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20 août 2021 5 20 /08 /août /2021 06:02
Quand Eugène Le Luc, fondateur du groupe FTP Justice à Morlaix, et frère jumeau du résistant fusillé Maurice Le Luc, évoquait sa résistance à Françoise Le Borgne dans Ouest-France en 2001

En ces temps où l'on parle de libération voici Eugène Le Luc, frère jumeau de Maurice Le Luc, résistant FTPF de Morlaix fusillé, qui parle en 2001 sur Ouest-France de ses camarades de résistance.....

Lire aussi: La résistance FTP à Morlaix: le témoignage d'Eugène Le Luc recueilli par le Télégramme et Jeannine Guichoux (mémoire universitaire)

Il y a 100 ans naissaient Maurice et Eugène Le Luc, combattants de la Résistance FTP à Morlaix

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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 05:41

Journée d’étude de la Société française d’histoire politique en lien avec les Fondations Jean Jaurès, Gabriel Péri et la MSH Dijon, le vendredi 4 juin 2021

Deuxième séance (voir la première séance qui a eu lieu 15/01/2020).

«Même orienté d’en haut, il a été fait d’en bas», Ernest Labrousse

L’enquête lancée par la SFHPo sur le congrès de Tours avance assez bien (presque une quarantaine de fédérations font l’objet d’une analyse précise), même si les archives n’ont pas toujours été accessibles en cette période de confinement. En revanche, grâce à Gallica et à Retronews, mais aussi la coopération avec d’autres institutions, (comme le Maitron, le Musée d’histoire vivante de Montreuil, les archives mises en ligne sur le portail PANDOR de la MSH de Dijon et les Fondations Jean Jaurès et Gabriel Péri), nous serons en mesure de proposer une synthèse renouvelée.

Non seulement grâce à un travail de dépouillement exhaustif sur les délégués ou militants présents à Tours (qui modifiera un peu les données jusqu’à l’heure publiées grâce au film de la fondation A. Kahn et les photographies entièrement revues), mais aussi sur les fédérations et les enjeux locaux cumulés aux enjeux nationaux et internationaux.

Le rôle de la presse et des journalistes envoyés à Tours est aussi fondamental dans ce travail. Toutefois derrière les logiques locales, fédérales, il est utile de replacer cet événement dans une histoire transnationale où circulent les femmes, les hommes… et les idées. Sans bouleverser les acquis historiographiques, plusieurs éléments structurent ce moment : le poids de la Première Guerre mondiale et le sentiment de trahison laissé (ou pas) par l’Union sacrée, la dénonciation du « parlementarisme bourgeois » (ou pas) et les espoirs suscités par les mouvements sociaux et révolutionnaires de la période (mais aussi leur échec et la répression), sans négliger la théâtralisation du Congrès (télégramme de Zinoviev, arrivée de Clara Zetkin). Pour autant, l’ombre des pères fondateurs de la SFIO, en premier lieu Jaurès, plane sur les débats. La déchirure du mouvement socialiste marque les militants présents.

Dès lors une typologie des fédérations sera proposée.

Les interventions prévues :

  • Jean Vigreux, «Synthèse sur l’ensemble des fédérations», à partir des réponses de l’enquête qui s’achèvera pour l’automne 2021 et qui sera présentée pour le colloque de décembre 2021 à Tours
  • François Prigent, «Le Congrès de Tours à l’échelle d’une région: la Bretagne»
  • Pierre Mathieu, Serge Wolikow, «Le Congrès de Tours dans l’Aube»
  • Philippe Mezzasalma, «La presse et l’importance de RetroNews/Gallica»

 

 

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14 août 2021 6 14 /08 /août /2021 05:46
De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

 

 

Après quelques mois de pause (au second semestre 1935), Octobre se voit propulsé dans le formidable tourbillon qui va conduire le pays vers le Front populaire. Selon Roger Blin : « Nous n’avions cessé d’appeler de nos vœux une telle apothéose. Et nous avions tout fait, très tôt, pour l’avènement du Front populaire. D’abord en nous situant par notre travail sur le plan de la lutte des classes, puis en signant dès 1934 nombre de manifestes pour étendre l’unité d’action. »

Les membres du groupe sont au cœur de toutes les grandes manifestations populaires de ces premiers mois de 1936 : une célébration de la Commune en mai particulièrement imposante : « Les manifestations en l’honneur de la Commune, observe Jean-Paul le Chanois, étaient toujours très massives, mais celles de 36 eurent un éclat encore plus grandiose. Le spectacle en lui-même choquait beaucoup car il y avait tellement de monde que certains groupes se juchaient sur de vieilles tombes. Des chœurs parlés fusaient. On disait des textes de Vallès, des poèmes d’Hugo, Verlaine, Rimbaud (notamment « Les Mains de Jeanne-Marie »)… » Il y aura plus tard les cérémonies tout aussi spectaculaires du 14 Juillet.

La troupe joue le « Tableau des merveilles », qui sera son dernier spectacle. Une adaptation de Cervantès où l’on retrouve Jean-Louis Barrault, Maurice Baquet, Roger Blin, les frères Mouloudji, Gilles Margaritis, de nombreuses comédiennes aussi. Octobre multiplie les représentations devant le public ouvrier, celui des grèves de 36. Un article de l’Humanité de juillet raconte un de ces spectacles devant plusieurs centaines de grévistes de la Samaritaine et l’accueil de ces derniers : « Cet humour féroce, frénétique, crispé d’un animateur du groupe Octobre, Jacques Prévert, et qui sourd de ces âcres refrains ou poèmes qu’on leur chante, peut-être les déconcerte-t-il un peu mais il les émeut et les fait rire aussi. Ils sentent confusément tout ce qu’il y a de vif, de sain, de rageur et de tendre dans ces jeunes femmes et ces jeunes gens qui croient à la force du lyrisme et à la force du peuple. L’ironie, si difficile à faire comprendre à un public populaire, raille ici ce dont ils souffrent : morale égoïste, « travail libérateur », production inhumaine. Ils sont aussi sensibles à cela qu’à l’admirable clownerie poussée au paroxysme de deux musiciens d’harmonium et de violoncelle qui arrivent à s’enchevêtrer follement dans leurs instruments, leur musique, leurs partitions, leurs chaises, leurs pupitres et leurs propres membres, bras et jambes. »

Mais, comme dit Maurice Baquet : « Le tableau des merveilles fut au groupe Octobre ce que le bouquet final est au feu d’artifice. » La troupe en effet va se séparer. Étrange décision après un été si flamboyant. Il n’y a pas de fâcheries entre les membres de la troupe, qui garderont des liens entre eux, mais l’aventure est terminée. Pourquoi ? Les interprétations sont nombreuses. Peut-être considèrent-ils que la mission fixée, faire entendre une culture populaire, est arrivée à son terme avec la victoire de la gauche ? ou, tout au contraire, anticipent-ils la fin proche du Front populaire, comète qui n’aura duré que quelques mois ? Veulent-ils s’épargner la violence de l’échec à venir ? Des historiens feront état de différences politiques qui traversent alors Octobre, et les raisons de débat sont nombreuses : des différences de vues existent sur certaines orientations du Front populaire (et du PCF), sur la manière de regarder l’URSS, sur la situation espagnole et les divisions entre républicains. On parle aussi de difficultés d’ordre financière de la troupe ou encore de l’attirance de plus en plus forte de ces acteurs/actrices pour le cinéma. C’est probablement Jean-Paul le Chamois qui a la solution : « Je crois que le groupe Octobre a été très touché par les besoins du Front populaire. Le Front populaire avait besoin d’hommes jeunes et dynamiques. Il les a pris parmi ses militants. Ainsi beaucoup d’animateurs de groupes du théâtre ouvrier se sont retrouvés secrétaires de mairie, administrateurs de ceci, responsables de cela, détachés à tel syndicat… Le Front populaire a puisé dans ses forces vives, affaiblissant ainsi considérablement les organismes existants. »

On laissera le mot de la fin à Michel Fauré, historien du groupe Octobre : « La lutte pour le pain, la paix, la liberté reste un combat éternel. Le Groupe Octobre l’a posé en termes d’amitié, de joies de vivre et d’entraide. Telle est son originalité et en même temps le gage que son exemple fera longtemps encore frissonner les « hommes à têtes d’hommes ». 

Gérard Streiff

 

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14 août 2021 6 14 /08 /août /2021 05:44

Berceau des luttes des travailleurs et des usines Fiat, la ville piémontaise reste l’un des hauts lieux de l’industrialisation de l’Italie et des combats de la gauche dans la péninsule italienne.

 

 

Durant des décennies, le cœur battant de la lutte des travailleurs a emprunté la route du Sud. Quelques jours avant que Karl Marx et ses acolytes ne fondent la Ire Internationale, le 28 septembre 1864, ouvriers et artisans s’étaient déjà soulevés dans la capitale italienne d’alors : Turin. Ce n’est pas la révolution, comme celle de la Commune, à Paris, sept ans plus tard, mais c’est déjà une rébellion, l’une des premières du mouvement ouvrier naissant dans la péninsule.

 

Tous venus du nord, du centre et du sud de la péninsule

Les 21 et 22 septembre, la majestueuse place San Carlo, surnommée le « salon de la ville », dans le centre de la ville piémontaise, est le théâtre d’affrontements. On compte les morts par dizaines. Ils sont artisans, marchands de chaussure, tailleurs, ouvriers, vitriers, typographes, fondeurs, machinistes, menuisiers, etc. Peu venaient de Turin, beaucoup des autres zones du nord, du centre et même du sud de la péninsule. En quête d’un avenir meilleur.

À l’origine du soulèvement, une décision du royaume d’Italie, unifié trois ans plus tôt, qui peut paraître anodine : le transfert de la capitale à Florence. Outre la perte de prestige pour la cité, cela signifiait – chose moins anodine – une perte d’emploi pour ceux qui fournissaient la cour, les bureaucrates. Qu’à cela ne tienne. En quelques années, déchue de son titre de capitale du royaume, Turin allait devenir la capitale de la gauche.

 

Là où Fiat s’est établie et règne en maître

Avec le temps, le poumon ouvrier de la capitale s’est déplacé vers le sud de la ville, là où Fiat, née en 1899, s’est établie et règne en maître. En 1900, sur le Corso Dante, s’installe la première usine de la firme automobile. Rien à voir avec les gigantesques ateliers qui verront le jour vingt ans plus tard. On ne compte au départ que 120 ouvriers, mais ils seront 1 500 six ans plus tard. La production annuelle est alors de 1 150 voitures. Pendant la Première Guerre mondiale, 18 000 salariés travaillent à Corso Dante, où l’activité s’arrêtera en 1922, les locaux devenant trop exigus.

 Découvrez tous les articles de cette série en un seul clic

Ce lieu reste l’un des plus vieux de la lutte ouvrière en Italie. Il fut le théâtre du « biennio rosso », ces deux années rouges – 1919 et 1920 – où l’Italie faillit basculer, inspirée par le soleil de l’avenir qui s’était levé à l’Est, dans le camp de la révolution. Toute l’année 1919, la conflictualité sociale s’aiguise. Au second semestre, sous l’influence de la rédaction du journal socialiste l’Ordine nuovo (« ordre nouveau »), au sein de laquelle on trouve les futurs secrétaires du Parti communiste italien Antonio Gramsci et Palmiro Togliatti, les ouvriers de la ville forment des comités d’usine, élisent leurs représentants, sur le modèle des soviets, qui ont vocation à aller au-delà de la seule représentation syndicale.

« La bataille est finie, la guerre continue » 

ORDINE NUOVO

Le conflit entre patronat et ouvriers est permanent

Le 20 mars, le passage à l’heure d’été, peu populaire, entraîne la « grève des aiguilles » dans les usines Fiat. Les salariés demandent à pouvoir embaucher, le 21 mars, une heure plus tard. Le patronat refuse. Face à cette affirmation du pouvoir des directions d’entreprise, les commissaires des conseils de la Fiat avancent alors d’une heure les aiguilles de l’horloge de l’usine. Ils sont licenciés. Une grève est déclenchée qui s’étend à toutes les usines de la ville. Le patronat fait fermer les établissements, qui ne rouvriront qu’après le 23 avril, le syndicat de la métallurgie Fiom acceptant une réduction des pouvoirs des commissions internes. « La bataille est finie, la guerre continue », proclamera l’Ordine nuovo.

La conflictualité est permanente. Ainsi, en juillet 1919, une grève est organisée pendant deux jours en soutien aux soviets de Hongrie et de Russie. En août 1920, le patronat, la Confindustria, adresse une fin de non-recevoir aux demandes des travailleurs. Partout dans le pays, la Fédération des ouvriers et employés de la métallurgie (Fiom) organise un ralentissement de la production. En réponse, le 30 août, le patronat fait entourer par l’armée une usine de la Romeo à Milan. Les salariés, parfois en armes, occupent alors 3 000 établissements dans cette ville. La Confindustria fait fermer toutes les usines de la péninsule. Les ouvriers en occupent donc une grande partie, comme à Turin. À la Fiat Centro, le futur communiste Giovanni Parodi s’assied dans le siège de Giovanni Agnelli, fondateur du groupe.

 

Les moyens de production sont socialisés

Le conseil d’usine gère l’approvisionnement, la production, comme dans les autres fabriques. Trente-sept voitures sortent de la ligne de production quotidiennement. Les moyens de production sont socialisés. Mais faute de s’étendre au-delà de Milan et Turin, les directions socialiste et syndicale n’empruntant pas la voie révolutionnaire, cette expérience fera long feu. À la suite des épisodes de violence, le président du Conseil, le libéral Giolitti, organise des discussions entre le syndicat et le patronat. Peu à peu, l’ordre revient. Il ne sera pas nouveau, comme le souhaitaient les socialistes turinois. Deux ans plus tard, les fascistes, appuyés par des industriels animés par la peur du rouge, marchent sur Rome.

 

Les quartiers ouvriers sont tous au sud de Turin

Turin restera terre de luttes et capitale ouvrière. Mais son cœur battant se trouvera plus au sud de la ville. En 1922, la Fiat crée un nouveau quartier industriel, le Lingotto, inspiré des très modernes usines Ford, aux États-Unis, modèles de l’organisation scientifique du travail. On y trouve une piste de courses automobiles, mais les lieux sont désormais transformés en centre commercial, signe des investissements de la famille propriétaire Agnelli vers autre chose que l’industrie. Mais, plus au sud, un autre quartier, Mirafiori, créé à partir de 1936, vit encore au rythme de l’industrie. Les usines se succèdent aux usines. Les routes se croisent en surface. On compte onze kilomètres de sous-sols qui relient les différentes usines. Le quartier compte 20 kilomètres de voies ferroviaires. Il y a même une usine électrique.

«Agnelli, l’Indochine, tu l’as dans ton usine »

C’est là qu’en 1943, « l’officina 19 » se met en grève, faisant vite entrer dans le mouvement social pas moins de 100 000 ouvriers. C’est un coup dur pour le régime fasciste, qui s’effondrera quelques mois plus tard. En 1969, Mirafiori est à nouveau le poumon des luttes des métallurgistes. On doit cette année-là 7 % des 20 millions d’heures de grève enregistrées dans le secteur aux ouvriers de la Fiat. L’inventivité n’est alors pas un vain mot.

Un conseil central inspiré des conseils d’antan est installé : le « consiglione », qui animera les luttes. La « grève articulée » apparaît. Un atelier fait grève, ne fournissant plus les pièces aux autres, qui ne peuvent donc plus travailler. Pour populariser leurs luttes, les syndicalistes organiseront des « cortèges internes » qui passent d’atelier gigantesque en atelier gigantesque. Parfois au cri de « Agnelli, l’Indochine, tu l’as dans ton usine ». Depuis, la crise des années 1970-1980 est passée par là, les restructurations des années 2000 également, et le nombre d’ouvriers a certes baissé. Mais les lieux restent l’une des plus grosses citadelles ouvrières et industrielles du beau pays.

Un parc pour les victimes d’accident de travail. La mémoire ouvrière est faite de luttes, mais aussi de tragédies. À l’est de Turin, on trouve des jardins publics, le long de la rivière Dora Riparia, au sud de la Borgata Frassati. C’est le Parc des victimes de l’incendie dans l’établissement de ThyssenKrupp, situé non loin de l’usine qui a flambé, le 6 décembre 2007. On trouve beaucoup de rues pour les « Tombés au travail » dans la Péninsule. Mais cet incendie fut particulier. Il se déclencha sur la ligne 5 de l’usine ThyssenKrupp et tua sept personnes, soit le plus meurtrier des accidents de travail de ces dernières décennies. L’enquête montrera que les mesures de sécurité n’ont pas été prises, avec des matériaux incendiaires dans l’établissement. Elle fut exemplaire et permis, chose rare, de condamner plusieurs dirigeants à de la prison ferme pour homicide. « C’est une victoire, une victoire pour nous et pour toutes les victimes mortes au travail », réagirent alors les familles des victimes.

 

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13 août 2021 5 13 /08 /août /2021 05:37

 

Chômage de masse, défiance de la jeunesse, scandale des diamants de Bokassa, affaire Papon et discipline de l’électorat de gauche ont bouleversé la présidentielle de 1981. Un an avant le 10 mai, Valéry Giscard d’Estaing était donné loin devant.

Juin 1981. Valéry Giscard d’Estaing rumine sa défaite survenue le 10 mai. L’ancien président de la République a trouvé refuge en Grèce, dans un monastère orthodoxe niché sur le mont Athos. Comment a-t-il pu se retrouver si loin de l’Élysée ? Un an avant le soir du second tour, un sondage le donne pourtant gagnant face à François Mitterrand, avec le score canon de 61 % des voix. Un écart bien supérieur à celui obtenu lors de sa victoire face au même homme en 1974.

De quoi endormir toute prudence ? Nous sommes alors en mai 1980 et VGE déclare à « l’Express » avoir déjà réalisé les trois quarts de ce qu’il souhaitait faire. Les dernières échéances électorales ont même tourné à son avantage : la majorité présidentielle a remporté les législatives de mars 1978, et même les européennes de juin 1979. Aucun autre président de la Ve République ne pourra en dire autant.

La majorité a gagné les législatives de 1978, et même les européennes de 1979. Aucun autre président de la Vne pourra en dire autant.

La présidentielle de 1981 semble donc lui sourire. L’Union de la gauche a volé en éclats entre les socialistes, les communistes et les radicaux. Mieux : François Mitterrand est de plus en plus contesté au sein du PS par Michel Rocard. Et le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, prépare sa candidature en annonçant que « si ­Mitterrand est élu à la tête de l’État, il fera la même politique de droite que Valéry ­Giscard d’Estaing ». Le président est également persuadé de s’être mis la jeunesse dans la poche, grâce à plusieurs ­réformes sociétales courageuses : le droit à l’avortement, la majorité civile et électorale à 18 ans, le divorce par consentement mutuel. Mais les réformes dans les lycées et universités, les lois liberticides portées par le ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, et la brutalité du ­ministre de l’Intérieur, ­Michel Poniatowski, achèvent de rendre VGE de plus en plus impopulaire auprès de la jeunesse. Sur le front de l’emploi, il perd aussi des points.

 

C’est sous son mandat, en répondant au choc pétrolier par une libéralisation de l’économie, une casse de l’industrie et une ­rigueur budgétaire inédite, que s’installe le chômage de masse. Le cap du million de chômeurs est, pour la première fois, franchi. Mais VGE se croit bon gestionnaire et s’enorgueillit d’avoir nommé à Matignon celui qu’il estime être le « meilleur économiste de France » : ­Raymond Barre. Pour répondre à la crise économique, le gouvernement lance le CDD, faisant le pari qu’un contrat plus précaire que le CDI permettra de relancer l’activité. Peine perdue.

VGE ne voit pas la situation basculer, lui qui avait pourtant créé la surprise en 1974. Mitterrand écarte Rocard à la suite d’un savant renversement d’alliance au PS. Tant mieux, se dit la Giscardie, persuadée que Rocard, situé à l’aile droite de son parti, aurait été un adversaire plus dangereux. Quant à la candidature de Coluche, qui monte à 16 % avant de décrocher, elle n’inquiète pas outre mesure. « Qui voudrait d’un candidat soutenu du bout des lèvres à la fois par Rocard et par ­Coluche, et que les communistes ne veulent pas voir gagner ? » se rassurent les giscardiens, qui ne comptent pourtant pas que des amis à droite. Un de ses ­ténors est bien décidé à prendre la place de VGE : son ancien premier ministre, un certain Jacques Chirac, tout frais élu maire de Paris.

Le refrain de Georges Marchais

En janvier 1981, le candidat du PCF, Georges Marchais, baisse le ton contre Mitterrand, et réclame même une présence des communistes au gouvernement en cas de victoire du socialiste, ce qui constituera une formidable réserve de voix au second tour. « Battre Giscard » devient le refrain préféré de Marchais, qui propose « d’éliminer complètement le chômage » à travers la création de 1,5 million d’emplois, dont 1 million grâce à la réduction du temps de travail et 200 000 dans les services publics. Raymond Barre sourit. François Mitterrand, devant les 18 % de Marchais dans les sondages, propose de « changer la vie » en présentant une feuille de route de 110 propositions qui, si elle rompt avec le programme commun de la gauche, est résolument tournée de ce côté.

« Pourquoi ai-je échoué ? En raison du chômage ? D’une lassitude des Français ? J’étais crédité de 60 % de bonnes opinions et puis, tout à coup... », écrira plus tard VGE.

Le 16 mars, Mitterrand se ­déclare contre la peine de mort dans sa « conscience profonde » et annonce qu’il l’abolira s’il est élu. Huit jours plus tard, Jacques Chirac annonce qu’il supprimera lui aussi la peine capitale en cas de victoire de son camp. Les ministres de VGE expliqueront plus tard avoir voulu abolir la peine de mort en fin de mandat avant que l’Élysée n’y renonce par crainte de déplaire aux Français…

Affaires Boulin et de Broglie

Le président sortant déclare finalement sa candidature en mars 1981, reconnaît son échec concernant le chômage et l’emploi des jeunes, et ­promet un plan pour le plein emploi. Il essuie ensuite l’immense ­polémique des diamants offerts par le dictateur Bokassa, avant de le faire renverser en Centrafrique. VGE admet avoir reçu des pierres précieuses entre 1973 et 1975, mais assure avoir remis le montant à des organisations caritatives ! Le scandale va le poursuivre durant toute la campagne, les militants de gauche collant des diamants à la place de ses yeux sur ses ­affiches officielles.

Ce n’est pas le seul événement qui entache sa crédibilité. Fin 1979, le ministre du Travail, Robert Boulin, est retrouvé mort dans un étang. Jean de Broglie et Joseph Fontanet, tous deux anciens ministres, sont assassinés, ce qui participe à entretenir un climat politique particulièrement délétère. « On meurt beaucoup et beaucoup trop mystérieusement sous la Ve République », s’inquiète le sénateur de droite Pierre Marcilhacy. En fin de campagne, une révélation majeure vient frapper de plein fouet VGE : son ministre du Budget, Maurice Papon, a participé à organiser la déportation des juifs sous ­Vichy. Le président reste confiant, ­refusant même d’utiliser une photo dénichée par ses équipes qui montre un Mitterrand reçu par Pétain en 1942.

L’« homme du passé » face à l’« homme du passif »

Comme en 1974, VGE et Mitterrand se retrouvent au second tour en 1981, avec 28,32 % des voix pour le premier et 25,85 % pour le second. À gauche, Georges Marchais, qui a obtenu 15,35 % des suffrages, appelle à voter pour le candidat socialiste. Mais, à droite, Jacques Chirac ne se prononce en faveur de VGE qu’à « titre personnel ». Les deux adversaires s’affrontent lors d’un débat télévisé au cours duquel le champion de la gauche, qualifié « d’homme du passé » par VGE sept ans plus tôt, lui rétorque que lui est devenu « l’homme du passif ». Au second tour, Mitterrand l’emporte avec 51,76 % des voix. Les sondages le donnaient battu avec un score de 39 % un an plus tôt…

Il obtient finalement un million de voix de plus que VGE, et rassemble largement le vote des jeunes et des ouvriers. La gauche s’impose pour la toute première fois dans l’histoire de la Ve République. VGE lance un « au revoir » télévisé devenu mythique dont la solennité tombe à plat. « Pourquoi ai-je échoué ? En raison du chômage ? D’une lassitude des Français ? J’étais crédité de 60 % de bonnes opinions et puis, tout à coup, une tornade s’est levée. C’est un phénomène étrange », écrira-t-il bien plus tard, une fois revenu du mont Athos, sans avoir compris pourquoi rien ne se passe jamais comme prévu. La présidentielle de 1988 en sera une nouvelle illustration.

 

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12 août 2021 4 12 /08 /août /2021 05:30

 

Fermé à la fin des années 1980, le site d’extraction minière du Valenciennois a recouvré une seconde jeunesse. Transformée en lieu dédié à l’image et aux nouveaux médias numériques, l’ancienne mine, dans laquelle a été tourné Germinal, de Claude Berri, a réussi sa reconversion en conservant les vestiges parfaitement rénovés de son passé ouvrier.

Les trois chevalements d’Arenberg percent toujours le ciel bas du Valenciennois. Comme un défi à la mémoire, une invitation à se souvenir des milliers de gueules noires qui, des entrailles de cette fosse, remontèrent près de 32 millions de tonnes de charbon en près d’un siècle d’exploitation.

Ce 31 mars 1989, les journaux télévisés ont le ton mâtiné de nostalgie, alors que le seul site du bassin minier de Valenciennes encore en activité ferme définitivement ses portes. Les caméras et les appareils photo des journalistes se pressent pour graver sur pellicule l’ultime sortie des derniers mineurs de fond d’Arenberg. « C’est triste, oh oui, c’est triste. Mais c’est comme ça, il faut bien que ça se termine », lâchera l’un d’eux dans un sourire forcé, le casque grisâtre sur la tête et le visage encore noirci des poussières de charbon.

La récession des années 1970

À l’aube d’une nouvelle décennie, s’écrivent ce jour-là les derniers mots d’un illustre chapitre de notre histoire industrielle ouvert en 1899, lorsque la Compagnie des mines d’Anzin inaugure la fosse d’Arenberg, quatre ans avant sa mise en exploitation effective en 1903. Très vite, le site devient la colonne vertébrale des activités de la compagnie. Le fleuron du bassin minier atteint des productions record dans la première moitié du xxe siècle, dégageant des tréfonds plus de 450 000 tonnes par an au tournant des années 1930. Dans les années 1960, plus de 2 000 mineurs s’affairent sur le site d’Arenberg. Mais bientôt la récession des années 1970 conjuguée à l’épuisement naturel des ressources et la décision politique de mettre un terme à l’activité extractive des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais – ces entités nationalisées à la Libération qui gèrent les anciennes concessions privées – auront raison de la fosse d’Arenberg. Les trois puits sont remblayés dans la foulée et les imposants bâtiments de briques rouges, laissés à l’abandon.

Pourtant, loin de devenir l’une de ces friches industrielles vaguement évocatrices d’un passé glorieux, le site minier situé sur la commune de Wallers est parvenu à renaître. Une deuxième vie, qui, aux ténèbres de la mine, verra succéder les lumières du septième art. Aujourd’hui, plus de trente ans après la dernière remontée des gueules noires, les trois chevalements d’Arenberg marquent désormais l’entrée du site d’Arenberg Creative Mine, lieu de tournage, pôle d’études et de conférences dédiées à « l’image et aux arts numériques d’avenir ». Un destin tout tracé, un trait d’union entre réalité et fiction esquissé ici dès 1992, lorsque Claude Berri, trois ans à peine après la fermeture de la mine, a fait d’Arenberg le décor idéal de son célèbre Germinal. « Il y a une logistique très importante, on ne fait pas Germinal comme ça, en deux minutes, il faut s’y prendre des mois et des mois à l’avance », confie le réalisateur en ce 18 janvier 1992 alors qu’il effectue, sur le site de l’ancienne mine, un sixième repérage avant tournage, flanqué de son directeur de la photographie, du chef décorateur et de Renaud, chanteur populaire qui campe dans Germinal, aux côtés de Miou-Miou et de Gérard Depardieu, le rôle d’Étienne Lantier, un jeune chômeur devenu mineur. Face à la caméra de FR3, le réalisateur lance même un appel aux téléspectateurs, potentiels figurants : « Lisez, relisez Germinal et écrivez pour dire : j’ai lu le roman et je crois que je serai bien pour ce rôle. » Pendant que Berri balise son tournage, Renaud, fils d’une mère ayant vécu à Valenciennes et petit-fils de mineur à Lens, s’imprègne des lieux et du personnage dont, « pour des raisons historiques et familiales », il se sent « proche ». Au micro de FR3, l’acteur-chanteur poursuit en confiant : « Par son itinéraire d’éducation, par son itinéraire politique, Lantier me fascine. »

Si Germinal a su rendre à la mine d’Arenberg toute la splendeur de son architecture, le site, inscrit aux monuments historiques depuis 1992, n’en reste par moins menacé. Il aura fallu l’indéfectible mobilisation d’anciens mineurs et d’acteurs locaux, au premier rang desquels le maire communiste de Saint-Amand-les-Eaux, Alain Bocquet, pour acter la sauvegarde d’un tel patrimoine ouvrier. En sa qualité de président de la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut – qui ira jusqu’à installer son siège sur le site minier en 2001 –, l’élu participera à l’impulsion d’une véritable dynamique de revitalisation du bassin minier. C’est dans cette perspective qu’en 2002 la communauté d’agglomération lance un vaste appel à projets, dont la plupart se trouvent tournés vers l’image et le cinéma.

Au patrimoine mondial de l’humanité

En 2005, débutent de colossaux travaux de rénovation du site de Wallers-Arenberg. D’abord, les bâtiments les plus anciens, puis « les parements des bâtiments datant du xix siècle. Les maçonneries sont en brique locale couronnée de cordon en pierre de Lunel originaire des carrières du Boulonnais », détaille la plaquette d’Arenberg Creative Mine. Deux ans plus tard, le clos et le couvert (qui assurent l’étanchéité à l’eau et à l’air) du bâtiment des recettes, surmonté de son chevalement, sont également restaurés, ainsi que la passerelle, le bâtiment sanitaire et la salle des pendus – vestiaire où les mineurs suspendaient leurs vêtements au plafond. Ce type de pièces qui comprenaient aussi des douches a équipé la grande majorité des sites d’extraction du début du xxe siècle. En tout, plus de 11,5 millions d’euros seront investis dans la rénovation des lieux et leur transformation. Cette nouvelle page de l’histoire de la mine s’ouvre officiellement en 2015, par l’inauguration de ce nouveau lieu consacré à l’image et aux médias numériques, en partenariat avec l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC), en présence du réalisateur Costa-Gavras et d’un millier d’invités. Ce jour-là, Alain Bocquet ne cache pas sa fierté de voir le projet aboutir. « Mon rêve, c’est qu’ici il y ait beaucoup d’étudiants, beaucoup de personnes qui viennent visiter (le site), que des gens viennent manger dans ce qui sera demain le restaurant, que s’y tiennent des séminaires d’entreprise, qu’il y ait de la vie », déclarera l’élu communiste.

Entre-temps, le 30 juin 2012, l’Unesco inscrit 353 biens du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l’humanité. Parmi eux, le lot numéro 15, le plus vaste en termes d’envergure, comprend, entre autres, Wallers et la fosse d’Arenberg des mines d’Anzin.

Trois décennies après la mise à l’arrêt définitif de son activité, le site nordiste a réussi sa reconversion. Plus de 50 films, téléfilms et clips y ont été tournés. Pari réussi. À Wallers-Arenberg, la mémoire des mineurs côtoie le cinéma, l’innovation et les nouvelles technologies. Et des briques rouges de ses monumentaux bâtiments, transpire désormais ce subtil équilibre où se conjuguent le passé et l’avenir.

Les terrils d’arenberg, l’un préservé, l’autre exploité

L’exploitation de la fosse d’Arenberg pendant quatre-vingt-dix ans a créé, aux abords du site, deux terrils – immenses amas de résidus miniers issus de l’excavation et composés de schistes –, l’un conique, l’autre plat. Ce dernier, mesurant 20 mètres de hauteur sur quelque 2 kilomètres d’envergure, est entièrement préservé. En 2012, il faisait en effet partie du lot 15, classé, au même titre que 353 autres lieux du bassin minier, au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. En revanche, le terril conique, monumental, a quant à lui été exploité dès 1980. Atteignant 105 mètres de haut pour 77 000 mètres carrés de superficie au sol et lourd d’au moins 2,5 millions de mètres cubes de matériaux, il a fourni, entre autres, plus de 800 000 tonnes de terres de remblais aux entreprises du BTP œuvrant, à l’époque, à la construction de l’autoroute Lille-Valenciennes. Le terril conique d’Arenberg fut vendu, comme beaucoup d’autres, par les houillères gestionnaires à une société concessionnaire pour trente ans. Au début des années 1980, il en coûtait aux entreprises acheteuses de ces schistes de première qualité de 5 à 10 francs la tonne (de 0,76 à 1,52 euro).

 

 

 

 

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12 août 2021 4 12 /08 /août /2021 05:29

 

De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

 

 

À Leningrad puis à Moscou, la troupe est accueillie « comme des Very Important People, dirait-on aujourd’hui, assure Arlette Besset. Excellente organisation pour un pays qui, en 1933, commençait seulement à surmonter ses difficultés internes et où la misère était visible à chaque coin de rue. Tous les groupes étaient logés, nourris, transportés et chaleureusement accueillis dans les clubs, les usines et les théâtres où ils jouaient. » À Leningrad, ils sont logés à l’hôtel Octobre, le bien nommé.

Jacques Prévert est ravi du séjour : « Il y avait des troupes extraordinaires qui venaient de tous les pays, il y avait surtout des troupes russes qui venaient de très loin, de provinces très éloignées, qui jouaient des pantomimes extraordinaires. Nous avons reçu un accueil enthousiaste, les gens comprenaient bien, c’était facile parce que ce sont des choses courtes que l’on pouvait traduire très facilement, et surtout c’était de la pantomime, les Russes étaient ravis, cela leur plaisait beaucoup. »

Au Grand Théâtre de Moscou (où Prévert joue Nicolas II et Hitler), le groupe Octobre remporte le Premier Prix des Olympiades ! Le Chanois avoue : « Je dois dire que nous avions épaté les Russes. Nous en avions beaucoup rajouté et ils étaient très stupéfaits par ce genre de théâtre. »

Sur les impressions d’URSS, en vérité, il y avait dans le groupe des enthousiastes et d’autres plus réservés mais, au retour à Paris, la camaraderie entre membres de la troupe reste intacte, en grande partie grâce au dynamisme de Jacques Prévert : « C’était sa grande époque, dit son frère Pierre, il était brillant, intarissable. » Les répétitions reprennent bientôt avenue Mathurin Moreau.

Les tensions politiques en France s’avivent. Les fascistes s’agitent beaucoup (journées de février 1934), les ripostes antifascistes s’organisent et le groupe Octobre se montre particulièrement actif dans les milieux ouvriers : maisons des syndicats, siège de la cellule communiste du XVIIIe arrondissement, goguettes, bistrots, usines. Un de leurs textes, inédit, proclame : « Travailleurs, attention/ Votre vie est à vous/ ne vous la laissez pas prendre/ Socialistes/ Sans parti/ Communistes/ La main qui tient l’outil ressemble à la main qui tient l’outil. »

La composition du groupe change en permanence, de nouveaux arrivants s’installent.

Au fil des mois, on va y croiser de nouveaux noms, Maurice Baquet (c’est lui, le violoncelliste du film Monsieur Klein de Losey), Paul Grimault, Jean-Louis Barrault, les frères Mouloudji, Gilles Margaritis (grand nom à venir de la télévision française), Roger Blin.

Prévert, ses amis produisent une farandole de pièces : « Une vie de famille », « Actualités 34 », « Les fantômes », « Marche ou crève », « le 14 Juillet », etc. ; elles parlent de misère ouvrière, de violences, de luttes, d’espoir, d’unité. Dans « Les fantômes », le chœur final appelle le spectateur à dépasser ses peurs, ses conformismes, à changer : « C’est comme un charnier, un cimetière/ Ils se cramponnent à la vie d’autrefois/ Ils ont peur de la vie nouvelle/ Ils se cramponnent, ils vont tomber/ Viens avec nous, laisse-les tomber. Dehors il va faire beau et le monde va chanter ».

De cette époque survoltée, retenons encore la pièce « Suivez le druide ». Elle est annoncée dans l’Humanité de juin 1935, à l’occasion d’une grande fête bretonne, sous la présidence de Marcel Cachin, donnée par la municipalité communiste de St-Cyr-l’École. Octobre (Roger Blin est dans le coup) organise une parade monstre, un défilé humoristique et revendicatif, construit des stands puis joue « Suivez le druide », revue bretonne en six tableaux, une Bretagne version lutte des classes (comme « la chanson des sardinières »). Le succès populaire est garanti, la droite dénonce « une odieuse mascarade communiste ». On lit dans le très réactionnaire l’Écho de Paris : « Certes les habitants de St-Cyr sont habitués après 12 ans de municipalité communiste à voir défiler les hordes révolutionnaires sous leurs fenêtres, à entendre l’Internationale. Jamais cependant l’audace de ces voyous n’était allée jusque-là ».

C’est l’époque aussi où Octobre marque un vif intérêt pour le cinéma : « Le cinéma et le groupe Octobre sont si proches l’un de l’autre, observe l’historien Michel Fauré ; le cinéma nourrit certains membres du groupe et Octobre en revanche alimente le cinéma de ses meilleurs talents. »

On retrouve le groupe dans une multitude d’actions militantes, le 29 mars 1934 à la fête des « Comités de défense de l’Humanité », le 25 avril à la Fête des « Amis de l’URSS », le 12 mai à la fête de « Mon Camarade », le 29 juin à celle du « Front Commun », le 20 octobre au gala du Secours rouge international ; et puis la troupe sillonne la banlieue, Asnières, Bagnolet, Suresnes, Ivry, Noisy-le-Grand, Villejuif, Alfortville, Bezons, Survilliers, Garches, Saint-Denis, Gentilly…

C’est aussi sa manière de hâter la venue du Front populaire.

Gérard Streiff

 

 

 

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10 août 2021 2 10 /08 /août /2021 08:01

De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

 

Début mars 1933, aux usines Citroën de Saint-Ouen, les salariés constatent une diminution de leur paye. La grève est décidée (autre décision, le vote d’une motion de solidarité avec les ouvriers allemands). Le mouvement s’étend rapidement aux usines de Grenelle et de Javel. Dès qu’ils apprennent l’existence de cette action, le groupe Octobre et Jacques Prévert se montrent, comme d’habitude, incroyablement réactifs. Bussières raconte : « Nous aimions l’action directe. Un jour j’apprends qu’il y a une grève chez Citroën. Je téléphone à Jacques vers 2 heures. Tous les membres de la troupe sont partis travailler, sauf les chômeurs. On se retrouve tous à 6 heures à la maison des syndicats. Jacques nous donne les textes que la secrétaire a tapés en plusieurs exemplaires et à 8 heures et demie, 9 heures, nous jouions le sketch devant les ouvriers chez Citroën. C’était le type même de notre boulot.»

Le texte « Citroën », venu instantanément sous la plume de Jacques Prévert, est donc illico reproduit, répété l’après-midi même par les chômeurs de la troupe, appris dare-dare dans la soirée par les autres membres, de retour du boulot, et le 18 mars, au soir, il est joué devant l’AG des grévistes. Au début du spectacle, une actrice avance dans le noir, elle déclare :

« À la porte des maisons closes / c’est une petite lueur qui luit. »

On voit s’allumer une lumière rouge, un groupe d’acteurs se présente alors :

« C’est la lanterne du bordel capitaliste / avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit / Citroën… Citroën… »

En ce printemps 1933, en effet, André Citroën a loué la tour Eiffel et son nom s’y affiche. Le texte de Prévert fustige l’argent patronal gaspillé aux jeux, dénonce l’exploitation des salariés, salue la grève ; les mots percutent.

« Les journalistes mangent dans sa main / Le Préfet de Police rampe sur son paillasson / Citron ?... Citron ?... / Millions…millions… / Et si le chiffre d’affaires vient à baisser / Pour que, malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas / Il suffit d’augmenter la cadence et de baisser le salaire des ouvriers / BAISSER LES SALAIRES / Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches / Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup / Pour mordre / Pour se défendre pour attaquer / Pour faire la grève / La grève… la grève… / VIVE LA GREVE ! »

Cette représentation, cette façon de jouer sont « terriblement efficaces », dit Marcel Duhamel ; la pièce « Citroën » va être représentée tout au long des deux mois que dure l’action.

Dans l’ouvrage « Le groupe Octobre » de Michel Fauré, on peut lire cette remarque : « Tout en accomplissant un acte politique d’un rare courage et d’une importante audience, la troupe, par l’ellipse poétique, tend à force de conviction et de travail vers la perfection spectaculaire. »

Le spectacle impressionne et le groupe Octobre est choisi (avec la troupe « Les blouses bleues » de Bobigny) pour représenter le théâtre ouvrier français au festival mondial du théâtre ouvrier à Moscou l’été suivant.

Le voyage vers l’Union Soviétique se fait sur un cargo, la Cooperaza, qui arbore le drapeau rouge. Dans le grand nord, sur le canal de Kiel, le navire croise des bâtiments de guerre allemands où flotte la croix gammée. Marcel Duhamel raconte : « Les matelots allemands se sont rangés le long de la rambarde pour nous voir passer et les officiers, du haut de la dunette, nous regardent à la jumelle. Et tous les dockers, le long du quai, et même des marins allemands, d’un geste, ferment le poing et le lèvent furtivement à la hauteur de la poitrine pour saluer le drapeau rouge, sans être vus de la passerelle… »

Jean-Paul Le Chanois ajoute : « Le bateau glissait le long des berges. Nous voyions des S.A. et des S.S. se livrer à des répétitions militaires : tir au fusil mitrailleur sur des cibles. Sur le bord du canal, nous apercevions des gens qui faisaient la ronde… C’était absolument bouleversant et insoutenable, ce spectacle… »

À l’escale de Hambourg, certains membres de la troupe prennent contact (secrètement) avec des communistes allemands.

 

Gérard Streiff

 

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10 août 2021 2 10 /08 /août /2021 05:45

 

Otelo Saraiva de Carvalho, leader de la « révolution des œillets » par laquelle fut renversée, en avril 1974, la dictature de Antonio de Oliveira Salazar au Portugal, est décédé dimanche dernier à l’âge de 84 ans. Né au Mozambique, il avait négocié l’indépendance du pays quelques mois après la révolution, ainsi que celle de l’Angola et de la Guinée Bissau. Proche de la fraction la plus à gauche du Mouvement des forces armées (MFA), il se trouve progressivement marginalisé à mesure que le Portugal devient une démocratie européenne classique. En 1984, engagé dans des mouvements d’extrême gauche, Carvalho est arrêté, accusé de faire partie du FP 25 qui a commis des attentats, ce qu’il nie, et condamné à quinze ans de prison en 1987. Relâché deux ans plus tard, il sera amnistié en 1996.

En 1986, Claude Bourdet et Alberto Santos, qui ont témoigné en sa faveur à son procès, estiment que celui-ci n’était destiné qu’à le disqualifier, notamment pour complaire aux États-Unis. « Otelo de Carvalho n’avait pas cessé d’être un danger pour la droite, non pas à cause de ses “plans”, mais en raison de sa popularité. (…) au fur et à mesure que l’application du plan économique du FMI rendait la vie difficile aux pauvres gens, sa popularité ne cessait de croître. La droite pouvait craindre qu’en cas de crise il ne devienne le point de ralliement de tous les mécontentements. »

Un procès politique au Portugal - Le « crime » d’Otelo de Carvalho

Il y a deux ans, le lieutenant-colonel Otelo Saraiva de Carvalho, leader de la révolution des œillets qui renversa en 1974 la dictature, était arrêté à Lisbonne en même temps qu’une soixantaine de jeunes Portugais accusés de « terrorisme », Une vingtaine d’entre eux étaient libérés peu après. Les autres, et M. de Carvalho, sont en prison depuis lors et participent à l’interminable procès qui se déroule au tribunal de Monsanto. Les accusés sont séparés du tribunal, du public et des journalistes par des doubles cloisons en verre. Les témoins de l’accusation sont essentiellement des « repentis ». Le général Eanes, ancien président de la République, et deux députés grecs — MM. Statis Panagoulis, ancien vice-ministre de l’intérieur, et Manolis Glezos qui, âgé de dix-sept ans, arracha le drapeau nazi sur l’Acropole — ont témoigné le 3 octobre en faveur de M. de Carvalho, ainsi que les deux auteurs du présent article (1).

par Claude Bourdet & Alberto Santos 

 

Le « crime » d’Otelo de Carvalho

 

A l’origine de ce procès, il y a les attentats commis par une organisation d’extrême gauche : les Forces populaires du 25 avril (FP 25), qui tirent leur nom, un peu bizarrement, de la révolution sans effusion de sang du 25 avril 1974 (dite révolution des œillets) et dont le principal leader fut M. Otelo Saraiva de Carvalho, alors major. En été 1980, un industriel était tué, et un tract des FP 25 revendiquait l’attentat au nom de la « justice populaire ». Cinq autres attentats eurent lieu au cours des quatre années suivantes dans des conditions similaires.

Quel est le rapport entre les FP 25 et M. Otelo de Carvalho ? C’est là toute la question. M. de Carvalho a conservé l’estime de la plupart de ses collègues (2) et l’actuel président, M. Mario Soares, dit de lui, en privé, le plus grand bien (bien qu’il l’ait fait arrêter deux fois alors qu’il était premier ministre, en 1976 et en 1984). Il nie absolument toute collusion avec les FP 25. Il en est de même de la plupart des autres emprisonnés. Ces accusés sont presque tous des membres du parti politique légal créé par M. de Carvalho en 1980, le Front d’unité populaire (FUP). L’accusation tente de prouver qu’il y a identité entre le parti politique FUP et l’organisation terroriste FP 25 et que cette dernière n’est que le "bras armé du FUP.

Jusqu’ici, ces démonstrations n’ont pas convaincu. Certains « repentis » se sont ridiculisés : l’un d’eux, par exemple, annonçait que M. de Carvalho avait préparé un coup d’Etat au Zaïre avec la complicité de M. François Mitterrand. Un autre assurait qu’une partie de l’argent provenant d’un cambriolage avait été transféré à un compte de M. de Carvalho à l’Union des banques suisses (UBS) à Genève. Le juge d’instruction, M. Almeida Cruz, se rendit à Genève en septembre 1984 ; à son retour, il se vanta d’avoir découvert ce compte secret. Il y eut alors un démenti cinglant de l’UBS ; la banque reconnaissait avoir reçu la visite du juge mais affirmait qu’on n’avait rien trouvé. L’accusation abandonna l’histoire du compte suisse (3).

Les arrestations de juin 1984 ne mirent pas un terme aux attentats. En décembre 1984, un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis fit des dégâts minimes. On l’attribua aux FP 25. Le 28 janvier 1985, des tirs au mortier étaient dirigés contre des frégates néerlandaises, allemandes et norvégiennes sur le Tage. Aucune ne fut touchée. On s’étonna que l’on n’ait pas essayé d’atteindre un destroyer américain qui se trouvait sur place. Le lendemain, l’International Herald Tribune révéla que, quelques heures auparavant, l’ambassade américaine de Lisbonne avait été avertie de l’imminence de ces attentats. Vers la même époque, une base de l’OTAN à Oeiras dans l’Alentejo était aussi attaquée avec des dégâts minimes.

On ne peut se défendre de penser que les terroristes ont fait œuvre d’une provocation soigneusement préparée pour ne pas faire de dégâts. L’idée s’impose avec encore plus de force quand on étudie le climat dans lequel ont été effectuées les arrestations du 20 juin 1984.

On discutait alors au Parlement une loi de sécurité intérieure considérée par beaucoup comme scandaleuse. Cette loi a été appelée la « loi orpheline » car aucun ministre n’a admis qu’il en était l’auteur. C’est vrai, en particulier, pour M. Eduardo Pereira, ministre socialiste de l’intérieur à l’époque. C’est vrai aussi pour le ministre de la justice, également socialiste, numéro deux du PS, M. Almeida Santos, qui n’a pas caché son hostilité à certains aspects du projet. L’ex-président de la République, M. Eanes, avait dit qu’il opposerait son veto.

La loi a été votée, le 27 juillet dernier, après des pressions de M. Mario Soares sur les députés socialistes. Pressions que M. Manuel Alegre, pourtant ami de M. Soares, a dénoncées dans un article comme un « terrorisme psychologique », Les députés de droite la votèrent mais il y eut beaucoup de récriminations, même au sein du PSD, parti de centre droit (social-démocrate) (4) ; sept ou huit socialistes refusèrent de voter.

Certains prétendent que cette loi « orpheline » a des parents, mais pas portugais ! Plusieurs faits tendent à le confirmer. Au moment de la présentation de la loi, le ministre de l’intérieur, M. Eduardo Pereira, s’est envolé vers Washington « pour demander conseil », selon plusieurs journaux. Surtout, on est frappé par le texte, insolite dans un pays démocratique, des articles 7, 33 et 35 : « Des services secrets étrangers et des organisations internationales collaboreront au maintien de l’ordre intérieur avec la Haute Autorité nationale pour la sécurité intérieure. » Cette Haute Autorité n’a pas encore été créée. Beaucoup d’observateurs pensent que, vu les liens étroits de M. Soares avec Washington, le texte de la loi aurait été soufflé par le gouvernement des Etats-Unis. Le Portugal représente un élément central dans la défense du système atlantique, à cause de l’archipel des Açores.

Les Açores, région autonome — le gouverneur actuel est le général Rocha Vieira, — se trouvent au centre stratégique de l’Atlantique. La Nuclear Weapons Deployment Authorization de 1974 signale l’existence de têtes nucléaires dans l’archipel dès le début des années 70, en particulier à la base américaine des Lages (5).

On ne connaît pas le développement actuel de cette base, mais on sait que l’équipement y a été très développé aussi bien en armement et personnel qu’en systèmes de surveillance, d’information ou de communication avec les satellites. Cette base est devenue le centre de la surveillance sous-marine et aérienne sur la façade européenne et africaine de l’Atlantique. Cela suffit à faire comprendre l’importance du Portugal pour le Pentagone et l’OTAN.

C’est pourquoi l’intervention des Etats-Unis dans la politique portugaise a été constante. En 1974, à la chute de la dictature, les Etats-Unis se sont appuyés sur le général Spinola, premier président de la République, personnalité la plus à droite de la révolution des œillets. Le général Spinola ne parvint pas à séduire, par les honneurs, les militaires de gauche (il avait, par exemple, offert à M. Otelo de Carvalho le grade de général de corps d’armée). Le 28 septembre 1984, Spinola tenta un coup d’Etat qui échoua. Il s’exila à Rome et fut remplacé par un président modéré, le général Costa Gomes, qui a récemment témoigné en faveur de M. de Carvalho.

Pendant tout le début de 1975, un certain nombre de personnalités pro-américaines, dont M. Mario Soares, tinrent des propos alarmistes. En janvier 1975, des dirigeants de la centrale syndicale américaine AFL-CIO, dont Irving Brown, vinrent à Lisbonne pour mettre sur pied un syndicat anticommuniste. Le 11 mars 1975, un nouveau coup d’Etat était tenté par le général Spinola. L’influence de M. Carlucci, ambassadeur des Etats-Unis, ancien coordonnateur de l’action de la CIA contre le président Joao Goulart au Brésil, en 1964, et celle du général Walter, directeur adjoint de la CIA, furent prépondérantes. Une « Armée de libération portugaise », analogue à la « Contra » actuelle du Nicaragua, fut recrutée parmi des anciens de la PIDE (police politique), et fut entraînée en Espagne. Sept mille hommes de la US Navy furent débarqués en Espagne, à Rota ; ils devaient venir au Portugal, Spinola se proclamant chef d’état-major de l’armée. Ce deuxième coup d’Etat échoua également.

Cela renforça la gauche ; le Portugal s’orientait vers la démocratie parlementaire. Les élections du 25 avril 1975 donnèrent 38 % des voix au Parti socialiste, 13 % au PC, 4 % à la Gauche révolutionnaire, 26 % au Parti populaire démocratique de centre droit (PPD), aujourd’hui « social-démocrate », et 8 % seulement au parti de droite CDS.

Une majorité de gauche était possible, mais M. Mario Soares préféra commencer des tractations avec le PPD et le CDS contre l’avis du Mouvement des forces armées. L’action internationale poussait dans le même sens : boycottage de la RFA, fermeture des usines ITT, refus de fourniture de blé américain. L’Eglise, par la bouche de l’archevêque de Braga, Mgr da Silva, appelait presque ouvertement à l’insurrection. Le 29 août 1975, le premier ministre Vasco Gonçalves, proche des communistes, était éliminé.

Un « coup d’Etat de gauche »

C’est alors que se produit l’affaire du 25 novembre 1975 présentée à l’étranger comme une « tentative de coup d’Etat de gauche ayant échoué ». En réalité, comme il a été amplement démontré par une mission du Comité Russell pour le Portugal, dont les conclusions ont été publiées par Jean-Pierre Faye dans son livre le Portugal d’Otelo (6), il s’est agi d’un piège monté par les forces de droite et du centre, avec l’appui des Etats-Unis, et où certains militaires de gauche, mais pas M. de Carvalho, sont tombés.

M. Otelo de Carvalho, qui ne s’était mêlé de rien et avait contribué à faire rentrer les « paras » dans leurs casernes, fut destitué de son commandement du COPCON, pièce maîtresse de la protection républicaine, puis mis en résidence surveillée, et enfin arrêté.

M. Vasco Gonçalves fut placé, aussi, en résidence surveillée : le Mouvement des forces armées fut dissous. La droite et les Etats-Unis triomphaient.

En juillet 1976, le général Eanes était élu président ; M. Otelo de Carvalho obtenait 18 % des voix, plus que le candidat communiste.

En août 1976, le général Spinola revenait et recommençait à intriguer. L’épuration du haut commandement militaire se poursuivait. En juin 1977, Washington encourageait la formation d’une majorité réunissant le PS et la droite : le Fonds monétaire international (FMI) définissait un plan pour le Portugal, adopté à peu près intégralement par le Parti socialiste, et exigeant la démolition de la réforme agraire ; la restitution des terres l’indemnisation ou le retour des capitalistes industriels ; l’encouragement aux investissements étrangers ; la réglementation du droit de grève, etc.

Le président Eanes naviguait entre les courants. Aux élections du 2 décembre 1979, le Parti socialiste était battu et remplacé par la droite. Les communistes et leurs alliés avaient quarante-deux sièges. La gauche restait majoritaire en voix. Les années suivantes les gouvernements ont été de centre-droit, mais le Parti socialiste a conservé ses voix, M. Soares a été premier ministre en 1983-1984 — avec l’aide du PSD — et a été élu président de la République, en février 1986, avec le soutien à la fois d’une partie du PSD et des communistes.

Cette longue histoire est nécessaire pour comprendre quelle pouvait être l’inquiétude du héros de la révolution des œillets, M. Otelo de Carvalho. Car, en dehors des accusations funambulesques des « repentis », la seule preuve que l’accusation ait « découverte » est un document de quelques pages rédigé par lui vers 1977 intitulé le « Projet global », dans lequel il envisageait les mesures à prendre en cas de coup d’Etat de droite, notamment la création d’une organisation civile armée. A-t-il eu raison d’éprouver de telles inquiétudes ? Sans doute, si l’on tient compte de l’évolution politique évoquée ci-dessus. L’accusation lancée par le tribunal et largement reproduite par la presse est que le FP 25 était non seulement le bras armé du FUP, mais aussi la « mise en application » du « Projet global ».

Le tour de passe-passe est ici complet : un projet de défense de la République conçu à un moment (1976-1978) où toutes les inquiétudes paraissent justifiées est transporté à une époque (les années 1980-1984) où les problèmes se posent tout différemment.

Nous avons pu fournir un élément au dossier de la défense en rappelant un entretien de M. Otelo de Carvalho avec Main Echegut publié par l’hebdomadaire Témoignage chrétien, le 21 janvier 1980. A cette date, M. de Carvalho considérait qu’il n’y avait plus de danger de coup de force de droite. « De jeunes officiers progressistes — disait-il — commandent de nombreuses unités ; à cause d’eux la droite militaire n’a pas de chances de réussir un coup de force si elle le tente ». Une telle situation rendait inutiles les structures prévues par le « Projet global ». D’autre part, M. de Carvalho soulignait qu’il avait un rôle à jouer comme fédérateur du courant de la gauche « révolutionnaire non alignée » qui devait représenter l’esprit du 25 avril dans le prochain Parlement. C’était la pensée d’un homme politique, et non d’un terroriste.

M. Otelo de Carvalho n’avait pas cessé d’être un danger pour la droite, non pas à cause de ses « plans », mais en raison de sa popularité. Fortement prémuni contre le Parti communiste, il avait un crédit populaire que ne possédait aucun des autres chefs de la révolution des œillets. Or, au fur et à mesure que l’application du plan économique du FMI rendait la vie difficile aux pauvres gens, sa popularité ne cessait de croître. La droite pouvait craindre qu’en cas de crise il ne devienne le point de ralliement de tous les mécontentements.

Le disqualifier, faire que plus jamais il ne puisse servir son pays, accroître l’inquiétude suscitée par les provocations terroristes, faire passer plus facilement la « loi orpheline », ce sont là, certainement, les calculs auxquels se sont livrés les Machiavel de la politique portugaise conseillés, sans doute, par les services secrets américains.

On n’a probablement pas eu besoin de « dicter » à M. Mario Soares l’arrestation de M. Otelo de Carvalho. Mais on n’a pas besoin d’être grand clerc pour discerner ce qui fait plaisir à la Maison Blanche et au Pentagone.

Claude Bourdet & Alberto Santos

Membres du Comité français "Justice pour Otelo de Carvalho".

 

(1Ont témoigné aussi pour M. Otelo de Carvalho le général Costa Gomes, ancien président de la République en 1974-1975, et d’autres anciens dirigeants du Mouvement des forces armées (dissous, mais qui a donné naissance à l’Association du 25 avril).

(2Par exemple, l’amiral Victor Crespo, les généraux Pezarat Correia et Rangel, le lieutenant-colonel Vasco Lourenço, et bien d’autres.

(3Le juge a été ultérieurement nommé à Bruxelles à la CEE.

(4C’est l’ancien PPD, devenu Parti social démocrate.

(5Cf. document CIRPES no 37, novembre 1986, « Vers une situation néo-coloniale au Portugal », par Alberto Santos.

(6Editions Jean-Claude Lattès, Paris, 1976.

 

 

 

 

 

 

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8 août 2021 7 08 /08 /août /2021 05:58

De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

 

« La bataille de Fontenoy » est une pièce en un acte, sous-titré « Théâtre aux armées ». Les personnages représentés, et moqués, sont Paul Déroulède, Édouard Herriot, Joffre, Clemenceau, Raspoutine, Poincaré, Nicolas II (joué par Prévert lui-même), il y a là aussi un poilu de 14. Il y est question de chasse aux déserteurs, de marchands de canon, du Comité des Forges (Krupp, Schneider) ; on fustige le sabre et le goupillon. La première est donnée devant le IIe congrès de la Fédération du Théâtre ouvrier (FTOF) et « La bataille de Fontenoy » restera le spectacle le plus souvent joué par le groupe Octobre dans des cafés, des guinguettes, des préaux d’école jusqu’en 1935. Comme souvent, dans un même spectacle d’Octobre, on peut passer du pathétique au comique, de la farce au drame. Rendant compte de cette pièce, un journaliste de L’Écho de Paris, pourtant hostile à la troupe, évoque ainsi l’enthousiasme suscité par Octobre : « Les acteurs parlaient faux et étaient grimés à la va-comme-je-te-pousse, mais la joie et la foi des spectateurs suppléaient à ces imperfections. Un gosse en particulier, assis près de moi, récitait chaque réplique un tiers de seconde avant le comédien qui en était chargé. »

On est en janvier 1933. Le 30 janvier le chancelier Hindenburg confie la chancellerie à Hitler. Le groupe Octobre réagit immédiatement. Dans les heures qui suivent l’annonce de cette nomination, Jacques Prévert écrit le texte « L’avènement d’Hitler » que la troupe répète et joue salle Bullier - un ancien bal mobile - le 31 janvier ! Un texte concocté, écrit, répété et joué en 24 heures ! Il se termine ainsi :

(Face à la crise)

« Le bourgeois pleure des larmes et grince des dents / Il devient de plus en plus méchant / Comme ce grand homme mythologique / Qui n’était sensible qu’au talon / Le bourgeois n’est sensible qu’au fric / Même quand on lui joue du violon / Il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison / Mais il ne peut pas tuer lui-même / Il faut qu’on croit qu’il est bon / Alors il cherche un homme / Comme Diogène / Alors il trouve un homme / Au fond d’un vieux tonneau de peinture / HITLER… HITLER… HITLER… / L’homme de paille pour foutre le feu / Le tueur, le provocateur… / On présente d’abord le monstre en liberté / On le présente aux ouvriers / « C’est un ami, presque un frère / Un ancien peintre en bâtiment » / Le moindre mal, quoi / C’est moins dangereux qu’un général / Un ancien peintre en bâtiment / Et maintenant / Les quartiers ouvriers sont peints couleur da sang. »

Ce spectacle s’ouvre sur une revue de presse, une méthode que Prévert utilise assez systématiquement, où il fait le tour de l’actualité, française ou mondiale, une sorte de revue de presse théâtralisée. Jacques Prévert est un homme indigné par la laideur et la violence du monde, il compose en cette année 1933, de plus en plus et de plus en plus vite, des saynètes, des sketches comme « Le père Noël » ou « Un drame à la cour », plus particulièrement conçu pour Bussières, dit Bubu. Les spectacles attirent un public populaire, des intellectuels de plus en plus nombreux s’y intéressent. Parfois André Gide est dans la salle. Cette même année 1933, deux procès retentissants mobilisent l’opinion progressiste, et Octobre réagit. Aux USA, neuf Noirs sont accusés à tort du viol de deux Blanches et se voient menacés de mort. Prévert écrit, et Octobre joue, « Sauvez les nègres de Scottsborough ».  

« Ne laissez pas vos frères noirs aller sur la chaise électrique / Serrez les rangs / Serrez les poings / Un assassinat se prépare / Tous contre l’impérialisme mondial / Toutes les races / Une seule couleur : / Rouge !... »

En Allemagne les nazis font la chasse aux communistes ; les fascistes organisent un procès « exemplaire », mettant notamment en cause Georges Dimitrov, mais l’accusé se fait accusateur. Le mouvement de solidarité un peu partout dans le monde est puissant. Dans « La tête sur les épaules », Jacques Prévert prend la défense de Dimitrov, de Thaëlmann et de leurs camarades. 1933 est marqué aussi par de puissants mouvements de grève. On parle de près de 100 000 grévistes. Le mouvement le plus spectaculaire se passe, en mars, chez Citroën ; le groupe Octobre va y jouer un rôle marquant.

 Gérard Streiff

 

 

 

 

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