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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 09:00

Le droit d’asile remis en question

Haro sur Schengen

L’Union européenne a annoncé le 15 décembre dernier la création d’un nouveau corps de police chargé de surveiller les frontières extérieures du continent. Un pas de plus dans une fuite en avant sécuritaire qui ne résoudra pas la crise des migrants.

par Benoît Bréville

" Plus d’un million de demandes d’asile ; des dizaines de bateaux accostant chaque jour sur les plages grecques ou maltaises ; un nombre record de morts en Méditerranée ; des pays qui envoient l’armée pour surveiller leurs frontières… D’une ampleur exceptionnelle, la vague migratoire de 2015 a sérieusement enrayé le fonctionnement de l’Union européenne. Entre les mois d’août et octobre derniers, l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie ont toutes rétabli des contrôles à leurs frontières pour bloquer l’arrivée de réfugiés.

Depuis les attentats du 13 novembre à Paris, la France s’est jointe au mouvement, certains responsables politiques ayant fait des accords de Schengen, qui organisent la libre circulation des personnes entre les Etats signataires, l’une des causes de la tuerie.« Schengen est mort », a jugé M. Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains. « L’absence de frontières nationales représente une folie criminelle », a ajouté Mme Marine Le Pen (Front national), tandis que M. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) réclamait « le rétablissement de nos frontières nationales pour éviter les infiltrations de djihadistes ». « Si l’Europe n’assume pas ses responsabilités, alors c’est tout le système Schengen qui sera remis en cause », a également menacé M. Manuel Valls.

Découverte de 71 cadavres en décomposition dans un camion en Autriche, émoi devant la photographie d’un enfant syrien échoué — parmi beaucoup d’autres — sur une plage turque : plusieurs drames ont émaillé l’année écoulée, semblant déclencher une prise de conscience collective, avant que l’intérêt se porte ailleurs. Les dirigeants politiques se sont indignés, puis ont incriminé les passeurs. Le ministre de l’intérieur français, M. Bernard Cazeneuve, a annoncé un « combat sans merci contre les filières de la traite des êtres humains », tandis que son homologue allemand, M. Thomas de Maizière, promettait de « lutter contre les bandes de passeurs criminelles qui font des affaires avec la misère".

Les frontières européennes ne sont pas fermées à l'immigration. En 2013, par exemple, les 28 Etats membres de l'Union ont accueilli légalement plus de 1,5 millions d'étrangers extracommunautaires. Chaque Etat décide de l'ampleur de ce flux en fonction de la conjoncture économique, de la situation démographique ou encore de la coloration politique du gouvernement.

En France, 209 782 titres de séjour ont été délivrés en 2014 - au titre du regroupement familial, à des étudiants, des travailleurs qualifiés, des saisonniers, ou encore des réfugiés -, soit seulement 13 000 de plus qu'en 2010.

Entre-temps, plusieurs pays du Proche-Orient et d'Afrique ont pourtant sombré dans des guerres civiles qui ont jeté sur les routes des millions de personnes. Dans l'impossibilité d'obtenir un visa, nombre d'entre elles franchissent illégalement les frontières européennes. Pour cela, elles doivent se cacher dans des camions, trouver des lieux d'hébergement provisoire, traverser la Méditerranée sur des esquifs clandestins, obtenir de faux documents, soudoyer des fonctionnaires corrompus. Autant d'opérations qui requièrent l'intervention de réseaux organisés".

***

Statistiques des demandes d'asile en Europe en 2015:

En Serbie, 484 775 demandes

En Allemagne, 370 640 demandes: 42% de satisfaction

En Hongrie, 173 610 demandes: 9% de satisfaction

En Suède, 142 365 demandes: 77% de satisfaction

En Italie, 68 420 demandes: 58% de satisfaction

En Autriche, 66 360 demandes: 30% de satisfaction

En France, 56 290 demandes, 22% de satisfaction

Au Royaume-Uni, environ 35 000 demandes, 39% de satisfaction

En Finlande: 54% de satisfaction

Au Danemark: 68% de satisfaction

En Bulgarie: 94% de satisfaction

En Grèce: 15% de satisfaction

Le nombre de réfugiés arrivant par l'Europe en 2015:

Grèce: 821 000

Italie: 150 300

Bulgarie: 29 950

Espagne: 3850

En un quart de siècle, au moins 25 000 migrants et réfugiés sont morts en tentant de rejoindre l'Europe!

***

"Depuis 25 ans, l'Union Européenne a multiplié les dispositifs pour barrer la route à l'immigration clandestine: base de données commune pour les polices européennes (Système d'information Schengen), création en 2000 d'un fichier d'empreintes digitales et lancement, en 2005, de Frontex, l'agence européenne chargée de surveiller les frontières extérieures à grand renfort d'hélicoptères, de drones, de navires militaires, de lunettes de vision nocturne et de détecteurs de battements cardiaques. D'après les calculs du projet Migrants Files (2), depuis 2000, l'immigration clandestine vers l'Europe a généré un chiffre d'affaires d'au moins 16 milliards d'euros pour les réseaux de passeurs. En quatorze ans, les Etats membres de l'Union ont dépensé 11 milliards d'euros pour expulser des sans-papiers et au moins 2 milliards pour renforcer leurs 14 000 kilomètres de frontières extérieures.

Ces chiffres restent très modestes comparés aux moyens mobilisés par les Etats-Unis pour sanctuariser leur territoire: 18 milliards de dollars par an, essentiellement concentrés sur 3140 kilomètres de frontière avec le Mexique, où a été érigé un mur haut de 5 mètres, garni de 1800 tours de surveillance. Derrière lui, s'activent 20 000 agents de sécurité, tous les 150 mètres.

Le politiste américain Peter Andreas a démontré que le perfectionnement des dispositifs de contrôle frontalier aux Etats-Unis avait augmenté le coût et la durée des voyages, le prix des faux papiers et les fonds nécessaires pour corrompre un fonctionnaire. Tout cela a entraîné une criminalisation croissante des réseaux de trafic de migrants, qui, peu à peu, se confondent avec ceux du trafic de drogue. Mais ce contrôle quasi militaire n'a pas dissuadé les candidats à l'exil, dont la motivation dépend essentiellement de la situation dans leur pays d'origine. Chaque année, 300 000 à 400 000 personnes continuent de franchir illégalement la frontière américaine.

Les guerres qui déchirent la Syrie, l'Irak, la Libye, l'Afghanistan, le Yémen, le Nigéria, la Somalie ou le Soudan poussent la population au départ, et ce flux s'intensifie à mesure que les conflits s'enlisent. Ces déplacés s'installent pour l'essentiel dans leur propre pays, ou dans les Etats limitrophes: à eux trois, le Liban, la Turquie, et la Jordanie accueillent près de 4 millions de Syriens. Seule une minorité tente sa chance en Europe. En théorie, ces citoyens de pays en guerre peuvent prétendre au statut de réfugié dans l'un des Etats membres de l'UE, tous signataires de la convention de Genève du 28 juillet 1951. En pratique, il est difficile de l'obtenir".

Ainsi, note Benoît Fréville, depuis les ambassades et consulats de France au Proche-Orient , seuls 712 Syriens ont obtenu en 2014 un "visa au titre de l'asile" pour rejoindre la France légalement et sans passer par les filières de passeurs, au risque de sa vie. "Un habitant de Homs parvenu à se rendre à Beyrouth pour solliciter un visa a très peu de chance de pouvoir quitter le Liban en règle". Depuis les camps gérés par le HCR en Turquie, au Liban, et en Jordanie, seuls 500 Syriens ont été admis en France en 2014.

Les Irakiens que la France devaient accueillir tardent à recevoir leurs papiers dans les ambassades et consulats en Irak alors que tout est près pour les accueillir. Les 24000 syriens qu'Hollande avait promis d'accueillir légalement comme réfugiés ne sont rien par rapport à 4 millions de réfugiés syriens, aux 450 000 Républicains espagnols accueillis entre 1936 et 1939 dans une France encore marquée par la crise de 29, aux 130 000 Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens accueillis dans les années 1970-1980.

" Or, les réfugiés se comptent par millions. La plupart d'entre eux doivent pénétrer clandestinement dans l'Union, au terme d'un voyage qui les aura d'abord menés à la frontière turco-syrienne, où sévissent des groupes djihadistes, ou dans une Libye ravagée par les milices. Seul le recours aux passeurs peut leur permettre de parvenir à bon port. Long, périlleux, physiquement éprouvant, ce parcours induit une sélection des migrants: il faut être jeune, robuste, déterminé, et venir d'un milieu suffisamment aisé pour payer le voyage. Les réfugiés actuels sont urbains et diplômés, 72% sont des hommes, 13% des femmes et 15% des enfants.

" Selon le règlement de Dublin II, adopté en 2003 par l'Union Européenne, ceux qui arrivent en Europe doivent déposer leur demande d'asile dans le premier pays où ils ont mis le pied. Cette disposition ignore la réalité des migrations, puisque nombre d'entre eux ne passent par l'Italie et la Grèce que dans l'espoir de parvenir dans un autre pays. Mais elle condamne aussi à l'illégalité tous ceux qui voudraient par exemple rejoindre un parent ou un ami en Suède, et provoque un profond déséquilibre territorial, l'essentiel des réfugiés arrivant bien sûr dans les Etats périphériques".

D'Espagne dans les années 2000, les flux de réfugiés se sont déplacés vers l'Italie et Malte, puis vers la Grèce, confrontée en même temps à une crise sans précédent liée aux politiques d'austérité imposées par l'UE.

La politique de l'UE vise à ce que les Etats d'Afrique et du Moyen-Orient garde leurs réfugiés contre des accords économiques, politiques, et d'admission facilitée de leurs ressortissants: ainsi l'UE s'est engagée à verser 3 milliards à la Turquie contre une sous-traitance du problème des réfugiés syriens et un contrôle strict empêchant les départs.

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30 décembre 2015 3 30 /12 /décembre /2015 10:30
Sept après l'agression israélienne à Gaza, le blocus se poursuit en toute impunité

AFPS, dimanche 27 décembre 2015

Il y a sept ans, le samedi 27 décembre 2008, Israël lançait son attaque contre la bande de Gaza, baptisée “Plomb durci” pour les besoins de sa « com ». Sous le prétexte de répondre à des tirs de roquettes intervenant en réponse à des assassinats « ciblés », l’armée israélienne déclenchait, à l’heure de sortie des écoles, une campagne de bombardements de grande ampleur qui faisaient dans la seule première journée 230 morts palestiniens. Cette attaque, doublée à partir du 3 janvier 2009 d’une opération terrestre, s’acheva le 18 janvier sur un bilan de 1 315 Palestiniens tués (dont 410 enfants) et 5 285 blessés, avec, côté israélien, 13 tués (dont 10 militaires) et 197 blessés (dont 103 militaires).

La résolution 1860 du Conseil de sécurité votée le 8 janvier appelant au cessez-le-feu demandait notamment que « l’aide humanitaire, y compris les vivres, le carburant et les traitements médicaux, puisse être distribuée sans entrave dans tout Gaza » et de « faire en sorte que les biens et les personnes puissent emprunter régulièrement et durablement les points de passage de Gaza ».

Elle ne fut jamais réellement appliquée.

Aux mêmes prétextes sécuritaires, une nouvelle opération “Pilier de défense” fut lancée le 14 novembre 2012 qui s’acheva le 21 novembre sur un bilan de 161 Palestiniens et 6 Israéliens tués. Là encore sans que le blocus ne soit levé.

Enfin, le 8 juillet 2014 une nouvelle opération “Bordure protectrice” fut lancée par Israël, la plus longue et la plus meurtrière, puisqu’elle se termina le 26 août par un cessez le feu et un bilan de 2 100 palestiniens tués (dont 75 % de civils), 76 israéliens tués (dont 73 militaires).

Seize mois après cette dernière opération, le blocus n’a toujours pas été levé et il empêche l’entrée dans la bande de Gaza des matériaux indispensables à la reconstruction des 19 000 immeubles d’habitation détruits en 2014.

Cela fait plus de huit ans que le peuple palestinien de Gaza, lui-même déjà composé d’une majorité de réfugiés, est soumis à un blocus inhumain. Un blocus qui pousse au désespoir une population active, éduquée, inventive, qui demande la liberté de vivre et se trouve enfermée sans même que nous puissions lui rendre visite. Un blocus qui impacte tous les aspects de la vie quotidienne, qui ruine l’économie, qui empêche les étudiants de poursuivre leurs études à l’étranger et les malades les plus gravement atteints de se faire soigner. Une politique qui sépare les familles palestiniennes depuis plus longtemps encore.

La population de Gaza a le droit de vivre, de se déplacer, d’échanger avec le reste du monde, et spécialement avec le reste du territoire palestinien dont elle est partie intégrante.

A l’opposé, le rapport 2015 de la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le développement (Cnuced) à partir d’une analyse précise des données démographiques, économiques, sociales et politiques aboutit à la conclusion que Gaza sera invivable d’ici 2020 si rien ne change.

C’est dire l’urgence d’imposer à Israël la fin de ce blocus inhumain et désespérant. Au nom des principes élémentaires d’humanité, mais aussi dans leur propre intérêt, la France et les pays de l’UE doivent aujourd’hui se donner les moyens de l’exiger. Gaza doit enfin prendre toute sa place dans l’Etat de Palestine dont la reconnaissance par la France s’impose d’urgence.

Le Bureau national de l'AFPS

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24 décembre 2015 4 24 /12 /décembre /2015 07:17
Idleb, une ville du nord-ouest de la Syrie, a été la cible de bombardements, le 20 décembre 2015.REUTERS

Idleb, une ville du nord-ouest de la Syrie, a été la cible de bombardements, le 20 décembre 2015.REUTERS

Amnesty International pointe du doigt les frappes russes en Syrie. L'organisation a étudié six attaques perpétrées par l'aviation russe entre septembre et novembre qui auraient tué 200 civils. Geneviève Garrigos, la présidente d'Amnesty International France, demande une enquête et dénonce ce qui pourrait s'apparenter à des crimes de guerre.

Les bombardements effectués par la Russie en Syrie pourraient équivaloir à des crimes de guerre en raison du nombre de civils tués dans les frappes russes, estime mercredi 23 décembre Amnesty International.

« Nous avons constaté à la fois que des lieux d’habitation, voire des marchés, ainsi que des mosquées, avaient été pris pour cible » explique Geneviève Garrigos, la présidente d’Amnesty International.

La Russie a entamé le 30 septembre une campagne de bombardements aériens en Syrie, en disant vouloir aider le principal allié du Kremlin au Moyen-Orient, le président Bachar el-Assad, à battre le groupe jihadiste Etat islamique et d'autres organisations extrémistes. Selon Amnesty, dont les accusations font écho à celles de certains observateurs syriens, les bombardements aériens russes ont tué au moins 200 civils et une dizaine de djihadistes de septembre à novembre.

Ce rapport, dont les conclusions sont tirées de l'étude de six attaques qui ont visé Homs, Idleb et Alep, s'appuie sur des témoignages et des récits de survivants, ainsi que sur des documents vidéo et des photos montrant les conséquences des attaques.

« Dans certains cas, il y avait à proximité des objectifs militaires, explique Geneviève Garrigos.Mais dans les cas visés dans l’étude, les attaques semblaient complètement disproportionnées par rapport à l’objectif atteint et au nombre de pertes. Parmi les armes qui auraient été utilisées, il y aurait des bombes incendiaires, des bombes à sous-munitions, et surtout des missiles non guidés, c’est-à-dire qu’ils sont « non discriminants ». De ce fait, ils ne permettent pas, justement, des attaques ciblées qui épargnent la population ».

« Au regard de ces éléments, certaines attaques pourraient être qualifiées de crimes de guerre, affirme la présidente d’ Amnesty International. C’est pourquoi nous demandons aujourd’hui de toute urgence une enquête, par rapport à l’ensemble des frappes qui ont causé des pertes civiles importantes ».

Moscou a démenti vigoureusement à plusieurs reprises avoir atteint des civils, disant veiller soigneusement à éviter de bombarder les zones d'habitation.

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24 décembre 2015 4 24 /12 /décembre /2015 05:34
Liesse populaire dans les rues de Madrid, dimanche soir, après le score historique obtenu par le jeune mouvement Podemos, dirigé par Pablo Iglesias, qui dorénavant compte dans le paysage politique espagnol. Photo : Pedro Armestre/AFP

Liesse populaire dans les rues de Madrid, dimanche soir, après le score historique obtenu par le jeune mouvement Podemos, dirigé par Pablo Iglesias, qui dorénavant compte dans le paysage politique espagnol. Photo : Pedro Armestre/AFP

CATHY CEÏBE - MARDI, 22 DÉCEMBRE, 2015 - L'HUMANITÉ

Le bipartisme est à bout de souffle, comme en témoignent les scores obtenus par Podemos et Ciudadanos, qui deviennent respectivement les troisième et quatrième forces nationales. La droite comme les socialistes ne sont pas en mesure de gouverner seuls, ouvrant ainsi le chapitre d’intenses négociations.

Madrid (Espagne), envoyée spéciale.

«Oui, oui, c’est possible ! » Vers minuit, dimanche, une foule de plusieurs milliers de personnes a scandé l’un des célèbres slogans du mouvement citoyen des Indignés de 2011 et de résistance à l’austérité, et acclamé les dirigeants de Podemos réunis sur le parvis du musée Reina Sofia, à Madrid. La jeune formation de Pablo Iglesias a connu une ascension fulgurante, moins de deux ans après sa fondation, au point de venir bousculer le paysage politique espagnol.

Podemos est l’un des phénomènes des élections générales qui se déroulaient dimanche, à l’image du score obtenu par Ciudadanos (C’s –droite conservatrice), désormais quatrième force politique alors que cette formation régionale n’existait qu’en Catalogne il y a encore quatre ans. « Nous sommes la première force en Catalogne, au Pays basque. Nous sommes la seconde force à Madrid, en Galice, aux Canaries, aux Baléares (…). Nous sommes parvenus à mettre un terme à la politique d’alternance, à ouvrir une nouvelle ère (…). Nous avons dit que nous ne faisions pas une campagne électorale mais que nous construisions une patrie pour gagner la prochaine décennie (…). Ce soir, l’Espagne est autre, et elle le sera demain. C’est un acquis. Il y a un futur pour notre patrie, populaire, plurinationale », s’est exclamé depuis la tribune Iñigo Errejon, le numéro deux de Podemos.

La mutation politique bat son plein. Au terme des élections générales de dimanche, les 73 % d’électeurs ont profondément transformé le Parlement espagnol. Les résultats démontrent, après les scrutins municipaux et régionaux de mai dernier, que le bipartisme est à bout de souffle. Si le Parti populaire (PP-droite) au pouvoir reste la première force du pays avec 28,72 % des suffrages et 123 députés, il essuie un vote sanction des plus sévères puisqu’il perd la majorité absolue, établie à 176 sièges, et près de 3,5 millions de voix. Il avait en effet totalisé 44,62 % des suffrages, soit 186 députés, en 2011. Ses politiques d’austérité, de « recortes » (coupes budgétaires) dans les dépenses publiques – singulièrement dans les secteurs de la santé et de l’éducation – ou encore les scandales de corruption qui éclaboussent les dirigeants de cette formation sont autant de facteurs qui expliquent sa nette dégringolade. Hier encore, cette punition électorale aurait bénéficié au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), selon la règle de l’alternance, quasi institutionnalisée depuis la fin du franquisme en raison d’une législation électorale injuste. Mais là encore, l’échiquier a été modifié. La formation emmenée par Pedro Sanchez est certes arrivée en deuxième position, avec 22 % de voix. Mais les socialistes perdent 1,4 million d’électeurs et vingt parlementaires (90 contre 110 en 2011). De ce fait, les deux grands partis qui ont structuré la vie parlementaire se retrouvent en minorité, à la merci des autres formations, sur lesquelles il faudra désormais compter. Podemos, qui s’est présenté pour la première fois à des élections lors des européennes de juin 2014, fait une entrée fracassante aux Cortes, le Congrès des députés. Il a totalisé pas moins de 5,18 millions de voix et 69 députés. Ce score vient confirmer la capacité de ce parti à capter le mécontentement d’une société lessivée au terme de quatre ans de crise économique qui a ruiné des millions de familles. On reconnaît à ses dirigeants le flair d’avoir senti le moment de basculement historique dans lequel se trouve l’Espagne. Leur discours en faveur du « changement » a trouvé un écho dans l’électorat de gauche mais également du centre et auprès d’une classe moyenne frustrée, qui ne l’a jamais vraiment été en raison même de la crise. Ce résultat est également à mettre au compte des listes de confluence, dont Podemos ne peut seul revendiquer la paternité puisqu’il englobe les scores enregistrés avec les nationalistes de Compromis dans la région de Valence (9 députés), avec En Marea en Galice, qui comprend des nationalistes, la variante galicienne d’Izquierda Unida (IU-gauche unie), et des indépendants (six parlementaires). En Catalogne, la coalition, qui a raflé 12 sièges, compte, outre Podemos, les partis écologistes Equo et ICV, l’IU catalane, ainsi qu’une majorité de représentants de la plate forme unitaire d’Ada Colau, la maire de Barcelone. Durant la campagne, ces trois listes régionales ont plaidé pour la création de groupes parlementaires propres. Quoi qu’il advienne, Podemos détient l’une des clés de la future majorité gouvernementale. Tout comme Ciudadanos, une nouvelle formation néoconservatrice et ultralibérale. Son leader, Albert Rivera, a annoncé que ses 40 parlementaires ne s’opposeraient pas à l’investiture du premier ministre sortant, Mariano Rajoy, sans toutefois voter en sa faveur de crainte d’entamer son influence grandissante en s’adossant à un parti critiqué et en perte de vitesse. Pablo Iglesias a lui été beaucoup plus clair, en déclarant que « Podemos ne permettra pas (la formation) d’un gouvernement du Parti populaire, ni avec des votes en faveur ni avec l’abstention ». Il a également mis en garde le chef de file des socialistes : « Il semblerait que ces messieurs n’ont pas compris que l’Espagne est un pays divers et pluriel », a-t-il rappelé. Dès dimanche, le secrétaire général de Podemos a réfuté toute idée de pacte, et conditionné son vote à un changement de Constitution afin de blinder les droits sociaux des citoyens mais également d’ouvrir la voie à des référendums d’autodétermination comme en Catalogne, aujourd’hui interdits par la loi fondamentale. Un point sur lequel le PSOE a peu de chances de donner son feu vert.

Tous les scénarios sont possibles pour une possible coalition

Comme jamais donc, tous les scénarios sont possibles même si l’idée d’une grande coalition PP-PSOE n’est envisagée par personne, du moins à l’heure où ces lignes sont écrites. D’aucuns aimeraient se passer de l’influence des deux nouveaux partis mais cela est impossible au vu du reste de la composition du Parlement. Les forces nationalistes du Pays basque et de la Catalogne, qui ont respectivement obtenu un total de 8 et 17 députés, ne sont bien évidemment pas insensibles à la posture référendaire de Podemos. Quant à Izquierda Unida, avec ses deux députés – si l’on excepte les trois autres obtenus en Catalogne et en Galice –, elle n’est pas en mesure de constituer un groupe parlementaire autonome à même de faire entendre son discours de « défense sociale », selon l’expression de son candidat Alberto Garzon, qui a, une nouvelle fois, regretté l’impossible unité avec Podemos et critiqué la loi électorale à géométrie territoriale variable qui l’a contraint à rassembler 461 000 voix pour élire un parlementaire, contre 58 600 pour le Parti populaire. Une page de la vie politique s’est bel et bien tournée. Et le nouveau chapitre qui s’ouvre promet d’être intense au point de ne pouvoir écarter l’idée d’élections anticipées faute d’un accord au sein des Cortes.

Un parlement un peu plus féminisé. Pour la première fois dans l’histoire politique espagnole, 140 femmes siégeront au Parlement à l’issue des élections législatives de dimanche dernier (contre 125 dans le Congrès sortant et 126 dans le précédent). Cependant, la parité pleine et entière est encore loin d’être atteinte avec 210 élus masculins au total. Toutes listes confondues, 2 263 candidats titulaires de sexe masculin (52 %) et 2 090 femmes (48 %) ont présenté leur candidature. Dans la nouvelle législature, 46 % des 90 sièges obtenus par le PSOE seront occupés par des femmes contre seulement 36,5 % des 123 fauteuils du Parti populaire.

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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 06:57
Turquie: la France et l'UE doivent cesser de cautionner l'entreprise de destruction d'Erdogan contre les Kurdes et les droits de l'homme (PCF)

Depuis plusieurs mois maintenant, le président turc, Recip Teyyep Erdogan, poursuit la plus grave entreprise de répression et de violence contre les populations kurdes de Turquie que le pays ait jamais connu, même sous la dictature militaire.

Les dernières opérations militaires menées par la Turquie, mobilisant 10 000 hommes de gendarmerie et de police appuyés des chars, ont fait depuis le 16 décembre 102 morts parmi les Kurdes parmi lesquels des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Chacun fait mine d'oublier que c'est le pouvoir islamo-conservateur qui a rompu unilatéralement après les élections de juin dernier qu'il n'avait pas réussi à emporter les pourparlers de paix engagés avec A. Ocälan, le leader du PKK. Au prétexte de la « guerre contre le terrorisme », Erdogan poursuit une entreprise d'extermination de forces qui ont longtemps été les seules à résister avec courage, en Irak et en Syrie, aux fanatiques de l’État islamique ; entreprise d'extermination qui menace les populations civiles.

Des villes entières voient leurs habitants martyrisés, bombardés, ciblés par des snipers sans qu'aucun dirigeant ou instance européenne ne s'en émeuve. Pire, c'est au contraire, le moment que l'Union européenne a choisi pour rouvrir le processus d'adhésion de la Turquie à l'UE en contradiction avec tous les principes que l'UE a érigé en conditions intangibles de la construction européenne mais aussi de ses relations extérieures. Terrifiante hypocrisie, et macabres marchandages sur le dos des réfugiés et migrants, alors que désormais « la démocratie, l’État de droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et de leur protection » (article 1bis du Traité de Lisbonne) ne sont plus garantis en Turquie où chaque jour des militants progressistes, des journalistes, des femmes ou hommes de lois sont attaqués, assassinés, des populations entières terrorisées. Les dirigeants européens soutiennent un pouvoir qui en outre maintient la Turquie, membre de l'OTAN, comme force d'occupation d'une partie du territoire de la République de Chypre, qui est, elle, membre de l'UE...

L'attitude et les actions bellicistes de la Turquie compliquent le processus de solution politique qui se dessine pour la Syrie et contribuent à déstabiliser encore un peu plus la situation régionale du Proche et du Moyen-Orient.

Le Parti communiste français veut réaffirmer sa solidarité avec les peuples de Turquie, avec les kurdes, avec les forces progressistes et démocratiques du pays. Il est urgent que la France et l'UE cessent de cautionner cette entreprise de mort et de destruction du président Erdogan et de son gouvernement, et prennent des mesures actives pour protéger les populations :

  • annuler tout versement des milliards d'euros de subventions perçues par la Turquie,
  • suspendre les accords de coopération policière, judiciaire et militaire,
  • suspendre toute discussion,
  • retirer le PKK des listes des organisations terroristes de l'Union européenne,
  • saisir le Conseil de sécurité de l'ONU, au moment où la situation syrienne semble pouvoir trouver une issue politique, pour engager un cessez-le-feu immédiat et la mise en place d'un processus de négociation entre le pouvoir turc et la direction du PKK
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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 06:32
Manuel Valls avait fait le choix de la droite au Vénézuela

Manuel Valls fait le choix de la droite au Venezuela

Les déclarations du premier ministre Manuel Valls félicitant la droite vénézuélienne pour sa victoire aux élections législatives du 6 décembre dernier sont une forme d'ingérence et un geste d'arrogance à l'égard du gouvernement d'un pays ami avec qui la France a de bonnes relations.

Cet acte inacceptable n'est pas le premier de la part de Manuel Valls vis-à-vis du Venezuela. Déjà le 15 octobre dernier, en pleine campagne électorale pour ces élections législatives, le premier ministre français a apporté son soutien à la droite vénézuélienne dans ses déclarations alors qu'il recevait l'épouse de l'un des dirigeants de la coalition d'opposition aujourd'hui emprisonné pour son rôle dans l'organisation des manifestations violentes visant la chute du président Nicolas Maduro* qui venait d'être élu.

Le message de Manuel Valls est en complète contradiction avec la ligne de respect à l'égard des pays de l'Amérique latine que le ministre Laurent Fabius avait annoncée en 2013 lors de ses premiers déplacements dans cette région. Manuel Valls s'arroge des prérogatives qui ne sont pas les siennes alors que le ministère des Affaires étrangères n'a pas jusqu'ici choisi de s'exprimer au sujet de cette élection.

Le chef de l'Exécutif français fait le choix de soutenir une opposition qui s'apprête à démanteler les conquêtes sociales au Venezuela de ces dernières 15 ans en s'attaquant au droit au travail, au droit à la santé, au droit à la retraite, au droit à l'éducation. Le peuple vénézuélien et les forces démocratiques et de progrès du pays apprécieront... mais savent qu'ils peuvent compter sur la solidarité du Parti communiste français dans leur combat de transformation sociale.

* Rappelons que avant l'élection de Maduro d'une courte tête le 14 avril 2013 face à Henrique Capriles à l'élection présidentielle, le parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) de Chavez avait remporté 18 des 21 scrutins organisés au Vénézuela entre 1998 et 2015, signe évidemment de la défiance que lui vouait le peuple vénézuélien dans un contexte où la plupart des médias étaient contrôlés par la droite et les intérêts capitalistes. La coalition de la gauche de gauche au pouvoir obtenait systématiquement entre 40 et 50% des voix à chaque scrutin. A partir de 2003, Chavez a utilisé les fonds du pétrole pour financer des "missions sociales" (programmes sociaux de luttes contre les inégalités) qui ont permis de faire diminuer la pauvreté, laquelle est passée de 43% en 1999 à 30% en 2013, selon l'Institut national de la statistique, mais aussi d'augmenter le pouvoir d'achat des plus démunis et entraîné une hausse de la demande intérieure. En 2003, Chavez a aussi mis en place un contrôle des changes. Soucieux de maintenir le pouvoir d'achat des plus pauvres, Chavez a privilégié un taux de change apprécié de manière à réduire le coût des importations.
(source Alternatives Internationales, janvier 2016).
Internationalement, Chavez et son parti ont contribué à organiser l'auto-détermination de l'Amérique Latine et à la débarrasser de la tutelle impérialiste américaine, ils soutenaient aussi l'économie cubaine confrontée au boycott américain, et toutes les gauches en Amérique Latine, grâce à la manne pétrolière.

La défaite de Maduro s'explique, outre par des motifs de mécontentement comme l'insécurité, l'usure du pouvoir, des scandales de corruption et la violence des luttes de classe et politiques créant un certain autoritarisme dans un contexte d'affaiblissement, par la crise économique liée à la baisse des prix du pétrole de 2009 à 2015, amenant le gouvernement à s'endetter pour soutenir les programmes sociaux.
En demandant à la banque centrale de racheter les dettes de l'entreprise pétrolière d'Etat, ce qui a crée de l'inflation, l'Etat demandant alors aux entreprises de contenir leurs prix pour maintenir le pouvoir d'achat des vénézuéliens, ce qui a provoqué une faillite de certaines d'entre elles et une pénurie de produits de base. Les tensions avec la Colombie pro-américaine ont aussi joué un rôle anxiogène. La baisse de la valeur réelle des salaires liée à une inflation des fortes explique aussi sans doute la victoire du candidat libéral, qui n'est certes pas une bonne nouvelle pour le peuple vénézuélien et latino-américain, même si l'alternance fait partie de la démocratie.

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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 11:20
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12 décembre 2015 6 12 /12 /décembre /2015 19:47
Accords de libre-échange: le baiser de mort de l'Europe à l'Afrique (Jacques Berthelot, Le Monde Diplomatique)

Accords de libre-échange tous azimuts

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BERTHELOT/50757

Le baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique

par Jacques Berthelot

Le baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique

En ce début d’été 2014, l’Union européenne triomphe. Après plus de dix ans d’une sourde bataille, elle a enfin vaincu la résistance des pays africains qui refusaient de conclure avec elle les traités de libre-échange prévus depuis 2000 par l’accord de Cotonou (Bénin) (1). Le 10 juillet, les chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont signé l’accord de partenariat économique (APE) d’Afrique de l’Ouest (2) ; le 22 juillet, l’APE d’Afrique australe était paraphé ; le 25 juillet, le Cameroun ratifiait un APE individuel.

Seule déconvenue pour l’Union : l’Afrique de l’Est n’a pas suivi. Les pays de cette sous-région dominée par l’Afrique du Sud ont refusé de se priver de précieuses recettes douanières sans réelles contreparties européennes. Les APE prévoient en effet la suppression des droits de douane sur trois quarts des exportations de l’Union, tandis que celle-ci continuera à importer d’Afrique de l’Ouest la totalité de ses produits qui sont déjà en franchise de droits. Un marché de dupes. Comment en est-on arrivé à un tel désastre ?

Depuis 2008, les Etats d’Afrique de l’Ouest résistaient aux pressions de Bruxelles, aiguillonnés par de puissants mouvements sociaux réunis au sein de divers réseaux : le Third World Network Africa, basé à Accra (Ghana), la Plate-forme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’accord de Cotonou (Poscao), à Dakar (Sénégal), et le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), à Ouagadougou (Burkina Faso). Mais plusieurs événements ont permis de « retourner » les capitales africaines.

Basculement du rapport de forces

Tout a commencé avec la plainte déposée en 1995 devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par les producteurs latino-américains de bananes. Ils bénéficiaient (d’où le nom de « bananes-dollars ») du soutien de Washington, qui n’a jamais accepté les « préférences » accordées par Bruxelles aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dits ACP. En vertu des conventions de Lomé, signées dans les années 1970, ceux-ci étaient exemptés de droits de douane à l’entrée du marché communautaire (3). Donnant tort à l’Union européenne, l’organe de règlement des différends de l’OMC a ordonné le remplacement des « préférences » par des avantages dits « réciproques » au plus tard fin 2007. Ce fut l’objet des APE programmés par l’accord de Cotonou.

Mais, à l’expiration du délai, seules les Caraïbes avaient conclu un accord régional. Quarante-trois pays n’avaient pas bougé, et vingt avaient signé des accords individuels dits « intérimaires ». Parmi les non-signataires figuraient la majorité des pays moins avancés (PMA) qui relèvent du programme « Tout sauf les armes » adopté par l’Union en 2001 : tous leurs produits, hors les armements, entrent sans droits de douane sur le marché européen. Pour vaincre les résistances, les Vingt-Huit adressent alors un ultimatum aux dirigeants africains : à défaut de ratification des APE régionaux avant le 1er octobre 2014, les exportations des pays hors PMA — en l’occurrence, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cap-Vert et le Nigeria — seront taxées à leur entrée sur le Marché commun.

Au sein de l’Union européenne, les APE ont été négociés par la direction générale du commerce de la Commission, et non par celle du développement et de la coopération, dont relevaient les conventions de Lomé. Quelques Etats ont malgré tout tenté de limiter les dégâts. « L’Union devrait opter pour une approche non mercantiliste et ne poursuivre aucun intérêt offensif, déclaraient conjointement, en mars 2005, le ministère du commerce et le ministère du développement international britanniques. L’Union devrait proposer à l’OMC (...) de réduire les exigences de réciprocité et de se recentrer sur les priorités du développement. » Au Royaume-Uni, les grandes associations (Oxfam, ActionAid, Christian Aid, Friends of the Earth) ont l’oreille de l’opinion, tandis que Downing Street défend les intérêts bien compris des industriels, qui misent sur l’essor des économies africaines.

En mai 2006, la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale française adoptait à l’unanimité le rapport du député Jean-Claude Lefort, qui s’interrogeait : « Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera dans quelques années le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respect des règles de l’OMC (4) ? » Si le Parlement européen a produit de nombreux rapports contestant les APE, il s’est finalement aligné sur la Commission.

En 2013, la pression des ministres du commerce et de la coopération du Danemark, des Pays-Bas, de la France, du Royaume-Uni et de l’Irlande n’a fait que légèrement fléchir Bruxelles : la Commission a abaissé de 80 à 75 % le pourcentage des exportations de l’Union qui entreront en franchise de droits sur le marché de l’Afrique de l’Ouest (5).

Côté africain, c’est l’arrivée au pouvoir de M. Alassane Ouattara (2011) en Côte d’Ivoire — poids lourd économique de la sous-région — qui a permis d’emporter l’adhésion de la Cedeao. « En libéral convaincu, explique M. Cheikh Tidiane Dieye, directeur de la Poscao, M. Ouattara ne cache pas son engagement en faveur de l’accord de libre-échange, qui aura pour lui l’intérêt de maintenir l’accès préférentiel au marché de l’Union pour le thon, la banane et le cacao, entre autres. » Après s’être vigoureusement opposé aux APE, le Sénégal s’y rallie, avec pour objectif de devenir l’interlocuteur privilégié des Européens. De son côté, le Nigeria se montre conciliant depuis qu’il attend le soutien occidental dans la lutte contre Boko Haram.

Pourtant, l’Afrique de l’Ouest a tout à perdre. Le marché de la banane l’illustre parfaitement. Sanctionné par l’OMC, Bruxelles s’était engagé en 2009 à réduire ses droits sur les fruits venus des plantations d’Amérique latine : de 176 euros la tonne en 2009 à 114 euros en 2017. Dans la foulée, en décembre 2012, des accords bilatéraux de libre-échange (ALE) ont été signés avec la Colombie et le Pérou d’une part, avec six pays d’Amérique centrale d’autre part (Costa Rica, Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panamá), pour qui les droits seront abaissés peu à peu à 75 euros la tonne d’ici à 2019. Un avantage dont va bénéficier l’Equateur après la signature, le 17 juillet 2014, de son accord d’association avec l’Union (il est resté, du fait de ses prix faibles, le premier exportateur vers l’Europe comme vers le reste du monde). En 2009, des compensations — insuffisantes — avaient été accordées à la Côte d’Ivoire et au Ghana, leur permettant de continuer à exporter à droits nuls sans plafond. En 2014, rien n’est prévu dans l’APE.

Un système absurde

Or les préférences accordées aux bananes ACP, africaines notamment, perdront tout intérêt si les négociations d’accords de libre-échange avec le Marché commun du Sud (Mercosur), l’Inde et bientôt les Philippines (second exportateur) aboutissent. Le Brésil réclame un quota tarifaire à droits nuls de deux cent mille tonnes. L’Inde, premier producteur de bananes avec trente millions de tonnes, commence à s’organiser pour exporter.

La compétitivité des pays des Andes et d’Amérique centrale devrait beaucoup s’accroître par rapport à celle des ACP, car la fourberie de Bruxelles ne connaît aucune limite. En effet, tous les pays qui signent des accords de libre-échange bilatéraux peuvent ipso facto exporter à droits nuls vers l’Union, sauf pour certains produits soumis à des quotas (viandes, produits laitiers et sucre, textile-habillement). En outre, les pays d’Amérique latine, dont les monnaies sont arrimées au dollar, devraient bénéficier de la politique américaine de monnaie faible par rapport à l’euro — auquel est lié le franc CFA.

Malgré les promesses, l’APE d’Afrique de l’Ouest ne devrait pas bénéficier des 6,5 milliards d’euros sur cinq ans inscrits dans son plan de financement : aucun ajout n’est en effet prévu à la dotation du Fonds européen de développement (FED), qui représente 4 euros par habitant et par an ! Bruxelles se contente de recycler des fonds déjà programmés ailleurs. Aucune mesure ne compensera les pertes de recettes douanières consécutives à l’ouverture des marchés africains, notamment celles perçues sur les 11 milliards d’euros d’importations que les PMA auraient pu continuer à taxer s’ils n’étaient pas intégrés dans l’APE régional. Les pertes seront d’autant plus grandes que la Cedeao a adopté, sous la pression de Bruxelles, un tarif extérieur commun (TEC) qui fixe les droits les plus faibles du monde, notamment de 5 % sur la poudre de lait et les céréales (10 % sur le riz). Le « trou » dans les caisses africaines pourrait atteindre 2,3 milliards d’euros.

Pour convaincre leurs interlocuteurs, les dirigeants européens font valoir que, si l’APE régional n’est finalement pas ratifié, les pays qui ne figurent pas parmi les moins avancés, comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana, devront se contenter des tarifs peu avantageux fixés par le système de préférences généralisées (SPG) de l’Union : 3,5 % de réduction en moyenne par rapport aux droits accordés à la nation la plus favorisée, dits NPF, acquittés par les pays occidentaux. Concrètement, ces Etats devraient payer à l’Union un droit de 136 euros par tonne sur les bananes, de 5,8 % sur les ananas, de 18 à 24 % sur le thon et ses conserves, de 9 % sur le café torréfié, de 2,8 à 6 % sur les produits du cacao, de 8,9 % sur l’huile de palme et de coprah. Les pays des Andes et d’Amérique centrale, qui pour la plupart bénéficient, en plus des ALE, du système de préférences généralisées SPG+ (lire « Régimes douaniers européens »), ne paient que 117 euros sur les bananes en 2014 et n’en paieront que 75 en 2019. Ils exportent leurs ananas, poissons, café torréfié, produits du cacao et huiles de palme et de coprah à droits nuls.

Ce système absurde ne tient pas compte de la différence des situations économiques : en 2012, le produit national brut (PNB) moyen par tête des quatre pays non ACP d’Afrique de l’Ouest était de 1 530 dollars, contre 4 828 dollars pour les six pays non ACP d’Amérique centrale et 7 165 euros pour les trois pays andins. Les perspectives paraissent sombres pour la sous-région, dont le déficit alimentaire a bondi (de 11 millions de dollars en 2000 à 2,9 milliards en 2011) et dont la population explose : trois cent quarante millions d’habitants en 2014 et cinq cent dix millions prévus en 2030.

La faiblesse africaine dans les négociations tient également au fait que les Européens financent en grande partie l’intégration régionale — notamment à travers le budget de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) —, mais aussi les réunions de l’Assemblée parlementaire paritaire Union européenne - ACP et les sessions de « mise à niveau » de leurs experts. Surtout, les dirigeants s’affaiblissent eux-mêmes en écoutant les cabinets d’experts plutôt que leurs populations, pourtant mobilisées et constructives.

Les associations d’Afrique de l’Ouest ont proposé que leur région soit classée « grand PMA », et qu’une dérogation soit demandée à l’OMC. Elles suggèrent aussi d’instituer une taxe de 1,5 % sur les échanges internes à la Cedeao pour compenser les droits de douane que devront payer les exportateurs de Côte d’Ivoire et du Ghana.

« Les chefs d’Etat sont mal informés. On ne comprend pas ce qui les empêche de consulter les mouvements sociaux. Mais ils ne se fient qu’aux bureaucrates, s’insurgeait le 25 octobre 2013 M. Mamadou Cissokho, président honoraire du Roppa. Ce n’est pas acceptable : avant d’engager la vie de millions de personnes, il faut les consulter (6) ! »

La Commission a laissé entendre qu’elle pourrait repousser la date limite pour la ratification au 1er octobre 2016. La bataille n’est pas terminée.

Jacques Berthelot

Economiste. Auteur de Réguler les prix agricoles, L’Harmattan, Paris, 2013.

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10 décembre 2015 4 10 /12 /décembre /2015 19:06

Le double jeu de l’Arabie saoudite face à Daech
"Officiellement, la monarchie saoudienne appartient à la coalition réunie autour des États-Unis pour combattre Daech en Syrie et en Irak. En fait, Riyad est beaucoup plus actif dans la promotion du wahhabisme et, surtout, prend l’offensive pour imposer sa suprématie régionale face à l’Iran."

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8 décembre 2015 2 08 /12 /décembre /2015 21:26
Penser les meurtres de masse: une conférence hétérodoxe et riche de Alain Badiou sur la violence dans le monde capitaliste contemporain

Une conférence du philosophe communiste Alain Badiou en vidéo sur le site de Là-bas si j'y suis: "Penser les meurtres de masse"
Une vision globale et cohérente de notre monde.
C'est un peu long 1h45 mais une fois qu'on a commencé à écouter on va forcément jusqu'au bout.

Lien fourni par notre correspondant du Front de Gauche Pays Bigouden, Gaston Balliot:

http://www.gastonballiot.fr/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse/

Et par notre honorable correspondant de Rennes, Jacky Rivoalan:

Alain Badiou, penser les meurtres de masse.mp3

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