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11 août 2021 3 11 /08 /août /2021 08:29

La grande réforme d'EDF baptisée « projet Hercule », qui aurait permis la dislocation et la privatisation partielle du groupe public, n'aboutira pas avant la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron. Un répit bienvenu pour les nombreux opposants syndicaux et politiques au projet.

Ouf ! Trois fois ouf ! Le projet Hercule – depuis rebaptisé « Grand EDF » – sur lequel Marianne alertait dès 2019, est mis sous le tapis. « À ce stade, les discussions n'ont pas abouti » avec Bruxelles et « il n'est pas envisageable d'avoir un projet de loi au Parlement dans l'immédiat », a expliqué une source gouvernementale auprès de l’AFP.

Le projet ne pourra donc pas aboutir à temps, avant le début de la prochaine campagne en vue de l'élection d'avril 2022, semble regretter l’exécutif. Du côté de l'UE, le son de cloche est sensiblement différent. Selon une source proche du dossier à Bruxelles, c'est Paris qui a décidé de la pause. « C'est un choix politique de la France de faire passer la réforme après l'élection présidentielle », déclare cette source à l'AFP.

BLOCAGES PRÉVISIBLES AVEC BRUXELLES

Hercule était certes un projet complexe à multiples entrées, mais les discussions ont principalement bloqué sur la réforme du mécanisme dit de l’« accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh). « Le gouvernement a indiqué que les discussions entre les autorités françaises et la Commission européenne relatives à la réforme de l'Arenh, au cadre des concessions hydrauliques et à l'organisation d'EDF n'ont pas abouti à ce stade à un accord global », a confirmé ce matin la direction du groupe lors de la présentation des ses résultats semestriels.

L'Arenh impose à EDF de vendre un quart de sa production nucléaire à des fournisseurs concurrents, principalement Total et Engie, au prix de 42 euros le mégawattheure. Or, la direction d’EDF estime ce prix inférieur au coût de revient du nucléaire en France. Ainsi, depuis le début des négociations il y a deux ans, l’État français demandait l'autorisation à Bruxelles de relever ce prix administré d’environ 20 % afin qu’EDF se redonne de l'air financièrement.

Problème, la France a mis le doigt dans un engrenage pervers. En effet, le mécanisme qui devait remplacer l'Arenh était de fait une dérogation évidente au sacro-saint principe de libre concurrence européenne inscrit dans les traités : on favorisait une entreprise publique sur un marché concurrentiel. C'est pourquoi la Commission a demandé des contreparties. Notamment qu’EDF « vende son courant nucléaire dans les mêmes conditions à tout acheteur européen », explique à Marianne un ancien cadre dirigeant du groupe toujours bien informé. Comprendre : « que l’effort du peuple français pour financer le nucléaire depuis des décennies, et ainsi bénéficier d'une électricité à bas prix, puisse profiter à toute l’Europe ». Une contrepartie jugée « inacceptable par le gouvernement français », selon cette même source. Dès lors, impossible de trouver un accord. « Les hauts fonctionnaires français se sont acharnés à faire passer un projet que la Commission ne pouvait, de fait, pas accepter », résume l'ancien cadre du groupe. À l'Élysée, on a donc décidé de tout rependre de zéro l'année prochaine.

Le timing de cette annonce n’est, du reste, pas anodin. Elle est intervenue juste avant la présentation ce jeudi 29 juillet au matin des résultats financiers d'EDF. Résultats qui font état d'une hausse de son Ebitda – bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement – de… 30 % à 10,6 milliards d’euros, qu'EDF explique « essentiellement par une progression de la production nucléaire en France et un climat plus froid dans un contexte de hausse des prix de l’électricité et du gaz ». Lors de ce premier semestre 2021, on était donc loin de la situation financière critique que la direction du groupe et l’exécutif avançaient pour justifier la réforme de l’Arenh. « Il est en effet intéressant de constater que le gouvernement a été obligé de renoncer à sa réforme la veille de la publication des résultats financiers EDF, qui font état d'une hausse de son Ebitda de 2,5 milliards d'euros. Difficile dans ce cadre de continuer à se plaindre des effets financiers négatifs de l’Arenh… », nous lance un autre ancien cadre du groupe.

INQUIÉTUDE PUIS SOULAGEMENT

Au-delà de l'Arenh, l'objectif de la réforme Hercule était limpide comme nous l’écrivions en avril : « le coûteux vieux nucléaire au secteur public, et les activités les plus juteuses aux investisseurs privés ! ». Ces activités juteuses : « Enedis considéré comme la pépite du groupe et les ENR [énergies renouvelables] un secteur économique d’avenir, seraient donc isolées et livrées aux marchés financiers ». Autrement dit, on allait assister à un démantèlement d'EDF en règle. Au point que le service public de l’énergie et la sauvegarde pour les citoyens français du bien commun qu'est l’électricité étaient en danger.

Grands opposants aux projets, les syndicats se sont donc félicités de ce recul. « C'est pour nous une belle et grande victoire à mettre à l'actif du rapport de force des travailleurs avec la CGT qui n'a jamais attendu une quelconque annonce », a déclaré Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale Mines Énergie CGT (FNME-CGT). « Nous resterons pour autant vigilants car les discussions entre le gouvernement et la Commission européenne vont se poursuivre », a souligné le syndicaliste. Les syndicats qui ont mobilisé contre ce projet lors de plusieurs journées de grève ces derniers mois ont trouvé un soutien de poids auprès des parlementaires, qui ont uni leurs voix de la gauche (LFI, PCF et PS) jusqu'aux Républicains pour dénoncer la dislocation d'un patrimoine public. Le PDG d'EDF Jean-Bernard Lévy a de son côté regretté ce jeudi 29 juillet que la réforme du groupe ne puisse déboucher dans l'immédiat. « Nous regrettons que cette réforme qui est indispensable pour EDF ne puisse se conclure maintenant », a-t-il déclaré.

 

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9 août 2021 1 09 /08 /août /2021 07:58

 

Mettre en cause le lien de subordination inhérent au salariat capitaliste, ou la domination du capital elle-même ? Réflexion critique à partir d’un article de la sociologue Danièle Linhart dans L’Humanité-dimanche du 10 avril 2021.

En premier lieu, Danièle Linhart propose une affirmation que je partage, en parlant du patronat qui « comme un boa, digère toutes les remises en question et s’en nourrit. Il promet de répondre aux aspirations de transformation, mais c’est toujours lui qui décide ». Je pense néanmoins qu’il faut voir comment des mesures managériales, sous couvert de prise en compte de l’individu, rendent de plus en plus douloureux le travail, dans son ensemble. De même, il faut voir comment des mesures managériales placent les salariés en permanence en concurrence. À mesure que montent les exigences de rentabilité financière des grands actionnaires, dans une crise qui s’aiguise, le management impose une dissociation entre les objectifs de l’entreprise, du groupe, et même des services publics, et les objectifs du travail de chacun, pour rendre invisibles ou presque les objectifs stratégiques et donc empêcher les salariés d’intervenir sur ces objectifs stratégiques, les orientations des entreprises et services publics, ainsi que celles des banques.

S’attaquer à la domination du capital ou la contourner ?

En second lieu, changer le contenu du travail et le management nécessite de s’attaquer à la domination du capital, plutôt que de tenter de contourner cette question. Danièle Linhart propose de sortir du lien de subordination, tout en conservant le salariat. Il me semble que les propositions du PCF, qui mettent en cause la domination du capital partout (entreprise privée, publique, services et fonction publiques) permettent une mise en cause plus radicale du salariat capitaliste, une sortie de ce salariat avec comme objectif un nouveau type de salariat, transformant de fait le lien de subordination.

L’inventivité du capital en matière de gestion des personnels (avec les nouvelles formes de « management ») tient essentiellement au besoin de faire face plusieurs évolutions : l’explosion du salariat en nombre (avec la place des femmes qui maintenant représente quasiment la moitié du salariat) ; la montée du salariat qualifié que produisent l’essor des nouvelles technologies et la révolution informationnelle ; l’exigence de reconnaissance de l’individu au travail. Le but est de repousser la construction d’une conscience de classe renouvelée du salariat, et d’unité de toutes ses composantes sur des bases révolutionnaires.

On peut dire que l’analyse de Marx indiquant que le capital produit la classe qui va le détruire, est plus que jamais d’actualité, et qu’elle est peut-être mieux comprise par les tenants du capital que par les forces progressistes.

De fait, il faut apprécier ce qu’est le salariat aujourd’hui pour travailler à son unification révolutionnaire sur des objectifs radicaux, afin de pouvoir agir de façon lucide et efficace dans les conditions d’aujourd’hui pour cela. Le salariat a augmenté massivement au point de devenir absolument majoritaire comme forme d’organisation du travail, dans tous les domaines de la production, des échanges et des services. Plus de 90 % des travailleurs ou des travailleuses sont salarié-e-s.

Aujourd’hui, les ingénieurs, cadres et techniciens représentent plus d’un tiers du salariat ; mais le niveau de qualification a augmenté massivement depuis 40 ans parmi les salariés en position d’exécution (nombre de bacheliers, nombre de jeunes sans qualification), dans tous les secteurs.

La contradiction pour le capital réside essentiellement dans le fait que ces salariés (potentiels ou en activité) sont nécessaires au système capitaliste. Mais ce salariat est aussi un potentiel de combat contre ce même système.

L’entrée massive des femmes dans le monde du travail salarié est aussi une nouvelle donnée de ce salariat. De fait, montent des questions majeures de la place des femmes dans le salariat et dans la société (égalité de traitement, évolution de carrière, droits, respect… etc.) qui mettent en cause la gestion capitaliste des entreprises et du travail, et le patriarcat.

La gestion fondée de plus en plus sur l’individu a fait illusion pendant un temps, notamment parmi les ICT qui ont été la première cible des méthodes d’individualisation de salaires, de carrière, etc. Mais on se souvient, à cet égard, du changement d’état d’esprit entre la fin des années 80 et le début des années 2000 qui s’est matérialisé à l’occasion du débat sur les 35 heures et la réduction du temps de travail. La mise à plat entre les salariés de leur fiche de paie a fait sauter leurs dernières illusions sur les méthodes de prétendue reconnaissance du mérite individuel. Au bout de de nombreuses années de recrutement en-dehors des grilles de salaires, beaucoup commençaient à mesurer qu’ils « s’étaient fait avoir », et que cela avait servi essentiellement à baisser les rémunérations, mais pas à reconnaître ni la qualité du travail fourni ni le-la salarié-e dans ses compétences, encore moins dans l’évolution de celles-ci.

Les méthodes managériales ont porté sur l’effacement de la notion même de qualification au profit de compétences personnelles. Elles ont développé la parcellisation du travail, y compris intellectuel, et le démantèlement progressif des collectifs de travail partageant un objectif collectif et un sens quant à la finalité du travail. La question du sens et du contenu de son propre travail, s’efface dans les processus d’évaluation du travail des salariés. Ces évaluations poussent à se penser comme seul responsable de son travail, et s’appuient sur des processus de culpabilisation individuelle pour faire accepter la responsabilité de l’échec justifiant la baisse de revenu. Le licenciement, la punition, est attribué à une faute personnelle et à une incapacité à répondre aux exigences de l’entreprise. Il est singulier de voir comment dans la fonction publique ces processus d’évaluation ont totalement changé le sens même de l’évaluation et engendré aussi une dégradation massive des conditions de travail, jusqu’à porter atteinte à Merci la santé au travail.

Mais alors, est-ce le lien de subordination qui est en cause ? Ou plutôt qu’entend-on par lien de subordination ?

La subordination liée au contrat de travail ou au recrutement sous statut exprime une relation de travail avec un positionnement dans la hiérarchie. D’une certaine façon, je pense que cela est nécessaire pour ne pas créer une « armée mexicaine », pour positionner les uns et les autres dans une relation professionnelle définie quant à la responsabilité engagée, et aux exigences de travail attendues.

Mais le lien de subordination peut exister dans différentes formes d’organisation du travail. L’exploitation capitaliste organise l’exploitation de la force de travail afin de répondre aux exigences du capital mais on peut penser une nouvelle forme d’organisation de la production des échanges, et des services publics, qui émancipe toute la société de l’exploitation capitaliste, en prenant les questions comme elles se posent aujourd’hui, c’est à dire avec le poids du capital financier qui pèse sur toute la société.

Plus la financiarisation s’est développée, plus les tenants du capital ont tenté d’effacer les responsabilités, les lieux de pouvoir, la façon dont ça fonctionne. Et de ce point de vue, les économistes marxistes communistes ont beaucoup contribué à montrer où se situent les lieux de pouvoir pour permettre de transformer en profondeur la société et donc le travail, et la place de l’être humain au travail. Ainsi, la conception d’un salariat débarrassé dans un mouvement progressif du poids du capital est une proposition qui ouvre de réelles perspectives d’émancipation pour chaque salarié-e et pour tous les salarié-e-s.

C’est le sens, me semble-t-il, de la sécurité d’emploi ou de formation. En effet, elle propose un système qui permet de ne plus « « passer par la case chômage pour chacun-e, quelle que soit sa position, qualifié, non qualifié, étudiant ou en activité. Avec un nouveau service public de l’emploi et de la formation, où l’inscription serait automatique dès 16 ans, il y aurait une prise en charge tout au long de la vie de chaque personne, pour travailler (avec un bon salaire, rémunérant la qualification, de bonnes conditions de travail), se former (avec un revenu à la hauteur du salaire précédent mais ouvrant à un nouvel emploi, reconnaissant la progression de qualification, dont un meilleur salaire) passant d’une position de salarié-e à une position en formation, selon les besoins de la personne, en fonction des évolutions personnelles.

Ainsi, les personnes ne sont plus assignées à un même emploi, ou au chômage, ni écrasées par un échec scolaire, tout au long de leur vie future. Elles trouvent dans la vie professionnelle et dans la formation une possibilité d’évolution tout au long de la vie. Cela libère directement la personne de la crainte du chômage dont le capital se sert pour faire accepter sa gestion de l’emploi, son dogme de rentabilité financière. Cela ouvre des perspectives personnelles immenses, tout au long de la vie. C’est un progrès de société majeur, et un changement révolutionnaire du salariat lui-même.

La conception de ce système est aussi appuyée sur une intervention massive des salarié-e-s, avec des pouvoirs réels, dans la gestion des entreprises et des banques comme des services publics, ainsi que sur le sens même de la création monétaire, l’orientation du crédit. Et cette proposition est assortie de pouvoirs d’intervention des populations sur ces questions. On sort du royaume de la domination des grands actionnaires et des critères de la finance.

Cette proposition vise donc une libération du salariat et de la société de la domination du capital, et donne aussi une autre force à la notion même de vivre ensemble, puisque les uns et les autres pourront intervenir sur les enjeux de production, de respect de l’écologie, de réponses aux besoins, avec des pouvoirs réels pour combattre les critères du capital, dans de nouvelles institutions, les conférences pour l’emploi, à tous les échelons de la société, commune, département, région et national.

Cette articulation des pouvoirs des salarié-e-s dans les entreprises avec ceux des populations sur les entreprises donne une puissance formidable à une vie démocratique, levier de liberté pour tous. Elle libère la créativité des personnes dans tous les domaines et permet alors une inventivité puissante de la société pour faire face aux enjeux qu’elle affronte ; de fait, il me semble que cette perspective est beaucoup plus puissante et réaliste pour émanciper le salariat du capital, que de circonscrire cette question à celle du seul lien de subordination. Car, de fait, en poussant la mise en œuvre de cette vaste ambition, le lien de subordination se transforme aussi, permettant une organisation du travail efficace et une créativité de chacun-e de tous les moments.

Enfin, cet objectif porte aussi en lui-même un facteur d’unification du salariat puisque chaque catégorie du salariat peut y trouver un objectif d’émancipation, de libération pour soi et pour les autres.

 

 

 

 

 

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9 août 2021 1 09 /08 /août /2021 07:57

 

Les mutations du travail et de l’emploi reviennent sans cesse dans les discours politiques et médiatiques. Elles seraient même à l’origine d’un enjeu de modernisation des règles juridiques pour mieux s’adapter à un monde « nouveau » où la flexibilité et l’indépendance seraient des facteurs déterminants. Mais de quelles transformations est-il question? Et pour quels défis sociaux à relever ?

*Léa Bruido est membre du comité de rédaction Progressistes et responsable de la rubrique « Travail, Entreprises, Industries ».

 

LE CDD COMME NORME, MAIS…

L’emploi est à entendre d’abord au sens des formes juridiques stabilisées qu’il présente. Le contrat de travail, par exemple, se caractérise par un lien de subordination entre le salarié et son employeur, qui offre des droits sociaux au salarié et qui s’oppose à la liberté d’organiser son travail, liberté rattachée à l’indépendance statutaire. C’est la raison pour laquelle le contrat précise la durée de la relation d’emploi (déterminée ou indéterminée) et le temps travaillé (journalier, hebdomadaire, voire annualisé), durant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur en échange d’une rémunération.

Les caractéristiques de l’emploi sont aussi traitées en termes de catégorie socio-économique. Les récents chiffres publiés par l’INSEE1 indiquent que 27,1 millions de personnes occupent un emploi en France en 2018 et que 90 % d’entre elle sont salariées. Aujourd’hui, 75 % des emplois se trouvent dans le secteur tertiaire. La tertiarisation des économies et des emplois est évidemment une transformation notable du marché du travail, mais ce n’est pas une donnée nouvelle ; elle s’établit sur plus de quarante années et reflète également le déclin des emplois du secteur industriel (secondaire) et du secteur agricole (primaire).

La norme est toujours l’emploi à durée indéterminée (85 % des personnes en emploi selon l’INSEE2). Mais la tendance est au morcellement des parcours professionnels3, avec des emplois plus nombreux et plus divers au cours d’une même carrière pour un salarié donné que ce que l’on a pu observer pour la génération précédente, accompagnés de changements de statuts, de périodes de non-emploi plus ou moins longues et de pluriactivités de plus en plus récurrentes. Notons par exemple que, selon la DARES3, près du tiers des CDI sont rompus avant le terme de la première année. Du point de vue des défis sociaux à relever, ces éléments renforceraient l’enjeu d’une sécurisation des parcours professionnels comme socle central de la modernisation des règles juridiques.

 

LA « PLATEFORMISATION » DES ÉCONOMIES ET DES EMPLOIS

Abordons maintenant une autre évolution, plus récente, en lien avec la « plateformisation » des emplois et l’usage massif des outils numériques mobiles. La plateformisation (que l’on nomme parfois ubérisation) est une tendance mondialisée et souvent associée aux services de livraison de proximité et de transport de tourisme de proximité. Mais, plus largement, les plates-formes « collaboratives » proposent des biens, des services ou des contenus produits soumis à disposition par des contributeurs professionnels ou particuliers à destination de clients utilisateurs des services électroniques. Cette définition, large, montre l’étendue de ce modèle socio-économique, puisque l’on distingue les services nécessitant une réalisation physique et localisée (c’est le cas pour la livraison et le transport, par exemple), et les services fournis en ligne.Ce modèle socio-économique de plateformisation des emplois et du travail se développe en France dans un contexte de chômage structurel et de facilitation juridique de l’entreprenariat individuel, qui a connu une augmentation de 184 % entre 2006 et 2013. Mais il reste très minoritaire : il représente moins de 3 % des personnes déclarant un revenu d’activité4, et son effet, aujourd’hui très limité, sur le marché du travail contraste avec certains discours qui le présentent comme le modèle de l’avenir pour l’ensemble des secteurs et des travailleurs, notamment au regard du pouvoir de disruption qu’on lui confère. Cela dit, la plateformisation de l’économie est aussi révélatrice d’une tendance bien plus ancrée5, celle de la réorganisation des chaînes de valeur dans les entreprises,de leur recentrage progressif et continu sur les activités considérées comme les plus lucratives et d’un développement de la sous-traitance interne ou externe, voire une délocalisation des activités considérées comme périphériques ou moins lucratives. Cette réorganisation de la chaîne de valeur inscrit le remplacement des relations salariales au profit des relations marchandes.

Une enquête socio-démographique très complète sur les « microtravailleurs du clic »6, proposée par l’équipe du projet DiPLab (Digital Platform Labor) indique que ces travailleurs, dont on estime qu’ils représentent 240000 actifs, sont souvent invisibles et précaires. Ils réalisent des tâches considérées comme de faible niveau de qualification telles qu’annoter et enrichir les données nécessaires au fonctionnement et au développement de l’intelligence artificielle (IA) ; en ce sens, leur travail rend possible l’automatisation et l’IA. Les rémunérations « à la pièce » sont faibles, entre quelques centimes et quelques euros, selon les auteurs.

S’il reste difficile de quantifier précisément les travailleurs concernés et le volume d’emploi associé en équivalent temps plein, d’autres éléments viennent fortement interroger ces modèles socio-économiques reposant sur l’indépendance statutaire des travailleurs. L’indépendance juridique des travailleurs de la plateformisation cache une dépendance économique le plus souvent vis-à-vis d’une plate-forme principale, ce qui fait que si le contrat commercial prend fin le travailleur n’a plus de source de revenus. Du point de vue des défis sociaux, la plateformisation pose l’enjeu de redéfinir la subordination liée au salariat, lequel tend à évoluer dans divers secteurs vers des formes d’autonomie contrôlée.

DU CÔTÉ DU TRAVAIL, DES ÉVOLUTIONS CONTINUES NÉCESSAIRES

Le monde évolue, et il est normal que les structures socio-productives évoluent de manière conjointe. Elles ne doivent pas être hermétiques au monde au sein duquel elles s’inscrivent,sinon elles risqueraient de s’en trouver désarticulées. Mais cela produit nécessairement des évolutions du côté du travail réalisé par les individus qui restent le plus souvent peu discutées.D’abord, les évolutions sont visibles du côté des outils, notamment en lien avec les évolutions technologiques. Il serait anormal aujourd’hui pour tout travailleur occupant un poste de livreur de ne pas pouvoir disposer d’un outil GPS, alors que la plupart des individus l’utilise de manière plus ou moins fréquente dans leur quotidien.

Pensons également à l’usage des exosquelettes, déjà très présents, notamment dans le domaine industriel. Il en ira de même pour la robotique (souvent aussi appelée cobotique pour souligner les interactions nécessaires entre les humains et les machines) qui tend à se développer en milieu de travail. L’enjeu est alors moins de s’adapter aux évolutions du monde que de proposer un environnement qui utilise les ressources déjà à disposition d’un large public, et cela d’autant que ces outils peuvent contribuer à réduire des formes de pénibilité dans certaines activités professionnelles.

Ensuite, les évolutions sont visibles du côté des modèles d’organisation du travail et de la production de biens ou de services. L’organisation scientifique du travail a dominé la première moitié du XXe siècle avant d’entrer dans une crise socio-productive dans les années 1960, jusqu’à atteindre un point culminant avec le mouvement ouvrier de mai 1968 pour la France. Les modèles organisationnels évoluent en fonction de l’évolution des outils et du travail. À la fin des années 1960, la crise sociale du taylorisme et les revendications ouvrières et syndicales rencontrent une crise productive en lien avec une mécanisation grandissante des systèmes de production, un enjeu concurrentiel fort du côté de la production d’un service(et non plus seulement d’un bien de consommation).

Enfin, les évolutions sont visibles du côté du travail réalisé par les travailleurs. Cela suppose pour les travailleurs de piloter des systèmes de plus en plus complexes et remet en cause une stricte parcellisation des tâches avec une hyperspécialisation des travailleurs. En conséquence, les compétences requises sont de plus en plus élevées. À un niveau global, la progression croissante du niveau de qualification des emplois7 en témoigne, avec un recul continu de la part des ouvriers et employés dans l’ensemble des emplois (+ 4,8 points entre 2003et 2018, pour s’établir à 47,4 % en 2018), alors que sur la même période la part des cadres augmente (+ 3,8 points, et atteint 18,4 % des actifs occupés). À un niveau plus micro, dans le travail quotidien des salariés, cela suppose des compétences transverses, techniques ou sociales, pour piloter ces systèmes qui échappent souvent au prisme des qualifications, du niveau de diplôme ou du positionnement hiérarchique du poste occupé dans l’entreprise. Et cela suppose aussi des capacités d’organisation collective du travail et de la production de biens ou de service ainsi que la capacité de décision de la part du dirigeant. Ces deux niveaux sont le socle de la protection salariale.

On comprend dès lors l’intérêt de définir des scénarios d’anticipation pour mieux appréhender les transformations possibles du travail, des outils et des modes organisationnels, et mieux anticiper les évolutions quantitatives et qualitatives de l’emploi. Se posent alors des questions en lien avec le déploie-ment massif de la robotisation ou de l’intelligence artificielle, qui pourraient contribuer à une recomposition du travail (et non à sa disparition, comme l’affirment certains discours) et à un déplacement des emplois, dont on pourrait en partie anticiper l’ampleur. Mais, derrière cela, l’enjeu central est d’assurer des conditions de travail et de vie dignes aux populations, un défi majeur au regard des études sur les conditions de travail et de rémunération des travailleurs des plates-formes.

LA PROTECTION DES SALARIÉS

Pour conclure, revenons sur les défis sociaux au regard des évolutions de l’emploi et du travail en cours et à venir. Soulignons que les enjeux de transformations du travail et les défis sociaux, territoriaux et technologiques occupent une place grandissante dans les réflexions prospectives et que la nécessité d’inventer des solutions nouvelles pour garantir les droits sociaux et protéger les travailleurs se fait de plus en plus pressante.

Relever ces défis sociaux suppose de transformer la logique dans laquelle la relation individu-travail-emploi est pensée, pour replacer au centre l’humain. Dans un contexte de transformation numérique et de trans-formation des emplois, la créativité, l’intelligence humaine,est toujours au centre de l’efficacité du système de production de biens ou de services. Les propositions de l’économiste et membre fondateur d’ATTAC Thomas Coutrot8 dans son dernier ouvrage vont en ce sens. De même, Pascal Lokiec9 propose, avec d’autres auteurs, dont Éric Heyer et Dominique Méda, de s’appuyer sur la notion de travail décent proposé par le BIT, c’est-à-dire un travail justement rétribué, qui n’altère pas la santé et qui n’impacte pas l’environnement de manière négative. La protection du salarié est alors à considérer comme une voie possible pour permettre aux entreprises de rester compétitives dans leurs domain

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9 août 2021 1 09 /08 /août /2021 05:35

« Déçu » par Mélenchon en 2017, Fabien Roussel veut être le « candidat des jours heureux ».
Le secrétaire national du Parti communiste publie le 2 septembre Ma France (Le Cherche midi).

 

Être communiste en 2021, qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est tenir compte de la crise que nous vivons, donc dire qu’il nous faut sortir du système qui privilégie l’argent et la compétition, pour remettre l’humain et la planète au cœur de notre projet de société.

C’est pour ça que je consacre un chapitre de mon livre au « communisme durable », loin du cliché du productivisme. L’idéal communiste bat toujours !

L’idéal communiste bat toujours !

 

Vous proposez dans ce livre un « pacte pour la jeunesse ». C’est-à-dire ?

Un axe fort de ma campagne sera la priorité donnée à l’éducation de nos enfants, parce que je veux la jeunesse la mieux formée du monde.

En cinq ans, je veux embaucher 90.000 enseignants, avoir des classes de 20-25 élèves maximum à tous les niveaux, construire écoles, collèges et lycées, et allonger les temps d’enseignement.

 

Vous souhaitez aussi une « sécurité sociale professionnelle »…

C’est un nouveau service public de l’emploi qui garantit à chacun un salaire en échange d’un travail ou d’une formation.

Tout l’opposé du revenu universel, par exemple !

Parce que je souhaite sortir la France de la spirale du chômage et des aides sociales.

 

Que prônez-vous pour pérenniser notre système de retraites ?

Au pouvoir, je garantirais un droit à la retraite à 60 ans à taux plein, soit dès 37,5 années de cotisation, en prenant en compte les années d’études, mais aussi la pénibilité.
Le financement de notre système devra aussi reposer sur les revenus financiers, aujourd’hui exonérés de toute cotisation, soit 30 milliards d’euros.

Avec moi, le capital participera au redressement du pays.

 

Après l’annonce de votre candidature, vous mettiez l’accent sur la sécurité, mais vous n’y accordez pas de chapitre dans votre livre…

Parce que mon parti pris pour la France, c’est le travail.

Mais je continuerai à faire des propositions sur le droit à la sécurité.

La droite et l’extrême droite nous donnent des leçons, alors que ce sont eux qui privatisent la police, qui créent l’insécurité dans nos villes, qui instillent le poison de la division, qui suppriment des moyens aux forces de l’ordre.

Mon parti pris pour la France, c’est le travail

 

Vous prônez, contre le changement climatique, des « mesures drastiques ». Être communiste et écologiste, est-ce possible ?

Je suis un écolo-coco, un pragmatique qui veut tenir l’objectif d’une empreinte carbone nulle en 2050.
Pour ça, il n’y a pas trente-six solutions.

L’énergie nucléaire est incontournable, comme l’hydroélectrique.

Il faut modifier nos modes de production, notamment en donnant aux travailleurs un droit d’intervention sur la gestion de leur entreprise, sur les modes de production, sur l’utilisation des richesses créées pour faire respecter la dignité humaine, les droits sociaux et la planète.
On a aussi à mener le chantier immense de la rénovation des logements, et celui de l’accompagnement de nos agriculteurs.

 

Pourquoi, dès lors, ne pas vous allier aux écologistes pour 2022 ?

Supprimer les centrales nucléaires, ouvrir les barrages hydroélectriques à la concurrence, s’inscrire dans les traités européens comme le veut Yannick Jadot ne nous permettra pas de réaliser nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Les écologistes qui n’affrontent pas les logiques capitalistes ne sont pas crédibles pour tenir nos engagements environnementaux.

 

Pourquoi ne pas soutenir Jean-Luc Mélenchon, comme en 2017 ?

Nous avons été déçus que cette force donnée à Mélenchon, ces 19,58% des voix, ne se traduise ni par un nombre bien plus important de députés, ni par une force populaire à même de mener d’autres combats.

Comme je l’écris dans ce livre, si nous, communistes, avions fait 20%, nous ne les aurions pas utilisés pour dire « c’est moi l’opposition », mais pour un rassemblement de la gauche, comme nous le faisons dans nos villes.

 

Mais en postulant seul, ne mettez-vous pas à mal ce rassemblement ?

C’est l’élection présidentielle, très personnalisée, qui veut ça.

Mais je reste partisan d’un dialogue entre les forces de gauche pour mener des combats ensemble et faire élire une majorité de députés communistes, Insoumis, écologistes et socialistes à l’Assemblée nationale en 2022.

Je reste partisan d’un dialogue entre les forces de gauche pour mener des combats ensemble

 

Les sondages ne vous créditent jamais de plus de 5% des voix… Quel est le sens de votre candidature ?

Si j’arrive en tête à gauche, ça donne du poids aux communistes pour les législatives, pour une majorité à l’Assemblée véritablement ancrée à gauche.

Mais au-delà de la gauche, je suis le candidat des jours heureux, de l’humain d’abord.
Je sais que j’ai un déficit de notoriété, mais j’apporte du neuf.

Que les Français découvrent nos idées ! Je leur fais confiance pour créer la surprise.

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7 août 2021 6 07 /08 /août /2021 05:47

Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS, et
Frédéric Boccara, économiste, membre du comité exécutif national du PCF,

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6 août 2021 5 06 /08 /août /2021 05:41

La Commission nationale consultative des droits de l’homme publie son 30e rapport sur la lutte contre le racisme. Un document qui révèle l’étendue des préjugés dans la société française.

Accès au logement et à l’emploi, préjugés dans les médias et l’éducation, évolutions générationnelles dans la conception des races… L’épais rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie vient d’être présenté au public, le 8 juillet. Une semaine plus tôt, il était remis, ainsi que 80 recommandations, au premier ministre Jean Castex. Parmi elles, augmenter les moyens de la recherche en sciences sociales sur ces questions, instaurer le récépissé lors des contrôles d’identité ou encore former les forces de police et de gendarmerie à recueillir les plaintes concernant les discriminations « pour que ces affaires soient mieux prises en compte et plus souvent condamnées », explique le président de la commission, l’avocat Jean-Marie Burguburu. Au fil de ses 400 pages, le dense volume propose une approche large des problématiques liées aux discriminations et relativise la baisse du racisme en France.

1. Une relative progression de la tolérance

66 sur 100. C’est l’indice de tolérance qu’attribuent aux Français les rédacteurs du 30e rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Un chiffre en constante progression depuis 2013 : il ne s’élevait alors qu’à 53 points. « Il y a un lent recul des préjugés, malgré le Covid et la montée des actes antimusulmans », commente la chercheuse Nonna Mayer. Derrière le chiffre global, se cachent des disparités sur la manière dont les citoyens conçoivent leur rapport aux différentes minorités. L’indice de tolérance ne s’établit qu’à 60 points concernant les musulmans et à 36 pour les Roms. 58 % des Français pensent d’ailleurs que les personnes issues de cette communauté « vivent essentiellement de vols et de trafics ». En parallèle, les faits antimusulmans comptabilisés par les renseignements ont progressé de 52 % entre 2019 et 2020. À en croire le rapport, le racisme a aussi évolué dans sa forme ces dernières années. S’il semble moins présent, c’est aussi qu’il a changé de visage. « Le racisme se modernise, observe Jean-Marie Burguburu. Avant, il pouvait consister à enfermer les juifs dans des ghettos, s’exprimer sur la couleur de peau des Noirs. Maintenant, les populations visées se sont mêlées au reste de la société et il a fallu trouver d’autres supports. On parle d’habitudes alimentaires ou vestimentaires différentes, d’accents… Est venu se greffer le sujet de la religion musulmane, devenue plus visible par le nombre de prati quants. »

2. Le Covid a fait réémerger le racisme antiasiatique

Si l’année 2020 et ses deux confinements ont globalement réduit le nombre d’actes racistes, ils ont aussi été le moment d’une recrudescence de la stigmatisation des personnes perçues comme d’origine asiatique. Des « soupçons de pratiques alimentaires insalubres » aux « clichés d’une communauté puissante et unie pour cacher des pratiques malhonnêtes », l’accumulation d’inconnues autour des origines du coronavirus, apparu en Chine, a renforcé les préjugés. « Un phénomène ancien qui a été exacerbé, décrit la sociologue Simeng Weng.  La crise sanitaire a joué le rôle de catalyseur dans sa prise de conscience. » Selon son enquête, 60 % des enquêtés affirment que ces comportements racistes ont augmenté depuis la pandémie. Jean-Marie Burguburu voit, lui, un lien entre la pandémie et la recrudescence des préjugés sur les Asiatiques. « Quand il y a une crise, on cherche un responsable, de préférence l’étranger, celui qui ne vous ressemble pas et n’a pas le même mode de vie que vous. »

3.  Des violences présentes au sein des institutions

Les discriminations fondées sur la race ne s’arrêtent pas aux comportements xénophobes d’une personne envers une autre, elles sont aussi présentes au sein des institutions, de manière inconsciente. Dans la culture par exemple : « Des situations de discrimination semblent persister malheureusement dans certains milieux culturels, qui reproduisent, consciemment ou non, un certain nombre de clichés et de stéréotypes », note le rapport. Le logement est aussi source de discriminations institutionnalisées. Comme le rappelait une rapporteuse spéciale de l’ONU en 2019, « les ressortissants français et ceux perçus comme “blancs” (ont) deux fois plus de chances que les personnes immigrées ou perçues comme “arabes” ou “noires” de trouver un logement dans l’année suivant le début de leur recherche ». Les sans-abri, les gens du voyage et les exilés comptent parmi les « groupes menacés de discrimination et d’exclusion sociale », affirme la même rapporteuse. L’action de la police, adepte de la pratique du contrôle d’identité « au faciès », est aussi un vecteur du racisme, dans une société où plus de la moitié des hommes perçus comme arabes ou noirs ont été contrôlés dans les cinq dernières années (contre 16 % dans la population). Les symptômes d’un « racisme systémique » ? Le président de la CNCDH conteste l’expression : « La France n’est pas raciste, mais il y a des racistes en France », affirme-t-il. La directrice de recherche Nonna Mayer tempère : « Il ne s’agit pas de dire que l’État est raciste mais il est vrai que certaines pratiques sont devenues tellement banales que l’on n’y fait même plus attention. En cela, elles font système. »

L’antisémitisme en réseaux

Une partie du rapport se penche sur « l’empreinte antisémite dans l’espace YouTube français ». Après avoir récolté près de 2 millions de commentaires sous les vidéos de 628 chaînes de la plateforme, les scientifiques du médialab de Sciences-Po ont établi que 0,4 à 0,6 % d’entre eux contenaient un fond antisémite. « Ils ne sont pas prévalents mais atteignent un niveau qui n’est pas négligeable », retient Benjamin Tainturier, l’un des auteurs de l’enquête. Si les chaînes d’extrême droite sont celles qui en comptent le plus, l’enquête révèle qu’ils sont en nombre sous les vidéos de médias généralistes, quel que soit le sujet abordé.

 

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5 août 2021 4 05 /08 /août /2021 05:28

 

Les retraité∙e∙s font partie des principales cibles des politiques fiscales et sociales réactionnaires menées depuis trente ans, et aggravées par Emmanuel Macron.

Une revalorisation des pensions de retraite insuffisante depuis 1988

En 1988, Philippe Seguin a décidé le décrochage des pensions de retraite du régime général par rapport au salaire moyen avec l’indexation des pensions de retraite de la CNAV sur l’indice des prix. Balladur, en 1993, a allongé la durée de cotisations et a modifié le calcul (25 meilleures années au lieu de 10). Si Juppé, en 1995, avait dû abandonner sa réforme, en 2003 Fillon a aligné la quasi-totalité des régimes de retraite sur la revalorisation en fonction de l’évolution des prix. Depuis 2008, la régression a subi une formidable accélération, accentuée à partir de 2013. À coup de mesures exceptionnelles, de modifications législatives, le montant brut des pensions a été très grandement dégradé. Pour les pensions de retraite complémentaires, les revalorisations ont été très insuffisantes.

Revalorisation des pensions de retraite

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Régimes de base

1,3 au 01 04 (1)

0

0,1 au 01 10

0

0,8 au 01 10

0 (2)

0,3 au 01 01 (3)

0,3 à 1 au 01 01

0,4 au 01 01

Complémentaires

0,8 au 01 04

0

0

0

0

0,6 au 01 11

1 au 01 11

0

?

  • Instauration de la CASA de 0,3 % au 1er avril
  • Augmentation de la CSG de 6,6 à 8,3 % au 1er janvier
  • En fonction du revenu fiscal de référence certains ont eu un retour à 6,6 % pour la CSG.

Pour les pensions de retraite de base, l’équivalent de deux ans de revalorisation a été perdu,
et 4,5 ans pour les retraites complémentaires

Jusqu’en 2008, la revalorisation des pensions de base intervenait au 1er janvier sur la base de l’inflation estimée par la loi de Finances, avec une régularisation tenant compte de l’inflation de l’année précédente. Le report de la revalorisation au 1er avril en 2009 par Sarkozy, au 1er octobre en 2015 par Hollande puis au 1er janvier en 2019 par Macron ont fait perdre une année. Le gel des pensions en 2014 et la modification par Hollande du calcul des revalorisations en fonction de l’inflation constatée sur l’année écoulée, et non plus sur l’inflation estimée pour l’année à venir, ont fait perdre une deuxième année (cette mesure a été appliquée au 1er octobre 2015 alors que la modification du Code de la Sécurité sociale n’avait pas encore été adoptée par le parlement).

Quant aux retraites complémentaires, leur non-revalorisation du 1er avril 2013 au 1er novembre 2017 est due au refus obstiné du patronat d’augmenter les cotisations. La CGT, contrairement à certaines organisations syndicales, a refusé ce diktat au détriment des retraités, sous prétexte de « sauver le régime ».

Des mesures fiscales très régressives depuis 2008

À ces revalorisations insuffisantes des pensions se sont ajoutées des mesures fiscales qui ont amputé encore plus le revenu disponible. Sans que la liste soit exhaustive : suppression de la demi-part en matière d’impôt sur le revenu pour la plupart des personnes vivant seules ayant élevé au moins un enfant (avec des conséquences importantes en matière d’impôts locaux et d’aides sociales) depuis l’imposition des revenus de 2008 (avec maintien limité, dans le temps et en impôt, jusqu’en 2013 pour les personnes qui avaient déjà eu cette demi-part), assujettissement à l’impôt sur le revenu de la majoration de pension pour les parents de 3 enfants et plus à partir de l’imposition des revenus de 2013, instauration de la CASA au 1er avril 2013, augmentation de la CSG au 1er janvier 2018. Pour la détermination du revenu imposable des retraités, 2,4 % ne sont pas déductibles pour ceux assujettis à la CSG à 6,6 ou 8,3 % ainsi que la CRDS et la CASA (soit 3,1 % au total) ; et pour ceux acquittant la CSG à 3,8 %, la CRDS n’est pas déduite.


Je paye 45 % d’impôt sur le revenu. Vrai ? Faux ?

Faux, avec la progressivité du barème le taux de 45 % ne s’applique que sur la dernière tranche. Ainsi pour un couple où un seul travaille il faut un revenu imposable en 2020 de 328 897 euros pour que chaque euros supplémentaire soit taxé à 45 %. Pour un couple de retraités c’est au-delà de 320 102 euros de revenu imposable, ce qui représente 28 347,75 euros de pensions mensuelles brutes.

Vrai, au-delà de ces limites ils paieront 45 % sur chaque euro supplémentaire. Mais même dans ces conditions pour 1 000 euros de revenus supplémentaires il reste encore 550 euros pour de menus achats ! ! ! ! ! les intéressés n’ont pas besoin d’aller frapper à la porte du Secours populaire !

Aux États-Unis le taux maximal de l’impôt sur le revenu a été dans les années 1930 de 91 %, pourtant le capitalisme n’est pas mort. En France dans les années 80 il y avait 14 tranches de 0 à 65 %.

L’impôt sur le revenu est un impôt progressif alors que la CSG est un impôt proportionnel. Ainsi en IR lorsque l’on passe de la tranche à 11 % à la tranche à 30 % le taux de 30 % n’est appliqué que sur la partie de revenu imposable (pour une part) excédant 25 710 euros. Avec la CSG lorsqu’une personne passe du taux de 3,8 à 6,6 %, elle paye dès le premier euro la CSG à 6,6 et cerise sur le gâteau elle acquitte aussi la CASA à 0,3 % et 1 % assurance maladie sur le montant de ses retraites complémentaires. Ainsi pour quelques euros supplémentaires de revenu brut, le revenu net est inférieur. Et certains envisagent très sérieusement, pas seulement dans la majorité macronienne, de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG et de supprimer ainsi la progressivité de l’impôt sur le revenu pour le plus grand profit des revenus les plus élevés et au détriment des plus modestes.


N’oublions pas les impôts indirects

Même si elles sont indolores, il ne faut pas l’importance des taxes indirectes, principalement la TVA et la TICPE (taxe intérieure sur les produits énergétiques). Elles pèsent lourdement sur les budgets, en particulier, de celles et ceux ayant les revenus les plus faibles. Il en est de même des dépenses de santé, surtout lorsque le manque de ressources conduit à ne pas pouvoir se payer une protection sociale complémentaire.

Un outil formidable : la flat tax

A son arrivée au pouvoir, Macron a tout de suite fixé ses priorités : taper sur les retraités avec l’instauration pour plus de 60 % des retraités d’un taux à 8,3 %, au lieu de 6,6 %, et favoriser les plus riches. Il a supprimé l’ISF à compter du 1er janvier 2018 et instauré le prélèvement forfaitaire unique ou « flat tax » sur les revenus de capitaux mobiliers (RCM). Jusqu’au 31 décembre 2017 ces revenus étaient une des composantes du revenu imposable et étaient donc soumis à la progressivité de l’impôt. Depuis le 1° janvier 2018, ils ne sont assujettis à l’impôt sur le revenu qu’à 12,8 % (auxquels s’ajoutent 17,2 % de prélèvements sociaux). Jusqu’à l’imposition des revenus de l’année 2020 ce taux était même inférieur à celui (14 %) de la première tranche effective de l’impôt sur le revenu. Pour les très gros revenus, au lieu de payer 45 000 euros d’impôt sur le reve négliger nu pour 100 000 euros de revenus de capitaux mobiliers, cela conduit à ne payer que 12 800 euros (avec ainsi la possibilité de pouvoir réinvestir immédiatement pour augmenter son capital).

La même mesure est intervenue il y a quelques années pour les plus-values immobilières. Elles sont taxées, à un taux fixe de 19 %, à l’impôt sur le revenu, alors qu’elles étaient une des composantes du revenu imposable. Ainsi les grandes fortunes payent un impôt moindre alors que les personnes modestes payent plus.

Les plus riches peuvent dire « merci Monsieur Macron pour ce magnifique cadeau »

Voilà une solidarité bien pensée les plus modestes payent pour les plus riches ! ! ! !

De nouveaux cadeaux pour les plus fortunés ?

Cette succession de cadeaux aux plus fortunés ne suffit pas, ce gouvernement et leurs amis des plus grandes fortunes en veulent toujours plus. Alors que le Président de la République et son gouvernement se refusent à rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ou à mettre en cause l’imposition favorable des RCM, ils envisagent la mise en place d’un nouvel outil permettant de siphonner les finances publiques au profit des plus riches.

Ils veulent instaurer une labellisation de 150 fonds dédiés à des « prêts participatifs » pour prêter de l’argent à des entreprises à des taux d’intérêt à 5 ou 6 %. Taux très supérieurs à tout ce qui existe sur le marché et ces prêts seraient garantis par l’État.

Il est envisagé une diminution de la fiscalité sur les donations et transmissions entre générations, ce qui bien entendu concerne les plus riches. Le matraquage idéologique sur la taxation des successions porte ses fruits : 87 % des français approuvent l’idée que l’impôt sur les successions doit diminuer alors que seulement un tiers des successions sont taxables.

Le faux prétexte de la dette

La comparaison régulièrement utilisée entre montant de la dette et PIB n’a guère de sens car il est ainsi comparé un stock (la dette) à un flux (le PIB) alors que ce qui compte c’est le montant des intérêts à rembourser et qu’en ce moment la France emprunte à des taux négatifs.

Qui se préoccupe que le Japon ait un taux d’endettement de 240 % ?

La dette est utilisée comme un épouvantail afin de poursuivre les politiques néolibérales particulièrement destructrices. La principale question est celle de son utilité sociale : que finance-t-elle ? Sert-elle l’intérêt publique ou contribue-t-elle à alimenter les actionnaires ?

Une détérioration très importante du revenu disponible des retraités

Les tableaux démontrent la dégradation, pour la très grande majorité des retraités, de leur revenu net après payement de l’impôt sur le revenu et des contributions et cotisations sociales. Et même un retraité qui ne paye ni IR ni contributions sociales qui percevait 1 000 euros de retraite au 1er janvier 2013, contrairement au discours officiel, n’a pas le maintien du pouvoir d’achat malgré les 1 % au 1er janvier 2020. Son revenu disponible annuel en 2020 progresse de 2,5 % par rapport à 2013 alors que les prix selon l’indice INSEE ont progressé de 5,2 %. Où est le maintien de son pouvoir d’achat ? Et la situation est encore pire si une partie des pensions de retraite provient de complémentaires.

Pour celles et ceux ayant subi la suppression de la demi-part pour le calcul de l’impôt sur le revenu, c’est une perte nette importante, ainsi que pour les parents de trois enfants et plus qui ont vu la majoration de pension devenir imposable.

Dans quelques cas, la revalorisation est supérieure à la hausse constatée par l’INSEE ; cela est dû à une diminution de l’impôt sur le revenu liée à la modification des tranches et des taux ou à la décote, mais aussi parce que les pensions ont été revalorisées moins que les tranches du barème de l’IR, entraînant une minoration du revenu fiscal de référence et un passage du taux de CSG de 6,6 à 3,8 % entraînant la suppression de la CASA et du 1 % assurance maladie pour les retraites complémentaires.

Nous sommes donc très loin de l’affirmation des « retraités privilégiés ». De plus, les pensions de retraite ne sont pas une allocation, elles sont le fruit des droits acquis par le versement de cotisations pendant la vie active. Ces cotisations ont servi à payer les pensions de celles et ceux qui étaient à la retraite et à générer des droits pour la future retraite. C’est le principe de la retraite par répartition.

Pour ces tableaux pour 2 parts il est considéré que les deux membres du couple ont les mêmes revenus.

 

  • En 2013 : CSG à 6,6 % et CRDS à 0,5 % pour ceux payant l’IR + CASA à 0,3 % à partir du 1° avril, CSG à 3,8 % et CRDS à 0,5 % pour ceux dont l’IR est inférieur ou égal à 61 euros (impôt non mis en recouvrement), rien pour les non imposables à l’IR
  •  En 2020 CSG à 8,3 ou 6,6 % + CRDS à 0,5 % + CASA à 0,3 % ou CSG à 3,8 % + CRDS 0,5 % ou exonération de CSG selon le revenu fiscal de référence de l’année N-2.
  • Un abattement est accordé aux redevables de plus de 65 ans en fonction du revenu net global.

 

 

  • En 2013 : CSG à 6,6 % et CRDS à 0,5 % pour ceux payant l’IR + CASA à 0,3 % à partir du 1° avril, CSG à 3,8 % et CRDS à 0,5 % pour ceux dont l’IR est inférieur ou égal à 61 euros (impôt non mis en recouvrement), rien pour les non imposables à l’IR
  •  En 2020 CSG à 8,3 ou 6,6 % + CRDS à 0,5 % + CASA à 0,3 % ou CSG à 3,8 % + CRDS 0,5 % ou exonération de CSG selon le revenu fiscal de référence de l’année N-2.
  • Y compris le 1 % assurance maladie sur les retraites complémentaires
  •  Un abattement est accordé aux redevables de plus de 65 ans en fonction du revenu net global.

Les principales revendications syndicales pour les retraités

  • Pas de retraite inférieure au SMIC revendiqué par la CGT pour une carrière complète.
  • Revalorisation immédiate de toutes les pensions avec une remise à niveau par rapport au salaire moyen, de 100 euros au 1er janvier 2021 avant une véritable revalorisation de 300 euros.
  • Revalorisation annuelle des pensions et retraites de base sur l’évolution du salaire moyen.
  • Suppression de la CASA et de la hausse de CSG de 1,7 point en allant vers la transformation de la CSG en cotisation sociale.
  • Rétablissement de la demi-part en matière d’impôt sur le revenu pour toutes les personnes vivant seules ayant élevé au moins un enfant et suppression de la fiscalisation de la majoration de pension pour les parents de 3 enfants et plus.
  • Rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), retour de l’imposition des revenus du capital (les dividendes) à l’impôt sur le revenu (suppression de la flat tax), rétablissement d’un impôt sur le revenu réellement progressif de 0 à 65 ou 70 % (avec le taux 0 au niveau du SMIC), réduction de la TVA à 15 % et sa suppression sur les produits de première nécessité.
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4 août 2021 3 04 /08 /août /2021 05:35

 

La crise sanitaire a généré une crainte de la contrainte et de l’incertitude. Pourtant, la solution est dans la vaccination, affirme Marie-Claire Villeval, économiste spécialiste des comportements. ENTRETIEN

MARIE-CLAIRE VILLEVAL

Directrice de recherche au CNRS, université de Lyon

 

Comment expliquez-vous la défiance qui s’exprime dans les mobilisations du samedi ?

MARIE-CLAIRE VILLEVAL Plusieurs facteurs expliquent cette défiance incontestable. Il y a des craintes réelles d’une partie de la population vis-à-vis de l’incertitude des vaccins. Une crainte face à une contrainte et un produit inconnu. Surtout s’agissant d’un vaccin nouveau, mis au point si rapidement, en situation d’urgence.

Il y a une exploitation des fake news sur ses effets possibles à long terme et sur le fait que l’autorisation de mise sur le marché soit temporaire. Il est vrai, dans ces conditions, que cela n’est pas un vaccin comme les autres, même si on commence quand même à avoir du recul. Cela dit, il y a certaines contradictions. Chez les gens qui fument, par exemple : ils connaissent très bien les risques du tabac pour la santé et ils se méfient en même temps du vaccin…

Seconde explication : la méfiance d’une partie de la population vis-à-vis des scientifiques. Elle s’explique par les hésitations des experts sur les mesures à prendre et leur manque d’unanimité au début de la pandémie. Il est normal qu’il y ait des débats scientifiques, mais cela crée de l’inquiétude et peut expliquer, en partie, les réticences.

 

Il y a également un manque de confiance vis-à-vis des politiques et des gouvernants…

MARIE-CLAIRE VILLEVAL Tout à fait. Il y a beaucoup de contraintes depuis plus d’un an. La fronde actuelle que l’on observe est aussi le réceptacle des oppositions, des rancœurs, d’une colère sociale. Une façon d’exprimer des insatisfactions, des frustrations, qui n’ont rien à voir avec les conditions sanitaires, mais qui relèvent plus d’un mécontentement général.

À cela, il faut ajouter l’exploitation qui en est faite par certains partis politiques, dont la stratégie consiste à essayer de coaliser les sources, diverses, de mécontentement. Une partie de l’extrême droite est très active dans ces mouvements. Enfin, il y a, selon moi, ce qui relève d’une forme d’égoïsme et de refus de solidarité face à un bien public, à savoir la vaccination pour protéger les autres et pas seulement pour se protéger soi-même.

 

N’y a-t-il pas dans ces réticences et cette colère l’absence de perspectives, le fait de ne pas voir le bout du tunnel ?

MARIE-CLAIRE VILLEVAL Oui, on appelle cela la crainte de l’incertitude. On fera peser un poids beaucoup plus fort à une situation incertaine. On ne sait pas y mettre de probabilités. Or, l’absence de probabilité explicite génère de l’anxiété et donc des comportements frileux. Alors oui, cela contribue à cette atmosphère délétère. Mais, en même temps, la solution est dans la vaccination. On est en pleine situation contradictoire. La vaccination permettrait d’émettre des probabilités et de réduire l’incertitude.

Ne peut-on pas expliquer la contestation par le sentiment d’être dépossédé de la prise de décision ? N’y a-t-il pas un problème démocratique ?

MARIE-CLAIRE VILLEVAL Nous ne sommes pas en dictature, le Parlement est consulté. Le recours aux spécialistes, aux experts, s’impose. Nous avons des instances représentatives, je pense qu’il faut mieux travailler sur la représentativité de nos élus, convaincre les gens de participer aux élections.

En matière sanitaire, nous avons besoin de scientifiques, de connaissances médicales. Dans ce domaine, la consultation citoyenne n’a pas lieu d’être. Il s’agit de décisions qui ne sont pas un choix d’opinion. Sur ces sujets pour lesquels il faut faire des choix sur la base de connaissances disponibles à un moment donné, il vaut mieux, vraiment, faire confiance.

vaccins

 

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4 août 2021 3 04 /08 /août /2021 05:23

 

L’adhésion durable d’une partie importante de l’opinion au parti d’extrême-droite ne provient finalement pas des choix économiques qu’il formule, mais de sa capacité à imposer dans le débat public l’idée que la cause des inégalités proviendrait de l’étranger, de « l’autre ».

Après avoir associé son programme à la sortie de l’euro et à une sorte de nostalgie de la France d’avant 1962 durant la présidentielle de 2017, le Marine Le Pen met dorénavant en scène avec ostentation ce qui est généralement interprété comme un retour, en matière économique, aux préceptes néolibéraux du Front National. Ces derniers, teintés de poujadisme, prévalaient en effet dans le Front national de Jean-Marie Le Pen : l’épargne et le capital d’abord, baisse des dépenses publiques et sociales, la libre entreprise comme horizon indépassable, les aides sociales perçues comme de l’assistanat et encourageant la paresse des pauvres, etc. Aujourd’hui, le ton est de nouveau donné, par exemple :

  • dans un article de L’Opinion la candidate déclare « Oui, une dette doit être remboursée. Il y a là un aspect moral essentiel » et ajoute « la dette d’une nation s’apprécie globalement, dettes publiques et dettes privées. Or, le gonflement des dettes privées en France est tout aussi préoccupant… Le meilleur remède à la dette, ce sont les fonds propres. La France doit impérativement passer d’une économie de dettes à une économie de fonds propres » ;
  • proposition d’un plan pour l’emploi des jeunes qui consisterait à ouvrir à toute personne de moins de 30 ans qui créera son entreprise une dotation en fond propre, égale à son propre apport. Ainsi qu’une « exonération totale d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu, sur cinq ans et sur tout le territoire ».

Le tournant avait déjà été pris dès l’abandon en direct, lors du débat télévisé de 2017, du thème de la sortie de l’euro, préludant à l’expulsion des « souverainistes » à la Philippot et à la disparition de certaines tonalités interventionnistes en économie.

Mais est-ce si important ? Les fascistes, et cela est une constante dans l’histoire du XXe siècle, se sont toujours distingués par une grande capacité à ajuster leurs programmes économiques selon les circonstances et selon ce qu’ils supposent être les attentes des électorats qu’ils visent. La seule constante est le nationalisme, avec ses principales déclinaisons que sont la lutte contre l’autre (l’étranger, le juif, l’immigré, mais également « l’assisté »), l’hostilité viscérale au mouvement syndical et à ses organisations, et le prêche pour une collaboration de classe sous l’égide du patronat.

L’étranger au fondement des inégalités : la colonne vertébrale de l’extrême droite

Comme tout populisme, les propositions de l’extrême droite sont largement mouvantes car guidées par l’humeur des masses, à une exception près, elle bien constante : le nationalisme. On avait pu montrer que le programme de Marine Le Pen se caractérisait surtout, en 2017, par son incohérence, sauf sur un point : le rejet de l’immigration comme solution à tous les maux des Français [1].

L’adhésion durable d’une partie importante de l’opinion au parti d’extrême-droite ne provient finalement pas des choix économiques qu’il formule, mais de sa capacité à imposer dans le débat public l’idée que la cause des inégalités proviendrait de l’étranger, de « l’autre ». Quand une entreprise licencie, la responsabilité est alors attribuée, au choix : aux travailleurs immigrés, aux pays à bas coûts, à l’Union Européenne… Jamais à notre bourgeoisie et patronat. Lorsque Jean-Marie Le Pen se plaisait à être qualifié de « Reagan français », c’était sans nul doute en référence à son patriotisme réactionnaire teinté de racisme. Il lui a d’ailleurs repris son fameux « America, love it or leave it », le transposant en « la France, tu l’aimes ou tu la quittes ».

Dans les villes où elle est aux commandes, l’extrême-droite s’illustre exclusivement par des politiques répressives, xénophobes, anti-migrants et « anti-assistanat ». Ainsi l’adoption dans les municipalités RN d’une charte intitulée « ma commune sans migrants » impulsée par le Conseil municipal de Beaucaire. Ainsi également la tentative d’expulsion du Secours populaire à Hayange et de la Ligue des droits de l’Homme à Hénin-Beaumont jugeant ces associations « pro-migrants ». Pour le social, on repassera : coupe dans les budgets sociaux, fin de la gratuité dans certaines cantines scolaires, baisse des crédits des centres sociaux, hausse des indemnités de maire, etc… autant de mesures frappant les couches populaires, immigrées ou non.

Une défense du capitalisme contre les couches populaires

Quels que soient leurs errements et leurs ambiguïtés, les propositions économiques du FN, puis du RN, ne vont cependant jamais en direction d’une critique du capitalisme. Le changement de ton opéré par Jean-Marie Le Pen en 2007 ne doit pas induire en erreur. En effet, dans son dernier programme présidentiel, le fondateur du FN ajoutait alors à la liste des maux de la société la « mondialisation ultra-libérale ». Derrière cet antilibéralisme de façade se niche la défense d’une partie du patronat et de la bourgeoisie qui entend tirer profit d’un retour au franc dévalué et de mesures protectionnistes. Pas un mot sur les salariés, sauf la critique radicale des organisations syndicales, des immigrés et des « assistés ». Par ailleurs, mettre l’accent sur la « mondialisation ultra-libérale » permet de ne pas le mettre sur le fondement même de celle-ci, à savoir le capitalisme, ni même le fond du libéralisme en tant qu’idéologie prétendant qu’il existe une symétrie et une égalité entre le patron et le travailleur. Le libéralisme, dans l’esprit du FN puis du RN, est réduit à la disparition relative des frontières matérielles entre pays. Le clivage doit désormais se faire entre « mondialistes » et « nationalistes », afin d’entretenir un flou et de contourner le clivage gauche/droite qui révèle inéluctablement, en bout de course, un contenu de classe. Comment ne pas reconnaître ici les mêmes ressorts qui firent naître le concept de « nation prolétaire » dans l’Italie des années 1920 permettant aux fascistes de désigner une logique d’exploitation entre pays, tout en niant le clivage de classe interne au pays. La lutte n’est alors pas entre classes, mais entre nations.

Quant à elle, l’abandon de la sortie de la zone euro n’est qu’une rupture de façade avec la stratégie nationaliste du RN. Avec la montée des populismes d’extrême droite dans l’UE, et les possibilités de coalitions qu’elle offre au parti de Marine Le Pen, le thème de la sortie de l’euro devient vraisemblablement plus périlleux qu’utile au projet nationaliste du RN. Le temps d’après pourrait d’ailleurs être consacré à magnifier le patriotisme européen et chrétien[1].

L’extrême droite, une arme de réserve de la bourgeoisie 

Au-delà des épisodes qui peuvent nourrir l’impression d’un climat « préfasciste » (généraux séditieux, violences contre la CGT, omniprésence des prêcheurs de xénophobie et de nationalisme dans les médias, complotisme…), la crise peut faire du RN un recours très dangereux si la bourgeoisie considère, à un moment ou un autre, que les partis de gouvernement ne sont plus capables d’assurer à la fois la défense de ses intérêts et un minimum de discipline dans la population. Le récent tweet de Raphaël Enthoven (« plutôt Trump que Chavez ») révèle avec force cet arrière-plan de l’opinion collective d’une partie de la bourgeoisie.

L’histoire récente nous a montré combien le fascisme pouvait être l’expression de la décadence du capitalisme, et qu’il pouvait émerger lorsque la forme républicaine des institutions politiques n’était plus à même de sauvegarder les intérêts économiques de la bourgeoisie. Que ce soit en Italie ou en Allemagne, la montée du fascisme a été nourrie par la crise économique et sociale et portée par une grande partie du patronat. L’idée d’un déclassement économique et industriel national, au profit de nations considérées comme étant plus favorisées, a sûrement été un facteur clé dans la montée en puissance des chemises noires et brunes. Pour cela il a fallu construire de toute pièce la catégorie de « l’autre », tout en la reliant au capitalisme dans un contexte où les années 1930, notamment en Allemagne et en Italie, étaient fortement imprégnées d’idées progressistes anticapitalistes. Il y a donc eu un travail de construction identitaire et de déconstruction d’identification de classe.

La lutte de classes comme seul remède à la « lutte des races » 

Si le vote RN est devenu important aujourd’hui, notamment au sein des classes populaires, c’est que le parti d’extrême droite a réussi à imposer dans le débat public une analyse, une explication, et une réponse à la dégradation des conditions de vie des travailleurs français. Le chômage, la précarité, l’insécurité étant alors liés à l’immigration et sa culture, à l’assistanat, au voisin, le salut passerait donc par une lutte contre celle-ci. Le rapport au « national » devient ici le fondement de tous les maux, et la clé de toutes les solutions. Cette « ethnicisation » des problèmes sociaux, qui a pris une place prépondérante dans le débat public depuis les années 1970, illustre l’affaiblissement parallèle des forces politiques progressistes. Si le débat public a pu autant se polariser sur le critère national, c’est qu’il a pu investir le vide politique créé par l’abandon tendanciel du critère social, pierre angulaire des analyses portées historiquement par le marxisme et le communisme. On paye aujourd’hui l’acharnement de toute une gauche, depuis cinquante ans, à vider de leur contenu de classe les mobilisations sociales et sociétales.

À l’inverse, Zev Sternhell a pu observer que c’est le marxisme qui a été le rempart à la pénétration des tentations fascistes dans le mouvement ouvrier français au début du XXe siècle [2].

Aujourd’hui, le problème posé aux forces démocratiques, en premier lieu à la gauche, est donc son impuissance à opposer à la menace RN autre chose qu’un « barrage » de plus en plus inopérant. Car l’enjeu n’est pas de « barrer » mais de marginaliser cette idéologie politique en imposant dans le débat une autre analyse des problèmes que rencontrent la population. Au-delà d’être inopérant politiquement à court terme, cette attitude défensive renforce à plus long terme le discrédit de la gauche dans les milieux populaires et des idées auxquelles elle est identifiée.

Le rôle historique du PCF

Or, dans les conditions actuelles de la crise sanitaire, économique, écologique, morale, la possibilité existe d’un autre rassemblement populaire. Non à partir d’un critère national, mais d’un critère social et internationaliste. Un rassemblement de classe, celui des salariés et des fonctionnaires contre leur ennemi commun, la domination du capital sur tous les travailleurs et sur leur vie au-delà du travail. Cela nécessite pour la gauche de retrouver son entrain révolutionnaire, de retrouver ses repères de classe, de renouer avec le monde du travail. Cela implique aussi de donner un sens moderne au travail. Et cela au moment même où les travailleurs de ce pays, plongés dans une globalisation financière dévastatrice, sont le plus à même à être réceptifs à un discours de transformation radicale. C’est précisément la responsabilité ainsi que le rôle historique du PCF, pour reconstruire la cohérence entre le combat contre le capital et l’antiracisme, l’ouverture au monde, la lutte pour une France de l’hospitalité assumant pleinement sa responsabilité d’accueillir dignement les migrants tout en agissant pour une mondialisation de coopération et de paix.

Et c’est la cohérence (objectifs – moyens – pouvoirs) qu’il propose aujourd’hui pour combattre cette domination. C’est ce qui lui permet de dessiner un chemin concret d’issue à la crise, depuis les luttes immédiates pour l’emploi, les salaires, les services publics, les conditions de vie, l’émancipation de toutes les discriminations, jusqu’au dépassement de la civilisation capitaliste et libérale, dans une transition structurée par les éléments d’un projet de civilisation : sécurisation de l’emploi et de la formation, essor de nouveaux services publics, prise de pouvoir sur l’utilisation de l’argent avec de nouveaux critères de gestion et une nouvelle orientation des crédits bancaires, autre mondialisation de coopération. Cette cohérence a été mise en œuvre, par exemple dans nos propositions lors du mouvement des Gilets jaunes[3]. Elle devient décisive pour le succès de la campagne présidentielle dans laquelle les communistes ont décidé de s’engager.

En effet, loin de justifier un nouvel effacement du PCF, la menace fasciste rend plus que jamais vitale une affirmation beaucoup plus audacieuse de sa présence avec toute son originalité sur le terrain des idées et des luttes, avec toute sa capacité militante dans les mobilisations sociales et avec ce qui reste de sa force d’organisation dans les batailles électorales et institutionnelles.


[1] Le funeste GRECE, fondé en 1969 avec Alain de Benoist comme penseur, est toujours une composante de l’extrême-droite française, de même que les nostalgiques du Troisième Reich.


[1] Voir par exemple Ecolinks, Petit manuel économique anti-FN, préface de Thomas Piketty, Le Cavalier Bleu, 2017.

[2] Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Gallimard, quatrième édition, 2012.

[3]  Voir « Pour répondre à la colère sociale, s’attaquer au coût du capital » (Dossier d’Économie et Politique), n° 772-773, novembre-décembre 2018, et « Conjoncture économique, gilets jaunes et enjeux politiques », Économie et politique, n° 774-775, janvier-février 2019.

 

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3 août 2021 2 03 /08 /août /2021 05:49

Le 19 avril dernier, Fabien Roussel révélait que Pfizer envisageait une augmentation des prix des vaccins. Aujourd'hui nous apprenons que c'est effectivement le cas. Le prix du Pfizer va passer à 19,5 euros la dose pour 15 euros actuellement, alors que ce laboratoire prévoit un profit de l'ordre de 30 milliards de dollars!! Tout ça avec l'assentiment de la commission européenne qui se cache derrière le secret des négociations.

Nous réaffirmons le besoin absolu que la transparence soit faite sur les négociations entre l'UE et les bigpharmas et qu'une levée des brevets soit décrétée pour produire les doses suffisantes et mettre fin à la rapacité des laboratoires pharmaceutiques.

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