Courant d'ère. Mémoire vive, mémoire morte
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François Fillon a du mal à exister. Comme nous tous, serais-je tenté d'écrire. Mais peut-être un peu plus que le commun des mortels quand il consulte les sondages. Entre Sarkozy et Juppé, sa place n'est guère trouvée, ses chances s'étiolent. Alors, il en remet dans le discours, il en remet tant, que, sous son habit d'homme souriant et pondéré, il dérape et laisse échapper quelques propos qu'on attendrait plus dans les postillons de Donald Trump. Ainsi a-t-il déclaré dimanche dernier, lors d'un meeting sur ses terres, dans la Sarthe, qu'il convenait de « revoir l'enseignement de l'Histoire à l'école primaire » afin que les professeurs ne soient « plus obligés d'apprendre aux enfants que le passé est source d'interrogations ». Il suggère de solliciter « trois académiciens » pour refondre les programmes, afin que nos rejetons soient édifiés par un récit (ou un roman) national tissé d'hommes exemplaires, de symboles incontestables, d'événements glorieux et de monuments magnifiques. Cette Histoire-là est bien connue et fut pratiquée au XIXe siècle, sous la Troisième République. Sa fonction est unificatrice et protectrice. Il s'agit d'évacuer par l'exemple les sources de querelles et de doutes.
L'Histoire de France est forcément somptueuse, on ne va pas l'abîmer avec des détails - traite des Noirs, extermination des Indiens, fiasco de 1940, politique de Vichy ou torture en Algérie.
C'est ce que réclame depuis une bonne décennie la droite dite « décomplexée ». C'est ce que pratiquent Valeurs Actuelles ou la Chaîne Histoire de Patrick Buisson. François Fillon a été ministre de l'Éducation nationale. Et s'il voulait bien se reporter à cette expérience, il aurait songé que les programmes d'Histoire sont affaire de scientifiques et non d'académiciens. Que l'Histoire elle-même est un perpétuel débat et qu'elle a pour but de s'assurer la connaissance du passé au moyen des armes de la critique. Hier, nous pensions que le Moyen-Âge fut une période obscure, peu créatrice, qui attendait l'illumination de la Renaissance pour s'évanouir. Et puis, avec Jacques Le Goff et son école de chercheurs, on s'aperçut que cette légende était non seulement réductrice mais violemment fausse. Ce n'est pas aux politiques de dire ce qu'est l'Histoire, mais aux historiens. La levée de boucliers qui a salué les propos de l'imprudent candidat a été aussi massive que déterminée. Voulons-nous des enfants décérébrés qu'on nourrit de contes, ou des esprits critiques auxquels on enseigne que la vérité est controversée et source de controverses ? Mémoire vive, mémoire morte, voilà l'alternative.
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