Élu communiste au conseil de Paris, en charge du logement, Ian Brossat soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Il analyse les possibilités de la gauche post-primaire à la lumière de son expérience municipale.
Regards. Qu’est-ce que l’élection de Benoit Hamon a changé, pour vous ?
Ian Brossat. Cette victoire dit deux choses à la fois. D’abord, elle confirme ce que disaient le Parti communiste, le Front de Gauche et Jean-Luc Mélenchon depuis très longtemps : à savoir que le peuple de gauche rejette massivement les politiques d’austérité. Nous l’avons vu dans la rue avec la mobilisation contre la loi El Khomri. Ce dimanche, nous l’avons vu dans les urnes. C’est le premier élément. Le deuxième, c’est que nous avons enfin un interlocuteur avec lequel il est possible de discuter. Valls avait théorisé les deux gauches irréconciliables. Cette page-là, les électeurs de la primaire ont choisi de la tourner. Avec Valls, il n’y avait pas de convergences possibles. Avec Hamon, si. Cela mérite que nous en discutions.
… et discuter de quoi ?
Il faut aborder les questions de fond avec Benoît Hamon. Il a été élu sur le rejet de l’austérité. Mais la question de l’orientation politique qu’il défendra pendant la campagne présidentielle reste entière. La balle est aussi de son côté. S’il reste fidèle au programme défendu pendant la primaire, nous pourrons faire la démonstration que des convergences de fond sont possibles – notamment dans la perspective d’une future majorité de gauche à l’Assemblée nationale. Si, en revanche, il fait une synthèse avec les courants les plus droitiers du Parti socialiste pour empêcher d’éventuels départs chez Macron, ce sera impossible.
« Le score de Jean-Luc Mélenchon sera d’autant plus haut qu’il tendra la main à tous ceux qui refusent les politiques d’austérité. Le rassemblement peut encore s’élargir. »
Plusieurs pétitions circulent pour appeler Mélenchon, Hamon et Jadot à s’entendre autour d’une candidature commune. Est-ce envisageable ?
Ces appels répondent à une aspiration que j’entends. Il reste que cette éventualité demeure très aléatoire. Mélenchon, Hamon et Jadot ont tous les trois leur légitimité. Pour ce qui concerne les communistes, nous avons notre candidat. C’est Jean-Luc Mélenchon. S’il y a une discussion à avoir, elle doit porter sur le fond, sur les propositions. Et c’est à partir de celles-ci que nous pourrons – je le souhaite, en tout cas – construire un pacte de majorité dans la perspective des élections législatives.
Comment appréciez-vous la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
Il y a incontestablement une belle dynamique de campagne : il y a du monde dans les meetings et une présence sur les réseaux sociaux extrêmement forte. Il reste que la campagne menée par Jean-Luc Mélenchon en 2017 n’est pas la campagne de 2012. Le choix d’en rester au seul cadre de la France insoumise et de ne pas laisser la place aux autres composantes qui soutiennent sa candidature est à mon sens regrettable. Je suis convaincu que le score de Jean-Luc Mélenchon sera d’autant plus haut qu’il tendra la main à tous ceux qui refusent les politiques d’austérité. C’est donc une belle campagne, mais le rassemblement doit encore s’élargir.
Allez-vous signer la charte des Insoumis ?
Non. Et cela ne m’empêche pas de faire campagne pour Jean-Luc Mélenchon.
C’est pourtant la condition pour avoir le soutien de la France insoumise. Face aux candidats communistes, des candidats insoumis pourraient-ils donc être investis ?
Il serait totalement aberrant que nous ayons des candidats distincts aux élections législatives alors que nous soutenons le même candidat à l’élection présidentielle. Le dialogue doit donc se poursuivre avec la France insoumise pour aboutir à des candidatures communes. Tout le monde y gagnera.
« Si, depuis cinq ans, la gauche nationale avait ressemblé un peu plus à la gauche parisienne, la gauche se porterait mieux. »
Depuis ce lundi, vous êtes membre d’un exécutif municipal à Paris, qui compte en son sein des élus En Marche – Anne Hidalgo ayant maintenu ses deux adjoints dans leurs fonctions. Ce que vous dénoncez à l’échelle nationale est acceptable à l’échelle locale ?
On parle de deux élus qui ont fait un choix personnel. Si ce choix s’était traduit par une inflexion de la politique municipale, la question de notre participation à la majorité se poserait. Il n’en est rien. Nous sommes portés par un engagement de mandature. Il est aujourd’hui respecté. En matière de logement, premier sujet de préoccupation des Parisiens, nous allons même au-delà de nos engagements de campagne. En 2017, nous continuerons à produire 7.500 logements sociaux, à ouvrir des centres d’hébergements, dont un de 300 places dans le 12e arrondissement, à avoir un niveau d’investissement très élevé, à livrer des places en crèche et à renforcer le service public.
Tout de même, un exécutif qui compte une ex-chiraquienne, un ex-Modem, des élus En Marche – qui ont soutenu la politique gouvernementale, entourés de socialistes, d’écologistes et de communistes… à la veille de la présidentielle et des législatives, le pari est un peu risqué, non ?
La maire de Paris n’a jamais soutenu la politique de Valls et, aujourd’hui, elle soutient la candidature de Benoît Hamon. Lors de cette élection présidentielle, les vingt-et-un adjoints d’Anne Hidalgo soutiendront des candidats à la présidentielle extrêmement différents. Certains soutiennent Jadot, d’autres Hamon, d’autres comme moi soutiennent Mélenchon. Et enfin deux élus seulement soutiennent Macron.
Vous resterez donc au sein de l’exécutif municipal ?
Ma seule boussole, c’est l’intérêt des gens. Je suis fier d’avoir ouvert un centre pour sans-abris dans le 16e malgré les hurlements de certains riverains attachés à l’entre-soi. Fier aussi d’avoir enfin encadré les loyers pour protéger les classes moyennes parisiennes. La politique, telle que je la conçois, ce sont des faits, des résultats. Tant que nous sommes utiles au plus grand nombre, nous avons notre place dans cet exécutif municipal. Si, depuis cinq ans, la gauche nationale avait ressemblé un peu plus à la gauche parisienne, la gauche se porterait mieux. Et je souhaite d’ailleurs à la gauche, à l’échelle nationale, de se porter aussi bien que la gauche parisienne.
« Tant que d’autres grandes métropoles n’ouvriront pas de centres humanitaires, la situation des migrants restera dramatique. »
Il y a tout de même quelques sujets de discorde. L’accueil des migrants par exemple, la précarité et la violence qui s’exercent sur eux, a été largement dénoncée – même si la ville de Paris n’est pas en première ligne…
La situation est loin, très loin d’être parfaite. C’est le moins que l’on puisse dire. Il reste que depuis l’ouverture du centre de la porte de la Chapelle – et maintenant du centre d’Ivry –, la situation s’est améliorée. Il y a quelques mois, des centaines de réfugiés dormaient dehors à Stalingrad. C’était indigne. La ville de Paris a fait le choix d’aller bien au-delà de ses compétences en ouvrant un centre humanitaire alors que c’est une compétence de l’État. Paris est, de fait, une ville refuge. Nous avons choisi de l’assumer. Il a fallu forcer la main de l’État qui, au départ, ne voulait pas de notre centre humanitaire. Nous avons tenu bon et nous l’avons fait. En revanche, il serait totalement faux d’imaginer que Paris, seule, puisse régler le problème. Tant que d’autres grandes métropoles n’ouvriront pas de centres humanitaires, la situation restera dramatique. Pourquoi n’a-t-on pas l’équivalent du centre de la Chapelle à Nice, par exemple ?
Comment analysez-vous ce qu’on appelle "l’affaire Fillon" et que dit-elle de la déconnexion du politique avec le peuple ?
Cette affaire, que les faits en question soit légaux ou pas, est totalement immorale. On ne peut pas d’un côté prôner l’austérité pour tous et, dans le même temps, se gaver sur le dos du contribuable en se tournant les pouces. C’est profondément choquant. Cette affaire en dit long sur la déconnexion d’une certaine élite par rapport à la réalité de ce que vivent les gens. Ces pratiques immorales, il faut les rendre illégales. Il n’est pas normal que l’on puisse embaucher son conjoint ou ses enfants à l’Assemblée nationale ou au sénat. Ces pratiques d’un autre siècle devraient être définitivement enterrées.