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27 janvier 2025 1 27 /01 /janvier /2025 06:44
27 janvier : « Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste » et « Journée de la mémoire des génocides et de la prévention  des crimes contre l’humanité ». - Communiqué de l'UJRE

Communiqué UJRE du 25/01/2025

27 janvier : « Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste » et « Journée de la mémoire des génocides et de la prévention   des crimes contre l’humanité ».

La « solution finale de la question juive » est édictée par les nazis le 20 janvier 1942.

Le génocide industrialisé des Juifs – pourchassés sur tout le continent européen – s’exerce, en Pologne occupée, dans des centres de mise à mort : Chelmno (dès décembre 1941), Belzec, Sobibor, Treblinka, Madjanek et Auschwitz-Birkenau. En raison de sa taille et du nombre de ses victimes (Juifs très majoritairement mais aussi Tsiganes, Polonais opposants, prisonniers de guerre soviétiques, homosexuels…), le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau va devenir le symbole du « mal absolu ».

Mais, avant l’extermination par gazage, la machine de mort nazie a d’abord expérimenté la destruction des Juifs lors de féroces massacres de masse. Dès l’invasion de la Pologne par Hitler, le 1er septembre 1939, le pays devient un véritable laboratoire d’extermination. Les pogroms se multiplient et les tueries s’intensifient. Les Juifs sont précipités dans des abîmes ou alignés, nus, autour de fosses que souvent ils ont dû eux-mêmes creuser.

Ces massacres de masse, par revolvers ou mitrailleuses, sont répertoriés sous l’appellation de « Shoah par balles » tandis que les camions à gaz itinérants, les Gaswagen, constituent les prémices des centres de mise à mort industriels. C’est la première phase de la Shoah qui compte de très nombreuses victimes du génocide, avant même la mise en œuvre des chambres à gaz.

L’Holocauste, c’est l’assassinat systématique, réfléchi, organisé, planifié et industrialisé des populations juives d’Europe, qui a fait 6 millions de victimes, enfants et adultes, dont plus d’un million à Auschwitz-Birkenau.

Le camp-symbole de l’inhumanité d’Auschwitz-Birkenau (à la fois camp de concentration et centre de mise à mort géant) est libéré le 27 janvier 1945 par les troupes soviétiques. Quelques survivants raconteront…

L’Union des juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE), créée en 1943 pendant la résistance pour combattre le nazisme, vous invite à participer nombreux :

À la commémoration-inauguration du monument Les rails de la Mémoire, dimanche 26 janvier à 10h à la Place Carnot à Lyon.

À la cérémonie organisée par la Ville de Bobigny, lundi 27 janvier à 10h à la Gare de la Déportation de Bobigny (départ possible en bus à 9h30 de la place Yitzhak Rabin et Yasser Arafat de Bobigny).

À la cérémonie organisée par le Mémorial de la Shoah lundi 27 janvier à 12h30 sur le parvis du Mémorial - 17 rue Geoffroy l’Asnier (Paris 75004)

À la cérémonie organisée par le Mémorial de la Shoah de Drancy lundi 27 janvier à 14h00 au Mémorial de la Shoah de Drancy, 110 – 112 Av Jean Jaurès (Drancy 93700)

À la cérémonie organisée par le RAAR (Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) lundi 27 janvier à 18h00 au Mémorial du Vel d’Hiv – 7 rue Nélaton (Paris 75015) 

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26 janvier 2025 7 26 /01 /janvier /2025 08:13
Photo de Michel Tanguy - janvier 2025

Photo de Michel Tanguy - janvier 2025

Michel Tanguy avec ses amis André Castel, Marie-Thé Tanguy sa femme, Mireille Brel, Guy Drouillard et Raymond Brel le receveur des postes de Khenchela qui les initie à la spéléologie (source de la photo: Mémoires de Guy Drouillard, IHS CGT de la Gironde)

Michel Tanguy avec ses amis André Castel, Marie-Thé Tanguy sa femme, Mireille Brel, Guy Drouillard et Raymond Brel le receveur des postes de Khenchela qui les initie à la spéléologie (source de la photo: Mémoires de Guy Drouillard, IHS CGT de la Gironde)

Photo de la maison familiale de Michel Tanguy avenue de la République à Coatserho, Morlaix (autrefois Ploujean)

Photo de la maison familiale de Michel Tanguy avenue de la République à Coatserho, Morlaix (autrefois Ploujean)

Michel Tanguy est né le 3 février 1930 sur la commune de Ploujean, aujourd'hui intégrée à Morlaix. A sa naissance, ses parents habitent dans une maison qu'ils ont fait construire sur un terrain de 800 m2 Avenue de la République, à Coat-Serho, sur la colline surplombant le port de Morlaix.  

Sa mère originaire de l'île de Batz, née le 30 mai 1895, détentrice du brevet élémentaire, est institutrice, et son père, né en 1888, natif de Plouégat-Guerrand, est le bras droit du directeur des affaires maritimes (à l'époque Inscription maritime). Il travaillera un moment au Havre où la famille de Michel Tanguy déménagera quand il était petit, pour y vivre deux ans, avant de retrouver le Finistère, Brest, Bourg-Blanc, où sa mère obtient un poste d'institutrice en 1938, puis Morlaix, où Michel Tanguy, qui a quitté la ville à deux ans, revient à onze ans, en pleine occupation.  

Les Allemands occupent le collège (Tristan Corbière, Kernéguès aujourd'hui). Qui se replie sur l'école du Poan-Ben. Michel Tanguy a en 6ème un professeur d'anglais jugé mauvais et violent, Monsieur Darcel, qui sera arrêté à la libération pour faits de collaboration. Par contre, Monsieur Vazel, le professeur de français, est très apprécié de ses élèves, et Michel Tanguy l'aime beaucoup. Il enseigne aussi en classe de philo. A la rentrée 1942, les Allemands occupent aussi l'école du Poan-Ben. Les enfants n'ont plus de classe de doivent recevoir leurs cours par correspondance, puis au collège des filles. C'est là que retentit la sirène le 29 janvier 1943 pour le bombardement du Viaduc qui fera 70 morts à Morlaix, dont 42 enfants et leur maîtresse à l'école Notre-Dame-des-Anges. Après le bombardement du Viaduc, Michel Tanguy continuera son collège à Lanmeur, les écoles morlaisiennes étant fermées.

Il retrouve le collège des garçons en octobre 1944, et ira jusqu'à la Terminale, à Kernéguès, à l'ancien lycée Tristan Corbière, aujourd'hui reconverti pour les Services techniques de la ville de Morlaix.

A la sortie du lycée, en 1949, il a 19 ans. Il aurait bien voulu continuer ses études, mais la faculté étant à Rennes, et le logement difficile à trouver et à payer, il doit y renoncer.

A l'époque leurs salaires étaient bas: une institutrice partant en retraite gagnait 1000 francs par mois tandis qu'un chauffeur aux Ponts et Chaussée pouvait gagner 3000 francs par mois à ses débuts. Les parents n'avaient pas fini de plus de payer la maison rue de la République à Coatserho, près de l'ancienne clinique Lejeune.

Michel Tanguy doit donc vivre et cherche un poste d'enseignant suppléant ou bien de surveillant et il trouve effectivement un poste de surveillant à Pont-de-Buis.

Cela lui permet d'obtenir un sursis de 5 ans pour son service militaire, jusqu'à ses 25 ans. Il se plaît à Pont-de-Buis, loin de sa mère, qu'il décrit comme "un véritable dragon".

Celle-ci lui découpe un un jour un article de journal: on cherchait des instituteurs en Algérie.

Michel Tanguy comprend qu'il peut faire son école normale pendant un an en 1950 à Alger et décide de tenter l'aventure. Un peu plus tard, ce sera au tour de ses futurs amis, normaliens, et instituteurs et militants communistes en Algérie, Guy Drouillard, de Gironde, avec sa femme Suzanne, et André Castel, avec sa femme Annick. 

Sa future femme, Marie-Thérèse Sizun, travaillait aux PTT, elle était communiste depuis ses 17 ans. Son père, Pierre Sizun, était responsable communiste et secrétaire de la CGT à la poudrerie de Pont-de-Buis, un proche de François Tanguy, secrétaire départemental de la CGT, qui deviendra plus tard proche aussi avec Michel Tanguy.

Après un emploi d'été en colonie de vacances, Michel Tanguy arrive à Alger, se fait accueillir à la brasserie "La Lorraine", un des meilleurs restaurants d'Alger situé non loin du port, par les époux Thorillec, les patrons, des bretons chaleureux (Monsieur Thorillec est originaire d'Irvillac), chouchoutant tous les bretons expatriés en Algérie dans leur établissement avec vue sur mer.

Tout de suite, Michel s'étonne de voir les européens d'Algérie, souvent d'origine espagnole, italienne, maltaise, très bien habillés, tout en contraste avec une population arabo-berbère musulmane avec des allures plus misérables.

Après cette agréable réception chez les Thorillec, Michel Tanguy prend le bus pour Bouzaréah, à 10 km d'Alger en haut de la colline, où se trouve l'école normale d'Alger.

Il y a quatorze bretons à l'école normale d'Alger, sur 136 élèves. Dans la petite commune de la banlieue d'Alger où se trouve l'école normale, Michel Tanguy trouve une famille de bretons de Saint-Pol-de-Léon, M. et Mme Bernard, qui accueillent à bras ouvert tous les bretons.

"Des gens formidables, catholiques très pratiquants: lui était prof à Alger dans une école libre".

A Alger, Michel Tanguy fait partie de l'association des bretons d'Alger. "On se réunissait tous les samedis après-midi, on dansait, on chantait, on a même été filmés par les actualités cinématographiques pour la Saint Yves". Nous avons été invités à la foire exposition de Blida, à 50 km d'Alger, au stand des Bretons, pour une fête organisée par la municipalité. On y a chanté le "Bro Goz Ma Zadou", on y défile au biniou en ville: même les gendarmes se sont mis au garde-à-vous. Le jour de la Saint-Yves, le cercle celtique réédite ses chants et danses dans la banlieue d'Alger, à Kouba, et se fait filmer par les actualités cinématographiques.

"Toute l'année j'ai été hanté par le fait que je devais me marier en rentrant en France. Et trouver un poste pour moi dans l'enseignement et pour Marie-Thérèse dans les PTT. Je connaissais un morlaisien et une morlaisienne en Algérie, un ami de mon frère, de huit ans de plus que moi, que j'avais connu enfant à Coatserho. Il avait un poste important dans les PTT au gouvernement de l'Algérie. Ensemble on a parlé à un inspecteur de l'enseignement primaire d'Alger. J'ai réussi à la sortie de l'école normale à avoir un poste à Khenchela, où il y avait un bureau de Poste. Mais ma femme n'a pas pas réussi à l'obtenir. Elle a pris un congé pour convenance personnelle de 6 mois et a trouvé un poste de secrétariat pour un ingénieur des Ponts et Chaussées, chef de chantier. Au bout de 6 mois, elle a redemandé un congé mais le receveur des Postes l'a dénoncée à la direction de Quimper, arguant qu'elle travaillait aux Ponts et Chaussées. Marie-Thérèse a été "démissionnée" d'office par le directeur des Postes de Quimper, malgré ses 4 ans d'ancienneté. Elle a fini aux Ponts et Chaussées."

Michel et Mithée Tanguy le jour de leur mariage à l'été 51

Michel et Mithée Tanguy le jour de leur mariage à l'été 51

Vue générale de Khenchela

Vue générale de Khenchela

" On est partis en Renault 4 CV depuis Pont-de-Buis à la fin des vacances scolaires après mon école normale.

Trois jours de route pour arriver à Marseille. Arrivée à 7h du soir, à Marseille, pour déclarer la voiture. A l'arrivée au port, on apprend que la CGT de la compagnie générale transatlantique fait grève. On a dû partir en avion. Notre fils Ronan n'avait que 14 jours en quittant Pont-de-Buis. Nous avons pris l'avion entre Marseille et Philippeville. Puis un autre avion pour Constantine, et, de là, un car. Une voiture nous est d'ailleurs rentrée dedans. Arrivés à Khenchela, nous n'avons trouvé personne pour garder le bébé. On s'est trouvé dans une merde épouvantable. Je gagnais 36 000 F par mois mais j'avais 25 000 F de remboursement par mois pour ma 4 CV, et je devais en plus débourser 6 000 F pour nous loger. Une famille juive nous sous-louait deux pièces dans un meublé. Il restait 5 000 F pour vivre à 3, une misère...."  

Khenchela est dans le Massif des Aurès, à 150 km au sud de Constantine, une commune de 14 000 habitants avec un bourg de 4000 habitants, dont 500 européens, une communauté juive importante et une communauté musulmane, composée principalement de Kabyles, les Chaouias berbères des Aurès.

On était l'année scolaire 1950-1951. En Algérie, il y avait l'école indigène et l'école européenne.

L'ancienne école indigène ne recevait aucun européen. L'autre école recevait des enfants européens et des petits algériens, principalement des juifs et des enfants de notables musulmans.

Le directeur était raciste vis-à-vis des petits musulmans. Dans sa classe, son chouchou était le fils de administrateur. C'était un chaouch, un sergent, qui venait le chercher le soir, ou sa mère... Il ne faisait rien de ce qu'on demandait aux autres, mais c'était le directeur qui entendait le dispenser de toute obligation, au regard de la condition de ses parents. Je ne l'entendais pas ainsi et je voulais que le petit monsieur participe aux tâches collectives, comme les autres.

Le directeur s'exclama:

- M. Tanguy est là depuis trop peu de temps pour savoir qu'ici il y a des règles. 

Je lui ai répondu:

- Avec moi, Monsieur Cohen, il n'y a jamais deux poids, deux mesures.

L'administrateur en personne est venu me serrer la main et me féliciter".

A Khenchela, il y avait de petites entreprises du bâtiment. Les ouvriers algériens demandèrent de l'aide à Guy Drouillard pour fonder un syndicat.

"Tout le monde se syndiquait à la CGTA, depuis que Guy Drouillard avait fondé l'UL CGTA de Khenchela. Ils ont déclenché une grève dans la plus grosse entreprise de Khenchela.

Même l'inspecteur du travail s'est déplacé. Il n'y avait pas de fiche de paye. Il a fallu payer les salariés avec effet rétroactif".

En Algérie, Michel Tanguy devient ami intime avec Guy Drouillard, futur élu communiste de Perros Guirec et secrétaire de section PCF à Perros, qui restera pour lui le meilleur militant communiste qu'il ait pu connaître, un  instituteur d'origine bordelaise arrivé en Algérie déjà encarté communiste, et qui vend le journal du parti communiste algérien, "Liberté", sur le marché à Khenchela, ce qui, outre ses activités d'organisation syndicale, lui vaudra d'être suspect aux yeux des colons et de l'administration coloniale, et d'être arrêté au lendemain du soulèvement du 1er novembre 1954, qui touchera Khenchela plus que toute autre ville algérienne, avec un policier et un militaire tués, une prise d'assaut de bâtiments représentant les forces de répression. Guy Drouillard sera le seul européen arrêté préventivement parmi 19 suspects.

En avril 1955, alors que les opérations de répression contre les Algériens ont commencé, Guy Drouillard s'est présenté aux élections pour le Conseil Général avec le PCA, le Parti communiste algérien, qui soutenait l'indépendance algérienne, ce qui lui a valu d'être interdit de séjour dans le secteur de Constantine.

En 1954, Michel Tanguy rencontre aussi à Khenchela André Castel, instituteur de Carantec avec sa femme Annick Pailler Castel, ancienne employée de mairie à Carantec.

Les Drouillard, les Castel, les Tanguy se fréquentent et sont des instituteurs unis par leurs idées progressistes et leur critique du colonialisme et de son cortège de racisme et d'humiliation.

André Castel est muté par l'inspection académique à Babar à 1 200 mètres d’altitude, à 40 km au sud de Khenchela, dans les Aurès, les seuls civils blancs au milieu des Aurésiens, et ils se démènent pour l'assistance aux familles désargentés du village, réclamer l'accès aux soins pour eux.

Les Castel viennent en aide aux familles algériennes pour que les enfants puissent fréquenter l’école ; quand l’école est fermée pour congés ou par force, ils ne trouvent contacts et refuge qu’auprès du petit groupe de syndicalistes progressistes autour de l’instituteur Guy Drouillard qui tient l’Union locale CGT de Khenchela.

Pour les services aussi bien civils que militaires, Guy Drouillard est « Le communiste » ; au reste il est chassé du département de Constantine (tout l’Est à l’époque).

André et Annick deviennent rapidement suspects aux yeux des quelques Français et Européens du district et bientôt des militaires qui, avec le début des opérations de guerre, s’installent près de l’école, et y torturent, enchaînant des suspects torturés aux grilles de l'école, des parents d'élèves, à la grande indignation de André et Annick. La buanderie et le garage de l'école de Babar servent de lieux d’interrogatoire et de torture ; l’école et leur logement sont occupés par militaires et gardes mobiles occupés à leurs opérations de "pacification". André Castel adresse un rapport à l’Inspection académique. Plus de doute, le couple est communiste. Ils sont déplacés d'office. Guy se retrouve sans travail, rentre en vacances en métropole et décide de revenir en Algérie avec Annick et sa fille Martine. Il reprend des études à l'université d'Alger où il se lie d'amitié avec des étudiants communistes et rentre dans le soutien au mouvement indépendantiste et l'ALN. Annick travaille comme secrétaire pour la CGT et pour un avocat algérois. Les deux sont arrêtés et torturés par les paras à l'été 57. Annick est même violée comme d'autres détenues algériennes.

 André Castel deviendra d'ailleurs premier secrétaire du Ministère de l'Industrie du FLN sous Boumediene sous le nom de Mourad.

Michel Tanguy, revenu en France à l'été 54, est incorporé pour son service militaire le 1er novembre 1954, le jour de la Toussaint sanglante qui apparaît aujourd'hui comme le déclenchement de la guerre d'Algérie et qui touche particulièrement Khenchela.

Il est affecté à l'école des mousses de Loctudy. Il cherche à tout prix à éviter le départ en Algérie pour combattre les Algériens. A l'école des mousses, il enseigne aux futurs marins avec un prof de sciences. Lui enseigne le français et l'histoire-géo. Cela dure 30 mois.

En 1957, libéré de ses obligations militaires, il doit retourner prendre un poste d'instituteur en Algérie, car il avait encore des années à y faire suite à sa titularisation en Algérie après l'école normale d'Alger.

Michel Tanguy a bien pensé démissionner de l'éducation nationale, rejoindre une usine de radio en région parisienne. Ou bien obtenir une ordonnance de complaisance pour un congé psychiatrique grâce à une relation familiale mais l'académie de Constantine n'est pas dupe et lui enjoint de revenir immédiatement, sous peine d'être licencié de son poste d'instituteur.

Il demande avec un copain, Maurice Le Guellec, de la région de Douarnenez, marié à une institutrice, une nomination à Constantine.

Mais alors que des postes sont non pourvus à Constantine, ils sont mutés d'office aux "cent mille diables" dans la région de Sétif, à Ouled Ali Ben Atmane. Le bourg le plus proche est La Fayette.  

L'école toute neuve reçoit 450 garçons. Un instituteur appelé fait classe, des kabyles qui ont travaillé en France et ont un petit niveau aussi. L'école est en zone opérationnelle pour les militaires. Des combats y ont eu lieu. Des officiers se sont fait tirés dessus alors qu'ils jouaient au tennis. Une vaste opération de ratissage contre les combattants algériens a eu lieu. Un village à côté de Ouled Ali Ben Atmane a été rasé. 

Le responsable du syndicat national des instituteurs de Sétif conseille à Michel Tanguy de ne pas accepter le poste, dans une région dangereuse, de faire grève.

Michel Tanguy et son ami essaient de faire grève et de voir le résultat. Cela n'a duré qu'une semaine: s'ils ne réintègrent pas leur classe, ils sont considérés comme démissionnaires.

Tout de suite, le responsable des Renseignements du poste militaire et le lieutenant mettent la pression sur Michel Tanguy, lui demandant ce qu'il pensait de la torture en lui tendant un dossier de l'Express de Servan-Schreiber dénonçant la torture. Michel Tanguy demande à ce que l'on constitue une classe de filles, et c'est Michel Tanguy qui la prend.

Michel Tanguy voit des algériens déplacés loin de leurs villages, dans des zones sans eau. Ses amis Castel et Drouillard ont été interdits d'enseignement dans le constantinois et André et Annick Castel ont participé à la lutte pour l'indépendance de l'Algérie dans le département d'Algérie, défiant Massu et ses paras. Quand André Castel est arrêté avec sa femme et que leur jugement a lieu avec les paras: on propose à Michel Tanguy de témoigner pour eux, mais des Algériens le dissuadent d'aller au Procès. Michel Tanguy a fait une déclaration avec ce qu'il savait que la population arabe connaissait de lui. L'avocat d'André Castel a lu la déclaration écrite au procès.

En avril 1957, Michel Tanguy a adhéré au PCF, convaincu par Guy Drouillard. Son père était un militant SFIO avec sa carte, un socialiste de guerre froide, anticommuniste. Quand Michel Tanguy a rencontré sa femme Marie-Thérèse en 1949, lui aussi était anti-communiste et a été sur le point de ne pas sortir avec elle à cause de cela.

En 1953, à Khenchela, aux Municipales Guy Drouillard avait été candidat communiste avec la femme de Michel Tanguy, Marie-Thérèse Tanguy, née Sizun. Michel Tanguy avait été tenté de les rejoindre. Ils sont déjà très amis. Guy et sa femme, Suzanne, avaient été invités à Pont-de-Buis en 53 chez les Sizun, les beaux-parents de Michel Tanguy. Les Castel eux avaient invité les Drouillard à Carantec.

Le 1er janvier 1958, Michel Tanguy revient à Khenchela. Des ouvriers lui sautent au cou, ils se souviennent de lui et de Guy Drouillard. Michel Tanguy enseigne désormais dans l'école indigène qui contient 20 classes. C'est le seul enseignant titulaire et le seul instituteur européen avec des jeunes algériens qui n'ont souvent que le brevet des collèges.

Le directeur, un juif arabe, devient copain avec Michel Tanguy. Michel et lui causent beaucoup en rentrant de l'école et en faisant les cent pas, se donnent rendez-vous au café maure. Michel refuse désormais d'aller dans les cafés tenus par les pieds-noirs, les trouvant trop racistes.  

"Il y avait à Khenchela beaucoup de juifs des Aurès, des descendants des compagnons de la Kahina. La fille d'un rabbin Eliane fréquentait un catholique débaptisé, un collègue instit qui avait une classe en dehors du village. Sa famille la séquestrait chez elle, ses frères la battaient. Ils comptaient la marier à un vieux juif de Constantine. Ils la conduisaient à l'école, allaient la chercher. L'inspecteur primaire de Guy Drouillard voulait l'enlever la veille des vacances de Pâques. Ma 4 CV a servi à l'enlèvement et à la libération de la fille du rabbin qui a pu se rendre à Philippeville puis gagner la France en avion. Heureusement car ses frères attendaient son retour avec des fusils. Cela a fait un scandale épouvantable. Le rabbin a dû quitter Khenchela et les juifs conservateurs ne pouvaient plus nous voir".  

La fréquentation des instits pieds noirs, racistes pour beaucoup, est compliquée dans le moment. La population européenne de Khenchela juge Michel suspect, de fréquenter les "arabes". Début 1958, Khenchela est devenu un camp retranché, avec un aérodrome, entouré de barbelés. 

Michel Tanguy donne cours en CP en apprenant à lire à 50 enfants algériens. Ils vont en classe à mi-temps, en effectuant des rotations à la mi-journée. A noël, les enfants savaient déjà lire couramment. Il devient complice avec un vieil instituteur qui fait classe d'initiation, pourvu simplement d'un certificat d'étude.

Quand il se promène dans la commune, Michel sent qu'il est mal vu par les pieds-noirs. Il est convoqué aux Renseignements généraux. On lui demande s'il est communiste. Il nie. On le cuisine. Michel s'en sort en montrant une lettre datée de 1954 venant d'un inspecteur des renseignements généraux de sa connaissance. Quelques jours à près, c'est le coup de force en Algérie des Salan, Soustelle, Massu. Le lien avec la France est coupé: plus un avion, plus un bateau. Les partisans de l'Algérie française et de la répression à tout crin triomphent. L'ambiance était épouvantable à ce moment-là pour Michel et Marie-Thérèse: ils avaient peur. Peu de temps avec le coup d’État, les ultras de l'Algérie française avaient organisé une manifestation. Les jeunes instituteurs algériens avaient conseiller à Michel Tanguy d'y participer. Ils filtraient et retenaient le nom des participants, établissaient des listes de ceux qui ne s'étaient pas joint au mouvement.

Au bout d'une dizaine de jours, un collègue apprend à Michel qu'une réunion du SNI a lieu le jour même. Seuls sont convoqués les pieds noirs ainsi que quelques algériens. La colère s'empare de Michel et il décide de s'y rendre.

"Il est évident que j'y suis indésirable. L'objet de cette réunion est de faire adopter par la sous-section du SNI "les thèses du 13 mai". L'idée principale étant la cession d'avec la métropole. Je les laisse exposer leurs arguments et je prends la parole pour exprimer mon désaccord. En fait, je n'exprime rien d'autre que la position officielle du gouvernement qui est soutenue par tous les groupes de l'Assemblée Nationale. Résultat du vote: 12 pour, 8 contre (les 7 collègues algériens et moi-même). Ils ne pourront pas dire que les "thèses" ont été adoptées à l'unanimité. Ils sont fous de rage!

En ce qui me concerne, je suis on ne peut plus heureux d'avoir saboté leur réunion. Cependant, je suis informé qu'un rapport à mon encontre rédigé par Rivière et Saval, deux fachos, a été adressé au CSP.

Les choses ne traînent pas. Deux jours plus tard, je suis convoqué ainsi que Saï au Deuxième bureau à 11h. Impossible de ne pas obtempérer, les militaires ont tous les pouvoirs! Nous sommes reçus par le capitaine Desgeorges en présence d'un lieutenant au crâne rasé. L'accueil est glacial. Le capitaine nous dit être au courant de nos découvertes spéléologiques et voudrait qu'on lui montre ces grottes. Je lui fais remarquer que lorsqu'il se rend au poste d'Haman Knif, il passe devant des ouvertures énormes. Non, il n'a rien vu! Saï dément avoir jamais fait de spéléo, ce qui est vrai. Le capitaine coupe court et me dit: "Nous irons vous chercher. Vous viendrez nous montrer ces grottes. 

Ces propos sont alarmants. L'après-midi, en classe, je n'ai pas l'esprit au travail. Je suis inquiet: "Que puis-je faire?". La solution du maquis ou encore d'une cache comme on le propose à Mithée (Marie-Thérèse Tanguy, son épouse), ne me satisfont pas. Ce serait me mettre dans l'illégalité. Je pense au Docteur Benzaïem. Il a beaucoup de relations. A la sortie de la classe, je me rends à son cabinet. Il me reçoit immédiatement. Mis au courant, il téléphone au commissaire de police adjoint (métropolitain) et lui demande de venir le voir. Il arrive presque aussitôt. Je lui raconte ce qu'il se passe. Je me souviens presque mot à mot du dialogue qui suit. 

Sa réponse:

- Vous êtes condamné à mort. Vous n'avez pas 24h à perdre, il faut partir tout de suite

- Mais j'ai une femme et deux enfants

- Votre femme ne craint rien, c'est vous qui êtes en danger.

-Je peux aller voir le sous-préfet ou l'administrateur.

- Ils n'ont plus aucun pouvoir, c'est l'armée qui dirige. 

- Je vais demander au Capitaine Desgeorges de jouer cartes sur table et de me dire ce qu'il me reproche.

- Je le connais, il est inhumain. Il a décidé de vous descendre et il vous descendra. Il faut que vous partiez au convoi demain matin. Vous allez demander un laisser passer au commissariat. Il est plus de 18h, si on vous le refuse, j'arrive juste derrière vous et je le signe. Mais on ne se connaît pas, on ne s'est jamais vu.

De retour à l'appartement, je mets Mithée au courant. Le départ a lieu à 5h du matin; mais cette nuit là nous ne dormirons guère. Nous convenons de dire que je suis déprimé. Je pars voir un médecin à Constantine. Dès que les communications avec la France seront rétablies, nous partirons. Mais pour quitter l'Algérie, il faut impérativement une autorisation de congé de l'administration et une permission des UT. Nous communiquerons par l'entremise de Bougouffa, chauffeur de taxi, en qui nous avons toute confiance. Mithée est très inquiète mais pendant cette période grave elle saura rester forte et réagir au mieux. 

A Constantine, je rends visite à mon ancien inspecteur Guyot et lui explique ma situation. Il juge préférable de voir lui-même l'inspecteur d'académie et me donne rendez-vous à 17h dans un café. L'inspecteur d'académie veut rester en dehors de cette affaire. Je dois me rendre à son domicile le lendemain matin, un dimanche, porteur d'une lettre de ma sœur m'annonçant que ma mère est mourante. Je rédige un faux écrit de la main gauche et me rends comme convenu chez l'inspecteur d'académie. Il me remet une autorisation de congé ainsi qu'une autorisation d'absence de douze jours. Il reste maintenant à obtenir une permission des UT. Mithée doit s'en occuper et voir Gaillebeau, lequel exige un certificat médical.
 

Le troisième jour à Constantine, une manifestation monstre est organisée pour la venue de Massu, Salan, Soustelle. La foule évaluée à 50 000 personnes est composée en grande partie d'algériens que l'on a fait venir en car sans leur demander leur avis. C'est ce qu'on appelle la fraternisation. Il règne une véritable hystérie fasciste parmi les français d'Algérie. Je me mêle à la foule.

Je me suis mêlé à la foule, ça sentait mauvais. Un jeune arabe est venu jusqu'à moi: "Bonjour monsieur Tanguy. J'ai su que vous aviez des ennuis. J'ai votre femme chez Maître Gaillebeau, puis au deuxième bureau. Elle est inquiétée, elle aussi".

Je me suis dit: "Il faut que je rentre à Khenchela".

La nuit tombait quand j'ai trouvé un taxi pour rentrer à Khenchela. A ce moment-là arriva un militaire qui devait rentrer au même endroit. ".

Lorsque j'arrive chez nous, je me sens vidé physiquement et moralement: l'inquiétude, augmentée du fait que je n'ai presque rien mangé depuis trois jours. Mithée m'explique: elle a dû se rendre au Bureau Militaire. C'est un quartier de baraques, d'où la confusion du khenchelois. Pour obtenir la permission des UT, il faut un certificat médical. Je me rends donc immédiatement chez le docteur Benzaïem qui me délivre le papier indispensable.  Je tiens à dire toute la reconnaissance que nous portons à ce médecin. Je lui explique que Saï ne veut plus que l'on aille chez lui dans la journée; seulement la nuit sans allumer la lumière dans l'escalier et sans bruit. Il me répond: "Pourtant, on peut bien mourir pour une amitié". Phrase admirable qui me fait monter les larmes aux yeux et que je n'oublierai jamais.

Une semaine après notre départ, ce docteur, inquiété lui aussi, doit à son tour quitter l'Algérie. Nous ne le reverrons jamais, mais nous avons correspondu jusqu'à sa mort.

Grâce à ce certificat, Mithée obtient le lendemain la permission des UT. Désormais, nous possédons les documents nécessaires pour pouvoir quitter l'Algérie. Nous nous mettons immédiatement à ranger nos affaires dans des caisses. Les droits collègues, Idir, Khélif, et Kherbache passent la soirée à nous aider. C'est eux qui par la suite nous les expédient et se chargent de vendre frigo, gazinière, canapé... Le réfrigérateur était acheté depuis seulement une dizaine de jours. Le lendemain, nous partons à 5h. Malgré l'heure matinale nos trois jeunes instituteurs sont venus nous dire au revoir. 

Des types formidables que j'ai revus par la suite.

En 1978, l'un d'entre eux est devenu islamiste malheureusement.

Nous sommes partis à Constantine. Nous avons cherché un hôtel pas cher.

Ma femme avait acheté des billets d'avion.

On a eu le premier avion pour partir.  Nous avons dû attendre le 30 mai pour voir les communications rétablies et prendre l'avion pour Paris avec un immense soulagement.

Derrière nous, il y avait des militaires, on les entendait dire: "ceux qui ne sont pas d'accord, une bastos dans la nuque". A Khenchela, ils avaient une caserne où je savais qu'on torturait. Toute personne algérienne qui arrivait, on ne la revoyait plus. Après l'indépendance de l'Algérie, une fillette à trouver un os qui dépassait du sol. Ils ont trouvé un millier de cadavres, ils ont dû arrêter les fouilles. Il y avait des instruments de torture dans la fosse. Dans les mechtas, les femmes étaient violées, c'était le déshonneur absolu! Il y a eu des dizaines ou des centaines d'Oradour-sur-Glane commis par l'armée française en Algérie.

Au retour d'Algérie, je suis au siège du SNI à Paris, j'ai un entretien avec Pierre Desvalois et des dirigeants du SNI. Je leur ai raconté. Il m'a demandé: "es-tu communiste?" Reviens demain à la même heure, je vais voir au ministère.  J'apprends le lendemain que deux inspecteurs d'académie veulent bien m'accueillir à l'autre bout de la France, dans le département de la Saône et Loire notamment.

Je suis rentré dans le Finistère cependant, où l'Académie a accepté de me prendre en situation irrégulière. Vers le 10 juin 58, je suis nommé en CE2 à la pointe finistérienne. Le directeur de l'école n'est pas content de me recevoir. Une suppléante était là depuis la rentrée. Il a téléphoné à l'académie pour dire que je pouvais aller n'importe où. L'année suivante, je suis nommé à Saint Hernot, où j'ai enseigné à une classe de garçons puis de fille. 

Mes enfants, Ronan, avait 6 ans, Erwan, qui est devenu diacre, n'avait pas un an. Ce sont les élections. J'ai tenu le bureau de vote en tant que directeur d'école.

De Gaulle, qui s'est servi des ultras de l'Algérie française et a été leur homme à ce moment, revient au pouvoir. Il bloque les salaires. En France mon salaire d'instituteur avec une femme et deux enfants ne suffisait pas. Dans mon logement de fonction et mon poste à l'école de Saint Hernot classé "poste déshérité", sous un maire notaire de droite qui se moquait de l'école publique, il fallait pomper l'eau au dehors. Il n'y avait aucun confort. Puis j'ai demandé Brest. A l'époque un instit en ville gagnait plus que dans les campagnes. A Saint-Hernot, pendant mes 3 ans à l'école, j'ai sympathisé avec Claude Yvenat, le futur maire socialiste de Crozon. A l'époque il assistait aux réunions de cellule du PCF à Crozon. A Saint Hernot, je faisais classe l'été gratuitement aux enfants.

A Brest, j'arrive à l'école du Point du Jour, au Polygone, immense quartier de baraques de Brest. Il n'y avait plus grand monde dans ce quartier inconfortable, surtout des familles pauvres et marginales. Les enfants mangeaient à la cantine gratuitement.

En mai 68, quand on a fait une grève prolongée, avec notre bande d'instits, on continuait à nourrir les enfants le midi. Avec 3 couples, on a fait 3 semaines de grève et de manifs à Brest en 68. On distribuait des tracts tous les 3 jours, on allait en manif tous les jours.

Je militais à la cellule de Kerargoat à Brest. On se réunissait chez un copain instituteur. C'était auprès de Gabriel Paul que j'avais demandé ma carte d'adhésion à une réunion de cellule à Pont-de-Buis. Un grand pas que j'avais réalisé. Qui le mesurait?

Puis je suis entré, pour arrondir les fins de mois, à la direction de "Tourisme et travail" à l'île de Ré, un camp familial pour les comités d'entreprise. Il y avait des bungalows, des caravanes, une épicerie, une librairie. J'étais levé très tôt l'été, couché très tard le soir, pendant mes vacances scolaires. Je perdais des tas de kilos. Au bout de trois ans, il me fallait arrêter ça sinon j'y perdais ma santé. J'ai rejoint ensuite un camping tenu par la FSGT en Isère, dépendant d'une usine fabriquant des moteurs d'avion. 

En 64 j'ai été proposé pour être secrétaire de section de la rive droite de Brest mais j'ai dû décliner. J'avais trop de travail, j'étais déjà épuisé. Par la suite, j'ai été co-secrétaire adjoint de section, avec Yvonne Lagadec notamment. A Brest, on vendait l'Huma dimanche tous les dimanches avec Marie-Thérèse place Stalingrad. C'était un ancien déporté de Kerourien, Jean Ansquer, qui s'occupait d'organiser la distribution pendant 24 ans. Il avait fait les marches de la mort avec Pierre Berthelot, qu'il avait retrouvé à Brest, et Georges Abalain, le frère d'Albert Abalain, résistant communiste brestois fusillé au mont Valérien.

Souvenirs de Michel Tanguy, le papa de Ronan Tanguy, ancien secrétaire de section du Relecq-Kerhuon et actuel trésorier départemental du Parti communiste

Témoignage oral recueilli par Ismaël Dupont en août 2023

Autres sources:

Souvenirs de Michel Tanguy (2011), Autobiographie: du nouveau né à l'arrière grand-père

Mémoires d'Algérie de Guy Drouillard

A Khenchela, les colonialistes ont arrêté un instituteur français à titre d'otage - Marie Perrot, L'Humanité, 11 novembre 1954

Photo de Michel Tanguy-  janvier 2025

Photo de Michel Tanguy- janvier 2025

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21 janvier 2025 2 21 /01 /janvier /2025 19:25
La nouvelle salle de sport de Plounéour-Menez porte le nom de Pierre Lachuer (1921-2000), ancien résistant FTP, maire communiste de Plounéour-Menez pendant deux mandats, agriculteur et syndicaliste agricole
Bravo et merci à Sébastien Marie, le maire de Plouneour Menez, et aux élus du conseil municipal de Plouneour Ménez, d'avoir baptisé le nouveau gymnase municipal du nom de Pierre Lachuer, ancien commandant FTPF de la résistance à Plouneour Ménez, élu pendant six mandats à Plouneour, au seuil des monts d'Arrée, et maire communiste de Plouneour Ménez pendant deux mandats et agriculteur et syndicaliste agricole du Modef. Une belle reconnaissance pour cet engagement humain et politique au service de ses idéaux et de la collectivité de Plouneour Ménez. Ici sur les deux photos transmises par Sébastien Marie: Pierre Lachuer photographié par Robert Doisneau dans sa ferme dans les années 60 et la nouvelle salle sportive de Plouneour, une réalisation de plus pour un mandat qui en comptera beaucoup au service du dynamisme de la commune.
 
Laissons la parole à Sébastien Marie: "Avec le développement de Plounéour-Menez et la création de nouveaux services à la population, il m'est paru important de donner un nom à la nouvelle salle de sports qui sort de terre entre différents autres bâtiments. Le nom d'un grand serviteur de la commune m'est apparu important et le nom de Pierre Lachuer m'a paru évident. Résistant dès l'âge de 19 ans, 6 mandats à son actif dont 2 de maire (1983-1995), il était également militant communiste et syndicaliste agricole (Modef). Il est à l'origine entre autres de cette salle de sports reconstruite, de l'ensemble salle polyvalente/ salle foyer/ foyer logements et du maintien du collège qui depuis a connu un développement exponentiel. Cette proposition de nom a été adoptée à l'unanimité par le Conseil Municipal de Plounéour-Menez".
 
ttps://www.letelegramme.fr/finistere/plouneour-menez-29410/la-salle-de-sports-de-plouneour-menez-portera-le-nom-de-pierre-lachuer-6624970.php
 
https://www.ouest-france.fr/bretagne/plouneour-menez-29410/plouneour-menez-le-nom-de-lancien-maire-pierre-lachuer-sera-donne-au-gymnase-8a0bd3a6-4023-11ef-ae5b-bfe38155f8bc
Pierre Lachuer photographié par Pierre Doisneau dans les années 60 dans son exploitation agricole

Pierre Lachuer photographié par Pierre Doisneau dans les années 60 dans son exploitation agricole

LACHUER Pierre, Marie

Né le 17 mars 1921 à Plounéour-Ménez (Finistère), mort le 2 mars 2000 à Plounéour-Ménez ; cultivateur ; résistant ; syndicaliste (CGA et MODEF) ; membre du comité de la fédération du PCF du Finistère (1946) ; adjoint au maire (1951-1983) puis maire de Plounéour-Ménez (1983-1989).

LACHUER Pierre, Marie

Pierre Lachuer était le fils de cultivateurs. Il adhéra au parti communiste clandestin sous l’Occupation. D’après Eugène Kerbaul il fut en contact avec Bernard Paumier, un des responsables interrégionaux Bretagne et responsable national du PCF pour les questions paysannes. Il créa avec son aide des groupes de l’union des jeunes paysans patriotes. Après le débarquement, il forma une compagnie de FTP qui prit part à de nombreuses opérations.

Il fut élu membre du comité de la fédération du PCF du Finistère en août 1946. Il milita essentiellement à la CGA puis au MODEF. Élu premier adjoint au maire communiste de Plounéour-Ménez en 1951, il fut réélu à chaque scrutin jusqu’en 1983 où il devint maire de la commune.

Il se maria en 1946 dans sa commune natale avec Hélène Henry.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136608, notice LACHUER Pierre, Marie par Alain Prigent, version mise en ligne le 6 avril 2
Gloire à Pierre Lachuer

"C'était une petite ferme près de chez moi du temps où l'on vivait « là bas dans les Monts d'Arrée ». Deux ou trois fois par semaine, j'y allais avec mon pot au lait. L'étable était chaude et sentait bon. les vaches mâchouillaient leur foin. La trayeuse électrique ronronnait. Le plus souvent c'était Hélène qui me servait. Elle prenait bien soin d'agiter le lait dans le grand bac en inox, car la crème était rassemblée en surface par la loi de la physique. Mais quand il arrivait qu'Hélène ne soit pas là, je me gardais bien de mélanger : je faisais partie des dix pour cent d'humains adorateurs de la crème du lait.

Dans ces années 70, le téléphone était rare, et je devais monter jusque chez Hélène et Pierre pour téléphoner. Et s'il y avait un appel pour moi, ils devaient faire patienter l'interlocuteur, et faire en courant les deux cents mètres du chemin jusque chez moi : « Gérard, téléphone !». Et je remontais le chemin à toute blinde pour répondre tout essoufflé à mon amoureuse ou à une demande de concert.

Après la conversation lointaine, il y avait toujours la conversation proche, et Pierre, ancien résistant et communiste convaincu, vitupérait contre la politique agricole de la France et de l'Europe. « Ils veulent tuer les petits paysans ! Alors que le modèle idéal, c'est la ferme familiale, qui donne du travail à trois ou quatre personnes ».

Pierre est mort prématurément d'un arrêt cardiaque. Mon hypothèse d'expert : le lard qu'il dégustait par grosses tranches sur ses tartines vers dix heures du matin était tout blanc : 100% de matière grasse animale. Depuis la disparition de notre voisin, Les fermes n'ont cessé de grandir. Les tracteurs ont gagné en taille. Et les dettes aussi. Et les banques aussi.

Et voici qu'on entend des responsables agricoles ici ou là qui nous disent : « Le système favorise les grandes exploitations, alors que le modèle idéal, c'est la ferme familiale, qui donne du travail à trois ou quatre personnes ». Tiens donc ?

J'imagine Pierre Lachuer dans sa tombe de Plounéour Menez, Monts d'Arrée. Il doit bien rigoler. Ou peut être qu'il pleure, au fond ?"

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15 janvier 2025 3 15 /01 /janvier /2025 14:05
A Khenchela, les colonialistes ont arrêté un instituteur français à titre d'otage - Marie Perrot, L'Humanité, 11 novembre 1954

Un document exceptionnel - Voici un article de Marie Perrot, ancienne députée communiste de Landerneau (sous le nom de Marie Lambert), résistante, envoyée spéciale de l'Humanité en Algérie (la première à parler de "guerre" et de torture en Algérie), sur l'arrestation de l'instituteur communiste Guy Drouillard, cofondateur de l'UL CGT de Khenchela dans les Aurès, à 150 km au Sud de Constantine, ami de Michel et Marie-Thé Tanguy et d'André et Annick Castel, originaires de la région du Finistère et transportés aussi dans les Aurès suite à l'école normale de Michel et André en Algérie.

Les 3 couples de communistes seront des soutiens de la résistance algérienne.

Et Guy Drouillard, né en 1929 en Gironde, militant de la Jeunesse communiste et du PCF depuis 46, entré à l'école Normale de Constantine à 22 ans, nommé à l'école de Khenchela en 1952.

René Vautier raconte comment, emprisonné avec des militants algériens du FLN, il entendit les éloges sur l'action émancipatrice de Guy Drouillard dans les Aurès, en soutien aux luttes sociales des travailleurs algériens exploités par le petit patronat des colons avant le soulèvement de la Toussaint, du 1er novembre 1954, créateur de la section du PCA à Khenchela, où il distribuait le journal du PCA sur le marché "Liberté" sous le regard éberlué des européens de la commune.

Guy Drouillard a été candidat du Parti communiste algérien pour le collège européen aux élections du Conseil Général de Khenchela en avril 1955, dans un climat de tension extrême.

Puis il sera chassé du département de Constantine en avril 1955. 

Le 1er mai 1955 à Alger, il prend la parole à la manifestation de la CGT et du PCA, pour dénoncer la repression et l'état d'urgence qui sévissent en Kabylie et dans les Aurès.

Comme on lui refuse un poste en Algérie à la rentrée de septembre 1955, il est contraint de retourner vivre en France.

Il reviendra enseigner dans l'Algérie indépendante en 1964 avant de s'établir dans les Côtes d'Armor et de devenir l'élu communiste. emblématique de Perros-Guirec et le responsable de la section communiste

Ci-joint, des documents extraits de mémoires d'Algérie de Guy Drouillard et des pages d'Alger Républicain racontant son arrestation suite au 1er novembre 1954 et ses démêlées avec l'administration coloniale.

Lire aussi:

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 2/ Marie Lambert (1913-1981)

Alain Ruscio dans l'Humanité du 22 février, entretien avec Rosa Moussaoui:  La force communiste fut à l’origine de la protestation anticolonialiste en France

Témoignage - L'itinéraire de Michel Tanguy, instituteur morlaisien communiste en Algérie pendant la guerre d'Algérie

Archives Guy Drouillard -Michel Tanguy avec ses amis André Castel, Marie-Thé Tanguy sa femme, Mireille Brel, Guy Drouillard et Raymond Brel le receveur des postes de Khenchela qui les initie à la spéléologie (source de la photo: Mémoires de Guy Drouillard, IHS CGT de la Gironde)

Archives Guy Drouillard -Michel Tanguy avec ses amis André Castel, Marie-Thé Tanguy sa femme, Mireille Brel, Guy Drouillard et Raymond Brel le receveur des postes de Khenchela qui les initie à la spéléologie (source de la photo: Mémoires de Guy Drouillard, IHS CGT de la Gironde)

A Khenchela, les colonialistes ont arrêté un instituteur français à titre d'otage - Marie Perrot, L'Humanité, 11 novembre 1954
A Khenchela, les colonialistes ont arrêté un instituteur français à titre d'otage - Marie Perrot, L'Humanité, 11 novembre 1954
A Khenchela, les colonialistes ont arrêté un instituteur français à titre d'otage - Marie Perrot, L'Humanité, 11 novembre 1954
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18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 12:35
Photo sur la plaque de la tombe de Fernand Iveton à Bab el Oued, Alger

Photo sur la plaque de la tombe de Fernand Iveton à Bab el Oued, Alger

Fernand Iveton et ses parents sur sa tombe à Bab el Oued

Fernand Iveton et ses parents sur sa tombe à Bab el Oued

la plaque d'hommage à Fernand Iveton sur sa tombe à Bab el Oued

la plaque d'hommage à Fernand Iveton sur sa tombe à Bab el Oued

La tombe de Fernand Iveton au cimetière de Bab el Oued (Saint Eugène, désormais cimetière de Bologhine)

La tombe de Fernand Iveton au cimetière de Bab el Oued (Saint Eugène, désormais cimetière de Bologhine)

 
 
Gisèle Halimi, à propos de Fernand Iveton, seul algérien d'origine européenne
 
(communiste algérien partisan de l'indépendance) guillotiné pendant la guerre d'Algérie, dans "Le lait de l'oranger" (première édition en 1988, L'Imaginaire Gallimard).
 
 
"Le 11 février 1957, Fernand Iveton fut guillotiné à Alger. Ce jeune tourneur à l’Électricité et Gaz d'Algérie avait déposé dans l'usine du Hamma, où il travaillait, un engin explosif à retardement. La minuterie marquait dix-neuf heures trente. Une heure où les locaux étaient, à coup sûr, déserts. Les artificiers de la police désamorcèrent à temps la bombe. Il ne pouvait y avoir de sang, il n'y eut même pas de dégâts.
Dénoncé, appréhendé, torturé, Iveton avoua et s'expliqua.
Membre du Parti communiste algérien, alors dissous, il se battait pour l'indépendance du peuple colonisé.
"J'en suis, à part entière", lança-t-il avec courage à l’aréopage d'uniformes français qui le jugeait.
Il avait pris, comme chacun dans son groupe de "combattants de la libération", un engagement: "Nous avions promis que nous ne ferions un geste fatal à une vie humaine". Son acte, disait-il, "était destiné à attirer l'attention et cela seulement".
L'instruction révélera même qu'il avait publiquement condamné les attentats de la Cafétéria et du Milk Bar (commis à Alger le 30 septembre 1956: 4 morts et 56 blessés).
"Je suis algérien, je défends mon peuple, répétait-il lors de son procès, j'aime la France, mais je n'aime pas les colonialistes".
Quelques jours auparavant, je me trouvais à Alger en compagnie de Gaston Amblard, avocat communiste de Paris. Il me parla d'Iveton, qui lui demandait de le défendre: "Mais ils me l'interdisent", me dit-il bouleversé.
Ils, c'était le Parti. Une discipline qui exigeait de lui la désertion. Double. Avocat, il resterait sourd à l'appel d'un homme broyé par la répression. Communiste, il n'expliquerait par les raisons de ce "terroriste à l’œil juste", son camarade.
Le Parti n'a donc jamais tort?
Nous en discutâmes longuement ce soir-là, à l'hôtel Aletti où nous nous trouvions. Amblard, sous le choc, me devenait très proche. Par sa juste vulnérabilité, par son intelligence blessée, par cette sorte de grande fidélité humaine.
Dans l'histoire algérienne, la ligne communiste refusait l'imagination. Au prix d'ambiguïtés et d'erreurs, elle ne reconnaissait que les bons vieux mouvements de masse, pétitions, réunions, manifs. Pas question d'aider les "aventuristes", les partisans de l'action directe. Crainte de la provocation, hantise de l'interdiction et du ghetto politique sans doute.
Cette position reflétait d'ailleurs l'extraordinaire insensibilité de la classe ouvrière au drame algérien. Souvenons-nous. Pas une seule grève générale durant la guerre d'Algérie. A l'exception de celle qui rassembla plusieurs millions de travailleurs - et, malice de l'Histoire, De Gaulle y avait appelé: "Françaises, Français, Aidez-moi!" - contre le putsch des généraux le 21 avril 1961, à Alger.
Longtemps les communistes tentèrent de coller à cette distorsion. "Paix en Algérie", plutôt qu'"Indépendance algérienne" proclamaient leurs slogans. Le "fait national algérien" prendra son temps pour remplacer la "nation en formation".
Avec le FLN, ils entretenaient des rapports difficiles, heurtés. Des discussions, au sein des instances dirigeantes, mettaient en cause la représentativité du Front de libération, ses méthodes, son hétérodoxie marxiste. Faute de combattants, l'internationalisme prolétarien tournait de plus en plus au mythe. Aussi les communistes algériens furent-ils instamment priés de n'engager en rien la doctrine ou l'appareil du Parti. A cette condition, une aide discrète leur serait dispensée.
Un nombre croissant de militants, cependant, supportait mal cette inertie. Le fantasme d'un nouveau Front populaire, à travers le Front républicain, se perdait de plus en plus dans les méandres de la tactique.
Après le vote des pouvoirs spéciaux en 1956 et la répression qui s'ensuivit, les communistes s'enhardirent. Avec modération. Un accord tacite couvrait quelques actions témoins, mais jamais exemplaires, celles de déserteurs comme l'aspirant Henri Maillot, ou de soldats insoumis comme Alban Lietchi.
Pour Iveton, tout alla très vite. Arrêté en flagrant délit le 14 novembre 1956, condamné à mort le 25 novembre.
Amblard, rentré de Paris pour s'expliquer, essaya de convaincre les camarades, au plus haut niveau. Il ne fut pas écouté. Défense de défendre. Défense de se compromettre auprès d'Iveton.
Demeurée à Alger, une idée saugrenue me poussa à proposer à Iveton, par l'intermédiaire de militants incarcérés à Barberousse, de l'assister.*
Laisser cet homme seul, face à ses juges militaires, me paraissait indécent. Notre politique l'avait contraint à cet engagement, il devait s'exprimer. Je ne songeais même pas à une éventuelle condamnation à mort. Elle semblait tellement improbable! Après tout, Iveton n'eut jamais l'intention de tuer ou de blesser. Ni sang, ni dégâts, je l'ai dit, ne restait que la symbolique du geste.
Iveton me fit répondre combien mon offre le touchait. Mais selon lui, un militant communiste se devait, dans un procès politique, de ne choisir qu'un avocat communiste. Il refusa donc.
Le Tribunal militaire désigna, selon la loi, deux avocats du bureau d'Alger, un jeune stagiaire, Maître Smadja, et Maître Lainé, partisan de l'Algérie française. Ce dernier plaida techniquement, comme pour un crime de droit commun. On n'avait jamais, de mémoires d'annales judiciaires, infligé de peine capitale pour celui qui ne blessa, ne tua ni ne voulut le faire, soutiendra-t-il avec talent.
Iveton fut condamné à mort.
Son pourvoi en cassation rejeté, son recours en grâce soumis au Président de la République, René Coty, je n'entendis plus parler de cette affaire avant la nuit qui précéda l'exécution.
Les communistes ne se préoccupèrent d'Iveton qu'après l'arrêt de mort. Avec eux, avec la Ligue des Droits de l'homme, Mgr Duval, évêque d'Alger, et certains intellectuels engagés, moi aussi, en démarches désespérées.
Le téléphone sonna jusqu'à l'aube. Jusqu'à l'heure fatale.
Coty voulut faire un exemple. Le sens politique de sa décision n'échappa à personne. Il importait peu que le crime ne signifiât qu'une "explosion-appel", une "explosion-témoignage". Le premier européen mêlé au terrorisme algérien devait avoir la tête tranchée?
Et elle le fut, au petit matin, dans la cour de la prison de Barberousse.
Iveton marcha au supplice avec ses trente ans et le courage des grands".
 
( Gisèle Halimi, p.179-182).
 
* Gisèle Halimi venait de sauver 17 condamnés à mort dans l'affaire des meurtres d'européens à Philippeville (aujourd'hui Skida) en prouvant que leurs aveux avaient été obtenus sous la torture de l'armée française et correspondait à des constats de médecins légistes qui étaient faux et bâclés, l'exhumation des cadavres des victimes européennes le prouvant.
 
Lire aussi:
 
Fernand Iveton et Hélène Ksiazek, sa fiancée

Fernand Iveton et Hélène Ksiazek, sa fiancée

Gisèle Halimi à propos de l'exécution de Fernand Iveton dans "Le lait de l'oranger", ses mémoires de 1988

Gisèle Halimi raconte dans "Le lait de l'oranger" sa proximité avec le Parti communiste dans sa jeunesse. Elle milite pour le Parti communiste tunisien dans son adolescence et est accueilli à Paris par un couple de militants communistes, dans l'après-guerre, pour faire ses études de droit et de philosophie.

 

Gisèle Halimi, "Le Lait de l'oranger":
 
"C'est un peu plus tard que je me suis mis à fréquenter, avec Gaby, la maison de mon oncle Jacques.
Mon père me parlait avec colère de son frère et de sa "clique". Ce terme englobait, au-delà de l'épouse ("sa complice"), les "Arabes", les "pouilleux", et les "communistes", présents toutes les semaines sur les lieux, pour la réunion de cellule.
En secret, il admirait la culture politique de son frère - Marx, Staline, Maurice Thorez...- et sa détermination. S'avouer communiste, risquer d'être fusillé par les Allemands en 1943, accepter, revendiquer même sa marginalité, voilà qui méritait considération. Mais en même temps, ce Jacques le dérangeait.
Fortunée, elle, ne l'aimait pas.
Les raisons ne lui manquaient guère. D'abord Jacques se proclamait athée. "Dieu soit loué... et mes appartements aussi!" avait-il coutume de lancer en arrivant chez nous, sur le ton de l'incantation religieuse. Provocation qui la hérissait et nous faisait pouffer de rire, Gaby et moi.
Marcelle, ma tante, avait réussi une performance unique pour son époque. Bien que femme et autodidacte, elle régnait sur le cabinet d'un grand avocat comme premier clerc, en fait "homme" de confiance décidant de tout. De l'organisation même des affaires, de l'étude des dossiers, des audiences devant les tribunaux. Experte incontestée, elle se livrait avec Edouard à des joutes techniques, en jargon procédural de surplus, qui agaçaient Fortunée, de tempérament plutôt jaloux.
Enfin, inutile de le nier, l'oncle Jacques exerçait sur nous, les filles, une séduction dangereuse. Ne nous entraînait-il pas vers des fréquentations détestables avec ces communistes de peu de foi? Appréhensions qui se révélèrent quelque peu justifiées. Très vite, je lus des brochures, participai à des discussions avec les camarades, partageai - sommairement - avec eux un programme d'antiracisme, d'égalité et de justice sociale. La bataille anticolonialiste me motiva très tôt.
J'allais même jusqu'à vendre dans les rues l'hebdo du Parti.
Le dimanche matin, je sortais furtivement de chez moi, passais chez mon oncle, comptais mes journaux et me plaçais au grand carrefour de l'avenue Jules-Ferry, à l'angle même de l'immeuble de "La Dépêche tunisienne", organe, orgueil, et symbole de la présence française. Comme un camelot rompu à cette pratique, j'interpellais les passants: "Achetez "L'Avenir de la Tunisie", organe central du Parti communiste tunisien... Lisez L'Avenir! ... "
Des bras m'écartaient sans aménité, des lippes de mépris me toisaient, je ne perdais rien de mon assurance. Je martelais mon annonce d'une voix forte et fourrais d'autorité le journal sous le nez des promeneurs: "A-che-tez L'A-ve-nir de la Tu-ni-sie, or-ga-ne cen-tral du Par-ti com-mu-nis-te-tu-nis-sien". Je m'époumonais, sans complexe. Je voulais édifier les masses. Je discutais, avec les réticents ou avec ceux que le spectacle, insolite à l'époque, de cette gamine défendant sur la voie publique une cause difficile intriguait". (...)
Mon féminisme embryonnaire m'entraîna à fonder avec un petit groupe, et sous l'aile tutélaire des communistes, l'Union des jeunes filles de Tunisie. "
 
Gisèle Halimi, "Le Lait de l'oranger"
 
* On est en 1944, Jacques son oncle était résistant communiste contre Vichy et l'occupation allemande de la Tunisie, Edouard est son père, Fortunée sa mère, Gaby sa sœur.
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8 décembre 2024 7 08 /12 /décembre /2024 11:59
" Les luttes des Penn Sardin, quelques souvenirs…." - par Piero Rainero

Les luttes des Penn Sardin, quelques souvenirs….

Ma mère Marie-Thérèse Moulac avait 14 ans à l’époque et travaillait aux Établissements Bézier. Le Bézier qui était alors le responsable du syndicat patronal des industriels de la conserve et dont le Préfet du Finistère, dans une note au Ministère du Travail qui fut rendue publique par le journal « Le Temps » , disait qu’il était « Le plus impopulaire et détesté de tous. »

Ma mère, comme les autres Penn Sardin, n’avait rien oublié.

Elles parlaient toutes de ce mouvement avec une légitime fierté. Évoquant « les conditions de travail très dures », les « petits salaires » et « la misère des gens », « l’autoritarisme flirtant avec la violence du patronat », leur participation aux manifestations, aux confrontations avec les gendarmes à cheval dans les petites rues du port, la tentative d’assassinat du maire communiste, Daniel le Flanchec, par des malfrats recrutés à Paris et grassement payés par les industriels pour semer le désordre dans la ville, les meetings aux Halles et les chants entonnés en chœur dans les usines et qu’elles chantaient encore, 50 ans après, avec la même émotion et la même colère qu’au temps de leur jeunesse. Je me souviens d’une réunion de la section du PCF de Douarnenez, au tout début des années 70, où une Penn Sardin entonna plusieurs de ces chansons reprises par l’assemblée dont le maire Michel Mazéas.

Lorsque certaines d’entre elles étaient surprises dans les ateliers à chanter, elles étaient immédiatement « mises à la porte ». Dans le pays bigouden, des chefs d’entreprise allaient jusqu’à faire signer des engagements à ne pas chanter des chansons comme par exemple ce chant ouvrier né dans le Nord de la France dans la seconde moitié du 19ème siècle et devenu emblématique de la lutte des sardinières :

 

« Saluez, riches heureux,

Ces pauvres en haillons,

Saluez, ce sont eux

Qui gagnent vos millions. »

 

Lorsque la fatigue et le manque de sommeil font tomber les paupières, que les gestes mécaniques ininterrompus, mille fois répétés pendant des heures, engourdissent les doigts et rendent les mains maladroites, chanter faisait oublier la dureté du travail dans le froid, l’humidité, le bruit incessant des machines, et les odeurs âcres, irritant les yeux et la gorge, de l’huile de friture et des viscères de poissons qui imprégnaient les vêtements.

Chanter donnait de l’énergie, de l’espoir, faisait vivre la solidarité, la confiance, comme un support, un moteur, de la conscience entre ces ouvrières, tout en étant l’affirmation d’une forme de résistance.

Le chant est un moyen d’expression universel pour porter la colère, la tristesse, la joie, l’espérance.

Les esclaves noirs chantaient dans les champs de coton aux USA.

«  On se battait pour notre dignité, tout simplement, et la dignité c’était pour nous des salaires décents qui nous permettent de vivre normalement et des conditions de travail plus humaines. » Combien de fois n’ai-je pas entendu cela dans les propos de ces Penn Sardin douarnenistes que j’ai rencontrées. Le mot qui revenait le plus dans leurs récits était celui de « dignité ».

Cette grève dont on parlait peu jusque dans les années 70, sinon que dans les familles de ses derniers acteurs et témoins, eut en son temps, un grand retentissement national.

Marcel Cachin alors député de la Seine et directeur de « L’Humanité » se déplaça à Douarnenez où il s’adressa aux grévistes en breton. Ma mère et d’autres s’en souvenaient très bien. Une ouvrière me dit un jour à ce propos : « Ça nous avait marqué un Parisien qui parlait breton. » Elles ignoraient alors que Marcel Cachin était un Breton bretonnant de Paimpol.

Ce mouvement des Penn Sardin est, depuis quelques années, l’objet d’études et de travaux universitaires. Sociologues, historiens, chercheurs, étudiants publient livres et articles qui rencontrent un large écho. Des journalistes recherchent les documents d’époque pour en faire des documentaires. Des conférences sont organisées, des cercles culturels montent des spectacles, de jeunes musiciens écrivent des chansons sur lesquelles dansent les générations nouvelles.

Il n’y a pas de plus bel hommage qui puisse être rendu à toutes ces combattantes pour le respect des droits humains qui ont écrit, il y a un siècle, cette belle page des luttes ouvrières en Bretagne.

Au front du profit « des capitalistes de la conserve » ainsi que Marcel Cachin nomma dans une intervention à la tribune de l’Assemblée Nationale les patrons d’usines de Douarnenez, elles opposèrent, pendant 46 jours, le front uni des luttes sociales pour la justice et le progrès.

Et elles furent victorieuses.

 

Piero Rainero.

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8 décembre 2024 7 08 /12 /décembre /2024 11:03
Décembre 2024: le maire communiste de Douarnenez, Daniel Le Flanchec, destitué (Ouest-France, 8 décembre 2024)
Décembre 2024: le maire communiste de Douarnenez, Daniel Le Flanchec, destitué (Ouest-France, 8 décembre 2024)
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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 17:30
30 novembre, on fête les 100 ans de la grande grève des sardinières à Douarnenez - Mobilisation à Douarnenez à l'appel de la CGT avec la JC et le PCF et d'autres composantes du nouveau front populaire et de la gauche
30 novembre, on fête les 100 ans de la grande grève des sardinières à Douarnenez - Mobilisation à Douarnenez à l'appel de la CGT avec la JC et le PCF et d'autres composantes du nouveau front populaire et de la gauche
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30 novembre, on fête les 100 ans de la grande grève des sardinières à Douarnenez - Mobilisation à Douarnenez à l'appel de la CGT avec la JC et le PCF et d'autres composantes du nouveau front populaire et de la gauche

Nos camarades du PCF et de la JC ont manifesté à Douarnenez avec la CGT et toute la gauche pour commémorer les 100 ans de la révolte des sardinières et de leur victoire, avec les membres de la commission féminisme nationale du PCF avec Gladys Grelaud, Shirley Wirden, Elsa Siffert, Sigrid Gérardin pour la commémoration du centenaire de la grève victorieuse des sardinières de Douarnenez.

La commission féministe du Parti communiste communiste a également organisé des rencontres avec des femmes syndicalistes à Brest et Douarnenez.

Une mémoire des sardinières qui résonne avec les conditions de travail inacceptables que vivent les ouvrières encore aujourd'hui. Les femmes ne connaissent pas le doux parfum de l'acquis: chaque jour est une conquête à mener et à préserver. Les luttes d'hier nourrissent celles de demain.

Nous porterons la mémoire des sardinières qui ont fait la grève durant 7 semaines pour obtenir une augmentation de salaire et le respect du droit du travail, nous soutiendrons toutes les femmes en lutte pour leur apporter la force et la solidarité dont elles ont besoin pour faire face au patronat allié au patriarcat.

Le soir les Jeunesses Communistes organisaient un concert dans un bar du port de Douarnenez dans le cadre de cette journée de commémoration.

Photos Marion Frances, Michel Lespagnol, Shirley Wirden, Gladys Grelaud

 

Lire aussi:

A Douarnenez, on célèbre les 100 ans de la grève des sardinières

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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 06:21
Il y a cent ans, les Sardinières de Douarnenez entrent en révolte... jusqu'à la victoire - Bernard Frederic, L'Humanité, 15 novembre 2024
Il y a cent ans, les Sardinières de Douarnenez entrent en révolte... jusqu'à la victoire

Hiver 1924, à Douarnenez, dans le Finistère. La révolte des femmes « pour les sous » a mis le premier port sardinier de France à l’arrêt. La partie semble perdue face au patronat des conserveries. Mais, soutenue par la municipalité et le jeune PCF, la grève s’organise, se durcit, jusqu’à prendre une dimension nationale. Après quarante-six jours de combat, elles arracheront bien plus que la victoire.

Le port de Douarnenez est, en France, depuis le XIXe siècle, le principal centre sardinier de la côte ouest et la capitale de l’industrie de la conserve. Les hommes sont des pêcheurs, leur mère, leur femme ou leurs filles travaillent dans les conserveries qu’on appelle les « fritures », car il faut faire frire les sardines dans l’huile avant la mise en boîte. Ces ouvrières, on les appelle, en breton, les « Penn Sardin » : « têtes de sardine », à cause de la coiffe qu’elles portent lorsqu’elles travaillent.

La fabrication des boîtes en fer et la conserverie se sont développées de concert. Issu de la campagne bretonne, tout un prolétariat s’y consacre. Les hommes s’occupant de la pêche, on y trouve, à part les soudeurs, surtout des femmes, tant dans la métallurgie que dans la conserverie. Dans ces usines, l’exploitation est terrible. Elle est source d’une lutte de classe souvent violente, comme en 1905, quand les sardinières, alors payées au mille de sardines travaillées – le mille ! –, exigent d’être payées à l’heure. Elles sont 2 000, un jour de juin 1905, à se réunir pour adhérer au syndicat qui luttera pour le travail à l’heure. Elles sont, encore, 2 000 à manifester derrière le drapeau rouge. Et elles gagnent !

L’histoire de Douarnenez s’en trouve durablement marquée. En décembre 1919, les socialistes, très influents en cette cité ouvrière depuis l’avant-guerre, accèdent à la mairie. Mais une majorité de conseillers rejoignent la SFIC (Section française de l’Internationale communiste). En 1921, Sébastien Velly, un communiste, est élu maire. Une première en France ! Hélas, ce tapissier de 43 ans meurt d’une phtisie galopante le 18 juillet 1924.

« Pemp real a vo ! » : 1,25 franc de l’heure

Les candidats communistes remportent au début de l’automne les nouvelles élections partielles. Parmi les élus, le secrétaire départemental du parti, Daniel Le Flanchec. Il est élu maire de Douarnenez, le 7 octobre 1924. À 43 ans, Le Flanchec, né à Trédrez, près de Lannion, a un passé anarchiste dont il reste plus que des traces. Il a soutenu, jadis, la bande à Bonnot. Borgne, il arbore deux tatouages : « Mort aux vaches » sur la main droite et « Entre quatre murs, j’emmerde la sûreté » sur la main gauche. Mais il est surtout un remarquable orateur, qu’il s’exprime en breton ou en français. Il est proche des gens ; les ouvrières le vénèrent.

Le 21 novembre 1924, 100 ouvrières et 40 manœuvres de l’usine Carnaud, la « Méta » comme on l’appelle, parce qu’on y fabrique les petites boîtes en fer dans lesquelles sont rangées les sardines, débrayent. En cause, les salaires. Par petits groupes, souvent en chantant, les grévistes vont d’une usine à l’autre propager leur revendication, 1,25 franc de l’heure : « Pemp real a vo ! » (25 sous nous aurons !).

Les sardinières gagnent alors entre 64 et 72 francs par semaine. Elles effectuent jusqu’à 80 heures de travail en cinq jours. Les heures de nuit et celles du jour sont payées à l’identique. Le temps d’attente n’est pas intégré au salaire. Or, c’est le poisson qui décide du travail. Pas de poisson, pas de travail, pas de salaire. Quand les bateaux déchargent leur cargaison, de nuit comme de jour, les sirènes retentissent. Il faut alors courir vers les ateliers. Là, c’est la puanteur, le mélange de l’huile bouillante et du poisson. « C’est du Zola ! » dira Charles Tillon, le responsable de la CGTU.

Le 23 novembre, un dimanche, les sardinières marchent toute la journée dans la ville. Le 25, toutes les usines débrayent. On en compte 21 : 3 000 grévistes, plus de 70 % de femmes. Douarnenez n’est qu’un cri : « Pemp real a vo ! » Chaque jour, les grévistes se rassemblent dans les halles de la ville afin de discuter de la suite des événements. Un comité de grève est élu, comptant 6 femmes sur 15 membres. Il cherche à négocier avec les représentants du patronat.

Une dimension nationale

À la mairie, Le Flanchec est mobilisé. Il faut organiser la solidarité. Les hommes dont les femmes, les mères ou les filles, parfois les trois, sont grévistes, apportent le poisson. On fait la soupe. La municipalité ouvre aux grévistes ses cantines scolaires. Le Flanchec n’est pas seul. Charles Tillon, le représentant régional de la CGTU, est là. À 28 ans, il s’est déjà fait un nom. Il a participé aux mutineries des marins de la mer Noire quand ils refusèrent de tirer sur les bolcheviques en 1919 ; il a été condamné au bagne militaire au Maroc. Libéré, il a adhéré au PCF naissant. Ajusteur à Rennes, il rejoint la CGTU, dont il devient « permanent » en cette année 1924.

À Douarnenez, Tillon, est rejoint par Marie Le Bosc, déléguée syndicale des tabacs, puis par deux « Parisiens », Maurice Simonin, du syndicat de l’alimentation, et Lucie Colliard, institutrice révoquée, responsable du travail des femmes à la CGTU, membre du comité directeur du Parti communiste. Lucie Colliard est très connue et respectée. Elle a été déléguée au 3e congrès de l’Internationale communiste, avec Souvarine et Vaillant-Couturier. Elle connaît Lénine. Elle sait ce qu’est le « travail d’organisation ».

Les patrons ne cèdent rien. Béziers, par exemple, est à la tête de 11 usines, dont 6 dans le Finistère. Amieux dirige 14 fritures, Saupiquet 10. Pour eux, le manque à gagner d’une grève à Douarnenez est compensé par un travail à plein rendement dans un autre port. Le 4 décembre, un charretier tente de déposer des stocks de conserves à la gare située au bout du pont qui, enjambant la ria du Port-Rhu, relie Douarnenez à Tréboul. Des grévistes barrent le pont.

Le Flanchec et Arthur Henriet, député communiste de la 2e circonscription de la Seine, ceints de leurs écharpes, essayent de s’opposer au déchargement. Le préfet du Finistère estime qu’il y a là entrave à la liberté du travail. Le 5 décembre, à 18 heures, il suspend Le Flanchec pour un mois. Son adjoint, Le Cossec, assure l’intérim. L’affaire est grave. La grève prend une dimension nationale. Daniel Renoult, journaliste à « l’Humanité », arrive à Douarnenez. Chaque jour, il y alimente la chronique des événements. Souvent, ses articles font la une.

« C’était une grève pour le besoin, on n’était pas politique »

À Douarnenez « la Rouge », les jours passent, rythmés par les « processions » (les manifestations quotidiennes). Lucie Colliard raconte : « Il y a 200 ouvriers environ dans les usines de sardines. Mais les femmes, soutenues par les marins pêcheurs, furent l’âme de ce beau mouvement. Il y eut des manifestations de 4 000 à 5 000 personnes, dans cette ville de 12 250 habitants. Et c’étaient les jolis bonnets blancs des femmes qui dominaient. Quand les marins les accompagnaient, avec leurs costumes de toile rouge imperméabilisée, on aurait dit, le long de la mer, une longue guirlande de pâquerettes et de coquelicots. Et les chants ne cessaient pas. Et sur l’air des lampions : « Pem rel avo ! Pem rel avo ! Pem rel ! » (C’est 25 sous, c’est 25 sous, qu’il faut !).

– Il faut nous copier « l’Internationale » : nous ne savons que le refrain.
– C’est entendu, Marie. Vous aurez votre « Internationale ». »

Elle fut copiée, puis tirée à l’imprimerie à 2 000 exemplaires, vendus 2 sous. Il n’en resta pas un. Sous la halle, à la fin des meetings et dans les manifestations, 2 000 femmes et plusieurs milliers d’hommes chantaient le bel hymne d’Eugène Pottier d’un bout à l’autre, religieusement. Et c’était beau, beau comme les foules russes quand elles chantent ! » 1

Les patrons et la droite dénoncent une « grève révolutionnaire », parlent du comité de grève comme d’un « soviet ». Le ressenti des ouvrières est bien autre : « C’était une grève pour le besoin. On n’était pas politique. On allait à la messe de 9 heures. Chacun avait son opinion, mais on n’avait pas l’opinion des riches, par exemple ! 2 »

À la suite des incidents du 4 décembre, Justin Godard, ministre du Travail du Cartel des gauches alors au pouvoir, décide de convoquer à son bureau patrons et grévistes. Le 15 décembre, 3 000 personnes accompagnent la délégation qui prend le train pour Paris. La délégation comprend trois femmes : Anna Julien, caoutchouteuse chez Carnaud, Mme Morvan et Alexia Pocquet. Elles sont accompagnées par deux secrétaires locaux de la CGTU, Jequel et Vigouroux. Lucie Colliard et Maurice Simonin sont également de la partie. Tous posent pour la une de « l’Humanité ».

1 franc pour les femmes et à 1,50 franc pour les hommes

Entre-temps, les sardinières ont reçu une bonne nouvelle : le 13 décembre, Mme Quéro, propriétaire d’une friture, a accepté les demandes d’augmentation salariale des grévistes. Une belle victoire et une brèche dans le front patronal. Mais à Paris, rien ! Les patrons ne lâchent rien. Le quotidien communiste titre : « Incroyable bravade des patrons ». Sur les quais du Rosmeur, la colère est immense, la tension très vive.

Le 20 décembre, au Pré-Saint-Gervais, un grand meeting national est organisé par le Parti communiste, « pour l’unité syndicale, contre le fascisme ». La lutte des Penn Sardin est de tous les discours : Jacques Doriot, Paul Vaillant-Couturier, Marcel Cachin. Daniel Le Flanchec est ovationné. « L’Humanité » a compté 20 000 participants. Le 22, le contrat entre Mme Quéro et les sardinières est signé. Il porte l’heure à 1 franc pour les femmes et à 1,50 franc pour les hommes, avec 50 % d’augmentation après minuit ou après la dixième heure de travail. L’usine Quéro ouvre à nouveau ses portes le 23 décembre.

Bientôt arrive Cachin. « Le père Cachin parlait breton. Il était du pays et du temps de Jaurès… Les femmes de Douarnenez raffolaient de Cachin, qui émaillait ses discours de mots qui faisaient rire », raconte Tillon3. C’est le jour de l’An. Dans les cafés, on chante, on boit et puis, surtout, on discute. Vont-ils céder ? Qui va céder ?

Raynier, du syndicat « jaune » l’Aurore syndicale, est en ville avec 15 de ses amis. Ils affirment qu’ils vont « casser » la grève. Il est 18 heures, ce 1er janvier 1925, au bistrot l’Aurore. Le Flanchec fête le Nouvel An avec son neveu et ses amis, comme Henriet, le député parisien. Et ils chantent. Soudain, on le demande. Des « jaunes » l’attendent dehors. Le Flanchec sort, il s’approche. Des coups de feu claquent. Il s’écroule. Son neveu est allongé près de lui, gravement blessé. Le maire est transporté à Quimper.

Après 46 jours de grève, les Penn Sardin ont gagné

À Douarnenez, la colère explose. La foule envahit l’hôtel de France, où les patrons ont leurs habitudes. Les lieux sont mis à sac. Les dirigeants syndicaux font alors preuve d’un remarquable sang-froid, d’un grand esprit de responsabilité. Ils improvisent un grand meeting aux halles, pour empêcher la foule de s’en prendre aux maisons des patrons. Plus tard, le préfet saluera l’« attitude responsable des leaders communistes » après le drame. Le 3 janvier, « l’Humanité » titre sur six colonnes : « À Douarnenez : première flaque de sang fasciste ! » Toute la une est consacrée à cette « journée sanglante, la tragédie de Douarnenez ».

Alors que les nouvelles de Le Flanchec sont plutôt rassurantes, on apprend que Béziers et Jacq, les deux grands patrons des conserveries, avaient, en décembre, rencontré les « briseurs de grève » et demandé leur intervention. On saura bientôt qu’ils leur ont versé de l’argent. Le 5 janvier, Le Flanchec revient. Une balle lui a traversé la gorge, il ne peut presque plus parler. À la gare, 10 000 manifestants l’applaudissent. 

Le 8 janvier, le syndicat patronal accepte de signer un accord. Les Penn Sardin ont gagné au terme de 46 jours de grève. « Il y a des moments où il fait bon vivre », écrit Daniel Renoult, dans « l’Humanité ». Le 10 mai 1925, pour la première fois, une femme est élue conseillère municipale sur la liste communiste de Le Flanchec : Joséphine Pencalet, veuve de marin, ouvrière aux conserveries. L’élection sera invalidée mais un grand pas vient d’être fait.

  1. « Une Belle Grève de femmes : Douarnenez », de Lucie Colliard, librairie de l’Humanité, 1925. ↩︎
  2. « Les Ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton », d’Anne-Denes Martin, Paris, l’Harmattan, 1994. ↩︎
  3. « On chantait rouge », de Charles Tillon, Paris, Robert Laffont, 1977. ↩︎
Il y a cent ans, les Sardinières de Douarnenez entrent en révolte... jusqu'à la victoire - Bernard Frederic, L'Humanité, 15 novembre 2024
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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 06:16
« Chiche, si tout se passe bien, je m'en fais fais tatouer une ! », Augustine et Arlette Julien, la sardine symbole de victoire (L'Humanité, Léa Petit Scagnola, 20 novembre 2024)
« Chiche, si tout se passe bien, je m'en fais fais tatouer une ! », Augustine et Arlette Julien, la sardine symbole de victoire

Augustine, la grand-mère d’Arlette Julien, était ouvrière dans une conserverie en 1924, lors de la grande grève des sardinières. Sa petite-fille raconte son aïeule, déterminée à arracher une augmentation salariale et de meilleures conditions de travail pour elle et ses camarades de lutte.

Léa Petit Scalogna

Une sardine dessinée jusque dans la peau. Lorsque la manche d’Arlette Julien, 72 ans, dévoile son avant-bras gauche, un petit poisson tatoué y nage. Une œuvre marine ébauchée il y a dix ans, lorsque son compagnon lutte contre un cancer : « Chiche, si tout se passe bien, je me fais tatouer une sardine ! lance alors Arlette. C’est mon symbole de victoire. » Celui de sa grand-mère aussi, ouvrière dans l’entreprise Parmentier qui, avec plus de 2 000 autres sardinières, déserte les usines de Douarnenez et se met en grève, le 21 novembre 1924. Les travailleuses réclament 1,25 franc pour chaque heure harassante passée à vider, éviscérer et mettre en boîtes les poissons.

Augustine Julien, l’aïeule d’Arlette, se charge de compter le nombre d’enfants par famille pour la distribution de la soupe et des biscuits. Le 25 novembre, un comité de grève se met en place et Augustine est sollicitée par acclamation pour en faire partie. Elle devient l’une des six femmes membres, sur les 15 personnes qui le compose. Quarante-six jours de lutte acharnée plus tard, les ouvrières finissent par obtenir 1 franc de l’heure.

« Elle a toujours été discrète quant à son rôle dans cette lutte », se souvient Arlette, malgré la part considérable qu’elle a prise. Formée par la militante communiste Lucie Colliard, surnommée « la Dame aux chapeaux » – dont le port détonne des coiffes bretonnes –, Augustine se forge une vision du monde. Elle constate que les sous reviennent surtout aux usiniers, puis aux marins. Elle s’indigne que les sardinières n’écopent que des miettes, et se révolte.

Non loin du port, un collage représentant Augustine orne d’ailleurs un mur de la rue Obscure. Elle tient une bourse serrée contre la hanche, l’air déterminé. Arlette y emmène deux de ses petits-enfants pour qu’ils voient leur aïeule, de quatre générations leur aînée.

« Les larmes me seraient presque venues », s’émeut-elle. À la tête d’un magazine d’histoire locale, Mémoire de la ville, la petite-fille détaille le visage d’Augustine, âgée de 38 ans au moment de la révolte. Quelques mots la décrivent dans un de ses articles d’un numéro dédié à la lutte de 1924. « Elle a un nez un peu fort, une bouche plutôt large, des yeux verts, de grandes mains. » Puis aussi, et surtout, « un air résolu ».

« Augustine cachait et distribuait de la viande aux résistants pendant la Seconde Guerre mondiale »

Plongée dans les réminiscences de son adolescence, elle revoit les doigts de sa mamie, déformés et écorchés par la saumure et l’eau glacée. « Elle voulait nourrir ses enfants à leur faim, se sortir de la misère et s’abîmer bien moins le corps », insiste Arlette.

Il le fallait bien, alors que son mari, revenu sourd et esquinté de la Grande Guerre, quitte ce monde des suites de ses blessures en 1933, sans que sa compagne ne puisse obtenir de suite l’entièreté de sa pension de veuve. Pugnace, elle finit par recevoir l’argent dû. « Mon grand-père lui avait appris à écrire et à lire avant la guerre, elle qui n’a été que deux jours à l’école. Ce fut une perte douloureuse », confie Arlette. Mais Augustine n’était pas du genre à baisser les bras.

Un œil du côté des ruelles escarpées menant au port, les souvenirs remontent à la surface. Arlette revoit sa grand-mère qui lui raconte les sabots qui claquent sur les pavés, les phalanges qui cognent contre les volets, quelques voix qui scandent « Augustine, da friture ! » (la friture, en français). Augustine se réveille au gré des appels à l’usine, termine souvent chez elle affalée sur une chaise, assoupie quelques heures entre la fin tardive de la journée et le début de la suivante.

« Parfois, elle n’avait même pas le temps d’enlever sa coiffe », conte Arlette, qui ne l’a jamais vue sans ce morceau de tissu de dentelle sur les cheveux. Il ne l’a jamais quittée, tout comme son sens de la révolte. « Augustine cachait et distribuait de la viande aux résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle disait que c’était sa mission de nourrir ceux qui avaient faim », explique Arlette, fière de pouvoir raconter l’histoire d’une grand-mère qui lui a laissé en héritage sa pugnacité et son esprit de lutte. Augustine parlait d’ailleurs souvent de Joséphine Pencalet à sa famille.

Une sardinière camarade de grève qui, en 1925, devint la première femme élue conseillère municipale en Bretagne, sur la liste communiste de Douarnenez. Élection qui finit par être invalidée… à cause de son genre. Ce qui n’a pas empêché Joséphine, Augustine et toutes les autres, d’engranger des conquêtes et de poursuivre une lutte toujours d’actualité.

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