Ce n’est pas le moindre des paradoxes du quinquennat de François Hollande : jusqu’aux dernières semaines avant son départ, le chantre de la « République exemplaire » a été confronté à une série de mises en cause de proches et de ministres, de Jérôme Cahuzac à Bruno Le Roux, qui a démissionné mardi.
« Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire. » C’était il y a cinq ans. François Hollande était en campagne et promettait une rupture morale et éthique après le quinquennat de Nicolas Sarkozy. De fait, il n’a jamais été mis en cause dans la moindre affaire judiciaire. Mais son mandat a été marqué par une série de révélations sur ses proches, des aveux de Jérôme Cahuzac à la démission mardi du ministre de l’intérieur Bruno Le Roux.
Le Parquet national financier a annoncé mardi en début d’après-midi l’ouverture d’une enquête préliminaire à la suite des révélations de l’émission de Yann Barthès diffusée sur TMC. Elle portera sur de possibles faits de détournements de fonds publics et recel. Au même moment, Bruno Le Roux a été reçu à l'Élysée par François Hollande, en présence du premier ministre Bernard Cazeneuve. En fin de journée, le ministre de l'intérieur, dont la position était devenue intenable, a annoncé sa démission pour« préserver l'action gouvernementale ».
D’après les informations recueillies par la journaliste Valentine Oberti, les filles de Bruno Le Roux, âgées aujourd’hui de 20 et 23 ans, ont respectivement signé 10 et 14 contrats à durée déterminée (CDD) avec leur père entre 2009 et 2016, d’abord quand il était député de Seine-Saint-Denis, puis patron du groupe PS à l’Assemblée nationale (jusqu’à sa nomination place Beauvau le 6 décembre 2016). Elles auraient ainsi engrangé 55 000 euros d’argent public à elles deux.
La « République exemplaire », déjà bien amochée, aura donc pris un ultime coup à un mois de la présidentielle, alors que François Hollande s’est lancé dans une tournée d’adieux après avoir renoncé à se représenter. Jusqu’au bout, il aura donc été confronté aux erreurs, aux mensonges, aux manquements éthiques et moraux, et aux délits, parfois, de certains de ses camarades de parti et de ses proches. Tous ceux qui ont été mis en cause depuis le début du quinquennat ont dû démissionner. Sauf un, toujours membre du gouvernement : Jean-Marie Le Guen.
La liste est longue. Elle commence par un nom, le plus célèbre, celui du ministre du budget qui promettait de lutter contre la fraude fiscale : Jérôme Cahuzac. Les révélations de Mediapart en décembre 2012 n’avaient pas suffi à convaincre François Hollande de s’en séparer. Il a fallu attendre le 19 mars 2013 pour que le ministre démissionne. En fin d’année 2016, l’ancien député a été condamné à trois ans de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité pour fraude fiscale et blanchiment. Il a fait appel du jugement.
Dans la foulée de ces aveux, il y a quatre ans, le président de la République avait initié plusieurs textes de moralisation de la vie politique, conduisant notamment à la création du Parquet national financier (PNF) et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), à l’origine de plusieurs des affaires suivantes, même si la presse s’est bien souvent montrée plus efficace à enquêter.
C’est par exemple le cas de Yamina Benguigui, ministre déléguée à la francophonie au début du quinquennat. Le 31 mars 2014, la HATVP avait inauguré ses nouveaux pouvoirs en signalant son cas à la justice : elle la soupçonnait d’avoir sciemment dissimulé, par trois fois quand elle était ministre, les parts qu’elle possédait dans une société belge. Le 27 septembre 2016, Benguigui a été condamnée en appel à un an d’inéligibilité, deux mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour des omissions dans ses déclarations de patrimoine et d’intérêts.
Le 17 avril 2014, c’est au tour d’un des plus proches conseillers de François Hollande,Aquilino Morelle, d’être au cœur de la tourmente : Mediapart révèle les conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques quand il était en poste à l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, et son attitude à l’Élysée, symbolisée par le« cirage de chaussures ». Dès le lendemain, il est contraint de démissionner. S’il n’a jamais été condamné par la justice (voir notre article expliquant pourquoi l'affaire a été classée sans suite), le conflit d’intérêts était lui avéré.
Dix jours plus tard, le 27 juin, c’est au tour d’un secrétaire d’État, Jean-Marie Le Guen, d’être épinglé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique. À l’époque chargé des relations avec le Parlement, ce proche de Manuel Valls a minoré la valeur de ses propriétés immobilières auprès de l'administration fiscale d’environ 700 000 euros, pendant plusieurs années. Mediapart révélait à l'époque qu'il était sous la menace d'un redressement de 50 000 euros sur son ISF (impôt de solidarité sur la fortune), rien que sur l'année 2013.
Depuis, il a également été mis en cause dans un livre des journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, Nos très chers émirs. L'ancien député de Paris est accusé notamment de vouloir minimiser, par le biais d'une agence de communication, les déclarations parlementaires critiques vis-à-vis de la pétromonarchie. Une polémique« honteuse », selon Le Guen, qui a annoncé avoir porté plainte en diffamation et qui est toujours au gouvernement. En décembre dernier, il a même quitté les relations avec le Parlement pour… le Quai d’Orsay, où il est chargé du développement et de la francophonie.
«Aucune protection apportée à qui que ce soit»
Le 4 septembre 2014, François Hollande et Manuel Valls viennent de remanier le gouvernement : fait alors son entrée un jeune député prometteur, promu à Bercy,Thomas Thévenoud. Il ne restera que quelques jours pour avoir omis de déclarer ses revenus en 2012 et pour l’avoir fait avec retard pendant plusieurs années (2009, 2010, 2011 et 2013). Dans un livre paru en mars dernier, il confiait sa conviction d'avoir été viré parce que Mediapart détenait « l’intégralité de son dossier fiscal » et s’apprêtait à le publier. En tout cas, nous enquêtions sur ses manquements. Thomas Thévenoud sera finalement jugé le 19 avril prochain, quatre jours avant le premier tour, pour fraude fiscale.
Deux mois et demi plus tard, le 21 novembre 2014, c’est un proche de François Hollande,Kader Arif, qui est contraint de quitter le gouvernement. La veille, Mediapart a révéléque les bureaux du secrétaire d'État aux anciens combattants avaient été perquisitionnés quelques jours plus tôt, dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte en septembre sur des marchés publics attribués par le conseil régional de Midi-Pyrénées à des parents de Kader Arif.
L’entourage du président de la République est encore mis à rude épreuve le 3 décembre 2014. Un de ses conseillers à l’Élysée, Faouzi Lamdaoui, doit à son tour démissionneralors qu’il est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux » et « blanchiment d'abus de biens sociaux ». Des accusations ayant trait à la gestion de deux sociétés, auxquelles il était lié avant son arrivée à l’Élysée. En première instance, la procédure a été annulée mais le parquet a fait appel. La date du nouveau procès a été repoussée, en raison d’un nouvel imbroglio lié à la disparition des notes de la première audience.
La liste se conclut, du moins provisoirement, par le nom de Bruno Le Roux, encore un proche de François Hollande depuis de longues années, contraint à quitter le gouvernement moins de quatre mois après avoir intégré la place Beauvau.
Là encore, l’Élysée pourra plaider que le président de la République n’est pour rien dans cette affaire, qu’il n’était pas au courant (c’est même très vraisemblable) et qu’avant l’affaire Fillon, personne, ou presque, ne s’émouvait de la pratique très répandue des emplois familiaux à l'Assemblée nationale et au Sénat. François Hollande pourra aussi rappeler qu’il a fait voter deux lois sur la transparence, parfois contre l’avis de son propre camp, et qu’il n’a jamais jusque-là été mis en cause directement dans la moindre procédure. Ses amis pourront aussi souligner que les affaires visant Nicolas Sarkozy, François Fillon, le Front national et Marine Le Pen sont souvent autrement plus graves. Qu’ils n’ont démissionné d’aucune fonction, et que deux d’entre eux sont même candidats à l’élection présidentielle.
Dans Un président ne devrait pas dire ça… (Stock, 2016), Hollande le disait lui-même :« D’abord, il n’y a aucun système, rien qui soit un mécanisme de financement politique ou électoral, ou personnel. Deuxièmement, il n’y a aucune protection qui soit apportée à qui que ce soit. Troisièmement, la justice et la presse font leur travail jusqu’au bout. Quatrièmement, quand un individu est approché par la justice, il est remercié. »Ajoutant, pour mieux se dédouaner : « Moi, président de la République, je n’ai jamais été mis en examen… Je n’ai jamais espionné un juge, je n’ai jamais rien demandé à un juge, je n’ai jamais été financé par la Libye… »
Il n’empêche : toutes ces affaires resteront comme une tache indélébile sur son quinquennat, renvoyant l’image d’une classe politique déconnectée, parfois tellement sûre de ses privilèges qu’elle en oublie de distinguer argent public et argent privé. Elles sont finalement venues rappeler une évidence : la « République exemplaire » ne se décrète pas, surtout pas depuis l’Élysée, symbole d’une Ve République carbonisée.
commenter cet article …