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8 mars 2020 7 08 /03 /mars /2020 20:09
La chronique cinéma d'Andréa Lauro - Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, Partie 3

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance

Premières parties de l'article Andréa Lauro sur Visconti:

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance - partie 2 La guerre et le Néoréalisme : Ossessione

 

Partie 3

La fin de la guerre et le retour de Verga: La terra trema


Ossessione est reconnu comme la pierre angulaire du néoréalisme, et il est aussi l’un des films appartenant au genre qui en respectent moins les canons (si de genre et canons on peut parler, étant donné les divergences entre les différents auteurs), et qui poursuit moins les objectifs de pur témoignage social, malgré l’impact et le tumulte politique provoqués. Cependant, à la fin de la guerre, la résistance et l’engagement communiste sont le moteur des efforts cinématographiques de Visconti.

En 1945, il participe à Giorni di Gloria, documentaire collectif dirigé avec De Santis et autres cinéastes. Giorni di Gloria est un film à mi-chemin entre objectivité et célébration, dédié "à la lutte partisane et à la renaissance nationale", un collage de films et de photographies né pour rendre l’image de l’Italie de 1943 à 1945, parmi des incursions de brigades de partisans, les massacres nazis, les rafles dans les villages, les fosses Ardeatine, les procès, la rage populaire. Visconti s’occupe du segment sur le procès et l’exécution de Pietro Caruso (chef de la police fasciste), qui reprend lui-même sans renoncer à son propre registre, notamment en se concentrant sur les visages et les lieux, l’espace et les figures humaines, comme si les hommes encadrés étaient des acteurs à son service.

La situation du cinéma italien n’est pas rose : manque d’argent, d’équipements, d’espaces de tournage, tout ce qui avait rendu possible l’existence d’une florissante, aussi discutable soit-elle, industrie du spectacle - dont le manque se révèle être l’étincelle du "mouvement" néo-réaliste. Visconti et ses collègues cinéastes doivent faire face au refus des producteurs de financer des projets ambitieux : "Pensione Oltremare", inspiré de son emprisonnement; un films sur les partisans, librement tiré de Maupassant; un écrit avec Pietrangeli et Antonioni; d’autres inspirées par les œuvres de Stendhal, Steinbeck, Shakespeare, ...

Le repli sur le théâtre est une exigence, et Visconti signe pendant deux ans la mise en scène de plusieurs représentations importantes. Puis, en 1947, le Parti Communiste lui commande un documentaire de propagande décliné par Carlo Lizzani (qui préfère aller à Berlin avec Rossellini pour "Germania anno zero"), en vue des élections de 1948, dans le but de filmer les conditions des travailleurs siciliens en plaçant syndicats et socialisme comme seule issue à la pauvreté et aux injustices des classes.

« La terra trema » (1948), deuxième long métrage de Visconti, naît donc encore, comme Ossessione, de prémisses politiques, en les franchissant. Visconti et une toute petite troupe de non-professionnels (dont Francesco Rosi et Franco Zeffirelli) s’installent en Sicile, à Acitrezza et il y reste sept mois. Le rêve d’une transposition de "I malavoglia" de Verga prend forme et le travail perd au fur et à mesure les contours du documentaire, ou mieux, il est contaminé avec une structure narrative qui a comme toile de fond le roman de Verga et comme étoile polaire le style de l’écrivain, en effaçant l’intention initiale propagandiste, en prenant une valeur artistique.

C’est ainsi que prend forme la saga malheureuse des Valastro, famille pauvre de pêcheurs exploitée par les grossistes de poisson. Elle est dirigée par le jeune inquiet « Ntoni » qui tente de changer les choses en allant contre le joug, en se mettant à son compte. Une petite révolution d’abord réussie, puis échouée à cause du destin et de l’isolement auquel les autres pêcheurs de Acitrezza condamnent les Valastro, finalement contraints de se soumettre aux chantages des "patrons". Dans le résultat final, la combinaison de moments idéologiques et de moments poétiques est parfaite et la méthode de travail de Visconti est gagnante.

Sans un véritable scénario, sans instruments techniques sinon quelques mètres de chariot, sans acteurs qui ne soient pas les vrais pêcheurs du pays, Visconti ouvre largement sur La terra trema sa vision de ce que doit être la fonction du cinéma face à la réalité : celle du lieu où faire « se produire », pas de la fenêtre à partir de laquelle « regarder ». L’instantané social et géographique est de nouveau une réinterprétation, avec une étude esthétique accompagnée d’une structure narrative où au centre les tourments existentiels surmontent les difficultés économiques.

Un rendu issu d’une préparation épuisante et des théories exposées dans un écrit de Visconti, "Cinéma anthropomorphique". Le réalisateur passe beaucoup de temps avec eux, les interpelle sur les répliques à prononcer et sur le développement de l’histoire, les fait répéter pendant des heures avant de tourner, à la recherche de l’assonance définitive entre "homme-acteur et homme-personnage", en tirant une authenticité absolue, mais remodelée et cousue à la forme-film. Le dialecte sicilien incompréhensible dans lequel s’expriment les pêcheurs est contrebalancé par une voix-off didactique et par une bande sonore jamais intrusive - presque absente, au moins dans la première partie - qui participent à une fusion inégalable de témoignage et de spectacle âprement critiquée par les puristes du néoréalisme, qui lancent ponctuellement des accusations de formalisme, de snobisme, d’inutile et nuisible dramatisation.

Même le Parti Communiste n’a pas une bonne opinion du résultat, surtout parce que dans la chute inexorable, pessimiste, fataliste de la famille Valastro n’intervient aucun des organismes et des idéaux qu’il aurait fallu élever aux yeux du public, et qui étaient à la base de l’idée du documentaire original. Au secours de Ntoni et les autres Valastro, il n’y a pas de syndicats, il n’y a pas de politique socialiste, la cohésion et la solidarité entre les exploités sont un mirage. Comme dans Ossessione, Visconti est contesté sur deux fronts bornés, à gauche pour trahison esthétique-idéologique et pour avoir manqué l'objectif, à droite, entre conservateurs et démocrates-chrétiens, parce qu’il était coupable d’avoir traîné - en s'engageant - les problématiques socio-économique dans un domaine impropre et neutre, le cinéma de fiction. Peut-être les deux factions ont-elles tort et raison, mais le fait est que La Terra trema est sifflé au Festival de Venise de 1948 et ne commence vraiment à circuler dans la salle qu’en 1950.

Andréa Lauro
 

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