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17 janvier 2018 3 17 /01 /janvier /2018 06:48
Photo : Pierre Pytkowicz

Photo : Pierre Pytkowicz

Dans L'Humanité du mardi 16 janvier, un très bel article de Nicolas Dutent rend hommage à Jean Salem, le fils d'Henri Alleg, l'auteur de la question, journaliste et militant communiste pro-indépendance torturé par les parachutistes en Algérie, et de Gilberte Alleg. Né en Algérie le 16 novembre 1952, le professeur de philosophie à la Sorbonne, spécialiste d'Epicure, de Démocrite et de Lucrèce, comme de Marx, penseur et passeur joyeux du matérialisme antique, auteur d'une quarantaine d'ouvrages, est décédé d'un cancer contre lequel il a lutté deux ans ce week-end. A contre-courant dans le milieu intellectuel français, particulièrement entre la fin des années 80 et les années 90, il était resté un militant communiste et un défenseur du marxisme. 

Jean Salem: "Lutter pour de belles causes, c’est déjà le chemin du bonheur"
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR DIEGO CHAUVET
LUNDI, 15 JANVIER, 2018
HUMANITÉ DIMANCHE

Le philosophe et grand intellectuel marxiste, professeur de philosophie à Paris-Panthéon la Sorbonne est mort le 14 janvier à l'âge de 65 ans. Ses principaux travaux de recherche portent sur la philosophie des atomes et sur la pensée du plaisir. Il était le fils d’Henri Alleg qui avait publié pendant la guerre d’Algérie, La Question, le premier grand livre sur la torture, qui fut longtemps censuré. Nous vous proposons de relire l'entretien qu'il avait accordé le 13 février 2015 à l'Humanité Dimanche.

Philosophe, professeur à la Sorbonne, animateur du séminaire « Marx au XXIe siècle », Jean Salem est aussi le fils d’Henri Alleg, l’auteur de « la Question », emprisonné durant la guerre d’Algérie. Arrivé, comme il le dit, à l’âge des « anecdotes », le philosophe épicurien livre dans son nouvel ouvrage ses réflexions sur l’état du monde, la dégénérescence des gauches en Europe, mais aussi ses propres passions intellectuelles. Il juge aussi avec sévérité les évolutions de son parti, le PCF, ces trente dernières années. Jean Salem ne se sent pas obligé d’être optimiste dans une époque qu’il qualifie de décadente. Mais il propose des voies pour construire un bonheur durable. Entretien.
 
HD. Vous avez choisi la forme d’un entretien pour ce nouveau livre. Pourquoi ?
Jean Salem. Peut-être à cause du penchant narcissique à raconter sa vie... et au fait que je suis arrivé à l’âge de l’« anecdotage ». Ça a aussi été une proposition d’Aymerick Monville, mon éditeur.
 
HD. En dehors de l’âge des anecdotes, la période tourmentée que nous traversons a-t-elle justifié la publication de ce livre ?
J. S. J’ai écrit un certain nombre de livres : sur le bonheur, sur Lénine, le matérialisme antique, Maupassant... Et outre de multiples voyages universitaires, depuis cinq ou six ans, j’ai fait beaucoup de voyages « académicopolitiques » ou de militant. En Corée du Sud notamment, où je travaille avec des camarades dont le parti a été interdit en décembre 2014 (le Parti progressiste unifié, marxiste – NDLR). Durant ces trente dernières années, on nous a expliqué que l’Union soviétique, c’était pire que le nazisme. Que de notre histoire à nous, les communistes, nous ne pourrions qu’avoir honte. Aujourd’hui, avec le séminaire sur Marx que j’anime à la Sorbonne depuis 2005, je vois revenir l’intérêt pour le marxisme alors que les étudiants avaient tendance à poser leur stylo lorsqu’on l’évoquait... J’observe en même temps un regain militant au sein du PCF, notamment la création de cercles de jeunesses communistes très actifs. Issu d’une famille qui s’est réfugiée en Union soviétique, mais ayant été peu élevé par mes parents du fait des années de clandestinité et d’emprisonnement de mon père, j’ai été aussi influencé par la partie de ma famille qui n’était pas communiste, qui estimait merveilleux qu’Israël existe. J’ai pensé que ça pouvait servir à comprendre qu’arriver au communisme, aux idées justes, est un cheminement : on enlève des oeillères, on oublie sa tribu et ses soi-disant racines... Le « cinéma » identitaire court les rues. Et on manque d’organisations qui fédèrent tout le monde sur des idées générales et pas sur la basquitude, la corsitude... Je ne suis pas contre ces revendications, mais on s’est égaré dans une telle fragmentation de revendications parcellaires, de victimisations, que la pensée unique n’a plus de mal à nous dominer tous.
 
« SI ON OBSERVE UN REGAIN MILITANT AU SEIN DU PCF, IL NOUS FAUT UNE ORGANISATION DE COMBAT POUR LE RENFORCER. »
 
On doit beaucoup de choses à Robespierre, à la révolution soviétique, et on doit encore plus de choses à l’histoire du mouvement ouvrier au XXe siècle. On va droit dans le mur si on ne rappelle pas ces hauts faits.
 
HD. Vous êtes en accord avec l’essai écrit par Domenico Losurdo sur « l’autophobie des communistes » à la fin du XXe siècle, que vous citez (1). Vous consacrez un passage à ceux que vous qualifiez de « liquidateurs » du PCF dans les années 1990. Quel est votre regard sur l’évolution du Parti aujourd’hui?
J. S. Dans les réunions de cellule, auxquelles j’ai pu assister ces dernières années, j’ai surtout vu des gens des classes moyennes... La tactique de Front de gauche a « fait ses preuves » dans des pays comme l’Espagne : Izquierda Unida apparaît comme un parti corrompu comme les autres... Chez nous, ça n’a pas pris la même tournure. Mais si le Front de gauche a créé un mouvement qui a permis une belle campagne à quelqu’un qui ne vient pas de chez nous, qui a fait se redresser la tête à beaucoup de gens en France, ce front électoral s’est ensuite écroulé. Cependant, je pense qu’il y a un redressement en ce moment au sein du PCF. Nous avons besoin d’une organisation de combat pour le renforcer.
 
HD. Vous citez l’exemple du Front de gauche. Vous n’épargnez pas Syriza en Grèce... Maintenant qu’ils sont au pouvoir, est-ce un événement positif ?
J. S. Il ne faut pas avoir raison trop tôt. Tous les révolutionnaires merveilleux que je peux connaître dans le monde me signalent que tous ceux qui ont quitté le parti communiste grec pour en dire le plus grand mal sont membres de Syriza. Les gens du PASOK qui ont senti le vent tourner aussi... Mais à mon avis, Syriza n’est qu’une variante de la social-démocratie adaptée à 2015, à l’époque de la colère des peuples. Je pense que l’on doit comprendre que le modèle qui tend à donner de l’importance à l’État, à collectiviser certaines activités économiques, permet de lutter contre l’individualisme, les guerres, la vénalité, la capacité à vendre tout et n’importe quoi, y compris les êtres humains...
 
« DISPARU DU PROGRAMME DE L’AGRÉGATION DURANT 40 ANS, MARX REDEVIENT UN VÉRITABLE PHÉNOMÈNE. SES OUVRAGES PARTENT COMME DES PETITS PAINS. »
 
HD. Ce qui signifie pour vous que les compromis sont impossibles ?
J. S. Dans une période de crise totale, on ne peut pas refaire le monde. Il faut être dans la société. Le PCF ne cesse de le répéter et il a raison, mais il faut aussi rappeler le passé et les intérêts que servent ceux avec qui l’on peut s’allier.
 
HD. Vous ne vous sentez pas obligé d’être optimiste aujourd’hui, comme on pouvait ne pas l’être en 1938 ou en 1914, écrivez-vous... La veille des deux guerres mondiales ?
J. S. Dans « Lénine et la Révolution », j’écris que nous sommes dans une sorte de pièce de Tchekhov. On ne sait pas ce qui va venir, mais on sent que ça va venir. Guerre ? Fascisme ? Révolution ? Des dirigeants comme Hugo Chavez ou Fidel Castro ont souligné ces dangers qui montent d’un peu partout.
 
HD. Pour le philosophe marxiste et épicurien que vous êtes, existe-t-il dans une telle période des raisons d’être heureux ?
J. S. Dans nos sociétés de plus en plus sombres, atomisées, on ne cesse de parler de repli sur la famille. Paradoxalement, il y a de plus en plus de personnes isolées. Je ne veux pas jouer les professeurs de bonheur, mais je crois qu’il faut savoir lutter contre tous ces petits plaisirs frelatés qui nous tombent dessus pour nous donner trois minutes de bonheur, et s’efforcer de trouver du bonheur dans la durée. Il n’est pas seulement celui de la famille, il peut être aussi celui d’un travail passionnant, du voyage... Mais je parle bien de sources de plaisir solide, durable. Ensuite, lutter pour de belles causes est source d’un bonheur spécifique. Malgré l’atomisation des luttes, je vois des choses magnifiques. J’admire ces gens, souvent chrétiens, qui, dans le nord de la France, risquent des années de prison en hébergeant des frères venus du bout du monde et traqués par la police parce que sans papiers. Pour moi qui ai pas mal de chances, au pluriel, un de mes plaisirs c’est de retrouver des militants qui ressemblent à ceux de générations précédentes, ou à ces jeunes communistes dont j’ai parlé précédemment...
 
HD. Comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour Marx dans un contexte où, selon la pensée unique que vous combattez, le bonheur ne peut être qu’individuel ?
J. S. Si Marx n’a plus été au programme de l’agrégation pendant quarante ans, il est redevenu un véritable phénomène. Les rééditions de ses ouvrages partent comme des petits pains. On s’accorde aujourd’hui à constater que le délire néolibéral est en fin de course. Au moins sur le plan idéologique. Plus personne ne peut supporter le discours qui fait de nous des sortes de grands singes mus uniquement par la concurrence et l’envie d’être le premier. À force d’entendre prôner une société de rentabilité maximale, les gens ont commencé à faire le bilan. Dans une société où il n’y a besoin que d’entrepreneurs, on considère que ne sont pas rentables la philosophie, l’histoire, la musique, l’humour, l’amour... Mais les gens sont des humains. Et les humains ne sont pas du tout cet homme abstrait défini de façon délirante par le néolibéralisme. En philosophie, on n’en a rien à faire de la concurrence. On lit les livres passionnants, et plus il y en a, mieux on se porte.
 
POUR EN SAVOIR PLUS

 
 
 
Le propos peut parfois paraître féroce lorsqu’il y dit ses vérités... Mais le livre est avant tout vivant et agréable à lire. La forme de l’entretien y est pour beaucoup. Jean Salem y est interrogé par l’un de ses pairs, Aymeric Monville : on le comprend vite, les deux philosophes tombent très souvent d’accord. Mais le parcours de Jean Salem, indissociable de son propos, en fait un ouvrage de réflexion ancré dans la vie, dans la biographie d’un homme plongé dès son enfance dans des pages fondamentales de l’histoire du XXe siècle. Fils d’Henri Alleg, Jean Salem a grandi entre Alger, la Provence, l’URSS et à nouveau la France, au gré des péripéties de la décolonisation... Le philosophe marxiste, spécialiste d’Épicure et de Lucrèce, raconte ce parcours en militant communiste, souvent critique et exigeant, mais non sans une affection certaine pour son parti et ses militants. Jean Salem a notamment publié « l’atomisme antique, Démocrite, épicure, Lucrèce » (Livre de poche, 1997), « Philosophie de Maupassant » (Éditions Ellipses, 2000, prix Bouctot 2001 de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen), « le bonheur ou l’art d’être heureux par gros temps » (Flammarion, 2006), « Lénine et la révolution » (Encre marine, 2006), « élections piège à cons ? Que reste-t-il de la démocratie ? » (Flammarion 2012).
« RÉSISTANCES, ENTRETIENS AVEC AYMERIC MONVILLE », DE JEAN SALEM, ÉDITIONS DELGA, 2015, 322 PAGES, 20 EUROS. 
Journaliste à l'Humanité Dimanche
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9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 20:39
Dans l'Huma d'aujourd'hui...  Un très bon article de Maurice Ulrich sur Céline et la polémique entourant la réédition par Gallimard de ses œuvres les plus lamentables du point de vue de l'antisémitisme et de l'abjection morale et politique, ce qui n'empêche pas de reconnaître l'intérêt proprement littéraire de certains romans autobiographiques.
Polémique. Céline, écrivain jusqu’à l’ignominie
MAURICE ULRICH
MARDI, 9 JANVIER, 2018
L'HUMANITÉ
Louis-Ferdinand Destouches, le vrai nom de Céline (1894-1961), dans le parc de sa demeure à Meudon (Hauts-de-Seine). Bernard Lipnitzki/Roger Viollet
 

Le choix des éditions Gallimard de publier les écrits antisémites de l’auteur du Voyage au bout de la nuit suscite de vives réactions. Retour sur un parcours littéraire.

Peut-on, comme les éditions ­Gallimard ont décidé de le faire, publier les pamphlets antisémites de Céline, soit Bagatelles pour un massacre (1937), l’École des cadavres (1938) et les Beaux Draps (1941) ? La question peut paraître oiseuse. Les trois textes, comme Mein Kampf, comme les Décombres, de Lucien Rebatet, texte absolument collaborationniste, sont à la portée de deux clics sur Internet. Le choix de Gallimard n’en est pas moins discuté. La prestigieuse maison d’édition se prévaut de l’autorisation que lui aurait donnée Lucette Destouches, âgée aujourd’hui de 105 ans, veuve de l’écrivain dont il faut rappeler qu’il avait lui-même voulu, après-guerre, que ces textes ne soient pas réédités, une précaution plus qu’un repentir. Certes, mais on imagine bien que Gallimard a vu là un coup éditorial.

Une levée de boucliers d’intellectuels

L’affaire a été considérée comme suffisamment sérieuse, suscitant d’ailleurs une levée de boucliers d’intellectuels comme de personnalités telles Serge Klarsfeld, pour qu’Antoine Gallimard, accompagné par l’écrivain Pierre Assouline qui devrait préfacer les trois volumes, ait été convoqué le 19 décembre dernier par le délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Frédéric Potier. Il serait donc question aujourd’hui d’une publication avec « un appareil critique », offrant « toutes les garanties nécessaires » et à même « d’éclairer le contexte idéologique ». Gallimard, de son côté, en tenait pour une édition parue en 2012 au Québec (Éditions 8), sous le titre Écrits polémiques, avec l’éclairage d’un spécialiste de l’œuvre de Céline, Régis Tettamanzi, professeur à l’université de Nantes. Reste que la parution des textes, initialement prévue en mai, serait actuellement reportée à une date indéterminée.

À suivre donc. Mais qu’en est-il de ces pamphlets dans l’œuvre de Céline, saluée d’emblée par le prix Renaudot pour Voyage au bout de la nuit (1932), marquée par d’autres livres majeurs comme Mort à crédit, ou après-guerre par D’un château l’autre ? Un livre en immersion dans le milieu de la collaboration, réfugié à Sigmaringen, entre petites lâchetés et grandes abjections dont Céline lui-même est à la fois partie prenante et témoin. Aucune ambiguïté n’est possible. Les trois textes en question sont abjects. Leur antisémitisme, exprimé en termes ignobles, est tel qu’il est des lecteurs qui croiront à une farce, une caricature, avant de se rendre à l’évidence. En réalité, dans leur violence, ils font parfaitement écho à ce qu’écrit Hitler dans Mein Kampf. Du reste, Céline ne le cache pas : « Hitler, il ne ment pas comme les juifs (…), il me dit “le droit c’est la force” : voilà qui est net, je sais où je vais mettre les pieds (…). Moi je voudrais bien faire une alliance avec Hitler… » Il disait écrire « dans la formule du rêve éveillé », que semble conforter son recours systématique aux points de suspension, mais qui le créditait d’une forme d’inconscience ou de somnambulisme.

Après guerre, bien qu’emprisonné quelque temps, il échappera aux condamnations qui frapperont avec moins de clémence d’autres écrivains accusés de collaboration. Il se fabriquera son personnage d’ermite clochardisé dans sa maison de Meudon, entre ses chats et Lucette, comme s’il n’avait été qu’un témoin involontaire du bruit et de la fureur. On sait aujourd’hui qu’il n’en fut rien, mais qu’il fut un collaborateur actif, familier des dignitaires nazis, un dénonciateur et même un « agent » par conviction idéologique (1). Dans les années 1950, il apportera son appui aux thèses négationnistes.

Louis-Ferdinand Destouches, le vrai nom de Céline, est né en 1894, à Courbevoie. Après des études banales, il s’engage chez les cuirassiers. Il est blessé en 1914, devient surveillant de plantation en Afrique. Revenu en France, il fait des études de médecine, avec succès. Son expérience de la guerre, de l’Afrique, des États-Unis, va être la matière du Voyage. Il a adopté une langue crue, ­violente, critique de l’armée, de l’ordre établi, voire de l’oppression coloniale… L’écrivain Benjamin Crémieux, collaborateur de la NRF, qui mourra à Buchenwald, parlera d’un « roman communiste. (…) Écrit par moments en français argotique un peu exaspérant, mais en général avec beaucoup de verve. Serait à élaguer ». Pour Trotski, « Céline est un moraliste. À l’aide de procédés artistiques, il pollue pas à pas tout ce qui habituellement jouit de la plus haute considération ». On le voit comme un dynamiteur des valeurs bourgeoises.

Son engagement criminel aux côtés des nazis

Elsa Triolet traduit le Voyage en russe et son auteur est chaleureusement accueilli en 1936 en URSS. Il en fera en retour une critique virulente. Il semble aujourd’hui qu’André Breton aura vu plus juste : « L’écœurement pour moi est venu vite. Il me parut y avoir là l’ébauche d’une ligne sordide. » Mais la nouveauté du Voyage, moins vrai sans doute de Mort à crédit, c’est que le livre est totalement hanté par le désenchantement du temps. Hannah Arendt parlait de ces hommes qui avaient connu avec la guerre « la suprême humiliation de n’être que des rouages minuscules dans la majestueuse roue dentée de l’abattoir ». C’est parmi eux que le fascisme recrutera ses troupes, toutes prêtes à trouver des « responsables » de leur sort pour peu qu’on les y encourage. Hitler le fera. L’œuvre littéraire de Céline est inscrite dans ce temps déraisonnable, ce qui ne l’absout en rien. « On avait mis les morts à table/On prenait les loups pour des chiens », écrivait Aragon. Qu’on le veuille ou non et bien qu’il ait voulu lui-même le faire oublier, Céline avait choisi son camp. Les pamphlets appartiennent à cette œuvre comme à son engagement criminel aux côtés des nazis, jusqu’à l’ignominie.

Polémique. Céline, écrivain jusqu'à l'ignominie (Maurice Ulrich, l'Humanité, 9 janvier 2018)
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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 10:08
Martha Desrumeaux: syndicaliste et communiste résistante et déportée. Pour que la classe ouvrière rentre au Panthéon!
Martha Desrumeaux: syndicaliste et communiste résistante et déportée. Pour que la classe ouvrière rentre au Panthéon!
Martha avec son mari Louis Manguine dans leur maison à Evenos dans le Sud. Tous deux en retraite bien méritée.  "Louis Manguine, tout d'abord dessinateur dans une entreprise métallurgique de Douai, est responsable des " métallos " du Nord en 1936. En septembre 1938, il épouse Martha Desrumaux, dirigeante du Parti Communiste. Prisonnier durant la guerre, il reprend ses fonctions en 1946. Après sa libération, il est élu :  de 1947 à 1959, au conseil municipal de Lille de 1950 à 1966, secrétaire général de l'UD-CGT du Nord1. 1950 correspond à l'année où sa femme, Martha Desrumaux, avait dû abandonner ses responsabilités dans cette organisation.  Il décède le 30 novembre 1982, le même jour que son épouse, âgé de 77 ans"

Martha avec son mari Louis Manguine dans leur maison à Evenos dans le Sud. Tous deux en retraite bien méritée. "Louis Manguine, tout d'abord dessinateur dans une entreprise métallurgique de Douai, est responsable des " métallos " du Nord en 1936. En septembre 1938, il épouse Martha Desrumaux, dirigeante du Parti Communiste. Prisonnier durant la guerre, il reprend ses fonctions en 1946. Après sa libération, il est élu : de 1947 à 1959, au conseil municipal de Lille de 1950 à 1966, secrétaire général de l'UD-CGT du Nord1. 1950 correspond à l'année où sa femme, Martha Desrumaux, avait dû abandonner ses responsabilités dans cette organisation. Il décède le 30 novembre 1982, le même jour que son épouse, âgé de 77 ans"

Martha Desrumeaux. La classe ouvrière au Panthéon
OLIVIER MORIN
MARDI, 26 DÉCEMBRE, 2017
L'HUMANITÉ
Une pétition via Facebook pour faire entrer Martha Desrumaux dans la nécropole rassemble des soutiens très larges. Baziz Chibane/La Voix du Nord/MaxPPP
 

Relancée par les Ami·e·s de Martha Desrumaux, la campagne pour que la « Pasionaria du Nord » soit reconnue, s’étend et sort de l’oubli une femme hors du commun.

En 1936. Après des mois de grève et de luttes acharnées, les patrons sont forcés de négocier avec les organisations de travailleurs. Face à eux, ce 7 juin à l’hôtel Matignon, aux côtés de Benoît Frachon et Léon Jouhaux, représentant la CGT, une seule femme est présente, Martha Desrumaux. Elle a apporté avec elle les fiches de paye d’ouvrières du textile du Nord, pour appuyer la satisfaction des revendications.

« Avec Martha Desrumaux, c’est toute la classe ouvrière qui serait honorée au Panthéon. » Laurence Dubois, présidente de l’association les Ami·e·s de Martha Desrumaux, est de celles et ceux qui ont relancé la campagne pour que cette ouvrière, élue du peuple et syndicaliste, ait enfin la reconnaissance de la patrie. À l’occasion du 35e anniversaire de sa mort et des 120 ans de sa naissance, le souhait de faire entrer Martha Desrumaux dans la nécropole revient avec vigueur, rassemblant des soutiens très larges à travers une pétition relayée par la page Facebook « Martha Desrumaux, une femme du Nord ». La sénatrice PCF Michelle Gréaume ou encore Martine Aubry, la maire PS de Lille, se sont notamment jointes à des milliers d’autres voix pour réclamer sa panthéonisation. Déjà en 2015, alors que François Hollande souhaitait faire entrer des femmes illustres au Panthéon, son nom avait été porté jusqu’à l’Élysée, notamment par la voix de la députée communiste Marie-George Buffet. Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, qui furent déportées à Ravensbrück dans le même camp que Martha Desrumaux, eurent les honneurs de la nation. Mais la figure du mouvement ouvrier ne fut pas retenue.

En 1921, elle adhère au PCF « Elle est de toutes les luttes »

Pourtant, sa vie hors du commun, dédiée tout entière à l’émancipation des classes laborieuses et particulièrement des femmes ouvrières, mérite d’être honorée. Neuf ans seulement après sa naissance à Comines (Nord) en 1897, Martha devient brutalement orpheline de père. Elle part alors travailler dans une famille bourgeoise de la banlieue lilloise où elle est bonne à tout faire. Elle s’enfuit rapidement et retourne à Comines où elle se fait embaucher comme ouvrière à l’usine Cousin. En y travaillant le lin, elle découvre la dureté des conditions de travail et se syndique à la CGT à 13 ans. Éloignée de sa région à la suite de la déclaration de guerre en 1914, elle se retrouve ouvrière aux usine Hassebroucq de Lyon, où elle dirige sa première grève victorieuse, dès 20 ans.

En 1921, elle adhère au tout jeune Parti communiste français que le congrès de Tours a fait naître un an auparavant et contribue de manière déterminante à l’organisation des ouvrières du textile. « Elle est de toutes les luttes », explique l’historien Pierre Outteryck. « En 1920-1922 à Comines, en 1928-1929 à Halluin, en 1930 autour des assurances sociales, en 1931 contre le puissant patronat roubaisien, en 1933 à Armentières… » Pendant ce temps, l’inlassable militante rattrape l’écueil d’une vie happée trop tôt par le labeur et apprend à lire et à écrire. En 1927, l’année où elle rencontre Clara Zetkin, la fondatrice de la Journée internationale des droits des femmes, à Moscou, pour les 10 ans de la révolution d’Octobre, elle devient également la première femme élue au Comité central du PCF. Elle impulsera par la suite les premières marches des chômeurs vers Paris, dont « la marche de la faim » en 1933. « Le mouvement des chômeurs fut un embryon des conditions d’union de la classe ouvrière », précisait-elle avec son accent du Nord, parfois injustement moqué lorsqu’elle s’exprimait en dehors de sa région natale.

Fondatrice du journal l’Ouvrière, représentante de la CGTU au comité de fusion avec la CGT, puis aux côtés de Danielle Casanova lors de la création de l’Union des jeunes filles de France (UJFF)… Son engagement pour la dignité des femmes et sa présence lors de moments cruciaux comme les accords Matignon sont autant de pas en avant pour la lutte féministe.

Quand la guerre éclate, en 1939, Martha Desrumaux, réfugiée en Belgique, réorganise le PCF dans la clandestinité. Elle revient à Lille dès juin 1940 et participe activement à la grande grève patriotique des mineurs, en mai et juin 1941. Dénoncée par le préfet Carles, elle est enfermée à Loos puis déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Là encore, elle organisera la résistance avec Marie-Claude Vaillant-Couturier et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ainsi que des déportées antifascistes tchèques, allemandes, polonaises et soviétiques, toujours avec fraternité et le souci des plus faibles. Lili Leignel, déportée à Ravensbrück à 11 ans, se rappelle d’une « femme simple » qui était « un exemple pour tous avec son amour du prochain incommensurable et sa grande conviction ». Dès la fin de la guerre, alors que les femmes n’ont le droit de vote que depuis un an, Martha Desrumaux est élue au conseil municipal de Lille et reprend ses fonctions à la CGT du Nord. À la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP), elle s’engage pour transmettre les valeurs et le souvenir des déportés et poursuit le combat pour l’émancipation des femmes à l’Union des femmes françaises (qui deviendra Femmes solidaires).

En 1982, Martha Desrumaux décède. Le même jour que son mari. À la suite de ses compagnes de la Résistance, la France s’honorerait à faire entrer au Panthéon « cette ouvrière ordinaire à l’existence extraordinaire ».

Martha Desrumeaux: syndicaliste et communiste résistante et déportée. Pour que la classe ouvrière rentre au Panthéon!

Martha à Ravensbrück
Les ami.e.s de Martha Desrumaux

19 déc. 2017 — Dans le périple de déshumanisation qui est imposé à chaque nouvelle arrivante, elle a retrouvé, en passant à la douche, Martha Desrumaux, militante communiste du Nord, membre du Comité central du parti et qu'elle connaissait d'avant-guerre de réputation. Martha est la déportée française la plus ancienne du camp. Elle est en contact avec des Allemandes et des Tchèques, Tchèques qui l’ont sauvée de la mort à l'arrivée en remplaçant sa carte rose d'inapte au travail par une carte jaune de travailleuse.

Le rôle (clandestin) de Martha Desrumaux, et de ses camarades de la « colonne n° 2 », qui est chargée de vérifier, aux douches, que les détenues n'ont ni poux, ni gale, est magnifié dans le livre du collectif de détenues sur Ravensbrück : « À chaque nouvelle arrivée de prisonnières, la colonne n° 2 était aux douches et l'une ou l’autre de ces anciennes, dans la mesure où elle arrivait à parler aux femmes, en dépit de la présence des SS, essayait de les aider à supporter le premier choc et de les avertir de ce qu'il fallait faire pour éviter l'extermination : ne pas se déclarer malade, ne pas montrer ses infirmités pour ne pas recevoir la carte rose, ne pas se dire juive. »
« Martha, dit Esther Brun, nous fut d'un grand secours. C'est elle qui par son travail aux douches nous procurait du linge propre, des bas, des chaussures et surtout cet hiver, des lainages, des robes et des manteaux... Martha était celle qui nous aidait le plus ; elle avait tant d'amies dans le camp, tant de sympathies chez les prisonnières de toutes les nationalités... »

Extrait de Marie-Claude Vaillant-Couturier, une femme engagée, du PCF au procès de Nuremberg, de Dominique Durand, Éditions Balland, 2012, p.260-261

Martha Desrumeaux: syndicaliste et communiste résistante et déportée. Pour que la classe ouvrière rentre au Panthéon!

Tous à l'écoute ce lundi 8 janvier de 9 à 10 heures....
Notre ami, Pierre Outteryck, historien, co-président de l'association Création, Recherche, Innovations sociales est l'invité d'Emmanuel Laurentin dans l'émission la Fabrique de l'Histoire sur France Culture,en liaison avec la campagne " Martha Desrumaux, pour une ouvrière au Panthéon "! Martha Desrumaux,une femme du Nord

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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 07:19
Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud

Merci à Robert Clément d'avoir exhumé ce poème peu connu et engagé de Rimbaud, un des rares artistes et écrivains de renom (pas à l'époque encore) à avoir vibré pour la Commune de Paris et la Révolution: 

Morts de Quatre-vingt-douze (Arthur Rimbaud)

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;

Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ;

Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,
Ô million de Christs aux yeux sombres et doux ;
Nous vous laissions dormir avec la République,

Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
– Messieurs de Cassagnac* nous reparlent de vous !

Arthur Rimbaud

* Paul de Cassagnac (1842- 1904): Journaliste et député bonapartiste d'extrême-droite ennemi juré des Républicains de gauche 

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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 07:19
Aharon Appelfeld

Aharon Appelfeld

Littérature.


 Déporté enfant, rescapé de la Shoah, ami de Philip Roth qui l’a mis en scène dans Opération Shylock, l’écrivain israélien, auteur d’une quarantaine de romans, avait 85 ans.

L'écrivain israélien Aharon Appefeld s'est éteint dans la nuit de mercredi à jeudi à l'âge de 85 ans. Rescapé de la Shoah, il a été l'un des auteurs les plus importants de ce que l'on nomme en son pays la "seconde vague" littéraire. Son oeuvre campe en abondance d'inoubliables figures de juifs ou de demi-juifs d'Europe centrale, intellectuels, petit-bourgeois, commerçants, assimilés à la civilisation occidentale puisque élevés dans la culture germanique. Pris dans les rets du génocide, internés dans des camps, ces êtres sont amputés de tout patrimoine. Les survivants, tragiquement orphelins d'une mémoire collective, errent seuls et démunis, en proie à des souvenirs perdus. Si certains de ses livres sont à fort teneur autobiographique et peuvent à ce titre être significatifs du génocide, Aharon Appefeld n'entendait pas être considéré comme un "écrivain de l'Holocauste" 

"Vous ne pouvez pas être un écrivain de la mort, disait-il, l'écriture suppose que vous soyez vivants". Son sujet permanent, c'est le destin de son peuple. Au fil de la singularité propre à l'être juif, il part toujours du particulier pour aller au général.

Des destins marqués par le génocide et le déracinement 

Il a publié une quarantaine de romans, des nouvelles et son autobiographie, Histoire d'une vie, couronnée en 2004 par le prix Médicis étranger. Dans certaines de ses œuvres, ses héros, déracinés par force, doivent changer de langue - tout comme lui- et passer du yiddish à l'hébreu. Le personnage marginal de Et la fureur ne s'est pas encore tue  (l'Olivier, 2009), né comme lui avant la Seconde Guerre mondiale dans une famille juive des Balkans, a, comme lui, connu la montée de l'épouvante nazie. Et comme lui a échappé de peu à la mort. Né en 1932 à Czernowitz, ville roumaine aujourd'hui en Ukraine, Aharon Appefeld n'a que 8 ans quand il est déporté avec son père dans un camp de concentration de Transnitrie. A l'automne 1942, il parvient à s'échapper et survit durant plus de deux ans dans les forêts ukrainiennes avec d'autres évadés. Il dit avoir été "adopté par un gang de criminels". 

Ecrire dans sa "langue maternelle adoptive"

Recueilli par l'Armée rouge, il y est enrôlé comme "garçon de cuisine" . Il quitte l'Union soviétique en 1945 et émigre en Palestine mandataire l'année suivante. "Personne ne voulait des orphelins en Europe. Le seul endroit où l'on pouvait aller était la Palestine" . En 1957, il retrouve son père, qu'il croyait mort comme sa mère, assassinée par les nazis en 1940. Il entame des études, littéraires et d'agriculture, effectue son service militaire et commence à écrire. Son premier recueil de nouvelles, Fumée, paraît en 1962. Il écrit en hébreu, "sa langue maternelle adoptive" . Il a longtemps enseigné la littérature à l'université Ben Gourion. Homme de gauche résolu, ancré de tout temps dans le Parti travailliste, Aharon Appelfeld met en lumière l'impasse du sionisme, tel le héros de son roman Le garçon qui voulait dormir (l'Olivier, 2011), un Israélien, qui, par la force des choses, ne se reconnaît plus dans la nouvelle identité collective en vigueur. L'écrivain, au fil des ans, a vu s'élargir les failles dans la société de son pays. 

Il a reçu maints prix littéraires prestigieux. Il apparaît dans le roman Opération Shylock, de son ami américain Philip Roth, qui le compare à Kafka et Bruno Schluz. Le dernier roman de Aharon Appelfeld, De longues nuits d'été, est paru en 201 à l'Ecole des loisirs.

Muriel Steinmetz  

 

Aharon Appelfeld, l’auteur d’Histoire d’une vie, est mort (Muriel Steinmetz, L'Humanité - 5 janvier 2018)
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4 janvier 2018 4 04 /01 /janvier /2018 06:30

Entre le 20 octobre et le 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

La liste des scénarios écrits par Lester Cole pour les studios américains est impressionnante. On lui doit Rivaux, de Raoul Walsh, le Retour de l'homme invisible ou encore Vivre libre, de James Hill. 

 

Audition de Lester Cole

 

M. STRIPLING M. Cole, êtes-vous membre de la Guilde des scénaristes ? M. COLE Je voudrais répondre à cette question et je serais très heureux de le faire. Je crois que la raison pour laquelle une question est posée est d'aider à éclairer...

LE PRÉSIDENT Non, non, non, non, non. M. COLE Je vous entends M. le président, je vousentends, je suis désolé mais...

LE PRÉSIDENT Si vous répondez par oui ou par non, alors vous pourrez donner quelques explications. M. COLE Bien, M. le président, je dois vraiment répondre à ma façon. LE PRÉSIDENT Vous refusez de répondre à la question ?

M. COLE Non, pas du tout, pas du tout. M.

STRIPLING Êtes-vous membre de la Guilde des scénaristes ?

M. COLE Je comprends la question, et je ne crois pas savoir comment je peux y répondre de façon satisfaisante pour la commission. J'aimerais pouvoir le faire.

LE PRÉSIDENT Êtes-vous capable de répondre à la question par oui ou non ou êtes-vous incapable de répondre par oui ou non ?

M. COLE Je ne suis pas capable de répondre par oui ou non. Je pourrais et je voudrais répondre à ma manière. Suis-je privé de ce droit ?

LE PRÉSIDENT Donc vous refusez de répondre à la question ?

M. COLE Non, je ne refuse pas de répondre à la question. Au contraire, j'aimerais beaucoup y répondre, donnez-moi juste une chance.

LE PRÉSIDENT Supposons que nous vous donnions l'occasion de faire une explication, combien de temps vous prendrait cette explication ?

M. COLE Oh, je dirais d'une à vingt minutes, je ne sais pas.

LE PRÉSIDENT Vingt ? Et est-ce que tout cela aura à voir avec la question ?

M. COLE Ce serait certainement le cas.

LE PRÉSIDENT Alors, répondriez-vous finalement oui ou non ?

M. COLE Eh bien, je ne pense vraiment pas que c'est la question qui nous occupe maintenant, n'est-ce pas ?

LE PRÉSIDENT Alors, passez à la question suivante.

M. STRIPLING M. Cole, êtes-vous ou avez-vous déjà été membre du Parti communiste ?

M. COLE Je voudrais également répondre à cette question. Je serais très heureux de le faire. Je crois que la raison pour laquelle la question est posée est que, à l'heure actuelle, il y a une élection à la Guilde des scénaristes à Hollywood et que pendant quinze ans, M. McGuinness et d'autres...

LE PRÉSIDENT Je ne savais même pas qu'il y avait des élections là-bas. Poursuivez et répondez à la question. Êtes-vous membre du Parti communiste ?

M. COLE Puis-je répondre à ma façon, s'il vous plaît ? Puis-je s'il vous plaît ? Puis-je avoir ce droit ?

LE PRÉSIDENT Vous êtes américain, n'est-ce pas ?

M. COLE Oui, je le suis certainement, et cela figure dans ma déclaration.

LE PRÉSIDENT Vous devriez être très fier de répondre à la question.

M. COLE Je suis très fier de répondre à la question, et je le ferai au moment que je jugerai approprié.

LE PRÉSIDENT Ce serait très simple de répondre.

M. COLE C'est très simple de répondre à la question...

LE PRÉSIDENT Vous jouez.

M. COLE Et quand je le jugerai bon, je le ferai, mais je souhaite défendre mes droits d'association...

LE PRÉSIDENT Nous allons déterminer si c'est le moment approprié.

M. COLE Non monsieur. Je pense que je dois le déterminer, aussi bien.

LE PRÉSIDENT Nous déterminerons si c'est approprié. Vous êtes excusé. Témoin suivant, M. Stripling.

TRADUCTION ROSA MOUSSAOUI

 

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 08:48
Robert Laffon, 21,50€, 580 pages, 2017

Robert Laffon, 21,50€, 580 pages, 2017

Roman. Le sommeil de la raison, des monstres et des crimes
ROGER MARTIN
JEUDI, 14 DÉCEMBRE, 2017
L'HUMANITÉ

L'Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski de Romain Slocombe. Il était une fois… l’Occupation. Un inspecteur consciencieux et pervers, des étoiles jaunes, des vengeurs rouges et un ordre définitivement noir.

Nous avions dit ici même tout le bien qu’il fallait penser de l’Affaire Léon Sadorski, un roman noir historique exceptionnel dans lequel, refusant tout effet de suspense gratuit, Slocombe, à travers les yeux et les actes d’un policier arriviste et retors, faisait défiler devant nous les deux premières années de l’Occupation. On y suivait quasiment au jour le jour les faits et gestes d’un policier dont les idées s’accordent parfaitement à l’air du temps et auquel sa conscience ne pose aucun problème.

Une plongée au cœur de la France collaborationniste

Avec l’Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski, on plonge davantage encore au cœur de la France collaborationniste, à l’intérieur des Brigades spéciales qui traquent et torturent les résistants, au moment où se prépare la grande rafle du Vél’d’Hiv. On retrouve le chef du Rayon juif de la 3e section de la direction générale des Renseignements généraux et des Jeux le 8 juin 1942 au moment où obligation est faite aux juifs d’arborer l’étoile jaune. Lorsqu’on le quitte, un mois et demi plus tard, il est dans la foule qui assiste à une parade monstre organisée dans Paris par le commandement militaire allemand. Nous sommes le 29 juillet, Sadorski sourit, se dit qu’il est un homme heureux. Au même instant, un convoi quitte Drancy. À bord du train, 730 hommes et 270 femmes, tous juifs, destination Auschwitz-Birkenau. Entre-temps, Slocombe plonge son personnage au cœur de l’Histoire authentique, loin des fabulations et des approximations, saisissant Sadorski alors qu’il est amené à traquer un groupe de communistes qui liquide collaborateurs et ex-communistes passés avec Doriot du côté des nazis. Pendant 550 pages, d’un commissariat de police à un cinéma, d’une station de métro à une gare de province, à pied, à vélo, en voiture, le lecteur est obligé de cohabiter avec un salaud doublé d’un pervers dont la perpétuelle bonne conscience et la certitude qu’il agit pour le bien du pays donnent la nausée. Mais cette vie commune est d’une richesse exceptionnelle tant Slocombe connaît son sujet. La masse d’informations est époustouflante, la reconstitution de Paris et de la région parisienne laisse interdit, le traitement d’épisodes authentiques de l’histoire de l’Occupation rendu avec une rigueur stupéfiante. Impossible de trouver un détail, une affirmation, un fait qui ne soit confirmé par les archives ou les travaux d’historiens. Mais, en même temps, alors que cette matière historique est la chair du roman, elle ne l’envahit jamais, ne phagocyte pas un récit qui palpite de destinées tragiques, de combats inégaux, de grandeur et de barbarie. Romain Slocombe a prévu trois autres volumes, voire quatre, avant le dénouement de la Libération. Une tâche titanesque, une sorte de Village français littéraire. À en juger par les deux premiers volumes, la fresque, achevée, témoignera avec une rigueur et une force impressionnantes d’une période qui n’en finit pas de passionner.

L'Étoile jaune de l’inspecteur Sadorski de Romain Slocombe. Robert Laffont, 584 pages, 21,50 euros.

L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski et L'affaire Léon Sadorski: deux romans noirs sur la collaboration de la police française extrêmement bien écrits et documentés de Romain Slocombe (Roger Martin, L'Humanité)
Itinéraire d’un salaud ordinaire
ROGER MARTIN
JEUDI, 29 DÉCEMBRE, 2016
L'HUMANITÉ
L’Affaire Léon Sadorski,  de Romain Slocombe. Robert Laffont, 500 pages, 21 euros.

Les séries américaines ont imposé leur tyrannie : tueurs en série géniaux, policiers scientifiques nobélisables, flics de terrain démiurges. La littérature s’est engouffrée dans la brèche dans l’espoir d’adaptations au grand ou au petit écran. Miraculeusement, il est encore des auteurs pour honorer le roman noir, qui est au thriller ce que Spartacus est à Gladiator. Leurs livres refermés, on reste hanté par des récits qui se refusent à n’être que divertissement, palpitant, certes, mais formaté. Romain Slocombe est au nombre de ces irréductibles. L’auteur de Monsieur le Commandant n’écrit pas pour passer le temps. Chez lui, comme chez Daeninckx, Le Corre, Pivion et quelques autres, le sujet est l’essentiel, ce qui ne l’empêche pas de déployer dans son dernier ouvrage un talent de conteur exceptionnel. Une construction solidement charpentée, une science aiguë des ressorts dramatiques, une maîtrise totale des péripéties, s’ajoutant à une capacité rare de faire de ses personnages, victimes ou bourreaux, autre chose que de simples marionnettes, autant d’atouts supplémentaires qui obligent le lecteur à une attention soutenue. L’Affaire Léon Sadorski est en effet un roman noir historique exceptionnel dans lequel, refusant tout effet de suspense gratuit, Slocombe poursuit sa plongée vertigineuse au cœur de l’Occupation, projetant un éclairage cru sur les arcanes de la collaboration et le rôle de la police. L’inspecteur Léon Sadorski ne détonne guère dans ses rangs. Un fonctionnaire consciencieux, méticuleux même, qui fait son travail, avec conscience et même zèle, d’autant plus aisément qu’il est pétainiste et antisémite et que, après tout, il ne fait qu’obéir aux ordres. Contrôler des juifs, puis les arrêter avant de les expédier à Drancy, donner un coup de main aux brigades spéciales pour traquer des communistes, rien que de très légal, après tout. Sans parler de l’orgueil de contribuer au salut de la France et à l’espèce d’ivresse qui s’empare de lui lorsqu’il participe aux séances d’interrogatoire poussé, autrement dit de torture. Sadorski jouit de sa toute-puissance. S’il n’est pas Dieu, c’est tout comme puisqu’il peut décider d’une mort ou d’un salut. Mais le Capitole n’est pas loin de la roche Tarpéienne. Un jour, il est arrêté, emmené contre son gré en Allemagne, persuadé qu’il n’en reviendra pas. La Gestapo a décidé de faire de lui sa pièce maîtresse au sein de la préfecture de police. Entre missions officielles et enquêtes privées, louvoyant sans cesse pour éviter les pièges de ses nouveaux maîtres, ceux des brigades spéciales et des truands nazis de la rue Lauriston, Sadorski s’enfonce irrésistiblement et comme avec délectation dans les horreurs de la collaboration sans problèmes de conscience excessifs… On croyait tout savoir, on découvre à chaque page ! Slocombe s’est appuyé naturellement sur des faits authentiques. Sa documentation, impressionnante, qu’il a pris le temps de digérer, ne phagocyte jamais le récit, mais l’irrigue et donne en permanence au lecteur la certitude d’être dans l’authentique. Un livre fascinant, indispensable !

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 06:58

Entre le 20 octobre et le 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Un comité de soutien emmené par John Huston, Humprey Bogart, Lauren Bacall ou Groucho Marx est créé. Mais l'Amérique a déjà basculé dans la guerre froide et l'hystérie anticommuniste. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

Le scénariste Adrian Scott fut surtout un grand producteur. Il a produit entre autres Pris au piège d'Edward Dmytryk et le Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey.

 

Audition d'Adrian Scott

 

LE PRÉSIDENT Ce n'est peut-être pas la pire déclaration que nous ayons reçue, mais c'est presque la plus mauvaise.

M. SCOTT Puis-je être en désaccord avec le président, s'il vous plaît ?

LE PRÉSIDENT Par conséquent, elle est manifes-tement irrecevable, pas du tout pertinente, elle n'a rien à voir avec l'enquête et le président décide que la déclaration ne sera pas lue. M. Stripling.

M. STRIPLING M. Scott, êtes vous membre d'uneguilde, soit la Guilde des réalisateurs, soit la Guilde des scénaristes ?

M. SCOTT Je ne crois pas que ce soit une questionappropriée, M. Stripling.

M. STRIPLING Avez-vous déjà été membre de la Guilde des scénaristes ?

M. SCOTT M. Stripling, je répète, je ne crois pas que ce soit une question appropriée.

M. STRIPLING  Êtes-vous, ou avez-vous été membre du Pari communiste ?

M. SCOTT Puis-je répondre à la première question,M. Stripling ?

M. STRIPLING Vous avez dit que ce n'était pas unequestion appropriée.

M. SCOTT  Je vais voir si je peux y répondre convenablement.

LE PRÉSIDENT Vous avez dit que ce n'était pas une question appropriée.

M. SCOTT Je crois que c'est une question qui violemes droits de citoyen. Je ne crois pas qu'il revienne à cette commission d'enquêter sur mes relations personnelles, mes relations privées, mes relations publiques.

LE PRÉSIDENT Alors vous refusez de répondre à la question ?

M. SCOTT La commission n'a pas le droit d'enquêter sur ce que je pense, sur les personnes avec qui je m'associe...

M. STRIPLING Nous n'enquêtons pas sur ce que vous pensez, M. Scott, nous voulons savoir si vous êtes membre de la Guilde des scénaristes.

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à la question.

M. STRIPLING M.le président, je vous demande d'ordonner au témoin de répondre à la question.

LE PRÉSIDENT Le témoin doit répondre à la question.

M. SCOTT Je vous demande pardon ?

LE PRÉSIDENT Le témoin doit répondre à la question en répondant.

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à la question, M. le président.

LE PRÉSIDENT Est-ce que vous refusez de répondre à la question ?

M. SCOTT J'y ai répondu de la façon dont je souhaitais y répondre.

LE PRÉSIDENT Avez-vous déjà été membre ? Je nesais pas d'après votre réponse si vous étiez ou non membre.

M. SCOTT Ma réponse tient toujours.

LE PRÉSIDENT Êtes-vous membre ?

M. SCOTT Je crois que j'ai répondu à cette question.Souhaitez-vous que je réponde de la façon dont je l'ai fait auparavant ?

LE PRÉSIDENT D'après votre réponse, je dois être terriblement stupide, mais d'après votre réponse, je ne peux pas dire si vous êtes membre ou non.

M. SCOTT M. Thomas, je ne suis pas d'accord avecvous, je ne crois pas que vous soyez stupide. J'ai répondu à la question du mieux que j'ai pu.

LE PRÉSIDENT Je ne peux pas dire si vous êtes membre.

M. SCOTT Je suis vraiment désolé.

M. STRIPLING M. Scott, pouvez-vous dire à la commission si vous êtes ou avez été membre du Parti communiste ?

M. SCOTT Monsieur Stripling, cette question vise à enquêter sur ma vie personnelle et privée. Je ne pense pas que ce soit pertinent ­ je ne pense pas que ce soit une bonne question non plus.

M. STRIPLING Est-ce que vous refusez de répondre à la question, M. Dmytryk ?

M. SCOTT M. Scott.

M. STRIPLING M. Scott.

M. SCOTT Je crois que cette question viole mes droits de citoyen. Je crois qu'elle viole aussi le 1er amendement. Je crois que je ne peux pas participer à une conspiration avec vous pour violer le 1er amendement.

LE PRÉSIDENT Maintenant, nous ne pouvons même pas dire à partir de cette réponse si vous êtes un membre du Parti communiste.

M. STRIPLING Je répète la question, M. Scott : pouvez-vous dire si vous avez déjà été membre du Parti communiste ?

M. SCOTT Je répète ma réponse, M. Stripling.

LE PRÉSIDENTTrès bien, le témoin estexcusé.

MARDI Lester Cole

 

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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 06:58
Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...
Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...

Bon anniversaire à tous les cocos !!!
Naissance du Parti Communiste par l'adhésion à la IIIeme Internationale 
Congrès de Tours de la SFIO, dans la nuit du 29 au 30/12/1920.

 

Alors bon anniversaire aux communistes et pour l’occasion, rappelons-nous de ce qu’a écrit Aragon après-guerre dans son livre : " L'homme communiste "

« Mais qui ne voit que le communiste est de nos jours l’héritier, le représentant de toute grandeur humaine, de tout esprit de sacrifice, de tout héroïsme français ?

Le chrétien, lui, je veux dire le chrétien qui agit comme il est écrit, qui vit et meurt suivant les principes proclamés du christianisme, le fait croyant, au-delà de la mort, à un autre monde, à une punition et à une récompense.

Dirai-je que pour moi cela ne le diminue pas à mes yeux, car ce qui m’importe c’est la pureté, la beauté, le désintéressement en ce monde-ci… cependant, songez que le communiste, lui, n’attend vraiment rien pour lui-même.
S’il donne sa vie, comme soixante-quinze mille des nôtres l’ont fait devant les fusils des pelotons d’exécution allemands, et de bien d’autres manières, sa récompense est que les siens, que les Français, les hommes de son peuple, de sa nation, grâce à ce sacrifice, seront un tout petit peu plus près du bonheur que s’il n’avait pas accepté le martyre.

La récompense pour le communiste est affaire de l’espèce humaine et non de l’individu.

La croyance au progrès, au progrès indéfini et infini de l’homme, en la montée de l’humanité vers un soleil que, lui, ne verra point mais dont il aura préparé obscurément l’aurore, voilà ce qui anime et soutient le communiste, voilà l’idéal du communiste.

Entre cet idéal et l’idéal chrétien, il est sûr que moi j’ai choisi. Mais cela ne m’empêche pas de rendre hommage à ces chrétiens qui se conduisent sur cette terre, comme un communiste considère bel et bien qu’on se conduise. Je m’étonne souvent du peu de réciproque, du peu de charité chrétienne de certains catholiques devant la vie et la mort des communistes.
Il faut parler de la vie et de la mort des communistes.

C’est peu de concéder que l’homme communiste n’est pas l’homme au couteau entre les dents !

On se fait, hors des rangs communistes, une idée un peu simple de ce qui amène un homme à être communiste. Le plus généralement, les gens pensent que c’est par une manière de fatalité qu’on le devient, entraînement de milieu, de classe même, ou simplement par basse envie de ceux qui vivent mieux, jalousie de ceux qui possèdent… remarquez qu’on peut envier les autres, leurs biens, sans devenir communiste : c’est même là ce qui entraîne plus généralement les hommes au jeu, à la spéculation ou à l’escroquerie. Et les joueurs, les gens de Bourse et les escrocs sont rarement communistes [...]

L’homme communiste… il était un ouvrier comme un autre, celui-là, avec une femme, des enfants, travaillant, gagnant après tout sa vie, en 1936, quand au-delà des Pyrénées s’éleva l’appel tragique du peuple espagnol… et on a vu ces métallos, ces mineurs, ces simples comptables, des gens des Ptt, des cheminots… tout quitter, du jour au lendemain, tout donner et se battre. Pendant que les hommes qui aujourd’hui font les philosophes se demandaient si vraiment Mussolini et Hitler avaient envoyé des soldats en Espagne, et si nous devions nous mêler de cette histoire…

L’homme communiste qui a compris que défendre Madrid, c’était défendre Paris, comment était-il devenu communiste ? Par basse envie, par entraînement de milieu ? Ah, ce n’est pas un sujet d’ironie après ces terribles années, terribles pour les communistes dès 1939, quand ils furent jetés en prison, pourchassés, condamnés par ceux qui portaient comme eux le nom de français… ce n’est pas un sujet d’ironie, après ces années où même les anticommunistes forcenés n’oseraient pas publiquement dire que c’est pour des raisons basses, d’entraînement ou d’envie, que tant de communistes ont tout à la France donné !

Peut-être devient-on communiste, sans doute devient-on communiste, pour des raisons de classe. Et l’aveu en est sanglant aux lèvres de ceux qui sont les responsables de la solidarité ouvrière contre l’égoïsme bourgeois. Mais ces raisons de classe, à une époque où monte du meilleur de l’humanité, cette force pure, la force du travail producteur, ces raisons de classe, les partagent ceux qui sont nés ouvriers, et ceux qui du sein de la bourgeoisie où le hasard les a fait naître, reconnaissent dans la classe ouvrière la porteuse de l’avenir humain… et je vous le dis, oui, ce sont des raisons de classe qui font qu’un Langevin, un Joliot-Curie, un Picasso, un
Éluard deviennent des communistes. Mais ces raisons de classe, que les anticommunistes ne les invoquent pas trop haut ! Elles sont l’honneur des communistes. Un Langevin, un Joliot-Curie, un Picasso, un Éluard, il n’y a pas besoin de demander si c’est l’envie ou l’entraînement qui les a faits communistes.

L'homme communiste, ouvrier, paysan, intellectuel, c'est l'homme qui a une fois vu si clairement le monde qu'il ne peut pas l'oublier, et que rien pour lui désormais ne vaut plus que cette clarté là, pas même ses intérêts immédiats, pas même sa propre vie.

L'homme communiste, c'est celui qui met l'homme au-dessus de lui-même. 

L'homme communiste, c'est celui qui ne demande rien, mais qui veut tout pour l'homme". 

Louis Aragon 

 

Bon anniversaire à tous les cocos! Il y a 97 ans, le congrès de Tours...
920, le congrès de Tours Par Alexandre Courban, historien

SAMEDI, 8 MAI, 2004

L'HUMANITE

L'historien Alexandre Courban, retrace les circonstances de la création du Parti communiste par la majorité de l'ancienne SFIO au congrès de Tours et le rôle nouveau désormais dévolu au journal fondé par Jaurès.


Pourriez-vous dresser un tableau de la France de 1920 à l'orée du congrès de Tours ? Quelle est sa situation économique et sociale ?

Alexandre Courban. Nous sommes au sortir de la Grande Guerre. Neuf millions de soldats ont été tués, dont plus d'un million de Français et près de deux millions d'Allemands. Les années 1919-1920 sont marquées par des conflits sociaux extrêmement durs. Deux mille grèves réunissent plus d'un million de grévistes. La démobilisation commence en juillet 1919. Elle précède la victoire de la droite aux élections législatives de novembre 1919. La campagne électorale a lieu alors que se déroule une grève des imprimeurs à Paris. Deux journaux seulement paraissent dans la capitale : l'un avec l'autorisation du comité de grève, l'autre à l'initiative des grands patrons de presse. Les combattants qui ont la chance d'être rentrés n'ont donc pas accès à une information complète.

Au cours du premier semestre de l'année 1920, un grand mouvement social prend forme chez les cheminots. Les manifestations du 1er Mai 1920 se soldent par deux morts, comme c'est souvent le cas le 1er Mai à l'époque.

Au cours de ces journées, la SFIO va se scinder en deux et donner naissance au Parti communiste. La ligne de fracture se situe-t-elle réellement entre révolutionnarisme et réformisme, avec les vingt et une conditions d'adhésion à l'Internationale communiste (la troisième) comme pierre d'achoppement ?

Alexandre Courban. Lorsque le congrès s'ouvre, les participants savent qu'il va y avoir scission : l'état des forces en présence est connu grâce aux congrès fédéraux qui se sont tenus quelque temps auparavant. Mais alors que le congrès a pour principal objet l'adhésion à l'Internationale communiste, il n'existe pas de version française officielle des vingt et une conditions. Les militants les connaissent soit à partir d'une traduction allemande publiée dans la presse, soit à partir d'une version italienne. Cela signifie que le choix ne se fait pas en fonction des vingt et une conditions elles-mêmes, mais plutôt pour ou contre ce que les militants imaginent que seront les nouvelles pratiques politiques ; ils ne se situent pas complètement dans la réalité. Le véritable enjeu du congrès c'est : quelle va être la place accordée par les partisans de l'Internationale aux " reconstructeurs " comme Jean Longuet, militants favorables à l'adhésion avec des réserves ? Ensuite, au sein du Parti socialiste, le comité pour la IIIe Internationale, l'aile gauche du parti, s'allie avec une partie du " centre ". Mais idéologiquement, les choses n'évoluent pas immédiatement après le congrès. De 1921 à 1923 ont lieu au sen du nouveau parti des débats très importants pour décider du sens et de l'application des vingt et une conditions. Certains pensent longtemps que ces conditions sont purement formelles.

Le ralliement à la IIIe Internationale se fait à une écrasante majorité. Cela signifie-t-il que le socialisme français était plus révolutionnaire que ses homologues européens ?

Alexandre Courban. La majorité du Parti socialiste se prononce effectivement pour l'adhésion, par 3 208 mandats contre 1 022, ce qui n'est pas le cas dans les autres partis socialistes. Plusieurs interprétations rendent compte de ce phénomène. Tout d'abord, les jeunes membres du parti se sont massivement prononcés pour l'adhésion. Ensuite, celle-ci est davantage idéale que programmatique : il s'agit plus d'un rejet des anciennes directions du parti socialiste, de leur participation aux gouvernements d'" Union sacrée " que d'une adhésion réelle aux vingt et une conditions.

Cette adhésion se traduit-elle par une influence accrue des révolutionnaires russes au plan international ?

Alexandre Courban. Elle n'est pas perçue comme ça. C'est justement la raison pour laquelle les années qui suivent la scission sont compliquées au sein du Parti communiste, qui perd rapidement une partie de ses effectifs. Le noyau " bolchevik ", ex-comité pour la IIIe Internationale, prend de plus en plus d'importance au sein du nouveau parti. Et lors de son quatrième congrès, à la fin de l'année 1922, Trotski, au nom de la direction de l'Internationale communiste soucieuse d'homogénéiser le mouvement, impose aux militants français de choisir entre leur appartenance au Parti et à la Ligue des droits de l'homme ou à la franc-maçonnerie. C'est un moyen de se débarrasser des " intellectuels petit-bourgeois de gauche ". Certains, comme Marcel Cachin, renoncent à leurs autres organisations, mais d'autres comme Frossard, alors secrétaire général du parti, et quelques journalistes de l'Humanité, refusent cet oukase et démissionnent du parti le 1er janvier 1923. La grande inquiétude de l'Internationale en décembre 1922 était que le parti français perdît la majorité de ses militants et son quotidien.

Venons-en justement à l'Humanité. Quelle est sa place dans l'espace public avant de passer dans le giron du Parti communiste ?

Alexandre Courban. C'est un acteur politique au sens plein du terme. Le journal ouvre ses colonnes à toutes sortes d'initiatives. Il invite régulièrement ses lecteurs à venir financièrement en aide aussi bien aux victimes de la répression de la révolution russe en 1905, qu'aux familles des mineurs de Courrières après la catastrophe de 1906, qu'aux grévistes de Draveil en 1908 ou encore les cheminots en grève en 1910. C'est lui qui organise en 1913 la lutte contre le passage de deux à trois ans du service militaire en faisant signer des pétitions. Il joue le rôle d'" organisateur collectif ", pour reprendre une formule utilisée par Lénine.

Quel enjeu le contrôle du journal représente-t-il pour les socialistes du congrès de Tours ?

Alexandre Courban. Quelques semaines après la scission prononcée à Tours, en janvier 1921, se décide l'avenir du journal. Il s'agit très clairement pour les socialistes divisés de contrôler le seul quotidien de quatre pages diffusé nationalement à plus 150 000 exemplaires, et qui a de surcroît derrière lui seize ans d'histoire, donc un réseau d'abonnés et des habitudes de lecture. L'enjeu est de maîtriser le principal vecteur de la propagande du parti. Autre spécificité française, l'Humanité est le seul quotidien socialiste qui devient communiste. À ma connaissance, tous les autres journaux de ce type sont des créations.

Qui est alors propriétaire du journal ? Pourquoi suit-il la majorité du Congrès de Tours ?

Alexandre Courban. L'Humanité est une entreprise de presse au sens classique, son capital appartient à des actionnaires représentés par le trésorier du Parti, Zéphirin Camélinat, ou d'autres personnalités. Lors de l'assemblée générale de janvier 1921 qui décide du sort du journal, Camélinat répartit les actions au prorata des voix recueillies lors du congrès, soit 70 % en faveur des partisans de l'adhésion à la Troisième Internationale, et 30 % à ses adversaires. Philippe Landrieu, administrateur du journal quasiment depuis sa fondation, détient de son côté des actions achetées en 1907 par les partis sociaux-démocrates allemand, autrichien et tchèque. Pourtant proche de Jaurès, il se prononce pour l'adhésion. La famille de Jaurès, elle, ne se fait pas représenter. Contrairement à ce que l'historiographie et la tradition militante ont retenu, ce n'est pas le choix de Camélinat qui a permis au futur parti communiste de conserver le journal, mais la décision ou l'absence de décision des plus proches de Jaurès (sa famille et Landrieu). Camélinat ayant été " ministre des Finances " de la Commune de Paris et Landrieu exclu du parti en 1923, le Parti communiste fait le choix de mettre en avant cette figure historique de la Commune de Paris. Cela arrange également les socialistes qui peuvent alors faire croire que les communistes leur ont volé le journal de Jaurès.

Par quels changements, humains et éditoriaux, s'opère la mue de l'Humanité ?

Alexandre Courban. En 1921, les quelques journalistes opposés à l'Internationale communiste s'accordent avec leur choix politique et quittent le journal d'eux-mêmes. Les changements plus " visibles " surviennent deux ans plus tard, même si en novembre 1920, on pouvait déjà voir poindre des titres comme " Vive la République des Soviets " sur six colonnes à la une au moment de l'anniversaire d'Octobre. Les relations entre le journal et le parti ont rarement été simples. La première des conditions de l'Internationale est que les journaux soient dirigés par " des communistes authentiques, ayant donné les preuves de sacrifice à la cause du prolétariat ",selon la traduction française de la version italienne. Tout cela donne lieu à des débats intenses au sein du mouvement entre 1921 et 1924 sur la fonction de la presse, sur ce que doivent être les journalistes, qui doit procéder à leur nomination. À partir de 1921, le parti se transforme : l'objectif est désormais de prendre le pouvoir, y compris par la force, sur le modèle de ce qu'ont fait les bolcheviks en Russie. En parallèle à ce parti d'un type nouveau, les communistes souhaitent mettre en place un journal de type nouveau. Le rôle assigné au journal évolue, la ligne éditoriale connaît un net coup de barre à gauche. Comme le bureau politique du Parti doit aider le directeur à imprimer une ligne et à veiller à son respect, le journal ne peut pas être en porte-à-faux avec le Parti. Dès lors, l'Humanité doit devenir plus qu'un journal : l'organe central du Parti. En 1921 tout d'abord, le sous-titre, de " journal socialiste ", devient " journal communiste ". En 1923, il change une nouvelle fois pour devenir " organe central du Parti communiste (SFIC) "". En 1924, s'ouvre alors la période de la mise en pratique des décisions adoptées depuis 1921 : la " "bolchevisation ".

Entretien réalisé par Théophile Hazebroucq

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29 décembre 2017 5 29 /12 /décembre /2017 06:18

Entre le 20 octobre et le 20 novembre 1947, la commission des Activités anti-américaines auditionne onze réalisateurs, scénaristes et producteurs d'Hollywood. L'accusation n'a qu'un seul but : prouver l'appartenance de ces hommes au Parti communiste américain et l'infiltration communiste dans les studios. Les Dix d'Hollywood invoquent pour leur défense le 1er amendement de la Constitution. Un comité de soutien emmené par John Huston, Humphrey Bogart, Lauren Bacall ou Groucho Marx est créé. Mais l'Amérique a basculé dans la guerre froide. Condamnés, emprisonnés, les Dix sont interdits de travail. L'Humanité publie des extraits des auditions, souvent musclées, de ces hommes qui signèrent les plus beaux films d'Hollywood.

 

Alvah Bessie  a signé les scénarii du film Du sang sur la neige, de Raoul Walsh, ou encore celui de la Caravane des évadés, de Lewis R. Foster. Bettmann Archive

 

Audition d'Alvah Bessie

 

" M. BESSIE M. le président, j'ai moi aussi une déclaration que je souhaiterais lire devant cette commission, si vous voulez bien l'examiner, à moins que vous préfériez que je la lise ? (...)

LE PRÉSIDENT M. Bessie, bien que nous doutions de la pertinence de votre déclaration pour l'enquête, cela sera très évident quand vous la lirez.

M. BESSIE J'aimerais toujours avoir la permission de la lire.

LE PRÉSIDENT Juste une minute. Malgré tout le comité est prêt à vous laisser lire la déclaration. Nous nous demandons simplement, pour gagner du temps, si vous ne pouvez lire que les premiers paragraphes et ensuite, nous la verserons au procès-verbal, comme nous l'avons fait avec celle de M. Maltz.

M. BESSIE Je crois comprendre que le 1er amendement à notre Constitution interdit expressément au Congrès d'adopter une loi qui compromet la liberté de parole ou d'opinion. Et je crois comprendre que les commissions du Congrès sont constituées par le Congrès dans le but exprès d'enquêter sur une question qui pourrait conduire à un processus législatif au Congrès.

Maintenant, soit la Constitution et sa Déclaration des droits signifient ce qu'elles disent, soit elles ne signifient pas ce qu'elles disent. Soit le 1er amendement lie le Congrès et tous les corps législatifs de notre gouvernement, soit il ne veut rien dire du tout. Je ne peux pas suivre cette soi-disant commission dans sa croyance implicite selon laquelle la Déclaration des droits signifie ce que cet organe choisit de lui faire dire, ou n'est applicable qu'à ceux dont les opinions s'accordent avec celles de cette commission.

Ce sont les deux premiers paragraphes. Maintenant, les deux derniers paragraphes.

En venant me chercher chez moi, cet organe espère aussi raviver les braises de la guerre qui s'est déroulée en Espagne de 1938 à 1939. Cet organe, dans toutes ses manifestations précédentes, a déclaré qu'il jugeait le soutien à la République espagnole subversif, anti-américain et d'inspiration communiste. Ce mensonge a été engendré à l'origine par Hitler et Franco, et la majorité du peuple américain ­ en fait, la majorité des gens du monde ­ ne l'a jamais cru. Et je tiens, à ce stade, à ce qu'il soit inscrit ceci au procès-verbal : non seulement j'ai soutenu la République espagnole, mais combattre comme volontaire dans les rangs des Brigades internationales tout au long de l'année 1938 fut pour moi un privilège et le plus grand honneur qui m'ait été donné. Je continuerai à soutenir la République espagnole jusqu'à ce que les Espagnols, dans leur grandeur et leur force, destituent Francisco Franco et tous ses partisans et rétablissent le gouvernement légal que Franco et son armée de nazis et de fascistes italiens ont renversé.

La compréhension qui m'a conduit à combattre en Espagne pour cette République, et mon expérience de cette guerre m'apprennent que cette commission est engagée dans des activités exactement identiques à celles engagées par des commissions anti-espagnoles, des commissions anti-allemandes et des commissions anti-italiennes l'ayant précédée dans tous les pays qui ont finalement succombé au fascisme.

Jamais je n'aiderai ni n'encouragerai une telle commission dans sa tentative patente de favoriser ce genre d'intimidation et de terreur, qui est le précurseur inévitable d'un régime fasciste. Et je réitère donc ma conviction que cet organe n'a aucune autorité légale pour fouiller l'esprit ou les activités d'un Américain qui croit, comme je le fais, dans la Constitution, et qui est prêt à tout moment à se battre pour la préserver ­ comme je me suis battu pour la préserver en Espagne... "

 

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