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6 septembre 2016 2 06 /09 /septembre /2016 20:35

Le gouvernement tient-il un double discours sur le traité de libre-échange transatlantique (Tafta) ? Publiquement, l’exécutif ne cesse depuis des mois de multiplier les réserves sur ce projet d’accord négocié depuis 2013 dans une grande opacité entre la Commission européenne et les Etats-Unis. Une petite musique qui a commencé il y a près d’un an lorsque Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, créait la surprise en déclarant que « la France envisage toute les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations ». Depuis, les avertissements sont allés crescendo. « On ne va pas signer à tout prix », assurait le même Matthias Fekl en avril. L’arrêt des négociations « semble l’option la plus probable », renchérissait-il en mai. François Hollande lui-même est entré dans la danse au printemps. « A ce stade, la France dit non, affirmait le chef de l’Etat début mai. Jamais nous n’accepterons la mise en cause des principes essentiels pour notre agriculture, notre culture, pour la réciprocité pour l’accès aux marchés publics. »

Le 14e round de négociations a été bouclé en juillet et le 15e round est prévu pour octobre. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a confirmé ce dimanche 4 septembre en marge du G20 de Hangzhou, en Chine : « Nous continuerons de négocier avec les Etats-Unis ». Et c’est logique puisque officiellement, la Commission a toujours mandat des Etats membres de l’Union européenne pour mener ces discussions. « Lors du dernier Conseil européen en juin, j'ai demandé à l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement s'ils voulaient que l'on poursuive les négociations. La réponse fut un oui », a d'ailleurs souligné un Jean-Claude Juncker agacé. Pour lui, donc, « il n’y a rien de neuf sous le soleil ».

De fait, à l’issue du Conseil européen des 28 et 29 juin, Jean-Claude Juncker avait déjà annoncé dans une conférence de presse que tous les Etats membres avaient confirmé le mandat de la Commission. Cela signifie-t-il que, malgré les déclarations de plus en plus hostiles au Tafta, Paris n’ait rien trouvé à redire à la poursuite des négociations ? Une source diplomatique française conteste la version des faits présentée par Juncker : « Il n’y a jamais eu de demande de renouvellement du mandat, ça n’existe pas juridiquement. »Au gouvernement, on peste donc contre le piège que tendrait le président de la Commission à la France en accréditant l’idée qu’aucun Etat membre ne s’oppose réellement à la poursuite des négociations. « J’invite la Commission à faire moins de déclarations fracassantes contre les Etats membres », s’était déjà agacé Matthias Fekl début juillet. Et ce lundi depuis le G20, François Hollande a rétorqué au patron de la Commission par une formule sibylline : « Jean-Claude Juncker peut poursuivre, mais la position de la France est claire… »

Il n’empêche : l’exécutif français a beau multiplier les avertissements, le Tafta est, de fait, toujours en discussion. Le 30 août, Matthias Fekl a assuré que la France demanderait« l’arrêt de ces négociations » lors d’une réunion des ministres européens du commerce extérieur prévue le 22 septembre. « Il faut un coup d'arrêt clair et définitif à ces négociations pour repartir sur de bonnes bases », argue le secrétaire d’Etat. Certes, mais seul le Conseil européen - c’est à dire les chefs d’Etat et de gouvernement - a le poids politique suffisant pour stopper les discussions. Or, François Hollande sait qu’il pourra difficilement enterrer le Tafta en un claquement de doigts, alors que la chancelière allemande Angela Merkel soutient toujours le projet, malgré les réserves publiques émises par son ministre de l’Economie, Sigmar Gabriel. Ou quand le réalisme rattrape cruellement les coups de menton publics…

Louis Hausalter (http://www.marianne.net/tafta-pourquoi-les-negociations-ne-s-arretent-pas-malgre-les-cris-orfraie-france-100245557.html)

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4 septembre 2016 7 04 /09 /septembre /2016 07:45

Courant d'ère. Mémoire vive, mémoire morte
http://www.letelegramme.fr/debats/memoire-vive-memoire-morte-04-09-2016-11203941.php

François Fillon a du mal à exister. Comme nous tous, serais-je tenté d'écrire. Mais peut-être un peu plus que le commun des mortels quand il consulte les sondages. Entre Sarkozy et Juppé, sa place n'est guère trouvée, ses chances s'étiolent. Alors, il en remet dans le discours, il en remet tant, que, sous son habit d'homme souriant et pondéré, il dérape et laisse échapper quelques propos qu'on attendrait plus dans les postillons de Donald Trump. Ainsi a-t-il déclaré dimanche dernier, lors d'un meeting sur ses terres, dans la Sarthe, qu'il convenait de « revoir l'enseignement de l'Histoire à l'école primaire » afin que les professeurs ne soient « plus obligés d'apprendre aux enfants que le passé est source d'interrogations ». Il suggère de solliciter « trois académiciens » pour refondre les programmes, afin que nos rejetons soient édifiés par un récit (ou un roman) national tissé d'hommes exemplaires, de symboles incontestables, d'événements glorieux et de monuments magnifiques. Cette Histoire-là est bien connue et fut pratiquée au XIXe siècle, sous la Troisième République. Sa fonction est unificatrice et protectrice. Il s'agit d'évacuer par l'exemple les sources de querelles et de doutes.

L'Histoire de France est forcément somptueuse, on ne va pas l'abîmer avec des détails - traite des Noirs, extermination des Indiens, fiasco de 1940, politique de Vichy ou torture en Algérie.

C'est ce que réclame depuis une bonne décennie la droite dite « décomplexée ». C'est ce que pratiquent Valeurs Actuelles ou la Chaîne Histoire de Patrick Buisson. François Fillon a été ministre de l'Éducation nationale. Et s'il voulait bien se reporter à cette expérience, il aurait songé que les programmes d'Histoire sont affaire de scientifiques et non d'académiciens. Que l'Histoire elle-même est un perpétuel débat et qu'elle a pour but de s'assurer la connaissance du passé au moyen des armes de la critique. Hier, nous pensions que le Moyen-Âge fut une période obscure, peu créatrice, qui attendait l'illumination de la Renaissance pour s'évanouir. Et puis, avec Jacques Le Goff et son école de chercheurs, on s'aperçut que cette légende était non seulement réductrice mais violemment fausse. Ce n'est pas aux politiques de dire ce qu'est l'Histoire, mais aux historiens. La levée de boucliers qui a salué les propos de l'imprudent candidat a été aussi massive que déterminée. Voulons-nous des enfants décérébrés qu'on nourrit de contes, ou des esprits critiques auxquels on enseigne que la vérité est controversée et source de controverses ? Mémoire vive, mémoire morte, voilà l'alternative.

"Mémoire vive, mémoire courte" : courant d'ère d'Hervé Hamon dans le Télégramme du 4 septembre brocardant la conception passéiste et réactionnaire de l'enseignement de l'histoire de Fillon et de la droite
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3 septembre 2016 6 03 /09 /septembre /2016 16:07
Nicolas Lebourg

Nicolas Lebourg

Nicolas Lebourg : « Quand on le plagie, le FN radicalise son discours pour conserver sa plus-value »

grand entretien

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR GRÉGORY MARIN

VENDREDI, 2 SEPTEMBRE, 2016

L'HUMANITÉ

S’adresser directement à des électeurs imaginaires du Front national pour finalement s’éloigner des stéréotypes, c’est le pari fait par l’historien de l’extrême droite Nicolas Lebourg, dans ses Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout.

Votre livre (1) ne s’adresse pas vraiment à un électorat Front national uniforme tel qu’on le voit à la télé, inculte et braillard, mais à ce « conglomérat électoral » tel qu’une partie des chercheurs le définissent désormais. Dans quel but avoir choisi cette forme ?

NICOLAS LEBOURG Plutôt que de pointer le lumpenprolétariat FN, je préfère noter qu’il n’y a pas d’ouvrier parmi nos députés. Si l’électorat frontiste avait connu une nette prolétarisation en 1995, entraînant le passage de l’autoqualification de « vraie droite » à celle de « ni droite, ni gauche », les choses ont changé. Le FN aujourd’hui a considérablement approfondi l’interclassisme de son électorat. La mise en avant perpétuelle des ouvriers FN est aussi une manière de mettre sous le tapis la droitisation d’une partie des classes bourgeoises, qui peuvent ainsi se targuer de partager les soucis du peuple. Actuellement, 19 % des électeurs vivant dans des foyers ayant plus de 6 000 euros mensuels pensent voter pour Marine Le Pen, contre 36 % pour les moins de 1 250 euros. Le livre parle à des personnes saisies par l’inquiétude du déclassement. Le but est de les rendre tangibles, avec une épaisseur humaine : bien souvent, à gauche, on applique à l’électorat FN la formule de Manuel Valls : « Comprendre, c’est excuser. »

Il y a tout de même peu de chances que ces électeurs le lisent…

NICOLAS LEBOURG Je ne sais si les pro-FN le liront, mais je serais ravi s’il leur était passé par leurs proches anti-FN et que ça puisse servir de passerelle de discussion.

Pour dégager des profils d’électeurs, vous reprenez la citation de Robert Bresson : « Je vous invente comme vous êtes. » Comment les avez-vous imaginés ?

NICOLAS LEBOURG On a une dérive de l’usage des enquêtes d’opinion, avec l’idée qu’il y a le vote des ouvriers, des catholiques, des jeunes, etc. Or un être humain ne correspond pas à un seul segment : il peut être, comme dans l’un des chapitres : une femme, en temps partiel, en famille monoparentale, dans un quartier à forte présence de personnes originaires des mondes arabo-musulmans, etc. J’ai pris les traits de sociologie du vote FN et je les ai combinés pour faire des personnes humaines, afin de faire comprendre leur vote. Les villes sont choisies pour leur structure sociale et pour moitié parce que j’y ai vécu : ces gens sont peut-être des amis perdus de vue qui ont suivi leur chemin, donc je ne vais pas les vilipender mais discuter avec eux. Je montre aussi quelle est la problématique ethno-culturelle par laquelle ils expliquent leur penchant FN et quelles sont en fait les structures sociales qui éclairent la production de ce choix.

Vous faites le portrait de catégories qui auraient ou vont « basculer » vers le vote Front national, notamment des fonctionnaires en voie de précarisation. Où mord cet électorat, à qui manquera-t-il, droite, gauche, abstentionnistes ?

NICOLAS LEBOURG La petite fonction publique offre un grand espace au FN, et son précariat – pensez à tous ces profs non titulaires que l’on paye dans certaines académies sans respecter la grille salariale fixée par le ministère, que l’on envoie en première ligne d’une société en crise en les traitant de parasites… Ces gens croyaient en l’État providence, mais tous les gouvernements ont attaqué ce dernier, faisant ainsi passer l’idée de déclin dans ces catégories, ce qui a droitisé leurs représentations sociales. Il n’y a plus que 15 % des fonctionnaires qui estiment que les politiques publiques sont au service de l’intérêt général, et 77 % des enseignants rejettent la politique éducative en place. Pour la gauche qui croyait ces catégories acquises il y a là une alarme évidente. Globalement, chez les précaires, il existe un survote FN, quel que soit leur âge, sexe, religion, etc. Ils ont une demande d’inclusion sociale, on leur répond par l’atomisation du travail.

Vous plaidez pour un retour au politique sur des bases plus clivées, qui peuvent apparaître « vieille France » comme vous dites. Une droite autoritaire avec des valeurs républicaines, une gauche qui assume pleinement son ambition sociale… Cela suffira-t-il à couper l’afflux d’électeurs vers le FN ? Ce parti capitalise aussi sur les manques des autres, notamment sur des questions non traitées (comme les intellectuels précaires que vous évoquez dans la « Lettre à un étudiant gay néoparisien »), alors même que ce parti produit peu de réponses à ces questions.

NICOLAS LEBOURG Il y a ce que je nomme la « règle de l’autonomie de l’offre politique » : depuis les années 1960, dans tous les pays de l’Union européenne, les tentatives de décalque des thèmes nationaux-populistes se payent par un transfert des votes à leur avantage. François Duprat, numéro deux du FN jusqu’à son assassinat en 1978, exposait que le thème de la corrélation entre chômage et immigration devait permettre de capter des voix populaires, d’être plagié par les partis de droite et, de là, faire que le FN soit dédiabolisé. La droite avait capté en 2007 les commerçants et artisans avec son discours sur « la France qui se lève tôt », elle les a rendus au FN avec sa dérive identitaire. Il faut que la droite arrive à réarticuler son discours pour le libéralisme et contre la société d’individus autonomes, sans être la gauche, sans plagier l’extrême droite – là dessus Alain Juppé est efficace. Quand on regarde les élections (départementales et régionales – NDLR) de 2015, on voit qu’une raison structurante du vote FN, c’est le déséquilibre de l’aménagement du territoire. Or on n’y change rien, préférant aujourd’hui parler du burkini… On a une économie qui a muté vers les services, 38 % des jeunes sont diplômés du supérieur, et résultat : on a une explosion de la précarité des jeunes formés, cultivés, qui ont le sentiment qu’aucune place n’est disponible pour eux. Mais on les « invisibilise » en les nommant « bobos ». De son côté, le FN ne propose pas une réponse structurelle mais une vision du monde cohérente : la globalisation serait en fait une orientalisation, et pour s’en sauver il faudrait un retour à l’autorité et à la souveraineté. On ne change pas la vie, mais on l’interprète : la chemise chinoise, le kebab qui remplace le bar-tabac, tout ça est mis ensemble pour dire que le déclassement des personnes est lié à celui de la nation, fruit de son orientalisation.

Ses électeurs se divisent en ceux qui ont une conscience de classe et voteraient FN pour être protégés (« Lettre à un plombier juif de Vénissieux ») et ceux qui n’en ont pas mais ont une conscience ethno-raciale (« Lettre à une caissière de Perpignan »). En filigrane, c’est ce thème de l’immigration qui revient. Si on creuse n’importe quel sujet développé au FN, on en arrive toujours là. Peut-on dire qu’il a changé ou adapté son discours ?

NICOLAS LEBOURG L’immigration est la première motivation des électeurs Front national. Et sur ce sujet les tentatives de récupération de gauche et de droite sont toujours vouées à l’échec car depuis trente ans le FN applique la même tactique : quand on le plagie, il radicalise d’un cran son discours pour conserver sa plus-value. L’idée que la fermeture des frontières permettrait de financer l’État social sans nouvelle pression fiscale est très forte, et permet de rallier aussi bien des CSP+ libérales que des classes moyennes paupérisées plus interventionnistes. Il y a profondément l’idée d’une hiérarchie sociale qui doit être légitime avec la désignation des « profiteurs », qui, ethnicisation des représentations sociales oblige, seraient les « assistés » issus de l’immigration. Concernant cette question, je crois qu’il faut arriver à l’intégrer à nos programmes scolaires et de là à notre récit commun : ça fera hurler Zemmour, mais il faut faire comprendre à nos concitoyens qu’elle est un phénomène structurellement lié à la globalisation depuis le XIXe siècle. Que lui et ses admirateurs en pensent ce qu’ils veulent, mais sur des bases rationnelles.

Dans la période particulière que nous traversons, je pense au risque d’attentats, vous dites que « la demande autoritaire a atteint l’hégémonie culturelle ». Le FN, à force d’imposer ses thèmes de prédilection, laïcité et islam, et par extension (puisqu’il fait le lien) immigration, délinquance et terrorisme, peut-il réussir à traduire cette angoisse dans les urnes ?

NICOLAS LEBOURG Plus de 80 % des sondés exigent de l’autorité supplémentaire, des majorités de sondés estiment judicieuse l’idée de l’internement de suspects, et même une revalorisation de l’idée de l’usage de la torture, etc. Bref, on assiste à un retour en force de l’idée que l’État a une fonction biologique de contrainte des corps. Or, depuis des années, il n’y avait eu que le Front national à ainsi assumer cette notion biopolitique dans son offre. Il a un temps d’avance et peut dire que, face au terrorisme transnational, la solution souverainiste autoritaire est en fait la plus crédible.

À plusieurs reprises vous évoquez « l’esprit du 11 janvier » ou ce qu’il en reste. Nous devons « être rassemblés avant qu’il ne soit trop tard ». Rassembler qui et sur quelles bases ?

NICOLAS LEBOURG Il y a une demande unitaire, qui correspond historiquement à notre culture politique. Insatisfaite, elle construit la demande autoritaire, et pour certains le « nous » se fait sur la haine de l’autre. D’autres font des appels à la République qui se soldent par un conservatisme interclassiste anti-société multiculturelle. Pour la gauche il me semble que son principe premier, c’est l’émancipation, celle des personnes et celle du collectif. Tant qu’elle n’aura pas un contre-projet assurant cette émancipation à double niveau, elle ne pourra que faire le lit de l’extrême droite. En outre, il faudrait sortir de ces débats puérils sur la société multiculturelle : en France il n’y a que des marges à vouloir une société multicommunautaire, ce qui existe, c’est une société multi-ethnique et multicultuelle, et, à moins que l’on ne veuille expulser de force des milliers de Français, ça ne changera pas. La question est derrière nous mais ce n’est pas clairement dit.

Ce livre tranche avec le travail usuel d’un politologue ou historien de l’extrême droite. Vous dites vouloir « assumer (vos) positions ». De quoi est-ce l’expression ?

L'HUMANITÉ

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Nicolas Lebourg

Photo : Manuel Braun

S’adresser directement à des électeurs imaginaires du Front national pour finalement s’éloigner des stéréotypes, c’est le pari fait par l’historien de l’extrême droite Nicolas Lebourg, dans ses Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout.

Votre livre (1) ne s’adresse pas vraiment à un électorat Front national uniforme tel qu’on le voit à la télé, inculte et braillard, mais à ce « conglomérat électoral » tel qu’une partie des chercheurs le définissent désormais. Dans quel but avoir choisi cette forme ?

NICOLAS LEBOURG Plutôt que de pointer le lumpenprolétariat FN, je préfère noter qu’il n’y a pas d’ouvrier parmi nos députés. Si l’électorat frontiste avait connu une nette prolétarisation en 1995, entraînant le passage de l’autoqualification de « vraie droite » à celle de « ni droite, ni gauche », les choses ont changé. Le FN aujourd’hui a considérablement approfondi l’interclassisme de son électorat. La mise en avant perpétuelle des ouvriers FN est aussi une manière de mettre sous le tapis la droitisation d’une partie des classes bourgeoises, qui peuvent ainsi se targuer de partager les soucis du peuple. Actuellement, 19 % des électeurs vivant dans des foyers ayant plus de 6 000 euros mensuels pensent voter pour Marine Le Pen, contre 36 % pour les moins de 1 250 euros. Le livre parle à des personnes saisies par l’inquiétude du déclassement. Le but est de les rendre tangibles, avec une épaisseur humaine : bien souvent, à gauche, on applique à l’électorat FN la formule de Manuel Valls : « Comprendre, c’est excuser. »

Il y a tout de même peu de chances que ces électeurs le lisent…

NICOLAS LEBOURG Je ne sais si les pro-FN le liront, mais je serais ravi s’il leur était passé par leurs proches anti-FN et que ça puisse servir de passerelle de discussion.

Pour dégager des profils d’électeurs, vous reprenez la citation de Robert Bresson : « Je vous invente comme vous êtes. » Comment les avez-vous imaginés ?

NICOLAS LEBOURG On a une dérive de l’usage des enquêtes d’opinion, avec l’idée qu’il y a le vote des ouvriers, des catholiques, des jeunes, etc. Or un être humain ne correspond pas à un seul segment : il peut être, comme dans l’un des chapitres : une femme, en temps partiel, en famille monoparentale, dans un quartier à forte présence de personnes originaires des mondes arabo-musulmans, etc. J’ai pris les traits de sociologie du vote FN et je les ai combinés pour faire des personnes humaines, afin de faire comprendre leur vote. Les villes sont choisies pour leur structure sociale et pour moitié parce que j’y ai vécu : ces gens sont peut-être des amis perdus de vue qui ont suivi leur chemin, donc je ne vais pas les vilipender mais discuter avec eux. Je montre aussi quelle est la problématique ethno-culturelle par laquelle ils expliquent leur penchant FN et quelles sont en fait les structures sociales qui éclairent la production de ce choix.

Vous faites le portrait de catégories qui auraient ou vont « basculer » vers le vote Front national, notamment des fonctionnaires en voie de précarisation. Où mord cet électorat, à qui manquera-t-il, droite, gauche, abstentionnistes ?

NICOLAS LEBOURG La petite fonction publique offre un grand espace au FN, et son précariat – pensez à tous ces profs non titulaires que l’on paye dans certaines académies sans respecter la grille salariale fixée par le ministère, que l’on envoie en première ligne d’une société en crise en les traitant de parasites… Ces gens croyaient en l’État providence, mais tous les gouvernements ont attaqué ce dernier, faisant ainsi passer l’idée de déclin dans ces catégories, ce qui a droitisé leurs représentations sociales. Il n’y a plus que 15 % des fonctionnaires qui estiment que les politiques publiques sont au service de l’intérêt général, et 77 % des enseignants rejettent la politique éducative en place. Pour la gauche qui croyait ces catégories acquises il y a là une alarme évidente. Globalement, chez les précaires, il existe un survote FN, quel que soit leur âge, sexe, religion, etc. Ils ont une demande d’inclusion sociale, on leur répond par l’atomisation du travail.

Vous plaidez pour un retour au politique sur des bases plus clivées, qui peuvent apparaître « vieille France » comme vous dites. Une droite autoritaire avec des valeurs républicaines, une gauche qui assume pleinement son ambition sociale… Cela suffira-t-il à couper l’afflux d’électeurs vers le FN ? Ce parti capitalise aussi sur les manques des autres, notamment sur des questions non traitées (comme les intellectuels précaires que vous évoquez dans la « Lettre à un étudiant gay néoparisien »), alors même que ce parti produit peu de réponses à ces questions.

NICOLAS LEBOURG Il y a ce que je nomme la « règle de l’autonomie de l’offre politique » : depuis les années 1960, dans tous les pays de l’Union européenne, les tentatives de décalque des thèmes nationaux-populistes se payent par un transfert des votes à leur avantage. François Duprat, numéro deux du FN jusqu’à son assassinat en 1978, exposait que le thème de la corrélation entre chômage et immigration devait permettre de capter des voix populaires, d’être plagié par les partis de droite et, de là, faire que le FN soit dédiabolisé. La droite avait capté en 2007 les commerçants et artisans avec son discours sur « la France qui se lève tôt », elle les a rendus au FN avec sa dérive identitaire. Il faut que la droite arrive à réarticuler son discours pour le libéralisme et contre la société d’individus autonomes, sans être la gauche, sans plagier l’extrême droite – là dessus Alain Juppé est efficace. Quand on regarde les élections (départementales et régionales – NDLR) de 2015, on voit qu’une raison structurante du vote FN, c’est le déséquilibre de l’aménagement du territoire. Or on n’y change rien, préférant aujourd’hui parler du burkini… On a une économie qui a muté vers les services, 38 % des jeunes sont diplômés du supérieur, et résultat : on a une explosion de la précarité des jeunes formés, cultivés, qui ont le sentiment qu’aucune place n’est disponible pour eux. Mais on les « invisibilise » en les nommant « bobos ». De son côté, le FN ne propose pas une réponse structurelle mais une vision du monde cohérente : la globalisation serait en fait une orientalisation, et pour s’en sauver il faudrait un retour à l’autorité et à la souveraineté. On ne change pas la vie, mais on l’interprète : la chemise chinoise, le kebab qui remplace le bar-tabac, tout ça est mis ensemble pour dire que le déclassement des personnes est lié à celui de la nation, fruit de son orientalisation.

Ses électeurs se divisent en ceux qui ont une conscience de classe et voteraient FN pour être protégés (« Lettre à un plombier juif de Vénissieux ») et ceux qui n’en ont pas mais ont une conscience ethno-raciale (« Lettre à une caissière de Perpignan »). En filigrane, c’est ce thème de l’immigration qui revient. Si on creuse n’importe quel sujet développé au FN, on en arrive toujours là. Peut-on dire qu’il a changé ou adapté son discours ?

NICOLAS LEBOURG L’immigration est la première motivation des électeurs Front national. Et sur ce sujet les tentatives de récupération de gauche et de droite sont toujours vouées à l’échec car depuis trente ans le FN applique la même tactique : quand on le plagie, il radicalise d’un cran son discours pour conserver sa plus-value. L’idée que la fermeture des frontières permettrait de financer l’État social sans nouvelle pression fiscale est très forte, et permet de rallier aussi bien des CSP+ libérales que des classes moyennes paupérisées plus interventionnistes. Il y a profondément l’idée d’une hiérarchie sociale qui doit être légitime avec la désignation des « profiteurs », qui, ethnicisation des représentations sociales oblige, seraient les « assistés » issus de l’immigration. Concernant cette question, je crois qu’il faut arriver à l’intégrer à nos programmes scolaires et de là à notre récit commun : ça fera hurler Zemmour, mais il faut faire comprendre à nos concitoyens qu’elle est un phénomène structurellement lié à la globalisation depuis le XIXe siècle. Que lui et ses admirateurs en pensent ce qu’ils veulent, mais sur des bases rationnelles.

Dans la période particulière que nous traversons, je pense au risque d’attentats, vous dites que « la demande autoritaire a atteint l’hégémonie culturelle ». Le FN, à force d’imposer ses thèmes de prédilection, laïcité et islam, et par extension (puisqu’il fait le lien) immigration, délinquance et terrorisme, peut-il réussir à traduire cette angoisse dans les urnes ?

NICOLAS LEBOURG Plus de 80 % des sondés exigent de l’autorité supplémentaire, des majorités de sondés estiment judicieuse l’idée de l’internement de suspects, et même une revalorisation de l’idée de l’usage de la torture, etc. Bref, on assiste à un retour en force de l’idée que l’État a une fonction biologique de contrainte des corps. Or, depuis des années, il n’y avait eu que le Front national à ainsi assumer cette notion biopolitique dans son offre. Il a un temps d’avance et peut dire que, face au terrorisme transnational, la solution souverainiste autoritaire est en fait la plus crédible.

À plusieurs reprises vous évoquez « l’esprit du 11 janvier » ou ce qu’il en reste. Nous devons « être rassemblés avant qu’il ne soit trop tard ». Rassembler qui et sur quelles bases ?

NICOLAS LEBOURG Il y a une demande unitaire, qui correspond historiquement à notre culture politique. Insatisfaite, elle construit la demande autoritaire, et pour certains le « nous » se fait sur la haine de l’autre. D’autres font des appels à la République qui se soldent par un conservatisme interclassiste anti-société multiculturelle. Pour la gauche il me semble que son principe premier, c’est l’émancipation, celle des personnes et celle du collectif. Tant qu’elle n’aura pas un contre-projet assurant cette émancipation à double niveau, elle ne pourra que faire le lit de l’extrême droite. En outre, il faudrait sortir de ces débats puérils sur la société multiculturelle : en France il n’y a que des marges à vouloir une société multicommunautaire, ce qui existe, c’est une société multi-ethnique et multicultuelle, et, à moins que l’on ne veuille expulser de force des milliers de Français, ça ne changera pas. La question est derrière nous mais ce n’est pas clairement dit.

Ce livre tranche avec le travail usuel d’un politologue ou historien de l’extrême droite. Vous dites vouloir « assumer (vos) positions ». De quoi est-ce l’expression ?

NICOLAS LEBOURG Sincèrement ? De la lassitude. Je suis fatigué d’un débat public résumé à des cris de haine arrogante. Dans mes livres, je n’avais jamais donné mon avis sur les extrêmes droites. J’ai voulu discuter courtoisement, en ayant donc l’obligation éthique de dire pourquoi je n’y crois pas. J’ai voulu aussi expliquer comment les autres partis dysfonctionnaient à ce sujet. Je tente ça humblement, et donc j’utilise un procédé narratif très inclusif pour le lecteur. Mais, à côté des travaux académiques classiques, j’ai toujours eu des démarches d’éducation populaire.

Par ailleurs, vous écrivez « du FN on en entend, on en regarde, on en lit à flux constant ». Est-ce un problème de complaisance des médias, de facilité ?

NICOLAS LEBOURG La fausse analyse du vote FN est devenu un genre en soi pour vendre ses idées préétablies : l’islamophobe vous dit que c’est à cause de la société multiculturelle, le gauchiste à cause de la souffrance sociale, etc. Résultat, on ne traite pas les questions structurelles et à la fin, comme France Inter cet été, on invite Philippot pour parler du Front populaire. Quand, comme moi, ça fait vingt ans que vous suivez l’extrême droite, il y a de quoi se lasser, non ?

(1) Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout, de Nicolas Lebourg. éditions Les échappés. 136 pages, 13,90 euros.

des lettres à partager

C’est un ovni de littérature politique. D’ordinaire, les « Lettre à… » sont des livres-programmes écrits par les candidats eux-mêmes. Ici, le chercheur spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg casse les codes pour s’adresser directement à des électeurs imaginaires dont il a compilé les ADN. Gendarme catholique, précaire, ouvrier agricole, senior, etc., il s’empare des spécificités des différents électorats qui composent le « conglomérat électoral » du FN pour déterminer ce qui les lie dans les urnes. À lire et à faire lire, pour engager la discussion, aux militants antifas… comme à votre voisin FN.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 06:27

Déclaration commune CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL

Un mauvais projet de loi devient une mauvaise loi !

La loi Travail n'est pas bonne pour les salarié-e-s et les jeunes. Elle ne le sera pas non plus pour l'économie du pays. Alors que le chômage et la précarité augmentent, en affaiblissant les conventions collectives au profit des accords d'entreprise, cette loi accroît la concurrence entre les entreprises poussant à l'alignement sur le « moins offrant » pour les salariés. Cette logique de dumping social va engendrer davantage de flexibilité et de précarité et remettre en cause nombre d'acquis sociaux.

Cette loi contrevient aux conventions 87, 98 et 158 de l’Organisation Internationale du Travail relatives à la négociation collective, aux libertés syndicales et aux licenciements.

Les organisations syndicales étudient tous les recours et moyens juridiques possibles pour s’opposer à la mise en œuvre de la loi Travail.

L'emploi, les salaires et les conditions de travail restent des préoccupations majeures pour les citoyen-ne-s.

Le chômage et la précarité sont des fléaux pour notre pays. Les créations d'emplois, dans le privé comme dans le public, sont pourtant nécessaires pour répondre aux besoins de toute la société. La stabilité et la qualité des emplois sont non seulement gage de progrès social et de qualité de vie pour les salarié-e-s et les jeunes, mais sont aussi un facteur essentiel de création d'emplois. La loi Travail tourne le dos à cet enjeu ! Tous les pays qui ont fait l’expérience d’une telle réforme du droit du travail (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Allemagne) en mesurent aujourd'hui les conséquences néfastes.

Affaiblir le code du travail, c'est affaiblir les droits de tous les salarié-e-s !

Il est clair qu'à terme la fonction publique sera aussi concernée car nombre de règles statutaires relève de la transposition de dispositions du code du travail (dialogue social, respect de la hiérarchie des normes et des droits collectifs, temps de travail, etc.).

C'est pourquoi nos organisations continueront à mener tous les débats nécessaires avec les salarié-e-s et les jeunes pour, à l'inverse de cette loi, promouvoir d'autres propositions, obtenir son abrogation et gagner de nouveaux droits pour toutes et tous.

Pendant l'été, de nombreuses initiatives locales se sont développées et la carte postale au Président de la République a été largement utilisée. Comme nous l'avons écrit au Président de la République, «on se retrouve à la rentrée...», notamment sur les meetings et débats unitaires déjà programmés.

Les organisations dénoncent les faits de répression dont sont aujourd'hui victimes des militant-e-s syndicaux-ales, des jeunes, des salarié-e-s et des agents publics.

Les organisations syndicales de salarié-e-s et de jeunesse CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL appellent les salarié-e-s, privé-e-s d'emploi, étudiant-e-s, lycéen-ne-s, retraité-e-s à se mobiliser massivement pour réussir la journée d'actions du 15 septembre contre la loi Travail , selon des modalités décidées localement (rassemblements, manifestations, grèves, etc…), pour obtenir l'abrogation de cette loi et conquérir de nouvelles garanties et protections collectives.

Les Lilas, le 31 août 2016

Loi contre le travail, ne désarmons pas! "Un mauvais projet de loi devient une mauvaise loi!": déclaration commune CGT, FO? FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL
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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 06:23
Une brèche dans le mur TAFTA (PCF, 31 août)

Une brèche dans le mur TAFTA !

Dans l’enfumage créé par « l’OVNI Macron » et sa mise en orbite pour 2017, une annonce du gouvernement a quelque peu été étouffée.

Matthias Fekl, secrétaire d'État au Commerce extérieur, a annoncé que la France retirait son soutien politique aux négociations menées par la Commission européenne avec les Etats-Unis sur le TAFTA et qu'elle demandera, au Sommet de Bratislava fin septembre, l'arrêt pur et simple des négociations à l'échelle européenne.

Le PCF, satisfait de cette prise de position française, demeurera extrêmement vigilant quant à sa mise en œuvre.

Cette annonce est le résultat d'une mobilisation citoyenne, politique et sociale sans précédent à l’échelle européenne contre un projet opaque, négocié dans le secret, et faisant courir le risque aux peuples européens et américains, d'un abaissement généralisé de leur qualité de vie au profit des seules multinationales. C’est une première victoire à son actif !

La déclaration de M. Fekl, confirmée par François Hollande, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Le chef de l’Etat a confirmé la volonté française de ratifier le CETA (Accord de libre-échange entre l’UE et le Canada) et le gouvernement laisse « vivre sa vie » à traités du même acabit le TISA (Accord qui vise la libéralisation des services publics).

Le PCF appelle le président et l'Exécutif à la cohérence et à la défense des intérêts économiques et sociaux de notre peuple et des peuples européens, et donc à retirer de la même façon son soutien au CETA et au TISA pour initier au contraire des traités de maîtrise des échanges visant le développement humain, social et écologique, et celui des biens communs.

Ce qui est aujourd’hui contesté par la France et l’Allemagne dans le TAFTA, c’est la faiblesse des retombées économiques pour l’Europe et non l’opacité, l'affaiblissement des souverainetés nationales, le contenu néfaste de ces accords de libre-échange pour les droits sociaux, les services publics, l'alimentation, la culture de tous les peuples concernés. Il s’agit d’attaques en règle pour abattre non seulement les normes de protection, mais également les États, et à travers eux la souveraineté des peuples. Leur objectif est de sanctuariser la puissance de la multinationale comme forme de gouvernement, au service des intérêts des « 1% ».

Un autre chemin, celui d’une régulation commerciale mutuellement bénéfique pour les peuples, ayant le souci du bien commun au niveau international, est pourtant possible. La France devrait en être la promotrice.

Dans cette perspective, le PCF sera de celles et de ceux qui, dans de nombreux pays européens, participeront à la poursuite de la mobilisation dans les semaines à venir pour dire non au TAFTA et au CETA, et particulièrement en France le 15 octobre prochain.

Parti communiste français,

Paris, le 31 août 2016.

Une brèche dans le mur TAFTA (PCF, 31 août)
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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 05:09
Ensemble ! La refondation de la gauche en point de mire

AURÉLIEN SOUCHEYRE

MARDI, 30 AOÛT, 2016

L'HUMANITÉ

À Guidel, le mouvement membre du Front de gauche fait de 2017 une étape pour recomposer les forces alternatives.

Une gauche dispersée, mais bien vivante. C’est d’abord le deuxième qualificatif que retiennent les quelque 400 participants à la 3e université d’été d’Ensemble !, qui a débuté le 27 août et doit s’achever aujourd’hui à Guidel (Morbihan). « Le fait qu’une gauche franche se manifeste et bouge est une bonne nouvelle », apprécie Clémentine Autain, porte-parole du mouvement, sans se voiler la face sur le problème posé par le nombre de candidatures alternatives à Hollande, dont plusieurs au sein du PS en cette rentrée. « Certes, la gauche est atomisée. Certes, la primaire du PS n’est pas notre cadre, mais je trouve très positif le nombre de voix, d’Arnaud Montebourg à Benoît Hamon, qui s’élèvent de façon différente pour contester la politique néolibérale et austéritaire de François Hollande. »

Alors que les communistes n’ont pas encore fait leur choix et travaillent à une candidature la plus large possible, et que Jean-Luc Mélenchon s’est déjà déclaré candidat pour le Parti de gauche et la France insoumise, Ensemble ! entend continuer à œuvrer pour l’unité. « Que les forces du Front de gauche se présentent actuellement de manière éclatée est une très mauvaise nouvelle, poursuit Clémentine Autain. À Ensemble !, nous voulons non seulement rester rassemblés, mais nous voulons en plus que le périmètre du Front de gauche s’élargisse, pour fédérer de manière beaucoup plus large. Nous avons une responsabilité collective à rester unis. Il faut y arriver. »

Si la présidentielle et les législatives de 2017 sont dans les esprits, le mouvement ne souhaite pourtant pas s’arrimer uniquement à ce sujet. « La question reste bien sûr en débat, mais nous trancherons à l’automne, explique Clémentine Autain. Les enjeux de recomposition de la gauche passent par 2017 mais ne s’y arrêtent pas. Nous devons bâtir un projet global qui va bien au-delà. »

Comme pour en faire la démonstration, le rendez-vous estival a réuni de nombreuses composantes de la gauche, dont des représentants du PCF, du Parti de gauche, d’Europe Écologie-les Verts, ainsi que le député frondeur de la sixième circonscription du Morbihan, Philippe Noguès, qui a quitté le PS ainsi que le groupe socialiste de l’Assemblée nationale en juin 2015. « Nous avons toujours cet objectif de faire converger, de tisser des passerelles à gauche, pas seulement en additionnant les forces, mais en réalisant un travail de fond, pour saisir l’époque et préparer la transformation écologique et sociale, reprend la conseillère régionale d’Île-de-France. Nous avons besoin d’une refondation, d’une nouvelle force à gauche. »

Aurélien Soucheyre

Journaliste

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 05:07
Calais: la France et l'UE doivent respecter le droit de ceux qui fuient la guerre et la misère (PCF)

Calais : la France et l'UE doivent respecter le droit de ceux qui fuient la guerre et la misère

Le PCF exprime ses plus vives préoccupations devant la dégradation de la situation à Calais. Le nombre de migrants ne cesse d'augmenter s'élevant aujourd'hui à près de 10 000 selon les associations, dont près de 900 mineurs.

Leurs conditions de vie se sont encore détériorées malgré les efforts remarquables des associations, après les fermetures de la zone sud du camp, sans que des solutions d'hébergement suffisantes soient offertes.

Cette situation fait craindre des tensions au sein des communautés.

Elle n'est pas sans conséquence sur l'activité économique créant un sentiment d'inquiétude légitime chez les salariés du port, toutes professions confondues, et une partie de la population.

Il ne sert à rien que les deux ministres de l'Intérieur anglais et français déplorent, dans un communiqué commun, « la situation humanitaire à Calais qui les affecte profondément » tout en maintenant une politique qui est à l'origine de cette situation inacceptable et ubuesque. Cela vaut à notre pays une condamnation générale des instances internationales de défense des droits de l'homme, des réfugiés et des grandes ONG.

Il faut rappeler que la grande majorité de ces hommes et femmes veulent passer en Angleterre. Mais les accords du Touquet les en empêchent. Ces accords signés en 2003 par les deux pays, dont Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, au nom de la France, font que la frontière anglaise s'est déplacée sur le territoire français et c'est à notre gouvernement, contre compensation financière, d'assurer le refoulement des personnes voulant traverser la Manche.

Il s'agit donc de renégocier ces accords et le gouvernement français ne peut continuer à tergiverser constamment sur cette question et doit s'en expliquer devant les députés, le parlement anglais venant d'en débattre.

Dans l'immédiat, les autorités anglaises doivent respecter les conventions internationales qu'elles ont signées, accueillir les mineurs qui ont de la famille sur son territoire et donner la possibilité aux migrants de déposer des demandes d'asile comme réfugiés politiques.

Enfin devrait s'engager un processus de répartition des migrants dans des centres humanitaires pris en charge par l’État, respectant les normes du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Le PCF, ses élus, tiennent à renouveler leur soutien à ces hommes et à ces femmes victimes d'un monde où la violence, les guerres, la misère les poussent à quitter leur pays pour trouver paix et sécurité. Ce droit leur est reconnu au plan international et les politiques de l'UE, des États membres dont le nôtre, se doivent de le respecter. Cette France de la fraternité et de la solidarité, des millions de Français la partagent. C'est pour elle que nous agissons et que nous appelons à nous rassembler.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 04:44
Affaire Dassault: la faillite de la justice financière

1 SEPTEMBRE 2016 | PAR YANN PHILIPPIN

Au lieu de la peine d’inéligibilité attendue, le TGI de Paris a ordonné un supplément d’information dans l’affaire des caisses noires de Serge Dassault. L’avionneur et sénateur, qui avait séché son procès, en est aujourd’hui récompensé. Un nouvel exemple de l’incapacité de la justice à condamner les puissants dans les dossiers financiers.

Pendant l’audience correctionnelle au sujet de ses caisses noires, en juin, Serge Dassault avait affiché son profond mépris de la justice, préférant parader à une cérémonie militaire plutôt que d’assister à son propre procès (lire ici). Le milliardaire, avionneur et sénateur LR aurait tort de se priver, puisque la justice n’est pas rancunière. Au lieu de rendre son jugement, le tribunal de Paris a préféré ordonner, ce jeudi, un supplément d’information. Il y aura donc une nouvelle enquête menée par le président de la chambre correctionnelle, puis un second procès en 2017.

C’est une véritable aubaine pour le sénateur Serge Dassault, qui risquait l’inéligibilité. Il était poursuivi par le parquet national financier (PNF) pour « blanchiment de fraude fiscale » et « omission de déclaration de patrimoine par un parlementaire », délits respectivement punis de cinq et trois ans de prison. L’affaire porte sur ses cagnottes offshore dissimulées en Suisse, au Luxembourg et au Liechtenstein. L’ancien maire de Corbeil-Essonnes, par ailleurs mis en examen pour « achat de votes », y a puisé au moins 70 millions d’euros, en particulier pendant les élections municipales.

Estimant qu’à 91 ans Dassault était trop vieux pour aller en prison, le PNF avait pourtant été relativement clément dans ses réquisitions : deux ans avec sursis, 9 millions d’euros d’amende et surtout cinq ans d’inéligibilité. « Ça n’a pas de sens social que Serge Dassault puisse rester dans son siège de sénateur et siéger à la commission des finances. Où est la décence commune quand le représentant du peuple se moque à ce point du représenté ? », avait lâché l’un des procureurs, Patrice Amar. « Pour Serge Dassault, il y a sa loi et il y a la loi des autres. […] Il vous appartient de dire que le droit s’applique aussi, ne lui en déplaise, à Serge Dassault », avait ajouté sa collègue Ulrika Delaunay-Weiss.

Ils n’ont pas été entendus. L’amende requise étant dérisoire vu sa fortune de 13 milliards d’euros, seule la peine d’inéligibilité était redoutée par Dassault. Très attaché à son siège, il voulait éviter à tout prix le déshonneur d’être viré du Sénat. Il a gagné, au moins provisoirement. Au train où va la justice française, le respectable parlementaire pourra continuer à parader au palais du Luxembourg pendant au moins dix-huit mois. De quoi alimenter un peu plus le soupçon que la justice épargne les puissants, et nourrir le vote Front national.

L’affaire semblait pourtant pliée. Lorsque ses caisses noires ont été découvertes par les juges qui enquêtent sur la corruption électorale à Corbeil, Serge Dassault a été contraint de régulariser sa situation auprès du fisc (avec 19 millions d’amende à la clé) et de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), chargée de contrôler le patrimoine des parlementaires. Ces procédures ont démontré que « Serge Dassault a bien assumé au final être le propriétaire de ces comptes dissimulés et non déclarés », a confirmé hier le président du tribunal.

Pourtant, il a jugé que, vu les « explications parcellaires et contradictoires, y compris dans les propres écrits signés par Serge Dassault » lors de la régularisation de ses avoirs, le tribunal n’en savait pas suffisamment « sur le rôle exact du prévenu » dans la création des sociétés offshore et la gestion des fonds. À ce stade, on frise l’absurde, puisque le prévenu a refusé à deux reprises d’être auditionné pendant l’enquête, puis de venir à l’audience. En clair, Dassault est de facto récompensé pour son obstruction. On n’ose imaginer ce qui arriverait à un voleur de poules ou à un petit dealer de cannabis qui adopterait la même stratégie...

Comment expliquer cette décision ? Plusieurs experts y voient l’incapacité des juges du siège, pourtant statutairement indépendant, à sanctionner les délits politico-économiques, surtout lorsqu’ils impliquent des personnalités. « C’est un vrai problème culturel », lâche un enquêteur spécialisé, écœuré par le report du verdict Dassault. On l’a vu par le passé avec la relaxe de l’ex-ministre UMP Éric Woerth dans l’affaire Bettencourt (lireici), ou encore celle de l’ancien conseiller élyséen de Sarkozy François Pérol pour son passage à la hussarde à la tête du groupe bancaire BPCE (lire ici). Idem dans les affaires de fraude fiscale, où les condamnations à de la prison ferme sont rarissimes.

Le cas Dassault illustre aussi les failles de la procédure pénale à la française, où les prévenus capables de se payer de bons avocats peuvent multiplier les recours et ralentir les procédures pendant des années. D’ailleurs, l’information judiciaire sur les achats de voix présumés par Serge Dassault, en cours depuis six ans, n’est toujours pas terminée…

C’est justement pour tenter d’obtenir une condamnation rapide que le parquet national financier (PNF) a décidé, pour l’affaire des caisses noires, d’ouvrir au printemps 2015 une simple enquête préliminaire. Puisque Dassault a reconnu les faits, le PNF a estimé, pour éviter la lenteur des procédures internationales, qu’il n’était pas necessaire d’entendre les deux citoyens suisses qui géraient les avoirs secrets de Dassault : le comptable Gérard Limat et l’avocat Luc Argand. Le tribunal a sèchement désavoué ce choix, estimant que ces deux auditions étaient indispensables.

Serge Dassault a enfin bénéficié d’un coup de pouce… du Luxembourg. En effet, de nombreuses informations sur ses caisses noires, dont l’audition du comptable Limat et la manière dont il livrait du cash dans le bureau de Dassault, figurent dans la procédure pour corruption électorale. Mais ces pièces sont issues d’une demande d’entraide pénale avec le Luxembourg, et les traités de coopération avec le Grand-Duché rendent très difficile la transmission de ces pièces dans une autre affaire. Le PNF a donc préféré y renoncer. D’autant plus que les avocats de Dassault auraient pu en profiter pour réclamer la nullité de la procédure…

Lors de l’audience, ses conseils, Jacqueline Laffont et Pierre Haïk, ont joué sur du velours : ils ont dénoncé le fait que le dossier était « vide », et ont même osé se plaindre de ce que Dassault n’a pas été auditionné, alors même que c’est lui qui a refusé de parler. Et de demander un supplément d’information, finalement obtenu ce jeudi. « C’est une très bonne décision parce que ce dossier n’était effectivement pas en état d’être jugé », a jubilé Me Laffont. Dans cette affaire accablante pour lui sur le fond, Serge Dassault voulait avant tout gagner du temps. Il a réussi.

Le dossier du PNF était-il réellement trop léger ? Il est difficile de le savoir. Il n'empêche, même si le tribunal en est convaincu, sa décision ressemble à un message symboliquement désastreux adressé aux délinquants financiers : ne parlez pas, multipliez les recours, ne venez pas à votre procès, et vous en serez récompensés. Le président de cette chambre correctionnelle, Olivier Géron, s'était par ailleurs récemment illustré en annulant l'ensemble de la procédure pour abus de biens sociaux et blanchiment visant le conseiller élyséen de François Hollande, Faouzi Lamdaoui.

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1 septembre 2016 4 01 /09 /septembre /2016 08:04

GÉRALD ROSSI

L'HUMANITE

Mercredi 31 août 2016

FLORILÈGE

Pendant ses deux ans au gouvernement, le ministre de l'Économie s'est fait remarquer par de multiples déclarations devant la presse ou les patrons, d'inspiration très libérale.

Idée fixe. À l'heure de sa nomination au gouvernement, en août 2014, Emmanuel Macron laissait immédiatement deviner le fil conducteur de ce que serait sa ligne politique au ministère de l'Économie : « Nous pourrions autoriser les entreprises à déroger aux règles du temps de travail et de rémunération. » Depuis, le banquier d'affaires installé à Bercy par la volonté de François Hollande, après avoir assuré la direction du pôle « économie et finances » au secrétariat général de l'Élysée, n'a cessé de multiplier les petites phrases, souvent choquantes, toujours libérales, qui alimentent les réseaux sociaux sur la Toile.

Tout le monde a noté une de ses dernières sorties médiatiques, le 19 août dernier au Puy-du-Fou, le parc de loisirs vendéen, quand, devant le très réactionnaire Philippe de Villiers, il a avoué : « L'honnêteté m'oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste. » Ce qui n'avait en vérité rien d'un scoop. D'ailleurs, le même désormais ex-ministre ne disait-il pas un mois plus tôt « Vous savez, c'est très dur de savoir ce qui nous fait de gauche ou de droite » ? En juillet 2015, il croyait aussi déceler « un absent dans la politique française, la figure du roi, dont (il) pens(ait) fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort ».

Pour le reste, le ministre a été conforme à ce qu'on pouvait redouter de la part de l'un des rédacteurs du rapport de la commission Attali commandé par Sarkozy en 2008 : pour lui, le statut de la fonction publique « n'est plus adéquat ». La France n'a « pas su développer un environnement fiscal favorable aux entrepreneurs; il existe une préférence pour les hausses de salaires et le versement des dividendes plutôt que pour l'emploi et les investissements ». L'année dernière, à l'université d'été du Medef (où il était invité à nouveau en tant que ministre aujourd'hui), ce sont encore les 35 heures qu'il avait dans le viseur en indiquant devant la mine réjouie des grands patrons que « la France a cru qu'elle irait mieux en travaillant moins, c'était une fausse idée ».

Le mépris très présent dans ses discours

Aux jeunes Français, il conseille d'avoir « envie de devenir milliardaires », expliquait-il quelques mois plus tard aux Échos. Mais il serait injuste de penser pour autant que l'ancien énarque n'a jamais pensé aux petites gens. « Avec la relance des autocars, les pauvres voyageront plus facilement », a-t-il développé, pour justifier l'émergence d'un droit au transport à deux vitesses littéralement. Le mépris était encore présent dans le discours lors d'une visite dans un abattoir de volailles à Lampaul-Guimiliau (Finistère) quand il notait « qu'il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées ». Même morgue à Lunel (Hérault) face à un ouvrier qui l'apostrophait : « Vous n'allez pas me faire peur avec votre tee-shirt, lui répondait-il. La meilleure façon de se payer un costume, c'est de travailler. » Comme le font sans doute les entrepreneurs « pour qui la vie est beaucoup plus dure que celle d'un salarié », ajoutait-il en janvier cette année... De toute façon, « vu la situation économique, ne plus payer plus les heures supplémentaires, c'est une nécessité », précisait-il aussi. En décembre déjà, il estimait « pas réaliste d'imposer un doublement de la rémunération pour les salariés travaillant le dimanche ».

Autre sortie remarquée, quand il note que le FN « est, toutes choses égales par ailleurs, une forme de Syriza à la française d'extrême droite ». En mai dernier, devant un parterre d'investisseurs, Emmanuel Macron faisait un autre aveu : « Si j'étais en désaccord avec ce que fait le gouvernement, j'aurais moi-même pris mes responsabilités. Ce n'est pas le cas. » Que s'est-il passé depuis ?

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1 septembre 2016 4 01 /09 /septembre /2016 07:55

MARIE-NOËLLE BERTRAND

Cet article est paru dans l'Humanité du 30 août dernier.

Depuis un "accord" a été trouvé, accord contesté et contestable. La teneur de cet article reste tout à fait valable.

LA 13e FORTUNE DE FRANCE S'ENGRAISSE EN ÉTANT LA PLUS IMPITOYABLE ET RADINE DU SECTEUR. Lactalis, le géant qui veut mettre les éleveurs à sa botte
5 MILLIARDS DE LITRES,C'EST LE VOLUME DE LAIT QUE COLLECTE CHAQUE ANNÉE LACTALIS CHEZ LES ÉLEVEURS FRANÇAIS.

Comment le 1er groupe laitier mondial parvient-il à imposer les prix les plus bas du marché à des éleveurs qui parlent, aujourd'hui, de véritable asservissement ? La réponse est à chercher dans un système à la mesure des pratiques sans scrupule du groupe.

C'est une simple lettre, quelques lignes tapées sans fioritures sur un papier A4, datée de vendredi. En haut à gauche figure le logo du groupe Lactalis, en bas à droite, la qualité de l'expéditeur (« La direction approvisionnement lait »). Pas de nom, de numéro de téléphone, ou autre contact de référence. Le courrier n'amorce pas à un quelconque dialogue : il explique, juste, ce qu'il en coûte de résister au premier groupe laitier mondial. « Chers producteurs », précise-t-il en préalable. « Notre site de Laval fait l'objet d'un blocus initié par les organisations syndicales FNSEA et Jeunes Agriculteurs (...) depuis le 22 août.

Ce blocus total, empêchant tout accès au site, a entraîné l'arrêt des activités de l'usine et de la plateforme logistique. (...) Sa paralysie a des conséquences périphériques directes sur le fonctionnement des usines du Grand Ouest et de Normandie qui l'approvisionnent (...). Aussi, nous sommes contraints de suspendre de manière temporaire la collecte du lait. » Formulé autrement, Lactalis prévient : dans le cas où ce blocage ¬ ou tout autre du même type ¬ doit se poursuivre, l'industriel n'achètera plus leur lait aux éleveurs. Autant dire, dans un langage plus direct, que, jusqu'à nouvel ordre de sa part, ceux-ci ne seront plus payés.

La faute à « un syndicalisme aveugle et irresponsable », conclut la missive, écrite, donc, le jour même où les négociations entre la FNSEA, le syndicat Jeunes Agriculteurs et les représentants de Lactalis tournaient court.

Les producteurs laitiers, en mouvement depuis une semaine, demandaient à ce que le groupe accepte de payer leur lait au moins 300 euros la tonne (30 centimes le litre) ¬ soit ce qu'il leur coûte à produire. Lactalis qui, depuis juillet dernier, ne la leur payait plus que 256,90 euros, leur a concédé une hausse de 15 euros (0,015 centime au litre), soit un prix de 271,90 euros la tonne (lire l'Humanité d'hier). Les éleveurs ont refusé l'offense, s'engageant, à compter d'hier soir, dans une bataille au long cours (lire ci-après). Lactalis a anticipé le mouvement, menaçant à la ronde de ne plus payer leur travail.

« Cette suspension de la collecte n'a rien à voir avec nos actions, estime Yohann Barbe, responsable national du dossier lait pour les Jeunes Agriculteurs (JA). À Laval, nous avons bloqué les bureaux, en aucun cas le cycle de production. » La manoeuvre relève ni plus ni moins d'un coup de pression, estime-t-il, comme l'industriel a coutume d'en faire chaque fois que des producteurs tentent de lui rentrer dans le lard. Un classique, qui n'en révèle pas moins le pouvoir dont bénéficie le groupe, en mesure d'imposer depuis trois ans des prix en dessous de toute raison aux éleveurs, lesquels, aujourd'hui, parlent d'asservissement.

Comment Lactalis est-il parvenu à les mettre sous sa dépendance ? La réponse est tout autant à chercher dans les avantages que le groupe tire de la fructification pécuniaire de ses ferments lactiques que dans un système sculpté à sa mesure.

L'asservissement par la contractualisation

Yohann Barbe fait remonter le premier coup de ciseau à 2009. « C'est l'époque du démantèlement de nos indicateurs de prix, jugés anticoncurrentiels sous le gouvernement Sarkozy. » Le prix du lait, jusqu'alors évalué chaque mois en fonction des coûts de production, devient désormais invisible, y compris à court terme. Mieux : l'ensemble des entreprises d'un même bassin ne sont plus tenues de l'appliquer. Votée en 2010, la loi de modernisation de l'économie (LME) finira de valider le processus.

Cette même année, un autre coup de burin sera asséné à la politique laitière en France : dans la perspective de la fin des quotas européens, Bruno Le Maire, alors ministre de l'agriculture, promeut des dispositifs de contractualisation entre les éleveurs laitiers et leurs entreprises de transformation. Logiquement, cela doit permettre de clarifier les échanges commerciaux, de réguler les volumes de production, et ainsi de garantir une stabilité des revenus pour les éleveurs. Bref, de les protéger. Le résultat sera loin du compte: si les contrats spécifient bien les quantités de lait achetées aux producteurs, ils n'indiquent en rien le prix auquel les entreprises de la transformation devront le leur payer.

Celles-ci ont désormais tous les droits en la matière. Lactalis, en sus, s'en arroge un autre, imposant une clause interdisant à « ses » éleveurs de venir manifester devant ses usines. « En substance, il est spécifié qu'ils ne doivent pas faire entrave à ses activités, ni communiquer négativement sur son image, à moins de s'exprimer sous bannière syndicale », souligne Yohann Barbe. De fait, l'histoire montre que le groupe n'aime pas cela. Ainsi, en 2011, avait-il porté plainte contre des cadres de la Confédération paysanne à la suite du blocage d'une de ses usines dans la Loire, mené pendant la grande grève du lait de 2009. Et pas plus tard que vendredi dernier, il engageait une action en justice, obtenant du tribunal de Laval la condamnation de la FNSEA à verser une amende de 5 000 euros par heure de blocage dans le cas où celui-ci se poursuivrait.

« Nous n'avons plus rien pour nous défendre », relève cette éleveuse d'Ille-etVilaine, militante de la Confédération paysanne et qui, comme beaucoup, préfère rester anonyme. « Je ne suis installée que depuis quelques années. Je ne peux pas prendre le risque de ne plus être collectée », explique-t-elle. Pas plus qu'elle n'a pu prendre de celui de refuser de signer un contrat contre lequel, pourtant, ils étaient nombreux à protester. « Nous avons tous signé à cause de cette peur », insiste-t-elle. Certes, d'autres entreprises laitières existent, qui payent mieux que Lactalis ¬ Laïta achète à 290 euros la tonne, la laiterie Saint-Père, filiale d'Intermarché, paye 300 euros. « Mais on ne sait rien des ententes qu'elles auraient pu faire avec Lactalis, on ne veut pas prendre le risque. »

«Nous n'avons plus rien pour nous défendre.» UNE ÉLEVEUSE D'ILLE-ET-VILAINE

Car le géant est puissant, ce n'est pas un pléonasme. L'absence de transparence sur les bénéfices que ses dirigeants en retirent est certes totale. Mais les signes sont là. Présente sur tout le territoire, et plus encore dans le grand ouest, le nord et l'est, l'entreprise d'Emmanuel Besnier, richissime fils de... (lire ci-après), assure près de 25 % de la collecte française, et plus d'un producteur sur cinq travaille pour elle. Elle s'était juré de posséder tous les AOC de France et n'est pas loin d'y être parvenu, détenant entre autres le très valorisé Roquefort. Chaque crise, au reste, lui profite, quand elle s'en saisit pour racheter un autre groupe ¬ comme l'italien Parmala en 2009.

74 % du chiffre d'affaires réalisés à l'étranger

Car la France n'est pas son seul atout. Désormais présent dans 56 pays, le 1er groupe laitier mondial est aussi le 2e groupe fromager européen et le 15e groupe agroalimentaire mondial. En 2013, son chiffre d'affaires s'élevait à 16 milliards d'euros... dont près de 74 % réalisés hors de la France. De fait, celle-ci est de moins en moins son souci. « Lactalis tend de plus en plus à collecter son lait en dehors du pays, relève Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. C'est une pression supplémentaire pour les producteurs français à qui il dit, comme le font d'autres patrons : si vous n'êtes pas content, j'en ai d'autres pour prendre votre place... » Une pression qu'il exerce tout autant dans les pays voisins. En février 2015, rappelle dans les colonnes de Mediapart Karl Laske, journaliste d'investigation et coauteur d'une vaste enquête sur les Cartels du lait, Lactalis a été condamné par l'autorité espagnole de la concurrence à une amende de 11,6 millions d'euros, mis en cause dans une entente avec d'autres industriels laitiers pour imposer leurs prix aux producteurs espagnols.

En France, c'est du côté des producteurs que la riposte s'organise. Celle menée par la FNSEA et JA n'est pas le premier coup du genre. En février dernier, la Confédération paysanne menait une opération coup de poing à Rodez, en Aveyron. Et en janvier 2015, 500 producteurs de l'organisation de producteurs (OP) NormandieCentre se rebiffaient eux aussi, décidant de traîner le groupe en justice au regard des prix du lait pratiqués entre 2012 et 2013, lequel, estimaient-ils, leur avait fait perdre en moyenne 8 000 euros par ferme. Reste que pour l'heure, ils ne font pas le poids. Créées en 2010, encore une fois par Bruno Le Maire, « les OP sont des genres d'organisations maison, rattachées chacune à une industrie laitière et soumises à sa pression », rappelle encore Laurent Pinatel. Chez Lactalis, la cotisation que leur versent les éleveurs est directement prélevée sur la paye que leur verse l'entreprise. « Ce qu'il nous faut, ce sont des organisations par bassin, réunissant beaucoup de producteurs comptant ensemble pour beaucoup de volume. » Certaines tentent de s'organiser, telle que France Milk Bord (FMB), rejeton de l'EMB, son homologue européenne, qui rassemble aujourd'hui plusieurs centaines d'éleveurs dans le grand ouest, en Normandie et dans le sud. À leur tour, elles travaillent à mettre la pression sur les industriels afin de pouvoir leur dire, cette fois : si vous nous payez mal, on ne vous livre plus.

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UN GRENELLE DU PRIX DU LAIT
Face au désarroi du monde agricole, le PCF demande la tenue d'un Grenelle sur les prix. Celui-ci viserait, pour la production laitière, à instaurer des négociations interprofessionnelles pérennes, à se doter d'outils de gestion des volumes en faveur des jeunes et des plus modestes...
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