Colette Grégoire n'est condamnée à un an de prison avec sursis que le 5 novembre 1958, assigné à résidence surveillée au camp de Beni Messous. La durée de sa période préventive a excédé celle de sa condamnation.
Le 17 novembre 1958, Colette reçoit une notification de libération avec obligation de quitter son Algérie natale sous cinq jours.
En prison, Colette écrit des poèmes, discute littérature avec ses co-détenues, fait même un exposé sur Proust et les clochers de Matinville.
Suite à sa libération de détention, Colette Grégoire travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961.
En décembre 1960, la revue "Action poétique" publie un numéro spécial sur la guerre d'Algérie (6000 exemplaires) où des poèmes de Colette Grégoire dédiés à Raymonde Peschard (Les nuits le jour) et Jacqueline Gueroudj (L'espoir) sont présents auprès de poèmes et textes de Guillevic, Lanza del Vasto, Pierre Seghers, Antoine Vitez, etc.
Colette Grégoire épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
Extrait de "Même en hiver"...
Dans ses 21 ans, Colette Grégoire manifestait sa conscience de sa responsabilité humaine et sociale de poète, dans un poème resté inédit:
" La poésie remet les choses en place
Je n'écris pas pour moi, mais pour tous
Je dis "je", mais c'est nous qu'il faut lire
J'écris pour "réaliser" une situation
de fait, pour rendre à la vie ce
qui est son dû.
J'essaie d'être le porte-parole honnête
de chacune, pour rendre conscient
ce qui existe dans chacune
pour établir des rapports réels entre
l'homme et son pays.
Je traduits un état de fait
J'essaye de dire les racines de l'homme
avec son pays et le monde
J'ai appris à voir, à comprendre
J'ai le privilège de dépoussiérer une
langue - peu importe ce qu'elle est -
et je l'utilise pour révéler un certain mouvement
un certain rythme, certains rapports
de l'homme avec la situation; la
révolution algérienne - j'essaie de la dire
Toute poésie est révolution
elle traduit les apparences
et va au fait.
Je commande aux objets par la vertu d'un mot
Je vois je dis et le futur sera ce que
J'ordonne " (1952)
Dans un poème inédit de 1952, cité par Abderrahmane Djelfaoui, de la même veine, que La poésie remet les choses en place, Anna Gréki écrit:
"(...) je ne marchande pas mon amour
Je ne vends pas je dis la vérité
Qui n'est pas faite de pain béni et d'eau fraîche
Mais de franche lutte avec mes camarades
D'intelligence de corps avec mes camarades
Nous savons la valeur de la violence
Nous voilà durs avec nous-mêmes durs
Car nous savons le prix de la tendresse
Et qu'elle se gagne et qu'elle se paie"
Dans Algérie Capitale Alger publié en 1963, Anna Gréki met en exergue ces vers du poète espagnol Miguel Hernandez:
"Les vents du peuple me portent,
les vents du peuple me traînent,
répandent partout mon cœur
et me soufflent dans la gorge"
***
J’habite une ville… - Anna Greki (1931-1966)
J’habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne
Par-delà les murs clos comme des poings fermés
à travers les barreaux ceinturant le soleil
nos pensées sont verticales et nos espoirs
L'avenir lové au coeur monte vers le ciel
comme des bras levés en signe d'adieu
des bras dressés enracinés dans la lumière
en signe d'appel d'amour de reviens ma vie
Je vous serre contre ma poitrine mes soeurs
bâtisseuses de liberté et de tendresse
et je vous dis à demain car nous le savons
L'avenir est pour bientôt
JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n"entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Dans des pays des morceaux de moi font semence
et donnent-surgeons de ma tendresse-de tels
Oasis que les jours sont des vergers en fête
Ou l'homme boit une vigueur amniotique
Le bonheur tombe dans le domaine public