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8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 09:26
La fin du Néoralisme: Bellissima - Luchino Visconti, entre beauté et Résistance, partie 4 - La Chronique cinéma d'Andréa Lauro

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance

Partie 4

La fin du Néoralisme: Bellissima

La chronique cinéma d'Andréa Lauro

Se reporter aux trois premières parties de la rétrospective Visconti:

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance - partie 2 La guerre et le Néoréalisme : Ossessione

La chronique cinéma d'Andréa Lauro - Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, Partie 3

Après les deux premiers longs métrages, Visconti prend momentanément ses distances par rapport au monde du cinéma. D’une part, car, épuisé par l’expérience réaliste de La Terra tremble, et donc à la recherche de canaux capables de fournir plus d’amplitude créative ; de l’autre, parce que déçu par le système-cinéma (pas par le « moyen »-cinéma) qui, jusqu’à présent, n’a pas fait preuve de beaucoup de compréhension à son égard, entre des mésaventures distributives, des malentendus et des sabotages, même sans lui refuser le statut de réalisateur de pointe de l’époque.

Pour se débarrasser des mauvaises humeurs et des étiquettes imméritées, Visconti se retranche dans le théâtre en donnant libre cours à sa capacité d'invention que le cinéma ne peut lui accorder actuellement. Il écrit une version malheureusement jamais représentée de l'"Orlando furioso" où les scènes auraient dû se dérouler sur différentes planches, en même temps à l’intérieur d’un même environnement, en laissant au spectateur la possibilité de participe; et, en suivant une aspiration de fantaisie expressive, il réalise « Rosalinda ou come vi piace » que, en plus de jeunes acteurs du calibre de Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni et Ferruccio Amendola, peut se vanter d'avoir parmi ses collaborateurs le génie de la peinture Salvador Dalí, auteur de scénographies et de costumes.

Dans les années à venir, Visconti apporte aussi au théâtre des œuvres moins frénétiques, comme « Un tramway nommé désir » et « Mort d’un commis voyageur » d’Arthur Miller et, malgré son éloignement partiel du cinéma, il ne cesse de proposer des ébauches de films, toutes rejetées.

L’opportunité de retourner derrière la caméra arrive en 1951 grâce à « Documento Mensile », sorte de magazine périodique produit par Marco Ferreri dans lequel il est demandé aux grands noms de la culture italienne de fournir un "commentaire" sur des événements d’actualité. De la collaboration avec Vasco Pratolini naît « Appunti su un fatto di cronaca » (1951), un court-métrage de huit minutes sur le cas d’homicide d’Annarella Bracci, une fille de 12 ans violée et jetée dans un puits. Visconti choisit d’accompagner le texte de Vasco Pratolini, lyrique et sec en même temps, avec des images documentaires de la périphérie romaine, entre la désolation des immeubles populaires et les champs arides, recréant un panorama désertique, lunaire, déshumanisant qui, bien qu’il ne montre rien d'étroitement lié au fait divers, peint des impressions autour de la figure seulement évoquée d’Annarella, sans que ni un ton compatissant ni un ton de dénonciation sociale ne prévalent sur la transformation du fait horrible en une fresque existentielle universelle.

« Appunti su un fatto di cronaca » est le prélude au troisième long métrage de Visconti : pas un de ses projets propres cette fois, mais un projet qui lui est proposé, écrit par Cesare Zavattini.

C’est l’été 1951 et « Bellissima » est prêt à être tourné.

Visconti a réécrit le scénario avec Suso Cecchi D'Amico et Francesco Rosi, adaptant le sujet de Zavattini à sa poésie, misant surtout sur Anna Magnani au service des critères du cinéma anthropomorphique rodé en « Ossessione » et « La terra trema ». Visconti a accepté de tourner le film grâce à la présence déjà sûre de la Magnani, décidé à signer un portrait de femme tridimensionnelle, au-delà des frontières de la simple narration.

Ce qui l’intéresse, c’est de travailler avec le (et sur) personnage interprété par la Magnani, Maddalena Cecconi, dans la même mesure qu’il s’intéresse à travailler avec/sur l’actrice-Magnani et avec/sur la diva-Magnani. Pour cela Visconti exploite au mieux le domaine cinématographique, en croquant ironiquement sa mesquinerie, son arrivisme, sa superficialité, mais seulement pour permettre au processus narratif de l’histoire de Maddalena/Anna d’être plus contrasté, vif et sincère. Pour la énième fois, une relecture de la réalité est chargée de dévoiler la vérité cachée des choses, sous la forme de la fiction.

Maddalena est une pauvre fille qui, pour gagner de l’argent, est infirmière à l’heure, mariée à Spartacus, amoureuse du "cinéma", prête à tout, ou presque, pour obtenir un contrat pour sa fille. Anna Magnani lui prête un physique vraisemblable, mais ne renonce pas à des nuances expressives plus intimes, lorsque la volonté de rachat par Marie se transforme en obsession individuelle, ou dans l’épilogue où la désillusion l’emporte. Visconti agit dans l’ombre, construit le caractère autour de la répression, du rôle parental, de la sexualité : pour toute l’affaire, Madeleine n’est pas une femme, c’est une mère qui ne voit que dans le miroir des impressions de féminité détachées de la maternité.

Le contraste avec l’érotisme naturel de la Magnani fait partie de l’opération viscontienne. Maddalena est réprimandée par Spartacus en se disputant pour Maria et refuse les avances de Walter Chiari. Elle est tellement absorbée par sa propre mission - donner à Marie ce qu’elle n’a jamais eu - qu’elle ne se rend pas compte qu’elle a projeté sur l’enfant un besoin personnel de revanche, d’évasion de la vie vers le rêve du cinéma, ignorant la différence entre l’image idéalisée qui défile sur l’écran et les personnes vraies, défectueuses, souvent mesquines, cachées derrière cet écran et cette image.

Alors, dans l'avant-final, Maddalen, qui s'attriste devant « La rivière rouge » d’Howard Hawks, écoute enfin les pleurs répétés de Maria ridiculisée par l’équipe de Blasetti, et promet à la fin que sa fille ne fera jamais de cinéma, elle parle d’elle-même, entre résignation et fierté. Une « elle-même » à l’identité recomposée, bien que dans l’amertume, sur le point de faire l’amour avec son mari, tandis que l’enfant dort dans la chambre à côté.

Mais dans « Bellissima », nous n’assistons pas à un affrontement social ou urbain entre classes, entre riches et pauvres, opprimés et oppresseurs, centre et périphérie. Maddalena ne refuse pas d’élever sa condition par humilité ou au nom d’une quelconque morale populaire. C’est que, dans le discours néo-réaliste, Visconti fait entendre sa voix polémique, en renversant des normes et des icônes, en configurant le cinéma comme un organe qui, toujours, que ce soit dans le bien et dans le mal, trouve son origine dans la mystification, la fausseté, l’interprétation par la transcription, incapable d’enregistrer l’effectivité directe ou de véhiculer des messages qui ne soient pas conditionnés à l’efficacité dramaturgique. Certains considèrent ce film comme un ouvrage mineur et transitoire, mais « Bellissima » est le point par lequel le réalisateur termine lucidement un chapitre qu’il avait lui-même ouvert, de sorte que Lino Micciché (critique et historien du cinéma italien) ose définir le film comme "un des actes de mort les plus conscients de l’utopie néoréaliste".

André Lauro

 

 

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