Depuis des mois, par voie d'amendement et dans une Proposition de loi que j'avais déposée au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, les députés communistes demandent la reconnaissance du statut juridique « d'établissement stable » pour les filiales françaises d'une société ayant son siège social dans un paradis fiscal.
Grâce à ce mécanisme d'évitement fiscal bien connu, les multinationales, en particulier celles du numérique, s'affranchissent de leurs obligations et privent les États de recettes très importantes. Au total, l'évasion fiscale coûte chaque année à la France entre 80 et 100 milliards par an, selon de nombreux experts.
Dans une décision récente, le Conseil d’État vient enfin d'établir cette qualification d'établissement stable, ce qui signifie tout simplement que ces filiales françaises doivent désormais se soumettre à l'impôt sur les bénéficies dans notre pays ! C'est une grande victoire pour tous ceux qui ont défendu cette position, en dépit de l'opposition systématique et résignée de la majorité parlementaire et du gouvernement, avec pour seul argument que cette notion était inapplicable. Forts de cette décision novatrice et audacieuse, qui ouvre la voie à une taxation plus juste des bénéfices des géants du numérique, nous redéposerons rapidement cette proposition à l'Assemblée comme nous le faisons depuis des années.
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord
Alors que la stratégie vaccinale du gouvernement est faite dans le flou le plus total, il est plus que jamais temps de construire une stratégie collective de sortie de la crise sanitaire.
Le PCF a lancé le 30 novembre dernier, avec des associations, ONG's, syndicats et une quinzaine de forces politiques au niveau européen l'initiative citoyenne européenne #PasdeProfitSurLaPandemie #Right2Cure. Avec le comité de campagne national nous avons décidé de faire du weekend des 16 et 17 janvier des journées de déploiement de cette campagne autour de trois grands axes.
Nous demandons la transparence sur la stratégie de vaccination au niveau national, comme européen et en particulier la publication des contrats signés avec les entreprises multinationales pharmaceutiques. La confiance des Français et des Européens ne se construira qu'à cette condition.
Nous demandons que les brevets soit abandonnés pour que les vaccins tombent dans le domaine public et permettre que les chercheurs et les scientifiques des différents laboratoires travaillent ensemble et partagent les connaissances, les retours sur les premières vaccinations et les différents vaccins. Face à un virus, unissons toutes les forces, toutes les intelligences !
Dans les pays pauvres, 9 personnes sur 10 n'auront pas accès au vaccin contre la #COVID19 en 2021. Selon l'OMS, le mécanisme COVAX a besoin d'urgence d'un peu plus de 4 milliards de dollars afin d'acheter des vaccins pour les pays à revenu faible et intermédiaire.
Nous voulons que les vaccins et traitements anti-pandémiques soient accessibles à tous et toutes indépendamment de la nationalité ou de la classe sociale. Pour cela, il faut en faire de biens communs de l'humanité soustraits de la logique des brevets. Le gouvernement français tout comme la Commission européenne s'étaient engagés en mai dernier sur ce sujet mais depuis ils refusent de soutenir les initiatives de l'Afrique du Sud et de l'Inde au sein de l'OMS et de l'OMC en la matière. Il faut que cette hypocrisie cesse si nous voulons trouver une issue à cette crise.
Après la pénurie des masques et des tests, allons-nous continuer sans rien faire vers une pénurie de vaccins ? Les alternatives existent pourtant comme mobiliser toutes les capacités productives pour permettre la production de vaccins au niveau national, européen et mondial. C'est ce qu'exigent aujourd'hui les salariés et la CGT Sanofi et nous les soutenons dans cette démarche.
Au-delà, il est temps que l'argent public qui a déjà financé la recherche et l'aide à la production ne servent pas aujourd'hui à verser des dividendes exorbitants aux actionnaires de BigPharma en grévant encore plus le budget de la Sécurité sociale. Nous demandons que le vaccin et les traitements anti-Covid soient vendus à prix coûtant. C'est d'ailleurs pour répondre aux besoins des populations que nous prônons depuis des années la mise en place d'un pôle public du médicament au niveau national, européen et mondial. Cette proposition est plus que jamais d'actualité.
La question du « remboursement » des milliards versés par l’État est lourde d’enjeux, économiques et politiques. Pour mieux cerner les enjeux liés à cette dette Covid, voici les contributions de :
Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et conseillère scientifique à l’Institut Veblen.
Henri Sterdyniak, économiste et cofondateur des Économistes atterrés.
Patrick Artus, chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis.
Frédéric Boccara, économiste, dirigeant national du PCF, membre du Cese.
La dépense publique est indispensable
JÉZABEL COUPPEY-SOUBEYRAN
Maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et conseillère scientifique à l’Institut Veblen
La crise sanitaire fait réaliser l’absolue nécessité des dépenses publiques. Celles que les gouvernements consentent aujourd’hui pour éviter une envolée des faillites et du chômage. Autant que celles qu’ils n’ont pas consenties hier, dans la santé, l’éducation, le numérique, et dont l’absence pèse lourd aujourd’hui dans la gestion de crise. Alors tant mieux si les brides budgétaires ont sauté et si les déficits hier interdits sont jusqu’à nouvel ordre autorisés. Mais, à s’interdire aujourd’hui d’annuler des dettes passées ou de financer autrement ces déficits, ne rouvre-t-on pas la porte à l’austérité budgétaire demain ?
Beaucoup se refusent aujourd’hui à considérer que la dette constituée par l’ensemble des emprunts contractés sur les marchés financiers par les États pour gérer la crise sanitaire puisse poser problème demain. Divers sont les motifs : nous n’aurions pas le choix ; les taux étant au plus bas et les marchés financiers très friands de ces titres de dette publique, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter ; et la politique budgétaire enfin jouerait son rôle.
De quoi exactement n’avons-nous pas le choix ? La crise suspend le sort de tous à la dépense publique et les États n’ont pas d’autres choix que de dépenser, cela est exact. En revanche, le financement et la destination de la dépense restent fondamentalement des choix. La dépense n’aura pas le même impact selon qu’il s’agit d’un transfert, d’une garantie de crédit, d’un investissement… Pas la même incidence non plus, selon qu’elle est financée par une dette de marché comme c’est le cas de nos jours, par un prêt de la banque centrale ou par un transfert de cette dernière sans contrepartie. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit le financement direct des États par le système européen de banques centrales. Est-il figé dans le marbre ? Acceptera-t-on encore longtemps un traité inadapté aux enjeux majeurs de notre époque : lutter aujourd’hui contre les conséquences de la crise sanitaire et prévenir la crise climatique qu’elle préfigure ?
Le fait que les taux d’intérêt soient au plus bas et que les marchés soient friands de titres de dette publique est-il la garantie que les États pourront sans difficulté dans les décennies à venir continuer de contracter de nouveaux emprunts sur les marchés pour rembourser les anciens ? On ne dit pas assez à quel point cela dépend de ce que fait la banque centrale. Les investisseurs sont « rassurés » par les rachats de titres de cette dernière. En réalité, le mot est faible tant leur addiction est devenue grande. Il suffirait que la banque centrale un jour les déçoive en ne rachetant plus suffisamment pour qu’aussitôt les taux des emprunts souverains remontent ou s’écartent d’un État à l’autre. Tout particulièrement en zone euro, où 19 dettes sont émises dans la même monnaie et où la BCE s’emploie activement par ses rachats d’actifs à écarter le risque d’une nouvelle crise de dette souveraine, en compromettant tous ses autres objectifs (la stabilité de la monnaie, de l’économie et de la finance).
Quant à la politique budgétaire enfin réhabilitée, souffrirait-elle dans la zone euro que la BCE décide d’abandonner les créances qu’elle détient sur les États ou que l’on efface l’article 123 du TFUE pour rétablir le financement direct des États par la BCE ? Non, bien au contraire, cela permettrait de la déployer au mieux, sans la soumettre au risque que demain les marchés sanctionnent un niveau de dette perçu trop élevé ou que certains décideurs publics se servent du niveau de la dette pour réinstaller l’austérité. Car parmi ceux qui s’opposent à ces alternatives, qu’ils disent inutiles, dangereuses, contre-productives, beaucoup étaient hier favorables à des règles budgétaires bridantes et feront tout pour les rétablir demain. Il est des pressions mortifères à ne pas sous-estimer, qu’elles viennent des marchés financiers ou des conservateurs chevronnés.
Protéger les précaires
HENRI STERDYNIAK
Économiste et cofondateur des Économistes atterrés
Fin 2021, le ratio dette publique/PIB de la France devrait se situer à 118 %, contre 98 % fin 2019, soit une hausse de 20 points, dont 12 points dus aux déficits publics, 8 points à la baisse de PIB. Que faire de cette dette Covid ?
En 2020-2021, la perte d’activité cumulée due à la crise Covid devrait être de l’ordre de 17 points de PIB annuel. L’État a heureusement pris à sa charge 70 % de cette perte, mais les ménages vont augmenter leur épargne financière de 10 points de PIB, puisque les confinements et les fermetures de nombreux services les empêchent de faire leurs dépenses usuelles. Les 12 points de hausse de la dette correspondent donc pour une grande part aux 10 points de hausse de la richesse financière des ménages. Celle-ci est très inégalement répartie (elle concerne 80 % des ménages, mais, d’autant plus qu’ils sont aisés ; les ménages les plus pauvres, ceux du dernier décile, ont puisé dans leurs réserves).
Le plus probable est que les ménages conserveront durablement ce surplus de richesse financière. Beaucoup limiteront leur consommation, en raison des incertitudes sur l’évolution économique et, pour les plus précaires, des pertes de revenus effectivement enregistrées. La consommation, atone, n’impulserait pas une forte reprise de l’activité. L’urgence, dans cette conjoncture fragile, ne sera pas de réduire la dette Covid mais, au contraire, de conforter la relance, en protégeant mieux les ménages précaires, en particulier par la hausse et l’extension du RSA, en créant des emplois publics, en impulsant des investissements s’inscrivant dans la transition écologique, ce d’autant plus que les taux d’intérêt resteront négatifs. La dette Covid émise, à des taux légèrement négatifs (– 0,14 % en moyenne), ne fera pas « boule de neige ».
Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, envisage de cantonner la dette Covid, c’est-à-dire de créer un organisme chargé de la rembourser, au rythme de 1 point de PIB par an. Osera-t-il introduire un impôt supplémentaire affecté ? Ce serait d’autant plus néfaste que, compte tenu de la répugnance du gouvernement à imposer les plus riches et les entreprises, l’impôt frapperait la totalité des ménages, par exemple par une hausse de 1,6 point de la CSG. Le risque est que l’État programme de fortes baisses des dépenses publiques et sociales. Celles-ci pèseraient sur les revenus et les conditions de vie de la population ; elles renforceraient des dysfonctionnements insupportables, comme on l’a vu pour les dépenses de santé.
La politique budgétaire de la France est théoriquement contrainte par les traités budgétaires européens. En mars 2020, leurs règles ont été suspendues, mais elles pourraient revenir en vigueur en 2022. Si les pays de la zone euro se lançaient alors dans des politiques d’austérité, leurs PIB ne se redresseraient pas, ce qui induirait des pertes de recettes fiscales, telles que leurs déficits budgétaires ne se réduiraient pas, que les ratios de dette augmenteraient. Ce serait d’autant plus absurde que la demande est globalement insuffisante, que le taux d’inflation et les taux d’intérêt sont légèrement négatifs. Les règles budgétaires européennes doivent être définitivement oubliées. Un pays doit pouvoir faire la politique budgétaire de son choix tant que celle-ci ne crée pas des déséquilibres nuisibles à ses partenaires, comme un déficit extérieur excessif (reste à vérifier que ce ne sont pas d’autres pays membres qui affichent des excédents extérieurs excessifs). Les dettes publiques doivent être explicitement garanties par la BCE, de sorte que les pays de la zone euro aient la même souveraineté monétaire que les autres pays développés.
Le défi monétaire
PATRICK ARTUS
Chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis
La France, comme tous les pays de l’OCDE, a mis en place un déficit public considérable en réaction à la crise due au Covid : il atteint 11,5 % du PIB en 2020, probablement 9 % du PIB en 2021. Il s’agit en fait de la politique économique appelée « monnaie hélicoptère ». L’État a mis en place des transferts aux ménages et aux entreprises (financement du chômage partiel, aides aux artisans et PME-TPE, baisses d’impôts, soutien aux secteurs en difficulté…) qui ont empêché l’effondrement des revenus qui aurait dû normalement résulter du recul de l’activité (en 2020, le PIB baisse de 9 %) : le pouvoir d’achat du revenu des ménages ne baissera que de 1 % environ, il n’y a pas de hausse pour l’instant du nombre de faillites d’entreprises.
Ces transferts publics ont été financés par des émissions de dette publique, mais celles-ci ont été immédiatement monétisées par la Banque de France, c’est-à-dire qu’elle a acheté les obligations émises et payé en créant de la monnaie. Tout se passe donc comme si la banque centrale avait directement financé les transferts publics par la création monétaire, précisément ce qu’on appelle « monnaie hélicoptère ».
Il est donc trompeur de parler de « dette Covid » ; certes, comptablement, le taux d’endettement public de la France atteint 120 % du PIB à la fin de 2020, mais la banque centrale détient à cette date 31 points de PIB de dette publique, et il ne reste une « vraie dette », à détenir par les investisseurs sur les marchés financiers, que pour 89 % du PIB. Le scénario le plus probable est celui où la banque centrale ne revendra jamais les titres publics qu’elle a achetés, de crainte de redéclencher une crise financière ; de plus, puisque la banque centrale reverse ses profits à l’État, cette dette est gratuite, quel que soit le niveau des taux d’intérêt. On voit donc que la question n’est pas celle de la dette Covid, mais celle de la monnaie créée pour financer les déficits publics, puisque la dette Covid n’a aucune existence, étant gratuite et non remboursable.
Le débat public sur les conséquences d’une création monétaire très rapide (la taille du bilan de la BCE, qui correspond à la quantité de monnaie créée par la banque centrale, est passée de 4 700 milliards d’euros en février 2020 avant la crise du Covid à 6 500 milliards d’euros à la fin de 2020) est insuffisant : quels sont les coûts à attendre d’une expansion très rapide de la quantité de monnaie ?
On a observé, dans les économies contemporaines, qu’une création monétaire très rapide conduisait à une très forte hausse des prix des actifs (c’est-à-dire les cours boursiers, les prix de l’immobilier, la valeur des entreprises). Le mécanisme est simple : une partie de la monnaie créée est utilisée pour acheter des actifs, ce qui fait monter les prix.
Bien sûr, compte tenu de la gravité de la crise, il fallait mettre en place des déficits publics très importants, et bien sûr, pour que ce soit possible, il fallait les financer par la création monétaire. Mais il ne faut pas croire que cette politique n’a pas de coût, qu’il s’agit d’une « martingale magique ». La hausse des prix des actifs évoquée plus haut va d’une part faire apparaître un enrichissement immérité, simplement dû à la politique monétaire expansionniste et à la création monétaire ; d’autre part va dégrader la situation des classes moyennes et populaires et des jeunes, puisqu’il faut s’attendre à une hausse rapide des prix de l’immobilier, et donc du coût du logement, acheté ou loué.
Le problème à venir n’est donc pas associé à l’excès d’endettement public, et au risque d’une crise des dettes ; il est associé aux désordres que va faire apparaître l’excès de création monétaire. Il est possible de lutter contre ces désordres, par exemple en taxant les plus-values à court terme en capital pour financer des politiques redistributives, en soutenant la construction de logements pour limiter la hausse de leur prix. Mais il faut d’abord bien analyser ces coûts de la politique de déficits publics monétisés qui est mise en place.
Contenu et orientation des dépenses
FRÉDÉRIC BOCCARA
Économiste, dirigeant national du PCF, membre du Cese
Avec la crise siamoise, sanitaire et économique, les dettes publiques se sont envolées. En France, elle atteindrait 120 % du PIB fin 2021, sans compter de possibles nouveaux événements pesant sur l’économie. Le gouvernement considère que 150 milliards d’euros pourraient être isolés comme « dette Covid » à proprement parler.
Pourquoi cette dette pose-t-elle problème ? D’une part à cause de son coût pour la rembourser : il peut évincer les dépenses salariales, sociales, de services publics, de transformation écologique et justifier une politique super-austéritaire. D’autre part parce qu’elle a été contractée en gonflant les marchés financiers, la BCE n’utilisant sa création monétaire que pour racheter la dette aux BlackRock, BNP Paribas et autres, et donc armer encore plus les forces antisociales et antisalariales. Enfin, parce qu’elle n’a pas « préparé l’avenir » : presque rien pour l’hôpital, notamment en embauches et formations, idem pour l’éducation nationale, la recherche, l’université, aides aux profits et au capital des grands groupes en acceptant leurs licenciements, financement du chômage partiel au lieu de plans de formation, de recherche et d’emploi sécurisé pour de nouvelles productions, un appui plus que défaillant à l’artisanat, aux PME, à la culture, à la jeunesse, etc.
Que viser ? Trois positions économiques occupent le devant de la scène. L’une est qu’il faut d’abord rembourser et se serrer la ceinture pour cela. C’est la position néolibérale, austéritaire : l’épargne préalable, le capital impose sa loi par-dessus tout. Elle mène dans le mur. Même les néolibéraux prétendent qu’ils ne la suivront pas. Ils sont pourtant engagés dans ce sens, qu’on mette ou pas la dette dans une structure spécifique. La position symétrique est qu’il ne faut pas rembourser la dette et l’annuler totalement. S’il faut certaines annulations, sélectives, et surtout une renégociation de la dette passée, une annulation générale de toute la dette ne tient pas la route. Car l’annonce d’une annulation générale précipiterait une crise majeure que le monde du travail serait le premier à payer, avec des effets en cascade. La dernière position est qu’il ne faut pas chercher à la rembourser et que c’est la croissance qui va permettre de la rembourser. Cette position de gauche a une part de vérité et une part erronée. La part de vérité est que c’est en effet sur la croissance des richesses produites, donc du revenu global, que la dette sera remboursée. Et plus cette croissance est élevée, moins la dette pèsera. C’est toujours ainsi qu’on a réussi à sortir des grandes crises, par exemple après 1945. Il faut donc des dépenses préalables, pas une épargne préalable, pour permettre cette croissance. Encore faut-il qu’elle soit véritablement saine. La part erronée, c’est que cette croissance ne viendra pas de façon automatique. Premièrement, il faut des dépenses préalables (embauches, investissements, formation, etc.) et du revenu (une demande). Deuxièmement, la croissance dépend du type de dépenses (embauches, salaires, investissements efficaces versus spéculations et délocalisations). Troisièmement, cette croissance peut être empoisonnée écologiquement (pollutions, etc.) et néfaste socialement (délocalisations, finance, précarité, bas salaires, etc.). et donc mener vers d’autres catastrophes. Et d’ailleurs les politiques keynésiennes ont largement échoué depuis le début des années 1970.
Concrètement, quand l’État verse des milliards à un grand groupe qui, comme General Electric, démolit l’emploi, délocalise et met en cause la réponse au défi climatique, en fermant progressivement la fabrication de turbines hydroélectriques, l’activité Grid et en démantelant sa filière nucléaire, cela pèse contre la croissance et l’empoisonne. Et cela nous amène vers de nouvelles catastrophes et ne permet pas de rembourser la dette.
L’enjeu est donc le contenu et l’orientation des dépenses publiques et celles des grands groupes. C’est-à-dire l’intervention populaire politique et consciente, et la mise en place des institutions démocratiques à visée autogestionnaire pour permettre cela. L’exemple de l’après-guerre montre qu’il faut des transformations profondes. De portée révolutionnaire.
Selon le professeur d’histoire contemporaine au King’s College de Londres et à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, la crise du Covid-19 bouleverse les équilibres mondiaux. Il rappelle que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Empires Qing en Chine et moghol en Inde produisaient à eux seuls plus de la moitié de la richesse mondiale. Et invite à une solidarité internationale plus que jamais nécessaire. Entretien.
En tant qu’historien de la mondialisation, quels enseignements tirez-vous de la pandémie de Covid-19 ?
Pierre Singaravélou Il est toujours extrêmement périlleux de tirer des enseignements des événements récents. A fortiori s’agissant de cette séquence où les confinements se succèdent sans que les gouvernements soient guidés par une doctrine cohérente et clairement lisible. On peut toutefois affirmer que la pandémie de Covid-19 est en elle-même la démonstration spectaculaire que nous vivons dans un monde entièrement globalisé pour le pire et – espérons-le – pour le meilleur. Le virus se joue en effet des frontières nationales, frappant tous les pays de la planète à l’exception de quelques îles telles les Samoa américaines, qui se sont totalement coupées du reste du monde. Cette crise sanitaire révèle sans aucun doute les travers d’une mondialisation économique où la division internationale du travail a induit la pénurie catastrophique de certains produits essentiels (médicaments, matériel médical, etc.), dans les pays occidentaux totalement dépendants de la Chine. Face à cette situation inédite, le plus frappant est l’impensé que la crise révèle : l’impensé des dirigeants sur la mondialisation, même chez les « gagnants » de la globalisation. Ils oscillent entre repli souverainiste et solutions néolibérales très classiques, mais peinent à prendre la mesure de ce sujet, donc à inventer le fameux « monde d’après » qui a été brièvement promis au début de la pandémie. Ainsi sont peu discutées dans le débat public les solutions en termes de solidarité globale.
La mondialisation peut-elle aussi rendre possible cette coopération internationale ?
Pierre Singaravélou À partir du milieu du XIXe siècle, les processus de construction nationale, de repli nationaliste et de mondialisation ne cessent de s’entretenir mutuellement, notamment dans le domaine sanitaire. La propagation plus rapide des épidémies conduit les États à coordonner leurs efforts dans la mise en place de contrôles et de quarantaines afin de ne pas nuire à l’essor du commerce. C’est ainsi qu’est organisée à Paris, en 1851, la première conférence sanitaire internationale pour lutter contre le choléra, la peste et la fièvre jaune. Aujourd’hui, la compétition entre les États autour du vaccin contre le Covid-19 semble féroce. Certains pays comme les États européens promeuvent une approche multilatérale de la santé publique, tandis que d’autres comme les États-Unis défendent une conception plus sécuritaire et isolationniste, conduisant le président Trump à interrompre en avril 2020 le financement états-unien de l’OMS. Mais, en réalité, les nouveaux vaccins anti-Covid résultent de différentes formes de coopération internationale, à l’image du BioNTech, compagnie allemande fondée par des chercheurs d’origine turque et associée à la multinationale états-unienne Pfizer. Demandons-nous quel pays aujourd’hui peut concevoir et produire seul un tel vaccin ? Cette solidarité internationale s’avère plus que jamais nécessaire. Et la crise actuelle suscite déjà de nouvelles formes de coopération comme le programme Access to Covid-19 Tools, développé par la Commission européenne. Dans ce contexte, il semble préoccupant qu’une fraction de la gauche française abandonne l’internationalisme – en remettant en question, par exemple, la circulation des personnes – pour des raisons purement électoralistes.
Cette pandémie révèle-t-elle des changements dans le rapport de forces à l’échelle du monde ?
Pierre Singaravélou En mettant au jour les faiblesses des puissances européennes et des États-Unis, la pandémie symbolise de manière spectaculaire la fermeture de la parenthèse de la domination occidentale du monde débutée il y a seulement deux siècles. Du point de vue des dirigeants asiatiques, il s’agit d’un simple rétablissement de l’ordre ancien, car, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Empires Qing en Chine et moghol en Inde produisaient à eux seuls plus de la moitié de la richesse mondiale. À la suite de la réponse sanitaire très inadaptée des États-Unis et des pays européens, totalement désorganisés pendant les premiers mois de l’épidémie, l’Occident ne constitue plus le modèle en matière sanitaire, scientifique, technologique et industrielle, aux yeux du reste du monde. En revanche, des pays un peu partout ailleurs se sont illustrés par leur inventivité ou leur efficacité. Ainsi, Taïwan, qui a réagi très tôt, en imposant masques et tests, a évité le confinement et compte le plus faible nombre de morts du Covid-19 : 1 décès pour 3 350 000 personnes, contre 1 mort du Covid-19 sur 990 États-Uniens. La Corée du Sud est le premier pays à comprendre la nécessité de tester toute sa population, en raison du grand nombre de cas asymptomatiques. À l’autre bout du monde, le Liberia, grâce à son expérience face à l’épidémie d’Ebola en 2014, a mis en place des mesures efficaces de test et d’identification des cas contacts. Cette pandémie invite sans doute pour la première fois les États-Uniens et les Européens à abandonner leur obsolète complexe de supériorité et à prendre concrètement conscience – avec humilité – de la reconfiguration des équilibres mondiaux.
Ce retour de l’Asie sur le devant de la scène peut-il être symbolisé par un objet, le masque prophylactique, auquel est consacré le dernier article du Magasin du monde, l’ouvrage que vous avez codirigé avec Sylvain Venayre ?
Pierre Singaravélou L’usage du masque prophylactique, si présent dorénavant dans notre vie quotidienne, se généralise en effet pour la première fois en Chine, à l’occasion de la peste de Mandchourie en 1911. Des médecins chinois, comme le docteur Wu, jouent alors un rôle décisif dans sa popularisation. La santé publique japonaise fait ensuite du port du masque un de ses chevaux de bataille dès la grippe espagnole de 1918-1920. Le masque devient ainsi progressivement un objet commun en Asie orientale et du Sud-Est pour lutter contre les maladies transmissibles par voies respiratoires, puis pour se protéger de la pollution de l’air. Aujourd’hui, comme le rappelle l’historien Frédéric Vagneron, la production de la majorité des masques chirurgicaux, à partir de matériaux de l’industrie chimique comme le polypropylène, est localisée en Chine. Laquelle produit désormais la plupart des objets en plastique – gilets jaunes, planches de surf, smartphones, sex-toys – consommés dans le monde.
Peut-on comparer la crise sanitaire actuelle avec d’autres événements du passé ?
Pierre Singaravélou Le coup d’arrêt des circulations transnationales, la dimension globale du confinement et le ralentissement de l’économie qu’ils entraînent sont inédits. En revanche, le monde a été confronté à des pandémies bien plus dévastatrices d’un point de vue sanitaire. Songeons à la grippe espagnole en 1918-1920, dont l’ampleur et les conséquences démographiques – près de 50 millions de victimes – ont longtemps été sous-estimées… Seules quelques îles y échappèrent, à l’instar des Samoas américaines, déjà ! Les deux épidémies possèdent plusieurs points communs : des remèdes improbables voient le jour (rhum pour la grippe et chloroquine pour le Covid) ; on ne meurt pas de la maladie elle-même mais d’une surinfection bactérienne dans le cas de la grippe espagnole et de la réaction immunitaire dans celui du Covid-19. Mais, à la différence du Covid-19, la grippe espagnole frappe principalement des hommes jeunes et robustes là où la pandémie actuelle tue surtout les plus âgés et les plus fragiles.
Vous enseignez en France et en Grande-Bretagne, quelles différences d’approche et de réponse face à la pandémie avez-vous observées ?
Pierre Singaravélou La pandémie semble révéler ou confirmer des habitus nationaux. En dépit de leur proximité idéologique, les deux gouvernements français et britannique ont adopté, ces derniers mois, des politiques publiques différentes qui s’inscrivent dans des traditions bien distinctes. Au Royaume-Uni, en vertu d’une culture libérale qui fait consensus, il n’a jamais été question d’instaurer l’obligation du masque dans la rue et un système très contraignant d’attestations de déplacement. Les magnifiques parcs londoniens n’ont jamais été fermés et les habitants ont échappé au couvre-feu. Libre à chaque Britannique asymptomatique de se faire dépister avec un test antigénique pour la somme extravagante de 70 à 250 euros, alors que le système public de santé français permet à tous d’y accéder gratuitement dans les pharmacies. En revanche, la stratégie vaccinale des deux pays ne correspond pas à cette différence d’approche : Grande-Bretagne « libérale » vs France « dirigiste ». Le 30 décembre 2020, on comptait près d’un million de personnes vaccinées au Royaume-Uni contre seulement 330 personnes en France. La dégradation rapide de la situation sanitaire en Angleterre et le respect des processus de validation, ainsi qu’un déficit de volonté politique en France semblent tempérer ici les habitus nationaux.
Un rapport parlementaire remis le 16 décembre par Marie-George Buffet alerte sur les conséquences de la crise sanitaire pour les jeunes gens. Que constatez-vous chez les étudiants ?
Pierre Singaravélou Cette crise sanitaire décuple la précarité préexistante des étudiantes et étudiants, dont 20 % vivaient déjà en dessous du seuil de pauvreté avant le confinement : ils sont les grands oubliés du gouvernement. Les universités n’intéressent pas les élites politiques et économiques françaises qui n’en sont pas issues et qui prennent soin de ne pas y envoyer leurs enfants. Pourtant, les établissements universitaires accueillent la majorité des jeunes de ce pays et la quasi-totalité des enfants d’ouvriers et d’employés qui accèdent à l’enseignement supérieur. De plus en plus d’étudiants sombrent dans la pauvreté avec la disparition des petits boulots (restauration, bar, hôtellerie, baby-sitting, etc.). Nous fermons collectivement les yeux devant leurs problèmes concrets : extrême isolement, fermeture des restaurants universitaires à tarification sociale, absence d’espace de travail, manque d’équipement informatique personnel et de forfait Internet pour suivre l’enseignement à distance. On constate que les étudiants qui officient dans les secteurs de première nécessité subissent un accroissement de la charge de travail.Nombre d’entre eux ont arrêté leurs études au cours des deux premiers confinements. Il y a urgence : le sort de la jeunesse de notre pays, étudiante ou pas, devrait être la priorité absolue du gouvernement parallèlement à la lutte contre la pandémie.
Benoît Hamon défend le principe du revenu universel pour chaque personne majeure en ces termes : « Le revenu universel reconnaît tout le travail et pas seulement l’emploi et le lien de subordination à un employeur. Ensuite, à partir du moment où l’on soulage le travailleur de sa dépendance au seul salaire, on lui permet de maîtriser davantage sa vie et on modifie le rapport de forces avec le capital, on donne davantage la possibilité au salarié de négocier avec son employeur.» Plus loin il ajoute : « Avec 750 euros par mois garantis, à côté du salaire, les travailleurs ne seront pas obligés de “céder” leur force de travail au tarif de l’employeur… »
Avant de devenir journaliste en 1983, j’ai travaillé pendant dix-huit ans sur une chaîne de production de pneus. Cette année-là, le groupe Michelin a fermé l’usine de sa filiale Kléber à Colombes pour transférer les productions dans les usines Kléber de province où les salaires étaient inférieurs de 30 % à ceux versés en banlieue parisienne. En 2009, l’usine Kléber de Toul, ouverte en 1969 et ayant bénéficié du plus important transfert des productions faites à Colombes, en 1983, a été fermée. Michelin a transféré sa production de pneus en Serbie, où les salaires étaient trois fois plus bas qu’en Lorraine.
En novembre 2020, Bridgestone a annoncé la fermeture de son site à Béthune, et le gouvernement en a pris acte. Selon l’Insee, 530 000 emplois productifs ont été supprimés dans l’industrie en France entre 2006 et 2015, à la faveur de délocalisations dans les pays à bas coût de main-d’œuvre. Ce processus continue depuis et la pression actuelle des firmes donneuses d’ordres sur leurs sous-traitants risque d’accélérer cette orientation, qui affaiblit l’économie française au fil des ans.
Se pose donc une question que Benoît Hamon n’aborde jamais. Comment trouver les moyens pour financer durablement un revenu universel versé à chaque citoyen dans une France incluse dans cette zone de libre-échange que demeure l’Europe à vingt-sept ? D’autant plus que la Commission européenne continue de négocier avec les pays tiers des accords de libre-échange sur fond de dumping social et environnemental !
Le déficit commercial annuel de notre pays avoisine les 60 milliards d’euros. Notre production industrielle ne compte plus que pour 12 % dans le PIB, contre 23 % en Allemagne et presque autant dans plusieurs pays entrés dans l’Union européenne en 2004 et 2007. Peut-on, dans ces conditions, financer durablement un revenu universel dont la mise en place peut aussi favoriser l’accélération des délocalisations des productions ? C’est l’angle mort du raisonnement de l’ancien candidat du PS à la présidentielle de 2017.
Dernier ouvrage paru : Choses apprises en 2020 pour agir contre la faim, éditions du Croquant.
Dans ce marasme ambiant , une bonne nouvelle tout de même et pas des moindres pour les associations, partis politiques et syndicats, partenaires du CIAN 29 ( collectif pour l'interdiction des armes nucléaires), dont le PCF Finistère :
Il fallait que 50 pays ratifient le traité d'interdiction des armes nucléaires pour qu'il entre en vigueur. Ce nombre est dépassé et le TIAN entrera donc en vigueur le 22 janvier.
De nombreux rassemblements en France et à travers le monde auront lieu ce jour là pour le faire savoir et célébrer l'évènement. La France détentrice de l'arme nucléaire sera donc dans l'illégalité au regard du droit international , tout comme Israël et les 7 autres pays possédant cette arme de destruction massive qui pourrait anéantir toute vie sur Terre. Le conseil municipal de Carhaix à l'unanimité, à la demande du CIAN 29 a adressé un appel en faveur du TIAN au gouvernement français en 2020 . C'est pourquoi le CIAN 29 a souhaité créer un évènement à Carhaix le 22 janvier à 17H. Un rassemblement est déjà prévu devant la mairie avec déploiement d'une grande banderole portant le message suivant:" le Traité d'Interdiction des Armes Nucléaires est entré en vigueur, la France doit le signer". Soyons nombreux à participer à ce rassemblement avec nos drapeaux. Pour info, un autre rassemblement aura lieu à Brest le lendemain samedi 23 janvier dans l'après midi.
Information transmise par Noëlle Péoc'h pour le Collectif CIAN 29
:
Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste.
Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale.
Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.