lotissements pour les ingénieurs. Les conditions de travail au début du XXe siècle, alors que le site emploie désormais près de 2.000 ouvriers et ouvrières, sont très dures. On compte entre trois et quatre ouvriers blessés par jour, parfois mortellement. Une clinique est d’ailleurs créée par les Forges. Les journées de travail peuvent atteindre 18 heures.

L’étincelle de juin 1903

En juin1903, le patron des Forges, l’homme de la SGCF, annonce qu’il met fin à la prime dominicale de la dizaine de gaziers qui nettoient les fours le dimanche. Il refuse catégoriquement toute augmentation aux manœuvres. En réponse, le 29 juin, des premiers débrayages ont lieu chez les équipes de nuit. Le lendemain, plusieurs manœuvres se mettent en grève. Le 1er juillet, on compte 400 grévistes… 

Le 3 juillet, pratiquement tous les employés sont en grève et l’usine est paralysée, ce qui augure d’une lutte longue et dure. Le principal syndicat français, la CGT, délègue plusieurs cadres pour l’organiser, dont Bourchet et Lévy. Le maire d’Hennebont, ancien directeur des Forges, comprend l’enjeu du conflit et concède un terrain au syndicat. Le «Pré-Giband» va devenir le lieu de rassemblement de toute l’agitation sociale. 

 

La situation se tend

Meetings, discours et manifestations se déroulent d’abord dans le calme en juillet. Un journaliste local note que les manifestations de juillet ressemblent à des processions religieuses… La presse parisienne commence à arriver sur place. Il est vrai que le mouvement gêne le gouvernement dirigé par un républicain intransigeant et homme de gauche, le radical Émile Combes. 

Début août, la tension monte régulièrement. Les affrontements se font de plus en plus rudes et les autorités mobilisent de nombreux gendarmes et policiers. Le 62e RI de Lorient est même réquisitionné. La répression des manifestations devient violente, avec coups de crosse et usage de la baïonnette…

Émeute à Lorient

La solidarité s’organise en faveur des métallos grévistes, particulièrement à Lorient où dockers et ouvriers de l’arsenal accompagnent leurs revendications. La CGT, alors fer de lance de l’anarcho-syndicalisme en France, ne cesse de recruter et de se structurer dans la région. Les Forges d’Hennebont deviennent un symbole de l’exploitation du prolétariat. 

La situation explose le 5 août 1903 à Lorient. La cité des cinq ports est en état d’insurrection et de nombreuses vitres de commerces explosent, tandis que plusieurs milliers de personnes se dirigent vers le tribunal où doivent être jugés des grévistes. L’un des leaders de la CGT annonce : « Monsieur le préfet, j’ai derrière moi 3.000 hommes décidés à tout si, d’ici une heure, les condamnés ne sont pas remis en liberté. Nous mettrons la ville de Lorient à feu et à sang». Des barricades sont levées. L’artillerie coloniale est appelée en renfort pour protéger la sous-préfecture. 

La situation est si tendue que la direction cède quelques jours plus tard. Une grande fête de la victoire est organisée, lors de laquelle se mêlent les airs bretons à l’Internationale et la Carmagnole. Aux Forges, l’activité reprend. Trois ans plus tard, un nouveau conflit paralyse l’usine pendant 115 jours afin d’obtenir la journée de travail de huit heures. Ce que le gouvernement accordera en 1919, mais que les Forges n’appliqueront qu’en 1925.

 

Pour en savoir plus 

- « La Montagne des Forges d’Hennebont : mémoires »,Gisèle Le Rouzic, Écomusée d’Inzinzac-Lochrist, 1984. 

- « Voyage aux Forges d’Hennebont (1860-1945) », Gisèle Le Rouzic, La Digitale, 1984. 

- « La Bataille des Forges d’Hennebont », Gisèle Le Rouzic, La Digitale, 1989.

 

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29 novembre 2017 3 29 /11 /novembre /2017 07:05
Ombre (1976) - Un beau poème de Daniel Trellu

Voici un poème remarquable de Daniel Trellu trouvé dans le tome 3 en français de l'anthologie de Favereau chez Skol Vreizh, sachant que l"original se trouve dans la version bretonne de l'anthologie.

Le poème en breton est peut-être encore supérieur à sa traduction, fût-elle de l'auteur lui-même comme c'est le cas ici. On considérer qu'ici le style poétique de Trellu est assez proche de certains aspects de Char. Ce poème nous a été transmis par Michel Kerninon et Kristian Keginer. 

 

OMBRE

J'ai perdu mon ombre

Ma preuve par le soleil

A midi comme un mât

Planté en pleine terre 

Voiles hautes

J'étais une évidence verticale

Confondue avec son double

Pouvais-je retenir les soleils

Quand je croyais ouvrir deux mains

J'ai creusé pour chercher mon ombre

J'ai navigué sur des faux équilibres

Mon tronc s'est vidé

L'écorce est transparente

Faux soleils fausses lueurs

Je tourne autour du vide

Je n'ai plus d'ombre

J'ai perdu le soleil. 

Né en 1919 à Quéménéven (29), Daniel Trellu, qui devient instituteur avant guerre, a joué sous le pseudonyme de «Colonel Chevalier», un rôle important dans la Résistance en tant que responsable départemental d'un des premiers maquis de Bretagne (Spézet, Laz, Saint-Goazec), puis de responsable de la résistance FTP de Bretagne.  

Après la guerre, il devient responsable départemental du parti communiste à Brest, puis réintègre l'enseignement en 1952.

Il sera successivement instituteur à Trégunc, puis professeur de français et d'histoire-géographie au lycée technique Chaptal à Quimper.

Il aura d'ailleurs comme élève un certain Daniel Le Braz (Dan ar Braz). Il prend sa retraite en 1975 et vient s'installer à Saint-Hernin où il décédera en avril 1998.

Daniel Trellu était un homme cultivé, lettré, l'auteur de nombreux poèmes. 

 

1er numéro du journal des Jeunesses Républicaines de France - Debout les jeunes! Union de la jeunesse républicaine: une organisation communiste de jeunesse de masse à la Libération (archives Pierre Le Rose)

1er numéro du journal des Jeunesses Républicaines de France - Debout les jeunes! Union de la jeunesse républicaine: une organisation communiste de jeunesse de masse à la Libération (archives Pierre Le Rose)

Paul Le Gall, Piero Rainero, Daniel Trellu (ancien chef FTP du Finistère), Pierre Le Rose, Gaston Plissonnier (archives Pierre Le Rose)

Paul Le Gall, Piero Rainero, Daniel Trellu (ancien chef FTP du Finistère), Pierre Le Rose, Gaston Plissonnier (archives Pierre Le Rose)

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28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 15:24

LES FUSILLéS

Restés debout dans le granit
Face à tous ceux qui les renient
Devant la mer en cheveux blancs
Quatre F.T.P. sont en vigie
Puisqu'ils avaient donné leur vie
Et leur amour pour un printemps. 
J'ai voulu en garder raison
En combattant d'un coeur sauvage
Pour atteindre au dernier rivage... 
Mais jamais n'en vint la saison ! 
         Printemps trahi, volé au temps
         J'en pleure sous mes cheveux blancs. 
              

                                   Charles Tillon 
                          Plage de Deauville, le 9 avril 1978


Mot manuscrit à la main de CT

Cher ami, cette note de voyage en remerciement pour votre hospitalité dans Bretagnes par temps de gel.. 
Bien à vous 
Charles Tillon


Note de Michel Kerninon.

En mars 1978 la "gauche unie" venait de perdre les élections législatives.  

Tableau de Charles Tillon - Grève au Pays Bigouden

Tableau de Charles Tillon - Grève au Pays Bigouden

1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance

Michel Kerninon, ancien journaliste au Télégramme, écrivant aussi dans d'autres revues des textes sur la littérature, la politique, l'histoire, militant syndical, a eu la gentillesse de nous faire parvenir ce huitième exemplaire de la revue "Bretagnes" dont le siège se trouvait à Morlaix, Impasse de la Fontaine-au-Lait, daté de mars 1978.

On y trouve un long et passionnant entretien de Charles Tillon par Michel Kerninon (réalisé en janvier 1978 à la Bouexière, en Bretagne, où Charles Tillon était retiré depuis 1975) à l'occasion duquel Charles Tillon, dont l'épouse, Raymonde Tillon-Nédelec, ancienne résistante communiste et députée à la libération comme lui, est décédée cette semaine, revient sur son itinéraire de militant et de responsable politique, sa participation à l'histoire du mouvement ouvrier et du communisme, et sur les leçons qu'il en tire, tout en se prononçant aussi sur les perspectives d'avenir pour la gauche en période de rupture du programme commun et de l'alliance PCF-PS.

Michel Kerninon précise les conditions de cet entretien, mûrement préparé, et enregistré au magnétophone:

"Deux autres collaborateurs de la revue Bretagnes étaient du voyage matinal d'hiver glacé ce jour-là dans ma 2CV en route de Morlaix vers La Bouexière chez les Tillon qui venaient de construire dans un lotissement, tout à fait comme un jeune couple. Leurs enfants avaient à peu près mon âge ou un peu moins.

Et donc les amis que je vais te présenter étaient présents et intervenants au cours de la journée, comme au restaurant (qui nous fut offert par le couple Tillon; et Charles, joyeux d'être en notre compagnie, avait même "exceptionnellement" pris un Ricard à l'apéro) J'avais longuement et soigneusement préparé et conduit l'entretien.

Ces camarades, je les indique. Il s'agit de Kristian Keginer, poète et écrivain de Morlaix, qui achève aujourd'hui une belle carrière ... à la Caisse des Dépôts.

Et de Michel Bescond, à l'époque journaliste au Télégramme avec moi, ancien grutier au port de Marseille et devenu spécialiste de marine, la pêche en particulier et il a mis un place un système de cotation des prix du poisson payé en criée, publié dans le journal, ce qui a bouleversé quelques secrets de mareyeurs et fait le bonheur des marins.

Ensuite, il fut l'un des dirigeants-actionnaire du Chasse-Marée puis créateur de la revue Armen. Il fut ensuite directeur salarié de Coop-Breizh, coopérative qu'il a redressée. Et enfin Michel quitta Coop Breizh (siège à Spézet) et devant co-directeur des Editions d'art Palantines jusqu'à la liquidation.

Après cette rencontre avec Charles et Raymonde Tillon, un couple attachant s'il en est, nous avons gardé des liens assez forts et entretenu une correspondance. Je me souviens en particulier de l'envoi d'un poème assez désespéré de Charles en vacances sur la côte normande, tandis que la gauche se déchirait. Mais sans doute était-ce à l'époque moins grave que ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays et en Europe. " . (Michel Kerninon)

Décédé en 1993 à Marseille, Charles Tillon est né en 1897 à Rennes.

Ajusteur à l'arsenal de Brest en 1916, il s'est embarqué comme matelot mécanicien sur le croiseur "Guichen". En 1919, par solidarité avec la révolution bolchevique que combat l'armée française, il provoque une mutinerie sur le "Guichen" en Méditerranée et est condamné au bagne pour 5 ans, et envoyé au Maroc. Bénéficiant finalement d'une amnistie comme les mutins de la mer Noire, il devient ouvrier ajusteur à Nantes, puis adhère au Parti Communiste en 1921. Adhérent à la CGT, il soutient la scission avec la création de la CGTU en 1923 et devient permanent de la CGTU en 1924.

C'est à ce titre qu'il est très actif dans la grève des pêcheurs et des sardinières du Pays Bigouden et de la région de Douarnenez, se faisant même élire conseiller municipal sur la liste communiste de Daniel Le Flanchec en 1925 à Douarnenez en même temps que la première femme élue illégalement, Joséphine Pencalet.

A Michel Kerninon, en 1978, il dit avec passion l'importance dans sa vie de ces combats avec les pêcheurs et les ouvrières du pays Bigouden et de Douarnenez:

"J'ai donc appris à devenir ce que le "Comité des Forges" de l'époque appelait un "gréviculteur". La plus belle des grèves, la plus héroïque et la plus empreinte de sentiment populaire fut certainement pour moi la grève de Douarnenez. Alors j'en ai fait d'autres, au milieu de ceux qui parlaient la langue bretonne, je suis vraiment devenu non seulement un Breton de la région des fortifications qui défendaient la Bretagne autrefois, c'est à dire de l'Ille-et-Vilaine mais de cette Bretagne plus profonde, moins connue et si vivante, celle du Finistère, des Côtes-du-Nord, cette Bretagne "qui va au-devant de la mer" (...) En Bretagne, "il y avait une grande misère, le long des côtes surtout. Pour le reste, il n'y avait pratiquement pas d'industrie. Sur la côte, la pêche nourrissait l'industrie de la conserve; à la fois la pêche du 19e siècle et le début d'une industrialisation de la conserve. Les pêcheurs étaient des artisans. Ils allaient à la mer et ne connaissaient qu'elle. Mais, à terre, ils se défendaient mal. Les tempêtes ne leur faisaient pas peur, mais ils restaient désarmés devant les préfectures et leurs moyens de police. Soutenus par l'appareil d'Etat, les acheteurs s'entendaient pour contraindre les pêcheurs à vendre le moins cher possible. Mais voilà bientôt qu'en Bretagne, la grande grève des usines de Douarnenez rayonnait de la juste fierté d'avoir vaincu le patronat le plus rapace qu'on puisse trouver puisqu'il avait osé aller jusqu'à l'organisation du crime pour terroriser la population et faire tuer, s'il l'avait pu, le maire communiste Le Flanchec! Avant la grève, les pêcheurs n'étaient pas syndiqués, il fallait donc organiser dans le même syndicat le patron de la barque qui gagnait un peu plus, et ses matelots, ses compagnons de tempêtes et de souffrances. Ce n'était pas simple et c'est sans doute pourquoi il n'y avait pas eu, jusque là, de syndicat durable. Mais les femmes avaient le leur. Et la fierté qui les avaient animées gagnait en 1925 tous les ports de Bretagne. La colère déferlait parmi les ouvrières les plus exploitées, comme à Pont-l'Abbé ou à Concarneau, où une jeune fille d'usine sur quatre ou cinq était tuberculeuse... Le mouvement victorieux des femmes d'usine a entraîné les pêcheurs à mieux prendre conscience de leurs droits, et qu'en labourant la mer, ils étaient la source de tout. Mais le patronat de la côte aussi s'organisait. Et, au lieu de petits syndicats locaux, les patrons jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, s'unissaient en un énorme Comptoir d'achat soutenu par le Comité des armateurs de la marine marchande et par l'Administration maritime. Alors commença leur grande offensive pour rationaliser l'industrie de la pêche, pour exporter des capitaux et des usines au Portugal, au Maroc, là où les salaires sont les plus misérables. Une "révolution" sur le dos des salariés et qui dure encore.. Nous avions été heureux pendant deux ans. Mais viendraient les défaites! Rationaliser l'industrie de la pêche pousserait à rationaliser l'industrie de la conserve. Aussi, commençait une autre histoire de la mer..."

A l'époque où il rencontre Michel Kerninon, Charles Tillon a déjà pris des grandes distances avec le Parti Communiste, parti dont il a été exclu en 1970, en même temps que Roger Garaudy, Jean Proteau, et Maurice Kriegel Valrimont (pour dénonciation entre autre de la répression du printemps de Prague et de l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie) après avoir été écarté de la direction du Parti dont il faisait partie depuis 1932, date de son intégration au Comité Central, en 1952, pour désaccord avec Thorez et la ligne stalinienne de l'époque. C'est de la sorte avec beaucoup d'esprit critique que Tillon analyse le fonctionnement du parti communiste quand il y militait encore et après son éviction. Il raconte son voyage en URSS en 1931 comme représentant de la CGTU, sa mission en Espagne en 1939 pour tenter d'évacuer, sans soutien, 20 000 Républicains du port d'Alicante, son analyse du pacte germano-soviétique, et, un peu, son action dans la résistance, ses rapports avec de Gaulle dont il a été un des ministres communistes à la Libération (de l'Air, de l'Armement, et de la reconstruction).

Charles Tillon, à l'origine de la création des FTP et du premier appel à la résistance au fascisme hitlérien le 17 juin 1940, ancien député maire d'Aubervilliers à la Libération, restera une très grande figure de l'engagement communiste et social dans le tourbillon et les tragédies du XXe siècle. Un homme droit, indépendant, qui eut aussi le courage de dénoncer l'inacceptable.

1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
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1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue Bretagnes n°8 : Désenchaîner l'espérance
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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 07:07
Féminisme et communisme, une association décisive - par Saliha Boussedra, Cause Commune - Novembre 2017
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En 1917, la question des droits réels des femmes prend la forme d'une question de stratégie politique et syndicale décisive dans le cadre d'une perspective communiste révolutionnaire.

8 mars : journée internationale pour les droits des femmes. 8 mars 1917 (23 février), premier jour de la Révolution russe. Les ouvrières russes prennent la rue d’assaut et rencontrent les suffragettes. Dans ces tout premiers jours de la révolution russe, il est encore difficile de savoir s’il s’agit d’une révolte populaire ou bien d’une révolution. Il suffira de quelques jours pour que les soldats se mutinent après avoir tiré sur la foule et rejoignent dès le lendemain la foule révolutionnaire. Quelques jours encore pour voir le tsarisme et l’ancien monde féodal réduits en lambeaux.

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Si la majorité des femmes qui prennent la rue le 8 mars sont des ouvrières et si la minorité sont des suffragettes, ce sont elles qui d’abord entraînent les hommes. Cette entrée dans la Révolution russe par les femmes semble marquer la place qu’elles y occuperont dans les premières années de la Russie révolutionnaire. Nous n’aborderons pas cette histoire des femmes en historienne que nous ne sommes pas mais nous chercherons à saisir les leçons que nous pouvons tirer de cette histoire pour nos luttes actuelles et à venir.

Une avancée considérable des droits des femmes 
Des luttes féministes des années 1970 en France est restée cette leçon, semble-t-il indépassable : la lutte féministe doit se constituer en mouvement autonome car il est impossible de défendre ses intérêts dans le cadre des partis ou des syndicats ouvriers. De cette leçon nous ne sommes toujours pas sortis. Il nous semble que si nous avons une leçon à tirer d’un point de vue à la fois féministe et communiste de l’expérience de la Révolution russe et bolchevique, c’est bien celui-là : des femmes luttant pour des droits ont été en mesure de s’associer à des hommes luttant pour des droits, et cette association, sans négliger tous les obstacles qu’elle a pu rencontrer, au premier rang desquels les difficultés d’ordre matériel liées aux structures patriarcales bien ancrées notamment dans la paysannerie, a permis une avancée considérable des droits des femmes et une avancée tout à fait précoce et extraordinaire au regard du développement socio-économique de la Russie de 1917 et des avancées dans les autres pays européens.

« Abolir la propriété privée familiale ne signifie pas abolir les rapports femmes-hommes, ni la parentalité, mais les conditions matérielles qui fondent ces liens, de la division du travail qui fonde cette forme de propriété privée. »

En effet, du côté des droits fondamentaux : légalisation du mariage civil, droit de divorcer par consentement mutuel, droit de vote, ministère pour la protection de la maternité et de l’enfance, légalisation de l’avortement dès 1920, proclamation de l’égalité homme-femme, adultère et homosexualité supprimés du code pénal, disparition de l’autorité du chef de famille. Du côté des droits du travail : congé maternité, égalité des salaires et égalité professionnelle, journée de huit heures, semaine de quarante-huit heures, création des assurances sociales. Du côté de la division du travail propre à la propriété privée familiale, selon Stéphane Lanchon : « La première Constitution de l’État soviétique reconnaît l’utilité sociale du travail ménager. Le programme du parti adopté en 1919 prévoit la socialisation du travail domestique via des équi­pe­ments communautaires. » Cette position est ainsi résumée par Lénine : « Le travail ménager écrase, étrangle, rabaisse et dégrade la femme ; il l’enchaîne à la cuisine et à la chambre des enfants, et gaspille sa force de travail dans un esclavage barbare, improductif, mesquin, horripilant, déconsidérant et écrasant… Cantines publiques, crèches, jardins d’enfants : voilà quelques exemples de ce qui est indispensable, voilà les moyens simples et quotidiens, sans grande pompe ni décorum, qui peuvent vraiment résorber et abolir l’inégalité entre hommes et femmes dans le domaine de la production sociale et de la vie publique » (Lénine, À propos de l’émancipation des femmes, éditions sociales).
La présence des femmes dans les organisations ouvrières (syndicales et politiques) est déjà constatable dès la Révolution de 1905, ce n’est donc pas, à proprement parler, les révolutions de février et octobre 1917 qui expliquent à elles seules ces avancées. Les femmes représentent déjà en 1917 une partie importante de la classe ouvrière, non pas en tant que femmes d’ouvriers mais bien en tant que travailleuses, dans l’industrie textile notamment. Dès 1905, la frange de la classe ouvrière la plus politisée, que l’on trouve en particulier chez les métallurgistes, a déjà une cons­cience avancée de l’importance de la mobilisation des femmes et de l’importance qu’elles représentent du point de vue de la stratégie politique et syndicale. Parce que notre époque ne lit les révolutions de 1917 que de manière rétrospective en projetant nos propres structures et difficultés à rassembler communistes et féministes, nous ne percevons et nous ne mettons en exergue que les difficultés qu’ont rencontrées les femmes russes à se faire entendre des hommes (difficultés bien réelles) mais, ce faisant, nous ratons l’essentiel, à savoir qu’ils et elles ont réussi dans une certaine mesure à les dépasser.

« La question des femmes et de leurs droits réels n'était donc pas une question secondaire et “sociétale”, elle constituait au contraire un enjeu fondamental dans la remise en cause de la propriété privée et de la division du travail qui la fonde. »

L’importance de la place des femmes dans la perspective révolutionnaire
S’ils ont réussi à les dépasser, c’est  en raison de la profonde conviction, au sein de la fraction révolutionnaire de la classe ouvrière ainsi que de ses dirigeants, de l’importance de la place des femmes dans la perspective révolutionnaire. Contrairement à notre époque où le féminisme est simplement rangé parmi les questions dites « sociétales », les révolutionnaires russes avaient d’une part pris la mesure de la composante matérielle des catégories de travailleurs où les femmes étaient nombreuses, d’autre part ils savaient que le but d’une révolution communiste consiste en l’abolition de la propriété privée. Cela ne signifie rien de moins que l’abolition de la propriété privée des moyens de production ainsi que de la propriété privée qui a trait à la famille et à la division du travail qui la caractérise. (Abolir la propriété privée familiale ne signifie pas abolir les rapports femmes-hommes, ni la parentalité, mais les conditions matérielles qui fondent ces liens, de la division du travail qui fonde cette forme de propriété privée.) La question des femmes et de leurs droits réels n’était donc pas une question secondaire et « sociétale », elle constituait au contraire un enjeu fondamental dans la remise en cause de la propriété privée et de la division du travail qui la fonde.

« Les femmes représentent déjà en 1917 une partie importante de la classe ouvrière, non pas en tant que femmes d'ouvriers mais bien en tant que travailleuses dans l’industrie textile notamment. »

Mais, du côté des femmes révolutionnaires, cela impliquait également le fait qu’elles étaient convaincues que leur sort et leurs intérêts étaient irrémédiablement liés à la victoire de la classe ouvrière. L’histoire du féminisme en France, depuis l’acquisition de droits fondamentaux (citoyenneté, avortement, lutte contre le viol, etc.), n’est pas parvenue à remettre en cause la propriété privée et la division du travail au sein de la famille (en témoignent les éternelles études de l’INSEE sur l’évolution du partage du travail domestique), de même qu’en 2017, l’écart des salaires dans le monde social du travail reste une constante criante. C’est pourquoi si l’autonomie du mouvement féministe français a pu présenter des avantages et des enthousiasmes chaleureux et à bien des égards décisifs, elle le condamne à se priver des organisations ouvrières (partis et syndicats). Continuer à percevoir la lutte féministe seulement comme une question « sociétale » et non comme une lutte fondamentale contre la division du travail et la propriété privée (capitaliste et familiale), c’est se condamner durablement à se priver de l’autre moitié du ciel qui constitue pourtant un enjeu décisif dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire.

*Saliha Boussedra est doctorante en philosophie à l'université de Strasbourg.

Saliha Boussedra, membre du PCF, doctorante en philosophie, rédactrice à "Cause Commune", la revue de réflexion politique du PCF

Saliha Boussedra, membre du PCF, doctorante en philosophie, rédactrice à "Cause Commune", la revue de réflexion politique du PCF

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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 07:03
Les femmes, oubliées d'octobre? - le combat des femmes pour l'émancipation des femmes dans la révolution russe (Hélène Bidard, Cause Commune, novembre 2017)
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L’invisibilisation des luttes des femmes dans l’historiographie empêche la prise de conscience du pouvoir de leur révolte, pourtant déterminant dans toute révolution.

 

«La justice, la paix, le paix ! »  Tels sont les mots scandés par les ouvrières russes descendues dans les rues de Petrograd le 23 février 1917 – 8 mars dans le calendrier grégorien – lors de la journée internationale de la femme que le tsar a tenté d’interdire. Un 8 mars, désormais « Journée internationale de lutte pour les droits des femmes », lors duquel continue de manifester tous les ans le Parti communiste aux côtés des associations féministes. En 1917, ce sont les travailleuses de l’usine Poutilov qui, les premières, se sont mises en grève, amorçant ainsi une mobilisation de masse contre le régime en place.

Elles manifestent et jouent un rôle déterminant dans la fraternisation avec les soldats qui refusent de tirer sur les manifestantes et tournent leurs baïonnettes en direction du pouvoir. Dans son Histoire de la Révolution russe, Léon Trotski relate ainsi cet épisode : « Sans tenir compte de nos instructions, les ouvrières de plusieurs tisseries se sont mises en grève et ont envoyé des délégations aux métallurgistes pour leur demander de les soutenir… Il n’est pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait être le premier jour de la Révolution. » Et pourtant, c’est bien cet événement déclencheur qui aboutit à la chute de la monarchie tsariste vieille de près de quatre siècles et à l’arrivée au pouvoir des bolcheviks en octobre. Ainsi, les travailleuses russes ont été un élément déterminant pour l’avènement du nouveau système politique. Bien évidemment dans notre mémoire collective française cela fait écho à la manifestation des femmes d’octobre 1789 jusqu’à Versailles, là aussi pour réclamer « du pain ». Et aujourd’hui, dans notre situation politique, réfléchissons à ce qu’il peut se passer « si » – ou plutôt « quand » – les femmes populaires s’en mêlent…

« L’absence de promotion des luttes des femmes dans l’historiographie empêche la prise de conscience du pouvoir de leur révolte, pourtant déterminant dans toute révolution. »

En 1917 comme aujourd’hui, cet engagement militant des femmes dans la lutte implique une prise de conscience de leur condition. Dans son fameux roman La Mère, Maxime Gorki décrit bien le cheminement d’une femme asservie qui, petit à petit, au contact de son fils et de ses amis, s’instruit, comprend le monde, saisit la violence de l’oppression qu’elle subit et finit par trouver en elle-même les ressources pour s’extraire de sa condition et progressivement devenir militante. L’un des personnages résume ainsi la nécessité d’une prise de conscience collective : « Apprendre, et ensuite apprendre aux autres. Nous devons étudier, nous autres ouvriers. Nous devons savoir, nous devons comprendre d’où vient que la vie est si dure pour nous. » Un principe anticipé vingt ans plus tôt en France par Marguerite Durand, lorsqu’elle fonda La Fronde, premier journal féministe au monde rédigé et dirigé uniquement par des femmes. Un modèle subversif est né et poursuivi à la création du PCF en 1920 avec son hebdomadaire L’Ouvrière, puis, entre autres, par Danielle Casanova qui déclarait en 1936 à propos de l’Union des jeunes filles de France : « Nous voulons créer pour elles une organisation qui saura à la fois les réunir dans une atmosphère d’amicale collaboration, les éduquer, leur faire prendre conscience de la force qu’elles représentent, du rôle social qu’elles ont à jouer, les défendre et les armer pour un combat juste. » Pourtant, dans nos institutions bourgeoises françaises, il aura fallu attendre une loi sur la parité en 2000 pour que les femmes aient un minimum de parole politique reconnue.

Un grand pas en avant
Dès sa mise en place, le régime soviétique vise l’évolution rapide de la place des femmes dans la société et la mise en œuvre des conditions d’une véritable émancipation. Pour la première fois au monde, une femme, Alexandra Kollontaï, participe à un gouvernement, les femmes obtiennent le droit de vote et des lois instaurant l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment salariale, sont adoptées. Le mariage civil est instauré, les époux y ont les mêmes droits, le divorce est légalisé. Pendant les années suivantes, d’autres mesures sont prises : création d’un ministère de la Protection de la maternité et de l’enfance, congé maternité rémunéré, exemption des tra­vaux trop pénibles, inter­diction des licenciements et du travail de nuit pour les femmes en­ceintes ou venant d’accoucher, cliniques spécialisées en maternité, avortement légalisé. Suivant les préceptes précurseurs d’August Bebel (La Femme et le socialisme, 1879), on « socialise » le travail domestique en créant des lingeries, cantines, garderies. Toutes les lois antihomosexuels sont retirées du Code criminel en 1922 et il devient légal de changer de sexe sur les passeports en 1926. En moins de dix ans sont faites les réformes nécessaires à une émancipation humaine, que d’autres sociétés mettront plus de cent ans à réaliser. Pire encore, nous continuons de lutter pour certaines !

Mais l’égalité réelle, un défi d’aujourd’hui
Obtenir l’égalité réelle dans tous les domaines reste un défi aujourd’hui alors que la lutte des classes s’entremêle toujours avec la lutte contre le patriarcat et que l’enjeu du travail reste central pour l’émancipation de toutes et tous.
Contre toute attente historique, les femmes, partout dans le monde, continuent de subir les inégalités de salaires et le chômage ; elles sont encore contraintes d’accomplir la majorité des tâches domestiques et restent sous-représentées dans les sphères politique et culturelle. Des services publics chèrement conquis pour leur liberté sont régulièrement menacés au nom de l’austérité. Les droits élémentaires, comme celui de disposer de son corps, sont remis en cause ; les violences faites aux femmes ne sont toujours pas l’objet de politiques publiques à la hauteur, voire carrément décriminalisées, comme vient de le faire la Russie.

« Un parti à visée révolutionnaire comprend que l’émancipation de tous passe par l’émancipation des femmes elles-mêmes, qui tiennent entre leurs mains la transformation de la société. »

Alors que, dès 1879, August Bebel a théorisé d’un point de vue socialiste la question des femmes, en établissant un lien de cause à effet entre organisation « par et pour » les femmes et changement radical de la société, l’absence de promotion des luttes des femmes dans l’historiographie empêche la prise de conscience du pouvoir de leur révolte, pourtant déterminant dans toute révolution.
Car un siècle après la révolution d’Octobre, les femmes sont susceptibles de jouer un rôle majeur dans la lutte contre l’oppression à l’instar de la Women’s March qui a immédiatement alerté après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ou des femmes impliquées dans la défense du peuple kurde face au régime de Recep Erdogan et à la barbarie de Daech.
« La femme est le prolétaire de l’homme », résumait Friedrich Engels. Dès lors, un parti à visée révolutionnaire comprend que l’émancipation de tous passe par l’émancipation des femmes elles-mêmes, qui tiennent entre leurs mains la transformation de la société.

*Hélène Bidard est coresponsable de la commission Droits des femmes et féminisme du conseil national du PCF.

Hélène Bidard, coresponsable de la commission Droits des femmes et féminisme au Conseil National du PCF, adjointe au maire à Paris

Hélène Bidard, coresponsable de la commission Droits des femmes et féminisme au Conseil National du PCF, adjointe au maire à Paris

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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 06:14
Octobre 1917 et l'invention de la modernité artistique (Chimène De, Cause Commune - novembre 1917)
Par  

La révolution soviétique ne fut pas seulement une révolution politique et sociale, elle fut aussi une révolution esthétique. De la peinture au cinéma en passant par la poésie, les œuvres de jeunes artistes communistes ont profondément marqué la modernité.

 

Carré blanc sur fond blanc
En 1918, un tableau de 79 cm sur 79 cm révolutionne l’histoire de l’art de façon radicale et définitive en inventant la modernité artistique. Sur cette toile de taille moyenne, le carré est légèrement de travers et un des angles touche le bord du cadre. Le blanc du carré est un peu plus gris que celui utilisé pour le fond, blanc crème. On y distingue les traces de pinceau et l’épaisseur de la peinture à l’huile. Le peintre s’appelle Kasimir Malevitch, il a 40 ans et il vient d’être élu député. Artiste et député, Malevitch est également enseignant. Il s’est fait remarquer dès 1915 avec un groupe de jeunes artistes lors de l’exposition « 0.10 ».

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Exposition 0.10 : un art neuf pour accompagner un monde neuf
Deux ans avant la révolution de 1917, cette exposition inaugure le début d’un monde nouveau. Quatorze artistes participent : sept femmes et sept hommes, la moyenne d’âge est de 29 ans. Ainsi, le monde nouveau respecte la parité homme/femme et, bien évidemment, il est jeune. Dans le cas de ce groupe, il s’agit autant de révolutionner le monde de l’art que d’accompagner la révolution.
En 1910, en Italie, le poète Filippo Marinetti inventait le premier mouvement d’avant-garde avec un manifeste tonitruant publié dans Le Figaro. Le futurisme rejetait les traditions artistiques et exaltait les inventions industrielles, les machines, la vitesse : le monde ancien devait être détruit pour faire place au monde moderne. Puis, en 1914, de jeunes artistes européens se regroupent en Suisse pour créer Dada. Ils sont peintres, musiciens, poètes, et se moquent de la guerre, de la religion et des bourgeois. En 1917, à New York, Marcel Duchamp fait entrer un urinoir dans l’histoire de l’art ! C’est dire que les artistes répondent avec humour mais aussi avec une subversion déterminée aux événements de l’époque.

« Les avant-gardes ont été avant tout une aventure unique dans l’histoire : la rencontre du politique et de l’artistique, favorisée par l’enthousiasme de la révolution. »

Le monde doit changer totalement
La révolution ne pourrait pas exister dans un environnement où l’esthétique resterait la même qu’auparavant, poussiéreuse et bourgeoise. Il faut changer l’art, la musique, la littérature, mais aussi les décors, les vêtements et tous les objets de la vie courante. Dans cette logique, plusieurs revues vont naître pour diffuser les travaux révolutionnaires dans tous les domaines artistiques : peinture, cinéma, architecture, littérature, théâtre, poésie. Un tout jeune artiste, Lazar Lissitzky (dit El Lissitzky), va devenir le maître d’œuvre de ce nouveau monde. Diplômé d’architecture en 1915, il est également peintre, illustrateur, graphiste, photographe, designer. Lors de la révolution de 1917, il crée le nouveau drapeau soviétique et redécore entièrement les rues de Moscou. Il a seulement 27 ans et démarre alors une remarquable carrière qu’il va consacrer à diffuser les idées de la révolution. D’abord grâce à des affiches au graphisme très simple et direct (formes simples, couleurs primaires) puis grâce à des revues, dont il tient à ce que l’esthétique reflète les changements liés à la révolution, et aussi dans tous les objets du quotidien : mobilier, vêtements, vaisselle… En effet, « l’abstraction révolutionnaire » est utilisée dans tous les domaines de la vie courante.

Le poète de la Révolution
Le poète Vladimir Maïakovski a 24 ans en 1917 et déjà un long passé de révolutionnaire. C’est donc tout naturellement qu’il devient le poète de Lénine et le chantre de la révolution soviétique. Là encore, il s’agit de déconstruire la poésie du monde ancien pour introduire un langage nouveau : direct, parfois cru. Les poèmes de Maïakovski parlent du monde moderne, des ouvriers, de la jeunesse et de ses révoltes.
Extrait du Nuage en pantalon, 1915 :
Votre pensée,
qui rêvasse sur votre cervelle ramollie,
tel un laquais obèse sur sa banquette graisseuse,
je m’en vais l’agacer
d’une loque de mon cœur sanguinolent
et me repaître à vous persifler, insolent et caustique.

Dès ses débuts, il se rapproche des « cubo-futuristes », peintres et sculpteurs, pratique également le graphisme et rédige des pièces de théâtre. En 1918, il réalise et joue dans un film dont il écrit le scénario : La Demoiselle et le voyou, drame dans lequel un jeune homme s’éprend de son institutrice. Amoureux d’Elsa Triolet puis de la sœur de celle-ci, Lili Brik, il se tue d’une balle dans le cœur en jouant à la roulette russe à 36 ans.

Le cinéma, un art très « jeune »
Inventé en 1895 par les frères Lumière, le cinéma est un art essentiellement populaire, un divertissement que l’on trouve dans les fêtes foraines. Dès les débuts, l’industrie s’intéresse à ce procédé grand public et la fréquentation des salles de projection explose très rapidement à travers le monde, de Los Angeles à Tokyo. Les Soviétiques vont en faire l’art majeur de la révolution. Ce sont huit très jeunes artistes qui vont s’engouffrer dans l’aventure cinématographique et y entraîner le pays tout entier.
À leur tête, Dziga Vertov et Sergueï Eisenstein, respectivement 21 ans et 19 ans en 1917. Avec l’énergie de leur jeune âge, ils vont écrire un grand pan de l’histoire du cinéma. Dziga Vertov est le plus radical des deux : il rejette la fiction, car trop théâtrale et divertissante selon lui, et prône un cinéma « vérité », qui documente la vie réelle et instruit le peuple. Son film expérimental L’Homme à la caméra (1929), suite d’images filmées dans la ville pendant une journée, sans scénario et au montage très rythmé, a profondément marqué les cinéastes européens des années plus tard (néoréalisme italien, nouvelle vague en France, etc.). Eisenstein, quant à lui, réalise des longs métrages qui font encore référence aujourd’hui : Le Cuirassé Potemkine avec la fameuse scène du landau dévalant le grand escalier d’Odessa. La première école de cinéma au monde sera créée à Moscou en 1919 avec à sa tête un directeur de 20 ans : Lev Koulechov, inventeur de l’ « effet Koulechov », principe de montage selon lequel la succession de deux images peut créer une infinité d’émotions chez le spectateur.
Fils de paysan, Alexandre Medvedkine, 17 ans en 1917, élabore un grand projet cinématographique dès les années 1920 : sortir le cinéma de ses murs et installer un studio dans un train. Ainsi, le « ciné-train » va parcourir l’ensemble de l’Union soviétique dès 1932 afin de réaliser des films montrant la réalité des paysans, des travailleurs, des habitants… puis il projette ses films immédiatement, créant ainsi des discussions dans le public.
Les avant-gardes soviétiques sont le fruit de deux mouvements européens : d’une part le futurisme italien, mouvement collectif né en 1910 de la main d’un poète, et d’autre part le cubisme et son tableau inaugural, Les Demoiselles d’Avignon, en 1907, fruit des recherches d’un génie de la peinture, Pablo Picasso. Mais les avant-gardes ont été avant tout une aventure unique dans l’histoire : la rencontre du politique et de l’artistique, favorisée par l’enthou­siasme de la révolution. Ce sont de très jeunes hommes et de très jeunes femmes qui ont inventé ce qui est devenu aujourd’hui un héritage incontournable. Dans le cinéma, ce sont des gamins qui ont porté un projet artistique sans précédent. Il aura fallu qu’on leur fasse confiance, qu’on leur donne les moyens de leur énergie et de leur créativité débordantes. Il y a cent ans, des artistes révolutionnaires inventaient la modernité : une exposition zéro point dix et un carré blanc sur fond blanc. 

*Chimène De est professeure d’arts plastiques à l’École d’architecture de Paris La Villette.

Vladimir Maïakovski

Vladimir Maïakovski

Sergueï Eisenstein

Sergueï Eisenstein

Le cinéma, un art très « jeune »
Inventé en 1895 par les frères Lumière, le cinéma est un art essentiellement populaire, un divertissement que l’on trouve dans les fêtes foraines. Dès les débuts, l’industrie s’intéresse à ce procédé grand public et la fréquentation des salles de projection explose très rapidement à travers le monde, de Los Angeles à Tokyo. Les Soviétiques vont en faire l’art majeur de la révolution. Ce sont huit très jeunes artistes qui vont s’engouffrer dans l’aventure cinématographique et y entraîner le pays tout entier.
À leur tête, Dziga Vertov et Sergueï Eisenstein, respectivement 21 ans et 19 ans en 1917. Avec l’énergie de leur jeune âge, ils vont écrire un grand pan de l’histoire du cinéma. Dziga Vertov est le plus radical des deux : il rejette la fiction, car trop théâtrale et divertissante selon lui, et prône un cinéma « vérité », qui documente la vie réelle et instruit le peuple. Son film expérimental L’Homme à la caméra (1929), suite d’images filmées dans la ville pendant une journée, sans scénario et au montage très rythmé, a profondément marqué les cinéastes européens des années plus tard (néoréalisme italien, nouvelle vague en France, etc.). Eisenstein, quant à lui, réalise des longs métrages qui font encore référence aujourd’hui : Le Cuirassé Potemkine avec la fameuse scène du landau dévalant le grand escalier d’Odessa. La première école de cinéma au monde sera créée à Moscou en 1919 avec à sa tête un directeur de 20 ans : Lev Koulechov, inventeur de l’ « effet Koulechov », principe de montage selon lequel la succession de deux images peut créer une infinité d’émotions chez le spectateur.
Fils de paysan, Alexandre Medvedkine, 17 ans en 1917, élabore un grand projet cinématographique dès les années 1920 : sortir le cinéma de ses murs et installer un studio dans un train. Ainsi, le « ciné-train » va parcourir l’ensemble de l’Union soviétique dès 1932 afin de réaliser des films montrant la réalité des paysans, des travailleurs, des habitants… puis il projette ses films immédiatement, créant ainsi des discussions dans le public.
Les avant-gardes soviétiques sont le fruit de deux mouvements européens : d’une part le futurisme italien, mouvement collectif né en 1910 de la main d’un poète, et d’autre part le cubisme et son tableau inaugural, Les Demoiselles d’Avignon, en 1907, fruit des recherches d’un génie de la peinture, Pablo Picasso. Mais les avant-gardes ont été avant tout une aventure unique dans l’histoire : la rencontre du politique et de l’artistique, favorisée par l’enthou­siasme de la révolution. Ce sont de très jeunes hommes et de très jeunes femmes qui ont inventé ce qui est devenu aujourd’hui un héritage incontournable. Dans le cinéma, ce sont des gamins qui ont porté un projet artistique sans précédent. Il aura fallu qu’on leur fasse confiance, qu’on leur donne les moyens de leur énergie et de leur créativité débordantes. Il y a cent ans, des artistes révolutionnaires inventaient la modernité : une exposition zéro point dix et un carré blanc sur fond blanc. 

*Chimène De est professeure d’arts plastiques à l’École d’architecture de Paris La Villette.

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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 19:12
20ème anniversaire de la disparition de Georges Marchais, le 16 novembre 1997: « Marchais. Sans nostalgie », un article de Gérard Streiff
20ème anniversaire de la disparition de Georges Marchais, le 16 novembre 2017
« Marchais. Sans nostalgie »,

un article de Gérard Streiff

Publié dans la page « Histoire » du numéro de "Cause commune" de Novembre/décembre 2017 , la revue d’action politique du PCF:


 Le 16 novembre prochain marquera le vingtième anniversaire de la mort de Georges marchais. Né en 1920, il fut le premier dirigeant du PCF de 1969 (de fait) à 1994, soit vingt-cinq années, décisives dans l’histoire de ce parti. Après sa disparition, durant une longue période, on parla assez peu de lui. Normal, diront les historiens qui savent bien que la mémoire a besoin d’un peu de temps pour sédimenter, décanter, trier, comme s’il fallait d’abord passer par une sorte de purgatoire. Vingt ans après sa mort, le temps est venu d’un bilan serein.
Georges Marchais fut un tribun populaire. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui les foules que cet homme a pu déplacer et l’émotion qu’il a suscitée dans ces rassemblements. Il suffit pourtant de regarder ou écouter les archives (via Ciné Archives par exemple ou les archives de l’INA) pour prendre la mesure des mobilisations politiques de l’époque et de la complicité qu’il savait nouer avec son auditoire. Il y avait, chez nombre de militants et dans une large partie de l’opinion une réelle affection pour l’homme Marchais, que l’on retrouve intacte aujourd’hui encore chez bien des témoins de l’époque.
Sa popularité, il la devait à ses origines. C’était un ouvrier qui parlait aux ouvriers, un homme du peuple échangeant avec le peuple, phénomène rare voire unique dans la vie publique de cette époque.
Il la devait aussi à la maîtrise des médias, et singulièrement de la télévision, talent qu’il manifesta très tôt.
Peu d’hommes furent comme lui aussi systématiquement agressés tout au long de leur carrière et on peut penser que, paradoxalement, cette agressivité récurrente des dominants à son égard contribua à sa renommée.
Bref il fut un leader populaire qui sut imposer un genre, fonceur, voire effronté, une gouaille, se montrer charmeur à l’occasion (toutes choses qui lui valurent aussi de très solides et durables inimitiés).
Son passage à la direction du parti fut marqué, pour le PCF, par un double mouvement, contradictoire
Georges Marchais hérite d’un parti représentant 20% de l’électorat mais la formation qu’il quitte, un quart de siècle plus tard, a perdu entre la moitié (aux législatives) ou les deux tiers (présidentielles) de ses voix.
Il est donc contemporain d’une phase de recul sévère de l’idée communiste, phénomène alors il est vrai universel, et d’un renversement du rapport des forces à gauche, au profit de la social-démocratie et de l’entreprise mitterrandienne.
Dans le même temps, le parti dont il a la charge après 1968 sort d’une longue période de stagnation thorézienne (Waldeck Rochet a peu eu le temps d’imprimer sa propre marque, le « Manifeste de Champigny » mis à part) ; c’est un parti accroché à la dictature du prolétariat, au centralisme démocratique et à une discipline de caserne, au marxisme-léninisme, à la dévotion sovietiste, et au moralisme pesant. Ce parti, il va le transformer profondément (c’est lui qui parlera le premier de « mutation ») pour en faire une formation certes affaiblie mais moderne, démocratique.
Si l’on doit conserver de Georges Marchais deux ouvrages, ce sont sans conteste « Le défi démocratique » de 1973 et « Démocratie » de 1990, un même thème, on le voit, à près de vingt ans de distance.
Ces vingt-cinq années ne furent pas toutes d’un même tonneau. La première phase (1969/1981) fut extraordinairement dynamique, inventive, dense, ambitieuse. Elle correspond en partie à ce qu’on a appelé l’eurocommunisme, la recherche d’une troisième voie entre social-démocratie et soviétisme.
La seconde période est celle des années quatre-vingt où il fallut gérer la difficile cohabitation avec Mitterrand, dans et hors du gouvernement, avec l’impression être encalminé, et en mesurant aussi les risques réels d’implosion du parti.
La dernière partie, dramatique également, coïncide avec l’effondrement de l’Est, la désillusion créée par Gorbatchev, réformateur impotent, le retour d’un libéralisme sans vergogne et l’agressivité retrouvée de l’empire capitaliste, la multiplication des conflits aussi.
Le « règne » de Georges Marchais fut trop long, dira-t-on. Sans aucun doute. La conduite d’un parti, c’est largement l’engagement d’un chef, bien sûr, c’est aussi la qualité d’un groupe dirigeant. Marchais sut s’entourer d’hommes de qualité, on citera - pardon pour les absents, Jean Kanapa (disparu dès 1978), Charles Fiterman, Paul Laurent, ou de collaborateurs entreprenants, Jean François Gau ou Francis Wurtz, notamment. Un lien politique particulier a longtemps existé entre Georges Marchais et Charles Fiterman. Ce dernier semblait tout désigné pour lui succéder dans le courant des années 80. Puis le passage au gouvernement du ministre des transports, l’expérience délétère du pouvoir va changer la donne. Les deux hommes vont diverger, sur l’analyse de la crise, le rôle du parti, les rapports d’union, et la confiance entre eux va se rompre.
Trouver un successeur sera alors un long casse-tête pour Marchais qui va se résoudre à opérer le choix, transitoire pensait-il, de Robert Hue. Mauvaise pioche.
La vulgate médiatique –et tous ceux qui ne lui voulaient pas du bien - (n’) ont volontiers retenu de Georges Marchais (que) ses gaffes et des choix malheureux, des mots trop rapides, une ligne hésitante à l’égard de l’URSS, oscillant entre une critique radicale et des arrangements compliqués ; le « bilan globalement positif » ou le soutien à Brejnev lors de l’intervention soviétique en Afghanistan ; des coups de colère pas toujours appropriés ; une politique unitaire cahotique. Lui-même en a convenu, publiquement, à plusieurs reprises.
Cela n’enlève rien au fait que Georges Marchais fut un modernisateur ; il a modernisé la stratégie communiste désormais ancrée dans un engagement démocratique de manière irréversible ; il a modernisé l’approche de la crise capitaliste envisagée comme une crise de système (dès 1971 !) ; il a modernisé, non sans tâtonnements, la conception (et la pratique) du parti où s’imposera la règle du « travailler ensemble » ; il a modernisé aussi la manière de faire de la politique et de se saisir de l’outil médiatique ; il a modernisé encore les choix internationalistes des communistes, plus volontiers tournés vers Mandela, Castro, le Sud non aligné et le tiers monde en général que vers Brejnev, quoiqu’on en dise.
Il aurait dû aller plus loin ? Marchais s’est senti ligoté. Par le double héritage légué par Thorez et son un caporalisme néo-soviétique, et accessoirement par Waldeck Rochet et son « programme commun de la gauche ». A plusieurs reprises, Marchais aborda le débat sur le « retard » de 1956. Pourquoi ne l’a-t-il pas poursuivi et approfondi ?
Lors de l’écriture de l’ouvrage que je lui consacre (Marchais, Arcane 17), je fus intrigué par la façon qu’il avait, à la fin de sa vie, d’annoncer qu’il allait se mettre à la rédaction d’un livre politique en forme de testament, promesse qu’il ne tiendra pas (de la même manière, il arrêta les entretiens sur son autobiographie que nous avions entamés tous les deux).
Pourquoi ? On va dire, pour aller vite, qu’il ne se sentait peut-être pas assez légitime pour le faire. Le communisme, pour Marchais, est une « vocation tardive ». Il adhère à l’âge de 27 ans, alors que tous ses pairs, à cet âge, ont déjà une longue « bio », de fortes expériences (JC, Résistance, filiation, élus, etc). Malgré son incontestable autorité, il n’a pas voulu s’en prendre à ses prédécesseurs. Ou alors le temps lui aura manqué.
Parler de Marchais aujourd’hui n’est en rien une démarche nostalgique. C’est un travail d’historien, qui n’en est qu’à ses débuts et qui va évidemment se poursuivre. Il ne s’agit pas de chercher dans cette expérience des recettes toutes faites pour aujourd’hui et encore moins de faire parler l’ancien dirigeant pour solutionner des enjeux de l’heure.
Georges Marchais est mort, le parti, la société et le monde même où il évoluait ont radicalement changé. Les questions d’aujourd’hui sont totalement inédites. Mais s’il est un enseignement qu’on peut tout de même tirer, une ambition plutôt que l’on peut reprendre, c’est : ne pas avoir peur de révolutionner le parti pour être mieux à même de révolutionner la société.

Gérard Streiff 

20ème anniversaire de la disparition de Georges Marchais, le 16 novembre 1997: « Marchais. Sans nostalgie », un article de Gérard Streiff
20ème anniversaire de la disparition de Georges Marchais, le 16 novembre 1997: « Marchais. Sans nostalgie », un article de Gérard Streiff
20ème anniversaire de la disparition de Georges Marchais, le 16 novembre 1997: « Marchais. Sans nostalgie », un article de Gérard Streiff
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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 07:51
Les communistes et Octobre 1917 - le dossier de la revue "Cause Commune", novembre 2017 - Florian Gulli et Saliha Boussedra, philosophes et membres du PCF
Par  

Présentation du dossier : OCTOBRE 1917 ET NOUS

Le centenaire d’Octobre est l’occasion de remettre à l’ordre du jour l’idée de « révolution ».

Il existe bien des points de vue sur Octobre à l’intérieur du PCF : des humeurs, des a priori mais aussi des réflexions construites, nourries et pourtant contradictoires. Le rôle de ce dossier n’est évidemment pas de trancher parmi ces lectures. Ce n’est pas la fonction de la revue Cause commune. Ce qu’elle peut faire, plus modestement, c’est donner à voir ces différentes approches et, ce faisant, peut-être contribuer à travailler à leur compréhension, voire leur dépassement. Beaucoup ont écrit des choses profondes et informées sur la question. Mais de nombreux échanges ne virent-ils pas à la caricature dès que le spectre de 17 approche ? « Staliniens », crie-t-on vite ici ; « liquidateurs », répond-on là… 17 ne vaut-il pas mieux que cela, et nous avec lui ?

Octobre, fille du grand carnage impérialiste
N’en demeure pas moins que dire ce qu’est « Octobre » est plus difficile qu’il n’y paraît. Car Octobre n’est pas seulement ce 25 octobre 1917 à Petrograd qui fut, pour notre calendrier grégorien, un jour de novembre. Octobre paraît peu après l’aube d’un siècle nouveau, celui que l’historien Eric Hobsbawm nomme « le court XXe siècle ». Peu après l’aube, car tout commence véritablement à l’été 1914. La révolution d’Octobre est fille du grand carnage impérialiste. Précision importante pour contrer la lecture libérale du siècle. Octobre n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, l’événement qui viendrait dérégler la belle machine. L’Europe d’avant Octobre n’est pas un havre de paix et de démocratie. Les puissances européennes se partagent le monde et écrasent les peuples colonisés. Elles rivalisent de plus en plus dangereusement ; le militarisme, comme un poisson dans l’eau, gagne du terrain. Le mouvement ouvrier se renforce, suscitant l’hostilité de plus en plus farouche de la classe dominante. À tel point que beaucoup verront dans la Grande Guerre qui s’annonce la possibilité de faire d’une pierre deux coups : écraser l’ennemi à l’extérieur et, mesure prophylactique, se débarrasser des subversifs à l’intérieur.
Parler d’Octobre, c’est donc parler de ce « court XXe siècle » inauguré par la Grande Guerre. Tâche colossale pour qui veut être sérieux. Tâche bien trop grande pour ce dossier qui ne cherche qu’à envisager la question au présent des communistes français : qu’est-ce qu’Octobre nous dit, un siècle après ?

Souffle d’octobre et ombres sinistres
Car Octobre est de ces événements qui transforment les siècles et cette révolution projette, sur les décennies qui la suivent, tant de lumières inédites et tant d’ombres saisissantes. Contradictions qu’il faut assumer pour ne pas être unilatéral, pour pouvoir penser le réel dans sa complexité effective.
D’un côté, l’exceptionnelle grandeur. Les premiers décrets émancipateurs dans le sillage de l’insurrection bolchevique. Les aspirations profondes de tant d’ouvriers, de paysans, de femmes, de soldats, de minorités nationales, etc., enfin satisfaites. Le développement industriel d’un pays où tout manquait. La résistance héroïque à l’invasion des troupes hitlériennes puis la bataille de Stalingrad, presque oubliée chez nous, et pourtant véritable tournant de la guerre, coup d’arrêt au projet de domination coloniale à l’Est, début de la fin du nazisme. Youri Gagarine, aussi, le premier homme dans l’espace. Le souffle d’Octobre ensuite dans les pays colonisés qui vont bien souvent marcher vers l’indépendance avec le drapeau rouge. Et parallèlement, dès l’année 1917, l’agression de la Russie par les pays européens pour détruire le pouvoir des soviets et forcer la Russie à continuer la guerre contre l’avis de son peuple. Le soutien des puissances capitalistes à toute sorte de dictatures partout dans le monde où les peuples commençaient à se lever, les guerres menées pour maintenir la domination coloniale. Souffle d’Octobre enfin dans les pays capitalistes eux-mêmes où les luttes pour les droits sociaux et la sécurisation des vies ouvrières se voyaient renforcées par la présence d’un bloc soviétique effrayant la bourgeoisie, la contraignant à des concessions jamais vues.

« Ce qui se dit en octobre 1917 est de brûlante actualité : c’est que nous pouvons transformer le monde, que nous pouvons amorcer la sortie du capitalisme. »

Mais il y a aussi l’autre côté, les sinistres ombres. Peut-on parler d’Octobre sans parler de Staline ? Sans parler du type de commandement arbitraire mis en œuvre en URSS à partir de la fin des années 1920 et dont on peut repérer quelques signes avant-coureurs dès avant ? Type de commandement que l’on retrouvera souvent sous d’autres latitudes, et dont beaucoup de communistes furent les premières victimes ? Comment expliquer que l’URSS, une fois passée la période de troubles des années 1930, une fois passée la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, ne soit pas parvenue à trouver une vitalité suffisante ? L’ère Brejnev ne donne-t-elle pas l’impression d’un régime sclérosé ? Par ailleurs, comment rendre compte de l’absence durable d’institutions démocratiques dans les régimes socialistes ? Comment y parvenir sans s’aligner sur la position libérale qui criminalise toute alternative au gouvernement représentatif et à l’absence de démocratie économique ? Comment y parvenir sans se satisfaire non plus de l’explication par la seule pression impérialiste sur les pays socialistes ? Et la disparition presque partout des régimes se réclamant d’Octobre ? Peut-on s’empêcher d’y voir un symptôme ? D’autant plus que les communistes de ces pays ne s’y sont guère opposés, d’autant plus que les populations ne les ont pas défendus.

Un des grands faits de l’histoire de l’humanité 
La diversité des jugements communistes renvoie donc aussi pour partie à la complexité et aux contradictions de cette longue histoire du siècle passé. Ce qui devrait cependant les réunir, c’est la volonté de s’approprier cette histoire, de la penser de façon autonome, de ne pas la laisser aux libéraux qui l’abordent toujours avec une même arrière-pensée : justifier le capitalisme et jeter le discrédit sur les aspirations populaires et les alternatives. Les communistes n’ont-ils pas à apprendre de ces expériences collectives, de leurs réussites comme de leurs échecs, de leur incroyable héroïsme com­me de leur dramatique perversion, pour penser sérieusement la construction d’une société d’émancipation ?
Mais faut-il s’interdire de considérer la révolution de 1917, comme si elle contenait par principe et Staline et Brejnev, voire Poutine ? Comme si la Révolution française contenait par principe Charles X, Napoléon III, Pompidou et Macron… Quoi qu’il en soit des contradictions du XXe siècle et de la complexité des régimes socialistes qui suivirent, il faut regarder Octobre pour ce qu’il est, « un des grands faits de l’histoire de l’humanité » (John Reed). Ce qui se dit en octobre 1917 est de brûlante actualité : c’est que nous pouvons transformer le monde, que nous pouvons amorcer la sortie du capitalisme. Non pas en attendant passivement que l’histoire accouche par elle-même d’une autre société mais à force d’audace et de travail. Et si cette audace est d’abord celle de masses populaires, elle est aussi et en même temps celle d’un parti en harmonie avec les aspirations majoritaires.
Et l’on comprend les motifs idéologiques tapis derrière l’historiographie dominante depuis les années 1970 en France. La relative bonne image dont pouvaient jouir Lénine et la révolution d’Octobre maintenait ouvert l’horizon d’une autre société. Il fallait repeindre tout cela en noir, éteindre la flamme, nous réassigner au capitalisme, quoi qu’il en coûte. Et cela au prix d’analyses historiques souvent partiales, souvent légères d’un point de vue méthodologique. Le dernier livre du philosophe Lucien Sève, Octobre 1917. Une lecture très critique de l’historiographie dominante (choix de textes de Lénine, éditions sociales, 2017) met en lumière ces biais idéologiques qui, pour être inlassablement répétés, n’en restent pas moins des caricatures.
Le centenaire d’Octobre est l’occasion de remettre à l’ordre du jour l’idée de « révolution ». Non pas le bain de sang et le carnage, comme se plaisent à le répéter les partisans de l’ordre établi. Et il faut rappeler à ce propos le mot de Hobsbawm : « On a dit qu’il y avait eu plus de blessés lors du tournage du grand film d’Eisenstein, Octobre, qu’au cours de la prise du palais d’Hiver, le 7 novembre 1917. » Non pas ce mot galvaudé par le premier Macron venu et qui désigne l’intensification de la lutte de classes du côté des dominants. Non, la « révolution » comme transformation radicale des structures sociales par le peuple et pour le peuple ; l’entrée dans un processus de sortie du capitalisme par ceux qui ont le moins intérêt au statu quo. Pour contribuer à cette tâche, parlons d’Octobre…

Saliha Boussedra est responsable de la rubrique Féminisme.
Florian Gulli est coresponsable de la rubrique Dans le texte. Ils ont coordonné ce dossier.

Les communistes et Octobre 1917 - le dossier de la revue "Cause Commune", novembre 2017 - Florian Gulli et Saliha Boussedra, philosophes et membres du PCF
Les communistes et Octobre 1917 - le dossier de la revue "Cause Commune", novembre 2017 - Florian Gulli et Saliha Boussedra, philosophes et membres du PCF
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 Brossons un rapide tableau de la Russie au début du XXe siècle.

Brossons un rapide tableau de la Russie au début du XXe siècle. La Russie, (très) majoritairement paysanne, s’engage tardivement mais à caden­ce soutenue sur la voie du capitalisme et de l’industrialisation. Un océan de paysans (face à des nobles, grands propriétaires terriens), des îlots déjà notables d’ouvriers (face à des bourgeois et des nobles, propriétaires d’industries). Au plan politique, l’Empire est le plus autoritaire de toute l’Europe : c’est l’autocratie. Le tsar tient tous les pouvoirs entre ses mains : la Russie n’a pas franchi le cap de 1789. L’opposition libérale monte chez les bourgeois mais reste timide ; les libertés sont de toute façon muselées. Dès lors, les socialistes sont d’une maigre influence, d’autant qu’ils sont très divisés : po­pu­listes (narodniki) puis « socia­listes-révolutionnaires » (SR) implantés à la campagne promeuvent un socialisme agraire suivant une voie russe propre ; mencheviks et bolcheviks s’inscrivent davantage dans les débats du socialisme européen.

Il faudrait parler longuement de 1905 avec la révolution populaire qui s’invite en Russie au cours de la guerre russo-japonaise et invente les soviets (conseils). Mais puisqu’il faut résumer la chose à l’extrême, filons droit en 1914 : l’Empire russe, allié de la République française depuis la fin du XIXe siècle, entre en guerre contre les puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman). Vingt millions d’hommes sont mobilisés ; dans une armée encadrée par une noblesse à l’ancienne, les soldats (ouvriers et, surtout, paysans) sont traités comme des moins que rien. Peu équipés, leur vie est allègrement sacrifiée, sans états d’âme. La guerre dure et monte, irrésistible, l’aspiration à la paix.

En quelques jours de février 1917, elle emporte le régime tsariste ; le matin même du 27 février, le peuple russe (notamment celui de Petrograd, alors la capitale – actuelle Saint-Pétersbourg) ne sait même pas que dans quel­ques heures, il aura fait tomber un régime de fer inflexiblement installé depuis plusieurs siècles : c’est la révolution de Février. Se met en place un gouvernement provisoire (GP) dominé par les libéraux (dits KD ou cadets pour constitutionnels-démocrates). En parallèle, les soviets se déploient, dominés par les SR, mencheviks et autres socialistes « modérés » (comme le populaire Kerenski).

Mais la paix n’advient pas, alors que la révolution qui porta ces hommes (des soviets et du GP) au pouvoir la plaçait comme une exigence centrale. Il est même question, dans une note officielle du ministre des Affaires étrangères (KD) Milioukov, de poursuivre la guerre « jusqu’à la victoire finale ». Le peuple russe apprend ainsi à ses dépens qu’il ne suffit pas de porter des hommes au pouvoir pour que ceux-ci fassent ce pour quoi ils y ont été placés. Les libéraux perdent leur crédit. On condamne. On remanie : les socialistes « modérés » entrent en masse dans le gouvernement (sept ministères KD ; six ministères socialistes, dont l’Agriculture pour le SR Tchernov et la Guerre pour Kerenski).

La paix advient-elle désormais que les socialistes sont dans la place ? Nenni. Kerenski lance même une offensive à l’été et restreint les libertés octroyées après Février. Les revendications en matière économique et sociale ne sont pas davantage écoutées. La ligne de Lénine, tenue dès février et alors inaudible jusqu’au sein de la direction bolchevique, gagne alors en écho : Février n’a été que le prélude bourgeois à la révolution prolétarienne qui est à l’ordre du jour. Une partie du peuple russe veut donc placer les bolcheviks au pouvoir et renverser ces pouvoirs issus de Février mais infidèles à la promesse révolutionnaire. Lénine freine : la révolution est à l’agenda mais l’assentiment populaire n’est pas assez large. Cependant, Kerenski qui a pris la direction du GP, voit croître le danger bolchevique et se lance dans la répression contre les bolcheviks : prison, exil, saccage des locaux…

Devant les troubles et l’instabilité, le zélé Kerenski apparaît en deçà des attentes des dominants. Bourgeoisie, noblesse et haut clergé vont lui préférer un ancien général du tsar, homme à poigne : Kornilov. Un putsch est tenté en août. Kerenski libère les bolcheviks pour sauver sa peau et ce qui reste de Février. Le putsch est écrasé ; Février est sauvée. Les bolcheviks apparaissent comme ceux dont la contribution a été décisive et le crédit de ceux qui les ont calomniés (notamment sur le thème nationaliste « Lénine, agent allemand » car Lénine, comme d’autres révolutionnaires, avait pu rejoindre la Russie après Février grâce à l’Empire allemand qui comptait sur eux pour déstabiliser la Russie et, ainsi, affaiblir cet ennemi) et pourchassés décroît d’autant.

Les bolcheviks, petite minorité en février, gagnent alors la majorité dans les soviets. Pour Lénine, l’heure de l’insurrection a sonné. Le 25 octobre (7 novembre, dans notre calendrier), la révolution est en marche. Le palais d’Hiver est investi. Kerenski fuit. Presque aucune effusion de sang. Personne n’aura voulu défendre le régime vermoulu. La révolution d’Octobre 1917 est faite.

En quelques semaines, la face de la Russie change radicalement : décrets sur la paix, sur la terre, séparation de l’Église et de l’État, égalité des droits hommes-femmes, abolition des castes, titres et privilèges, contrôle ouvrier sur la production, nationalisation de toutes les banques, pleine liberté donnée aux nationalités opprimées… Lénine avance en 1921 : « La monarchie, les castes, la propriété terrienne et la jouissance du sol, la situation de la femme, la religion, l’oppression des nationalités. Prenez n’importe laquelle de ces écuries d’Augias [...], nous les avons nettoyées à fond. En quelque dix semaines, [...] nous avons fait dans ce domaine mille fois plus que n’ont fait, en huit mois d’exercice de leur pouvoir » les hommes de Février. Lucien Sève commente : « On se demande qui pourrait de bonne foi se refuser à reconnaître là une œuvre révolutionnaire-démocratique véritablement gran­­diose en sa rapidité. »

Pour sûr. Un siècle s’ouvre ; le communisme s’y est imposé au menu. Non sans susciter haine et terreur des possédants dans le monde entier. Non sans susciter espoir et luttes des travailleurs dans le monde entier. Déjà, Lénine (« le vieux ») n’a plus que six ans à vivre ; la bouillonnante Russie révolutionnaire se cherche (« Mon pays adolescent », Maïakovski). Le XXe siècle commence, impitoyable : « l’âge des extrêmes ».

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« La fusion du mouvement ouvrier et du socialisme », voilà comment Lénine concevait le parti révolutionnaire. Focalisés sur la question de la « forme parti », les débats contemporains ont tendance à occulter deux autres questions centrales posées par Lénine en son temps : celle de la composition de classe et celle de la théorie.

 

Soit le hors-série de L’Humanité, consacré à la révolution d’Octobre. En couverture, un Lénine déterminé, guidant prolétaires et peuples coloniaux vers le socialisme. Mais on s’aperçoit vite à la lecture du numéro – par ailleurs excellent en tout point – que Lénine n’a pas bonne presse. Le jugement le concernant est grosso modounanime : Good bye Lenin , mais sans point d’interrogation, et avec un « ouf » de soulagement. La thèse est la suivante : « On ne pour­ra renouer avec l’émancipation et la révolution qu’à la con­dition de se débarrasser de Lénine, en pensant hors des cadres définis par lui. »

« On ne peut battre un adversaire qu'en le connaissant, qu'en connaissant ses défauts (ses contradictions internes) et ses qualités, qu'en connaissant tous les terrains où se déroule le combat. »

Un des arguments qui a cours dans la galaxie communiste est le suivant : le déclin électoral du PCF et le recul du nombre de ses adhérents à partir des années 1980 demandaient une explication. Une hypothèse a été avancée : le déclin s’expliquerait en premier lieu par sa structure organisationnelle, la forme parti. Ce type d’organisation, hérité de Lénine, serait périmé désormais : trop centralisé, trop autoritaire, trop discipliné, etc. D’où la rupture nécessaire avec Lénine, avec Que faire ?, pour aller vers une organisation plus proche des mouvements, plus souple, plus participative, plus décentralisée, plus attentive à la spontanéité.

Le parti révolutionnaire selon Lénine
Pour discuter cet argument, il faut avoir une idée de la façon dont Lénine définit le parti révolutionnaire. Lénine ne cesse de répéter la même définition pendant près de deux décennies. Elle est reprise des commentaires que Kautsky fait du programme d’Erfurt en 1892 : « La social-démocratie est la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme. »
Que trouve-t-on dans cette formulation ? Rien sur la forme organisationnelle. Cette dernière varie en effet selon les contextes ; la social-démocratie russe, condamnée à la clandestinité, ne peut avoir la même organisation que la social-démocratie allemande. Rien non plus sur le programme ou la tactique. Là encore, choses très variables ne permettant pas de définir tous les partis se réclamant de la Deuxième Internationale. Les deux seuls invariants identifiables sont la composition de classe de l’organisation sociale-démocrate ainsi que la référence à la théorie. La social-démocratie cher­che à faire fusionner deux groupes sociaux : les intellectuels, « la nouvelle classe moyenne » dont parle Kautsky, qui portent originairement la théorie socialiste, et le mouvement ouvrier, syndicats, associations de chômeurs, caisses d’entraide, coopératives, etc. Un parti révolutionnaire est donc concerné dans son être même par la question des classes, par la question de la division de classe en son sein. Il doit la regarder en face. À défaut de le faire, il trouvera, au lieu de la fusion, la marginalisation des ouvriers dans l’organisation. La formule célèbre – « L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » – deviendra un vain mot. Cette question est une préoccupation permanente de Lénine : faire disparaître, atténuer tout au moins, cette division parmi les révolutionnaires.

Un ancrage ouvrier
Cette fusion n’est pas un processus spontané, bien au contraire. Elle n’a de chance d’advenir que par l’action volontariste du parti sur lui-même. C’est une véritable obsession de Lénine. Il faut d’abord connaître ce mouvement ouvrier. Dans Que faire ?, il écrit  : « Durant des semaines, je questionnai “de parti pris” un ouvrier qui venait chez moi, sur tous les détails du régime de la grande usine où il travaillait. Je parvins, à grand-peine il est vrai, à faire la description de cette usine (d’une seule usine !). Mais parfois, à la fin de notre entretien, l’ouvrier, en essuyant la sueur de son front, me disait avec un sourire : “Il m’est plus facile de faire des heures supplémentaires que de répondre à vos questions !”. » Dans un livre sur Lénine, Tony Cliff cite les Souvenirs sur Lénine de Kroupskaïa, sa femme : « Vladimir Ilitch s’intéressait à chaque détail de la vie ouvrière ; à l’aide de ces menus traits, il s’efforçait d’embrasser la vie de l’ouvrier dans son ensemble, de trouver le joint par où la propagande révolutionnaire pourrait le mieux pénétrer jusqu’à lui. La plupart des intellectuels de l’époque connaissaient mal les ouvriers. Ils se contentaient de venir faire dans les cercles ouvriers [éducation populaire] des sortes de conférences. »

« La focalisation du débat sur la forme parti a peut-être rejeté au second plan la question de la théorie et de la composition de classe de l'organisation. »

Il faut aussi que le parti choisisse de se donner des cadres ouvriers. En mai 1905, au IIIe Congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), Lénine propose aux organisations sociales-démocrates qu’« il y ait huit ouvriers pour deux intellectuels dans chacun de nos comités ». En novembre de la même année, en plein cœur de la révolution, il déclare : « J’exprimai au IIIe Congrès du parti le vœu de voir les comités du parti comprendre huit ouvriers pour deux intellectuels. – Que ce vœu a vieilli ! Il faut aujourd’hui souhaiter que les nouvelles organisations du parti comprennent, pour un intellectuel, plusieurs centaines d’ouvriers social-démocrates ! » Cette politique volontariste porte ses fruits. En 1905, le recensement des effectifs du parti compte 62 % d’ouvriers.

Une théorie révolutionnaire
Mais cet ancrage ouvrier ne suffit pas encore. Il faut aussi une théorie révolutionnaire. Lénine est clair : « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire ». Que recouvre l’expression « théorie révolutionnaire » chez Lénine ? Dans Aux paysans pauvres, écrit en 1903, Lénine écrit que « la théorie social-démocrate est la théorie de la lutte contre toute oppression ». Elle n’est pas la théorie de la lutte des seuls ouvriers. Elle doit rendre compte concrètement de tous les antagonismes de la société russe, y compris des antagonismes traversant la classe dominante. Comment lutter sérieusement contre un adversaire qu’on ne connaît pas ?
Par ailleurs, on trouve cette formule dans Que faire ? : « La classe ouvrière doit avoir une connaissance précise des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non seulement théorique… disons plutôt : moins théorique que fondée sur l’expérience de la vie politique. » Non pas une théorie ésotérique réservée à une élite dirigeante et inaccessible aux masses, mais, beaucoup plus modestement, une « expérience ». En effet, lorsque Lénine parle de « théorie », il utilise souvent l’expression « élargir son horizon ». Grâce à la théorie, l’expérience des militants acquiert une dimension nationale et internationale. Au niveau national, le parti doit rendre ses membres sensibles à toutes les sortes d’oppression. Lénine vante le mérite des socialistes allemands : « Ils l’encouragent [l’ouvrier] à élargir son champ d’action, à l’étendre d’une seule usine à toute la profession, d’une seule localité à l’ensemble du pays. » La lutte pour la conquête de l’État a une dimension nationale ; il faut dépasser le localisme. Au niveau international : « Un mouvement amorcé dans un pays jeune [ici La Russie] ne peut être fructueux que s’il assimile l’expérience des autres pays. » La théorie permet d’assimiler les meilleures tactiques et stratégies de luttes, mises en œuvre ailleurs.

« Grâce à la théorie, l'expérience des militants acquiert une dimension nationale et internationale. »

Lorsque Lénine dit que le mouvement ouvrier a besoin de théorie, ce n’est pas donc du mépris annonçant la contrainte. C’est une idée simple : on ne peut battre un adversaire qu’en le connaissant, qu’en connais­sant ses défauts (ses contradictions internes) et ses qualités, qu’en connaissant tous les terrains où se déroule le combat. Or ces connaissances, nul n’en dispose spontanément car l’expérience que l’individu fait du monde social est fragmentaire. L’étroitesse de l’horizon est propre à tout groupe social. Lénine fustige les ouvriers qui ne pensent qu’aux problèmes ouvriers ; mais il fustige aussi les étudiants qui prennent leur université pour le centre du monde.
Voilà donc, au-delà du conjoncturel, ce qu’il en est du parti social-démocrate pour Léni­ne. Dans les réfle­xions sur le déclin du PCF, cet aspect de la pensée de Lénine est trop peu présent. La réflexion se focalise sur la forme organisationnelle – le dépassement de la forme parti – et l’on rejette alors souvent le modèle bolchevique, c’est-à-dire Que faire ? et surtout, en réalité, les codifications qui auront lieu ultérieurement en URSS. Or ce livre n’est pas un traité général d’organisation révolutionnaire. Lénine lui-même refusait d’en faire un modèle dès le IIe Congrès du POSDR, c’est-à-dire quelques mois après la parution de Que faire ? 

S’est-on suffisamment occupé de théorie ? 
On peut à partir de Lénine poser au parti révolutionnaire d’autres questions qu’organisationnelles, questions certes importantes mais qui ont aussi contribué à en occulter d’autres. Ainsi, depuis le tournant des années 1980, nous sommes entrés dans une nouvelle configuration du capitalisme que certains nomment « néolibéralisme ». S’est-on suffisamment occupé de théorie ? Avons-nous procédé à une étude concrète de toutes les formes de l’antagonisme en France ? Dispose-t-on d’un tableau complet de la bourgeoisie française, de ses contradictions internes, que nous pourrions exploiter en période de crise ?
Par ailleurs, s’est-on suffisamment occupé de la question de la fusion, ce qui était une autre obsession de Lénine ? L’avènement du néolibéralisme (ses fermetures d’usines, ses délocalisations, etc.) a bouleversé les milieux populaires, déracinant partiellement les organisations politiques et syndicales. La fusion relativement solide des générations précédentes s’est défaite. Mais le PCF lui-même la met-il suffisamment à l’ordre du jour ? Non, si l’on en croit Julian Mischi qui écrit dans son livre, Le Communisme dé­sarmé (Agone, 2014) : « L’ambition de promouvoir en priorité des responsables issus des milieux populaires est […] abandonnée. […] De façon significative, le logiciel [de la vie du parti, COCIEL] est programmé pour traiter une multitude d’indicateurs (âge, sexe, secteur d’activité, lieu d’habitation, etc.) sans que la catégorie socio­professionnelle soit prise en compte. Les adhérents sont différenciés selon leur branche d’activité (enseignement, collectivité territoriale, transports, fonction hospitalière, etc.), voire selon leur entreprise (SNCF, EDF, Air France) sans qu’on puisse savoir s’il s’agit d’un ouvrier ou d’un cadre. Cette distinction de classe n’est plus considérée comme une donnée importante. »
La focalisation du débat sur la forme parti a peut-être rejeté au second plan la question de la théorie et de la composition de classe de l’organisation. Précisément les deux choses qui définissent un parti révolutionnaire selon Lénine.

*Florian Gulli est philosophe. Il est responsable de la rubrique Dans le texte.

Alexandra Kollantai

Alexandra Kollantai

Feminisme et communisme, une association stratégique décisive 

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En 1917, la question des droits réels des femmes prend la forme d'une question de stratégie politique et syndicale décisive dans le cadre d'une perspective communiste révolutionnaire.

8 mars : journée internationale pour les droits des femmes. 8 mars 1917 (23 février), premier jour de la Révolution russe. Les ouvrières russes prennent la rue d’assaut et rencontrent les suffragettes. Dans ces tout premiers jours de la révolution russe, il est encore difficile de savoir s’il s’agit d’une révolte populaire ou bien d’une révolution. Il suffira de quelques jours pour que les soldats se mutinent après avoir tiré sur la foule et rejoignent dès le lendemain la foule révolutionnaire. Quelques jours encore pour voir le tsarisme et l’ancien monde féodal réduits en lambeaux.

Si la majorité des femmes qui prennent la rue le 8 mars sont des ouvrières et si la minorité sont des suffragettes, ce sont elles qui d’abord entraînent les hommes. Cette entrée dans la Révolution russe par les femmes semble marquer la place qu’elles y occuperont dans les premières années de la Russie révolutionnaire. Nous n’aborderons pas cette histoire des femmes en historienne que nous ne sommes pas mais nous chercherons à saisir les leçons que nous pouvons tirer de cette histoire pour nos luttes actuelles et à venir.

Une avancée considérable des droits des femmes 
Des luttes féministes des années 1970 en France est restée cette leçon, semble-t-il indépassable : la lutte féministe doit se constituer en mouvement autonome car il est impossible de défendre ses intérêts dans le cadre des partis ou des syndicats ouvriers. De cette leçon nous ne sommes toujours pas sortis. Il nous semble que si nous avons une leçon à tirer d’un point de vue à la fois féministe et communiste de l’expérience de la Révolution russe et bolchevique, c’est bien celui-là : des femmes luttant pour des droits ont été en mesure de s’associer à des hommes luttant pour des droits, et cette association, sans négliger tous les obstacles qu’elle a pu rencontrer, au premier rang desquels les difficultés d’ordre matériel liées aux structures patriarcales bien ancrées notamment dans la paysannerie, a permis une avancée considérable des droits des femmes et une avancée tout à fait précoce et extraordinaire au regard du développement socio-économique de la Russie de 1917 et des avancées dans les autres pays européens.

« Abolir la propriété privée familiale ne signifie pas abolir les rapports femmes-hommes, ni la parentalité, mais les conditions matérielles qui fondent ces liens, de la division du travail qui fonde cette forme de propriété privée. »

En effet, du côté des droits fondamentaux : légalisation du mariage civil, droit de divorcer par consentement mutuel, droit de vote, ministère pour la protection de la maternité et de l’enfance, légalisation de l’avortement dès 1920, proclamation de l’égalité homme-femme, adultère et homosexualité supprimés du code pénal, disparition de l’autorité du chef de famille. Du côté des droits du travail : congé maternité, égalité des salaires et égalité professionnelle, journée de huit heures, semaine de quarante-huit heures, création des assurances sociales. Du côté de la division du travail propre à la propriété privée familiale, selon Stéphane Lanchon : « La première Constitution de l’État soviétique reconnaît l’utilité sociale du travail ménager. Le programme du parti adopté en 1919 prévoit la socialisation du travail domestique via des équi­pe­ments communautaires. » Cette position est ainsi résumée par Lénine : « Le travail ménager écrase, étrangle, rabaisse et dégrade la femme ; il l’enchaîne à la cuisine et à la chambre des enfants, et gaspille sa force de travail dans un esclavage barbare, improductif, mesquin, horripilant, déconsidérant et écrasant… Cantines publiques, crèches, jardins d’enfants : voilà quelques exemples de ce qui est indispensable, voilà les moyens simples et quotidiens, sans grande pompe ni décorum, qui peuvent vraiment résorber et abolir l’inégalité entre hommes et femmes dans le domaine de la production sociale et de la vie publique » (Lénine, À propos de l’émancipation des femmes, éditions sociales).
La présence des femmes dans les organisations ouvrières (syndicales et politiques) est déjà constatable dès la Révolution de 1905, ce n’est donc pas, à proprement parler, les révolutions de février et octobre 1917 qui expliquent à elles seules ces avancées. Les femmes représentent déjà en 1917 une partie importante de la classe ouvrière, non pas en tant que femmes d’ouvriers mais bien en tant que travailleuses, dans l’industrie textile notamment. Dès 1905, la frange de la classe ouvrière la plus politisée, que l’on trouve en particulier chez les métallurgistes, a déjà une cons­cience avancée de l’importance de la mobilisation des femmes et de l’importance qu’elles représentent du point de vue de la stratégie politique et syndicale. Parce que notre époque ne lit les révolutions de 1917 que de manière rétrospective en projetant nos propres structures et difficultés à rassembler communistes et féministes, nous ne percevons et nous ne mettons en exergue que les difficultés qu’ont rencontrées les femmes russes à se faire entendre des hommes (difficultés bien réelles) mais, ce faisant, nous ratons l’essentiel, à savoir qu’ils et elles ont réussi dans une certaine mesure à les dépasser.

« La question des femmes et de leurs droits réels n'était donc pas une question secondaire et “sociétale”, elle constituait au contraire un enjeu fondamental dans la remise en cause de la propriété privée et de la division du travail qui la fonde. »

L’importance de la place des femmes dans la perspective révolutionnaire
S’ils ont réussi à les dépasser, c’est  en raison de la profonde conviction, au sein de la fraction révolutionnaire de la classe ouvrière ainsi que de ses dirigeants, de l’importance de la place des femmes dans la perspective révolutionnaire. Contrairement à notre époque où le féminisme est simplement rangé parmi les questions dites « sociétales », les révolutionnaires russes avaient d’une part pris la mesure de la composante matérielle des catégories de travailleurs où les femmes étaient nombreuses, d’autre part ils savaient que le but d’une révolution communiste consiste en l’abolition de la propriété privée. Cela ne signifie rien de moins que l’abolition de la propriété privée des moyens de production ainsi que de la propriété privée qui a trait à la famille et à la division du travail qui la caractérise. (Abolir la propriété privée familiale ne signifie pas abolir les rapports femmes-hommes, ni la parentalité, mais les conditions matérielles qui fondent ces liens, de la division du travail qui fonde cette forme de propriété privée.) La question des femmes et de leurs droits réels n’était donc pas une question secondaire et « sociétale », elle constituait au contraire un enjeu fondamental dans la remise en cause de la propriété privée et de la division du travail qui la fonde.

« Les femmes représentent déjà en 1917 une partie importante de la classe ouvrière, non pas en tant que femmes d'ouvriers mais bien en tant que travailleuses dans l’industrie textile notamment. »

Mais, du côté des femmes révolutionnaires, cela impliquait également le fait qu’elles étaient convaincues que leur sort et leurs intérêts étaient irrémédiablement liés à la victoire de la classe ouvrière. L’histoire du féminisme en France, depuis l’acquisition de droits fondamentaux (citoyenneté, avortement, lutte contre le viol, etc.), n’est pas parvenue à remettre en cause la propriété privée et la division du travail au sein de la famille (en témoignent les éternelles études de l’INSEE sur l’évolution du partage du travail domestique), de même qu’en 2017, l’écart des salaires dans le monde social du travail reste une constante criante. C’est pourquoi si l’autonomie du mouvement féministe français a pu présenter des avantages et des enthousiasmes chaleureux et à bien des égards décisifs, elle le condamne à se priver des organisations ouvrières (partis et syndicats). Continuer à percevoir la lutte féministe seulement comme une question « sociétale » et non comme une lutte fondamentale contre la division du travail et la propriété privée (capitaliste et familiale), c’est se condamner durablement à se priver de l’autre moitié du ciel qui constitue pourtant un enjeu décisif dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire.

*Saliha Boussedra est doctorante en philosophie à l'université de Strasbourg.

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 20:21
Jack Ralite en 2009 à Brest - photo Jean-Marc Nayet

Jack Ralite en 2009 à Brest - photo Jean-Marc Nayet

L'Humanité, 12 novembre 2017: 

L'ancien ministre communiste Jack Ralite est décédé à l'âge de 89 ans, a annoncé dimanche Meriem Derkaoui, maire de la ville d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) qu'il a dirigée de 1984 à 2003.

"C'est avec une grande tristesse et une profonde émotion que nous apprenons le décès à l'âge de 89 ans de Jack Ralite ce dimanche 12 novembre. Son état de faiblesse avait conduit à son hospitalisation il y a deux semaines", écrit la maire sur le site internet de la ville. M. Ralite fut notamment l'un des ministres communistes du gouvernement de Pierre Mauroy de 1981 à 1984.

Né le 14 mai 1928 à Chalons-sur-Marne (Marne), Jack Ralite avait adhéré au PCF en 1947. Journaliste à l'Humanité puis à L'Humanité-Dimanche, cet autodidacte passionné de culture est élu pour la première fois au conseil municipal d'Aubervilliers en 1959. Il devient ensuite premier adjoint au maire puis maire en 1984. En novembre 2002, il avait annoncé qu'il abandonnerait son mandat au printemps 2003 pour laisser la place à un maire plus jeune, restant alors conseiller municipal jusqu'en 2008.

Député de Seine-Saint-Denis de 1973 à 1981, Jack Ralite avait démissionné de son mandat parlementaire en juillet 1981 pour entrer dans les gouvernements Mauroy comme ministre de la Santé (1981-1983) puis comme ministre délégué chargé de l'Emploi (1983-1984). Depuis 1995 et jusqu'en 2011, Jack Ralite, conseiller régional d'Ile-de-France de 1986 à 1992, avait été sénateur de Seine-Saint-Denis.

Jack Ralite, spécialiste des questions culturelles au PCF, a été membre du comité central, puis national de 1979 à 2000. Ce passionné de culture, notamment de théâtre, a été administrateur du Théâtre national de la colline (TNC). Il a été également administrateur de l'établissement public de la Cité de la Musique (1996-2006).

Jack Ralite était aussi membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, du Conseil national de l'innovation pour la réussite scolaire, et du conseil politique de la fondation Agir contre l'exclusion, lancée par l'ancienne ministre socialiste Martine Aubry.

a réagi sur Twitter la sénatrice CRC de Seine-Saint-Denis Eliane Assassi.

"Tristesse et émotion à l'annonce du décès de J.Ralite. (...) Il était passionnément engagé pour la culture, exigeante et populaire. Attaché à la Gauche rassemblée, il défendait la banlieue avec sensibilité", a réagi Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis.

A Aubervilliers, dès ce dimanche, "les drapeaux seront mis en berne et un hommage lui sera rendu dans les prochains jours", a précisé Mme Derkaoui.

Anicet Le Pors à Jack Ralite
DIMANCHE, 12 NOVEMBRE, 2017

La tristesse du départ de Jack ne saurait dépasser le sentiment qu’une vie flamboyante vient d’achever sa trace dans notre époque.

La trace de Jack c’est celle d’un homme du peuple qui aura témoigné des plus beaux sentiments. Un ami commun  m’avait dit un jour : « quand il parle des fleurs s’envolent de sa bouche ».

Chacun connaît l’homme de culture, mais ce n’était pas seulement celle d’un érudit des plus grands auteurs, des plus hautes créations de l’esprit, c’était aussi le grand frère des artistes et des femmes et des hommes de la pensée militante en même temps que rationnelle et romanesque.

Nous avons vécu ensemble l’avènement de la gauche au pouvoir au cours des années 1970 et notre entrée au gouvernement en 1981 avec Marcel Rigout et Charles Fiterman. Cette expérience a renforcé une amitié demeurée vivace, jusqu’aux plus simples attentions : l’appel de Jack tous les 1er janvier dans l’après midi pour nous souhaiter une bonne année. Je disais à Jack, il y a peu, que je m’étonnais qu’il ait si peu écrit sur son combat pour la culture et sur les multiples facettes de sa vie.

Il m’avait répondu qu’il en était bien conscient mais que la masse de ses activités ne lui en avait pas laissé le temps. Il disait « Ma vie me brule le temps ». Il avait cependant décidé de s’atteler à ce travail  dont il me disait qui était déjà bien avancé et qu’il pensait pouvoir achever d’ici six mois.

Comme tout au long de sa vie sans doute, le temps lui aura manqué pour accomplir l’immensité de ses projets et de ses rêves. Assurément Ils resteront dans les nôtres.

Le message de Mériem Derkaoui, maire d'Aubervilliers

C’est avec une grande tristesse et une profonde émotion que nous apprenons le décès à l’âge de 89 ans de Jack Ralite ce dimanche 12 novembre.

Son état de faiblesse avait conduit à son hospitalisation il y a deux semaines.

Mes premières pensées vont à ses enfants Sophie, Pascal, Daniel et Denis, à son gendre Pascal Beaudet, à sa famille et ses proches qui l’ont côtoyé tout au long de sa vie.

Ministre de la santé de 1981 à 1983 puis Ministre délégué à l’Emploi de 1983 à 1984,  il fut également député et sénateur de la Seine-Saint-Denis.

Aujourd’hui, Aubervilliers une ville « rude et tendre » comme il aimait la qualifier, perd un grand homme. Il en a été le maire de 1984 à 2003 et il y aura vécu jusqu’à la fin de sa vie.

À jamais, Jack Ralite aura marqué Aubervilliers de son empreinte.

Connu pour avoir promu inlassablement la culture, il a fait de celle-ci un outil d’émancipation humaine qui participe au rayonnement de la banlieue.

L’homme ne manquait ni d’idées ni d’énergie, c’était un infatigable militant politique.  Son autorité morale et son intransigeance quant au respect de l’égalité et de la dignité humaine forçaient le respect et l’admiration. Jack Ralite va manquer à Aubervilliers, au monde de la culture et à la pensée en général.

Dès aujourd'hui, les drapeaux de la mairie sont mis en berne et un hommage lui sera rendu dans les prochains jours.

Mériem Derkaoui

Maire d'Aubervilliers

 

Charles Silvestre, Vice-président des Amis de l’Humanité
Jack et Edmonde : chapeau les artistes ! Jack Ralite était à lui tout seul, et sans forfanterie, un rendez-vous des amis de l’humanité. Pas étonnant que les Amis de l’Humanité, avec un grand A et un grand H,  l’aient retrouvé à tous les tournants d’un parcours des vingt dernières années selon cette forte définition de l’artiste franco-américain Robert Filliou : « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».
Toujours là. Toujours à l’écoute. Toujours prêt à dire. Parce qu’il faut aussi dire. Dire à chacun et dire à tous. A chacun, ne serait-ce qu’au téléphone, dans l’intimité de l’aube naissante, dire à tous sous un chapiteau en plein vent et sous la trombe d’eau à la fête de l’Humanité.
C’est là que la Résistance connut un retour de flamme. Sur la même scène, dans une totale complicité : une dame qui, à vingt ans, transportait clandestinement, à Marseille, des armes à la barbe de l’occupant ; un monsieur se souvenant de ses quatorze ans où, écolier, avec sa classe, il se dressa contre l’arrestation de son maître. Fiers de s’être insurgés, fiers d’être toujours là ensemble. C’étaient Edmonde Charles-Roux, disparue l’an dernier et Jack Ralite, parti ce dimanche de novembre. Ils n’ont raté, ni leur entrée dans la vie, ni leur sortie. Chapeau les artistes !

 

Pierre Musso, Philosophe.

Quelle immense tristesse, quel triste dimanche de novembre, notre ami Jack, est parti rejoindre ses amis Vitez et Vilar, Ferrat et Aragon et tous les grands aux cieux de la culture et de la création, eux qui l’avaient tant inspiré et qu’il aimait tant citer. Jack ce fut notamment le fondateur et l’animateur des Etats Généraux de la Culture lancés il y a tout juste 30 ans pour dire que « la culture se porte bien pourvu qu’on la sauve ». Triste anniversaire ! Il nous laisse en héritage son  combat inlassable en faveur de « l’élitisme pour tous » inauguré par Diderot et pour que « le peuple n’abandonne jamais son imaginaire au monde des affaires ». La création fut toujours son étoile et reste la nôtre. Salut l’ami !

Photo Ouest-France

Photo Ouest-France

Article du Ouest-France, 27 septembre 2013 à l'occasion d'une venue de Jack Ralite dans le Finistère :

 

https://www.ouest-france.fr/le-combat-de-jack-ralite-pour-la-culture-307697

Jack Ralite a été ministre de la Santé puis de l'Emploi dans les gouvernements Mauroy, de 1981 à 1984. Mais le sénateur communiste est avant tout un spécialiste de la culture. Journaliste à L'Humanité, il fut d'ailleurs responsable de la rubrique culture.

Samedi, matin, au centre d'art Passerelle, ils étaient plus de 300 à être venus l'écouter. À 80 ans, l'homme parle toujours avec fougue de son combat pour la culture. L'argumentaire s'appuie constamment sur les écrivains et surtout les poètes. Il cite Aragon, souvent, Jean Vilar, «  mes pilotis, car pour faire une maison, il faut des pilotis ».

Sur la table devant lui, des chemises bourrées de feuillets. Jack Ralite sait l'importance de l'écrit, des mots justes. Il dénonce « une offensive contre la langue, un crime contre la pensée. Pour avoir l'air moderne, on invente des mots, comme gouvernance pour gouvernement. C'est un trafic de la langue ».

Il parle de l'audience, « une vraie question qu'il ne faut pas éluder ». Il discourt longuement sur les rapports entre le politique et le culturel. « La différence entre un politique et un artiste, c'est que le second n'a pas besoin de majorité ! » Il s'emporte contre le contrôle sur la culture au nom de l'utilité : « Comment peut-on savoir que l'inconnu est utile. On a besoin d'inconnu. »

Il s'indigne d'apprendre que le théâtre de Morlaix aura 40 % de subvention en moins : « On va vers la survie, puis la mort. » Il dénonce la tendance à tout mesurer à l'aune de la finance : « On veut que chaque équipement devienne une entreprise. »

Sa longue vie lui permet de dresser un constat peu rassurant : « La culture populaire en a pris un coup. Et la culture élitaire aussi. »

À propos du travail et de la culture, il constate : « D'un côté, il y a Sarkozy et son stakhanovisme. De l'autre, il n'y a rien. La Gauche a oublié de parler du travail ! »

Le vieux militant émeut son auditoire lorsqu'il évoque l'éveil à la culture. « Il n'y a pas d'autoroute pour aller à la création. Il n'y a que des venelles. »

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 19:17
Jack Ralite en 2009 à Brest- photo Jean-Marc Nayet

Jack Ralite en 2009 à Brest- photo Jean-Marc Nayet

Jack Ralite : un homme libre, un homme sans frontières, qui ne se laissait dicter sa pensée par personne. 

"Chacun est un être singulier, le rêve c'est que ce singulier soit  imbibé du collectif, ce collectif étant lui-même imbibé de tous les  singuliers". 
Jack Ralite 

La disparition de Jack Ralite est un choc, même si nous nous étions préparés à cette issue depuis plusieurs jours. Nous perdons un communiste et un homme politique d'envergure, un des meilleurs défenseurs de la culture, un homme qui a exercé les plus hautes  responsabilités au niveau de l'État, de son parti, le PCF, de sa ville, Aubervilliers. Jack Ralite,  a été un des dirigeants communistes les plus  respectés : bien sûr dans son Parti, auquel il est resté fidèle toute  sa vie,  dans toute la Gauche et chez les écologistes mais aussi à  droite. Dans tous les lieux où il a exercé sa présence, il a fait  partager ses idées. Ce fut le cas au gouvernement Mauroy, à l'assemblée nationale, à la Région Île de France, au Sénat – ou à Aubervilliers dont  il fut le maire, et aussi chez les créateurs, qu'ils soient écrivains, acteurs, metteurs en scène, cinéastes, philosophes, sociologues, ou médecins, chercheurs... 

Jack était un homme libre, un homme sans frontières, qui ne se laissait dicter sa pensée par personne. 

Jack Ralite était considéré comme l'ami des gens de culture et considéré  par eux comme l'un des leurs. Avec « les états généraux de la culture » qu'il a fondés, il a combattu pour l'exception culturelle, les droits d'auteurs, .. . . 

Comme beaucoup, j'ai toujours été frappé par sa culture, son amour des  mots, sa passion pour chercher le nouveau, mettre à jour les absurdités de ce monde. A chaque fois que je le croisais, il conseillait une lecture, une pièce de théâtre. Tel l'abeille il aimait butiner d'une œuvre à une autre, écrivant sur des bouts de papiers une pensée, une citation, une question..  Travailleur infatigable, Jack Ralite lit et relit des passages entiers de Saint-John Perse, de Bernard Noël, de  Julien Gracq, de René Char, de Mahmoud Darwich, de Neruda et d'Aragon,... C'est dans ces moments-là que se passe l'indispensable rencontre entre le politique et le poétique. De cette rencontre avec des œuvres, des  auteurs     naissait sa pensée, pleine de fulgurances, ouvrant des chemins encore en jachère alimentant sans cesse notre propre réflexion sur l'art et la politique, la liberté du créateur, le théâtre, la beauté des choses. 

Il a été de tous les combats pour la liberté de création en France comme dans le monde. 

Encore aujourd'hui, il m'arrive de relire ses interventions au Sénat. Orateur hors pairs, il mettait par sa verve, ses arguments et par toujours quelques citations bien choisies, le public et ses adversaires  politiques dans la poche. Il les subjuguait.  Parce qu'il mettait sa culture, la culture au service des gens, de sa propre pensée. 

Dans un de ses derniers textes paru le 1er mars 2017 dans son journal l’Humanité, il écrivait avec 
Meriem Derkaoui, maire d'Aubervilliers, Lucien Marest ancien responsable du secteur Culture du PCF,  : 

« les œuvres sont intransigeantes et ce qui peut aussi améliorer leur  appropriation par le plus grand nombre, c'est d'abord le recul des inégalités sociales et ­territoriales qui ont tendance à ­exploser en  ces temps où la précarité, le chômage de masse, les bas salaires, le culte de la violence, l'idéologie ­asservissante du divertissement rendent difficile et quelquefois impossible une nouvelle rencontre 
entre le peuple et la culture. » 

  Cela « résume » pour moi, l'action de  Jack Ralite. 

Il aimait sa ville, Aubervilliers. Et les habitant.e.s le lui rendaient  bien. Il voulait le meilleur pour les habitant.e.s . Il a été un des artisans de la décentralisation culturelle. Il est à l'initiative de la  création à Aubervilliers du premier centre dramatique national de la décentralisation ouvert,  le théâtre de la Commune, dirigé par Gabriel Garran. 

Les habitant.e.s, il les considérait comme des « experts du quotidien ». Parce qu'ils étaient des experts , il fallait écouter, entendre leurs détresses, leurs souffrances, mais aussi leurs espoirs, 
leurs revendications. Il les portait avec fidélité dans chaque hémicycle, chaque tribune où il pouvait se faire entendre. Son combat contre les injustices, contre les inégalités nous les faisons nôtres. 

Nous faisons nôtre cette conviction que le système capitaliste a fait son temps, et qu'il y a besoin d'inventer, de créer un nouveau monde qui respecte chaque être vivant. 

Jack était un passeur, un passeur d'idées, un passeur d'actions, un passeur de mots. Nous prenons avec fierté le passage de témoin qu'il nous a transmis. 

Dans sa ville, il a su passer le relais à Pascal Beaudet, et à Meriem Derkaoui qui à leur façon poursuivent son action. 

Aux habitant.e.s d'Aubervilliers, à sa maire et ses élu.e.s, aux  artistes, aux femmes et hommes de culture, aux communistes, à ses proches, à ses ami.e.s, à sa famille, à Denis, Sophie, Pascal et leur 
maman Monique, je présente toutes mes condoléances, et celles du PCF, toute mon amitié, et ma solidarité. 


Pierre Laurent 
secrétaire national du PCF 


Paris, 12 novembre 2017

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