JUSTICE - La patronne du Fonds monétaire international (FMI) et ancienne ministre Christine Lagarde a été reconnue coupable de "négligence" dans l'affaire de l'arbitrage Tapie, lundi 19 décembre devant la Cour de justice de la République (CRJ). Elle est toutefois dispensée de peine, sa condamnation ne figurera donc pas dans son casier judiciaire.
Les trois magistrats, les six députés et les six sénateurs sont allés à l'encontre des réquisitions du parquet qui avait réclamé la relaxe. L'ancienne ministre risquait jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende.
Il n'y a pas d'appel possible des décisions de la CJR, seule habilitée à juger des membres d'un gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Ne reste qu'un éventuel pourvoi en cassation à Christine Lagarde, qui a rejeté lundi cette possibilité.
"Ce n'est pas la décision que j'aurais préférée mais il faut à un moment savoir tourner la page, arrêter un procès et se consacrer aux tâches qui sont les miennes", a affirmé la directrice générale.
Christine Lagarde était absente lors du délibéré car "retenue pour des raisons professionnelles" à Washington, le siège du FMI, selon son avocat Patrick Maisonneuve.
Christine Lagarde "assume (ses) décisions"
La cour a considéré que Christine Lagarde avait agi avec négligence en autorisant en 2007 une procédure arbitrale avec Bernard Tapie pour solder son litige avec l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais. Cet arbitrage avait attribué 400 millions d'euros à l'homme d'affaires.
Annulé en 2015 pour fraude au civil, cet arbitrage privé fait l'objet d'une enquête pénale pour "détournement de fonds publics" et "escroquerie", distincte de celle qui a visé l'ancienne ministre de l'Économie, au gouvernement entre 2007 et 2011.
Le conseil d'administration du FMI, qui représente ses 189 États membres, "réaffirme sa pleine confiance dans la capacité de la directrice générale de continuer d'assumer ses fonctions efficacement", indique un communiqué publié dans la soirée. Le conseil, qui a toujours apporté sa confiance à Christine Lagarde, "devrait se réunir bientôt pour évaluer les plus récents développements", avait plus tôt déclaré Gerry Rice, sans donner davantage de précisions.
Aucune règle interne ne dicte la voie à suivre pour le FMI. Légalement, Christine Lagarde ne bénéficie d'aucune immunité mais elle peut continuer à exercer ses fonctions tant qu'elle bénéficie du soutien du conseil d'administration, qui est dominé par les Européens et les Américains.
La directrice générale du FMI n'a jamais lié son sort judiciaire et son destin à la tête de l'organisation internationale. Vendredi, avant que la Cour ne parte délibérer, Christine Lagarde a dit "assumer (ses) décisions". "J'ai agi (...) avec pour seul objectif la défense de l'intérêt général", a-t-elle assuré.
"Christine Lagarde exerce son mandat au FMI avec succès et le gouvernement maintient toute sa confiance en sa capacité à y exercer ses responsabilités", a assuré le ministère de l'Économie et des Finances dans un communiqué signé au nom du gouvernement.
"Un coup de poing dans l'estomac"
Au cours des débats, Christine Lagarde a été bousculée par la présidente Martine Ract Madoux. "C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir!" a lancé la pugnace magistrate, en s'étonnant que la ministre ne tente aucun recours quand trois juges arbitres accordent plus de 400 millions d'euros d'argent public à Bernard Tapie à l'été 2008.
À l'époque, Christine Lagarde conclut, un peu rapidement selon les enquêteurs, que les arguments juridiques pour un recours sont trop minces. "Devant une décision aussi scandaleuse, même si nous n'avions qu'une chance sur mille de gagner", il fallait y aller, a au contraire affirmé mercredi Bruno Bézard, qui dirigeait alors l'Agence des participations de l'État. L'ancien haut fonctionnaire de Bercy, dont les avis hostiles à l'arbitrage n'ont pas été entendus, a fait une cible de choix pour la défense.
Me Patrick Maisonneuve a chargé un technocrate "très droit dans ses bottes", un "Monsieur-qui-sait-tout" qui envoie note sur note, sans jamais franchir les "quelques mètres" qui le séparent du bureau de la ministre afin de l'avertir de vive voix.
Le PDG d'Orange accablé par des témoins
Les audiences ont aussi été marquées par une absence: Stéphane Richard, actuel PDG d'Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, a préféré ne pas venir témoigner. Mis en examen dans l'enquête principale, non-ministérielle, avec entre autres Bernard Tapie, il en avait le droit, pour préserver sa propre défense.
Devant la CJR, Stéphane Richard a été accablé par nombre de témoins, qui en ont fait le premier partisan d'un arbitrage du vieux contentieux entre l'homme d'affaires et le Crédit Lyonnais, mené jusque là devant les tribunaux.
Aux élus, majoritaires au sein de la CJR, qui écoutaient un réquisitoire aux accents de plaidoirie, le procureur général Jean-Claude Marin a affirmé que "prendre une mauvaise décision n'est pas (...) en soi seul un délit". "C'est à la frêle limite entre le politique et le judiciaire que vous aurez à vous déterminer". La CJR a tranché.