Alors que rarement la recherche médicale française n’a suscité autant d’attente, le sénateur Pierre Ouzoulias dénonce le manque de moyens du secteur. Entretien.
Sénateur et chercheur au CNRS, Pierre Ouzoulias observe de près la politique de recherche menée par le gouvernement français, notamment en cette période d’épidémie. Il pointe les manques de moyens et d’organisation qui empêchent les laboratoires publics d’avancer plus rapidement dans la recherche de traitement contre le Covid-19 et dont pourraient souffrir aussi les autres pans de la recherche.
La France fait partie des États qui réalisent le plus d’essais cliniques pour trouver un traitement contre le Covid-19. Pensez-vous, comme Olivier Véran, que « s’il y a un pays qui doit trouver un médicament qui marche, il y a de bonnes chances que ce soit le nôtre » ?
Pierre Ouzoulias Je ne pense pas. D’abord, je ne suis pas certain qu’il faille se réjouir du nombre élevé d’essais cliniques en cours, car cela souligne un manque d’organisation criant de la recherche. La pandémie a mis en lumière les carences structurelles de la recherche française, de moyens et d’organisation, parcellisée en plusieurs structures, ce qui empêche de donner une réelle direction, une impulsion et un programme clair. Le gouvernement a créé l’organisme Care qui, en principe, devrait coordonner ces travaux, mais rien n’est fait. Le président de la République nous répète que nous sommes en guerre, mais la communauté scientifique observe qu’il n’y a pas d’état-major, pas de moyens et pas de troupes. On est resté sur le système classique, avec des études lancées via des appels à projets qui ajoutent de la lourdeur administrative, donc du temps et de la disparition de moyens. Cette organisation nous empêche de savoir si tous les domaines de la recherche sont couverts et s’il y a besoin d’investir davantage dans des domaines dans lesquels la France n’est pas représentée. Ce bilan n’a pas été fait et le manque de coordination freine l’avancée de la recherche. Le gouvernement a été incapable, même en ces temps de pandémie, de changer ce qui handicape la recherche publique en France.
"L’exécutif est incapable de gérer cette crise puisqu’il reste dans un dogme libéral qui considère que l’État n’est pas la solution mais le problème."
Emmanuel Macron a promis d’augmenter rapidement le budget de la recherche, est-ce déjà le cas ?
Pierre Ouzoulias Les plans de finances rectificatifs récemment votés ne prévoient aucun moyen supplémentaire pour la recherche. C’est absolument catastrophique. En tant que sénateur, j’ai posé plusieurs fois la question à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, mais elle nous balade. On nous dit que ça va arriver mais on risque d’attendre longtemps. Ce que je crains, c’est que les enveloppes dont disposent l’Agence nationale de la recherche (ANR) mais aussi l’Inserm ou le CNRS restent les mêmes mais qu’on demande d’augmenter celles consacrées à la recherche de traitement ou de vaccin. L’argent va donc venir d’autres sujets de recherche qui vont être abandonnés. C’est inquiétant et on voit déjà que des études ont dû être arrêtées car elles n’étaient plus financées. D’autres sont mises entre parenthèses car l’urgence est l’épidémie, ce qui est normal, et le budget général est beaucoup trop mince, contrairement à ce que disent les dirigeants. Il y a un double langage, sur ce que promet Emmanuel Macron et ce que fait concrètement le gouvernement, qui est insupportable. L’exécutif est incapable de gérer cette crise puisqu’il reste dans un dogme libéral qui considère que l’État n’est pas la solution mais le problème. Quand bien même toute cette crise nous montre le contraire.
Ces manques de moyens pour la recherche publique ont donc un impact aujourd’hui sur la recherche de traitements ?
Pierre Ouzoulias Oui, à cause de ces problèmes de moyens, de coordination, mais aussi de confiance envers les chercheurs, la France ne se donne pas les moyens d’être dans la course au traitement. La crise sanitaire souligne les problèmes dont souffre la recherche médicale en France depuis des années. L’exemple flagrant, c’est qu’on a abandonné, il y a dix ans, une recherche de fond sur la famille des coronavirus, uniquement pour des raisons budgétaires. Ces études auraient pu permettre d’en savoir plus sur les propriétés du virus, la manière de le neutraliser et donc de gagner beaucoup de temps. C’est caractéristique d’une recherche qui fonctionne par à-coups et qui abandonne ses financements lorsque le domaine en question n’est plus la priorité du moment. Il y a aussi un retard très fort en termes d’équipements. Aujourd’hui, les chercheurs français qui étudient la structure du virus n’ont pas accès aux mêmes microscopes qu’en Chine, ils ne peuvent donc pas aller aussi vite. Et il n’y a aucune volonté de mettre en place les moyens pour récupérer ce retard.
"Nous voyons bien, avec la crise environnementale et sanitaire, que le capitalisme financiarisé et globalisé est totalement dépassé et ne peut apporter aucune solution durable."
Au début de l’épidémie, les gouvernements et les chercheurs saluaient une coopération inédite entre laboratoires et États. Quelques mois plus tard, cette solidarité ne s’est-elle pas fissurée ?
Pierre Ouzoulias La communauté scientifique internationale échange beaucoup, il y a une vraie coopération de ce côté-là. Concernant la stratégie des laboratoires privés et des États, c’est très différent. Le scandale Sanofi le montre bien. Les laboratoires pharmaceutiques ont pour la plupart abandonné la recherche de traitements, car l’incertitude fait que le risque financier est trop important. En revanche, comme la découverte d’un vaccin pourrait servir à l’ensemble de l’humanité, avec un retour sur investissement potentiellement prodigieux, ils se sont jetés dessus. Et pour permettre la levée de fonds, Sanofi et d’autres jouent la concurrence entre les États, avec cette forme de chantage qui consiste à dire : « Les États-Unis investissent tant, si vous voulez qu’on produise le vaccin en France, il va falloir donner plus ». Les États sont donc concurrents. L’essai Discovery, qui patine parce que les pays européens qui devaient rejoindre la France ne l’ont finalement pas fait, montre bien que chaque pays préfère travailler dans son coin. Les États sont dans la poursuite de la course économique qu’ils se livrent depuis des décennies. C’est la première pandémie qui touche l’humanité de manière aussi globale, pourtant, pour la combattre, la réaction est celle d’un nationalisme tel qu’on ne l’a pas connu depuis 1945. Il est pourtant évident que ce n’est qu’en travaillant ensemble qu’on sortira plus rapidement de la crise. La logique ultralibérale se poursuit, contre l’intérêt de tous. Alors même que nous voyons bien, avec la crise environnementale et sanitaire, que le capitalisme financiarisé et globalisé est totalement dépassé et ne peut apporter aucune solution durable. Les idées portées par la gauche n’ont jamais été aussi modernes et aussi efficaces pour apporter des solutions pour notre humanité.
entretien réalisé par Florent Le Du
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