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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 08:48
Robert Laffon, 21,50€, 580 pages, 2017

Robert Laffon, 21,50€, 580 pages, 2017

Roman. Le sommeil de la raison, des monstres et des crimes
ROGER MARTIN
JEUDI, 14 DÉCEMBRE, 2017
L'HUMANITÉ

L'Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski de Romain Slocombe. Il était une fois… l’Occupation. Un inspecteur consciencieux et pervers, des étoiles jaunes, des vengeurs rouges et un ordre définitivement noir.

Nous avions dit ici même tout le bien qu’il fallait penser de l’Affaire Léon Sadorski, un roman noir historique exceptionnel dans lequel, refusant tout effet de suspense gratuit, Slocombe, à travers les yeux et les actes d’un policier arriviste et retors, faisait défiler devant nous les deux premières années de l’Occupation. On y suivait quasiment au jour le jour les faits et gestes d’un policier dont les idées s’accordent parfaitement à l’air du temps et auquel sa conscience ne pose aucun problème.

Une plongée au cœur de la France collaborationniste

Avec l’Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski, on plonge davantage encore au cœur de la France collaborationniste, à l’intérieur des Brigades spéciales qui traquent et torturent les résistants, au moment où se prépare la grande rafle du Vél’d’Hiv. On retrouve le chef du Rayon juif de la 3e section de la direction générale des Renseignements généraux et des Jeux le 8 juin 1942 au moment où obligation est faite aux juifs d’arborer l’étoile jaune. Lorsqu’on le quitte, un mois et demi plus tard, il est dans la foule qui assiste à une parade monstre organisée dans Paris par le commandement militaire allemand. Nous sommes le 29 juillet, Sadorski sourit, se dit qu’il est un homme heureux. Au même instant, un convoi quitte Drancy. À bord du train, 730 hommes et 270 femmes, tous juifs, destination Auschwitz-Birkenau. Entre-temps, Slocombe plonge son personnage au cœur de l’Histoire authentique, loin des fabulations et des approximations, saisissant Sadorski alors qu’il est amené à traquer un groupe de communistes qui liquide collaborateurs et ex-communistes passés avec Doriot du côté des nazis. Pendant 550 pages, d’un commissariat de police à un cinéma, d’une station de métro à une gare de province, à pied, à vélo, en voiture, le lecteur est obligé de cohabiter avec un salaud doublé d’un pervers dont la perpétuelle bonne conscience et la certitude qu’il agit pour le bien du pays donnent la nausée. Mais cette vie commune est d’une richesse exceptionnelle tant Slocombe connaît son sujet. La masse d’informations est époustouflante, la reconstitution de Paris et de la région parisienne laisse interdit, le traitement d’épisodes authentiques de l’histoire de l’Occupation rendu avec une rigueur stupéfiante. Impossible de trouver un détail, une affirmation, un fait qui ne soit confirmé par les archives ou les travaux d’historiens. Mais, en même temps, alors que cette matière historique est la chair du roman, elle ne l’envahit jamais, ne phagocyte pas un récit qui palpite de destinées tragiques, de combats inégaux, de grandeur et de barbarie. Romain Slocombe a prévu trois autres volumes, voire quatre, avant le dénouement de la Libération. Une tâche titanesque, une sorte de Village français littéraire. À en juger par les deux premiers volumes, la fresque, achevée, témoignera avec une rigueur et une force impressionnantes d’une période qui n’en finit pas de passionner.

L'Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski de Romain Slocombe. Robert Laffont, 584 pages, 21,50 euros.

L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski et L'affaire Léon Sadorski: deux romans noirs sur la collaboration de la police française extrêmement bien écrits et documentés de Romain Slocombe (Roger Martin, L'Humanité)
Itinéraire d’un salaud ordinaire
ROGER MARTIN
JEUDI, 29 DÉCEMBRE, 2016
L'HUMANITÉ
L’Affaire Léon Sadorski,  de Romain Slocombe. Robert Laffont, 500 pages, 21 euros.

Les séries américaines ont imposé leur tyrannie : tueurs en série géniaux, policiers scientifiques nobélisables, flics de terrain démiurges. La littérature s’est engouffrée dans la brèche dans l’espoir d’adaptations au grand ou au petit écran. Miraculeusement, il est encore des auteurs pour honorer le roman noir, qui est au thriller ce que Spartacus est à Gladiator. Leurs livres refermés, on reste hanté par des récits qui se refusent à n’être que divertissement, palpitant, certes, mais formaté. Romain Slocombe est au nombre de ces irréductibles. L’auteur de Monsieur le Commandant n’écrit pas pour passer le temps. Chez lui, comme chez Daeninckx, Le Corre, Pivion et quelques autres, le sujet est l’essentiel, ce qui ne l’empêche pas de déployer dans son dernier ouvrage un talent de conteur exceptionnel. Une construction solidement charpentée, une science aiguë des ressorts dramatiques, une maîtrise totale des péripéties, s’ajoutant à une capacité rare de faire de ses personnages, victimes ou bourreaux, autre chose que de simples marionnettes, autant d’atouts supplémentaires qui obligent le lecteur à une attention soutenue. L’Affaire Léon Sadorski est en effet un roman noir historique exceptionnel dans lequel, refusant tout effet de suspense gratuit, Slocombe poursuit sa plongée vertigineuse au cœur de l’Occupation, projetant un éclairage cru sur les arcanes de la collaboration et le rôle de la police. L’inspecteur Léon Sadorski ne détonne guère dans ses rangs. Un fonctionnaire consciencieux, méticuleux même, qui fait son travail, avec conscience et même zèle, d’autant plus aisément qu’il est pétainiste et antisémite et que, après tout, il ne fait qu’obéir aux ordres. Contrôler des juifs, puis les arrêter avant de les expédier à Drancy, donner un coup de main aux brigades spéciales pour traquer des communistes, rien que de très légal, après tout. Sans parler de l’orgueil de contribuer au salut de la France et à l’espèce d’ivresse qui s’empare de lui lorsqu’il participe aux séances d’interrogatoire poussé, autrement dit de torture. Sadorski jouit de sa toute-puissance. S’il n’est pas Dieu, c’est tout comme puisqu’il peut décider d’une mort ou d’un salut. Mais le Capitole n’est pas loin de la roche Tarpéienne. Un jour, il est arrêté, emmené contre son gré en Allemagne, persuadé qu’il n’en reviendra pas. La Gestapo a décidé de faire de lui sa pièce maîtresse au sein de la préfecture de police. Entre missions officielles et enquêtes privées, louvoyant sans cesse pour éviter les pièges de ses nouveaux maîtres, ceux des brigades spéciales et des truands nazis de la rue Lauriston, Sadorski s’enfonce irrésistiblement et comme avec délectation dans les horreurs de la collaboration sans problèmes de conscience excessifs… On croyait tout savoir, on découvre à chaque page ! Slocombe s’est appuyé naturellement sur des faits authentiques. Sa documentation, impressionnante, qu’il a pris le temps de digérer, ne phagocyte jamais le récit, mais l’irrigue et donne en permanence au lecteur la certitude d’être dans l’authentique. Un livre fascinant, indispensable !

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 06:58

Entre le 20 octobre et le 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Un comité de soutien emmené par John Huston, Humprey Bogart, Lauren Bacall ou Groucho Marx est créé. Mais l'Amérique a déjà basculé dans la guerre froide et l'hystérie anticommuniste. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

Le scénariste Adrian Scott fut surtout un grand producteur. Il a produit entre autres Pris au piège d'Edward Dmytryk et le Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey.

 

Audition d'Adrian Scott

 

LE PRÉSIDENT Ce n'est peut-être pas la pire déclaration que nous ayons reçue, mais c'est presque la plus mauvaise.

M. SCOTT Puis-je être en désaccord avec le président, s'il vous plaît ?

LE PRÉSIDENT Par conséquent, elle est manifes-tement irrecevable, pas du tout pertinente, elle n'a rien à voir avec l'enquête et le président décide que la déclaration ne sera pas lue. M. Stripling.

M. STRIPLING M. Scott, êtes vous membre d'uneguilde, soit la Guilde des réalisateurs, soit la Guilde des scénaristes ?

M. SCOTT Je ne crois pas que ce soit une questionappropriée, M. Stripling.

M. STRIPLING Avez-vous déjà été membre de la Guilde des scénaristes ?

M. SCOTT M. Stripling, je répète, je ne crois pas que ce soit une question appropriée.

M. STRIPLING  Êtes-vous, ou avez-vous été membre du Pari communiste ?

M. SCOTT Puis-je répondre à la première question,M. Stripling ?

M. STRIPLING Vous avez dit que ce n'était pas unequestion appropriée.

M. SCOTT  Je vais voir si je peux y répondre convenablement.

LE PRÉSIDENT Vous avez dit que ce n'était pas une question appropriée.

M. SCOTT Je crois que c'est une question qui violemes droits de citoyen. Je ne crois pas qu'il revienne à cette commission d'enquêter sur mes relations personnelles, mes relations privées, mes relations publiques.

LE PRÉSIDENT Alors vous refusez de répondre à la question ?

M. SCOTT La commission n'a pas le droit d'enquêter sur ce que je pense, sur les personnes avec qui je m'associe...

M. STRIPLING Nous n'enquêtons pas sur ce que vous pensez, M. Scott, nous voulons savoir si vous êtes membre de la Guilde des scénaristes.

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à la question.

M. STRIPLING M.le président, je vous demande d'ordonner au témoin de répondre à la question.

LE PRÉSIDENT Le témoin doit répondre à la question.

M. SCOTT Je vous demande pardon ?

LE PRÉSIDENT Le témoin doit répondre à la question en répondant.

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à la question, M. le président.

LE PRÉSIDENT Est-ce que vous refusez de répondre à la question ?

M. SCOTT J'y ai répondu de la façon dont je souhaitais y répondre.

LE PRÉSIDENT Avez-vous déjà été membre ? Je nesais pas d'après votre réponse si vous étiez ou non membre.

M. SCOTT Ma réponse tient toujours.

LE PRÉSIDENT Êtes-vous membre ?

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à cette question.Souhaitez-vous que je réponde de la façon dont je l'ai fait auparavant ?

LE PRÉSIDENT D'après votre réponse, je dois être terriblement stupide, mais d'après votre réponse, je ne peux pas dire si vous êtes membre ou non.

M. SCOTT M. Thomas, je ne suis pas d'accord avecvous, je ne crois pas que vous soyez stupide. J'ai répondu à la question du mieux que j'ai pu.

LE PRÉSIDENT Je ne peux pas dire si vous êtes membre.

M. SCOTT Je suis vraiment désolé.

M. STRIPLING M. Scott, pouvez-vous dire à la commission si vous êtes ou avez été membre du Parti communiste ?

M. SCOTT Monsieur Stripling, cette question vise à enquêter sur ma vie personnelle et privée. Je ne pense pas que ce soit pertinent ­ je ne pense pas que ce soit une bonne question non plus.

M. STRIPLING Est-ce que vous refusez de répondre à la question, M. Dmytryk ?

M. SCOTT M. Scott.

M. STRIPLING M. Scott.

M. SCOTT Je crois que cette question viole mes droits de citoyen. Je crois qu'elle viole aussi le 1er amendement. Je crois que je ne peux pas participer à une conspiration avec vous pour violer le 1er amendement.

LE PRÉSIDENT Maintenant, nous ne pouvons même pas dire à partir de cette réponse si vous êtes un membre du Parti communiste.

M. STRIPLING Je répète la question, M. Scott : pouvez-vous dire si vous avez déjà été membre du Parti communiste ?

M. SCOTT Je répète ma réponse, M. Stripling.

LE PRÉSIDENTTrès bien, le témoin estexcusé.

MARDI Lester Cole

 

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 06:58
Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...
Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...

Bon anniversaire à tous les cocos !!!
Naissance du Parti Communiste par l'adhésion à la IIIeme Internationale 
Congrès de Tours de la SFIO, dans la nuit du 29 au 30/12/1920.

 

Alors bon anniversaire aux communistes et pour l’occasion, rappelons-nous de ce qu’a écrit Aragon après-guerre dans son livre : " L'homme communiste "

« Mais qui ne voit que le communiste est de nos jours l’héritier, le représentant de toute grandeur humaine, de tout esprit de sacrifice, de tout héroïsme français ?

Le chrétien, lui, je veux dire le chrétien qui agit comme il est écrit, qui vit et meurt suivant les principes proclamés du christianisme, le fait croyant, au-delà de la mort, à un autre monde, à une punition et à une récompense.

Dirai-je que pour moi cela ne le diminue pas à mes yeux, car ce qui m’importe c’est la pureté, la beauté, le désintéressement en ce monde-ci… cependant, songez que le communiste, lui, n’attend vraiment rien pour lui-même.
S’il donne sa vie, comme soixante-quinze mille des nôtres l’ont fait devant les fusils des pelotons d’exécution allemands, et de bien d’autres manières, sa récompense est que les siens, que les Français, les hommes de son peuple, de sa nation, grâce à ce sacrifice, seront un tout petit peu plus près du bonheur que s’il n’avait pas accepté le martyre.

La récompense pour le communiste est affaire de l’espèce humaine et non de l’individu.

La croyance au progrès, au progrès indéfini et infini de l’homme, en la montée de l’humanité vers un soleil que, lui, ne verra point mais dont il aura préparé obscurément l’aurore, voilà ce qui anime et soutient le communiste, voilà l’idéal du communiste.

Entre cet idéal et l’idéal chrétien, il est sûr que moi j’ai choisi. Mais cela ne m’empêche pas de rendre hommage à ces chrétiens qui se conduisent sur cette terre, comme un communiste considère bel et bien qu’on se conduise. Je m’étonne souvent du peu de réciproque, du peu de charité chrétienne de certains catholiques devant la vie et la mort des communistes.
Il faut parler de la vie et de la mort des communistes.

C’est peu de concéder que l’homme communiste n’est pas l’homme au couteau entre les dents !

On se fait, hors des rangs communistes, une idée un peu simple de ce qui amène un homme à être communiste. Le plus généralement, les gens pensent que c’est par une manière de fatalité qu’on le devient, entraînement de milieu, de classe même, ou simplement par basse envie de ceux qui vivent mieux, jalousie de ceux qui possèdent… remarquez qu’on peut envier les autres, leurs biens, sans devenir communiste : c’est même là ce qui entraîne plus généralement les hommes au jeu, à la spéculation ou à l’escroquerie. Et les joueurs, les gens de Bourse et les escrocs sont rarement communistes [...]

L’homme communiste… il était un ouvrier comme un autre, celui-là, avec une femme, des enfants, travaillant, gagnant après tout sa vie, en 1936, quand au-delà des Pyrénées s’éleva l’appel tragique du peuple espagnol… et on a vu ces métallos, ces mineurs, ces simples comptables, des gens des Ptt, des cheminots… tout quitter, du jour au lendemain, tout donner et se battre. Pendant que les hommes qui aujourd’hui font les philosophes se demandaient si vraiment Mussolini et Hitler avaient envoyé des soldats en Espagne, et si nous devions nous mêler de cette histoire…

L’homme communiste qui a compris que défendre Madrid, c’était défendre Paris, comment était-il devenu communiste ? Par basse envie, par entraînement de milieu ? Ah, ce n’est pas un sujet d’ironie après ces terribles années, terribles pour les communistes dès 1939, quand ils furent jetés en prison, pourchassés, condamnés par ceux qui portaient comme eux le nom de français… ce n’est pas un sujet d’ironie, après ces années où même les anticommunistes forcenés n’oseraient pas publiquement dire que c’est pour des raisons basses, d’entraînement ou d’envie, que tant de communistes ont tout à la France donné !

Peut-être devient-on communiste, sans doute devient-on communiste, pour des raisons de classe. Et l’aveu en est sanglant aux lèvres de ceux qui sont les responsables de la solidarité ouvrière contre l’égoïsme bourgeois. Mais ces raisons de classe, à une époque où monte du meilleur de l’humanité, cette force pure, la force du travail producteur, ces raisons de classe, les partagent ceux qui sont nés ouvriers, et ceux qui du sein de la bourgeoisie où le hasard les a fait naître, reconnaissent dans la classe ouvrière la porteuse de l’avenir humain… et je vous le dis, oui, ce sont des raisons de classe qui font qu’un Langevin, un Joliot-Curie, un Picasso, un
Éluard deviennent des communistes. Mais ces raisons de classe, que les anticommunistes ne les invoquent pas trop haut ! Elles sont l’honneur des communistes. Un Langevin, un Joliot-Curie, un Picasso, un Éluard, il n’y a pas besoin de demander si c’est l’envie ou l’entraînement qui les a faits communistes.

L'homme communiste, ouvrier, paysan, intellectuel, c'est l'homme qui a une fois vu si clairement le monde qu'il ne peut pas l'oublier, et que rien pour lui désormais ne vaut plus que cette clarté là, pas même ses intérêts immédiats, pas même sa propre vie.

L'homme communiste, c'est celui qui met l'homme au-dessus de lui-même. 

L'homme communiste, c'est celui qui ne demande rien, mais qui veut tout pour l'homme". 

Louis Aragon 

 

Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...
920, le congrès de Tours Par Alexandre Courban, historien

SAMEDI, 8 MAI, 2004

L'HUMANITE

L'historien Alexandre Courban, retrace les circonstances de la création du Parti communiste par la majorité de l'ancienne SFIO au congrès de Tours et le rôle nouveau désormais dévolu au journal fondé par Jaurès.


Pourriez-vous dresser un tableau de la France de 1920 à l'orée du congrès de Tours ? Quelle est sa situation économique et sociale ?

Alexandre Courban. Nous sommes au sortir de la Grande Guerre. Neuf millions de soldats ont été tués, dont plus d'un million de Français et près de deux millions d'Allemands. Les années 1919-1920 sont marquées par des conflits sociaux extrêmement durs. Deux mille grèves réunissent plus d'un million de grévistes. La démobilisation commence en juillet 1919. Elle précède la victoire de la droite aux élections législatives de novembre 1919. La campagne électorale a lieu alors que se déroule une grève des imprimeurs à Paris. Deux journaux seulement paraissent dans la capitale : l'un avec l'autorisation du comité de grève, l'autre à l'initiative des grands patrons de presse. Les combattants qui ont la chance d'être rentrés n'ont donc pas accès à une information complète.

Au cours du premier semestre de l'année 1920, un grand mouvement social prend forme chez les cheminots. Les manifestations du 1er Mai 1920 se soldent par deux morts, comme c'est souvent le cas le 1er Mai à l'époque.

Au cours de ces journées, la SFIO va se scinder en deux et donner naissance au Parti communiste. La ligne de fracture se situe-t-elle réellement entre révolutionnarisme et réformisme, avec les vingt et une conditions d'adhésion à l'Internationale communiste (la troisième) comme pierre d'achoppement ?

Alexandre Courban. Lorsque le congrès s'ouvre, les participants savent qu'il va y avoir scission : l'état des forces en présence est connu grâce aux congrès fédéraux qui se sont tenus quelque temps auparavant. Mais alors que le congrès a pour principal objet l'adhésion à l'Internationale communiste, il n'existe pas de version française officielle des vingt et une conditions. Les militants les connaissent soit à partir d'une traduction allemande publiée dans la presse, soit à partir d'une version italienne. Cela signifie que le choix ne se fait pas en fonction des vingt et une conditions elles-mêmes, mais plutôt pour ou contre ce que les militants imaginent que seront les nouvelles pratiques politiques ; ils ne se situent pas complètement dans la réalité. Le véritable enjeu du congrès c'est : quelle va être la place accordée par les partisans de l'Internationale aux " reconstructeurs " comme Jean Longuet, militants favorables à l'adhésion avec des réserves ? Ensuite, au sein du Parti socialiste, le comité pour la IIIe Internationale, l'aile gauche du parti, s'allie avec une partie du " centre ". Mais idéologiquement, les choses n'évoluent pas immédiatement après le congrès. De 1921 à 1923 ont lieu au sen du nouveau parti des débats très importants pour décider du sens et de l'application des vingt et une conditions. Certains pensent longtemps que ces conditions sont purement formelles.

Le ralliement à la IIIe Internationale se fait à une écrasante majorité. Cela signifie-t-il que le socialisme français était plus révolutionnaire que ses homologues européens ?

Alexandre Courban. La majorité du Parti socialiste se prononce effectivement pour l'adhésion, par 3 208 mandats contre 1 022, ce qui n'est pas le cas dans les autres partis socialistes. Plusieurs interprétations rendent compte de ce phénomène. Tout d'abord, les jeunes membres du parti se sont massivement prononcés pour l'adhésion. Ensuite, celle-ci est davantage idéale que programmatique : il s'agit plus d'un rejet des anciennes directions du parti socialiste, de leur participation aux gouvernements d'" Union sacrée " que d'une adhésion réelle aux vingt et une conditions.

Cette adhésion se traduit-elle par une influence accrue des révolutionnaires russes au plan international ?

Alexandre Courban. Elle n'est pas perçue comme ça. C'est justement la raison pour laquelle les années qui suivent la scission sont compliquées au sein du Parti communiste, qui perd rapidement une partie de ses effectifs. Le noyau " bolchevik ", ex-comité pour la IIIe Internationale, prend de plus en plus d'importance au sein du nouveau parti. Et lors de son quatrième congrès, à la fin de l'année 1922, Trotski, au nom de la direction de l'Internationale communiste soucieuse d'homogénéiser le mouvement, impose aux militants français de choisir entre leur appartenance au Parti et à la Ligue des droits de l'homme ou à la franc-maçonnerie. C'est un moyen de se débarrasser des " intellectuels petit-bourgeois de gauche ". Certains, comme Marcel Cachin, renoncent à leurs autres organisations, mais d'autres comme Frossard, alors secrétaire général du parti, et quelques journalistes de l'Humanité, refusent cet oukase et démissionnent du parti le 1er janvier 1923. La grande inquiétude de l'Internationale en décembre 1922 était que le parti français perdît la majorité de ses militants et son quotidien.

Venons-en justement à l'Humanité. Quelle est sa place dans l'espace public avant de passer dans le giron du Parti communiste ?

Alexandre Courban. C'est un acteur politique au sens plein du terme. Le journal ouvre ses colonnes à toutes sortes d'initiatives. Il invite régulièrement ses lecteurs à venir financièrement en aide aussi bien aux victimes de la répression de la révolution russe en 1905, qu'aux familles des mineurs de Courrières après la catastrophe de 1906, qu'aux grévistes de Draveil en 1908 ou encore les cheminots en grève en 1910. C'est lui qui organise en 1913 la lutte contre le passage de deux à trois ans du service militaire en faisant signer des pétitions. Il joue le rôle d'" organisateur collectif ", pour reprendre une formule utilisée par Lénine.

Quel enjeu le contrôle du journal représente-t-il pour les socialistes du congrès de Tours ?

Alexandre Courban. Quelques semaines après la scission prononcée à Tours, en janvier 1921, se décide l'avenir du journal. Il s'agit très clairement pour les socialistes divisés de contrôler le seul quotidien de quatre pages diffusé nationalement à plus 150 000 exemplaires, et qui a de surcroît derrière lui seize ans d'histoire, donc un réseau d'abonnés et des habitudes de lecture. L'enjeu est de maîtriser le principal vecteur de la propagande du parti. Autre spécificité française, l'Humanité est le seul quotidien socialiste qui devient communiste. À ma connaissance, tous les autres journaux de ce type sont des créations.

Qui est alors propriétaire du journal ? Pourquoi suit-il la majorité du Congrès de Tours ?

Alexandre Courban. L'Humanité est une entreprise de presse au sens classique, son capital appartient à des actionnaires représentés par le trésorier du Parti, Zéphirin Camélinat, ou d'autres personnalités. Lors de l'assemblée générale de janvier 1921 qui décide du sort du journal, Camélinat répartit les actions au prorata des voix recueillies lors du congrès, soit 70 % en faveur des partisans de l'adhésion à la Troisième Internationale, et 30 % à ses adversaires. Philippe Landrieu, administrateur du journal quasiment depuis sa fondation, détient de son côté des actions achetées en 1907 par les partis sociaux-démocrates allemand, autrichien et tchèque. Pourtant proche de Jaurès, il se prononce pour l'adhésion. La famille de Jaurès, elle, ne se fait pas représenter. Contrairement à ce que l'historiographie et la tradition militante ont retenu, ce n'est pas le choix de Camélinat qui a permis au futur parti communiste de conserver le journal, mais la décision ou l'absence de décision des plus proches de Jaurès (sa famille et Landrieu). Camélinat ayant été " ministre des Finances " de la Commune de Paris et Landrieu exclu du parti en 1923, le Parti communiste fait le choix de mettre en avant cette figure historique de la Commune de Paris. Cela arrange également les socialistes qui peuvent alors faire croire que les communistes leur ont volé le journal de Jaurès.

Par quels changements, humains et éditoriaux, s'opère la mue de l'Humanité ?

Alexandre Courban. En 1921, les quelques journalistes opposés à l'Internationale communiste s'accordent avec leur choix politique et quittent le journal d'eux-mêmes. Les changements plus " visibles " surviennent deux ans plus tard, même si en novembre 1920, on pouvait déjà voir poindre des titres comme " Vive la République des Soviets " sur six colonnes à la une au moment de l'anniversaire d'Octobre. Les relations entre le journal et le parti ont rarement été simples. La première des conditions de l'Internationale est que les journaux soient dirigés par " des communistes authentiques, ayant donné les preuves de sacrifice à la cause du prolétariat ",selon la traduction française de la version italienne. Tout cela donne lieu à des débats intenses au sein du mouvement entre 1921 et 1924 sur la fonction de la presse, sur ce que doivent être les journalistes, qui doit procéder à leur nomination. À partir de 1921, le parti se transforme : l'objectif est désormais de prendre le pouvoir, y compris par la force, sur le modèle de ce qu'ont fait les bolcheviks en Russie. En parallèle à ce parti d'un type nouveau, les communistes souhaitent mettre en place un journal de type nouveau. Le rôle assigné au journal évolue, la ligne éditoriale connaît un net coup de barre à gauche. Comme le bureau politique du Parti doit aider le directeur à imprimer une ligne et à veiller à son respect, le journal ne peut pas être en porte-à-faux avec le Parti. Dès lors, l'Humanité doit devenir plus qu'un journal : l'organe central du Parti. En 1921 tout d'abord, le sous-titre, de " journal socialiste ", devient " journal communiste ". En 1923, il change une nouvelle fois pour devenir " organe central du Parti communiste (SFIC) "". En 1924, s'ouvre alors la période de la mise en pratique des décisions adoptées depuis 1921 : la " "bolchevisation ".

Entretien réalisé par Théophile Hazebroucq

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29 décembre 2017 5 29 /12 /décembre /2017 06:18

Entre le 20 octobre et le 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Les Dix d'Hollywood invoquent pour leur défense le 1er amendement de la Constitution. Un comité de soutien emmené par John Huston, Humphrey Bogart, Lauren Bacall ou Groucho Marx est créé. Mais l'Amérique a basculé dans la guerre froide. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

Alvah Bessie  a signé les scénarii du film Du sang sur la neige, de Raoul Walsh, ou encore celui de la Caravane des évadés, de Lewis R. Foster. Bettmann Archive

 

Audition d'Alvah Bessie

 

" M. BESSIE M. le président, j'ai moi aussi une déclaration que je souhaiterais lire devant cette commission, si vous voulez bien l'examiner, à moins que vous préfériez que je la lise ? (...)

LE PRÉSIDENT M. Bessie, bien que nous doutions de la pertinence de votre déclaration pour l'enquête, cela sera très évident quand vous la lirez.

M. BESSIE J'aimerais toujours avoir la permission de la lire.

LE PRÉSIDENT Juste une minute. Malgré tout le comité est prêt à vous laisser lire la déclaration. Nous nous demandons simplement, pour gagner du temps, si vous ne pouvez lire que les premiers paragraphes et ensuite, nous la verserons au procès-verbal, comme nous l'avons fait avec celle de M. Maltz.

M. BESSIE Je crois comprendre que le 1er amendement à notre Constitution interdit expressément au Congrès d'adopter une loi qui compromet la liberté de parole ou d'opinion. Et je crois comprendre que les commissions du Congrès sont constituées par le Congrès dans le but exprès d'enquêter sur une question qui pourrait conduire à un processus législatif au Congrès.

Maintenant, soit la Constitution et sa Déclaration des droits signifient ce qu'elles disent, soit elles ne signifient pas ce qu'elles disent. Soit le 1er amendement lie le Congrès et tous les corps législatifs de notre gouvernement, soit il ne veut rien dire du tout. Je ne peux pas suivre cette soi-disant commission dans sa croyance implicite selon laquelle la Déclaration des droits signifie ce que cet organe choisit de lui faire dire, ou n'est applicable qu'à ceux dont les opinions s'accordent avec celles de cette commission.

Ce sont les deux premiers paragraphes. Maintenant, les deux derniers paragraphes.

En venant me chercher chez moi, cet organe espère aussi raviver les braises de la guerre qui s'est déroulée en Espagne de 1938 à 1939. Cet organe, dans toutes ses manifestations précédentes, a déclaré qu'il jugeait le soutien à la République espagnole subversif, anti-américain et d'inspiration communiste. Ce mensonge a été engendré à l'origine par Hitler et Franco, et la majorité du peuple américain ­ en fait, la majorité des gens du monde ­ ne l'a jamais cru. Et je tiens, à ce stade, à ce qu'il soit inscrit ceci au procès-verbal : non seulement j'ai soutenu la République espagnole, mais combattre comme volontaire dans les rangs des Brigades internationales tout au long de l'année 1938 fut pour moi un privilège et le plus grand honneur qui m'ait été donné. Je continuerai à soutenir la République espagnole jusqu'à ce que les Espagnols, dans leur grandeur et leur force, destituent Francisco Franco et tous ses partisans et rétablissent le gouvernement légal que Franco et son armée de nazis et de fascistes italiens ont renversé.

La compréhension qui m'a conduit à combattre en Espagne pour cette République, et mon expérience de cette guerre m'apprennent que cette commission est engagée dans des activités exactement identiques à celles engagées par des commissions anti-espagnoles, des commissions anti-allemandes et des commissions anti-italiennes l'ayant précédée dans tous les pays qui ont finalement succombé au fascisme.

Jamais je n'aiderai ni n'encouragerai une telle commission dans sa tentative patente de favoriser ce genre d'intimidation et de terreur, qui est le précurseur inévitable d'un régime fasciste. Et je réitère donc ma conviction que cet organe n'a aucune autorité légale pour fouiller l'esprit ou les activités d'un Américain qui croit, comme je le fais, dans la Constitution, et qui est prêt à tout moment à se battre pour la préserver ­ comme je me suis battu pour la préserver en Espagne... "

 

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28 décembre 2017 4 28 /12 /décembre /2017 06:41

Entre le 20 octobre et 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood...

 

Après la Cité sans voiles de Jules Dassin en 1948, le nom du scénariste Albert Maltz disparaît des génériques jusqu'en 1970, année de la sortie de Sierra torride de Don Siegle. 

 

Audition d'Albert Maltz

 

M. MALTZ M. le président, j'aimerais avoir le privilège de faire une déclaration, s'il vous plaît.

LE PRÉSIDENT Avez-vous une déclaration préparée ?

M. MALTZ J'ai une déclaration préparée.

LE PRÉSIDENT Pouvons-nous la voir, s'il vous plaît ? (Après une pause.)

LE PRÉSIDENT M. Maltz, la commission vous permet à l'unanimité de lire la déclaration.

M. MALTZ Je vous remercie. Je suis un Américain etje crois qu'il n'y a pas de mot plus fier dans le vocabulaire d'un homme. Je suis romancier et scénariste et j'ai produit un corpus de travail au cours des quinze dernières années. Comme n'importe quel autre écrivain, ce que j'ai écrit vient du tissu total de ma vie ­ ma naissance dans ce pays, nos écoles et nos jeux, notre atmosphère de liberté, notre tradition d'information, de critique, de discussion, de tolérance. Quoi que je sois, l'Amérique m'a fait. Et moi, à mon tour, je n'ai pas de loyauté plus grande que celle que j'ai envers ce pays, pour le bien-être économique et social de son peuple, pour la perpétuation et le développement de son mode de vie démocratique.

Maintenant, à l'âge de 39 ans, j'ai reçu l'ordre de comparaître devant la commission des Activités anti-américaines. (...) Qu'est-ce que cette commission veut détruire de moi ? Mes écrits ? (...) Voilà donc le travail pour lequel cette commission demande que je sois inscrit sur une liste noire dans l'industrie cinématographique ­ et demain aussi, si la voie est ouverte, dans les domaines de la presse et de l'édition.

Par une censure froide, sinon par la législation, je ne dois pas être autorisé à écrire. Cette censure s'arrêtera-t-elle avec moi ? Ou avec d'autres désormais désignés pour cible ? S'il faut approuver les idées de cette commission pour se préserver de l'étiquette anti-américaine, alors qui est finalement à l'abri de cette commission à l'exception des membres du Ku Klux Klan ?

Pourquoi la commission cherche-t-elle maintenant à me détruire et à en détruire d'autres ? À cause de nos idées, incontestablement. En 1801, lorsqu'il était président des États-Unis, Thomas Jefferson écrivait : « L'opinion, et le juste maintien de celle-ci, ne sera jamais un crime selon moi ; elle ne portera jamais préjudice à l'individu. »

Mais il y a quelques années, au cours de l'une des audiences de cette commission, le député J. Parnell Thomas a dit, et je cite le compte rendu officiel : « Je veux juste dire ceci maintenant, qu'il semble que le New Deal travaille main dans la main avec le Parti communiste. Le New Deal est soit pour le Parti communiste, soit dans les mains du Parti communiste. »

Très bien, alors, voilà l'autre raison pour laquelle d'autres et moi-même sommes tenus de comparaître devant cette commission ­ nos idées. Comme beaucoup d'Américains, j'ai soutenu le New Deal. Comme beaucoup d'Américains, j'ai soutenu le projet de loi anti-lynchage, les contrôles du service de l'administration des prix, les logements d'urgence pour les vétérans, la loi sur les pratiques d'emploi équitables. J'ai signé des pétitions pour ces mesures, j'ai adhéré à des organisations qui les ont défendues, qui ont contribué financièrement, qui ont parfois parlé à partir de plates-formes publiques, et je continuerai à le faire. Je prendrai ma philosophie chez Thomas Payne, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln, et je ne me laisserai pas intimider ni donner des ordres par des hommes qui voient dans le Ku Klux Klan une institution américaine acceptable.

J'affirme en outre que, sur de nombreuses questions d'intérêt public, mes opinions en tant que citoyen n'ont pas toujours été en accord avec les opinions de la majorité. Elles ne le sont pas davantage aujourd'hui, mes opinions n'ont jamais été, non plus, fixes ni immuables ; bien ou mal, je réclame mon droit de penser librement et de parler librement, d'adhérer au Parti républicain, au Parti communiste, au Parti démocrate ou au parti de la Prohibition ; de publier ce que je veux ; de fixer mon esprit ou de changer d'avis, sans dictée de qui que ce soit ; de formuler toute critique qui, selon moi, convient à telle personnalité publique ou à telle politique ; de rejoindre toutes les organisations que je veux, quoi qu'en pensent certains législateurs. Je conteste surtout à cette commission le droit d'enquêter sur mes convictions politiques ou religieuses, de quelque manière que ce soit, et j'affirme que non seulement la conduite de cette commission, mais son existence même sont une subversion de la Déclaration des droits.

 

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27 décembre 2017 3 27 /12 /décembre /2017 07:03

 

Entre le 20 octobre et 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Les Dix d'Hollywood invoquent pour leur défense le 1er amendement de la Constitution. Un comité de soutien emmené par John Huton, Humphrey Bogart, Lauren Bacall et Groucho Marx est créé. Mais l'Amérique a basculé dans la guerre froide. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

Audition de Dalton Trumbo

 

" M. STRIPLING M. Trumbo, je vais vous poser différentes questions, toutes auxquelles on peut répondre par oui ou non. Si vous voulez donner une explication après avoir fait cette réponse, je suis sûr que la commission sera d'accord. Toutefois, afin de mener cette audience de manière ordonnée, il est nécessaire que vous soyez réceptif à la question, sans faire un discours en réponse à chaque question.

M. TRUMBO Je comprends, M. Stripling. Votre travail est de poser des questions et le mien est d'y répondre. Je répondrai oui ou non, s'il me plaît de répondre ainsi. Je répondrai avec mes propres mots. Seul un crétin ou un esclave peut répondre par oui ou non.

LE PRÉSIDENT La présidence est d'accord avec votre argument selon lequel vous n'avez pas besoin de répondre par oui ou non aux questions. Allez-y, M. Stripling.

M. TRUMBO Puis-je... s'il plaît à la présidence, je ne vais pas faire un discours. J'ai seulement des témoignages de personnes responsables concernant la nature de mon travail. J'ai ici vingt documents dont je souhaite qu'ils soient inclus dans le procès-verbal afin que l'on sache quel est mon travail et ce que la commission pourrait chercher à dissimuler au peuple américain dans le futur.

LE PRÉSIDENT Ne faites pas une telle déclaration. Ce n'est pas correct. (...)

M. STRIPLING M. Trumbo, je vais répéter la question : êtes-vous membre de la Guilde des scénaristes ?

M. TRUMBO M. Stripling, le droit des travailleurs américains à des listes de membres secrètes et inviolables a été conquis dans ce pays au prix fort du sang et de la famine. Ces droits sont devenus une tradition américaine. Par la Voix de l'Amérique (station de radio de propagande internationale ­ NDT) nous avons diffusé au monde entier l'affirmation de la liberté de nos travailleurs.

LE PRÉSIDENT Répondez-vous à la question ou faites-vous un autre discours ?

M. TRUMBO Monsieur, je réponds vraiment à la question.

LE PRÉSIDENT Bien, quelle était la question,M. Stripling ?

M. STRIPLING J'ai demandé à M. Trumbo s'il était membre de la Guilde des scénaristes.

M. TRUMBO Vous m'avez posé une question qui vous permettrait de traîner ici tout syndiqué des États-Unis pour qu'il s'identifie comme membre d'un syndicat, de le soumettre à l'avenir à l'intimidation et à la coercition. Ceci, je crois, est une question inconstitutionnelle.

LE PRÉSIDENT Faites-vous un autre discours, ou cela est-il la réponse ?

M. TRUMBO Ceci est ma réponse.

LE PRÉSIDENT Maintenant la question est, M. Trumbo : êtes-vous membre de la Guilde des scénaristes ?

M. TRUMBO M. le président, je ne considérerais pas comme une honte d'être membre d'un syndicat. (...) Mais les syndicats ont droit au secret pour leurs listes de membres.

LE PRÉSIDENT Je reviens à la question : êtes-vous membre de la Guilde des scénaristes ?

M. TRUMBO M. le président, cette question est conçu edans un but particulier. Premièrement... (Le président tape du marteau.)

M. TRUMBO ... Premièrement, il s'agit de m'identifier avec la Guilde des scénaristes ; deuxièmement, il s'agit de chercher à m'identifier avec le Parti communiste et, par là, de détruire cette guilde...

LE PRÉSIDENT (tape du marteau). Refusez-vous de répondre à la question ?

M. TRUMBO Je ne refuserai de répondre à aucune de vos questions, Monsieur.

M. STRIPLING Juste un moment. J'ai quelques autres questions, M. Trumbo, que je voudrais vous poser. Êtes-vous ou n’avez-vous jamais été un membre du Parti communiste ?

M. TRUMBO Je comprends qu'on a donné aux journalistes une prétendue carte du Parti communiste m'appartenant... Est-ce vrai ?

M. STRIPLING Ceci n'est pas vrai.

LE PRÉSIDENT Êtes-vous ou n'avez-vous jamais été membre du Parti communiste ?

M. TRUMBO Je crois que j'ai le droit d'être confronté à n'importe quelle preuve en appui de la question. J'aimerais voir ce que vous avez.

LE PRÉSIDENT Oh, bien, vous le pouvez ! Vous le pourrez, très bientôt. (Rires et applaudissements.) (Le président tape du marteau.)

M. TRUMBO Ceci est le commencement...(Le président tape du marteau.)

M. TRUMBO... D'un camp de concentration américain.

LE PRÉSIDENT Ceci est une tactique typiquement communiste. Ceci est une tactique typiquement communiste (tapant du marteau). (Applaudissements.) "

TRADUCTION MICHEL MULLER

 

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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 06:31

Temps de travail, retraites, contrats, imposition... à l'occasion de négociations engagées dans le secteur, une assemblée patronale définit en mars 1907 des « voeux », soit autant d'orientations que le patronat souhaite fixer au pouvoir politique.

Actuellement, le patronat se réjouit des mesures qui détruisent les conquêtes sociales des travailleurs. Au début du XXe siècle, il se battait vigoureusement contre tout projet mettant en cause, fût-ce partiellement, l'autorité totale sur les salariés et le secret des affaires. C'est ce combat que mène, le 23 mars 1907, l'assemblée générale des délégués de l'Union des syndicats patronaux des industries textiles de France, alors les plus importantes du pays, avec 1120717 salariés (639453 dans la métallurgie) (1).

L'AG n'accepte pas la création d'un «ministère du Travail et de la Prévoyance sociale», confié au socialiste René Viviani dans le gouvernement radical élu le 25 octobre 1906 et dirigé par Georges Clemenceau. Elle affirme ne pas être contre un ministère des travailleurs, «car nous sommes nous aussi des travailleurs», mais «à voir ce qui se passe», ce ministère aurait dû se nommer «ministère des ouvriers». Si l'intervention de l'État est légitime pour sauvegarder les intérêts généraux, «nous ne voulons pas que, sous prétexte d'intervention, on nous opprime».

L'AG du patronat textile adopte plusieurs voeux à l'unanimité. La durée de la journée de travail est particulièrement visée, la loi Millerand du 30 mars 1900 la limitant à onze heures du 1er avril 1900 au 1er avril 1902, puis à dix heures et demie jusqu'au 1er avril 1904, avec une mise en oeuvre progressive dans un délai de quatre ans.

L'AG REJETTE TOUT PROJET DE RETRAITE OBLIGATOIRE QUI ENTRAÎNERAIT LA PARTICIPATION DE L'EMPLOYEUR, DE L'EMPLOYÉ ET DE L'ÉTAT.

À partir du constat (tableau à l'appui) qu'un nombre considérable d'entreprises dérogent à la loi de 1900 sur la durée du travail des femmes et des adolescents, le rapporteur souligne que cela «montre la grande erreur du législateur» qui, par des «lois uniformes», enserre «dans une sorte de corset de fer quelque chose d'aussi souple, varié, mobile que nos industries».

D'où ce voeu, qui reprend une disposition adoptée par le Sénat en mars 1904: «Autoriser les industries soumises à l'influence des saisons, de la mode et de toute autre cause de marche irrégulière» à prolonger jusqu'à douze heures la durée du travail quotidien pour tout le personnel pendant soixantequinze jours par an (soixante jours au minimum pour les autres industries).

Un autre voeu déroge également à la durée légale du travail, en cas de «chômage résultant d'une interruption accidentelle ou de force majeure». L'AG du patronat textile demande de pouvoir choisir soit le travail de nuit, interdit aux femmes et aux enfants, après autorisation préalable; soit la prolongation de deux heures «pendant un certain temps» de la durée légale du travail pour tous les personnels, sur simple préavis. Le projet de loi visé ici limite à quinze jours cette prolongation éventuelle. Le voeu patronal lui préfère le vague «un certain temps».

Relevons encore les voeux marqués par le refus de toute obligation patronale.

L'AG rejette la création d'un impôt sur le revenu Une éventuelle législation sur les contrats de travail suscite l'ire du patronat textile: refus de toute clause contraignante pour le patronat pour les contrats individuels; refus de considérer la grève comme «suspension» (et non «rupture») du contrat de travail; rejet du contrat collectif en raison des obligations qu'il entraînerait pour l'entreprise, du vague de l'expression «délégué du personnel», de l'absence de «syndicats véritablement professionnels, parfaitement organisés et représentant la généralité des ouvriers», du risque d'être confronté à des «délégués extérieurs», «missi dominici de la CGT qui viendront vous dire "c'est avec moi qu'il faut s'expliquer" ».

L'AG rejette tout projet de retraite obligatoire (en discussion à la Chambre des députés) qui entraînerait la participation de l'employeur, de l'employé et de l'État. Le problème des retraites doit être résolu selon ce vœu par le développement de la loi du 14 juillet 1905 d'assistance aux vieillards, invalides et incurables et par une institution de retraites fondée «sur la prévoyance libre et sur la mutualité», hors de toute participation des entreprises.

L'AG part aussi en guerre contre le projet de création d'un impôt sur le revenu déposé le 7 février 1907 par le ministre des Finances Joseph Caillaux: elle demande que la Chambre des députés «repousse tout projet» d'«impôt personnel global et progressif sur le revenu». L'un des principaux arguments: «La détermination des bénéfices du commerce et de l'industrie nécessiterait un ensemble de mesures tellement vexatoires qu'elle aboutirait, en ce qui concerne les industriels et les commerçants, à placer les contribuables sous le régime de la surveillance de la haute police.» Vous avez dit «lutte des classes »?

(1) Compte rendu dans le Bulletin de l'Union, février-mars 1907.

 

 

LA JOURNÉE DE TRAVAIL À 12 HEURES

Examiné par une commission de la Chambre des députés, un projet de réduction à 10 heures de la journée de travail des « hommes adultes » suscite une vive réaction. L'AG estime que « tout homme adulte est assez grand pour se protéger lui-même » et qu'il a « 36 moyens » (bulletin de vote, syndicat, presse) pour cela. La durée du travail étant limitée à 12 heures depuis 1848, comment croire que c'est excessif quand on est en possession de tous ses moyens ? D'où ce voeu : « Qu'aucune disposition légale ne vienne à nouveau limiter la journée de travail de l'homme adulte, qui doit rester entièrement maître de fixer les conditions de son travail. »

 

REPÈRES

1804 - L'article 1781 du Code civil consacre l'infériorité de l'ouvrier face à l'employeur. Il sera abrogé en 1868.

1900 - La « loi Millerand » limite la journée de travail à dix heures et demie à compter du 1er avril 1904.

1906 - Rétablissement du repos dominical après qu'il a été abrogé en 1880. Création du ministère du Travail.

1907 - Le ministre des Finances Joseph Caillaux dépose le projet de création d'un impôt sur le revenu.

 

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11 décembre 2017 1 11 /12 /décembre /2017 19:00
Marie-Paule Vaillant Couturier

Marie-Paule Vaillant Couturier

Marie-Claude Vaillant-Couturier, née Vogel 
03/11/1912 - 11/12/1996
Résistante, communiste, arrêtée par la police de Vichy, livrée à la Gestapo et déportée à Auschwitz-Birkenau, dans le convoi du 24 janvier 1943 des 230 résistantes qui entrent dans le camp en chantant la Marseillaise, puis à Ravensbrück. Elle refuse de rentrer en France à la libération de Ravensbrück tant qu’il reste sur place des déportés français malades, femmes ou hommes, et elle ne revient que le 25 juin 1945, deux mois après sa libération.Elle témoigne au procès de Nuremberg en 1946 et au procès de Barbie en 1987.
Elle fut une des dirigeantes de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes, membre de l’Amicale d’Auschwitz, première présidente de la Fondation pour la mémoire de la déportation, secrétaire de la Fédération démocratique internationale des femmes, vice-présidente de l’ Union des femmes françaises, élue députée PCF, vice-présidente de l’Assemblée nationale...

lire aussi: 

Paul Vaillant-Couturier: L'autre figure communiste du Front populaire (Patrick Appel-Muller)

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3 décembre 2017 7 03 /12 /décembre /2017 21:02

Article de notre ami Paul Dagorn, professeur d'histoire retraité vivant à Morlaix, sympathisant Front de Gauche, pour la revue syndicale L'émancipation syndicale et pédagogique, octobre 2017 

Quatre Bandes Dessinées, sélectionnées par notre camarade Paul Dagorn éclairent chacune un moment de l'histoire des résistances populaires à Brest, qui vont bien au-delà du cadre régional. 

Roger Faligot

J'ai sympathisé avec lui à l'occasion d'une dédicace. Spécialiste de l'Irlande, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages (dont le premier, La Résistance irlandaisedans la petite collection Maspéro), il s'est plus généralement intéressé aux conflits identitaires dans divers pays et aux efforts faits pour trouver une solution (Les seigneurs de la paix, au Seuil, 2006). Enfin, en 2010, il a publié à La Découverte La rose et l'édelweiss, ces ados qui combattaient contre le nazisme, 1933-1945, une étude qui couvre l'Allemagne et les pays occupés. 

Pour Brest l'insoumise , il a sollicité mon témoignage concernant Fred Ropars, ami de ma famille et membre comme mon père de l'Ecole Émancipée. J'avais évoqué son parcours dans l’Émancipation au moment de son décès. C'est lui qui avait organisé la 2e semaine de l'Ecole Emancipée à Moguériec, petit port de pêche du Léon. Mais pour mon témoignage, cela concernait l'action de Fred dans la Résistance à l'Ecole normale de Quimper. 

Brest l'insoumise à travers quatre BD

J'ai utilisé le titre de R. Faligot pour évoquer quatre moments de la contestation et de la résistance liés à Brest, illustrés par quatre BD: 

- Un homme est mort: le syndicaliste Edouard Mazé lors d'une manifestation en 1950. 

- Nuit noire sur Brest: mobilisation en 1937 contre une tentative des Franquistes de s'emparer d'un sous-marin républicain espagnol.

- La fille au carnet pourpre : parcours d'une jeune lycéenne résistante, Anne Corre, envoyée en déportation et disparue sans lancer de traces lors de l'évacuation d'un camp annexe d'Orianenburg par les nazis lors de l'avance soviéto-américaine. 

- Enfin, publié cette année, Des graines sous la neige, qui retrace la vie de Nathalie Lemel, communarde très liée à Eugène Varlin, et compagne de Louise Michel lors de leur déportation en Nouvelle-Calédonie. 

Un homme est mort - BD de Kris et Etienne Davodeau

Un homme est mort - BD de Kris et Etienne Davodeau

En 1950, "Brest dont il ne reste rien" comme l'a écrit Prévert dans le poème Barbara, connaît une reconstruction difficile après les bombardements. Brest compte plus de 15 000 ouvrier-e-s (un dixième de la population), dont 6 à 7 000 à l'Arsenal, autant dans la construction, le reste essentiellement des dockers. Si les salaires sont corrects pour l'époque car on a besoin d'eux (l'Arsenal construit même des navires marchands), on en exige beaucoup et les deux dernières catégories restent dans la précarité. 

La construction emploie des Maghrébins, mais aussi des ouvriers venus des campagnes léonardes très catholiques que l'évêché incite à adhérer à la CFTC et même à prendre part aux grèves. Avec la scission FO-CGT, celle-ci, courroie de transmission du PCF, voit dans la scission comme une manœuvre des Etats-Unis dans le cadre des débuts de la guerre froide et de la guerre d'Indochine.

Néanmoins, une convergence s'opère même avec des militants de la CNT anarchiste présente à l'Arsenal. La manifestation, suite à l'Appel national du 12 mars 1950, pour la paix en Indochine et contre la misère est interdite par le maire RPF (gaulliste), Alfred Chupin. Cependant deux ou trois centaines d'ouvriers décident de manifester. Ils sont bloqués, mais le lendemain le jeu est calmé par quelques augmentations (dont celle de la future victime Edouard Mazé) malgré un affrontement musclé entre la police et les dockers en position de force, car ils contrôlent l'importation de vin d'Algérie et de charbon. 

Un mois plus tard, la situation reste bloquée et une députée PCF (Marie Lambert) et deux délégués CGT venu-e-s porter plainte, sont arrêté-e-s. Le 16 avril, une manifestation unitaire est prévue. Dans la nuit du 16 au 17, le maire décide l'interdiction, appuyé par le député de droite André Collin, par ailleurs Secrétaire d'Etat à l'Intérieur. Face à une présence policière massive et des heurts violents, la situation s'aggrave et la police reçoit l'ordre de tirer dans la confusion générale, peut-être pour disperser la manifestation. Mais le résultat est là: 24 gendarmes et 9 CRS blessés (un seul devra se rendre à l'hôpital, le long duquel s'est déroulé l'affrontement!), 12 ouvriers hospitalisés et 14 autres blessés légers, mais un homme est mort, Edouard Mazé, qui accompagnait son frère, délégué CGT.

Le traumatisme est grand. Un an plus tard, une manifestation du souvenir a lieu, et en 1951-52, si les grèves et manifestations persistent et même s'intensifient, la police reçoit l'ordre d'éviter les affrontements. 

La BD Un homme est mort, de Kris (scénariste) et Etienne Davodeau, s'articule aussi sur la personnalité de René Vautier, résistant à 15 ans, étudiant à l'IDHEC (Institut des Hautes Etutdes Cinématographiques), qui s'était déjà distingué par son premier film Afrique 1950 , commandé par la Ligue de l'Enseignement, mais que Vautier détourne de son objectif pour en faire un film anti-colinialiste, ce qui le conduit à l'acheminer clandestinement par le Sahara vers la France, où il restera 40 ans sous le boisseau. Natif de Camaret, il profite d'une campagne de pêche pour aller filmer en Irlande des militants de l'IRA, bien qu'il désapprouve leurs actions terroristes.

Rentré à Brest, il se trouve évidemment au cœur des événements. C'est ainsi qu'il filme la manifestation tragique du 17 avril. Après la mort d'Edouard Mazé, il décide de projeter le film dans les quartiers sur un drap à l'arrière d'une camionnette et dans des salles improvisées. Mais il a omis de faire des copies et après 150 projections le film se dégrade et casse. Seuls quelques bouts seront sauvés. En 2006, il s'avère que quelques "rushes" non utilisés par Vautier ont été donnés à un autre cinéaste engagé, Robert Ménégoz, qui les avaient utilisés dans son film Vivent les dockers. Et dans ces quelques images des années 50, le scénariste Kris découvre avec émotion le visage de son grand-père venu apporter avec d'autres camarades une gerbe de fleurs à l'endroit où est tombé Edouard Mazé*.

* A la présentation de la BD, le 14 décembre 2006 à Brest, Etienne Davodeau était absent. Restaient à la tribune Kris, Pierre Cauzien, amputé d'une jambe après sa blessure, et René Vautier, que je connaissais personnellement grâce à France-Algérie. Malheureusement, depuis, Pierre et René sont décédés.  

   

Nuit noire sur Brest - Kris, Bertrand Galic et le dessinateur Damien Cuvillier, sur un événement rapporté par l'historien Patrick Gourlay dans "Nuit franquiste sur Brest' - Futuropolis

Nuit noire sur Brest - Kris, Bertrand Galic et le dessinateur Damien Cuvillier, sur un événement rapporté par l'historien Patrick Gourlay dans "Nuit franquiste sur Brest' - Futuropolis

Nuit noire sur Brest 

Septembre 1937, la guerre d'Espagne s'invite en Bretagne.

En 2016, Kris et son camarade Bertrand Galic s'associent avec le dessinateur Damien Cuvillier pour mettre en images un événement rapporté dans le livre de Patrick Gourlay, historien et enseignant, intitulé Nuit franquiste sur Brest , en remplaçant le mot "franquiste" par "noire', tant il est vrai que l'épisode raconté a tout d'un roman d'espionnage. 

Le 29 août 1937, en pleine guerre civile espagnole, le sous-marin républicain C2 endommagé à Santander par la Légion Condor (de sinistre mémoire à Guernica) décide d'entrer dans le port de Brest pour réparer. Mais le commandant Fernando est plus qu'ambigu. Lors du pronunciamento de Franco, il a été soupçonné de collusion avec le coup d'Etat, avant de retrouver un commandement de manière improbable. D'autre part, la situation des deux Fronts Populaires commence à se dégrader. En Espagne  les Républicains cèdent du terrain, et la volonté hégémonique du PCE a conduit en mai à "une guerre civile dans la guerre civile" à Barcelone entre les communistes d'une part, les anarchistes (CNT-FAI) et le POUM (Parti Ouvrier d'unification marxiste) d'autre part. En France, les Radicaux commencent à envisager de quitter le gouvernement, et les "ligues" d'extrême-droite mènent une action souterraine (PSF de La Rocque, et le PPF de Doriot), sans compter la fameuse cagoule qui compte plusieurs bretons. L'heure n'est plus à soutenir, voire à ménager, les Républicains. 

A Brest, le commandant Ferrando prend contact avec le Consul d'Espagne, Pierre Mocaër, connu pour ses idées conservatrices. En Espagne, un militaire expérimenté, Troncoso, gardien de la frontière basque, met en place un commando franco-espagnol pour s'emparer du sous-marin, commando qui s'installe clandestinement à Brest. 

Mais les militants brestois veillent au grain. Alors que les communistes s'organisent pour surveiller le sous-marin, du côté anarchiste, autour de l'emblématique René Lochu (hôte temporaire de Makhno et futur ami de Léo Ferré), des militants asturiens ont été hébergés à la Maison du Peuple. D'autre part, un récent service secret anarchiste, le SIC, a réussi à infiltrer les franquistes, sous le code X-10. 

De leur côté, les franquistes prennent discrètement contact avec Ferrando, et ils fréquentent un cabaret du centre-ville, l"'Ermitage", où ils font connaissance avec une jolie danseuse italo-espagnole, Mingua, qui devient une sorte de Mata-Hari. Troncoso la charge de corrompre des marins du C2 en échange de la liberté et de deux millions de pesetas. Mingua et Troncoso persuadent Ferrando d'agir dans le camp franquiste. 

L'abordage du sous-marin, organisé le 18 septembre par les comploteurs, est déjoué par un matelot, Augusto Diego. Alerté par des militants communistes et anarchistes, il n'a pas suivi ses camarades, entraînés par Ferrando dans le carré des officiers pour les isoler. Augusto Diego, repéré pour avoir fait tomber un objet, tue l'un des assaillants, ce qui incite les autres à s'enfuir. Ils sont arrêtés près de Bordeaux dans une Chrysler noire que le service secret de la CNT avait déjà repérée. Il s'agit entre autre de Ferrando, d'officiers d'un autre sous-marin, le C4, et d'un complice français, Robert Chaix, qui avait organisé le commando sur Brest. 

Les tribulations du C2 ne sont pas terminées. Remorqué vers St Nazaire, il passe sous le contrôle d'un envoyé de l'ambassade d'Espagne à Paris, Pedro Prado, proche des communistes. Celui-ci manoeuvre pour faire venir un officier de la flotte soviétique, Nicolaï Pavlovitch, qui prend en fait le commandement. Repéré, le C2 prend alors ce qui aurait dû être sa destination finale, Carthagène.

A suivre, les destins de deux femmes courageuses et déterminées. L'un, bref, celui de la résistante Anne Corre, portée disparue en déportation à l'âge de vingt ans, l'autre très long, celui de la communarde Nathalie Lemel, morte en 1921 à 94 ans.  

La fille au carnet pourpre - Roger Faligot, Alain Robet

La fille au carnet pourpre - Roger Faligot, Alain Robet

Anne Corre, la fille au carnet pourpre

Roger Faligot habite la presqu'île de Daoulas, qui sépare les embouchures des deux cours d'eau donnant sur la rade de Brest, l'Aulne et l'Elorn (comme le Bec d'Ambès séparant la Garonne et la Dordogne avant que leurs eaux forment la Gironde). En 1999, il a connaissance du cas d'Anne Corre, une jeune lycéenne résistante disparue en déportation en mai 1945 (à l'extrême fin de la guerre). 

Au moment même où le dernier convoi l'amenait vers l'Allemagne, des bruits couraient sur sa liaison avec un jeune officier allemand. C'est ce qui a conduit Roger Faligot à mener une recherche sur son parcours, recherche qui a abouti dix ans plus tard à en faire une des héroïnes de La rose et l'edelweiss. Histoire enrichie en 2016 par une BD, en collaboration avec le dessinateur Alain Robet: La fille au carnet pourpre , un mystérieux carnet sur lequel nous reviendrons. 

Anne Corre est née en 1925. Son père tenait un garage Citroën à Daoulas (ville qui ferme la presqu'île de Plougastel, côté Brest), sa mère était directrice de l'école publique.

Très jeune, Anne manifeste un caractère enjoué et indépendant qui l'amène à animer des bandes de filles et de garçons. A ses quinze ans, les débuts de l'occupation provoquent chez elle une volonté de faire quelque chose. Dès l'été, elle aide deux soldats français qui fuient l'armée allemande par crainte d'être traités comme des prisonniers. 

Puis, les lycées de Brest étant fermés pour cause de bombardements, ses parents l'envoient au lycée Victor Duruy à Paris pour rejoindre sa cousine Mado. Bientôt, elle est choquée par l'arrestation de ses profs de philo et latin-grec, toutes deux juives. Elle intègre alors, sans trop mesurer le symbole, le groupe de résistance de Geneviève de Gaulle. Ses parents, inquiets, la font revenir dans le Finistère, au lycée de Morlaix, en octobre 1942.

Le 23 juin 43, une petite fille qu'elle promène échappe à sa garde près du dernier étage du viaduc, au moment où la RAF bombarde la dernière arche. La petite fille est tuée, ainsi que neuf enfants d'une école voisine.

L'année suivante, elle est au lycée de filles de Quimper. Elle a dix-huit ans passés, mais depuis longtemps son esprit d'indépendance et son refus des convenances sociales lui donnent beaucoup de charme, ce qui séduit les garçons, comme l'attestent de nombreux témoignages (c'est peut-être pour cela qu'elle a dû quitter le lycée de Morlaix). 

A Quimper, un groupe de jeunes résistant-e-s, le groupe de Paul Collette, a été décimé. Mais un autre groupe, le groupe Marceau, s'attaque aux symboles de la collaboration (René Vautier, alors âgé de 15 ans, également membre de ce groupe, trouvait Anne trop vieille pour lui!). Anne, qui a déjà approché la résistance à Paris, et même avant à Brest (participation à la commémoration interdite du 11 novembre 1940), intègre le réseau. Le groupe attaque la permanence de la LVF (Légion des Volontaires Français) et fait sauter les locaux du PPF (Parti Populaire Français). Le 11 novembre 43, il manque de peu un attentat contre le responsable du STO. Un autre groupe de résistance, dont fait partie un voisin d'Anne à Daoulas, Jean Kernéis, qui avait prévu de détruire le fichier du STO, voit de ce fait son action retardée. Mais il réussit peu après ( 60 000 fiches détruites). 

De son côté, le réseau Marceau se constitue en maquis à la lisière de Quimper, dans un secteur très boisé et peu accessible, la vallée du Stangala. Anne est toujours à Quimper. C'est à cette période qu'on lui prête une aventure avec un lieutenant allemand (sans doute anti-nazi), qui lui aurait permis de séduire un membre breton de la Gestapo, Bernard Massotte, "spécialiste" de la torture.  Quoiqu'il en soit, celui-ci est abattu par Alain Conan, membre du réseau, le 25 avril 44 à 6h du matin, après une nuit passée avec Anne. Une de ses amies du lycée et du réseau, Yvette Menez, croise Anne peu après. Anne lui dit: "je suis perdue, j'ai fait tuer Massotte, il a passé la nuit avec moi".    

Elle lui confie un carnet pourpre (probablement son journal) en lui faisant jurer de ne pas le lire (carnet malheureusement disparu dans une caisse de livres vendus à un bouquiniste). Les polices allemande et vichyste, qui la soupçonnent, enquêtent pour savoir si on l'a vue avec Massotte dans des lieux publics (cafés, restaurants). 

Anne, avec sa copine Jacqueline, rejoint alors le maquis pendant une dizaine de jours, avant de rejoindre Brest en passant par Douarnenez. Malgré les risques, elles sont partantes pour une nouvelle mission. Anne, la jeune fille brune, s'est déguisée et teinte en rousse, et elle se croit non reconnaissable. Mais elle se trompe. Reconnues et dénoncées, les deux jeunes filles sont arrêtées le 24 mai, ce qu'annoncent avec jubilation morbide des SS aux parents d'Anne, dont la mère imagine qu'elle a été entraînée par sa camarade.

Après avoir été incarcérée à Quimper, Anne se retrouve en prison à Rennes et pendant toute cette période elle peut communiquer avec sa famille, qu'elle tente de rassurer. Elle se lie d'amitié avec Simone Jézéquel, dont le parcours ressemble au sien: Simone a été arrêtée à la suite de l'imprudence et de la naïveté de jeunes lycéens de Saint-Brieuc. Le 2 août, un bombardement atteint le mur d'enceinte de la prison et occasionne une tentative d'évasion. Les Allemands décident alors leur transfert vers l'Est. Aucune opération de la Résistance pour les libérer en sabotant la voie n'est envisagée, malgré l'appel d'un cheminot de Nantes. Cependant, certains parviennent à s'enfuir à la faveur d'un ralentissement, et à la gare de triage de Saint-Pierre-les-Corps (près de Tours), 168 prisonniers parviennent à s'échapper, dont Jacqueline. 

Ce n'est pas le cas pour Anne, qui a juste le temps de lui souhaiter "bonne chance" . Le train est parvenu à Belfort, les prisonnier-e-s sont dirigé-e-s vers le camp-usine de Genshagen, où Anne travaille. Avec Lucette et Lucienne, deux détenues avec lesquelles elle a sympathisé, elle parvient à fabriquer pour le 11 novembre des "fleurs de liberté" tricolores à l'aide de fils de fer. 

Mais au printemps 45, devant l'avancée des troupes soviétiques et américaines, les Allemands décident d'évacuer le camp. C'est le début d'une "marche de la mort" au cours de laquelle on perd la trace d'Anne. Certains documents la mentionnent mourante au Revier (infirmerie du camp). Mais Lucette, rescapée, pense l'avoir vue parmi des femmes libérées le 3 mai dans la petite bourgade de Parchim, à la jonction soviéto-anglaise.

Un mois plus tard, sa mère reçoit une lettre d'une amie indiquant qu'une radio l'avait mentionnée dans une liste de rapatriées à Bruxelles. Rien ne suivra. Et comme le dit Roger Faligot: "le mystère de la disparition d'Anne reste entier, mais pas celui de sa participation intrépide à la Résistance, dès les premières heures de l'occupation, à l'âge de 15 ans".            

 

Fonds ANACR (Association Nationale des Amis des Combattants de la Résistance) Anne Corre: la jeune résistante Anne Corre,morte en camp de concentration(Oranienburg) à 20 ans,en 1945 ,ayant grandi entre Daoulas et Plougastel

Fonds ANACR (Association Nationale des Amis des Combattants de la Résistance) Anne Corre: la jeune résistante Anne Corre,morte en camp de concentration(Oranienburg) à 20 ans,en 1945 ,ayant grandi entre Daoulas et Plougastel

Des graines sous la neige: Nathalie Lemel, communarde et visionnaire, Locus Solus -  par le scénariste Robert Michon (également cinéaste) et Laetitia Rouxel (dessinatrice)  

Des graines sous la neige: Nathalie Lemel, communarde et visionnaire, Locus Solus - par le scénariste Robert Michon (également cinéaste) et Laetitia Rouxel (dessinatrice)  

Des graines sous la neige: Nathalie Lemel, communarde et visionnaire

La Commune a produit des personnalités remarquables mais certaines sont restées longtemps méconnues. C'est le cas de la brestoise Nathalie Lemel, dont une biographie par Eugène Kerbaul avait cependant été publiée aux éditions Le temps des Cerises (2003, 3 édition 2014).

Récemment, un couple breton, le scénariste Robert Michon (également cinéaste) et sa compagne Laetitia Rouxel (dessinatrice) a choisi de transcrire cette vie intense sous la forme d'une BD. Claudine Rey, journaliste et présidente d'honneur des Amies et Amis de la Commune, a présenté l'ouvrage sous le titre Un visage sort de l'ombre

Une vie bien remplie et longue (1826-1921). Un décès symbole, le 8 mai, quelques jours seulement avant le 50e anniversaire de la Commune. Sept ans plus tôt, Armand Guerra, un réalisateur libertaire du cinéma naissant, l'avait sollicitée pour le tournage d'un film titré tout simplement La Commune , ce qu'elle n'avait accepté qu'avec réticence. Dans un album aux couleurs sombres, Laëtitia Rouxel a inclu des planches en noir et blanc (avec quelques taches rouges) illustrant ces entretiens sur les différentes de sa vie. 

Nathalie Lemel est née Duval. Son père, Alain, ouvrier tanneur, semble avoir ensuite abandonné ce métier pour aider sa femme, Catherine qui tenait un modeste débit de boissons. Cependant, ils ont une certaine aisance, puisqu'Alain Duval est électeur censitaire. Ils font même des sacrifices pour doter leur fille d'une bonne instruction, chose rare à l'époque. Le débit de boissons est un lieu de passage très fréquenté, notamment par les ouvriers de l'arsenal. 

Nathalie, dont la curiosité est éveillée par l'école et la lecture, s'intéresse aux discussions politiques et aux mouvements sociaux. En 1847, elle se marie avec Adolphe Le Mel (plus tard on écrira Lemel) et en 1849 le couple s'installe à Quimper pour tenir un atelier de reliure et une librairie. 

La situation en France se modifie avec la révolution de 1848, puis le coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte et l'établissement du Second Empire.  Le couple Lemel, qui a déjà trois enfants, quitte Quimper en 1861 pour s'installer à Paris. Tandis que son mari s'adapte mal, Nathalie reprend comme ouvrière son métier de relieuse, une corporation très revendicative. En 1864, à l'occasion d'une grève, Nathalie rencontre Eugène Varlin et est élue au comité de grève. 

En 1865, l'AIT (l'Internationale) installe son siège parisien. En 1866, Varlin, au premier congrès de l'Internationale à Genève, propose "l'amélioration des conditions de travail des femmes en opposition à la notion de femme au foyer et un enseignement obligatoire, pris en charge par la société, pour tous les enfants". Ce qui le rapproche encore de Nathalie, d'autant plus que son mari lui reproche son engagement politique et social et sombre dans l'alcoolisme. 

A la fin de l'année sont créées une "caisse fédérative de prévoyance" et une société civile d'alimentation "La Ménagère". 

En 1868, alors que le régime s'assouplit (autorisation des réunions publiques) une assemblée générale crée des restaurants coopératifs "La marmite", et c'est Nathalie qui ouvre le premier rue Mazarine. 

En 1870-1871, la guerre désastreuse contre la Prusse et le soulèvement de la Commune modifient complètement les choses. Tout en s'occupant de "la Marmite", en essayant de gérer au mieux la pénurie alimentaire qui s'installe, Nathalie prend la tête de l'Union des Femmes et rencontre Elisabeth Dimitrieff, représentante de l'Internationale. 

La fin de la Commune approche. Le 23 mai, Nathalie tient une barricade Place Blanche avec des femmes. Le 28, alors que la dernière barricade tombe à Belleville, Varlin est sommairement exécuté. 

 

      

Eugène Varlin (1839-1871)

Eugène Varlin (1839-1871)

Nathalie Lemel

Nathalie Lemel

Le 21 juin, Nathalie est arrêtée. Le 10 septembre 1872, elle est condamnée à la déportation à perpétuité. 

En 1873, après la démission de Thiers, son successeur Mac Mahon décide la déportation en Nouvelle Calédonie. Le 9 août, Nathalie retrouve Louise Michel à La Rochelle où elles sont embarquées sur "La Virginie" qui arrive à Nouméa en septembre, après un voyage pénible. Tandis que Louise et Nathalie organisent du mieux possible la vie sur l'île (en obtenant notamment le droit de subir le même sort que les hommes), à Paris se créent deux comités pour l'amnistie, l'un mené par Victor Hugo et Louis Blanc, l'autre plus à gauche intitulé "Initiative pour l'amnistie". En 1879, une amnistie partielle est accordée, Nathalie rentre à Paris.  En 1879, une amnistie partielle est accordée, Nathalie rentre à Paris. En 1880, elle trouve un emploi de plieuse au journal de Henri Rochefort, L'Intransigeant , puis elle sombre dans la misère. En 1888, son mari, qu'elle ne voit plus guère, meurt. En 1889, c'est son fils Charles. En 1905, c'est Louise Michel. En 1915, seule et dans une grande misère, elle entre à l'Hospice des Incurables d'Ivry, où elle décède le 8 mai 1921, quelques jours avant le 50ème anniversaire de la Commune. Le 11 mai, seules trois personnes assisteront à son inhumation dans la fosse commune du cimetière d'Ivry. 

Dans la postface de la BD, sous le titre "Nathalie la discrète" , l'actrice Nathalie Boutefeu, qui joue le rôle de Nathalie Lemel dans le téléfilm de Solveig Anspach, Louise Michel, la rebelle (2008), écrit: 

" Aujourd'hui, Roland Michon et Laëtitia Rouxel se penchent sur la mémoire de Nathalie Lemel, et utilisent pour cela un outil proche du cinéma: la bande dessinée. Cadrage, mouvement, dialogues, couleurs et lumières sont ici au service d'une biographie fidèle. Un travail à la fois riche sur le fond et sur la forme, mais par la magie de l'image accessible au plus grand nombre. Leur documentation est telle qu'à cette lecture, j'ai eu le bonheur de largement compléter ma connaissance du personnage. La Communarde un peu oubliée par l'Histoire est revenue par ce livre peupler mes souvenirs de tournage calédoniens. Et confirme l'admiration que je porte à son combat".   

(...)

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3 décembre 2017 7 03 /12 /décembre /2017 11:11
Magazine de l'Union des Jeunesses Républicaines de France à la libération (Archives Pierre Le Rose)

Magazine de l'Union des Jeunesses Républicaines de France à la libération (Archives Pierre Le Rose)

Notre jeunesse, Avril 1945: congrès des Jeunesses Communistes (Archives Pierre Le Rose)

Notre jeunesse, Avril 1945: congrès des Jeunesses Communistes (Archives Pierre Le Rose)

Congrès du PCF à Strasbourg en 1947 - Daniel Trellu, le premier à gauche: à ces côtés, Gabriel Paul, Pierre Le Rose, Marie Lambert (archives Pierre Le Rose)

Congrès du PCF à Strasbourg en 1947 - Daniel Trellu, le premier à gauche: à ces côtés, Gabriel Paul, Pierre Le Rose, Marie Lambert (archives Pierre Le Rose)

Paul Le Gall, Piero Rainero, Daniel Trellu (ancien chef FTP du Finistère) avec Gaston Plissonier (Archives Pierre Le Rose)

Paul Le Gall, Piero Rainero, Daniel Trellu (ancien chef FTP du Finistère) avec Gaston Plissonier (Archives Pierre Le Rose)

Maryse Le Roux nous raconte Daniel Trellu (Quémeneven 1919-1998 Carhaix) , ancien responsable de la Résistance Communiste bretonne et cadre du PCF à la Libération, qu'elle a rencontré à la fin des années 90:

" Sa maison d’écluse au bord du canal de Nantes à Brest avait beaucoup de charme. Il avait fait à côté sous une terrasse un espace barbecue, et il en parlait comme de l’espace de l’amitié, qui semblait avoir pour lui une grande importance.
Il avait dans sa retraite un rôle proche de celui d’un assistant social bénévole, et débrouillait des dossiers pour des gens qui n’y arrivaient pas.
En ce qui concernait le FLB, il connaissait pas mal de ses membres, et leur avait dit qu’il fallait absolument qu’ils se désolidarisent officiellement du mouvement breton d’avant-guerre et de la guerre.
Dans l’entrée de sa maison, il y avait deux images côte à côte et de la même taille : une de Marx, je crois, une autre du Christ.
Il avait avec toi pas mal de points communs : c’était un communiste convaincu, et il était ouvert, tolérant, et lisait des textes sacrés. Parler avec lui ne donnait pas l’impression de parler à un homme enfermé dans un système de pensée. Il était humaniste, chaleureux. Il avait du recul sur ses choix. Il parlait de Marcel Cachin comme de quelqu’un qui avait compté pour lui, en tant que communiste, et en tant que défenseur de la langue et de la culture bretonnes.
La langue bretonne avait beaucoup de valeur à ses yeux, il écrivait des poème en breton, et les traduisait. 
Voilà, c’est tout ce qui me revient... Ce n’est pas grand-chose, mais ce qui dominait quand je l’ai quitté, c’était le sentiment d’avoir rencontré quelqu’un d’une belle humanité, et un esprit libre."

Voici un poème remarquable de Daniel Trellu trouvé dans le tome 3 en français de l'anthologie de Favereau chez Skol Vreizh, sachant que l"original se trouve dans la version bretonne de l'anthologie.
Le poème en breton est peut-être encore supérieur à sa traduction, fût-elle de l'auteur lui-même comme c'est le cas ici. On considérer qu'ici le style poétique de Trellu est assez proche de certains aspects de Char.

OMBRE
J'ai perdu mon ombre
Ma preuve par le soleil
A midi comme un mât
Planté en pleine terre 
Voiles hautes
J'étais une évidence verticale
Confondue avec son double
Pouvais-je retenir les soleils
Quand je croyais ouvrir deux mains
J'ai creusé pour chercher mon ombre
J'ai navigué sur des faux équilibres
Mon tronc s'est vidé
L'écorce est transparente
Faux soleils fausses lueurs
Je tourne autour du vide
Je n'ai plus d'ombre
J'ai perdu le soleil.

Né en 1919 à Quéménéven (29), Daniel Trellu, qui devient instituteur avant guerre, a joué sous le pseudonyme de «Colonel Chevalier», un rôle important dans la Résistance en tant que lientenant-colonel FTP responsable départemental d'un des premiers maquis de Bretagne (Spézet, Laz, Saint-Goazec), puis de responsable de la résistance FTP de Bretagne. 
Il était entré aux Jeunesses Communistes dès 1936, à l'époque de la montée des fascismes, puis il participa à la reconstitution du Parti Communiste clandestin en 1939. 
"D'aucuns se souviennent de quelques faits d'arme de ce résistant intrépide: rapt d'uniformes d'officiers nazis dans un hôtel au bord de l'Aulne, déchargement d'armes au "Cap-Horn" (Quimper)" (témoignage d'André Buanic cité par Francis Favereau). 
Après la guerre, il devient responsable départemental du parti communiste à Brest, puis réintègre l'enseignement en 1952.
Il sera successivement instituteur à Trégunc, puis professeur de français et d'histoire-géographie au lycée technique Chaptal à Quimper. Très lié à Dubcek (depuis 1949 - stages, rencontres), il fut très affecté par les évènements de 1968 en Tchécoslovaquie. 

Daniel Trellu a eu comme élève un certain Daniel Le Braz (Dan ar Braz).

Il a pris sa retraite en 1975 et vient s'installer à Saint-Hernin où il décédera en avril 1998.

 

Daniel Trellu était un homme cultivé, lettré, fervent amateur de Eluard et Aragon, l'auteur de nombreux poèmes.

"Retiré comme un vieux sage au bord du canal de Nantes à Brest à Port-de-Carhaix, à l'écluse de Koz-Castell (entre Saint-Hernin et la capitale du Poher), il défendait la langue bretonne et écrivait des poèmes bilingues" (Francis Favereau, Anthologie de la littérature bretonne au XXe siècle, tome 3, Skol Vreizh). 

 

 

" Concernant les "campagnes rouges" du Centre-Bretagne, Daniel Trellu avait répondu en breton aux questions de Ronan Le Coadic (Skol Vreizh, n°22, 1991):

 

 

 

"Dans ces régions, les ruraux étaient traités comme des bêtes sous le règne des riches et, peu à peu, ils sont parvenus à posséder leur lopin de terre, un champ ou deux ou trois; par la suite, ils ont mis un peu d'argent de côté, mais n'ont pas oublié d'où ils venaient... Certains sont partis travailler loin, à Paris. Des gens costauds pour des travaux pénibles. C'est ainsi que ceux-ci se sont trouvés à la tête des syndicats, et ainsi de suite; puis ils ont connu les communistes et ont adhéré (au PCF). Et c'est ainsi qu'ils ont ramené au pays ce qu'ils avaient appris à Paris... Marcel Cachin disait un jour: "Tiens, ceux-là, maintenant, ils ont vu les saints vivants et les ont vus mourir pour des idées". Cela a été un peu un transfert de foi... Les Bretons, tu le sais bien, aiment à voir des saints; or, cet homme-là, c'était comme un saint dans le pays. Il s'occupait des pauvres. Et ils n'avaient pas d'argent, on ne leur en demandait pas. Il était toujours prêt, de jour comme de nuit, à rendre service, quoique ce soit... allez hop! on va trouver le docteur Jacq, le médecin des pauvres*". (entretien avec Ronan Le Coadic cité par Francis Favereau, Anthologie de la littérature bretonne au XXe siècle, tome 3, Skol Vreizh, p. 463). 

 

 

* Le docteur Jacq, médecin de Huelgoat, puis maire communiste, originaire de Granville, bon bretonnant, médecin des pauvres, fut révoqué en 1939, arrêté en juillet 1941, emprisonné au camp de Châteaubriant et fusillé par les Allemands le 15 décembre 1941, comme ce sera le cas du maire de Concarneau, Pierre Guéguin et de plusieurs autres: on dit qu'ils chantèrent la Marseillaise, mais aussi le Bro Gozh ma Zadou que le docteur Jacq leur avait appris avant de mourir.   

 

 

On laissera le dernier mot à la plume solaire de Daniel Trellu: 

 

"La corneille étourdie

La mouette hardie

Dans le ciel en été

Virevoltant

Ont marié

Leurs couleurs..."  

 

    

 

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