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6 mai 2024 1 06 /05 /mai /2024 06:00
Conseil de lecture: "La persistance de la question palestinienne" du professeur d'histoire politique jordano-américain Joseph A. Massad
"La persistance de la question palestinienne", publiée en France il y a 15 ans, en 2009.
 
Joëlle Marelli a traduit de l'anglais ce très stimulant essai de Joseph A. Massad publié en France en 2009 aux éditions La Fabrique (12€).
 
D'origine jordanienne, Joseph A. Massad (né en 1963) est professeur associé à l'université Columbia, à New York, où il enseigne l'histoire politique et intellectuelle arabe moderne.
 
Ce livre est d'une criante actualité.
 
Il montre comment, à la source du sionisme de Theodor Herlz, il y a une forme de reflet de l'antisémitisme et du nationalisme européen dont les juifs d'Europe ont été victimes et qui va métastaser au Proche-Orient dans l'image raciste du Palestinien que va construire le nationalisme et le sionisme israélien de manière à justifier la colonisation, la spoliation, l'apartheid.
Le Palestinien devenant ainsi une sorte de double du Juif de l'idéologie raciste européenne pour le sionisme à dimension raciste régnant chez une partie des israéliens.
Le sionisme de Herlz intériorise la vision antisémite des Juifs comme orientaux d'Europe et veut les transformer en Occidentaux d'Asie: le projet sioniste est pour Joseph A. Massad depuis Herzl celui d'une européanisation des Juifs en Asie, reportant sur le palestinien d'Asie les stigmates attribué par l'antisémitisme au juif de la diaspora, sans terre ni patrie, et cela en reproduisant les schémas racistes de l'antisémitisme, aussi bien dans le rapport avec l'identité juive qu'avec l'altérité palestinienne ou arabe, et en s'appuyant de manière opportuniste sur des forces réactionnaires antisémites en Occident, devenues compagnons de route du projet colonial sioniste pour des raisons diverses (religieuses, coloniales, impérialistes, racistes).
 
Morceaux choisis:
 
"Tout en faisant leurs les objections des "maskilim" et autres assimilationnistes juifs pour qui il s'agissait de faire disparaître la marque de l'altérité juive, le sionisme s'en distinguait en affirmant que les chrétiens européens ne permettraient jamais aux Juifs de prouver qu'ils pouvaient devenir Européens en Europe. La solution semblait alors évidente: le sionisme, pour reprendre les thèmes de Herzl, fonderait pour les Juifs un Etat qui constituerait "un morceau de rempart contre l'Asie, (...) la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie" (L'Etat Juif, Theodor Herlz, éditions de l'Herne).
Comme l'annonçait son roman Altneuland, cet État battrait les Européens à leur propre jeu civilisationnel. La colonie de peuplement serait le lieu de transformation des Juifs. Pour devenir européens, les Juifs devaient quitter l'Europe. Ils pourraient y revenir et en faire partie intégrante à condition d'en imiter la culture à distance géographique. Les Juifs avaient été asiatiques en Europe, ils deviendraient européens en Asie (Herzl, Le Pays ancien-nouveau)... La rencontre avec les Arabes palestiniens suscita l'expansion du projet transformateur. En cherchant à métamorphoser les Juifs en Européens, le sionisme déclencha un processus de métamorphose des Arabes palestiniens en Juifs, dans une géographie déplacée de l'antisémitisme. (...).
Le sionisme comprenait que pour devenir européens, les Juifs ne pouvaient plus s'identifier en termes tribaux ou religieux; il leur fallait désormais le faire en termes de race et de nationalité. C'est dans ce contexte que les origines religieuses du judaïsme devinrent des origines nationales et raciales et que les anciens rois hébreux devinrent les ancêtres des Juifs modernes... Ce sont les principes nationalistes européens "Blut und Boden" ("le sang et le sol") qui guidèrent l'invention sioniste des Juifs comme nation possédant sa propre terre."
 
"Dans la chaîne de représentations formée par les idéologies sionistes de Herzl à Menachem Begin et à Ariel Sharon, les Palestiniens figurent de différentes manières, toutes liées. Si Herzl les voyait comme des gens "sales", aux allures de "brigands", Menachem Begin, les considérait comme des "bêtes à deux pattes" (discours à la Knesset, 25 juin 1982). Noter l'impeccable coïncidence entre les adjectifs antisémites utilisés contre les Juifs européens et ceux que le sionisme utilise pour décrire les Palestiniens. Herzl souhaitait "transférer cette population misérable" vers les pays voisins, tâche qu'exécutèrent avec succès Ben Gourion et la direction sioniste en 1948, expulsant la majeure partie de la population palestinienne, et de manière plus mitigée en 1967, quelques centaines de milliers à peine. La tolérance des Juifs israéliens à l'égard des "sales étrangers" qui vivent parmi eux a ses limites. Dans un rapport de l'Institut israélien pour la démocratie publié en février 2004, "en 2003, plus de la moitié (53%) des Juifs en Israël disent clairement qu'ils sont contre l'égalité complète pour les Arabes; 77% disent qu'il devrait y avoir une majorité juive pour les décisions politiques cruciales (...) et la majorité (57%) dit que les Arabes devraient être encouragés à émigrer, référence voilée à l'expulsion ou au "transfert". (...)
 
Mais en dépit de ses vaillants efforts, le sionisme ne parvint pas à expulser tous les Palestiniens. Il fit de ceux qui restèrent en Israël des étrangers sur leur propre terre et les soumit de 1948 à 1966 à un système militaire raciste rappelant la vie des juifs européens sous les pires espèces de régimes antisémites... Depuis 1966, cette population vit sous un système civil raciste qui évoque les expériences moins extrêmes des Juifs européens sous des lois antisémites discriminatoires. Quant à la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza, occupées en 1967, ses terres et ses maisons sont devenues des ghettos assiégés, emmurés et entourés de meutes de colons et de l'armée israélienne.
(...)
Pour justifier ses efforts de colonisation de la Palestine auprès d'un monde européen non juif, le sionisme présenta les Juifs comme des vecteurs de la civilisation européenne dans un pays affligé d'une population barbare, "parasitaire", qui le négligeait et en faisait un désert. Ce que l'antisémitisme projetait sur les Juifs européens allait être en grande partie reporté sur les Arabes palestiniens, auxquels furent attribuées des caractéristiques jusqu'alors considérées, par le sionisme et par l'antisémitisme, comme spécifiques de la judaïcité diasporique. La question de la "négligence" des Palestiniens quant à la terre sur laquelle ils vivaient n'est pas très éloignée du poncif antisémite désignant les Juifs européens comme usuriers improductifs "parasitant" la société chrétienne d'Europe. "
 
"Herzl écrit dans son journal en 1895 que l'antisémitisme est "plus que compréhensible", qu'il est "salutaire" et "utile au caractère juif". Il va plus loin en expliquant que l'antisémitisme constitue "l'éducation d'un groupe par les masses". Il prédit qu'avec "l'école de la vie", "un mimétisme darwinien surviendra".
 
Plus tard, Herzl favorisa les alliances avec les antisémites de l'époque. Cette logique a persisté jusqu'à nos jours. (...) Le racisme du sionisme dérive clairement d'un antisémitisme antérieur qui a simplement changé de cible. (...) Le sionisme est d'abord et avant tout une idéologie nationaliste dans la tradition romantique européenne, bien qu'il soit tard venu dans cette tradition. L'influence du romantisme allemand (notamment de philosophes comme Herder et Fichte), le mouvement de jeunesse allemand (imité par le sionisme), ainsi que les idées "fin de siècle" de la pensée évolutionniste et des théories de la race et de la dégénérescence informent beaucoup de cette construction idéologique. Max Nordau, théoricien par excellence de la dégénérescence, fut l'un des pères philosophiques du sionisme, appelant à la régénérescence des Juifs dégénérés. Il avait pris soin de souligner:
 
"Nous ne deviendrons pas des Asiatiques là-bas (en Palestine, pour ce qui est de l'infériorité anthropologique et culturelle, pas plus que les Anglo-saxons ne sont devenus des Indiens en Amérique du Nord, des Hottentos en Afrique du Sud, ou des membres des tribus papoues en Israël (...)"
 
" Le sionisme est aussi un mouvement colonial rendu possible par un monde colonial européen qu'il espérait pouvoir à la fois seconder et étendre... Le fait de présenter comme une extension de l'Europe explique une part importante du soutien dont Israël a bénéficié auprès de l'Europe et de l'Amérique au siècle passé. Herzl ne l'avait que trop bien compris quand il prédisait que les antisémites seraient les meilleurs appuis du sionisme: "Les gouvernements des pays où sévit l'antisémitisme ont un vif intérêt à nous procurer cette souveraineté".
Allaient même, selon lui, contribuer à un fonds d'émigration destiné aux Juifs européens "non seulement les pauvres petits Juifs, mais encore les chrétiens qui veulent se débarrasser des Juifs"... On ne saurait comprendre plus clairement le rôle des antisémites dans les efforts sionistes. Herzl affirma sans détour que "les antisémites deviendront nos amis les plus fiables, les pays antisémites, nos alliés".
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