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16 août 2023 3 16 /08 /août /2023 06:00
Elsa Triolet et sa soeur Lili Brik au Moulin de St Arnoult © Maison TRIOLET-ARAGON

Elsa Triolet et sa soeur Lili Brik au Moulin de St Arnoult © Maison TRIOLET-ARAGON

Lili Brik et Elsa Triolet : chronique culturelle entre la France et la Russie

Les sœurs Kagan, Lili Brik et Elsa Triolet, correspondront durant cinquante ans. Le départ de la seconde, qui quitte Moscou pour la France en 1920, donnera lieu à une conversation passionnée relatant des rencontres et des événements historiques jusqu’à leur mort.

Mardi 25 juillet 2023 - L'Humanité

Sur un demi-siècle, une conversation intime va se nouer entre les deux sœurs Kagan. Une correspondance qui s’étend de 1921 à 1970 avec une centaine de lettres échangées entre Lili Brik et Elsa Triolet, où défilent l’histoire et leurs destins croisés personnels. « Une conversation passionnée entre deux pays : la France et la Russie », raconte le poète et traducteur Léon Robel (1).

Cette correspondance débute lors du départ d’Elsa, qui quitte Moscou en 1920 pour Paris puis Tahiti après son mariage avec André Triolet, un officier français en mission en Russie. Les premières lettres datent de 1921, après qu’Elsa se sépare de son mari. Mais les documents retrouvés sur la période 1921 à 1928 sont rares. Il est vrai que les deux sœurs se voient souvent à cette époque, se retrouvant à Berlin, Londres ou Moscou.

Les sœurs proches des révolutionnaires russes côtoient l’avant-garde : Pasternak, Malevitch, Rodtchenko, Chostakovitch 

Lili, née en 1891, et Ella (le prénom de naissance d’Elsa), en 1896, sont les filles d’un couple de juifs russes de Moscou. Leur père, Youri Kagan, avocat, défend les juifs victimes de l’antisémitisme virulent de l’époque tsariste : pogroms, numerus clausus. Leur mère, Elena Berman, est pianiste. Les deux sœurs ont été élevées dans un milieu aisé où l’on parlait plusieurs langues, dont l’allemand et le français. Les arts et la culture font partie intégrante de leur vie.

Avant le départ d’Elsa pour la France, les sœurs proches des révolutionnaires russes côtoient l’avant-garde : Pasternak, Malevitch, Rodtchenko, Chostakovitch, Eisenstein. C’est à cette époque qu’Elsa présente Maïakovski à sa sœur Lili, dont il deviendra l’amant.

Leur correspondance devient plus volumineuse à partir de 1928, année de la rencontre entre Elsa et Louis Aragon. Et surtout à partir de 1930, année du suicide de Maïakovski. La lettre de Lili à Elsa au lendemain du drame est lapidaire : « Ma petite Elsa, je t’écrirai de Moscou au sujet de tout. Tout de suite je ne comprends absolument rien. Combien c’est insupportable ! »

Une lettre au couple « Elsaragocha »

Bien qu’éloignées, elles traversent ensemble le XX e siècle, témoignent de la vie littéraire et culturelle, de leurs engagements politiques, échangent leurs sentiments sur leur vie quotidienne, leur santé, leur couple, leurs amis. Lili livre à sa sœur la méthode pour réussir des blinis. Elsa lui envoie des colis de robes et de chaussures.

Certaines lettres témoignent d’événements clés, comme la demande de Lili auprès de Joseph Staline, au 1er janvier 1936, « avec quelques précautions de langage », de permettre la publication des œuvres de Maïakovski. Léon Robel note que lors des grandes purges de 1937-1938, Lili doit sa survie au fait que Staline avait souligné dans un document : « Ne pas toucher à la femme de Maïakovski ». Maxime Gorki et Vladimir Maïakovski étaient « les deux piliers du réalisme socialiste » (1).

Une carte postale du 2 octobre 1940 arrive ­miraculeusement à Moscou avec un tampon des occupants allemands. Elsa annonce qu’elle et Louis sont en vie, mais « sans adresse fixe », le couple étant entré dans la Résistance . Un silence qui dure jusqu’au 21 novembre 1944, date de la première lettre de Lili après la guerre. Elle est apportée début 1945 à Paris par un proche, Jean-Richard Bloch, destinée au couple « Elsaragocha ». Lili surnommait son illustre beau-frère du diminutif affectueux « Aragocha ».

Lili Brik, qui annonce le décès de leur mère, se réjouit en même temps d’avoir appris « par la radio française que vous étiez tous les deux des héros ». En réponse, le 1er février 1945, Elsa ­envoie une longue missive qui constitue un véritable document historique sur leur clandes­tinité. Elle y raconte leur lutte durant l’Occupation.

Inlassablement, Lili Brik fait découvrir au couple français les nouveaux talents soviétiques

Le 3 juillet, Elsa annonce à sa sœur avoir reçu le prix Goncourt, la première femme à l’obtenir­, pour Le premier accroc coûte deux cents francs. À cette époque, le couple est auréolé de gloire. Lili supervise les traductions en russe des œuvres de sa sœur et d’Aragon pour publication en URSS. Elsa, dans les années 1960, va déployer toute son énergie pour faire éditer une anthologie de la poésie russe et sollicite l’aide de Lili et Vassia Katanian, son nouveau mari.

Toutes deux continuent de s’écrire, comme en 1968 sur les événements en France et sur l’invasion de la Tchécoslovaquie. Aragon la qualifie de « Biafra de l’esprit », ce qui lui vaudra de vives attaques dans la presse soviétique. Le 7 novembre, Lili le soutient ouvertement : « Fais comme tu le juges bon. Nous n’en serons qu’heureux. Nous avons été des idiots assez longtemps. Ça suffit comme ça ! » écrit-elle. Inlassablement, Lili Brik fait découvrir au couple français les nouveaux talents soviétiques, dont Soljenitsyne avec Une journée d’Ivan Denissovitch. Elle prend également sous sa protection le réalisateur Sergueï Paradjanov.

Elsa, malade, s’ouvre à son aînée le 1er avril 1970 : « J’ai envie de me séparer de moi-même, de me dire : fiche-moi la paix, à la fin ! » Le 7 mai, Lili lui répond : « Il est impossible que nous ne nous voyions plus JAMAIS ». Le 16 juin 1970, Elsa Triolet décède. De retour en URSS, après avoir assisté aux obsèques d’Elsa, Lili est désemparée. Quelques années plus tard, en 1978, elle se suicide, à l’âge de 87 ans. 

Lili Brik à Elsa Triolet : « Si tu peux, envoie-moi les journaux »

« 23 juillet, Mes chers Elsa, Aragocha, j’ai su que tu avais le prix le jour même par Liouba (1) qui m’a téléphoné. Ehrenbourg avait par hasard tourné le bouton de la radio. As-tu reçu notre télégramme de félicitations ? Ton livre est une merveille ! Il y a longtemps que je n’avais rien lu de meilleur ! Très fort, tout au bout, la Vie privée. Il fallait te donner le prix rien que pour ça. Quelle sorte de prix est-ce donc que le prix Goncourt ? (…) Écris-moi, de grâce, en détail, et, si tu peux, envoie-moi les journaux. Ça m’intéresse bien de voir l’allure que tout cela avait. Merci pour les cadeaux. Mais en aucun cas ne m’envoyez plus rien. Genia et moi sommes parfumées et Vassia tout entier en cravate neuve. (…) Ne manquez pas de m’écrire ce dont vous avez le plus besoin : des bas ? des chaussettes ? du savon ? du sucre ? encore quelque chose ? du café ? du thé ? (…) Votre Lili »

Elsa Triolet à Lili Brik : « M’est tombé du ciel le prix Goncourt ! »

« Le 3 juillet (1945), Ma petite Lili, Vassia, Genia, Nadia, j’ai reçu hier vos lettres, le caviar, les cadeaux et le même jour m’est tombé du ciel le prix Goncourt ! J’ai eu le prix pour mon dernier livre le Premier Accroc. Dès hier je t’ai envoyé par l’intermédiaire du journal un télégramme. Toute la journée j’ai été photographiée, “interviewée” et j’ai dû parler à la radio. Et si par hasard vous m’aviez entendue ?

Aujourd’hui, dans tous les journaux sans exception, il y a en première page ma tronche (...) ! Hier soir nos amis les plus chers sont venus dîner, nous avons mangé tout le caviar avec un enthousiasme unanime et d’autant plus qu’actuellement on a tellement serré la vis aux restaurants que ce n’est pas bien gras ! Aragocha a même cessé de parler tellement il est content, moi aussi bien entendu je suis contente, d’autant plus que cela est très utile pour nous et qu’il y a tant d’amis qui se réjouissent avec nous. (…) ELSA »

(1) Préface de Correspondance,­ consacré aux échanges épistolaires entre ces « deux femmes d’exception ». (1) La femme d’Ilya Ehrenbourg (écrivain et journaliste soviétique, 1891-1967). NDLR : Ces deux lettres sont extraites de l’ouvrage Lili Brik-Elsa Triolet. Correspondance, 1921-1970, Gallimard.
Lili Brik et Elsa Triolet : chronique culturelle entre la France et la Russie - Patrick Kamenka, L'Humanité, 25 juillet 2023
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16 août 2023 3 16 /08 /août /2023 05:30

 

Paris, cimetière du Père-Lachaise, le 27 mai 1923. Au milieu des milliers de participants à la traditionnelle montée au mur des Fédérés, venus rendre hommage aux communards massacrés en 1871, une poignée de militants placés sur le bord du cortège donnent de la voix. Munis de brassards rouges, ils vendent des cartes postales au profit du Secours rouge international (SRI), une organisation nouvellement constituée dans plusieurs pays pour aider les victimes de la répression capitaliste et du fascisme.

 

 

La fondation du SRI, décidée quelques mois plus tôt à Moscou lors du 4e congrès mondial de l’Internationale communiste (ou Komintern), intervient dans un contexte défavorable pour le mouvement révolutionnaire. Partout en Europe les communistes sont confrontés au reflux de la poussée révolutionnaire qui, dans le sillage de la prise du pouvoir des bolcheviques en Russie, avait ébranlé le vieux continent à la sortie de la Première Guerre mondiale. Dans de nombreux pays (Allemagne, Finlande, Hongrie…), les insurrections ouvrières ont été écrasées et ont laissé la place à des régimes anticommunistes et autoritaires qui se livrent à une implacable répression. Dans ces conditions, la formation d’un organisme transnational de secours des victimes de la « terreur blanche » s’est imposée comme une nécessité pour assurer la survie des organisations communistes et ouvrières.

Elle répond également au mouvement de repli stratégique engagé par le Komintern qui, prenant acte de l’éloignement de la perspective de la révolution mondiale, se concentre sur le renforcement des partis communistes et lance le mot d’ordre de « conquête des masses ». La création du SRI s’inscrit alors dans le développement d’organisations auxiliaires « de masse », conçues pour faciliter la pénétration des idées communistes auprès de publics plus larges et dépassant le cercle des militants encartés.

En France, une section du Secours rouge voit le jour en mai 1923, sous l’impulsion du Parti communiste et de la CGTU, qui décident de fusionner plusieurs petits comités spécialisés dans l’accueil des victimes du fascisme italien et des révolutionnaires étrangers en exil. Cette nouvelle organisation se situe dans le prolongement des expériences d’avant-guerre de solidarité ouvrière et de défense des libertés démocratiques. Toutefois, elle s’inscrit en rupture avec des structures plus anciennes comme la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou celles issues du syndicalisme révolutionnaire, qui sont accusées de ne plus répondre aux enjeux du moment, ni aux nouvelles formes de répression frappant le mouvement ouvrier après 1918.

En concurrence avec la LDH ou le Comité de défense sociale d’inspiration anarchiste, le Secours rouge s’impose dès le milieu des années 1920 comme le principal outil de défense des militants ouvriers et communistes face à la répression. Sous la conduite d’anciens prisonniers emblématiques, comme André Marty (le célèbre mutin de la mer Noire), il se structure sur l’ensemble du territoire national et dans les colonies, groupant quelques dizaines de milliers d’adhérents (plus de 40 000 à la fin des années 1920). La section française du SRI, spécialisée dans l’organisation de campagnes de solidarité, devient alors l’une des organisations majeures de la galaxie communiste.µ

Corentin Lahu

 

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14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 06:00
Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison - L'Humanité, Bruno Odent, 4 août 2023
Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison

Incarcérée en Silésie pour son opposition aux impérialismes, Rosa Luxembourg la future cofondatrice du Parti communiste allemand résiste et s’évade par l’écriture. Les lettres qu’elle envoie à sa meilleure amie sont aussi surprenantes qu’émouvantes.

Publié le Vendredi 4 août 2023

Entre 1914 et 1919, c’est derrière les barreaux que Rosa Luxemburg aura passé, quasiment sans discontinuer, les dernières années de sa vie. Enfermée en Silésie dans la prison de Wronki (près de Posten, aujourd’hui Poznan), puis à Breslau (Wroclaw), la cofondatrice – avec Karl Liebknecht – du parti communiste allemand, usera de l’écriture comme d’un moyen de s’échapper pour poursuivre envers et contre tout son combat contre l’impérialisme et la guerre.

Elle y produit une extraordinaire somme d’articles, de réflexions et d’analyses, publiés souvent au nez et à la barbe de ses geôliers. Cette détermination politique intacte, elle l’associera à une activité épistolaire intense avec des proches, des amis, seules fenêtres sur le monde extérieur. Sophie (alias Sonja) Liebknecht, seconde épouse de Karl, sera l’une des principales destinataires d’échanges épistolaires émouvants et d’une extraordinaire qualité littéraire.

À la croisée d’un rendez-­vous avec l’histoire ni manqué ni prématuré

Avec Sonja, devenue sa meilleure amie, Rosa Luxemburg entretient, de longue date, une relation où elle sait pouvoir se confier sur tout, y compris son enthousiasme pour la beauté de la nature, des choses et des êtres, son goût si exigeant des textes. Les affinités de Soniouchka, la Russe, et de Rosa, issue d’une famille juive de Silésie, passent par les territoires polonais, sous contrôle des empires russe puis allemand.

Des missives de Sonja Liebknecht déclenchent une réaction intense chez Rosa Luxemburg dont il ne reste malheureusement aucune trace aujourd’hui. Ce qui nous a obligés à procéder à sens unique, en laissant deviner derrière les mots de la révolutionnaire allemande la personnalité de Sonja Liebknecht, cette jeune historienne de l’art qui trouvera refuge en Union soviétique après l’assassinat de son mari, en janvier 1919.

Les deux femmes et leur destin tragique sont à la croisée d’un rendez-­vous avec l’histoire ni manqué ni prématuré, mais assassiné, avec la complicité établie des dirigeants d’une gauche allemande déjà très recentrée, en train d’accéder au pouvoir sur les ruines du second Empire allemand (1).

L’une des deux lettres de prison adressées à Sonja, dont nous avons choisi de publier des extraits, constitue l’un des messages anti-guerre les plus forts laissés par la dirigeante internationaliste. Même s’il n’est jamais explicite. Même si le conflit mondial n’y est jamais évoqué directement.

La prisonnière savait que sa missive devait franchir le barrage de la Kommandantur (l’administration pénitentiaire), où elle aurait à subir la censure. Elle choisit donc de se projeter dans les yeux d’un buffle blessé qu’elle a vu entrer dans la cour de la prison : un sommet d’habileté littéraire, sans doute l’un des textes les plus beaux, les plus poignants contre l’horreur de la grande boucherie de 1914-1918.

Dans une précédente missive, dont nous avons sélectionné ici quelques passages, Rosa Luxemburg tente de consoler son amie, qui vient à l’évidence de lui écrire combien lui pèse l’absence de Karl (Liebknecht), emprisonné depuis mai 1916. Elle-même, affectée physiquement par la détention et surtout la trahison des dirigeants sociaux-démocrates (2), est alors d’autant plus déprimée qu’elle vient d’apprendre la mort sur le front de son jeune amant, Hans Diefenbach.

Un hymne à la vie et à l’amour

Elle qui s’est donné comme ligne de conduite de survivre en devenant attentive au moindre de ces petits détails du vivant, qu’ils prennent la forme d’un insecte, d’un oiseau, d’un nuage, d’où réussit à émerger « même en cabane », dit-elle, la splendeur du monde, conseille à sa chère Soniouchka de ne surtout pas se laisser engloutir et lui adresse un extraordinaire hymne à la vie et à l’amour.

Libérée début novembre 1918 alors que le soulèvement spartakiste bat son plein et que l’empereur Guillaume II a enfin abdiqué, elle se rend à Berlin, y prend la parole avec Karl Liebknecht. Elle se plonge sans relâche dans le lancement du journal Die Rote Fahne, le drapeau rouge du mouvement révolutionnaire.

Le dirigeant du SPD Friedrich Ebert, devenu chancelier, se rapproche alors du général Wilhelm Groener, chef de file des Corps francs, ces militaires non encore totalement démobilisés et toujours puissamment armés dont il ­entend se servir pour mater la révolution. L’ambiance à Berlin devient irrespirable.

« On veut créer une atmosphère de pogrom et poignarder le mouvement spartakiste avant qu’il n’ait eu la possibilité de faire connaître sa politique et ses objectifs aux masses ! » s’insurge Rosa Luxemburg. Quelques jours plus tard, le 15 janvier 1919, elle sera assommée puis criblée de balles par l’un des officiers de ces Corps francs, avant que son cadavre ne soit jeté dans un canal. Liebknecht connaît un sort analogue. Le Parti communiste allemand (KPD), qu’ils venaient ensemble de porter sur les fonts baptismaux, n’avait pas trois semaines.

 

Rosa Luxemburg à Sonja Liebknecht : « Je voudrais encore vous plonger dans toute l’ivresse du bonheur de vivre »

Icon QuoteBreslau, 24.11.[19]17

Ma chère petite Sonitchka,

Ô comme je vous comprends lorsque chaque belle mélodie, chaque fleur, chaque journée de printemps, chaque nuit de lune éveille en vous la nostalgie et le désir de ce qu’il y a de plus beau dans ce que le monde a à offrir. Et comme je comprends que vous soyez amoureuse “de l’amour” !

Pour moi, l’amour a été (ou est ?…) toujours plus important, plus sacré que l’objet qui l’éveille. Parce qu’il permet de voir le monde comme un conte de fées scintillant, parce qu’il fait sortir de l’être humain ce qu’il a de plus noble et de plus beau, parce qu’il rehausse ce qui est le plus commun et le plus humble et le sertit de brillants et parce qu’il permet de vivre dans l’ivresse, dans l’extase…

Mais, petite Sonitchka, vous êtes jeune et vous devez vivre encore vraiment. Il n’y a que ces quelques maudites années à passer, mais, après, tout doit changer, d’une manière ou d’une autre. Vous ne devez pas, vous n’avez pas le droit de clore d’ores et déjà la facture, c’est ridicule. Je voudrais encore vous plonger dans toute l’ivresse du bonheur de vivre et je défendrai fermement votre droit à cela. »

Icon Quote Breslau, 22.12.1917

Ah ! ma petite Sonia,

j’ai éprouvé ici une douleur aiguë. Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vieilles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang… On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccommodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l’armée. Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles (…).

Ils sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre (…). Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper (…).

Sonitchka, chez le buffle l’épaisseur du cuir est devenu proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu’on les déchargeait, celui qui saignait regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleurs. C’était exactement l’expression d’un enfant qu’on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif… J’étais devant lui, l’animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes.

Oh ! mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux, aussi hébétés l’un que l’autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être (…). »

Rosa Luxemburg et Sonja Liebknecht : les lettres de prison - L'Humanité, Bruno Odent, 4 août 2023
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14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 05:29

 

De nombreuses sources sont venues alimenter les épisodes de « La petite histoire du siège du PCF ». De natures différentes, livres, revues, journaux, archives, web, DVD, reportages... croisés avec la mémoire d’ancien·ne·s camarades.

 

 

Les livres

Les courbes du temps : Mémoires, Oscar Niemeyer. Ed. Gallimard

La forme en architecture, Oscar Niemeyer. Ed. Metropolis

Oscar Niemeyer en France. Un exil créatif, Vanessa Grossman et Benoît Pouvreau, Éditions du patrimoine

Le PCF a changé, Vanessa Grossman. Ed. B2 Collection Société

Brasilia, un demi-siècle de la capitale du Brésil, livre d’art réalisé par Artetude Cultural

Ma vie s’appelle liberté, Etienne Fajon. Ed. Robert Laffont

Parti pris. Tome 1, D’une guerre mondiale à l’autre, Georges Cogniot. Éditions sociales

L’insurgé, Jules Vallès. Ed. Livre Club Diderot

14 Juillet, Éric Vuillard. Ed. Babel

L’agitation communiste de 1840 à 1848, Alexandre Zévaès. Persée

Les quartiers pauvres de Paris : le 20e arrondissement (Ed. 1870) Louis Lazare. Ed. Hachette, Livre BNF

De Montfaucon, de l’insalubrité de ses établissements et de la nécessite de leur suppression (Ed. 1841), Louis Roux. Ed. Hachette, Livre BNF

Le nouveau Paris : histoire de ses 20 arrondissements (Ed. Vers 1860), Émile de La Bédollière. Ed. Hachette, Livre BNF

Les Misérables, Victor Hugo, Tome IV. Ed. Émile Testard, 1890

Paris ouvrier. Des sublimes aux camarades, Alain Rustenholz. Ed. Parigramme

Belleville, mon village, Clément Lépidis. Ed. Henri Veyrier

Histoire de Belleville, Emmanuel Jacomin. Ed. Henri Veyrier

K. Mel’nikov, Le pavillon soviétique, Paris 1925, S. Frédérick Starr, Présentation J.L. Cohen. Ed. L’Équerre collection Repères

La vie héroïque du Colonel Fabien, colonel André-Ouzoulias, Préface Charles Tillon. Éditions sociales 1945

Qui a tué Fabien ?, Pierre Durand. Ed. Messidor Temps actuels

1940-1945, La Résistance dans le 19e arrondissement de Paris, ANACR. Ed. Le temps des cerises

 

Journaux, revues, web

L’Humanité numérisé, Archives de la BNF

La Nouvelle critique numérisée, Archives de l’Université de Bourgogne

La Nouvelle critique, n° 170 Novembre 1965. Interview de Niemeyer par Jean Deroche

La Nouvelle critique, n° 46 septembre 1971, Gosnat, Niemeyer, Deroche, Prouvé, Chemetov...

Photos numérisées de l’Humanité, Archives départementales de Seine-St-Denis, Bobigny

Le Courrier de l’Unesco, du 24 juin 1992. Entretien avec Oscar Niemeyer, par Édouard Bailby

Les Comités centraux, Fondation Gabriel-Péri, Archives départementales de Seine-St-Denis, Bobigny

Les Cahiers du communisme, Archives numérisées de l’Université de Bourgogne

Fonds de la direction du Parti communiste français (1944-1994). Archives numérisée de l’Université de Bourgogne

Le répertoire des archives institutionnelles, Bibliothèque des arts décoratifs, Union centrale des arts décoratifs. Le Monde, La Croix, Le Figaro...

Publications de l’Insee.

 

DVD, reportages

« Oscar Niemeyer, Un architecte engagé dans le siècle ». Un documentaire de Marc-Henri Wajnberg

Podcast France-Culture, « Le génie des lieux, la maison du Parti communiste français »

Arte, « La Maison des communistes » (YouTube Dailymotion)

 

Quelques romanciers ont évoqué le siège du PCF

Bernard Landry avec Le dernier écrivain. Éd. Messidor. Écrit en 2050, les livres sont conçus et écrits par ordinateur après des études de marché. Les dernières révèlent un nouvel engouement pour l’époque ancienne. On va donc dénicher le vieil auteur oublié pour enregistre ses mémoires. Curieux personnage, parlant un français d’un autre temps, entouré de très jolies égéries, dont les cheveux ont les couleurs de l’arc-en-ciel, et qui se révèle être au cœur d’un complot terroriste... On y évoque l’ancien siège d’un parti politique disparu à proximité des Buttes Chaumont, de l’avenue Gustave Moreau jusqu’à la place du Colonel Fabius, siège qui semble s’être transformé en lupanar.

Gérard Streiff avec Le cas G.B. Éd. La Baleine. Paula est retrouvée morte dans la salle des archives du PC, Le Poulpe enquête à « Fabien », au siège du Parti. De fille en anguille, il se retrouve dans les lieux sadomasochistes de la capitale. Se heurte aux ombres de la guerre d’Espagne. Se perd dans les vies doubles, ou triples, de ces personnages. Comme les matriochkas, ces poupées gigognes russes, les histoires s’emboîtent les unes dans les autres. Où cela s’arrêtera-t-il ?

Gérard Pellois

 

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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:47
11 juillet 1963, la rafle des chefs de la lutte armée contre l'apartheid dirigée par Mandela - Par Jacqueline Derens, L'Humanité, 21 juillet 2023
11 juillet 1963, la rafle des chefs de la lutte armée contre l'apartheid dirigée par Mandela

Rivonia, à 20 km de Johannesburg, la police lance l’assaut sur Liliesleaf Farm. Les dirigeants de l’aile militaire de la lutte contre l’apartheid, qui réunit des responsables de l’ANC et du Parti communiste sous la direction de Nelson Mandela, sont arrêtés. Un coup très dur pour la résistance, suivi du « procès de Rivonia » qui va condamner les accusés à la prison à vie. Retour sur ce tournant dans l’histoire de l’Afrique du Sud.

Par Jacqueline Dérens, auteure, ancienne militante anti-apartheid

Vendredi 21 juillet 2023 - L'Humanité
 
Après le massacre de Sharpeville, le 21 mars 1960, et la répression féroce qui frappa tous les opposants au régime d’apartheid, le mot d’ordre chez les militants était de survivre, de poursuivre et de réorganiser la résistance. ­Oliver Tambo, compagnon de lutte de Nelson Mandela depuis vingt ans, reçut de la direction du Congrès national africain (African National Congress – ANC) la mission de partir à l’étranger pour faire connaître le sens et les raisons de la lutte du peuple sud-africain contre le régime d’apartheid, et d’organiser la solidarité à l’échelle mondiale.

Pour les militants qui entraient dans la clandestinité, l’urgence était d’échapper à la traque policière et d’organiser la lutte armée. Le passage à la lutte armée était au cœur d’intenses discussions, aussi bien au sein du Parti communiste d’Afrique du Sud (South African Communist Party, SACP, interdit depuis 1950), que de l’ANC (interdit depuis la répression de Sharpeville). Albert Lutuli, président de l’ANC depuis 1952, prix Nobel de la paix en 1960, était fermement convaincu que le mouvement de libération devait s’en tenir aux méthodes pacifiques : désobéissance civile, manifestations, boycott.

Nelson Mandela finit par le convaincre et il accepta la constitution d’une aile armée, à condition qu’elle soit indépendante de la direction de l’ANC et de celle du SACP. Mandela en prit la tête avec des dirigeants communistes, dont Joe Slovo. Très symboliquement, le 16 décembre 1961, jour de liesse pour les ­Afrikaners qui célébraient la victoire de Blood River sur le roi zoulou Dingane en 1838, Umkhonto We Sizwe (en zoulou, littéralement, « le Fer de lance de la nation », également désigné par l’abréviation MK) réalisait ses premiers sabotages en posant des bombes dans plusieurs villes et en ciblant des objectifs symboliques du régime, qui considérait désormais MK comme une organisation terroriste.

Nelson ­Mandela, alors militant clandestin, se cache en tant que jardinier 

Il fallait trouver un lieu sûr qui serve de quartier général aux dirigeants de MK, qui réunissait des responsables du SACP et de l’ANC. Le SACP, grâce aux subtiles transactions menées par Michel Harmel, Harold Wolpe et Arthur Goldreich, tous communistes blancs, fit l’acquisition de Liliesleaf Farm à Rivonia, une bourgade située à une vingtaine de kilomètres de Johannesburg.

La ferme s’étendait sur 10 hectares avec une maison de maître, divers bâtiments et une cabane de jardinier. Arthur Goldreich, sa femme Hazel et leurs deux fils Nicholas et Paul s’y installèrent en décembre 1961. Nelson ­Mandela, alors militant clandestin sous la fausse identité de David Motsamayi, s’y cacha en tant que jardinier au service de la famille Goldreich. Nicholas et Paul Goldreich se souviennent que « David » les a initiés au football, au lancer de couteaux et à identifier serpents et insectes.

Seuls survivants des anciens occupants de la ferme, les deux frères Goldreich sont aujourd’hui convaincus que la descente de police était inéluctable, les occupants ne prenant pas les mesures de sécurité nécessaires. Paul raconte, par exemple, que ses copains venaient jouer dans cette maison où Blancs et Noirs discutaient ensemble librement, et en parlaient à leurs parents. Les allées et venues de nombreuses personnes blanches et noires, des témoignages de voisins qui s’inquiétaient de cette « étrange cohabitation » alertèrent la police, qui cherchait à mettre la main sur ces « terroristes ».

Pourtant, tous avaient soigné leur « look ». Ahmed Kathrada, l’Indien, avait teint ses cheveux en roux et, maquillé, il paraissait un Blanc bien bronzé ; Walter Sisulu, dont le père était blanc, avait lissé ses cheveux crépus et pouvait ressembler à un métis ; Denis Goldberg, l’ingénieur blanc, utilisait divers postiches ; Govan Mbeki vaquait à ses occupations en salopette d’ouvrier agricole. Mais ces déguisements ne faisaient pas le poids face à la police sud-africaine, bien renseignée par la CIA et certainement d’autres services secrets occidentaux.

La rafle eut lieu le 11 juillet 1963, vers 15 heures, et personne n’y échappa. Comme l’écrit Denis Goldberg dans ses mémoires avec un brin d’humour : « Si nous avions mieux fait le ménage, les papiers de Nelson Mandela n’auraient pas été retrouvés dans la réserve à charbon. » (1) Mandela était déjà en prison, arrêté le 5 août 1962 au retour d’un voyage clandestin en Algérie, en Éthiopie, au Ghana, en Chine et dans d’autres pays amis où il tentait d’obtenir de l’aide pour la lutte armée. Une arrestation permise par les renseignements donnés par un agent de la CIA, infiltré dans le SACP, à la branche spéciale de la police sud-africaine chargée de traquer les militants.

Tout le monde se retrouva en prison, dans des lieux divers selon la couleur de la peau. Arthur Goldreich, Moosa Moolla, Harold Wolpe et Abdulhay Jassat réussirent une évasion rocambolesque de la prison de Marshall Square, grâce à AnnMarie Wolpe. Autorisée à leur apporter nourriture et vêtements, elle avait glissé des limes et autres petits outils dans le pain et le poulet. Son mari insérait des notes dans le col de ses chemises qu’elle emportait pour les laver. Une fois évadés, après une chasse à l’homme, les deux accusés blancs, Wolpe et Goldreich, déguisés en prêtres, réussirent à gagner le Botswana, puis la Grande-Bretagne ; Moola et Jassat parvinrent aussi à quitter le pays.

La rafle de Rivonia marqua un coup dur pour la lutte de résistance : la direction de l’ANC, du SACP et de MK fut décapitée

Après l’évasion de son mari, AnnMarie fut arrêtée, soumise à des interrogatoires musclés, puis expulsée d’Afrique du Sud. Bien que l’on parle peu des femmes des dirigeants arrêtés à Rivonia, à part Winnie Mandela, toutes ont joué un rôle important en continuant la lutte, comme Albertina Sisulu ou Epainette Mbeki.

La rafle de Rivonia marqua un coup dur pour la lutte de résistance : la direction de l’ANC, du SACP et de MK fut décapitée. Arthur Goldreich, Denis Goldberg, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Raymond Mhlaba, Andrew Mlangeni, Elias Motsoaledi, Lionel « Rusty » Bernstein, Harold Wolpe, James Kantor, Billy Nair, Walter Sisulu et Nelson Mandela devinrent « les accusés de Rivonia » au procès homonyme qui s’ensuivit.

Les retombées de la rafle décimèrent les trois organisations, la répression s’abattant sur les militants qui devaient s’exiler pour échapper à la prison. Les documents trouvés sur place étaient accablants : les notes de Goldberg pour fabriquer les bombes et surtout celles de Mandela sur l’« opération Mayibuye », qui ne planifiait rien de moins qu’une « action révolutionnaire de masse » et une victoire militaire sur le pouvoir blanc. Une mine de renseignements pour la branche spéciale de la police.

Le « procès de Rivonia », qui dura huit mois, de novembre 1963 à juin 1964, à Pretoria, est parfaitement documenté, bien qu’aucune image ne soit disponible : les 230 heures d’audience ont été enregistrées. Il a servi de trame à l’excellent film documentaire de Gilles Porte et Nicolas Champeaux, « le Procès contre Mandela et les autres » (2).

On connaît la célèbre plaidoirie de Nelson Mandela pour la cause de son peuple, accusant le régime raciste. On connaît moins l’équipe d’avocats qui défendit les accusés : Lionel Joffe, Arthur Chaskalson, George Bizos – qui souffla à Mandela d’ajouter « s’il le faut » à sa célèbre phrase « c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir », pour ne pas faire le bravache devant le terrible procureur Percy Yutar –, et Bram Fischer, qui joua un rôle de premier plan après la débâcle de Rivonia.

Au procès de Rivonia, les accusés, qui s’attendaient à être pendus, furent condamnés à la prison à vie.

Né en 1908 dans une famille de la grande bourgeoisie afrikaner, avocat admiré par ses pairs, Bram Fischer refusa l’avenir radieux auquel il était destiné en choisissant d’adhérer, au début des années 1940, au Parti communiste d’Afrique du Sud, la seule organisation qui rejetait fermement toute ségrégation raciale. Après le procès de Rivonia, il accepta de prendre la direction d’un parti dévasté et de rassembler les quelques militants clandestins restés sur place. Il fut arrêté en 1964, en vertu de la loi sur la suppression du communisme, et condamné à la prison à vie en 1966. Atteint d’un cancer négligé sciemment par les autorités, il fut libéré en avril 1975, grâce à une campagne médiatique, et assigné à résidence chez son frère, où il mourut le 8 mai. Denis Goldberg, dans la cellule voisine, fut témoin de sa lente agonie.

Au procès de Rivonia, les accusés, qui s’attendaient à être pendus, furent condamnés à la prison à vie. Denis Goldberg, toujours optimiste, cria à sa mère qui n’avait pas entendu le verdict : « La vie, maman, et la vie, c’est magnifique ! » Pour lui, seul accusé blanc reconnu coupable – Lionel « Rusty » ­Bernstein fut acquitté –, ce fut la prison de haute sécurité de Pretoria ; pour les autres, le bagne de Robben Island. Nelson Mandela sortira le dernier, le 11 février 1990, après vingt-sept années passées derrière les barreaux. Walter Sisulu, Ahmed Kathrada, Raymond Mhlaba, Andrew Mlangeni ont été libérés en octobre 1989. Denis Goldberg l’avait été en février 1985, à la condition de ne plus revenir en Afrique du Sud.

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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 08:28
Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957

« Ce matin ils ont osé

Ils ont osé vous assassiner

C’était un matin clair

Aussi doux que les autres

Où vous aviez envie de vivre et de chanter

Vivre était votre droit

Vous l’avez refusé

Pour que par votre sang d’autres soient libérés. »

Ce poème bouleversant est d'Annie Steiner, membre du réseau FLN d’Alger, condamné à cinq ans de réclusion et emprisonné en même temps que Iveton. Il a été écrit le soir de l'exécution de Fernand Iveton, 30 ans, et de deux camarades indépendantistes algériens condamnés à mort. C'est le 11 février 1957.

Née le 7 février 1928 à Marengo, la famille d'Annie Steiner était originaire de Florence (Italie). Le papa directeur d’hôpital. La maman enseignante. Une famille aisée qui lui permit de faire des études supérieures. Diplômée de droit, mariée à l’architecte suisse Rudolf Steiner, elle s’engage à 20 ans dans la Résistance algérienne. Européenne d’origine, elle a combattu pour l’indépendance de son pays, l’Algérie. Arrêtée en 1956, elle fera six prisons : Barberousse, Maison Carrée, Blida, la Petite Roquette à Paris, Rennes et Pau. Cette héroïne est restée d’une grande simplicité et d’une grande gentillesse. De sa cellule dans la prison de Barberousse, elle assista au supplice de Fernand Iveton, Ahmed Lakhnèche et de Mohamed Ouenouri.

Guillotiné le 11 février 1957, Fernand Iveton est le seul Européen exécuté par la justice de l’État français pendant la guerre d'Algérie. France-Soir, pour commenter son décès, le qualifiera de "tueur", et Paris-Presse de "terroriste".

Deux jours après sa décapitation, un de ses avocats, communiste algérien comme Iveton, Albert Smadja, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin de "faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés, soutenir leurs familles, leurs proches, se mettre au travers de l'accusation dans les procès" (voir le Camp de Lodi par Nathalie Funès): il ne sera libéré que deux ans plus tard.

Plaisante justice qu'une guerre coloniale borde...

L'écrivain Joseph Andras, né en 1984, a publié en 2016 un premier roman centré sur les derniers mois de la vie de l'ouvrier et militant communiste algérien Fernand Iveton et son amour avec Hélène Ksiazek. Ce livre au si beau titre, "De nos frères blessés", est court (145 pages aux éditions Barzakh, il est aussi publié chez Actes Sud et il a obtenu le Goncourt du Premier roman) est intense, profondément émouvant, touchant des vérités politiques, humaines et littéraires. C'est comme l'écrit son éditeur à juste titre "un texte habité, un fulgurant exercice d'admiration dans les angles morts du récit national". Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec sa compagne, Hélène Ksiazek, une jeune femme fille née en Pologne, rencontrée à Paris mais ayant passé sa jeunesse dans un village de la Marne, qui le suivit en Algérie.  Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.

Joseph Andras s'est beaucoup appuyé sur sa documentation sur le travail de Jean-Luc Enaudi, dans un livre préfacé par Pierre Vidal Naquet: Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton : enquête (L'Harmattan, 1986).

En 2020, Hélier Cisterne a adapté ce livre au cinéma avec Vincent Lacoste et Vicky Krieps, réalisant un film poignant et intense lui aussi.

En vacances en Algérie cet été, je suis allé me recueillir sur la tombe de Fernand Iveton au cimetière Saint-Eugène de Bologhine, et sur celle de son ami communiste du quartier Clos-Salembier, Henri Maillot, tué après le combat et alors qu'il était désarmé par l'armée française quelques mois plus tôt dans le maquis, à 24 ans (Henri, arrêté vivant par les soldats du 504 BT dans son maquis: après l'avoir battu, on lui dit qu'il pouvait s'en aller, il savait qu'il n'en était rien, il marcha à reculons et hurla "Vive le Parti communiste", avant d'être abattu par une rafale... Son cadavre fut transporté en ville sur le capot d'un engin blindé, les cheveux teints au henné, de faux papiers en poche), tombe qui se trouve au magnifique cimetière chrétien d'El Madania (ex-Bru) au-dessus du quartier de Belcourt (Belouizad). J'étais avec notre camarade Aouicha Beckhti, que notre amie et camarade Christine Prunaud, ex-sénatrice communiste des Côtes d'Armor, grande amie de l'Algérie, m'a donné la chance de connaître, comme d'autres militant.e.s communistes, de gauche, féministes, de son réseau d'ami.e.s algérien.ne.s. Aouicha est une ancienne militante du PAGS (Parti communiste algérien), avocate très connue, défenseuse des droits des femmes, du progrès humain, des idéaux internationalistes et communistes, et de la laïcité, avec qui nous avons aussi rendu hommage à Juliette et Georges Acampora, décédés il y a quelques années, et dont les tombes sont également au cimetière "européen" de Saint-Eugène (Georges, qui fut capitaine des pompiers de Bab-el-Oued (également condamné à mort pendant la guerre d'Algerie même si la peine n'a pas été exécutée). Georges et Juliette Acampora furent des amis proches et des camarades de lutte d'Iveton. Avec Aouicha Bechkti nous avons été aussi devant l'ancienne prison Barberousse au dessus de la Casbah où Iveton a été guillotiné avec ses camarades de lutte algérien: Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennour.

Le responsable du cimetière, fils de résistant algérien condamné à mort lui aussi, nous montra la plaque avec la photo d'Iveton et celle de ses grands-parents qu'il avait rapatrié dans son bureau.
 

 
Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957

Un témoin raconta, lors d'une cérémonie d'hommage à Fernand Iveton organisé par les communistes algériens au cimetière Saint Eugène de Bologhine:

Fernand Iveton & Hélène Ksiazek / Juliette & Georgio Accompora… Le pull de Fernand
" Il avait froid le camarade en ce début du mois de février 1957 dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Barberousse à ALGER ! Sa femme (Juliette) est venue te voir, car c’était ton jour de parloir Juliette, afin de lui transmettre à travers Georgio ,son compagnon de cellule, un pull qui puisse le tenir au chaud…
À la porte de la prison voulant faire la chaîne pour voir ton amour GEORGIO, les femmes présentes sur les lieux t’avaient alors demandée de ne pas rentrer ce jour-là !
Étonnée et angoissée tu avais foncé vers la porte et là on t’informa que FERNAND IVETON a été guillotiné à l’aube, avec ses compagnons Mohamed OUENNOURI et MOHAMED LAKHNECHE.
La terre avait tremblé sous tes pieds, et tu avais éclaté en sanglots, alors les femmes t’avaient dit : "Surtout pas devant eux ! Ne pleure pas devant "l’isstiaamar", le colonialisme..."
Ils les ont guillotinés à l’aube !..
En sanglots tu te présentas au parloir devant GEORGIO qui te répéta la même chose «Ne pleure pas, veux-tu faire plaisir aux gardiens ? Ressaisis toi, oui, à l’aube ils ont exécuté Fernand Iveton et les deux frères ! Surtout ne pleure pas !"
Le couffin a été remis et le pull d’IVETON c’est GEORGIO qui l’a mis jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux ! ... "
Fernand, dont le père, fils de l'assistance publique, était militant communiste et syndicaliste lui aussi, employé aux Gaz d'Algérie, révoqué par le régime de Vichy, tandis que sa mère, Incarnation, était d'origine espagnole, était ouvrier tourneur à l’usine à gaz du Hamma de l'EGA à Alger où il était délégué syndical affilié à la CGT puis à l'Union générale des syndicats algériens (UGSA). En 1955, il adhère au Parti communiste algérien interdit, le PCA, qui a majoritairement suivi la voie de la défense du combat pour l'indépendance au moyen de la lutte clandestine et armée, et d'un rapprochement avec le FLN, après maints débats internes, la voie du terrorisme n'étant pas celle privilégiée par les communistes, encore moins quand il s'attaque aux civils. Il y milite au côté aux côtés notamment d'Abdelkader Guerroudj, Georges Acampora, Yahia Briki, Félix Colozzi,  Mohamed Hachelaf, et bien d'autres. Le 1er juillet 1956, il adhère au FLN, à titre individuel, avec nombre de ses camarades, tout en restant bien sûr communiste. 
Il se propose, en , pour réaliser un sabotage à l'aide d'une bombe dans l’usine à gaz du Hamma où il travaille. C'est Jacqueline Guerroudj qui lui remet la bombe fabriquée par Abderrahmane Taleb. Iveton ne veut faire que des dégâts matériels et la bombe doit exploser après le départ des employés de l'usine à gaz, dans une remise où Iveton l'a placée.

L’objectif est un sabotage purement matériel qui a pour but de provoquer une panne d'électricité à Alger et Iveton prend des précautions afin que l'explosion n'occasionne pas de victime. Il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser après le départ des ouvriers, en fonction de quoi un premier réglage a été prévu pour 18h30. Iveton a jugé que la marge est insuffisante, au cas où des ouvriers s’attarderaient pour des raisons imprévisibles, et il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser à 19 h30.

Iveton est repéré par un contremaître de l'usine, Oriol, qui se méfie de lui et l'a vu entrer dans le local avec son sac de plage et en ressortir les mains vides. Oriol prévient son chef, Carrio, et ils pénètrent tous les deux dans le local désaffecté où ils entendent le bruit de la minuterie de la bombe. Iveton est arrêté à 16 h 20. La bombe est désamorcée par les militaires. Il n'y a ni dégâts, ni victimes.

Du 14 au , Fernand Iveton est torturé au commissariat central d'Alger au moyen de décharges électriques sur le corps et du supplice de l'eau. Les policiers ayant trouvé sur lui un papier (écrit par Abderrahmane Taleb) donnant des indications sur l'heure d'explosion des deux bombes veulent lui faire avouer de toute urgence les noms de ses complices — dont il ignore l'identité —, afin de retrouver la deuxième bombe. N'en pouvant plus, Iveton donne les noms de deux autres membres de son groupe, qui, informés de son arrestation, ont en principe eu le temps de prendre la fuite.

En vertu des pouvoirs spéciaux, il est jugé par un tribunal militaire et il est condamné à mort pour « tentative de destruction d'édifice à l'aide d'explosifs », le , à l'issue d'une journée d'audience. C'est le président Roynard, rouage de la machine repressive de l'Etat français, qui lui lit son acte de condamnation à mort.

Joseph Andras décrit bien l'atmosphère de haine qui a entouré ce procès "spécial" et "expéditif": l'attentat du Milk Bar de la rue d'Isly venait d'avoir lieu, les colons européens étaient sur les dents, et réclamaient la mort du "traître".

Au président du tribunal qui lui lit l'acte d'accusation et qui lui signifie qu'il encourt la peine de mort, sauf à pouvoir invoquer des circonstances atténuantes, Iveton déclare, c'est cité par Joseph Andras dans De nos frères blessés:

"Oui je suis un militant communiste. J'ai décidé cela parce que je me considérais comme algérien et que je n'étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien. Il n'est pas juste, aurait-on dit, que les Français se tiennent en dehors de la lutte. J'aime la France, j'aime beaucoup la France, j'aime énormément la France, mais ce que je n'aime pas, ce sont les colonialistes. C'est pourquoi j'ai accepté."

Sifflets et exclamations dans le public. Le président lui demande s'il comptait au sein de sa cellule militante agir par tous les moyens.

Fernand Iveton répond: "Pas tous. Il y a plusieurs formes de passage à l'action. Dans l'esprit de notre groupe, il n'était pas question de détruire par tous les moyens; il n'était pas question d'attentat à la vie d'un individu. Nous étions décidés à attirer l'attention du gouvernement français sur le nombre croissant de combattants qui luttent pour qu'il y ait plus de bonheur social sur cette terre d'Algérie"

On fait état de ses liens d'amitié avec le "traître" Henri Maillot, militant communiste qui a transporté un camion d'armes volées alors qu'il était aspirant intégré dans un bataillon de l'armée française afin d'armer la rebellion. Le président lui demande s'il avait songé aux dégâts que sa bombe eût pu commettre si elle n'avait pas été découverte à temps. Iveton répond: 

"Elle n'aurait fait tomber qu'une ou deux cloisons. Je n'aurais jamais accepté, même sous la contrainte, de faire une action qui puisse entraîner la mort. Je suis sincère dans mes idées politiques et je pensais que mon action pouvait prouver que tous les Européens d'Algérie ne sont pas anti-Arabes, parce qu'il y a ce fossé qui se creuse de plus en plus"

Le pourvoi d'Iveton devant le tribunal de cassation militaire est rejeté le .

N'ayant pas tué, Iveton croit à sa grâce plaidée par l'avocat communiste de la CGT Joë Nordmann (agent de liaison du PC clandestin pendant la Résistance) qui s'est joint aux avocats commis d'office, Albert Smadja (communiste également) et Charles Laînné (chrétien libéral). Mais son recours est refusé le par le président de la République, René Coty après avis défavorable du garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand et du président du Conseil, Guy Mollet, deux socialistes responsables de l'escalade répressive en Algérie. Il est guillotiné le , à 5h10, dans la cour de la prison de Barberousse à Alger par le bourreau d'Alger, Maurice Meysonnier, assisté de son fils, Fernand Meyssonnier. Le bourreau sera exécuté par le FLN par la suite. Avec lui, deux militants nationalistes, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennouri, dits « Ali Chaflala » et « P’tit Maroc », sont également décapités.

Fernand Iveton est le seul "européen" (lui se considérait avant tout "algérien") parmi les 198 prisonniers politiques guillotinés par la guerre d'Algérie. Me Albert Smadja, son avocat commis d'office, témoin de l'exécution, rapporte qu'avant de mourir Fernand Iveton déclara :

" La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l'amitié entre Français et Algériens se ressoudera. "

Ismaël Dupont - 12 août 2023

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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 05:28

 

La configuration des salles et la coupole, leurs équipements, permettent la tenue de nombreuses manifestations artistiques, conférences et rencontres. La coupole, avec sa voûte de lamelles, sa lumière douce, la qualité de son acoustique et son côté spatial, a tôt fait d’envelopper les invité·es dans l’univers qui leur est proposé.

 

 

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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 09:58
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Abderrahmane Djelfaoui a écrit en 2016 un très beau livre sensible et poétique, érudit et passionné, publié à Alger aux éditions Casbah Éditions, sur Anna Gréki: "Anna Gréki, Les mots d'amour, les mots de guerre".
 
Militante communiste, Anna Gréki s'engage dans le combat pour l'indépendance algérienne qu'elle soutient avant même le début de la guerre d'Algérie.
 
Ce poème dur et splendide évoque ses semaines de tortures, ceux que les paras lui infligent Villa Sesini, au bout du boulevard Bru, sur les hauteurs d'Alger, et celles qu'on inflige à ses camarades. Elle a été arrêtée en mars 1957 à 26 ans, en pleine répression militaire féroce de la bataille d'Alger (3000 disparus, des dizaines de milliers de torturés par les paras et l'Armée française), cinq semaines après la décapitation de Fernand Iveton, le voisin et l'ami du jeune Henri Maillot, communiste lui aussi, tué les armes à la main pour défendre la liberté de l'Algérie.  
 
Avec la rage au cœur - Anna Gréki (1931-1966)
 
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
C'est ma manière d'avoir du cœur à revendre
C'est ma manière d'avoir raison des douleurs
C'est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d'or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l'abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l'acier brûle ces méduses
Secrètes que j'ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n'ont plus besoin d'excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m'ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n'en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C'est bien suffisant pour que j'en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu'il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m'étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t'aimais
Plus souvent qu'a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l'ancre dans ma mémoire et j'ai peur
Quand de mes amis l'ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s'ouvre à la place de mes yeux - je suis jeune
Ce qui n'est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu'il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule - à ne pas croire...
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours - dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante - je ne sais plus aimer
Qu'avec cette plaie au cœur qu'avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu'on les ait aimés
Eux que l'on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l'amour qu'ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire"
 
Nul ne sait, du fond de sa cellule, comme Anna Gréki évoquer l'irréalité ordinaire de la guerre d'Algérie:
 
"... C'est la guerre
Le ciel mousseux d'hélicoptères
Saute à la dynamite
La terre chaude jaillit et glisse
En coulée de miel
Le long des éclats de faïence bleue
Du ciel blanc
Les bruits d'hélices
Ont remplacé les bruits d'abeilles...
Les Aurès frémissent
Sous la caresse
Des postes émetteurs clandestons
Le souffle de la liberté
Se propageant par ondes électriques
Vibre comme le pelage orageux d'un fauve
Ivre d'un oxygène soudain..."
 

Colette Grégoire, dite Anna Gréki, est née le 14 mars 1931 à Batna région rurale continentale où ses parents étaient instituteurs, à 60 km de là, à Menéa, un petit village menant à l'oasis de Biskra. Son père est de gauche modéré, républicain, radical-socialiste. Ses parents sont volontaires pour aller enseigner dans les Aurès et son enfance sera éblouie par son amitié avec les Berbères des Aurès et ces paysages.

"... Aucune des maisons n'avait besoin de porte

Puisque les visages s'ouvraient dans les visages

Et les voisins épars simplement voisinaient

La nuit n'existait pas puisque l'on y dormait...

Mon enfance et les délices

Naquirent là

A Menaâ - commune mixte Arris

Et mes passions après vingt ans

Sont les fruits de leurs prédilections

Du temps où les oiseaux tombés des nids

Tombaient aussi des mains de Nedjaï

Jusqu'au fond de mes yeux chaouïa"

Elle est élevée au milieu d'une communauté berbère chaoui et se trouve très tôt confrontée à la misère des algériens.
Elle passe son enfance à Menaâ et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (Philippeville) et Annaba.
Elle prépare sa licence de lettres en Métropole.
Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien.
En 1955, elle interrompt ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice.
Ahmed Inal, né le 24 juillet 1931, professeur au collège de Slane, l'amoureux de Colette Grégoire, est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 dans les maquis de Tlemcen, à Slissen : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
 
Anna Gréki lui dédiera cinq poèmes bouleversants, dont celui-ci:
 
Pour Ahmed Inal
 
(...) Vivant plus que vivant
Tu es l'eau pure où je me baigne
Dans la Ville des ources
Que je ne connais pas
Et je cherche à jamais tes lèvres
Baiser secret et son pistil
Vivant plus que vivant
Avec ton corps qui brille
Aux quatre coins de la douleur
Éparpillé déchiqueté torturé
Saignant sur la terre orange
Où nous sommes nés"
 
Pour Ahmed Ilal
 
"(...)Tout est un ordre
L'or bleu de tes veines dans mes regards
à la cime des montagnes couveuses
dans l'air dur patient comme un lézard
je suis le chemin droit des nébuleuses
dans les bois qui se dévorent
Tu marches dans mes yeux pour que je me repose
et la fatigue nue se blesse à ton silence
Tu fais chanter la terre enfouie dans ma mémoire
quand de la poitrine je découpe l'espace
millénaire. En partant j'implante ta présence
l'ancre de ta bonté au plus profond des haines
C'est droit d'asile dans ton cœur et je dispose
de toi comme on ouvre ses veines"
 
("Enracinement", Algérie Capitale Alger) 
 
Devenue à son tour, par conviction, institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, elle milite au Parti Communiste algérien.
 
Membre actif des "Combattants de la Libération", elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957, elle est torturée puis emprisonnée à la prison civile d'Alger, transférée au camp de transit de Beni Messous en 1958, et ensuite expulsée d'Algérie (sans doute parce qu'elle était française).
 
Colette, dure sa longue détention à la villa Sesini puis à la prison Barberousse au-dessus de la Casbah et de Bab-el-Oued à Alger, ne sera que l'une des quarante femmes entassées dans le dortoir 3 du quartier des femmes.
 
Il y a les militantes communistes, dont: 
 
- Eliette Loup, 23 ans, fille d'un riche colon de Birtouta, dans la Mitidja, étudiante en économie et travaillant pour la rédaction du journal communiste destiné aux appelés du contingent, arrêtée le 2 avril 1957 par les paras et conduite à la villa Sesini pour y être torturée par le capitaine Faulques et ses sbires
 
- Claudine Lacascade, l'amie d'Anna Greki, institutrice venue de métropole
 
Mais aussi Lucette Puycervère, Colette Chouraqui, Lucie Coscas, Nelly Poro, Annick Pailler-Castel.
 
Parmi le groupe des catholiques engagées pour l'Algérie indépendante: Nelly Forget, Denise Walbert, Eliane Gautron.
 
Il y a aussi les "djamilattes" du FLN: Djamila Bouhired, la future compagne de Jacques Vergès, son avocat, Djamila Bouazza, Nassima Heblal et Zahia Kharfallah, comédienne, poétesse, et animatrice de radio condamnée à mort. Rejetant toute demande de grâce, Zahia Kharfallah écrira de prison à son avocat le 1er juillet 1958:
 
"Je suis une prisonnière de guerre et l'armée à laquelle j'appartiens est déjà victorieuse. C'est elle qui doit me libérer ou me venger si je meurs assassinée. En face des tortionnaires de la villa Susini, des incendiaires des mechtas, je me sens, par ailleurs, à jamais innocente..."
 
Colette Grégoire n'est condamnée à un an de prison avec sursis que le 5 novembre 1958, assigné à résidence surveillée au camp de Beni Messous. La durée de sa période préventive a excédé celle de sa condamnation.
Le 17 novembre 1958, Colette reçoit une notification de libération avec obligation de quitter son Algérie natale sous cinq jours.
En prison, Colette écrit des poèmes, discute littérature avec ses co-détenues, fait même un exposé sur Proust et les clochers de Matinville.
Suite à sa libération de détention, Colette Grégoire travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961.
En décembre 1960, la revue "Action poétique" publie un numéro spécial sur la guerre d'Algérie (6000 exemplaires) où des poèmes de Colette Grégoire dédiés à Raymonde Peschard (Les nuits le jour) et Jacqueline Gueroudj (L'espoir) sont présents auprès de poèmes et textes de Guillevic, Lanza del Vasto, Pierre Seghers, Antoine Vitez, etc.
 
Colette Grégoire épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki».
Elle devient membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime.
Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger.
Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature.
Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Elle décède tragiquement à 35 ans au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par "Présence africaine".
 
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès..."
 
Extrait de "Même en hiver"...
 
Dans ses 21 ans, Colette Grégoire manifestait sa conscience de sa responsabilité humaine et sociale de poète, dans un poème resté inédit:
 
" La poésie remet les choses en place
 
Je n'écris pas pour moi, mais pour tous
Je dis "je", mais c'est nous qu'il faut lire
J'écris pour "réaliser" une situation
de fait, pour rendre à la vie ce
qui est son dû.
J'essaie d'être le porte-parole honnête
de chacune, pour rendre conscient
ce qui existe dans chacune
pour établir des rapports réels entre
l'homme et son pays.
Je traduits un état de fait
J'essaye de dire les racines de l'homme
avec son pays et le monde
J'ai appris à voir, à comprendre
J'ai le privilège de dépoussiérer une
langue - peu importe ce qu'elle est -
et je l'utilise pour révéler un certain mouvement
un certain rythme, certains rapports
de l'homme avec la situation; la
révolution algérienne - j'essaie de la dire
Toute poésie est révolution
elle traduit les apparences
et va au fait.
Je commande aux objets par la vertu d'un mot
Je vois je dis et le futur sera ce que 
J'ordonne " (1952)
 
Dans un poème inédit de 1952, cité par Abderrahmane Djelfaoui, de la même veine, que La poésie remet les choses en place, Anna Gréki écrit:
 
"(...) je ne marchande pas mon amour
Je ne vends pas je dis la vérité
Qui n'est pas faite de pain béni et d'eau fraîche
Mais de franche lutte avec mes camarades
D'intelligence de corps avec mes camarades
Nous savons la valeur de la violence
Nous voilà durs avec nous-mêmes durs
Car nous savons le prix de la tendresse
Et qu'elle se gagne et qu'elle se paie"
 
 
Dans Algérie Capitale Alger publié en 1963, Anna Gréki met en exergue ces vers du poète espagnol Miguel Hernandez:
 
"Les vents du peuple me portent,
les vents du peuple me traînent,
répandent partout mon cœur
et me soufflent dans la gorge"
 
***
J’habite une ville… - Anna Greki (1931-1966)
J’habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne
 
***
Par-delà les murs clos
Par-delà les murs clos comme des poings fermés
à travers les barreaux ceinturant le soleil
nos pensées sont verticales et nos espoirs
L'avenir lové au coeur monte vers le ciel
comme des bras levés en signe d'adieu
des bras dressés enracinés dans la lumière
en signe d'appel d'amour de reviens ma vie
Je vous serre contre ma poitrine mes soeurs
bâtisseuses de liberté et de tendresse
et je vous dis à demain car nous le savons
L'avenir est pour demain
L'avenir est pour bientôt
***
JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n"entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Dans des pays des morceaux de moi font semence
et donnent-surgeons de ma tendresse-de tels
Oasis que les jours sont des vergers en fête
Ou l'homme boit une vigueur amniotique
Le bonheur tombe dans le domaine public
 
 
 
 
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 07:29
Djamila Boupacha dessinée par Picasso illustrant le livre publiée par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi en 1962 sur la militante FLN. L’artiste peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso, a réalisé un dessin  la veille du cessez-le-feu (mars 1962), pour sauver de la guillotine Djamila Boupacha. Anti-franquiste,  l’artiste s’est intéressé à la révolution algérienne dès son déclenchement en 1954, et tenta de montrer et de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme, à travers une quinzaine de toiles et de lithographies.  Cette série s’achève avec l’œuvre (un portrait) sur Djamila Boupacha, dont le dessin réalisé au fusain, paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi

Djamila Boupacha dessinée par Picasso illustrant le livre publiée par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi en 1962 sur la militante FLN. L’artiste peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso, a réalisé un dessin la veille du cessez-le-feu (mars 1962), pour sauver de la guillotine Djamila Boupacha. Anti-franquiste, l’artiste s’est intéressé à la révolution algérienne dès son déclenchement en 1954, et tenta de montrer et de dénoncer les souffrances de la femme algérienne sous le colonialisme, à travers une quinzaine de toiles et de lithographies. Cette série s’achève avec l’œuvre (un portrait) sur Djamila Boupacha, dont le dessin réalisé au fusain, paraît à la une des Lettres françaises du 8 février 1962 et en ouverture du plaidoyer de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi

Gisèle Halimi et Djamila Boupacha

Gisèle Halimi et Djamila Boupacha

Picasso devant le portrait de Djamila Boupacha

Picasso devant le portrait de Djamila Boupacha

Djamila Boupacha est née le 9 février 1938 à Saint-Eugène (quartier de Bologhine à Alger), fille d’Abdelaziz Boupacha et de Zoubida Amarouche. Elle s’engage très jeune, à 15 ans, en politique en rejoignant l'UDMA de Ferhat Abbas, puis le FLN en 1955. Elle porte pendant la guerre d'Algérie le nom de guerre de Khelida.

Elle fut arrêtée le 10 février 1960 en compagnie de son père, de son frère, sa sœur Nafissa et de son beau-frère Abdellih Ahmed. Elle fut accusée d'avoir déposé une bombe - désamorcée par les démineurs de l'armée - à la Brasserie des Facultés le 27 septembre 1959 à Alger.

Emprisonnée clandestinement (officiellement, elle ne fut pendant un mois incarcérée nulle part), elle fut violée et subit pendant plus d'un mois de nombreux sévices, infligés par des membres de l'armée française :

"On lui fixa des électrodes au bout des seins avec du Scotch, puis on les appliqua aux jambes, à l'aine, au sexe, sur le visage. Des coups de poing et des brûlures de cigarettes alternaient avec la torture électrique. Ensuite on suspendit Djamila par un bâton au-dessus d'une baignoire et on l'immergea à plusieurs reprises".

Son frère réussit à prévenir l'avocate Gisèle Halimi qui décida de prendre son cas en charge en mars 1960. Leur première rencontre se tint à la prison Barberousse le 17 mai 1960. Relatant les tortures auxquelles elle avait été soumise, Djamila Boupacha finit par décrire comment les militaires l'avaient violée.

Un témoin dont on connaît le nom et l'adresse l'a vue à Hussein-Dey évanouie, sanglante, traiînée par ses geôliers.

Anna Musso écrivait ce bel article dans L'Humanité: "La Robe irrespectueuse"

« Je ne sers plus à rien, je suis à jeter… »

"Quand Gisèle Halimi (née en Tunisie en 1927 à La Goulette d'un père berbère et d'une mère juive) reçoit ce cri de douleur de Djamila Boupacha, son sang ne fait qu’un tour. À vingt-et-un ans, cette militante du FLN est torturée et violée par les paras français jour et nuit depuis un mois. Gisèle, avocate de trente-deux ans au Barreau de Paris, prend l’avion direction Alger. « Elle avait encore les seins brûlés, pleins de trous de cigarettes, des côtes cassées… » Gisèle rentre à l’hôtel pour préparer son procès du lendemain. Mais, le soir même, la police vient l’arrêter et l’expulser. Dès son retour à Paris, elle mobilise les politiques et les intellectuels. Elle rencontre Simone de Beauvoir le 24 mai 1960 pour lui demander de relater la torture de Djamila dans Le Monde. Et elle crée dans la foulée le Comité de défense pour Djamila. Grâce à leur action, Djamila est transférée en prison en France jusqu’à la signature des accords d’Évian. Gisèle Halimi n’en est pas à son premier procès pour défendre les indépendantistes algériens. « La découverte du système des tortures fut le grand choc de ma vie. » Six ans plus tôt, à vingt-sept ans seulement, elle plaide pour les Algériens arrêtés après la « Toussaint sanglante ». Puis, en 1958, elle est avocate au procès du massacre d’El Halia dans lequel 44 Algériens sont encore injustement accusés d’avoir massacré des Européens. Avec son confrère Léo Matarasso, ils sont surnommés « les avocats des tueurs » par les Occidentaux. Mais, grâce à eux, preuve est apportée que les aveux ont été extorqués sous la torture. Condamnée trois fois à mort par l’OAS, emprisonnée durant un mois à Alger, il en faut plus à Gisèle Halimi pour rendre les armes. Après l’affaire Djamila, elle devient une fervente militante des femmes en France."

Simone de Beauvoir signa la tribune qui révéla au monde le calvaire de Djamila Boupacha.

À la suite des pressions du comité de soutien qui s'était constitué pour sa défense et par l'entremise de Simone Veil, alors magistrate, le tribunal d'Alger fut dessaisi du dossier au profit de Caen et Djamila Boupacha fut transférée par avion militaire en France métropolitaine pour y être jugée ; on craignait en effet qu'elle ne soit abattue dans sa cellule pour mieux étouffer l'affaire. Elle fut placée en détention à la prison de Fresnes le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau. Pour les faits de torture, Gisèle Halimi poursuivit le ministre de la défense Pierre Mesmer ainsi que le général Charles Ailleret, qui commandait alors l'armée française en Algérie, pour forfaiture.

Djamila Boupacha comparut à Caen fin juin 1961, dans un procès au cours duquel elle identifia ses tortionnaires mais au terme duquel elle fut condamnée à mort, le 28 juin. En 1962 elle fut amnistiée en application des accords d'Évian mettant fin à la guerre d’Algérie et libérée le 21 avril 1962. Réfugiée chez Gisèle Halimi, elle fut d'après Le Monde du 3 mai 1962 séquestrée puis transférée à Alger par la Fédération de France du FLN, qui dénonça « l'opération publicitaire tentée à des fins personnelles » par l'avocate Gisèle Halimi. Le FLN ne pouvait accepter de perdre la main sur l'arme symbolique de premier ordre que constituait la jeune militante.

De fait, Djamila Boupacha devint, par son martyre, un enjeu de mémoire pour les nationalistes algériens, une figure iconique de la lutte, destinée à être érigée en mythe fondateur de la nation algérienne à construire. Élevée à ce statut d'icône, elle ne devait pas cependant en sortir : du point de vue des dirigeants nationalistes algériens, la violence perpétrée et/ou subie par les femmes ne pouvait « être utile que sur le mode l'exceptionnalité ». Comme le souligne Christelle Taraud, si l'État algérien devenu indépendant utilisa dans l'immédiat après-guerre Djamila Boupacha comme un symbole « propre à asseoir la légitimité symbolique et politique du régime de parti unique mis en place par le FLN », elle fut progressivement mise de côté et disparut de la scène publique, à l'instar de nombreuses militantes nationalistes ayant joué un rôle déterminant dans la libération de leur pays.

Condamnée à mort le 28 juin 1961, Djamila Boupacha fut amnistiée dans le cadre des accords d'Évian, et finalement libérée le 21 avril 1962.
À la demande de l'avocate, qui souhaitait utiliser l'affaire pour dénoncer les méthodes de l'armée française en Algérie, Simone de Beauvoir rédigea une tribune dans les colonnes du journal Le Monde en date du 2 juin 1960 intitulée « Pour Djamila Boupacha »; le premier ministre Michel Debré fit saisir le journal en Algérie. L'affaire Djamila Boupacha prit une ampleur médiatique et internationale importante lorsque, dans la foulée de la tribune, un Comité pour Djamila Boupacha fut créé en juin 1960, comité présidé par Simone de Beauvoir, et qui comprenait parmi ses membres Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Elsa Triolet, Gabriel Marcel, Geneviève de Gaulle, Aimé Césaire ou encore Germaine Tillion.

Djamila Boupacha est toujours vivante. C'est Djamila Boupacha qui a inspirée Picasso. Il y a eu plusieurs "djamilattes", ce qui veut dire "belles ", dont trois très connue, Djamila Bouazza première condamnée à mort a 20 ans (non exécutée) décédée en 2015 ,Djamila Bouhired (Djamila Bouhired ,défendue par Vergès qu'elle a epousé par la suite) et Djamila Boupacha ( défendue par Gisèle Halimi).

En 2000, Francesca Solleville interprète Djamila composée par Bernard Joyet sur le disque Grand frère petit frère.
En 2012, Bernard Joyet reprend la chanson dans son disque Autodidacte.

On peut voir sur Facebook une interview extrêmement touchante de Djamila Boupacha à France Inter

https://www.facebook.com/nhanifi/videos/359929212858245

Histoires d'Algérie: Djamila Boupacha, militante FLN défendue par Gisèle Halimi et dont Picasso fit une icône de la lutte des Algériens
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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 05:27

 

En 2013, dans une interview au journal Libération, Gérard Fournier, alors administrateur du bâtiment, rappelle que le siège du PCF « ...est un lieu de création au service de l’émancipation humaine et ouvert sur l’avenir ». Ajoutant : « On est très attentif dans notre sélection..., veillant à ce qu’il y ait toujours une dimension créative dans les projets ». Précisant son idée par le refus depuis « Prada », qu’il considéra comme une erreur, « de louer... pour des événements purement festifs et de le transformer en « dancing d’un soir pour la jet-set ».

 

 

La presse veut que le premier grand événement ait été « le défilé Prada ». Or, le premier défilé fut celui du styliste André Walker, américain installé à Paris, en mars 1998. Pour l’occasion, Le Monde titrait : « La mode Spoutnik au Parti communiste ».

Dès lors vont s’enchaîner les acteurs de la mode, du luxe et du prêt-à-porter.

Christian Lacroix / Dior par deux fois, avec Marion Cotillard / Prada / Dries Van Noten / Thom Bronwe / Jean-Paul Gauthier / Maison Martin Margiela / Galerie Lafayette / Namacheko deux fois / Koché / Courrèges / Chanel par deux fois, avec Pharrell Williams / L’Oréal avec Leïla Bekhti et Louise Bourgoin / Gabriel Nouchi / Rombaut Dysmorphia / Dynamo Cycling / Ann Demeulemeester / Magasine Rouge fashion book avec Isabelle Huppert / Kany West Enfants riches déprimés / Sysley Pub Sisley / The Kooples / Audemars Piguet / Giambattista Valli / Atlein / Stella McCartney / Christian Louboutin / Maison Cléo / Miaou /      (aparté, se rappeler de la lutte de ses ouvrières de 1980 à 1994 ) / Jérôme Dreyfus.

De nombreux clips...

Elles dansent, de Nuttea / Et si en plus y a personne, Alain Souchon / Bugatti, de Tiga / Jalousie, d’Angèle / Vargas, de Franglish et Alonzo / Pas là-bas, de Nadjee / 230, de Lefa et Plk / Maintenant ou jamais, du groupe Catastrophe / Dingue, de Soprano / Das Kapital, des Vulves assassines / Stromae, Spots TV et RS pour son album « Multitude » / Orchestre symphonique, virtuellement dirigé par des entraîneurs de foot de la Ligue1.

...et films y ont été réalisés

Mon petit doigt m’a dit, de Pascal Thomas.

Un ticket pour l’espace, de Éric Lartigau.

Gainsbourg vie héroïque, de Joann Sfar.

Libre comme l’aire, de Frank Lebon et Vincent Burgevin.

De l’autre côté du périph, de David Charhon.

La Marque des anges, Miserere de Sylvain White.

L’Écume des jours, de Michel Gondry.

Cherchez Hortense, de Pascal Bonitzer.

Zygomatiques, court métrage de Stéphen Cafiero.

20 ans d’écart, de David Moreau 11.

Tu sais c’qui s’passe, de Georgio avec Vald.

Au poste, de Quentin Dupieux.

Trépalium, série télévisée pour Arte, créée par Antarès Bassis et Sophie Hiet.

La conserve ça déboite, web série de UPPIA (Union interprofessionnelle pour la promotion des industries de la conserve appertisée).

La science de l’amour, de Timothée Hochet et Cyprien Iov.

Zérostérone, web série de Nadja Anane.

Anna, de Luc Besson.

Osmosis, série de Audrey Fouché.

Dérapages, série de Ziad Doueiri.

True Story, saisons 1 et 2.

Matière grise, série pour Arte.

Oxygène, de Alexandre Aja.

Gérard Pellois

 

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