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19 septembre 2019 4 19 /09 /septembre /2019 05:00
Dilma Roussef: Lula est en prison car il incarne l'idée qu'un autre Brésil est possible (entretien avec Cathy Dos Santos, L'Humanité, 17 septembre 2019)
Dilma Rousseff « Lula est en prison car il incarne l’idée qu’un autre Brésil est possible »
Mardi, 17 Septembre, 2019

Amérique latine. L’ancienne présidente, Dilma Rousseff, était l’invitée d’honneur de la Fête de l’Humanité. Après une intervention sur la Grande Scène, elle a électrisé l’Agora de l’Humanité, pleine à craquer. Entretien.

 

Madame la présidente, cela fait neuf mois que l’extrême-droite gouverne le Brésil. Le rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la cour interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains, Edison Lanza, a fait part de ses inquiétudes en parlant d’« une attaque au Brésil ouvert, démocratique et pluriel construit depuis la Constitution de 1988 ». Quelle est la nature de ces agressions ?

Dilma Rousseff Elles couvrent un large spectre. Ces agressions touchent les femmes d’une manière extrêmement misogyne, comme l’ont démontré les déclarations du président Jair Bolsonaro contre Brigitte Macron et la responsable des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet. Le président traite de la torture, des assassinats politiques, de la dictature des militaires de façon préoccupante. Il défend clairement la haine et la violence. Il menace la Constitution lorsqu’il déclare qu’il suffit d’un chef et d’un général pour fermer le Parlement brésilien. Il dit que le grand problème du Brésil a été de ne pas avoir tué 100 000 prisonniers politiques. Quant aux droits sociaux, il a une posture très claire. Lui et son gouvernement disent ressentir de la peine pour les entrepreneurs car, à leurs yeux, ce serait eux les exploités de l’État. Ils défendent la réduction des droits des travailleurs, alors que leur précarisation est déjà importante. La protection de l’environnement, de l’Amazonie, des peuples indigènes est une absurdité pour Jair Bolsonaro. Toutes ces agressions témoignent de leur immense mépris pour le débat et les opinions différentes. Le gouvernement croit que la Constitution citoyenne de 1988 est responsable des « absurdités », selon son expression, des réalisations des gouvernements du Parti des travailleurs (PT). L’homophobie est très importante car Bolsonaro et son exécutif n’ont aucune considération pour les différences. Ils n’envisagent pas la société de manière égalitaire.

Le 4 septembre, vous avez participé à un colloque où étaient présents le PT, le Parti communiste du Brésil, le Parti socialisme et liberté. À cette occasion, vous avez déclaré que « le Brésil et sa souveraineté sont attaqués ». Quels secteurs sont visés ?

Dilma Rousseff Ce jour-là, nous avons lancé un manifeste pour la défense de la souveraineté au Brésil. Elle est menacée, comme le sont les droits sociaux. Or, la souveraineté est la base de la nation brésilienne. Trois questions me paraissent fondamentales. D’abord, il y a la privatisation des entreprises nationales. La plus grande entreprise brésilienne, Petrobras, est la septième compagnie pétrolière au monde. Elle a développé sa propre technologie afin d’exploiter le pétrole en eaux profondes. Ses ressources garantissent l’indépendance énergétique du pays. Elles permettent des financements significatifs de la santé et de l’éducation. La vente de Petrobras va d’abord bénéficier aux grandes entreprises pétrolières privées. Sa privatisation compromet le futur de notre pays. Je pourrais aussi parler des privatisations de la Poste, du système électrique ou encore des grandes banques publiques.

L’autre attaque à la souveraineté est stratégique : il s’agit de l’environnement et des peuples indigènes. Le Brésil possède la plus grande forêt tropicale au monde. Durant des décennies, et particulièrement sous les gouvernements du PT, l’idée de nation brésilienne était intimement liée à la défense de l’environnement et à la protection de l’Amazonie. Nous avons destiné des ressources importantes pour lutter contre la déforestation, en mettant en place une opération de commandement de contrôle pour défendre l’Amazonie. Sans l’armée, la police fédérale, les patrouilles vertes, les ONG, il n’y a pas de combat effectif contre la déforestation. Chaque discours de connivence avec la destruction de l’environnement encourage la pollution des rivières, des forêts, ainsi que les violences faites aux peuples indigènes. On ne connaît le Brésil qu’en survolant l’Amazonie, en voyant ses immensités de vert et de bleu.

Enfin, lors de ce colloque, j’ai mis l’accent sur la question de l’éducation et ce pour trois raisons. Le Brésil est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Nous sommes le dernier pays à avoir aboli l’esclavage, après 350 années d’existence de système. Nos gouvernements se sont engagés à réduire les inégalités : 36 millions de personnes sont sorties de la pauvreté grâce au programme Bolsa Familia. À la fin de mon mandat, le Brésil ne figurait plus sur la carte de la faim élaborée par l’ONU. Nous savions que cela ne suffisait pas, comme il ne suffit pas non plus de garantir de bons salaires, comme nous l’avons fait, pour réduire les inégalités.

Pour pérenniser la lutte contre les inégalités et maintenir les conquêtes obtenues, il est indispensable de garantir à la population exclue une éducation de qualité. Si vous voulez entrer dans l’économie des connaissances, le pays doit promouvoir les sciences basiques, les technologies, la recherche et l’innovation qui sont assurées par les universités fédérales. Or le gouvernement de Bolsonaro veut privatiser l’université publique fédérale, celle-là même qui permet aux pauvres d’accéder à l’éducation. Durant la dernière année de mon mandat, 37 % des étudiants étaient les premiers membres de leur famille à accéder à l’enseignement supérieur. Privatiser les universités est un crime pour le futur du pays. Troisième raison : sans la culture, un pays n’a pas de fondements. Sans culture, il n’y a pas de citoyenneté. Sans citoyenneté, il n’y a pas de démocratie.

Le président Jair Bolsonaro est un admirateur du président des États-Unis, Donald Trump, et privilégie ses relations avec Washington. Cette posture tranche avec vos mandats et ceux de votre prédécesseur, Lula, durant lesquels vous avez mis l’accent sur le multilatéralisme. Quelles sont les conséquences de ce rapprochement avec la première puissance mondiale ?

Dilma Rousseff J’aime à rappeler que le coup d’État parlementaire qui m’a renversée en 2016 avait un objectif : insérer le Brésil dans le néolibéralisme tant sur les plans social, économique, que géopolitique. Le néolibéralisme et le néofascisme sont des frères siamois. Au cours de nos gouvernements, le Brésil est passé de la place de douzième puissance mondiale à septième. Nous avons toujours favorisé l’élargissement des structures économiques.

Pour nous, le multilatéralisme était fondamental car lui seul prend en compte la diversité du monde. Pour nous, il ne fallait pas s’amarrer à n’importe quelle puissance développée et encore moins à cette traditionnelle soumission aux États-Unis. Nous avons priorisé l’Amérique latine, nos pays frères. Nous avons accéléré nos relations avec l’Afrique, assumant ainsi notre identité noire puisque le Brésil est la deuxième nation qui compte le plus de population noire, après le Nigeria. Nous avons participé à la création des Brics. Nous avons établi des relations d’égal à égal avec le Japon, l’Union européenne, les États-Unis. Personne ne respecte un pays qui s’incline devant un autre. Personne ne pardonne à celui qui, au nom d’intérêts étrangers, porte préjudice aux intérêts nationaux. Le fait de transférer l’ambassade du Brésil à Jérusalem est désastreux pour nos relations avec les pays du Moyen-Orient et pour notre position défendant l’existence de deux nations : Israël et Palestine. Traiter avec mépris notre partenaire argentin est inadmissible.

Croire que dans un monde si complexe, on pourrait ne pas développer des relations harmonieuses avec de nombreux pays, et je pense particulièrement à la Chine, est également une grave erreur. Nous ne pouvons pas « traiter avec brutalité la Bolivie et parler avec finesse aux États-Unis », selon la phrase du très grand compositeur brésilien Chico Buarque.

Cet été, le site en ligne The Intercept a révélé l’échange de messages entre le juge Sergio Moro, désormais ministre de la Justice, et les magistrats en charge de l’enquête Lava Jato. Ils démontrent que Lula a été condamné pour des raisons politiques et non juridiques. Comment expliquez-vous que le nécessaire combat contre la corruption soit devenu un levier de déstabilisation politique ?

Dilma Rousseff Après le coup d’État qui m’a écartée du pouvoir, il fallait emprisonner Lula pour que Jair Bolsonaro remporte la présidentielle. On l’a même empêché de s’exprimer. Jusqu’à il y a peu, il ne pouvait pas donner des entretiens car, s’il parlait, il aurait aidé le candidat du PT, Fernando Haddad, à gagner des voix. Nous avons également assisté à la création d’un climat de haine, de mensonges propices aux putschistes. L’opération Lava Jato de combat contre la corruption a été le principal outil contre l’ennemi. Le lawfare (guerre judiciaire – NDLR) consiste à utiliser la loi pour détruire des citoyens, mais également des candidats.

Je suis pleinement favorable au combat contre la corruption et je l’ai démontré durant mon dernier mandat. Mais l’opération Lava Jato est devenue un instrument politique pour ôter toute possibilité à la gauche de se maintenir au pouvoir et d’y revenir. Les révélations de The Intercept Brésil l’ont démontré. Le juge Sergio Moro n’a pas été impartial. Il a agi en faveur de l’accusation. Il a formulé des accusations à l’encontre de Lula alors qu’il n’avait pas de preuves. Il a incité des témoignages à charge. Il a poussé le tribunal supérieur fédéral à utiliser des enregistrements de conversations privées entre Lula et moi, en sachant qu’il n’en avait pas le droit. Il a cherché à démontrer que je protégeais Lula. Il a incité la Cour suprême à adopter une attitude incorrecte.

Malgré ces révélations, pourquoi Lula est-il encore en prison ?

Dilma Rousseff Lula reste en prison car, s’il sort, il modifiera l’actuel rapport de forces. Lula représente la lutte pour la démocratie. Il représente l’idée qu’un autre Brésil est possible, qu’un autre gouvernement peut exister. Un gouvernement qui aurait de la considération pour les mouvements sociaux, les organisations des femmes et des Noirs. Un gouvernement qui porterait les questions sociales, démocratiques, mais également celles liées à la souveraineté, en préservant nos ressources économiques, environnementales et la défense de l’éducation.

La loi dite de combat aux organisations criminelles comporte deux articles importants. L’un protège davantage celui qui corrompt que le corrompu. L’autre privilégie la dénonciation récompensée. Le ministre de la Justice, qui était juge lorsqu’il a fait condamner Lula, a utilisé cette loi, qui devait être modifiée. Elle est une arme de destruction politique et non une arme de justice. Ce recours à la justice est désormais une pratique courante dans toute l’Amérique latine. Il est aujourd’hui difficile de maintenir les accusations formulées contre Lula. Mais ils le gardent en prison. Cette situation est révélatrice de mon point de vue de la crise que connaît la justice au Brésil. L’opération Lava Jato a provoqué la destruction de l’un des ciments de la démocratie. Nous sommes tous censés être égaux devant loi. C’est la base de n’importe quelle Constitution. S’il est possible de condamner et de maintenir en prison un ex-président qui a le leadership de Lula, alors tout est possible. La situation est très critique. D’où l’importance de la solidarité.

Entretien réalisé par Cathy Dos Santos
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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 07:02

Dans le Monde Diplomatique d'août 2019, un article du sociologue américain Rick Fantasia, - "La gauche cannibale" - a de quoi nous faire réfléchir.

Il montre une université américaine sociologiquement en décalage vis-à-vis de la société américaine, puisque constituée par une majorité d'étudiants et d'enseignants issus des catégories aisées ou de la classe moyenne supérieure, et qui pourtant est devenue un bastion pour la théorie de gauche critique.

Seulement, plutôt que d'encourager les étudiants à devenir militants, en développant une pratique d'organisation pour agir en dehors des campus afin de transformer les structures de la société, la nouvelle pensée dominante de gauche, où la lutte pour le droit à la différence, les "minorités" et contre les discriminations et micro-discriminations liées au genre, à l'orientation sexuelle, à la couleur de peau et à l'origine, tend à privilégier un mode d'expression de la conviction égalitariste par une forme de repentance, de culpabilité, ou de culpabilisation de toutes les micro-agressions du quotidien liées aux dominations systémiques et souvent inconscientes de l'homme blanc hétérosexuel, en remplacement de toute analyse de classe. 

"A l'heure de l'obsession identitaire, (les étudiants) préfèrent se focaliser sur les interactions sociales qui se déroulent sur leur campus. Ce choix a suscité des polémiques relatives au contenu des programmes, au déroulement des cours, ou encore au microagressions qui se produiraient quotidiennement. Les microagressions sont des tensions ou des conflits de faible intensité qui surviennent quand des étudiants issus de milieux sociaux stigmatisés se sentent lésés par des formes d'expression à leurs yeux humiliantes ou insultantes, provenant soit de personnes en position d'autorité, soit d'autres étudiants qui leur semblent issus de milieux plus favorisés. Exprimé par le "dominant", un désaccord devient souvent une micro-agression pour le "dominé". Ces petits affrontements résultent, au moins en partie, de la difficulté à faire cohabiter des étudiants aux profils sociaux parfois très éloignés. Ces dernières années, la plupart des universités privées les plus onéreuses ont en effet accru leurs aides financières aux étudiants des milieux défavorisés. L'agrégation de jeunes gens aux origines sociales disparates a logiquement augmenté la probabilité des conflits interpersonnels, souvent interprétés à travers le prisme des microagressions. (...) Autant dire qu'un étudiant qui souhaite être perçu comme un militant de la justice sociale n'a pas besoin de recourir aux pratiques politiques de ses aînés: se coordonner pour agir collectivement, construire une organisation durable, essayer de toucher des personnes extérieures aux campus, trouver des points de convergence et d'unité avec les autres, voire les persuader de changer... Il lui suffit de brandir la différence comme une valeur en soi, et de dénoncer l'ignorance et le manque de sensibilité de ceux qui lui opposent une objection ou qui lui combattent. 

Dans les établissements les plus cotés, beaucoup d'étudiants et d'enseignants sont issus de l'élite. Et même quand ce n'est pas le cas, ils observent du haut de leur campus majestueux la pauvreté, la déchéance sociale et l'exclusion qui règnent à l'extérieur. Ils éprouvent ainsi un sentiment de responsabilité, mais aussi parfois, de culpabilité envers ceux qui sont bannis de leur monde. Or, vue à travers le prisme de la race, l'inégalité est plus souvent perçue comme un privilège de Blancs que comme le produit d'une domination de classe. En admettant publiquement leurs privilèges (de race, de genre, d'orientation sexuelle, etc.) les étudiants se jugent (au moins partiellement) absous du bénéfice que ceux-ci procurent, un peu comme s'ils sortaient de leur manche une carte de Monopoly: "Vous êtes libérés de prison". De telles pratiques politiques s'apparentent à un jeu social dans lequel on obtiendrait du crédit en avouant aux autres la conscience et la honte que l'on a de ses privilèges, et en éloignant (temporairement) par là, l'accusation d'en faire usage".

Tellement vrai... Transformer la politique de justice sociale en éthique de l'égalité inter-personnelle dans la différence, c'est installer le dominant dans une certaine forme de confort où il n'a pas à se poser la question de la transformation sociale par la politique, mais sauve sa vertu simplement par la "conscience" de l'inégalité, des discriminations, et par le comportement individuel, tandis que les dominés sont censés se vivre en "victimes" du fait de leur différence où on les enferme (genre, orientation sexuelle, origine ethnique, couleur de peau) plutôt que de s'émanciper en remettant en cause ensemble une organisation sociale et économique inégalitaire dont les discriminations sociétales peuvent être perçues aussi comme des symptômes. Le prisme identitaire tend ainsi à mettre au second plan la réflexion critique sur les inégalités de classe et les moyens de les résorber. Les dominations sont multiples, toujours rattachées à l'inter-individuel et un phénomène diffus de "domination", plutôt que centrées sur l'exploitation, une organisation économique et sociale qui expliquent y compris la fonction historique du racisme et du sexisme. 

Le risque de ce type de pensée de la justice sociale et de la gauche, c'est de morceler, fragmenter la société en micro-appartenances identitaires, d'éliminer les perspectives de solidarité sociale inter-raciale, inter-sexes, inter-orientations sexuelles, d'empêcher les convergences pour la transformer de tous ceux qui y ont intérêt objectivement, d'interpréter les symptômes de la domination de classe en termes raciaux ou sexuels, de créer un discours victimaire permanent plutôt que de fonder une pratique révolutionnaire. Le sociétal remplace le social. Les micro-dominations concernant les "minorités" masquent la domination de classe touchant la majorité dans laquelle sont inclues ces "minorités".

Le prisme identitaire, ceux du droit à la différence et de la lutte contre "toutes les formes de discriminations", viennent en grande partie de l'héritage de déconstruction anti-raciste des États-Unis et ont apporté beaucoup sur le plan pratique et théorique dans le passage à la conscience d'un certain nombre de dominations sociétales et sociales du quotidien, c'est ce peut-être aussi une forme d'impasse du point de vue d'une exigence de pratique révolutionnaire collective de lutte contre le capitalisme, de transformation des conditions économiques et sociales et de la domination de classe qui est, au fond, à l'origine de toutes les autres inégalités.  La perspective sociétale de la lutte contre les inégalités liées aux différences et aux "minorités" s'accommode très bien d'une pratique politique social-démocrate ou inégalitaire d'un point de vue économique, de discours sur la discrimination positive, inégalitaires en leur principe. En France, elle a été portée par la deuxième gauche alternative, post-marxiste, rocardienne, qui a fourni ensuite ses cadres au néo-libéralisme triomphant jusqu'à produire Macron, l'humaniste éclairé travaillant au service exclusif des milieux d'affaires, avec le plus parfait mépris des classes populaires.    

Une pensée critique de gauche débouchant sur une pratique conséquente ne doit pour moi jamais déserter le "commun" des dominations et de la société à construire ensemble par-delà les différences.

Ismaël Dupont  

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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 07:00
Table ronde. Le Ceta, fuite en avant ultralibérale ou outil économique ?
Vendredi, 6 Septembre, 2019

Rappel des faits Adopté par l’Assemblée nationale, le projet de loi ratifiant le Ceta va faire l’objet d’un examen par le Sénat. Un accord lourd de menaces concernant l’impact des échanges commerciaux entre l’UE et le Canada. Avec Samuel Vandaele André Chassaigne Mathilde Dupré

 

Quelles seraient les conséquences de la finalisation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, en cours d’examen actuellement ?

Samuel Vandaele Les conséquences seraient multiples : en important l’alimentation dont nous ne voulons pas dans nos assiettes, on porte préjudice à la santé des consommateurs et on renforce leur défiance envers les politiques. On impose aussi une concurrence déloyale aux agriculteurs qui ont déjà un revenu en berne. Le Ceta mettrait donc gravement en danger le métier d’agriculteur, donc l’autonomie alimentaire de la France. Il existe un paradoxe qui nous bouleverse : nous continuons à signer des accords commerciaux qui consistent à importer des produits qui ont des standards bien inférieurs aux nôtres, alors que les Français veulent une alimentation toujours plus saine et durable. Fin 2017, consommateurs, agriculteurs, distributeurs et associations ont participé aux états généraux de l’alimentation pour planifier cette montée en gamme de façon démocratique. Or, entre les distributeurs qui ont oublié leurs promesses et obligations légales, et les politiques qui utilisent l’agriculture française comme monnaie d’échange, cette ambition est mise à mal. C’est donc un enjeu pour toute la nation.

André Chassaigne Au-delà des multiples conséquences connues sur le plan économique, social et environnemental, je retiendrai l’exemplarité que la Commission européenne veut donner à la conclusion de cet accord. ­L’ensemble du processus de négociation engagé il y a dix ans et confié à la Commission a pourtant tenu de la plus grande opacité. Mais la mobilisation de la société civile à son encontre a progressé au fur et à mesure du dévoilement de ses aspects les plus régressifs, en particulier sur son volet agricole et alimentaire, ainsi que sur le mécanisme d’arbitrage des différends pour les investisseurs. La pression a conduit progressivement les négociateurs à multiplier les études d’impacts et à intégrer un affichage sur le plan social et environnemental, y consacrant deux chapitres dans le texte final. Tout ce travail n’avait qu’un seul objectif : faire valoir « la qualité » supérieure du Ceta pour mieux préparer politiquement la conclusion des autres accords de libre-échange. Cet accord servira de modèle pour assurer la continuité d’une vision néolibérale des échanges internationaux, portée par l’OMC et l’UE. C’est en cela que l’adoption définitive ou non du Ceta est un enjeu politique fort.

Mathilde Dupré Le Ceta est déjà en application provisoire depuis septembre 2017 dans sa presque totalité. Il reste néanmoins une partie essentielle qui n’est pas encore appliquée. Il s’agit du chapitre sur la protection des investissements et le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Si le Ceta était définitivement approuvé, ce dispositif offrirait la possibilité pour les entreprises basées au Canada d’attaquer la France ou l’UE devant un tribunal d’arbitrage pour contester des lois ou des décisions qui nuisent à leurs intérêts et vice versa. Cette justice d’exception réclamée par les multinationales expose les États à des risques financiers considérables. Le montant moyen des condamnations s’élevait en 2017 à 450 millions de dollars. Et elle constitue un instrument de lobbying puissant. En France, la loi Hulot sur les hydrocarbures a ainsi été considérablement affaiblie après la menace de poursuites de la part du groupe canadien Vermilion auprès du Conseil d’État. Le sort de ce dispositif dangereux est donc clairement entre les mains des sénateurs français et de leurs homologues des pays membres qui n’ont pas encore ratifié le Ceta, notamment les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Italie. Selon les règles européennes, il suffirait en effet d’un seul vote négatif dans un pays membre pour que cette partie de l’accord n’entre jamais en vigueur. Que se passerait-il pour le reste de l’accord, déjà en application de manière provisoire ? Difficile de le dire avec certitude. Les 28 avaient annoncé au Conseil qu’ils s’engageaient à mettre fin à l’accord. Mais cette résiliation ne serait pas automatique puisqu’il faudrait tout de même une proposition de la ­Commission dans ce sens, adoptée à l’unanimité au Conseil.

Quels intérêts le Ceta sert-il pratiquement ?

André Chassaigne Il sert d’abord l’intérêt de ceux qui ont un intérêt financier de court terme ! Et cela explique que les grands groupes capitalistes transnationaux industriels, bancaires et de la finance aient été les grands invisibles de la négociation, alors que ce sont eux qui poussent à la conclusion rapide des différents accords dans le but de conquérir de nouveaux marchés de biens ou de services ou pour leurs investissements. Pour le Ceta, ce sont la finance et les secteurs énergétiques et miniers qui ont été au cœur de l’accord, conduisant à ce que le secteur agricole et alimentaire soit considéré comme une simple variable d’ajustement. Un des risques majeurs concerne l’hyperdépendance économique du Canada aux États-Unis, qui pourront se servir du Ceta comme porte d’entrée vers l’Union européenne. Au lieu de contribuer à travailler à une coopération de haut niveau et de progrès social et écologique avec le Canada, le Ceta va nous tirer vers le bas, tout en renforçant la dépendance à la politique et aux capitaux américains.

Mathilde Dupré Le Ceta, comme nombre d’autres accords, a été négocié dans une totale opacité. Cette méthode prive les représentants élus et les organisations de la société civile de la possibilité d’exercer un véritable contrôle et de peser sur le contenu, au détriment du secteur privé qui est lui beaucoup mieux associé et consulté. Cette opacité est d’autant plus difficile à justifier que le Ceta est un accord dit de nouvelle génération, qui vise non seulement à réduire les droits de douane, mais aussi et surtout à réduire les obstacles non tarifaires, c’est-à-dire les normes de protection des travailleurs, des consommateurs et de l’environnement. Enfin, le Ceta comporte une autre innovation toxique pour la démocratie. Il offre au secteur privé la possibilité d’intervenir de manière précoce dans le processus d’élaboration des futures normes de part et d’autre afin de limiter le plus possible leur impact sur le commerce.

Samuel Vandaele Le Ceta est le fruit d’une vision extrême du libre-échange. Schématiquement, ce type d’accord privilégie certains secteurs pour en satisfaire d’autres. Ici, au détriment de l’agriculture, qui ne devrait pourtant pas servir à faire du troc avec n’importe quel autre produit. Avec cet état d’esprit, on sert les intérêts d’un modèle que nous ne voulons pas. Ce que nous souhaitons, ce sont des exploitations viables, vivables et transmissibles sur un modèle familial. En France, un élevage moyen comprend 60 bovins. L’écrasante majorité des élevages canadiens ont plus de 10 000 têtes ! Je ne parle pas des farines animales, antibiotiques activateurs de croissance et des 46 substances phytosanitaires utilisées au Canada et strictement interdites en Europe. Cet accord ne sert clairement pas les intérêts des jeunes. Pourtant, avec seulement un remplacement sur deux départs à la retraite, il faut urgemment permettre le renouvellement des générations en agriculture. Cela ne sera pas possible si le métier n’est pas attractif et donc rémunérateur.

Quelles exigences porter pour faire valoir le respect des droits du monde du travail, des agriculteurs et de l’environnement dans les accords de commerce international ?

Samuel Vandaele D’abord, en sanctuarisant l’agriculture dans les négociations commerciales, pour qu’elle ne soit pas traitée comme une monnaie d’échange. Ensuite, en ayant plus d’ambition sur le volet qualitatif et environnemental : l’Europe a des standards très élevés auxquels, nous agriculteurs, nous avons consenti pour offrir une alimentation de qualité et durable. Si l’Union européenne veut vraiment être la puissance normative qu’elle souhaite être, elle doit imposer ses règles. En faisant cela, elle tirera vers le haut l’alimentation des autres continents et nous permettra de jouer à armes égales avec leurs agriculteurs. Pour cela, nous proposons également de favoriser le développement international pour aider les jeunes agriculteurs de tous les pays à structurer des filières leur permettant une montée en gamme de leurs produits, leur souveraineté alimentaire et un revenu décent. C’est en ce sens que nous nous sommes réunis en 2019 lors du sommet international des jeunes agriculteurs à Paris pour formuler des propositions en faveur d’une meilleure coopération et mieux porter cette ambition auprès des instances internationales. Les échanges commerciaux entre nous se baseront sur notre complémentarité et pas sur un antagonisme. Il faut enfin un étiquetage des produits sur leur origine pour que les gens consomment en connaissance de cause. J’invite pour cela l’ensemble des Français à soutenir cette démarche en signant la pétition « Eat Original », qui vise à la rendre obligatoire sur l’ensemble du territoire européen.

Mathilde Dupré De très nombreuses propositions ont été formulées pour revoir de fond en comble la politique commerciale, y compris par la commission d’évaluation du Ceta, nommée par le gouvernement. Il apparaît par exemple indispensable d’exiger des mesures miroirs pour soumettre les produits importés au respect des normes imposées à nos producteurs, telles que l’interdiction des farines animales dans l’élevage ou de certains pesticides dans l’agriculture. Nous devrions aussi conditionner l’octroi de tout nouvel avantage commercial à nos partenaires au respect effectif d’un certain nombre de standards internationaux en matière sociale, environnementale ou fiscale et ne favoriser que les échanges des produits et des services bons pour la société. A contrario, l’Union européenne doit fermer son marché aux importations qui contribuent à des violations des droits humains et de l’environnement, et plaider pour une refonte multilatérale des règles commerciales internationales afin de redonner aux États des marges de manœuvre pour conduire la transition écologique, sociale et démocratique.

André Chassaigne C’est le cœur du problème. Il ne faut pas se contenter de dénoncer ces accords, mais dire clairement ce que nous pourrions faire. Concernant le Ceta, plutôt que de servir de rampe de lancement à la série d’accords de libre-échange à venir, il aurait pu être un traité de maîtrise du commerce international et de l’investissement au service de la révolution écologique et sociale des deux côtés de l’Atlantique. Notre proximité socio-économique, voire culturelle, avec le Canada permettait d’initier une tout autre coopération pour répondre aux vraies urgences planétaires en se fixant des règles et des normes partagées : développer un nouveau modèle agroécologique ; construire la sortie des énergies carbonées et de la consommation effrénée de ressources minérales ; pénaliser les logiques spéculatives et lutter contre l’évasion fiscale ; finaliser des objectifs de santé ou sociaux communs avec des pôles publics dégagés des marchés. Il y a tant à faire. C’est possible. Mais nous voyons bien combien le Ceta est révélateur du fossé immense entre, d’un côté, ce que devraient être les priorités de la coopération européenne, de l’autre, l’archaïsme d’une foi néolibérale sans vision d’avenir sur laquelle continuent de se reposer la Commission et les dirigeants européens.

avec Samuel Vandaele   Président des Jeunes Agriculteurs (JA) André Chassaigne  Député PCF du Puy-de-Dôme, président du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) Mathilde Dupré Codirectrice de l’Institut Veblen

Entretiens croisés réalisés par Jérôme Skalski
Table ronde. Le Ceta, fuite en avant ultralibérale ou outil économique ? (L'Humanité, 6 septembre 2019, Jerôme Skalski avec André Chassaigne, Samuel Vandaele, Mathilde Dupré)
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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 06:50
La peinture la plus « controversée » de la série Life of Washington de Victor Arnautoff.

La peinture la plus « controversée » de la série Life of Washington de Victor Arnautoff.

Editorial du Monde Diplomatique, août 2019 - Serge Halimi

Les talibans de San Francisco

https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/HALIMI/60163

Pour bien « résister » au racisme américain, faut-il détruire les peintures murales d’un artiste communiste financé par le New Deal (1) ? La question peut paraître d’autant plus absurde que Life of Washington, l’ensemble de treize œuvres de Victor Arnautoff condamné par certains « résistants » californiens, affiche un contenu antiraciste, révolutionnaire pour l’époque. Sur une surface totale de cent cinquante mètres carrés, elles pourfendent l’hypocrisie des proclamations vertueuses des Pères fondateurs de la Constitution américaine, dont George Washington.

Malgré cela, la commission scolaire de San Francisco a voté le 25 juin dernier, à l’unanimité, l’effacement des treize peintures d’Arnautoff qui ornent les murs du lycée George Washington depuis son inauguration en 1936. Loin de rendre hommage au premier président des États-Unis, comme le suggère le nom de l’établissement auquel ces œuvres étaient destinées, Arnautoff avait eu l’insolence de représenter Washington en propriétaire d’esclaves et en instigateur des premières guerres d’extermination indiennes. Pourtant, ce n’est pas M. Donald Trump qui, par voie de tweets racistes et rageurs, a réclamé la destruction de l’œuvre démystificatrice du roman américain conçue par un muraliste communiste qui acheva sa vie en Union soviétique ; ses adversaires les plus militants se sont chargés de jouer les inquisiteurs à sa place.

Un « groupe de réflexion et d’action » de treize membres a éclairé le choix de la commission scolaire de San Francisco. Il a scellé le sort des peintures d’Arnautoff en prétendant avec aplomb qu’elles « glorifient l’esclavage, le génocide, la colonisation, le destin manifeste [l’idée que les colons protestants avaient pour mission divine de « civiliser » le continent américain], la suprématie blanche, l’oppression, etc. ».

Une telle interprétation est insoutenable : la tradition réaliste socialiste dont s’inspirait Arnautoff ne laisse en effet aucune place aux équivoques de bonne foi. Il a donc fallu assortir la décision d’un autre motif, jugé plus recevable, quoique tout aussi inquiétant. Il paraîtrait que Life of Washington, qui inclut la représentation du cadavre d’un Indien tué par des colons, « traumatise les étudiants et les membres de la communauté ». Mais alors, il faut choisir : doit-on rappeler l’esclavage, le génocide, ou les oublier ? Car comment s’assurer qu’un artiste évoquant l’histoire d’un pays ne dérangera jamais des « membres de la communauté », lesquels ont de toute façon mille autres occasions d’être quotidiennement confrontés à des scènes de brutalité, réelles ou figurées ? Guernica, de Pablo Picasso, ou Tres de mayo, de Francisco de Goya, ne sont-ils pas également violents et traumatisants ?

Pour le moment, la controverse de San Francisco mobilise surtout la fraction de la gauche américaine la plus disposée à la surenchère sur les questions identitaires (lire l’article de Rick Fantasia). Mais, étant donné que cette même avant-garde de la vertu a déjà exporté avec un certain succès quelques-unes de ses marottes les plus biscornues, autant que chacun soit prévenu...

Serge Halimi

(1Lire Evelyne Pieiller, « Quand le New Deal salariait les artistes », dans « Artistes, domestiqués ou révoltés ? », Manière de voir, n° 148, août-septembre 2016.

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7 septembre 2019 6 07 /09 /septembre /2019 07:26
Photo L'Humanité : Camilla Vallejo et Karol Cariola

Photo L'Humanité : Camilla Vallejo et Karol Cariola

Camila Vallejo et Karol Cariola. Pour Travailler moins, au Chili
Jeudi, 5 Septembre, 2019

Les femmes du jour. 

 

Elles avaient déjà fait parler d’elles en 2011 lorsque le Chili était secoué par une révolte estudiantine contre la marchandisation de l’éducation. Camila Vallejo était alors présidente de la Fédération estudiantine chilienne (Fech), et Karol Cariola, secrétaire générale des Jeunesses communistes. Visages de cette vague de protestation contre le néolibéralisme imposé avec terreur par le dictateur Augusto Pinochet, elles ont été élues députées en 2014, puis réélues en 2017. Les deux parlementaires communistes, respectivement âgées de 31 et de 32 ans, sont de nouveau sur le devant de la scène politique avec leur projet de loi visant à réduire la semaine de travail de 45 heures à 40 heures. Depuis plusieurs semaines, elles défendent une autre conception du travail pour ne pas mourir à la tâche dans un pays où la concurrence libre et non faussée est gravée dans le Texte fondamental. Lundi, elles ont remporté une première bataille, après que la commission travail de l’Assemblée a donné son feu vert à leur initiative. Non sans mal. La majorité de droite, qui voit dans cette proposition la ruine de l’économie nationale, déverse haine et mensonges selon lesquels les Chiliens paieront le prix fort, avec des baisses de salaires et des suppressions d’emplois. Le président et multimillionnaire Sebastian Piñera est l’un des principaux détracteurs de la démarche. « Le projet des députées du PC n’est pas constitutionnel », a-t-il osé déclarer, en promettant de « ne pas rester les bras croisés ».

Cathy Dos Santos
Affiche de campagne de Camilla Vallejo

Affiche de campagne de Camilla Vallejo

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4 septembre 2019 3 04 /09 /septembre /2019 05:08

 

Les incendies qui ravagent l’un des poumons verts de la planète ont ouvert une « crise internationale », d’après Emmanuel Macron. Mais les dirigeants du G7, réunis à Biarritz, sont loin d’être à la hauteur face à l’urgence climatique.

Jacques Chirac avait lancé « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Les feux qui ravagent l’Amazonie se sont invités au G7, qui se tient à Biarritz jusqu’à demain sous présidence française. Mardi dernier, l’Institut de recherches spatiales brésilien a estimé que les incendies de forêt avaient augmenté de 84 % au cours des sept derniers mois. Le déni du président brésilien d’extrême droite, Jair Bolsonaro, qui a limogé le directeur de ce même institut début août (avant, dans un premier temps, d’attribuer les départs de feu aux « actions criminelles d’ONG-istes ») a renforcé l’inquiétude et l’indignation internationale.

Un G7 illégitime et impuissant

La forêt amazonienne est l’un des poumons verts de la planète. Logique donc que sa destruction entraîne une telle mobilisation internationale, des lycéens, qui ont manifesté vendredi devant les ambassades du Brésil, aux différents chefs d’État. Le président français, Emmanuel Macron, s’est saisi de l’occasion pour inscrire le sort de l’Amazonie au menu du sommet du G7. Un moyen de répondre au procès en illégitimité et en impuissance du club des grandes puissances dites démocratiques. Ces pays devraient donc s’engager à fournir des fonds pour œuvrer à la reforestation de l’Amazonie. Selon le président français, hier, les sept seraient parvenus à un accord pour « aider le plus vite les pays qui sont frappés ». Pourtant, le G7 s’avère bien en mal en point pour régler le problème, plus sûrement du ressort de l’ONU. Hormis la France, par l’intermédiaire de la Guyane, aucun pays d’Amérique latine ne siège à la table.

D’un côté, le président brésilien a eu beau jeu de dénoncer une « mentalité colonialiste du XXIe siècle ». En nationaliste, Jair Bolsonaro estime que son homologue français « instrumentalise une question intérieure du Brésil ». Il réagit à la menace proférée par Emmanuel Macron de bloquer la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur, pour contraindre le Brésil à respecter ses engagements climatiques. De l’autre côté, le président français, apôtre d’un libre-échangisme destructeur pour les écosystèmes et l’atmosphère, a, lui aussi, beau jeu de se mettre en scène comme défenseur de l’environnement et opposant à un dirigeant d’extrême droite.

l’UE divisée sur le blocage de l’accord mercosur

La menace de blocage d’Emmanuel Macron a été diversement appréciée au sein de l’Union européenne. « Il n’y a pas moyen que l’Irlande vote pour l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur si le Brésil ne respecte pas ses engagements environnementaux », a ainsi prévenu Leo Varadkar, le premier ministre irlandais. Une position qui a subi un tir de barrage d’autres dirigeants du Vieux Continent, tel le chef du gouvernement de l’Espagne, Pedro Sanchez, qui voit dans le traité commercial « des opportunités énormes pour les deux blocs régionaux ». L’Allemagne, dont l’économie est à la peine du fait d’une contraction de ses exportations en direction des pays émergents, a par la voix d’un porte-parole gouvernemental déclaré que « l’échec de la conclusion de l’accord Mercosur ne contribuerait pas à réduire le défrichement de la forêt tropicale au Brésil ».

L’annonce présidentielle française s’inscrit pleinement dans la ligne Macron, en matière de politique extérieure. Celui-ci veut démontrer que, face aux peurs contemporaines qui nourrissent les replis nationalistes (migrations, environnement), les démocraties libérales ne sont pas impuissantes. Les dirigeants du G7 ont donné des gages à leurs opinions publiques respectives. Pourtant, leur discours sonne faux. Donald Trump a annoncé la conclusion en septembre d’un accord avec le Japon. Macron mime l’opposition à un accord avec le Mercosur dont il sait qu’il est impopulaire. En réalité, il n’en rejette pas le contenu, se contentant de suspendre sa ratification à des fins de diplomatie et de communication. De plus, il a fait approuver par le Parlement, en plein mois de juillet, l’accord Union européenne-Canada, le Ceta, qui avant même son approbation définitive est entré en vigueur. Bilan : un rapport du gouvernement canadien constatait, en décembre 2018 un bond de 63 % des exportations canadiennes de combustibles minéraux et d’hydrocarbures en direction de l’Europe. Pas un modèle de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre !

Pour masquer ces incohérences, les Sept doivent s’entendre, communication oblige, sur une mesure concrète pour lutter contre le réchauffement climatique. Une « coalition de projet » – selon la novlangue macronienne – unira les États et certaines entreprises pour diminuer la vitesse des porte-conteneurs. « Nous allons nous engager avec les transporteurs maritimes pour réduire la vitesse », a annoncé samedi le président français. Cela devrait permettre une réduction des émissions issues du commerce maritime, qui ne pèse que pour 3 % des émissions totales. Si cette mesure tape-à-l’œil a pour avantage d’être effective immédiatement, elle permet en revanche de ne pas en traiter d’autres, comme celle de la composition du carburant des porte-conteneurs. De plus, pas sûr qu’elle voie le jour : elle fait toujours face à une opposition de certaines puissances maritimes.

des dirigeants complices de la déforestation

Quoi qu’il en soit, les annonces des dirigeants du G7 demeurent très en deçà des impératifs climatiques. « Cela n’efface en rien la responsabilité des pays du G7, qui ne font toujours pas d’efforts pour réduire leurs émissions », a ainsi réagi Cécile Duflot, l’ancienne ministre du Logement aujourd’hui directrice d’Oxfam France. Car le brasier amazonien ne doit rien au hasard. Victime de la déforestation galopante, la forêt laisse place à d’immenses pâturages à destination de l’élevage bovin, dont le Brésil est le premier exportateur mondial – 1,64 million de tonnes exportées en 2018, un record – et l’Union européenne, l’un de ces principaux clients (derrière la Chine et l’Égypte). Idem en ce qui concerne les plantations de soja à l’export, qui couvrent plus de 6,5 % de la surface déboisée d’Amazonie. Dans un tel contexte, Clément Sénéchal, chargé de campagne climat à Greenpeace France, redoute le simple exercice de communication du président français, alors qu’il « continue de soutenir, en France et en Europe, une politique agricole basée sur l’élevage intensif et l’importation massive de soja ».

« Entre 12 % et 15 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde » sont dues à la déforestation, note le Réseau Action Climat (RAC). Or, le réchauffement climatique global est aussi un facteur aggravant des incendies en Amazonie. Et si, face à l’urgence, les dirigeants du G7 s’obligent à réagir, ils sont, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, très loin de respecter leurs ambitions affichées. En tête des très mauvais élèves, les États-Unis du climatosceptique Donald Trump n’ont aucune intention de relever leurs objectifs climatiques. Pire, Washington, sorti de l’accord de Paris, a « reculé sur les principales politiques et mesures qui permettaient de réduire leurs émissions », souligne le RAC. Quant aux pays de l’Union, France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni se sont contentés de soutenir le principe d’une relève des objectifs de réduction de leurs émissions, mais sans aucune précision chiffrée. De son côté, le Japon, lui, a clairement rejeté le principe. En parallèle, tous les pays du G7 continuent, par milliards de dollars, de financer les énergies fossiles très polluantes. Elles sont, par exemple, quinze fois plus subventionnées que les énergies renouvelables au Canada. En somme, résume l’économiste Maxime Combes (Attac) « le G7 et son monde, c’est celui de ceux qui prétendent résoudre les problèmes qu’ils contribuent à générer et amplifier ».

Marion d’Allard et Gaël De Santis

 

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2 septembre 2019 1 02 /09 /septembre /2019 18:59

Israël doit cesser ses surenchères guerrières (PCF)


Depuis plusieurs semaines, Israël multiplie les surenchères guerrières et les frappes aériennes contre les positions iraniennes et celles de ses alliés au Moyen-Orient. Les bombardements récurrents en Syrie s'élargissent désormais à l'Irak et au Liban. En juillet, Bagdad a dénoncé ces actes d'agressions interdisant le survol de son territoire aux armées étrangères tandis que ces derniers jours le sud de Beyrouth étaient survolés par des drones israéliens provoquant de graves destructions. Le président Michel Aoun avait évoqué un acte de guerre sans précédent depuis 2006. Dimanche, une étape nouvelle dans les affrontements a été franchie par un échange de tirs entre l'armée israélienne et le Hezbollah. Le premier ministre libanais Saad Hariri en appelle désormais à Paris et à Washington.


Ces confrontations s'inscrivent dans le cadre des tensions américano-iraniennes depuis que Donald Trump s'est retiré de l'accord sur le nucléaire. Des sanctions maximales, aux effets dévastateurs, ont plongé Téhéran et le peuple iranien dans le désastre économique.


L'escalade et les provocations se poursuivent dans le détroit d'Ormuz menaçant la région d'un embrasement généralisé. De nombreux pays commencent à prendre la mesure des dangers d'une conflagration alors que les appels au dialogue se multiplient afin de sortir de cette impasse mortifère. Israël voit dans ces affrontements l'opportunité de porter des coups décisifs à l'Iran, au Hezbollah libanais mais aussi à la résistance du peuple palestinien.

Tel-Aviv attise, par ses attaques, une fuite en avant belliciste et tente de saborder les tentatives fragiles de médiation dans cette crise. B. Netanyahou, confronté à des difficultés intérieures à l'occasion des prochaines législatives, espère également engranger les bénéfices d'une politique qui saborde toutes perspectives de paix.


Le PCF condamne avec la plus grande fermeté les bombardements israéliens en violation de la légalité internationale confortant la colonisation et l'annexion des territoires palestiniens de Cisjordanie et Gaza. Le PCF appelle la France mais aussi les pays de l'Union européenne à agir pour désavouer et sanctionner la politique d'Israël en suspendant l'accord UE-Israël dont Tel Aviv viole l'article 2 sur le respect des droits humains et du droit international.


Parti communiste français,


Paris, le 2 septembre 2019.

Israël doit cesser ses surenchères guerrières (PCF, 2 septembre 2019)
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2 septembre 2019 1 02 /09 /septembre /2019 05:08

 

Alors que les taux d’intérêt sont historiquement bas, et même négatifs, les États restent arc-boutés sur leur dogme et refusent de dépenser pour faire repartir la machine économique.

L’état s’endette pour financer la fiscalité des plus riches

Pourtant, avec de telles marges de manœuvre, les États pourraient investir, développer les services publics. La France, par exemple, avec un taux à – 0,4 % sur dix ans, comme le mois dernier, ne remboursera pour un emprunt de 100 000 euros que 96 000 euros. Ainsi, la charge de la dette (les intérêts d’emprunt) devrait être allégée de 2 milliards d’euros cette année par rapport aux prévisions de la loi de finances, a annoncé mardi le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Elle pourrait même baisser de 22 milliards d’euros d’ici à 2021, si la tendance était durable, selon le rapporteur du budget à l’Assemblée nationale. Des enveloppes que les pays d’Europe ne souhaitent pas utiliser. Bercy pointe « la réduction des recettes fiscales » qui « l’emporte sur la réduction de la charge de la dette », avant d’affirmer que, par conséquence, « il n’y aura aucune cagnotte budgétaire liée à la diminution des taux d’intérêt ». En d’autres termes, l’État continuera à s’endetter pour financer les mesures fiscales favorisant les plus riches. Pour rappel, les allégements de la fiscalité du capital entrés en vigueur le 1er janvier 2018 coûtent 4,5 milliards d’euros par an au budget de l’État, selon les calculs de la fondation Jean-Jaurès. Or, même chez les libéraux – de Mario Draghi, le président de la BCE, au rédacteur du programme économique d’Emmanuel Macron, Jean Pisani-Ferry –, des voix s’élèvent pour un assouplissement budgétaire. Car le modèle allemand imposé à toute l’Europe via des traités pensés pour limiter dépenses et investissements, en espérant que le commerce extérieur et les exportations viennent au secours de la croissance, tourne, avec la guerre commerciale, au marasme économique. « Les politiques budgétaires qui consistent à dépenser moins pour les services publics affaiblissent les bases les plus solides de l’économie, empêchent le développement de capacités nouvelles et entretiennent la déflation. Elles doivent être critiquées sans réserve », dénonce Denis Durand, économiste du PCF. Tant les besoins sont énormes, estiment les deux économistes. « L’objectif n’est pas la croissance, c’est celui de l’emploi et de la réponse aux besoins massifs pour réaliser la transition écologique. Mécaniquement, cela générera de la croissance économique », promet Jonathan Marie. Sur ce dernier point, Denis Durand est de son côté plus réservé. « Beaucoup de gens comprennent la contradiction qui est à l’œuvre aujourd’hui. Ce qui est en jeu, notre bien commun, c’est le climat mais il est géré par des intérêts privés qui captent les richesses. Au contraire, pour réussir cette transition, il est nécessaire que les travailleurs soient extrêmement autonomes, bien informés, capables d’initiatives. Car le capital ne peut pas choisir de développer les capacités humaines sinon ce n’est plus le capital. La réponse ne peut être que politique. »

L’économie mondiale ralentit. La récession guette l’Europe. Pourtant, les taux d’intérêt, instrument roi de la politique monétaire pour empêcher l’effondrement, n’ont jamais été aussi bas. La situation, commune à ceux qui se réuniront ce week-end à Biarritz pour le G7, est inédite. Les théories économiques keynésiennes ou libérales dysfonctionnent. La baisse des taux d’intérêt s’accompagne d’une hausse des prix à la consommation très faible et non d’une poussée inflationniste. C’est la panne. « Conséquence directe de l’incohérence des politiques économiques mises en place depuis la crise financière de 2008, analyse Jonathan Marie, professeur d’économie à Paris-XIII, membre du collectif des Économistes atterrés. La politique monétaire très expansionniste qui permet aux banques d’obtenir des liquidités (de l’argent) à un prix extrêmement faible pour relancer le crédit des entreprises et des ménages en vue de soutenir l’économie réelle n’a pas fonctionné, car la politique budgétaire en Europe a été très récessive. » Et sans critère, l’injection massive de liquidités par les banques centrales, et particulièrement celles de la zone euro, a servi à doper la finance. Les entreprises ont préféré utiliser ces fonds pour effectuer des rachats d’actions et gonfler artificiellement les dividendes. Les ménages, eux, ont placé cette manne dans l’immobilier. Résultat, l’économie stagne, les bulles spéculatives se créent ou se développent.

Clotilde Mathieu

 

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2 septembre 2019 1 02 /09 /septembre /2019 05:07

 

Le 22 août, cela fera six mois que l’Algérie est secouée par une contestation citoyenne qui ne donne aucun signe d’essoufflement, avec pour dominante une revendication de changement radical du système politique. 

Plus connue sous l’appellation de « Hirak » (Mouvement) que « révolution du sourire », cette lame de fond populaire ayant débuté le 22 février, a provoqué la chute du gouvernement Bouteflika le 2 avril, l’annulation des scrutins présidentiels du 18 avril et du 4 juillet et la mise hors d’état de nuire du clan politico-oligarchique sur lequel reposait son pouvoir.  Accusés de « complot », Said Bouteflika, frère et éminence grise du président ainsi que les généraux Mohamed Mediene et Tartag, ex-chefs du redoutable DRS (services, un Etat dans l’Etat) sont sous les verrous. Des affairistes et oligarques, dont Ali Haddad, le patron du FCE (Medef algérien), deux anciens chefs de gouvernement – Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal – l’ex-chef de la sureté nationale le général Hamel, plusieurs ministres, des walis (préfets), des hauts fonctionnaires et des chefs d’entreprises publiques, sont mis en détention provisoire pour faits de corruption et dilapidation de l’argent public... 

Depuis, pas un jour ne passe sans que des hauts fonctionnaires – magistrats, policiers, sous-préfets…- ne viennent grossir la liste de cette traque à la corruption lancée à la suite d’un discours du chef d’état-major de l’armée, le général Gaid Salah, qui incarne de fait le vrai pouvoir. Ses discours, largement médiatisés et commentés par les médias publics et les chaînes de télé privées arabo-islamistes – Ennahar et Echourouk en particulier – rythment l’actualité. Mais sans parvenir à convaincre les algériens du bien-fondé de cette opération « main propre » à l’algérienne : en effet, elle n’a touché que les politiques et affairistes connus pour leur proximité avec l’ancien clan présidentiel. 

Bien plus, cette opération a été entachée par les arrestations pour « complot » contre l’armée (et non pour corruption) des ex-généraux Hocine Benhadid et Ali Ghediri, ce dernier  candidat à l’élection présidentielle du 18 avril et du vétéran de la guerre d’indépendance nationale, le commandant Lakhdar Bouregâa (86 ans), tous trois connus pour leur opposition au général Gaid Salah. Arrestations aussi des porteurs de l’emblème berbère (amazigh), et ce, depuis que le général Gaid Salah a estimé que tout autre emblème que l’emblème national portait atteinte à l’unité nationale. Les conseillers du chef d’état-major escomptaient-ils raviver de vieux clivages entre arabophones et berbérophones sur lesquels le FLN post-indépendance a tenté de se reconstruire en niant les fondements identitaires algériens ? 

Il n’empêche, ce raidissement soudain du pouvoir politique sur fond de stratégie de division du mouvement populaire visant, entre autres, à pousser tout ou partie de ce dernier à la faute,  n’a pas eu l’effet escompté. Ni les effets du mois de jeûne du ramadan de mai-juin, ni les fortes chaleurs qui ont plombé l’été algérien – une moyenne de 35 degrés à l’ombre – et les offres de dialogue du pouvoir centrés sur l’organisation d’une élection présidentielle comme unique option de sortie de crise, n’ont eu d’impact sur un mouvement populaire pour lequel le départ du système et la libération des détenus d’opinion, scandés chaque vendredi par des centaines de milliers de personnes et le mardi par les étudiants, à travers pratiquement toutes les grandes villes du pays reste le fait dominant. Pour le général Gaid Salah, campant sur ses positions, « toutes les revendications populaires » ont été satisfaites et il est temps d’organiser une élection présidentielle dans les plus délais brefs.   

C’est à cette tâche que s’est attelé le panel de six personnalités présidé par Karim Younès, ex-président de l’assemblée nationale et opposant à Bouteflika, qui a cru gagner la confiance des algériens en revendiquant des mesures d’apaisement – la libération des détenus d’opinion dont celle du commandant Bouregâa – sinon il ne pourrait mener ce dialogue avant de se raviser, suite au « niet » du général Gaid Salah. Refus qui a entraîné la démission de deux membres du panel dont l’économiste Smail Lalmas. Et le moins qu’on puisse dire est que non seulement ce panel a essuyé des refus de personnalitésà faire partie d’une instance de médiation ad-hoc comme celle de l’icône de la Bataille d’Alger, Djamila Bouhired, mais depuis il donne l’impression de patauger, allant jusqu’à s’entourer de personnes au passé politique peu clair dont plusieurs connues pour avoir soutenu Bouteflika à briguer un 5e mandat ou appartenu à la mouvance islamiste dite modérée. 

Six mois après, bien que la configuration socio-politique ait changé et qu’il y ait désormais un avant et un après 22 février, aucune solution ne semble se dessiner. Chaque camp – d’un côté, le pouvoir de fait, à savoir l’armée, plus que jamais en première ligne, de l’autre le Hirak soutenu par les partis de l’alternative démocratique (gauche et démocrate) – campe sur ses positions. L’Algérie se trouve dans une impasse politico-institutionnelle. Et à la veille d’une rentrée sociale que d’aucuns annoncent chaude, ce vendredi 23 août connaitra sans doute une mobilisation exceptionnelle, prélude aux grandes manifestations attendues du mois de septembre et qui prendront sans doute une coloration plus sociale, certains problèmes – chômage, précarité, hausse du coût de la vie, relance de la machine économique – arrivés à maturité nécessitent un début de solution que le gouvernement actuel rejeté par les algériens est dans l’incapacité de mettre en œuvre.

 1 Ce dernier, qui a révélé que le chef de l’Etat par intérim avait donné son accord avant d’être recadré par le général Gaid Salah, a fait état de divergences au sein du pouvoir politique

 

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2 septembre 2019 1 02 /09 /septembre /2019 05:06

 

Le gouvernement s’est accordé un vibrant satisfecit après les annonces de la baisse du taux de chômage. Pourtant, ce taux semble être un instrument de plus en plus contestable pour mesurer la réalité économique et sociale.

Après la publication par l’Insee la semaine passée du taux du chômage pour le deuxième trimestre 2019, le gouvernement et ses partisans se sont accordé un satisfecit appuyé. L’institut de Montrouge a annoncé le 14 août un taux de chômage moyen de 8,5 % entre avril et juin, soit 0,4 point de moins qu’il y a un an pour le même trimestre de 2018. En France métropolitaine, le taux atteint 8,2 %, soit 0,2 point de moins qu’au premier trimestre et 66 000 chômeurs de moins. Les défenseurs de la politique gouvernementale de flexibilisation du marché du travail et de baisse de son coût ont alors crié à la preuve du succès de ces mesures. La ministre de l’emploi, Muriel Pénicaud, s’est même fendue en pleins congés du gouvernement d’un communiqué pour se féliciter des résultats de « l’action résolue et cohérente du gouvernement, et notamment des transformations du code du travail, de l’apprentissage et de la formation professionnelle ». L’économiste-conseiller d’Emmanuel Macron Gilbert Cette a proclamé que désormais la France pouvait voir son taux de chômage baisser avec une croissance assez faible et qu’il fallait y voir un effet des réformes.

Pourtant, les choses pourraient être beaucoup moins simples qu’il n’y paraît. L’éditorialiste d’Alternatives économiques Guillaume Duval a ainsi souligné avec justesse que la baisse du deuxième trimestre était en réalité due à un recul du taux d’activité, qui est passé de 72,2 % à 72 % de l’ensemble de la population des 15-64 ans. Autrement dit, il y a moins de chômeurs parce que de plus en plus de personnes renoncent à chercher un emploi et basculent dans l’inactivité. Voilà qui, effectivement, relativise le « succès ». Non sans raison, d’autres ont aussi mis en avant le fait qu’une baisse du chômage accompagnée d’une faible croissance est le signe inquiétant à moyen et long terme d’une dégradation de la productivité de l’économie. Certains, enfin, pouvaient pointer la progression du « halo du chômage », autrement dit du nombre de personnes qui ne sont pas intégrées dans les statistiques du chômage parce qu’officiellement inactives mais qui cherchent néanmoins un emploi : 63 000 de plus, soit autant que la baisse officielle du nombre de demandeurs d’emploi.

Certes, on pourrait s’interroger sur une forme de mauvaise foi liée à ces contestations. Lorsque le thermomètre ne donne pas une mesure satisfaisante, on peut être tenté de le briser ou de le relativiser par d’autres types de mesures. Mais en réalité, ces contestations mettent bien en évidence le fait que le taux de chômage pourrait ne plus être le bon instrument, ou du moins ne plus être le seul, pour mesurer la réalité du marché du travail. Rappelons que ce taux mesure la proportion dans la population active du nombre de personnes sans emploi, immédiatement disponibles pour occuper un poste et qui recherchent activement un emploi. Au sens du Bureau international du travail (BIT), être « sans emploi » signifie ne pas avoir travaillé une heure par semaine. Les mutations du travail dans le contexte néolibéral tendent progressivement à rendre la réalité décrite par ce « taux de chômage » très incomplète pour évaluer tant l’activité économique que la situation sociale d’un pays.

Au reste, la question n’est pas que française. Depuis une dizaine d’années, le chômage a beaucoup baissé dans bien des pays occidentaux, notamment dans trois grandes économies : les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Pourtant, ces baisses s’expliquent moins par des performances économiques exceptionnelles, puisque, globalement, les taux de croissance sont restés plutôt modérés, que par des modifications majeures du marché du travail lui-même.

Le cas de l’Allemagne est de ce point de vue intéressant. En septembre 2017, une étude de l’économiste Michael Burda de l’université Humboldt de Berlin attribuait le « miracle de l’emploi » allemand à deux phénomènes : le développement du temps partiel qui a permis une réduction de facto du temps de travail et la modération salariale. Autrement dit : le taux de chômage a baissé parce que les travailleurs allemands ont travaillé moins pour moins cher. Entre 2008 et 2018, selon les données de l’institut IAB de Nuremberg, le volume global d’heures travaillées a ainsi progressé de 8,8 %, mais le nombre de personnes en emploi a, lui, crû de 11,7 % et le taux de chômage a, de son côté, reculé de 8,1 % à 3,5 %. Autrement dit, l’évolution du taux de chômage a donné une vision déformée de la performance globale de l’économie allemande. Pour ne rien dire de la situation sociale : avec un taux de chômage près de trois fois moins élevé, l’Allemagne affiche un taux de personnes en risque de pauvreté selon Eurostat plus fort que la France (16,1 % contre 13,7 % pour la France en 2017). Mieux même : ce taux a progressé à mesure que le chômage baissait…

Aux États-Unis, le taux de chômage a aussi reculé spectaculairement, passant de 10 % en octobre 2009 à 3,6 % actuellement. Là encore, l’apparence du plein emploi est complète. Sauf que, en regardant de plus près, on constate que le nombre d’employés de 15 à 64 ans n’a progressé en dix ans que de 1,15 million de personnes alors même que la population des 15-24 ans a progressé de 9,1 millions d’individus ! Difficile dans ce cadre de parler comme on l’entend souvent de « plein emploi » outre-Atlantique. Autrement dit, le taux de chômage ne reflète que très imparfaitement ici aussi la performance économique et sociale du pays. Pire même, il est le reflet de la très faible croissance de la productivité américaine depuis la crise. Les exemples de ce type pourraient être multipliés. Progressivement, le taux de chômage peine de plus en plus à remplir son rôle d’outil de mesure de l’efficacité d’une économie.

Voilà trente ans, un taux de chômage bas signifiait presque à coup sûr que l’économie tournait à plein régime et pouvait ainsi créer des emplois. Il était aussi une forme de mesure du bien-être car l’emploi se traduisait par une sécurité financière accrue. La raison en était simple : l’emploi créé l’était alors à temps plein, il était protégé, et à durée indéterminée. Le taux de chômage était donc une mesure de prospérité et de bien-être. Désormais, l’emploi étant plus flexible et précaire, le taux de chômage tel que défini par le BIT n’a plus la même signification. Un travailleur à temps partiel ou qui a travaillé quelques jours peut cesser d’être statistiquement chômeur alors qu’il est toujours à la recherche d’un emploi et qu’il dispose de faibles revenus. Le plein emploi statistique ne dit alors plus forcément grand-chose de l’état de l’économie.

L’avenir d’une illusion…

C’est dans ce contexte que s’inscrit un des principaux débats qui secoue aujourd’hui la science économique autour de la « courbe de Phillips » et du taux de chômage naturel. En 1958, l’économiste néo-zélandais William Phillips avait établi à partir des données britanniques une courbe qui porte depuis son nom et qui décrit une relation inverse entre chômage et inflation. Plus le chômage est bas, plus l’inflation augmente via les salaires. Plus il est élevé, plus les prix tendent à rester sages. Cette courbe a connu de nombreuses interprétations, mais le consensus utilisé par les banques centrales depuis les années 1980 était que l’on devait faire un choix, en conséquence, entre l’inflation et le chômage. Or, sous l’influence des monétaristes, on a donné la priorité à la lutte contre l’inflation en cherchant par la politique monétaire à parvenir à un taux de chômage « naturel » appelé « NAIRU » (« non-accelerating inflation rate of unemployment »). À ce niveau (théorique) de chômage, l’inflation n’est plus censée accélérer parce que le marché du travail a trouvé son équilibre. Mais ce NAIRU n’est pas le plein emploi : pour que les deux notions coïncident, il faut, selon les économistes, réaliser des « réformes structurelles » pour permettre un fonctionnement du marché du travail parfait et donc un équilibre optimal.

Depuis quarante ans, ces deux notions sont l’alpha et l’oméga des politiques économiques et monétaires. Les réformes défendues par Emmanuel Macron n’ont pas d’autres ambitions que l’application de cette théorie. Puisque le taux de chômage français est élevé, il faut abaisser le taux d’équilibre par des réformes, ce qui revient à faire jouer davantage l’offre et la demande. D’où la flexibilisation du marché du travail qui, selon cette théorie, permettra de faire baisser le taux de chômage et, donc, en parallèle, à mesure que l’on se rapproche du taux d’équilibre, de renforcer les revendications salariales des individus. Aussi Muriel Pénicaud peut-elle se réjouir de la baisse du taux de chômage qui serait bien une mesure du bien-être puisque l’emploi serait alors plus abondant et mieux rémunéré. Mais tout ceci est théorique. Car, dans les faits, on peine à identifier la courbe de Phillips et le NAIRU. On ne compte plus, en effet, les études sur la « mort » de la courbe de Phillips, pour la nier ou l’avancer. Une chose semble cependant certaine : l’exemple américain ou allemand laisse perplexe.

Inflation et chômage aux États-Unis. © FRED, Federal Reserve of Saint-Louis

Car, dans ces pays, le plein emploi ne s’est pas accompagné de pressions salariales fortes. Loin de là. Aux États-Unis, le taux d’inflation a reculé pendant les cinq premières années de la baisse du chômage. Il est ensuite resté très modéré. Le taux d’inflation actuel est de 1,8 % pour un taux de chômage de 3,6 %, alors même qu’en 2008 avec un taux de chômage de 4,5 %, la hausse des prix dépassait 3 %. Le phénomène est encore plus frappant en Allemagne, où on ne constate aucune accélération de l’inflation au cours des dix ans qui ont conduit le pays au plein emploi. Après une rapide envolée en 2016, la croissance des salaires réels allemands s’est stabilisée autour de 1 % et tend même à s’affaiblir. Fin 2018, le taux de chômage allemand a atteint son niveau de 1980, 3,3 %. Mais en 1980, l’inflation hors énergie et alimentation (celle donc qui peut être attribuée aux salaires) était de 5,3 % contre 1,2 % en 2018…

Il faut donc se rendre à l’évidence : la courbe de Phillips a du plomb dans l’aile. On constate actuellement une anomalie inverse de celle des années 1970. À l’époque, les salaires et le chômage augmentaient de conserve. Aujourd’hui, le chômage baisse sans réelle dynamique salariale de fond. C’est peut-être parce que la mesure du plein emploi par le taux de chômage n’est plus pertinente. Le plein emploi statistique laisse en effet de nombreux travailleurs insatisfaits de leurs conditions de travail et de rémunération, sans compter ceux qui, découragés, sont formellement inactifs mais qui peuvent à tout moment revenir sur le marché du travail (le fameux « halo du chômage »). « L’armée de réserve » est donc bien là et elle pèse sur la demande d’emploi qui est, en réalité, plus élevée que ne le laisse penser le taux de chômage.

Cette illusion statistique conduit en quelque sorte à la création d’un équilibre sous-optimal. Le plein emploi n’empêche pas la concurrence entre les travailleurs et la pression sur les salaires. Et comme le travail est bon marché et abondant, les entreprises limitent leurs gains de productivité et donc leurs investissements productifs. Ce qui, en retour, obère la croissance future. Les néolibéraux défendront sans doute l’idée qu’il faut alors encore plus de réformes pour trouver le bon équilibre, mais c’est une fuite en avant très risquée. Au point que, même à la Réserve fédérale, on commence à s’interroger sur les notions de plein emploi et de NAIRU. On n’hésite plus à penser qu’il est nécessaire de stimuler l’activité, y compris avec un taux de chômage à 3,6 %… C’est du reste ce qu’a fait la BCE malgré un taux de chômage bas en Allemagne, sans créer, on l’a vu, de pression inflationniste.

Le taux de chômage classique ne semble donc plus réellement pertinent. Il n’est qu’un moyen très imparfait de définir l’état d’une économie et, encore plus, un bien-être social. Un plein emploi statistique acquis à coups de modération salariale, de précarisation de l’emploi et de réduction du temps rémunéré de travail est en réalité une machine à creuser les inégalités. Là encore, les exemples allemand, américain et britannique le montrent assez clairement. Il y a alors un paradoxe : plus le taux de chômage est bas, plus le risque de mécontentement social peut être important. Dans une tribune récente publiée dans Le Monde, la sociologue Dominique Méda rappelle que « les mauvais emplois ont un coût social » et politique. Or les réformes néolibérales font le choix du plein emploi statistique au détriment de cette qualité de l’emploi. Tout est bon, tant qu’on a un travail, même précaire, même mal payé. Et, pour enfoncer le clou, on réduit les indemnisations chômage afin que cette vérité soit vérifiée. La pierre angulaire des réformes Hartz en Allemagne était précisément la réduction de la durée d’indemnisation et le renforcement de l’obligation de prendre un emploi pour les chômeurs de longue durée. C'est la voie suivie avec la réforme du chômage par le gouvernement français. Mais ce chemin est des plus dangereux. On comprend aisément pourquoi : le mécontentement ne peut que naître du contraste entre une situation présentée comme idéale, le plein emploi, et la réalité sociale vécue.

Il serait donc urgent de relativiser le taux de chômage et de cesser de le voir comme un indicateur de performance économique et de bien-être. Il est, au contraire, utile de le compléter par d’autres données : taux d’activité, salaires, mesures des inégalités, qualité des emplois. Mais la pratique politique est bien loin d’une telle nuance. L’obsession du taux de chômage, la promesse que les délices de la prospérité accompagnent sa baisse, tout cela est, il est vrai, politiquement plus vendeur. Cela permet aussi de mieux « vendre » la poursuite des réformes néolibérales qui pourraient pourtant bien être à l’origine de l’inefficacité du taux de chômage… Il y a donc fort à parier que le gouvernement continuera à n’avoir comme objectif que la baisse de ce taux. Quel qu’en soit le risque.

 

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