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27 mai 2019 1 27 /05 /mai /2019 19:14
 Communist'Art: Soy Cuba - Un film de Michail Kalatozov, une émotion visuelle incroyable qui laisse enchantés et déconcertés - la chronique cinéma d'Andréa Lauro
 Communist'Art: Soy Cuba - Un film de Michail Kalatozov, une émotion visuelle incroyable qui laisse enchantés et déconcertés - la chronique cinéma d'Andréa Lauro

« Soy Cuba » - Un film, une émotion visuelle incroyable qui laisse enchantés et déconcertés

À Cuba, le cinéma est arrivé en janvier 1897 grâce à Gabriel Veyre, représentant des Frères Lumière. La première projection eut lieu à La Havane et le mois suivant le premier film fut tourné sur l’île : la simulation de l’intervention des pompiers dans une ville.

En 1898, après la fin de la guerre hispano-américaine, fut réalisé le premier court-métrage El brujo desapareciendo œuvre de l’acteur José Esteban Casasús, suivi des films d’Enrique Díaz Quesada, le cinéaste le plus significatif de l’époque du muet, auteur de nombreux documentaires et du premier long métrage cubain Manuel García, rey de los campos de Cuba (1913). Sa production massive a été détruite en 1923 par un incendie quelques mois après sa mort. Le travail de Ramón Peón a également été remarquable. Mais le cinéma hollywoodien monopolisait le secteur de la distribution, facteur qui s’accentua avec l’ascension du pouvoir de Fulgencio Batista qui gouverna sans cesse l’île, protectorat USA, de 1933 à 1959.

Ce n’est pas par hasard que le véritable développement du cinéma cubain a eu lieu seulement après la Révolution dirigée par Fidel Castro et Ernesto « Che » Guevara, qui avaient montré plus d’un intérêt pour le septième art, faisant reprendre leur action dans les années de la révolution par Julio García Espinosa. En 1959 fut fondé l’ICAIC (Institut cubain de l’Art et de l’Industrie Cinematográficos), l’Institut du cinéma d’État né pour organiser, établir et développer l’industrie cinématographique, et produire et distribuer les films cubains. L’ICAIC, dirigé par Alfredo Guevara, collabore avec des cinéastes européens (dont l’italien Cesare Zavattini) et soviétiques (dans la période de plus grande collaboration entre les deux pays). De l’une de ces collaborations est né le film cubain le plus important et connu, Soy Cuba dirigé par le soviétique Michail Kalatozov.

Auteur de Letjat zhuravli (Quand passent les cigognes, 1957), Palme d’or au Festival de Cannes en 1958, Michail Konstantinovic Kalatozov (Tbilissi, 28 décembre 1903 – Moscou, 27 mars 1973), le moins staliniste parmi les réalisateurs soviétiques, eut l’idée de tourner un film sur Cuba dès 1961 à la suite de sa première rencontre avec le Directeur de l’ICAIC Alfredo Guevara.

Soy Cuba (littéralement Je suis Cuba) a pris forme lorsque Fidel Castro même a commandé le film pour célébrer les fastes du système politique cubain et les horreurs de l’ancien régime de Batista. Ils ont également travaillé au projet le poète soviétique Evgenij Aleksandrovic Evtušenko et l’écrivain cubain Enrique Pineda Barnet qui ont édité le scénario, Carlos Fariñas qui a composé la musique poignante et Sergey Urusevsky méticuleux directeur de la photographie qui avait déjà travaillé avec Kalatozov pour Quand passent les cigognes. Après quatorze mois de travail et la collaboration de Mosfilm de Moscou, le film est sorti dans les salles.

Suite à un bref prologue, présenté par la « voix de Cuba » (la voix est de Raquel Revuelta) qui accompagnera tout le film, Soy Cuba raconte quatre histoires de violences et d’abus qui se déroulent dans les derniers jours du régime de Batista. Dans la première, la jeune Maria (Luz María Collazo) est contrainte par la misère de se prostituer avec les riches Américains, entre alcool et night-clubs; dans la deuxième, le pauvre paysan Pedro (José Gallardo), informé que la terre qu’il cultive a été vendue à United fruits, met le feu à toute la plantation; dans la troisième histoire, Enrique (Sergio Corrieri, puis membre du Comité Central du Parti Communiste Cubain et député) renonce à tuer le chef de la police, qui ensuite le tue lâchement lors d’une manifestation. Dans le quatrième et dernier épisode Mariano, qui vit dans la Sierra avec sa famille, se joint aux barbudos après la mort de l’un de ses quatre enfants.

Influencé par le Cinema Novo brésilien, le néoréalisme italien, la nouvelle vague française et les images d’Orson Welles, Kalatozov (s’accordant de larges nuances artistiques) réalisa un chef-d’œuvre en enregistrant la ferveur politique du moment. Pure distillation de cinéma, habilement embellie par une photographie expérimentale qui convertit chaque image en une exception visuelle, le film a été agrémenté par la technique soviétique, des cadres « obliques », des longs et « acrobatiques » plans séquence, inoubliable la reprise de l’enterrement de l’étudiant montrant la douleur d’un pays entier.

Le réalisateur déclara qu’il voulait réaliser une fresque exhaustive, quelque chose, si ce n’est pas trop ambitieux, comme les Rougon-Macquart d’Émile Zola, mais la première et unique coproduction Cuba-URSS fut vivement critiquée à sa sortie. Les cubains rebaptisèrent le film No soy Cuba en voyant une représentation stéréotypée de leurs habitudes, tandis que les soviétiques le trouvèrent assez peu révolutionnaire. Le film fut ainsi retiré de la circulation et marqué comme expérience de propagande avortée.

Soy Cuba, joué par des acteurs non professionnels, a été redécouvert trente ans plus tard, en 1992, au Telluride Film Festival dans le Colorado lorsque deux hauts représentants de la New Hollywood, Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, ils l’ont qualifié de chef-d’œuvre et ont réussi en 2005 à le remettre dans les salles. Les raisons pour lesquelles il fut attaqué à l’époque, les innovations artistiques, devinrent les mêmes pour la redécouverte.

L’histoire, le « making of » et l’accueil du film sont racontés dans le documentaire Soy Cuba, le mammouth sibérien (2004) dirigé par le réalisateur brésilien Vicente Ferras qui recueille les témoignages des protagonistes de l’époque aujourd’hui étonnés de la réévaluation. Comme le critique américain James Hoberman l’a dit, le film a été ressuscité d’un oubli de décennies, comme un mammouth réapparaît après des millénaires dans la glace sibérienne.


Depuis, le cinéma cubain a produit des milliers de films, parmi des longs-métrages, des documentaires, des dessins animés; il a fait émerger des réalisateurs de renommée internationale comme Tomás Gutiérrez Alea et Juan Carlos Tabío (Fraise et Chocolat), Humberto Solás (Lucía), Daniel Díaz Torres (Alice in Wondertown), mais Soy Cuba, film qui a failli être effacé des pages de l’histoire du cinéma, reste un aperçu d’un monde qui n’existe plus. Tourné en pleine guerre froide, il décrivit la dictature de Batista, souligna « l’infaillibilité » de Castro, dénonça le capitalisme. Il montra plus simplement combien l’idée même de la Révolution peut être belle.

Andréa Lauro


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Michail Kalatozov

Michail Kalatozov

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