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18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 05:27

 

La pêche reste un secteur économique important. Mais coincée entre gros armements, règles européennes, Brexit et stigmatisation écologiste, elle est en crise… Ou en transition?

*Olivier Penhoat est politiste, fonctionnaire territorial

Àl’instar du monde agricole, dans la seconde moitié du XXe siècle la France avait réussi à bâtir un secteur de pêche artisanal rentable et diversifié en termes de pratiques, d’espèces ciblées, de zones de pêche. La flotte française a rapidement réalisé sa modernisation après-guerre, puis a pleinement bénéficié de la politique commune de la pêche au travers d’un accès privilégié à des quotas dans toute la zone économique exclusive communautaire. Les producteurs disposaient d’une relative autonomie à l’égard des entreprises de transformation, faisant vivre des territoires littoraux. Cette dynamique s’est retournée dans le courant des années 1990. La pression exercée sur la ressource par des flottilles trop nombreuses et trop puissantes a rendu inexorable une restructuration du secteur, avec la mise à la casse de nombreux navires (un tiers des navires ont disparu depuis 1995) et un renforcement progressif des mesures de régulation de l’activité et de gestion des stocks[1]. La mémoire de ces épisodes, au-delà du mouvement de l’hiver 1993-1994, est encore vive. Elle a généré dans le secteur une crainte exacerbée de la disparition dans un contexte où les défis auxquels les activités font face sont lourds et inédits.

LA DÉSTABILISATION ÉCONOMIQUE DU MODÈLE ARTISANAL

La disparition progressive des aides communautaires en faveur des navires[2]a entraîné un vieillissement généralisé d’une flottille désormais hors d’âge, avec des outils qui atteignent en moyenne 30 ans[3]. Ces navires sont accidentogènes, les conditions de travail à leur bord sont pénibles et ils sont très dépendants des énergies fossiles, de sorte que chaque épisode de tension sur les prix du pétrole affecte directement leur rentabilité dans la mesure où le système de vente dominant, en criée, ne prend pas bien en compte les coûts de production. Le rétablissement progressif des stocks et la réduction de la flotte offrent, en dehors de ces épisodes, des conditions de rentabilité satisfaisantes, mais les retards pris dans le renouvellement de la flotte à l’issue de deux décennies de restructuration en réduisent significativement le bénéfice (coûts de maintenance et pertes liées à l’immobilisation). Les premiers touchés sont les patrons artisans indépendants de navires de 10 à 24 m, dont les capacités d’investissement individuelles sont limitées et qui n’ont pas de partenaires capitalistiques. D’autant qu’un nouveau navire coûte plusieurs millions d’euros et que l’entrée dans la filière, qui se fait par l’acquisition d’un navire d’occasion, suscite un endettement important liée à la monétisation par les cédants des antériorités de pêche associées au navire[4]. Au travers de la figure du patron artisan et des flottilles concernées, c’est le modèle type national de la pêche française qui est bousculé. Le secteur peine à recruter, à retenir ses marins et ses patrons, et son renouvellement à long terme n’est pas garanti.

UNE IMAGE TERNIE…

Une part de ces difficultés a également pour origine une image qui s’est beaucoup dégradée dans l’opinion publique : à l’image de l’aventurier téméraire et libre a succédé le sentiment que les pêcheurs dégradaient profondément l’environnement. Les débats autour de la pêche de grands fonds ont montré combien cette image n’était plus l’apanage des pêcheries ciblant ou capturant accidentellement d’emblématiques mammifères marins[5].

 

Les associations environnementales sont maintenant très influentes dans la définition des politiques de la pêche. Outre l’extension des aires marines protégées, elles promeuvent un agenda complet de gestion des pêches : objectifs de gestion des stocks, élimination des « subventions néfastes » et promotion d’une petite pêche côtière très loin du modèle artisanal hexagonal[6].

… MALGRÉ UNE CONSOMMATION CROISSANTE ET SOUTENUE

.À ce stade, toutefois, la bataille de l’image n’a pas complètement bouleversé les pratiques de consommation des Français. Le marché national des produits de la mer est un atout important du secteur. Avec 33 kg par an et par habitant, la France est un des premiers marchés au monde. Comme celui de l’Europe, il est fortement déficitaire, à hauteur des deux tiers. Avec le Brexit, la part des importations assurée par des pays en dehors de l’espace européen (UE et AELE [7] ) deviendra majoritaire. Dans un contexte mondial de demande croissante – la demande en produits de la mer a doublé en cinquante ans – , cette demande, sur le plan national ou à l’exportation, devrait rester dynamique, sous réserve de s’adapter aux nouvelles pratiques des consommateurs. Les produits, qui bénéficient d’une image positive en raison de leur qualité alimentaire devraient jouer dans les prochaines décennies un rôle majeur dans l’équation alimentaire mondiale du fait du meilleur bilan environnemental de la protéine animale issue de la mer[8]. Pour l’Europe, et la France en particulier, l’équation, dans un contexte de Brexit, sera complexe avec la nécessité de sécuriser des apports qui ont toutes les chances d’être de plus en plus disputés.

LE RÔLE DÉCISIF DE L’EUROPE POUR L’AVENIR DU SECTEUR

La situation économique de la pêche artisanale française n’est pas insoluble. Une dynamique positive, dans les régions comme au plan national, est à l’œuvre, avec des initiatives porteuses d’espoir. Mais durant les prochains mois les yeux du secteur seront d’abord braqués sur Bruxelles, où une série de dossiers majeurs doivent être arbitrés.

 

Zones économiques exclusives des pays limitrophes à la mer du Nord.

Les enjeux pour la pêche de la sortie du Royaume-Uni de l’UE ont été abondamment soulignés : la dépendance de nos pêcheurs à ses zones de pêche et la dépendance symétrique de ses opérateurs au marché communautaire. Au-delà du degré d’ouverture des eaux britanniques et des conditions d’accès à celles-ci, les enjeux du retrait britannique quant à la gestion de la ressource ont été moins soulignés. Or, dans la mesure où la plupart des stocks chevauchent les deux zones économiques exclusives, il est tout aussi impératif de fixer un cadre commun, avec des objectifs de gestion et des instances de gouvernance s’inscrivant dans la durée. L’ampleur des questions à traiter d’ici à la fin de la période de transition, qui court jusqu’au 31 décembre 2020 et pendant laquelle les règles communautaires continuent à s’appliquer, rend un tel accord très difficile. Surtout, le secteur britannique qui a beaucoup appuyé le mouvement du « Leave » pousse en faveur d’une dérégulation, alors que pour l’UE la convergence du cadre futur avec les règles de la politique commune des pêches (PCP) est une condition de survie de celle-ci.

Dans le même temps, l’Union doit adopter son premier budget pour la période 2021-2027 et, pour ce qui concerne la pêche, celui du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Or ce débat ne s’est pas ouvert sur des perspectives rassurantes : budget global et du FEAMP en baisse; réduction des aides aux navires comme au reste de la filière, avec de nouvelles interdictions et l’élimination de certaines catégories de subventions ; nouvelles priorités maritimes… Les négociations viennent de s’ouvrir entre le Parlement et le Conseil; il serait souhaitable que le budget garantisse des moyens permettant le renouvellement de la flotte, en particulier sa transition énergétique, et conforte la mise en œuvre de la PCP (contrôles, évaluation des stocks aujourd’hui lacunaires). Le prochain FEAMP doit permettre à la filière dans son ensemble de réaliser sa transition environnementale en s’adaptant au Brexit. Les défis ne sont pas minces.

En définitive, la négociation du prochain FEAMP n’est que le prologue du débat qui va s’ouvrir rapidement sur la politique commune des pêches, dont une révision est attendue pour 2023. Il y a certainement beaucoup à faire pour améliorer les modalités de gestion en prenant davantage en compte les relations entre espèces dans une approche écosystémique. Dans un contexte de bouleversement environnemental, les dispositifs devront aussi gagner en agilité, et certains instruments qui ont montré leurs limites, comme les règles de jauge qui freinent l’adaptation de la flotte, doivent être réformés. Si l’UE confirme sa préférence libre-échangiste et maintient un tel degré d’ouverture de son marché, elle doit mettre ses opérateurs dans des conditions de concurrence équitable, et ne pas réduire unilatéralement ses instruments d’intervention propres, notamment de marché, dans un contexte international bien moins stable qu’il y a une décennie.

Enfin, il est maintenant clair que le changement climatique et les pollutions de l’eau ont tout autant d’impacts sur les stocks que la pression de pêche. Notre avenir alimentaire, et celui de la pêche, sont également en jeu dans ces combats qui se jouent à terre.

1.

La notion de stock provient du vocabulaire de gestion de la pêche. Il s’agit de la partie exploitable de la population d’une espèce dans une zone donnée. Le stock ne comprend ni les œufs, ni les larves, ni les juvéniles n’ayant pas atteint une taille suffisante pour être capturés. Il peut y avoir plusieurs stocks pour une même espèce : si des sous-groupes d’une même espèce vivent dans des zones différentes et qu’ils n’ont pas ou peu d’échanges entre eux, on dit qu’ils appartiennent à des stocks différents. Ainsi, les langoustines de mer Celtique et les langoustines du golfe de Gascogne, qui n’ont aucun échange, sont étudiées séparément : bien que de la même espèce, on considère qu’elles appartiennent à deux stocks distincts -https://wwz.ifremer.fr/peche/Le-role-de-lIfremer/Expertise/Diagnostics/Notions-de-base/Definitio n-d-un-stock [consulté le 2 mars 2020].

2.

Les aides à la construction ont été supprimées il y a une quinzaine d’années. Le soutien sur fonds publics à toute augmentation de la capacité de pêche des navires (jauge, puissance) comme aux équipements qui facilitent la recherche du poisson est strictement prohibé. Le fonds européen pour les affaires maritimes (FEAMP), mis en œuvre à compter de 2014, restreint encore les leviers d’intervention, notamment en ce qui concerne l’amélioration énergétique d’une flotte pourtant vieillissante et extrêmement énergivore. Le FEAMP 2014-2020 aura ainsi réussi l’exploit d’être le fonds européen qui aura le moins contribué aux objectifs climatiques de l’UE.

3.

En 2018, l’âge moyen des navires atteint 29 ans en Bretagne, selon l’Ifremer (Système d’informations halieutiques, 2019), « Région Bretagne. 2018. Activité des navires de pêche » : https://archimer.ifremer.fr/doc/00608/72054/

4.

Il s’agit là du corollaire du modèle national de gestion des licences, d’autorisations de pêche et des quotas, qui est public et collectif, et alloué sur des bases annuelles à l’instar des quotas communautaires. Pour éviter les ruptures et assurer un minimum de visibilité aux entreprises de pêche, les organisations professionnelles et les services de l’État privilégient comme critère de répartition les antériorités de pêche « attachées » au navire, c’est-à-dire les pratiques avérées, historiques, d’accès à tel ou tel stock.

5.

De la chasse à la baleine, sur laquelle Greenpeace a bâti sa renommée, à l’interdiction des filets maillants dérivants pour protéger les dauphins.

6.

Plutôt que la nature capitalistique des entreprises,
la définition privilégie un critère de taille (navires
inférieurs à 12 m) réalisant des marées à la journée
et proscrit l’utilisation des arts traînants (chaluts,
dragues) au profit des arts dormants (filets, lignes,
casiers et pièges…), perçus comme moins
impactants pour les fonds. Cette définition est
contestée par le secteur, qui pointe la pollution
des eaux côtières et leur encombrement, l’intérêt
de diversifier les zones de pêche, d’exploiter des
quotas disponibles dans des zones plus lointaines
et souligne que les besoins d’appâtement de
nombreux engins dormants sont assurés par des
pêches préalables au chalut.

7.

Association européenne de libre-échange.
Parmi les États de cet espace économique,
les approvisionnements en provenance de la Norvège
et de l’Islande représentent près de 1 Md€ en 2018
(FranceAgrimer, les Filières pêche et aquaculture en
France. Chiffres-clés, avril 2019). 

8.

Sébastien Abis, « Le futur alimentaire de la planète
passera forcément par la mer », l’Opinion, 5 mars
2020 : 
https://www.lopinion.fr/edition/economie/futuralimentaire-planete-passera-forcement-mer-213186

 

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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 14:58
Assassiner un enseignant ! Une balafre dans la République - par Patrick Le Hyaric

Rien, strictement rien, absolument rien ne saurait justifier la mise à mort d’un Homme. Un homme qui plus est enseignant, éducateur, passeur d’Histoire et de Géographie, deux matières indispensables pour éclairer le monde et s’éclairer soi-même. L’assassinat d’un enseignant à la sortie de son collège parce qu’il y explique l’Histoire et y défend la liberté d’expression est une victoire de la haine fascisante. Tuer un enseignant c’est tuer le projet d’ouvrir les enfants au monde, et tuer la possibilité de bâtir le leur dès demain.

La douleur est immense et le chagrin sans fond face à cet acte ignoble. Les mots manquent quand les questions s’accumulent dans nos têtes. Elles se résument à quelques adverbes : qui, comment, pourquoi ? On peine à aller plus loin, subjugués par l’atrocité du crime et la stupidité du mobile. Nos pensées sont toutes dirigées vers les proches de ce professeur, sa famille, les enseignants et les parents d’élèves de ce collège, à l’ensemble du corps enseignant et à tous les fonctionnaires d’une Education nationale frappée au cœur.

Les caricatures de Mahomet font désormais partie de notre histoire. En leur nom et contre la liberté de dessiner et de penser, des assassins fanatiques ont décimé la rédaction de Charlie-Hebdo et cherché à répandre la terreur, en France comme ailleurs. Elles doivent pouvoir être montrées, non pour ce qu’elles expriment, mais comme document nécessaire à la compréhension des temps présents. Cette mise à distance est la condition absolue d’une société fondée sur la raison.

La loi du Talion n’a pas sa place dans une société démocratique régie par l’État de droit. Au « œil pour œil, dent pour dent » et à la vengeance, le progrès humain a substitué la justice et l’art du débat. C’est un acquis à valeur universelle sur lequel s’appuient toutes les forces de progrès à travers le monde, en butte face à la dictature ou au fanatisme, et parfois face aux deux. C’est le remède contre le lent mais décidé glissement obscurantiste des sociétés.

La transmission du savoir, tâche des plus nobles confiée aux corps enseignant, doit être absolument sanctifiée et l’éducation nationale renforcée, protégée et aidée dans ses missions dont celle, fondamentale, de forger l’esprit critique et civique des futurs citoyens, quelles que soient leurs croyances ou origines. C’est une évidence qu’il convient de rappeler.

Pour l’heure, l’enquête se dirige vers un Tchétchène né à Moscou en 2002. Cette barbarie ne semble donc pas concerner des français de confession musulmane qu’il faudra protéger des récupérations racistes qui n’ont déjà pas manqué de surgir.

Cet abject assassinat appelle au combat pour renforcer considérablement les fondements d’une République sociale, laïque et démocratique fidèle à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité, à retrouver dans la société la force du débat civilisé. C’est la condition pour recoudre l’unité de la nation. Cette tâche, ardue mais essentielle, est la condition indépassable d’une sécularisation apaisée pour dépasser, ensemble et solidairement, ces terribles épreuves.

Patrick Le Hyaric

Directeur de l’Humanité

17/10/2020

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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 14:01
Effroi et révolte après l’attentat de Conflans-saint-Honorine (Fabien Roussel - PCF)

Samuel PATY exerçait l’un des plus beaux métiers. Il éveillait et enrichissait intellectuellement les enfants du collège de Conflans-Sainte-Honorine. Il leur enseignait la liberté de penser afin qu’elles, qu’ils, puissent vivre en femmes et en hommes libres. Il a été assassiné par un barbare fanatique. Voilà à quoi conduit l’obscurantisme religieux.

 

Effroi et révolte après l’attentat de Conflans-saint-Honorine (Fabien Roussel - PCF)

J'apprends avec horreur qu'un enseignant d'histoire géographie a été assassiné aujourd'hui à Conflans-Saint-Honorine dans les Yvelines.

Cet attentat abominable suscite en moi effroi et révolte.

Je pense ce soir aux proches, à la famille et aux collègues de ce professeur, tué pour avoir exercé son métier.

En ces moments tragiques, la République doit se tenir unie et ferme dans l'affirmation de ses valeurs.

Tous ensemble, unis dans le respect de notre diversité, continuons de faire vivre la richesse de notre République laïque, défendons notre liberté d’expression et ne cédons pas un pouce aux fanatiques et à tous ceux qui chercheront à imposer la haine et à diviser notre peuple.

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord,

 

Ce soir, notre République est infiniment meurtrie.
Un enseignant a été assassiné pour avoir exercer son métier. Mes premières pensées vont à sa famille, à ses proches et à ses collègues. Je leur adresse mes plus sincères condoléances.
Face à ce crime, cet attentat, d’une violence extrême, nous devons réaffirmer avec force nos valeurs, et le rôle central de l’école et de la connaissance dans leur diffusion. S'attaquer à l'école et ses représentants, c'est attaquer nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Je sais que dans nos diversités, face aux attaques obscurantistes, nous ne céderons pas, nous ne plierons pas. Ils ne gagneront pas tant que nous sommes forts et unis. L'Histoire, qu'ils veulent rendre muette, nous l'a enseigné.
Marie-Georges Buffet, députée de Seine St Denis
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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 05:27

 

Près d’un million de personnes supplémentaires pourraient passer sous le seuil de pauvreté d’ici à la fin de l’année. Le premier ministre doit annoncer des mesures samedi, mais le chef de l’État a d’ores et déjà rejeté toute augmentation ou élargissement des minima sociaux.

Cela fait des semaines que les associations de lutte contre la précarité tirent la sonnette d’alarme quant aux conséquences de la crise sanitaire et économique engendrée par l’épidémie de Covid-19. « Nous sommes aujourd’hui face à une aggravation, un basculement et un ancrage d’une frange de la population dans la grande précarité », résumait récemment le collectif d’associations Alerte, alors que se déroule, ce samedi, la Journée mondiale du refus de la misère. Une réalité que le président de la République ne nie pas. Lors de son intervention télévisée mercredi soir, Emmanuel Macron a reconnu que cette crise est « inégalitaire » et frappe d’abord « les plus précaires ». Sauf que la réponse apportée n’est pas à la hauteur et se résume, une fois encore, à une aumône, le chef de l’État ayant rejeté l’idée d’augmenter et d’étendre le RSA.

Si on n’est pas encore face à un tsunami, la vague est bel et bien déjà là. Premier signe de cette dégradation, l’augmentation de la demande d’aide alimentaire, en augmentation, depuis la période du confinement . « Entre mars et fin août, la croissance a été de 20 à 25 %, note Laurence Champier, directrice fédérale du réseau des banques alimentaires. Rien que sur les Bouches-du-Rhône, on est passé de 65 000 à 95 000 tonnes distribuées par semaine, soit 90 000 repas supplémentaires servis par rapport à l’année dernière à la même période. » En Seine-Saint-Denis, le Secours populaire a vu le nombre de bénéficiaires de colis alimentaire croître de 75 % par rapport à 2019. Début septembre, le ministre de la Santé et des Solidarités estimait à plus de 8 millions le nombre de Français qui auraient besoin d’aide alimentaire, contre 5,5 l’an dernier.

La croissance du nombre d’inscrits au RSA est un autre indicateur du basculement d’une partie croissante de la population dans la pauvreté. Aucun territoire n’est épargné, de la rurale Corrèze, où la hausse atteint 16,7 %, jusqu’à la capitale, où le nombre d’allocataires est passé, en août, à 68 000, contre 61 000 en 2019. La semaine dernière, l’Association des départements de France (ADF) a sonné l’alarme. Elle a calculé que pour les départements, qui assument le règlement de cette allocation, le coût du RSA a, en moyenne, augmenté, en août, de 9,2 % par rapport à 2019. L’ADF demande un réinvestissement de l’État qui, à force de désengagements, ne rembourse plus que 66 % des dépenses de RSA. Les associations plaident, elles, pour une recentralisation du RSA, pour garantir son financement et limiter la tendance de certains à faire des économies en sanctionnant les bénéficiaires.

La crise survient dans un contexte déjà dégradé pour les plus pauvres

Le profil, aussi, des personnes qui basculent dans la misère, a lui aussi évolué. « Nous voyons apparaître des catégories que nous ne connaissions pas. Ce sont des gens qui avaient tout juste la tête hors de l’eau et qui, quand un accident collectif survient, plongent dans la précarité », explique Véronique Fayet, présidente du Secours catholique. Parmi eux, tous ceux, en intérim ou emploi précaire, dont les contrats n’ont pas été renouvelés, ceux qui n’ont pas travaillé assez longtemps pour avoir droit au chômage, où ceux dont le niveau d’allocation est insuffisant pour subvenir aux besoins du ménage. Il y a aussi ceux qui travaillent à temps partiel. « Une partie de la classe moyenne est aussi affectée : les autoentrepreneurs, les commerçants ou les indépendants », ajoute Florent Gueguen, président de la Fédération des associations de solidarité. La crise survient dans un contexte déjà dégradé pour les plus pauvres. « Début 2020, une étude de l’Observatoire français de la conjoncture économique notait déjà que, depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les 2 % les plus riches avaient vu leur pouvoir d’achat augmenter, mais les 20 % les plus pauvres en avaient perdu, en raison du gel et la désindexation de certains minima sociaux comme l’APL ou le RSA », note Véronique Fayet. Non seulement le taux de pauvreté a augmenté ces dernières années, mais une étude de l’Insee (Institut national de la statistique) montrait jeudi qu’il était de plus en plus difficile d’en sortir : 70 % des personnes pauvres en 2016 l’étaient encore l’année suivante, contre 63 % entre 2008 et 2009.

Plus précaires avant la crise, les jeunes sont les plus touchés. Faute d’accès au RSA, les 18-25 ans sont affectés de plein fouet par la moindre baisse de revenus. Jamais les associations n’en ont vu autant pousser leurs portes. « Nous aidons actuellement 3 000 étudiants, contre 100 à 150 en 2019. Beaucoup ont perdu leur petit boulot et n’ont plus aucune ressource pour payer leurs études », observe Philippe Portmann, à la tête du Secours populaire en Seine-Saint-Denis. Il cite l’exemple d’un étudiant qui survivait en donnant des cours et a perdu quatre de ses cinq élèves. « Il se retrouve avec 200 euros de revenu alors que son loyer est à 250 euros. »

Pendant le confinement, les 20 % les plus pauvres se sont endettés
 

Et l’avenir n’est pas radieux. « L’annonce que la crise va faire entre 800 000 et 1 million de chômeurs nous inquiète. Ceux-là, on va les voir arriver en janvier », remarque Laurence Champier. Même inquiétude au Secours populaire. « Nous n’avons aucune visibilité sur la croissance à venir parce qu’on ne voit pas encore arriver les salariés licenciés. Mais on sait qu’ils vont venir et qu’il y aura encore plus de demandes quand leurs allocations chômage prendront fin », renchérit Philippe Portmann. Malgré les 100 millions d’euros débloqués pour soutenir les associations, personne ne sait comment faire face à cette hausse. « L’État délègue l’aide alimentaire aux associations. Il faut qu’il nous donne les moyens d’agir », avertit Laurence Champier.

Autre source d’inquiétude à plus long terme, les conséquences des baisses de revenus sur la capacité des ménages à payer leurs loyers. « Le printemps prochain sera une période à risque, quand la trêve hivernale prendra fin », prévient Louis du Merle, responsable du pôle juridique de l’Agence nationale d’information sur le logement. Et derrière, à long terme, pointe le risque de l’endettement. Mi-octobre, une étude du Conseil d’analyse économique révélait que, alors que les 20 % les plus riches avaient accumulé 70 % de l’épargne réalisée pendant le confinement, les 20 % les plus pauvres s’étant, eux, endettés. Elle concluait qu’un « soutien beaucoup plus franc aux ménages les plus modestes va très rapidement s’avérer nécessaire ».

Malgré ce constat, l’exécutif ne semble toujours pas vouloir mettre la main à la poche, et se limite à des mesurettes. Dans son allocution du 14 octobre, le président Macron a promis le versement d’une « aide exceptionnelle » de 150 euros par personne et 100 euros de plus par enfant pour tous les allocataires du RSA et des APL. Comme en juin dernier. « Pour les familles avec enfants, cela peut être assez substantiel, mais pour les autres, 150 euros, c’est vraiment l’aumône », estime Véronique Fayet. En dehors de ce geste, l’effort pour les plus fragiles a été minimal. « Ni le plan de relance, qui consacre moins de 1 % de ses 100 milliards aux plus précaires, ni le projet de loi de finances ne prennent en compte ce problème », observe Florent Gueguen.

Le gouvernement est donc resté sourd aux appels pour une revalorisation de 100 euros du RSA. Il refuse aussi son extension aux moins de 25 ans. « Nos fondamentaux, c’est la lutte contre la pauvreté par le retour à l’activité et le travail. Plus on augmente de manière unilatérale tous nos minima sociaux (…), plus on rend difficile le retour à l’activité », a justifié Emmanuel Macron dans son allocution. Dans ces conditions, les associations n’attendent pas grand-chose de l’acte 2 du plan de lutte contre la pauvreté qui doit être présenté ce samedi. « Nous sommes en colère parce que le gouvernement passe à côté de cette crise sociale. Il ne change pas de dogme. Leur seule réponse se résume à l’aide aux entreprises et le soutien au retour à l’emploi. C’est une approche inadaptée face à une crise de longue durée et à la perspective d’un chômage de masse », s’agace Véronique Fayet. Et elle met en garde : « Nous avons en face de nous des gens qui vivent avec 500 euros par mois et qui se sentent humiliés que leurs vies, leurs souffrances, ne soient pas prises en compte. Politiquement, c’est dangereux. Une société qui laisse croître les inégalités ne peut pas être une société apaisée. »

Rsa : les départements livrés à eux-mêmes

Si trois départements – le Calvados, la Manche et l’Orne – ont obtenu gain de cause en juin devant le tribunal administratif sur le défaut de compensation des hausses de RSA entre 2013 et 2017 par l’État, le désengagement de ce dernier en la matière demeure bien entier. « Les conséquences sociales de cette crise sanitaire sont extrêmement fortes, témoigne le président PCF du Val-de-Marne, Christian Favier. Nous comptons plus de 10 % d’allocataires du RSA supplémentaires depuis un an et, depuis cinq mois, ce sont 15 % de plus. » Mais, alors que le RSA est une allocation dont le montant et les modalités d’attribution sont fixés nationalement, le financement ne suit pas. « Aujourd’hui, l’État n’en prend en charge que 50 %, poursuit Favier. Ainsi, depuis le mois de juin, c’est le département qui assume à 100 % le RSA pour tous les allocataires du Val-de-Marne. » Pire, la collectivité est prise en étau : « Les dépenses sociales augmentent : le RSA n’est pas la seule ; pour faire face à la pandémie, par exemple, nous avons engagé 20 millions d’euros. Nos recettes, par contre, notamment les droits de mutation sur les transactions immobilières, se sont effondrées. »  Or, constate-t-il, dans « le plan de relance doté de plus de 100 milliards, les aides aux entreprises sont extrêmement conséquentes, mais il n’y a rien d’équivalent pour les collectivités ».

 

 

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15 octobre 2020 4 15 /10 /octobre /2020 08:48

 

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15 octobre 2020 4 15 /10 /octobre /2020 08:44
PCF - POUR SORTIR DE LA CRISE UNE SEULE SOLUTION : INVESTISSONS DANS L'EMPLOI, LA SECRURITE SOCIALE ET LES SERVICES PUBLICS
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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 14:39
Fabien Roussel rencontre les salariés de Hop! à Lesquin
J'ai rencontré les salariés de Hop! Lesquin. Lâchés par Air France, les lignes Hop seront reprises par des compagnies Low-cost telles que Transavia ou encore Amélia, qui s'est illustrée dernièrement car un de ses avions a perdu son système de radio. C'est un Rafale de l'armée de l'air qui a dû le retrouver en urgence, perçant le mur du son le 30 septembre dernier ! Les avions utilisés par Transavia, eux, sont plus gros et donc plus polluants. La maintenance de ces compagnies est faite en partie à l'étranger alors que Hop! faisait tout en France.
Hop! a même été jusqu'à proposer le reclassement de ses salariés à des postes de brancardier ou de réparateur de tondeuse à gazon, quand ces ouvriers hautement qualifiés ont eu besoin de 10 années de formation pour être pleinement compétents sur leur poste. J'ai demandé au ministre Djebarri de maintenir la desserte de ces lignes par Air France, et de conserver nos services d'entretien et de maintenances en France et ici à Lesquin.
Fabien Roussel
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14 octobre 2020 3 14 /10 /octobre /2020 05:28
Subventions. CAC 40 : des licencieurs sous perfusion - L'Humanité, 13 octobre 2020
Subventions. CAC 40 : des licencieurs sous perfusion
Mardi 13 Octobre 2020

Suppressions de postes, versement de dividendes… Un rapport démontre à quoi ont servi les aides publiques versées pendant la crise.

 

Depuis mars, le gouvernement a ouvert en grand les vannes des aides publiques, crise économique oblige. Jusqu’ici, il était compliqué d’avoir une vision d’ensemble de l’utilisation de cette manne. L’Observatoire des multinationales tente de lever un coin du voile avec un rapport, publié ce lundi, qui fournit quelques chiffres chocs. Un tiers des entreprises du CAC 40 ont distribué des dividendes pendant la période, pour un montant total de 30,3 milliards d’euros. Huit firmes ont même augmenté les dividendes versés par rapport à l’année dernière. Un tiers du CAC 40 a versé des dividendes alors que des milliers de leurs salariés étaient rémunérés sur fonds publics via le chômage partiel…

Dans son rapport, l’Observatoire des multinationales commence par rappeler par quels canaux la manne publique a été distribuée : « Près de 300 milliards d’euros de prêts garantis par l’État, plan d’urgence à 110 milliards d’euros dont 7 milliards d’euros pour Air France et 5 milliards pour Renault, plan tourisme, plan automobile, plan aéronautique, relocalisation industrielle, baisses d’impôts, 100 milliards pour le plan de relance, chômage partiel pour 31 milliards, reports ou annulations de charge sociales et fiscales (76  milliards)… Les sommes annoncées sont d’une ampleur inédite. » Certaines aides ont pris des formes indirectes, et sont passées largement sous les radars médiatiques : c’est le cas des plans de rachats massifs d’obligations d’entreprises par la Banque centrale européenne (BCE). Grands bénéficiaires : Total, Sanofi, Schneider Electric ou Air Liquide. Ce soutien discret permet à certaines multinationales – comme Total – de claironner qu’elles n’ont jamais bénéficié de l’aide des pouvoirs publics français…

À quoi a servi tout cet argent ? Le gouvernement n’a jamais formellement empêché aux grandes entreprises de continuer à distribuer des dividendes. Comme on pouvait s’y attendre, il a donc fallu s’en remettre à la « générosité » de leur direction. « Seul un petit tiers du CAC 40 (treize firmes) a annulé ou suspendu le versement des dividendes initialement prévus, écrit l’observatoire. Il s’agit essentiellement des grandes banques (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale), qui y ont été indirectement obligées pour pouvoir avoir accès au refinancement bancaire via la BCE, ainsi que de grands groupes ayant un urgent besoin d’aides publiques pour survivre à la période (Airbus, PSA, Renault, Safran). » À l’inverse, huit groupes ont augmenté le montant de leurs dividendes : Teleperformance (+ 26,3 %), Vivendi (+ 20 %), Schneider Electric (+ 8,5 %), Danone (+ 8,2 %), Dassault Systèmes (+ 7,7 %), Total (+ 4,7 %), Sanofi (+ 2,6 %), Air Liquide (+ 1,9 %).

Sur le plan social, le bilan est tout aussi édifiant. Selon les données récoltées par l’Observatoire des multinationales, les boîtes du CAC 40 ont déjà annoncé près de 60 000 suppressions d’emplois, dont le quart en France. S’il est impossible de dresser la liste ici, on peut néanmoins citer quelques cas : 15 000 chez Renault, 7 500 chez Air France, 1 700 chez Sanofi, 2 000 chez Valeo, etc. « Si les annonces de plans sociaux au sein des poids lourds du CAC 40 font grand bruit, il ne faut pas oublier que leurs salariés ne sont pas forcément les plus exposés, note l’observatoire. Ceux de leurs fournisseurs et sous-traitants subissent de plein fouet à la fois les conséquences directes de la crise et celles des ’’plans d’économies’’ mis en œuvre par les grands groupes. »

Pour ses auteurs, le rapport de l’Observatoire des multinationales apporte de l’eau au moulin de tous ceux qui réclament des contreparties aux aides publiques. « Nos données appellent deux exigences, résume l’économiste Maxime Combes. La première, c’est un débat général sur les conditions sociales et environnementales au versement de l’argent public à des entreprises privées. La seconde, c’est un besoin urgent de transparence sur l’utilisation de ces fonds. Dans notre rapport, nous avons tenté de faire un tableau récapitulant l’ensemble des aides publiques, pour chaque grande entreprise. Certaines colonnes sont remplies de poin ts d’interrogation : on est incapable, par exemple, d’avoir des informations sur le montant des reports de cotisations sociales consentis aux entreprises. C’est ahurissant, au regard des sommes en jeu ! »

« Certaines entreprises n’ont tout simplement pas besoin d’aides publiques, souligne de son côté Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Je parle des géants du CAC 40, qui continuent à rémunérer leurs actionnaires. En passant, cela renvoie à la nécessité de taxer les dividendes, une proposition formulée notamment par la convention citoyenne pour le climat (pour financer la transition énergétique - NDLR) et qui a été balayée par Emmanuel Macron. » Le dirigeant communiste convient que cette taxation ne sera pas suffisante : « La crise qui s’annonce nous oblige à tout remettre sur la table, à commencer par nos modes de production. Il ne suffit pas de s’interroger sur la répartition des richesses, il faut discuter de leur création. Nous avons besoin d’un débat d’ampleur sur ce sujet. »

Cyprien Boganda

Des fonds aux entreprises plus qu’inégaux

Le gouvernement a décidé de signer un nouveau chèque aux entreprises, à travers la baisse des impôts de production. Il s’agit de différents prélèvements (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, taxe foncière sur les propriétés bâties, etc.) qui se trouvent dans le collimateur du patronat depuis des années. Montant total de la baisse : 10 milliards d’euros par an. Selon des estimations transmises par le gouvernement aux députés, que nous nous sommes procurées, cette nouvelle obole est très inégalement répartie : 281 grandes entreprises vont se partager 2,5 milliards d’euros, soit, en moyenne, un chèque de 9 millions d’euros par entreprise ! À l’autre bout du spectre, 323 291 TPE vont percevoir 304 millions d’euros, soit un chèque de… 940 euros.

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13 octobre 2020 2 13 /10 /octobre /2020 18:39

Le député communiste André Chassaigne intervient auprès du ministre de la santé au sujet de la scandaleuse discrimination qui frappe les personnels de santé rattachés au médico-social privés de la revalorisation qu'ont obtenue leurs collègues.

Deux poids, deux mesures dans les primes distribuées au personnel de santé: le député communiste André Chassaigne écrit au ministre de la Santé
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12 octobre 2020 1 12 /10 /octobre /2020 18:41
Alinéa, Auchan... Chez les Mulliez, les licenciements sont une affaire de famille - L'Humanité, 8 octobre - Marie Toulgoat, et interview de Marco Van Hees député du PTB par Cyprien Boganda
Alinéa, Auchan... Chez les Mulliez, les licenciements sont une affaire de famille
Jeudi 8 Octobre 2020 - l'Humanité

À la tête d’une fortune de 28 milliards d’euros, la dynastie nordiste n’a pas la main légère sur les suppressions de postes. Alors que le richissime clan accélère la réorganisation de ses entreprises de la distribution, les salariés floués montent au créneau. Nos explications.

Les uns ont décidé de faire entendre leur colère ce jeudi devant le siège d’Auchan à Croix (Nord), alors que 1 475 salariés de l’enseigne risquent de perdre leur emploi. Les autres, calfeutrés dans leurs grandes maisons à 300 mètres de la frontière belge, font profil bas. Habituée à la discrétion, la grande famille des Mulliez est aujourd’hui épinglée de toute part, et son Association familiale (AFM), qui regroupe plus de 700 cousins actionnaires, plus que jamais pointée du doigt pour ses pratiques sociales d’un autre temps. Leur nom n’est peut-être pas familier, il se cache pourtant derrière plusieurs centaines d’enseignes, parmi lesquelles le géant de la grande distribution, Décathlon, Leroy Merlin, Kiabi, Boulanger ou encore Flunch. « Il n’y a pas d’équivalent en termes de taille et d’organisation », résume Bertrand Gobin, journaliste indépendant spécialiste des Mulliez.

Leur pactole de 28 milliards d’euros, qui les hisse en sixième position des plus grandes fortunes françaises, ne les empêche toutefois pas de tailler lourdement parmi leurs effectifs. À Auchan, si la surprise du PSE est minime, la désillusion reste grande. Depuis 2019, les travailleurs en sont à leur troisième réduction d’effectifs. « Le climat est très anxiogène », constate Gérald Villeroy, délégué syndical central CGT des magasins au rossignol. Et le dernier épisode, annoncé en septembre alors que les salariés ont continué à travailler au plus fort de la crise sanitaire, a achevé d’entamer le moral des employés. Chez Alinéa, placé en redressement judiciaire en mai dernier, 992 personnes ont été mises à la porte. Dans les magasins historiques de la famille Phildar, 125 salariés sur 211 sont laissés sur le carreau.

Des manœuvres et une stratégie qui ne datent pas d’hier

Une douche froide pour les milliers de travailleurs employés par la richissime famille, qui accusent les cousins actionnaires d’avoir sauté sur l’épidémie pour se délester de leurs personnels. Si le prétexte et l’arme du crime sont tout trouvés, grâce à l’ordonnance de mai 2020 qui permet à des patrons de reprendre leur propre entreprise, ces plans sociaux à répétition font toutefois partie d’une manœuvre au long cours dont les associés ne se sont jamais cachés.

« Leur stratégie a toujours été de se séparer des entreprises qui perdent de l’argent avant qu’elles ne fassent trop de mal », analyse l’économiste Benoît Boussemart. Les magasins de laine, qui ne séduisent guère plus depuis des années, ou l’Ikea français, qui fait pâle figure face à la concurrence depuis dix ans, ont donc été des victimes privilégiées. Alors que le modèle des grands ensembles commerciaux, sur lequel les Mulliez ont bâti leur fortune, s’essouffle, Auchan était sans surprise le prochain sur la liste. « Environ 90 % de leurs actifs reposent sur ce modèle des centres commerciaux, construit autour d’un hypermarché. Mais entre la vente en ligne, le regain d’intérêt pour les commerces de proximité et les circuits courts, ce fonctionnement n’a plus vraiment la faveur des consommateurs », indique Bertrand Gobin. « Les modes de consommation ont évolué, il y a une forte demande des actionnaires pour générer du cash et leur seule variable d’ajustement est le personnel », abonde le cégétiste Gérald Villeroy. La direction de l’enseigne, qui évoque un « plan de transformation », ne semble pas démentir.

Icon Quote Le principe de l’Association familiale Mulliez, c’est “tous dans tout”. Tous les associés sont solidaires des différents groupes, en investissant un peu partout, mais les salariés n’en profitent pas.

Bertrand Gobin, journaliste indépendant

Des marques strictement indépendantes les unes des autres

Du côté des travailleurs licenciés, la justification peine à convaincre, et l’horizon d’un repositionnement dans une des très nombreuses enseignes de la dynastie Mulliez s’est dilué dans la complexité de l’organisation des sociétés. L’Association familiale Mulliez a en effet toujours refusé de se voir officiellement constituée comme un groupe. « Le principe de l’AFM, c’est “tous dans tout”. Tous les associés sont solidaires des différents groupes, en investissant un peu partout, mais les salariés n’en profitent pas », note Bertrand Gobin. La myriade d’enseignes des Mulliez est en effet organisée dans un schéma plus qu’opaque de holdings et surholdings, rendant l’ensemble incompréhensible pour les salariés et surtout, rendant les différentes marques strictement indépendantes les unes des autres. Impossible donc pour un salarié d’Auchan licencié de prétendre à un poste à Decathlon ou Leroy Merlin, les véritables locomotives de la famille. « On veut absolument faire reconnaître l’AFM comme un vrai groupe. Pendant le confinement, il y a eu des solidarités entre marques, des salariés de Norauto sont venus filer un coup de main à Auchan. Il faut aller jusqu’au bout de la démarche et empêcher les licenciements », martèle le syndicaliste Gérald Villeroy.

Si les Mulliez se vantent d’accorder à leurs licenciés de généreuses conditions de départ, les cousins milliardaires semblent tout de même loin de porter leurs travailleurs dans leur cœur. « Ils sont pragmatiques, ils se laissent guider par les résultats », assure le spécialiste Bertrand Gobin. Les comptes de la famille, qui ont gonflé de 27 % en six ans, ne contrediront pas leur démarche. Mais les salariés de toutes les enseignes de la dynastie Mulliez, réunis ce jeudi auprès de leurs collègues d’Auchan, sont bien déterminés à faire changer d’avis leurs richissimes patrons.

Tout commença par le fil

C’est au début du XXe siècle qu’a débuté l’empire des Mulliez, avec la création des filatures de Saint-Liévin, proches de Roubaix, dans le Nord, par l’arrière-arrière-grand-père Louis. L’argent gagné a été réinvesti et a donné naissance à de grandes pointures de la distribution, comme Phildar et Auchan. En 1955, les héritiers décident de fonder l’Association familiale Mulliez, pour gérer les intérêts financiers grandissants des sociétés. La règle pour y être associé, encore valable aujourd’hui : être un Mulliez de sang ou d’alliance. Si l’empire familial a des allures de success-story et que les cousins actionnaires sont érigés en héros de l’entreprenariat, l’économiste Benoît Boussemart tempère : les associés ont aussi su exploiter leurs travailleurs à coups de faibles rémunérations et de contrats précaires.

« Les Mulliez, un cas emblématique de l’exil fiscal en Belgique »
Jeudi 8 Octobre 2020 - L'Humanité

Pour faire grandir leur fortune, les propriétaires d’Auchan sont aussi devenus experts en optimisation fiscale et ont franchi la frontière. Entretien.

 

Marco Van Hees Député du PTB, spécialiste des questions fiscales

Pourquoi vous êtes-vous penché sur les Mulliez ?

Marco Van Hees Cela fait des années que je travaille sur les grandes fortunes présentes en Belgique. Pour les exilés fiscaux français, c’est une destination particulièrement prisée, quasiment au même titre que la Suisse. Et les Mulliez sont le cas le plus emblématique des exilés français présents sur notre sol. Ils y vivent depuis plusieurs décennies.

Où se trouvent-ils exactement ?

Marco Van Hees Ils habitent rue Reine-Astrid, à Néchin, juste à côté de la frontière. Cette rue a même été rebaptisée « avenue des Mulliez » par les habitants du coin ! Pour la petite histoire, tous les Mulliez logent au côté pair de la rue, pour profiter de l’exposition plein Sud… En mai 2019, nous avions mené une action commune avec le PCF dans la ville, pour braquer les projecteurs sur cette situation. J’ai eu l’occasion de discuter avec le maire socialiste de la commune, il s’accommode visiblement très bien de leur présence.

Quel est pour eux l’intérêt d’habiter là-bas ?

Marco Van Hees Au départ, il s’agissait d’échapper à l’impôt sur la fortune (ISF) et à la taxation des plus-values financières. La suppression de l’ISF chez vous n’a pas entamé l’attractivité de notre pays pour autant : il est toujours très utile d’habiter en Belgique pour échapper à toutes sortes de taxes. Par exemple, les holdings bénéficient d’un traitement de choix : sauf exception, on ne taxe pas les plus-values sur actions, qu’elles soient détenues par des personnes physiques ou des sociétés. Nous disposons également du système des RDT, c’est-à-dire les revenus définitivement taxés, qui est une déclinaison belge du régime mère-fille : lorsqu’une société reverse des dividendes à sa maison mère, ce n’est pas taxé. Même chose pour les plus-values en cas de revente de participations. Patrick Mulliez, frère du fondateur de l’enseigne, détient une holding ici. Il y a quelques années, elle avait réalisé 373 millions d’euros de bénéfices, pour un impôt de… 2 euros ! La plupart du temps, le chiffre est de zéro.

Que préconisez-vous pour en finir avec cette situation ?

Marco Van Hees Cela fait des années que nous réclamons la création d’un véritable impôt sur les millionnaires. À force de taper sur le clou, on a fini par convaincre les socialistes et les écolos (appartenant à la coalition au pouvoir – NDLR), de mettre la question à l’ordre du jour. Mais on voit bien que la droite veut vider cet impôt de sa substance, pour en faire une taxe placebo. Pourtant, les sommes en jeu sont considérables. D’après nos calculs, un impôt sur les grandes fortunes pourrait ramener 8 milliards d’euros, en sachant que la fortune cumulée des 1 % les plus riches atteint les 500 milliards d’euros ! La taxe étudiée par le gouvernement ne rapporterait que 150 à 350 millions d’euros, autant dire qu’il y a de la marge… Il faudrait par ailleurs des mesures en matière de taxation des grandes sociétés, avec une suppression de l’ensemble des niches fiscales. Nous avons besoin, enfin, d’une politique européenne beaucoup plus ferme avec les paradis fiscaux. L’Union européenne possède des paradis fiscaux redoutables – Luxembourg, Pays-Bas, Irlande, Malte, ou Belgique, dans une moindre mesure. Tous ces pays taxent très peu les multinationales. Il faut absolument en finir avec cette impunité.

Entretien réalisé par Cyprien Boganda

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