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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 06:57
Turquie: la France et l'UE doivent cesser de cautionner l'entreprise de destruction d'Erdogan contre les Kurdes et les droits de l'homme (PCF)

Depuis plusieurs mois maintenant, le président turc, Recip Teyyep Erdogan, poursuit la plus grave entreprise de répression et de violence contre les populations kurdes de Turquie que le pays ait jamais connu, même sous la dictature militaire.

Les dernières opérations militaires menées par la Turquie, mobilisant 10 000 hommes de gendarmerie et de police appuyés des chars, ont fait depuis le 16 décembre 102 morts parmi les Kurdes parmi lesquels des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Chacun fait mine d'oublier que c'est le pouvoir islamo-conservateur qui a rompu unilatéralement après les élections de juin dernier qu'il n'avait pas réussi à emporter les pourparlers de paix engagés avec A. Ocälan, le leader du PKK. Au prétexte de la « guerre contre le terrorisme », Erdogan poursuit une entreprise d'extermination de forces qui ont longtemps été les seules à résister avec courage, en Irak et en Syrie, aux fanatiques de l’État islamique ; entreprise d'extermination qui menace les populations civiles.

Des villes entières voient leurs habitants martyrisés, bombardés, ciblés par des snipers sans qu'aucun dirigeant ou instance européenne ne s'en émeuve. Pire, c'est au contraire, le moment que l'Union européenne a choisi pour rouvrir le processus d'adhésion de la Turquie à l'UE en contradiction avec tous les principes que l'UE a érigé en conditions intangibles de la construction européenne mais aussi de ses relations extérieures. Terrifiante hypocrisie, et macabres marchandages sur le dos des réfugiés et migrants, alors que désormais « la démocratie, l’État de droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et de leur protection » (article 1bis du Traité de Lisbonne) ne sont plus garantis en Turquie où chaque jour des militants progressistes, des journalistes, des femmes ou hommes de lois sont attaqués, assassinés, des populations entières terrorisées. Les dirigeants européens soutiennent un pouvoir qui en outre maintient la Turquie, membre de l'OTAN, comme force d'occupation d'une partie du territoire de la République de Chypre, qui est, elle, membre de l'UE...

L'attitude et les actions bellicistes de la Turquie compliquent le processus de solution politique qui se dessine pour la Syrie et contribuent à déstabiliser encore un peu plus la situation régionale du Proche et du Moyen-Orient.

Le Parti communiste français veut réaffirmer sa solidarité avec les peuples de Turquie, avec les kurdes, avec les forces progressistes et démocratiques du pays. Il est urgent que la France et l'UE cessent de cautionner cette entreprise de mort et de destruction du président Erdogan et de son gouvernement, et prennent des mesures actives pour protéger les populations :

  • annuler tout versement des milliards d'euros de subventions perçues par la Turquie,
  • suspendre les accords de coopération policière, judiciaire et militaire,
  • suspendre toute discussion,
  • retirer le PKK des listes des organisations terroristes de l'Union européenne,
  • saisir le Conseil de sécurité de l'ONU, au moment où la situation syrienne semble pouvoir trouver une issue politique, pour engager un cessez-le-feu immédiat et la mise en place d'un processus de négociation entre le pouvoir turc et la direction du PKK
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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 06:32
Manuel Valls avait fait le choix de la droite au Vénézuela

Manuel Valls fait le choix de la droite au Venezuela

Les déclarations du premier ministre Manuel Valls félicitant la droite vénézuélienne pour sa victoire aux élections législatives du 6 décembre dernier sont une forme d'ingérence et un geste d'arrogance à l'égard du gouvernement d'un pays ami avec qui la France a de bonnes relations.

Cet acte inacceptable n'est pas le premier de la part de Manuel Valls vis-à-vis du Venezuela. Déjà le 15 octobre dernier, en pleine campagne électorale pour ces élections législatives, le premier ministre français a apporté son soutien à la droite vénézuélienne dans ses déclarations alors qu'il recevait l'épouse de l'un des dirigeants de la coalition d'opposition aujourd'hui emprisonné pour son rôle dans l'organisation des manifestations violentes visant la chute du président Nicolas Maduro* qui venait d'être élu.

Le message de Manuel Valls est en complète contradiction avec la ligne de respect à l'égard des pays de l'Amérique latine que le ministre Laurent Fabius avait annoncée en 2013 lors de ses premiers déplacements dans cette région. Manuel Valls s'arroge des prérogatives qui ne sont pas les siennes alors que le ministère des Affaires étrangères n'a pas jusqu'ici choisi de s'exprimer au sujet de cette élection.

Le chef de l'Exécutif français fait le choix de soutenir une opposition qui s'apprête à démanteler les conquêtes sociales au Venezuela de ces dernières 15 ans en s'attaquant au droit au travail, au droit à la santé, au droit à la retraite, au droit à l'éducation. Le peuple vénézuélien et les forces démocratiques et de progrès du pays apprécieront... mais savent qu'ils peuvent compter sur la solidarité du Parti communiste français dans leur combat de transformation sociale.

* Rappelons que avant l'élection de Maduro d'une courte tête le 14 avril 2013 face à Henrique Capriles à l'élection présidentielle, le parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) de Chavez avait remporté 18 des 21 scrutins organisés au Vénézuela entre 1998 et 2015, signe évidemment de la défiance que lui vouait le peuple vénézuélien dans un contexte où la plupart des médias étaient contrôlés par la droite et les intérêts capitalistes. La coalition de la gauche de gauche au pouvoir obtenait systématiquement entre 40 et 50% des voix à chaque scrutin. A partir de 2003, Chavez a utilisé les fonds du pétrole pour financer des "missions sociales" (programmes sociaux de luttes contre les inégalités) qui ont permis de faire diminuer la pauvreté, laquelle est passée de 43% en 1999 à 30% en 2013, selon l'Institut national de la statistique, mais aussi d'augmenter le pouvoir d'achat des plus démunis et entraîné une hausse de la demande intérieure. En 2003, Chavez a aussi mis en place un contrôle des changes. Soucieux de maintenir le pouvoir d'achat des plus pauvres, Chavez a privilégié un taux de change apprécié de manière à réduire le coût des importations.
(source Alternatives Internationales, janvier 2016).
Internationalement, Chavez et son parti ont contribué à organiser l'auto-détermination de l'Amérique Latine et à la débarrasser de la tutelle impérialiste américaine, ils soutenaient aussi l'économie cubaine confrontée au boycott américain, et toutes les gauches en Amérique Latine, grâce à la manne pétrolière.

La défaite de Maduro s'explique, outre par des motifs de mécontentement comme l'insécurité, l'usure du pouvoir, des scandales de corruption et la violence des luttes de classe et politiques créant un certain autoritarisme dans un contexte d'affaiblissement, par la crise économique liée à la baisse des prix du pétrole de 2009 à 2015, amenant le gouvernement à s'endetter pour soutenir les programmes sociaux.
En demandant à la banque centrale de racheter les dettes de l'entreprise pétrolière d'Etat, ce qui a crée de l'inflation, l'Etat demandant alors aux entreprises de contenir leurs prix pour maintenir le pouvoir d'achat des vénézuéliens, ce qui a provoqué une faillite de certaines d'entre elles et une pénurie de produits de base. Les tensions avec la Colombie pro-américaine ont aussi joué un rôle anxiogène. La baisse de la valeur réelle des salaires liée à une inflation des fortes explique aussi sans doute la victoire du candidat libéral, qui n'est certes pas une bonne nouvelle pour le peuple vénézuélien et latino-américain, même si l'alternance fait partie de la démocratie.

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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 11:20
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12 décembre 2015 6 12 /12 /décembre /2015 19:47
Accords de libre-échange: le baiser de mort de l'Europe à l'Afrique (Jacques Berthelot, Le Monde Diplomatique)

Accords de libre-échange tous azimuts

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BERTHELOT/50757

Le baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique

par Jacques Berthelot

Le baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique

En ce début d’été 2014, l’Union européenne triomphe. Après plus de dix ans d’une sourde bataille, elle a enfin vaincu la résistance des pays africains qui refusaient de conclure avec elle les traités de libre-échange prévus depuis 2000 par l’accord de Cotonou (Bénin) (1). Le 10 juillet, les chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont signé l’accord de partenariat économique (APE) d’Afrique de l’Ouest (2) ; le 22 juillet, l’APE d’Afrique australe était paraphé ; le 25 juillet, le Cameroun ratifiait un APE individuel.

Seule déconvenue pour l’Union : l’Afrique de l’Est n’a pas suivi. Les pays de cette sous-région dominée par l’Afrique du Sud ont refusé de se priver de précieuses recettes douanières sans réelles contreparties européennes. Les APE prévoient en effet la suppression des droits de douane sur trois quarts des exportations de l’Union, tandis que celle-ci continuera à importer d’Afrique de l’Ouest la totalité de ses produits qui sont déjà en franchise de droits. Un marché de dupes. Comment en est-on arrivé à un tel désastre ?

Depuis 2008, les Etats d’Afrique de l’Ouest résistaient aux pressions de Bruxelles, aiguillonnés par de puissants mouvements sociaux réunis au sein de divers réseaux : le Third World Network Africa, basé à Accra (Ghana), la Plate-forme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’accord de Cotonou (Poscao), à Dakar (Sénégal), et le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), à Ouagadougou (Burkina Faso). Mais plusieurs événements ont permis de « retourner » les capitales africaines.

Basculement du rapport de forces

Tout a commencé avec la plainte déposée en 1995 devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par les producteurs latino-américains de bananes. Ils bénéficiaient (d’où le nom de « bananes-dollars ») du soutien de Washington, qui n’a jamais accepté les « préférences » accordées par Bruxelles aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dits ACP. En vertu des conventions de Lomé, signées dans les années 1970, ceux-ci étaient exemptés de droits de douane à l’entrée du marché communautaire (3). Donnant tort à l’Union européenne, l’organe de règlement des différends de l’OMC a ordonné le remplacement des « préférences » par des avantages dits « réciproques » au plus tard fin 2007. Ce fut l’objet des APE programmés par l’accord de Cotonou.

Mais, à l’expiration du délai, seules les Caraïbes avaient conclu un accord régional. Quarante-trois pays n’avaient pas bougé, et vingt avaient signé des accords individuels dits « intérimaires ». Parmi les non-signataires figuraient la majorité des pays moins avancés (PMA) qui relèvent du programme « Tout sauf les armes » adopté par l’Union en 2001 : tous leurs produits, hors les armements, entrent sans droits de douane sur le marché européen. Pour vaincre les résistances, les Vingt-Huit adressent alors un ultimatum aux dirigeants africains : à défaut de ratification des APE régionaux avant le 1er octobre 2014, les exportations des pays hors PMA — en l’occurrence, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cap-Vert et le Nigeria — seront taxées à leur entrée sur le Marché commun.

Au sein de l’Union européenne, les APE ont été négociés par la direction générale du commerce de la Commission, et non par celle du développement et de la coopération, dont relevaient les conventions de Lomé. Quelques Etats ont malgré tout tenté de limiter les dégâts. « L’Union devrait opter pour une approche non mercantiliste et ne poursuivre aucun intérêt offensif, déclaraient conjointement, en mars 2005, le ministère du commerce et le ministère du développement international britanniques. L’Union devrait proposer à l’OMC (...) de réduire les exigences de réciprocité et de se recentrer sur les priorités du développement. » Au Royaume-Uni, les grandes associations (Oxfam, ActionAid, Christian Aid, Friends of the Earth) ont l’oreille de l’opinion, tandis que Downing Street défend les intérêts bien compris des industriels, qui misent sur l’essor des économies africaines.

En mai 2006, la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale française adoptait à l’unanimité le rapport du député Jean-Claude Lefort, qui s’interrogeait : « Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera dans quelques années le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respect des règles de l’OMC (4) ? » Si le Parlement européen a produit de nombreux rapports contestant les APE, il s’est finalement aligné sur la Commission.

En 2013, la pression des ministres du commerce et de la coopération du Danemark, des Pays-Bas, de la France, du Royaume-Uni et de l’Irlande n’a fait que légèrement fléchir Bruxelles : la Commission a abaissé de 80 à 75 % le pourcentage des exportations de l’Union qui entreront en franchise de droits sur le marché de l’Afrique de l’Ouest (5).

Côté africain, c’est l’arrivée au pouvoir de M. Alassane Ouattara (2011) en Côte d’Ivoire — poids lourd économique de la sous-région — qui a permis d’emporter l’adhésion de la Cedeao. « En libéral convaincu, explique M. Cheikh Tidiane Dieye, directeur de la Poscao, M. Ouattara ne cache pas son engagement en faveur de l’accord de libre-échange, qui aura pour lui l’intérêt de maintenir l’accès préférentiel au marché de l’Union pour le thon, la banane et le cacao, entre autres. » Après s’être vigoureusement opposé aux APE, le Sénégal s’y rallie, avec pour objectif de devenir l’interlocuteur privilégié des Européens. De son côté, le Nigeria se montre conciliant depuis qu’il attend le soutien occidental dans la lutte contre Boko Haram.

Pourtant, l’Afrique de l’Ouest a tout à perdre. Le marché de la banane l’illustre parfaitement. Sanctionné par l’OMC, Bruxelles s’était engagé en 2009 à réduire ses droits sur les fruits venus des plantations d’Amérique latine : de 176 euros la tonne en 2009 à 114 euros en 2017. Dans la foulée, en décembre 2012, des accords bilatéraux de libre-échange (ALE) ont été signés avec la Colombie et le Pérou d’une part, avec six pays d’Amérique centrale d’autre part (Costa Rica, Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panamá), pour qui les droits seront abaissés peu à peu à 75 euros la tonne d’ici à 2019. Un avantage dont va bénéficier l’Equateur après la signature, le 17 juillet 2014, de son accord d’association avec l’Union (il est resté, du fait de ses prix faibles, le premier exportateur vers l’Europe comme vers le reste du monde). En 2009, des compensations — insuffisantes — avaient été accordées à la Côte d’Ivoire et au Ghana, leur permettant de continuer à exporter à droits nuls sans plafond. En 2014, rien n’est prévu dans l’APE.

Un système absurde

Or les préférences accordées aux bananes ACP, africaines notamment, perdront tout intérêt si les négociations d’accords de libre-échange avec le Marché commun du Sud (Mercosur), l’Inde et bientôt les Philippines (second exportateur) aboutissent. Le Brésil réclame un quota tarifaire à droits nuls de deux cent mille tonnes. L’Inde, premier producteur de bananes avec trente millions de tonnes, commence à s’organiser pour exporter.

La compétitivité des pays des Andes et d’Amérique centrale devrait beaucoup s’accroître par rapport à celle des ACP, car la fourberie de Bruxelles ne connaît aucune limite. En effet, tous les pays qui signent des accords de libre-échange bilatéraux peuvent ipso facto exporter à droits nuls vers l’Union, sauf pour certains produits soumis à des quotas (viandes, produits laitiers et sucre, textile-habillement). En outre, les pays d’Amérique latine, dont les monnaies sont arrimées au dollar, devraient bénéficier de la politique américaine de monnaie faible par rapport à l’euro — auquel est lié le franc CFA.

Malgré les promesses, l’APE d’Afrique de l’Ouest ne devrait pas bénéficier des 6,5 milliards d’euros sur cinq ans inscrits dans son plan de financement : aucun ajout n’est en effet prévu à la dotation du Fonds européen de développement (FED), qui représente 4 euros par habitant et par an ! Bruxelles se contente de recycler des fonds déjà programmés ailleurs. Aucune mesure ne compensera les pertes de recettes douanières consécutives à l’ouverture des marchés africains, notamment celles perçues sur les 11 milliards d’euros d’importations que les PMA auraient pu continuer à taxer s’ils n’étaient pas intégrés dans l’APE régional. Les pertes seront d’autant plus grandes que la Cedeao a adopté, sous la pression de Bruxelles, un tarif extérieur commun (TEC) qui fixe les droits les plus faibles du monde, notamment de 5 % sur la poudre de lait et les céréales (10 % sur le riz). Le « trou » dans les caisses africaines pourrait atteindre 2,3 milliards d’euros.

Pour convaincre leurs interlocuteurs, les dirigeants européens font valoir que, si l’APE régional n’est finalement pas ratifié, les pays qui ne figurent pas parmi les moins avancés, comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana, devront se contenter des tarifs peu avantageux fixés par le système de préférences généralisées (SPG) de l’Union : 3,5 % de réduction en moyenne par rapport aux droits accordés à la nation la plus favorisée, dits NPF, acquittés par les pays occidentaux. Concrètement, ces Etats devraient payer à l’Union un droit de 136 euros par tonne sur les bananes, de 5,8 % sur les ananas, de 18 à 24 % sur le thon et ses conserves, de 9 % sur le café torréfié, de 2,8 à 6 % sur les produits du cacao, de 8,9 % sur l’huile de palme et de coprah. Les pays des Andes et d’Amérique centrale, qui pour la plupart bénéficient, en plus des ALE, du système de préférences généralisées SPG+ (lire « Régimes douaniers européens »), ne paient que 117 euros sur les bananes en 2014 et n’en paieront que 75 en 2019. Ils exportent leurs ananas, poissons, café torréfié, produits du cacao et huiles de palme et de coprah à droits nuls.

Ce système absurde ne tient pas compte de la différence des situations économiques : en 2012, le produit national brut (PNB) moyen par tête des quatre pays non ACP d’Afrique de l’Ouest était de 1 530 dollars, contre 4 828 dollars pour les six pays non ACP d’Amérique centrale et 7 165 euros pour les trois pays andins. Les perspectives paraissent sombres pour la sous-région, dont le déficit alimentaire a bondi (de 11 millions de dollars en 2000 à 2,9 milliards en 2011) et dont la population explose : trois cent quarante millions d’habitants en 2014 et cinq cent dix millions prévus en 2030.

La faiblesse africaine dans les négociations tient également au fait que les Européens financent en grande partie l’intégration régionale — notamment à travers le budget de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) —, mais aussi les réunions de l’Assemblée parlementaire paritaire Union européenne - ACP et les sessions de « mise à niveau » de leurs experts. Surtout, les dirigeants s’affaiblissent eux-mêmes en écoutant les cabinets d’experts plutôt que leurs populations, pourtant mobilisées et constructives.

Les associations d’Afrique de l’Ouest ont proposé que leur région soit classée « grand PMA », et qu’une dérogation soit demandée à l’OMC. Elles suggèrent aussi d’instituer une taxe de 1,5 % sur les échanges internes à la Cedeao pour compenser les droits de douane que devront payer les exportateurs de Côte d’Ivoire et du Ghana.

« Les chefs d’Etat sont mal informés. On ne comprend pas ce qui les empêche de consulter les mouvements sociaux. Mais ils ne se fient qu’aux bureaucrates, s’insurgeait le 25 octobre 2013 M. Mamadou Cissokho, président honoraire du Roppa. Ce n’est pas acceptable : avant d’engager la vie de millions de personnes, il faut les consulter (6) ! »

La Commission a laissé entendre qu’elle pourrait repousser la date limite pour la ratification au 1er octobre 2016. La bataille n’est pas terminée.

Jacques Berthelot

Economiste. Auteur de Réguler les prix agricoles, L’Harmattan, Paris, 2013.

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10 décembre 2015 4 10 /12 /décembre /2015 19:06

Le double jeu de l’Arabie saoudite face à Daech
"Officiellement, la monarchie saoudienne appartient à la coalition réunie autour des États-Unis pour combattre Daech en Syrie et en Irak. En fait, Riyad est beaucoup plus actif dans la promotion du wahhabisme et, surtout, prend l’offensive pour imposer sa suprématie régionale face à l’Iran."

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8 décembre 2015 2 08 /12 /décembre /2015 21:26
Penser les meurtres de masse: une conférence hétérodoxe et riche de Alain Badiou sur la violence dans le monde capitaliste contemporain

Une conférence du philosophe communiste Alain Badiou en vidéo sur le site de Là-bas si j'y suis: "Penser les meurtres de masse"
Une vision globale et cohérente de notre monde.
C'est un peu long 1h45 mais une fois qu'on a commencé à écouter on va forcément jusqu'au bout.

Lien fourni par notre correspondant du Front de Gauche Pays Bigouden, Gaston Balliot:

http://www.gastonballiot.fr/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse/

Et par notre honorable correspondant de Rennes, Jacky Rivoalan:

Alain Badiou, penser les meurtres de masse.mp3

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5 décembre 2015 6 05 /12 /décembre /2015 08:08
Cinq conflits entremêlés, par Pierre Conesa (Monde Diplomatique, décembre 2015): les sous-bassements religieux et politiques des conflits actuels au Proche et Moyen-Orient

L’engouement quasi unanime des responsables politiques pour la « guerre » traduit une grave méconnaissance de la réalité du terrain. Décidé durant l’été 2014, l’engagement militaire occidental ajoute une cinquième strate à une superposition de conflits qui embrasent l’aire arabo-islamique.

par Pierre Conesa

En 1979, la révolution iranienne mettait en place le premier régime politique officiellement « islamique », mais en réalité exclusivement chiite. Elle revivifiait ainsi le conflit ancestral entre sunnites et chiites, qui représente la première strate d’une lente sédimentation. Quand, après sa prise du pouvoir à Téhéran, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny demande une gestion collective des lieux saints de l’islam, le défi apparaît insupportable pour l’Arabie saoudite.

Un an avant de trouver la mort près de Lyon à la suite des attentats de 1995 en France, le jeune djihadiste Khaled Kelkal déclarait au sociologue allemand qui l’interrogeait : « Le chiisme a été inventé par les juifs pour diviser l’islam » (1). Les wahhabites saoudiens ont la vieille habitude de massacrer des chiites, comme en témoignait dès 1802 la prise de Kerbala (aujourd’hui en Irak), qui se traduisit par la destruction de sanctuaires et de tombeaux, dont celui de l’imam Hussein, et le meurtre de nombreux habitants.

Cette « guerre de religion » déchire aujourd’hui sept pays de la région : Afghanistan, Irak, Syrie, Pakistan, Liban, Yémen et Bahreïn. Elle surgit sporadiquement au Koweït et en Arabie saoudite. En Malaisie, le chiisme est officiellement banni. A l’échelle de la planète, les attentats les plus aveugles, comme ceux commis durant des pèlerinages, tuent dix fois plus de musulmans que de non-musulmans, les trois pays les plus frappés étant l’Afghanistan, l’Irak et le Pakistan. L’oumma, la communauté des croyants, que les salafistes djihadistes prétendent défendre, recouvre aujourd’hui un gigantesque espace d’affrontements religieux.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi Riyad mobilise beaucoup plus facilement ses avions et ses troupes contre les houthistes du Yémen, assimilés aux chiites, que pour porter secours au régime prochiite de Bagdad.

On voit mal pourquoi les Occidentaux devraient prendre position dans cette guerre, et avec quelle légitimité.

La deuxième guerre est celle que mènent les Kurdes pour se rendre maîtres de leur destin, en particulier contre l’Etat turc. Elle est née en 1923, dans les décombres de l’Empire ottoman, avec le traité de Lausanne, qui divisait le Kurdistan entre les quatre pays de la région : Turquie, Syrie, Irak et Iran. Les nombreuses révoltes qui ont secoué le Kurdistan turc entre 1925 et 1939 ont toutes été écrasées par Mustafa Kemal Atatürk. Depuis les années 1960, tous les soulèvements, en Turquie, en Irak ou en Iran, ont été noyés dans le sang, dans l’indifférence de la communauté internationale. Depuis 1984, cette guerre a causé plus de 40 000 morts en Turquie, où 3 000 villages kurdes ont été détruits, pour un coût estimé à quelque 84 milliards de dollars (2).

Nul ne devrait être surpris qu’Ankara ait laissé affluer les candidats djihadistes vers les deux principales forces dans lesquelles ils se reconnaissent, le Front Al-Nosra et l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), puisqu’elles combattent les Kurdes d’Irak et surtout de Syrie, très proches de ceux de Turquie. Principale menace pour Ankara, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) reste classé comme groupe terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis, et ne peut recevoir d’aide militaire occidentale. Seul pays de la région à appartenir à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et à avoir la capacité de modifier la situation militaire sur le terrain, la Turquie a fini par rejoindre la coalition. Mais elle concentre ses moyens sur la reprise des affrontements avec le PKK et voit d’un mauvais œil les Kurdes d’Irak et de Syrie gagner une indépendance de fait.

Troisième guerre en cours : celle qui déchire les islamistes entre eux depuis la guerre du Golfe (1990-1991) et plus encore depuis les révoltes arabes. La rivalité la mieux connue oppose les Frères musulmans, soutenus par le Qatar, et les salafistes, soutenus par l’Arabie saoudite, en Egypte, en Libye ou en Tunisie.

Plus nouvelle est la concurrence entre, d’une part, Al-Qaida et ses franchisés et, d’autre part, les affidés de M. Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’OEI. Au cours des premiers mois de 2014, ces derniers ont pris le pas sur le Front Al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaida en Syrie, au prix de plus de 6 000 morts (3). La proclamation du « califat » a suscité de nombreux ralliements. Les combattants étrangers de l’OEI proviennent d’une centaine de pays. En désignant M.Al-Baghdadi comme leur ennemi principal, les pays occidentaux orientent de façon décisive la mobilisation des djihadistes à ses côtés.

Enfin, l’une des guerres les plus meurtrières, qui a fait près de 250 000 morts et des millions de réfugiés, est celle que mène le président syrien Bachar Al-Assad contre tous ses opposants.

Riyad envoie une quinzaine d’avions de combat en Irak, contre une centaine au Yémen

La bataille que livrent les Occidentaux apparaît, elle, comme un nouvel épisode d’une guerre beaucoup plus ancienne, avec une autojustification historique insupportable pour les populations de la région.

Faut-il remonter aux accords Sykes-Picot, ce partage colonial de la région entre la France et le Royaume-Uni sur les ruines de l’Empire ottoman ?

Faut-il remonter à Winston Churchill, alors secrétaire à la guerre du Royaume-Uni, faisant raser des villes et des villages kurdes — bombardés au gaz chimique ypérite — et tuer les deux tiers de la population de la ville kurde de Souleimaniyé, ou réprimant violemment les chiites irakiens entre 1921 et 1925 ?

Comment oublier la guerre Iran-Irak (1980-1988), dans laquelle Occidentaux et Soviétiques soutinrent l’agresseur (Bagdad) et mirent sous embargo l’agressé (Téhéran) ?

M. Barack Obama est le quatrième président américain à envoyer des bombardiers en Irak, pays déjà meurtri par vingt-trois ans de frappes militaires occidentales. Après l’invasion américaine, entre 2003 et 2011, près de 120 000 civils ont été tués (4). En 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès imputables à cette guerre à 655 000, cette catastrophe démographique s’ajoutant aux 500 000 morts causés par l’embargo international entre 1991 et 2002. Aux dires de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright, le 12 mai 1996 sur CBS, cela en « valait la peine ».

Aujourd’hui, pourquoi les Occidentaux interviennent-ils contre l’OEI ?

Pour défendre des principes humanistes ?

Il est permis d’en douter lorsqu’on constate que trois pays de l’alliance continuent à pratiquer la décapitation, la lapidation et à couper les mains des voleurs : le Qatar, les Emirats arabes unis et — très loin devant les deux premiers — l’Arabie saoudite.

La liberté religieuse ?

Personne n’ose l’exiger de Riyad, où une cour d’appel vient de condamner à mort un poète palestinien pour apostasie (5).

S’agit-il alors d’empêcher les massacres ?

L’opinion arabe a du mal à le croire quand, deux mois après les 1 900 morts des bombardements israéliens sur Gaza, qui avaient laissé les capitales occidentales étrangement amorphes, la décapitation de trois Occidentaux a suffi pour les décider à bombarder le nord de l’Irak. « Mille morts à Gaza, on ne fait rien ; trois Occidentaux égorgés, on envoie l’armée ! »,dénonçait un site salafiste francophone.

Pour le pétrole, alors ?

L’essentiel des hydrocarbures de la région s’en va vers les pays d’Asie, totalement absents de la coalition.

Pour tarir le flot des réfugiés ?

Mais, dans ce cas, comment accepter que les richissimes Etats du Golfe n’en accueillent aucun ?

Pour protéger les « droits de l’homme » en défendant l’Arabie saoudite ?

Riyad vient d’en démontrer sa conception novatrice en condamnant M.Ali Al-Nimr, un jeune manifestant chiite, à être décapité puis crucifié avant que son corps soit exposé publiquement jusqu’au pourrissement (6).

Sur le plan militaire, les contradictions sont plus évidentes encore. Aujourd’hui, seuls les avions occidentaux bombardent réellement l’OEI. Les Etats-Unis en déploient près de 400, et la France une quarantaine, dans le cadre de l’opération « Chammal », avec l’arrivée du porte-avions Charles- de-Gaulle (7).

L’Arabie saoudite dispose d’environ 400 avions de combat, mais elle n’en engage qu’une quinzaine en Irak, soit autant que les Pays-Bas et le Danemark réunis.

En revanche, au Yémen, près d’une centaine d’avions saoudiens participent aux bombardements de la coalition des dix pays arabes sunnites contre les houthistes (chiites), menée par Riyad.

Dix pays arabes contre les chiites du Yémen, cinq contre l’OEI : étrange déséquilibre ! C’est bien contre les houthistes que Riyad mobilise toutes ses forces, et non contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), dont se revendiquait Chérif Kouachi, auteur des attentats contre Charlie Hebdo à Paris. Cette organisation que l’ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) David Petraeus qualifiait de« branche la plus dangereuse » de la nébuleuse Al-Qaida a pris le contrôle d’Aden, la deuxième ville du Yémen.

Désormais, l’OEI a atteint trois objectifs stratégiques. Tout d’abord, elle apparaît comme le défenseur des sunnites opprimés en Syrie et en Irak. Ses victimes sont à 90 % des musulmans. En Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Pakistan, les victimes des attentats sont d’abord des chiites, ensuite de « mauvais musulmans » — en particulier des soufis —, puis des représentants des régimes arabes et, en dernier lieu seulement, des membres de minorités religieuses ou des Occidentaux.

Par ailleurs, l’OEI est parvenue à délégitimer Al-Qaida et sa branche locale en Syrie, le Front Al-Nosra. Les appels du successeur d’Oussama Ben Laden, M. Ayman Al-Zawahiri, mettant en demeure M. Al-Baghdadi de se placer sous son autorité, traduisent une impuissance pathétique. La somme des défections au sein des groupes djihadistes montre la dynamique nouvelle créée par l’OEI.

A terme, le « calife » Al-Baghdadi devra défier l’Arabie saoudite

Enfin, l’OEI est devenue l’ennemi numéro un de l’Occident. Celui-ci a déclenché contre elle une « croisade » qui ne dit pas son nom, mais qui peut facilement être présentée comme telle par les propagandistes du djihad. L’opération américaine « Inherent Resolve » (« Détermination absolue ») regroupe principalement douze pays de l’OTAN (plus l’Australie), et l’alliance retrouvée avec la Russie renforcera encore plus le caractère de « front chrétien » que la propagande sur Internet sait si bien utiliser. Selon une pétition en ligne signée par 53 membres du clergé saoudien, les frappes aériennes russes ont visé des « combattants de la guerre sainte en Syrie » qui « défendent la nation musulmane dans son ensemble ». Et, si ces combattants sont vaincus, « les pays de l’islam sunnite tomberont tous, les uns après les autres » (8).

La contre-stratégie militaire des Saoud ne laisse planer aucune ambiguïté : elle est essentiellement axée sur la lutte contre les chiites. Riyad, comme les autres capitales du Conseil de coopération du Golfe, ne peut considérer l’OEI comme la principale menace, sous peine de se trouver contesté par sa propre société.

L’intervention militaire saoudienne à Bahreïn en 2012 était destinée à briser le mouvement de contestation républicain, principalement chiite, qui menaçait la monarchie sunnite des Al-Khalifa.

Au Yémen, l’opération « Tempête décisive » lancée en mars 2015 vise à rétablir le président Mansour Hadi, renversé par la révolte houthiste. Il n’est évidemment pas question pour Riyad d’envoyer ses fantassins contre l’OEI alors que 150 000 hommes sont déployés sur la frontière yéménite. Pourtant, le prochain objectif de l’OEI devrait être d’asseoir la légitimité religieuse de son « calife », qui s’est nommé lui-même Ibrahim (Abraham) Al-Muminim (« commandeur des croyants », titre de l’époque abbasside) Abou Bakr (nom du premier calife) Al-Baghdadi Al-Husseini Al-Qurashi (nom de la tribu du Prophète). Une véritable compétition est engagée avec l’autre puissance qui prétend prendre la tête de l’oumma et représenter l’islam : l’Arabie saoudite est dorénavant contestée sur le terrain. Pour l’emporter, M. Al-Baghdadi doit défier le « défenseur des lieux saints ». On peut donc penser qu’à terme, une fois réduites les zones chiites, le « calife » visera l’Arabie saoudite.

Quelles conséquences probables pour l’Europe ? Après les réfugiés afghans, irakiens et syriens, elle devrait rapidement voir arriver les réfugiés yéménites. Pays plus peuplé que la Syrie, le Yémen ne peut évacuer ses ressortissants vers les pays frontaliers, tous membres de la coalition qui le bombarde. Depuis 2004, la guerre a fait plus de 340 000 déplacés, dont 15 % vivaient dans des camps, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies. En outre, le Yémen accueillait 246 000 réfugiés, somaliens à 95 %. Les pays du Conseil de coopération du Golfe montreront le même égoïsme que lors de l’exode syrien, c’est-à-dire : aucune place offerte aux réfugiés. Reste donc l’Europe.

On comprend mieux pourquoi l’alliance mène une guerre pour laquelle elle ne peut fixer un objectif stratégique clair : chacun de ses alliés est en conflit avec un autre. Les interventions en Irak, en Syrie, au Mali ou en Afghanistan s’apparentent au traitement de métastases ; le cancer salafiste a son foyer dans les pays du Golfe, protégés par les forces occidentales. Peut-on détruire l’OEI sans renforcer d’autres mouvements djihadistes, le régime de M. Al-Assad ou Téhéran ?

La guerre sera longue et impossible à gagner, car aucun des alliés régionaux n’enverra de troupes au sol, ce qui risquerait de menacer ses propres intérêts.

La stratégie occidentale fondée sur les bombardements et la formation de combattants locaux a échoué en Syrie et en Irak comme en Afghanistan. Européens et Américains poursuivent des objectifs qui ignorent les mécanismes des crises internes au monde arabo-musulman. Plus l’engagement militaire s’accentuera, plus le risque terroriste augmentera, avant l’affrontement prévisible et ravageur qui devrait finir par opposer l’OEI à l’Arabie saoudite. Est-ce « notre » guerre ?

Pierre Conesa

Maître de conférences à Sciences Po Paris, ancien haut fonctionnaire au ministère de la défense. Auteur du rapport « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? », décembre 2014, et du Guide du petit djihadiste, à paraître en janvier 2016 aux éditions Fayard.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

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5 décembre 2015 6 05 /12 /décembre /2015 08:03

Revendiquées par l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), les tueries du 13 novembre dernier à Paris ont entraîné l’intensification de l’engagement occidental au Proche-Orient. Cette région du monde paraît ainsi condamnée aux interventions armées. Pourtant, si la destruction militaire de l’OEI en Syrie et en Irak constitue un objectif sur lequel semblent s’accorder des dizaines de pays étrangers, des Etats-Unis à la Russie, de l’Iran à la Turquie, tout le reste les sépare…

«Je ne suis pas contre toutes les guerres. Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre imbécile, une guerre irréfléchie, une guerre fondée non pas sur la raison mais sur la colère. » Ainsi parlait, le 2 octobre 2002, un élu de l’Illinois nommé Barack Obama. La « colère » consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 n’était pas retombée aux Etats-Unis, et le président George W. Bush avait choisi de la rediriger non pas vers l’Arabie saoudite, d’où provenaient la plupart des membres des commandos d’Al-Qaida, mais vers l’Irak, qu’il attaquerait six mois plus tard. Les médias voulaient la guerre ; la plupart des sénateurs démocrates, dont Mme Hillary Clinton, s’y rallièrent. Et l’invasion de l’Irak créa le chaos qui servirait d’incubateur à l’Organisation de l’Etat islamique (OEI).

Les tueries du 13 novembre à Paris sont en passe de favoriser les deux principaux objectifs de cette organisation. Le premier est la création d’une coalition d’« apostats », d’« infidèles », de « renégats chiites » qui viendra la combattre, en Irak et en Syrie pour commencer, en Libye ensuite. Son second projet est d’inciter la majorité des Occidentaux à croire que leurs compatriotes musulmans pourraient constituer une « cinquième colonne » tapie dans l’ombre, un « ennemi intérieur » au service des tueurs.

La guerre et la peur : même un objectif apocalyptique de ce type comporte une part de rationalité. Les djihadistes ont calculé que les « croisés » et les « idolâtres »pouvaient bien bombarder (« frapper ») des villes syriennes, quadriller des provinces irakiennes, mais qu’ils ne parviendraient jamais à occuper durablement une terre arabe. L’OEI escompte par ailleurs que ses attentats européens attiseront la méfiance envers les musulmans d’Occident et généraliseront les mesures policières à leur encontre. Ce qui décuplera leur ressentiment au point de pousser quelques-uns d’entre eux à rejoindre les rangs du califat. Extrêmement minoritaires, assurément, mais les janissaires du djihadisme salafiste n’ont pas pour objectif de gagner des élections. A vrai dire, si un parti antimusulman les remporte, la réalisation de leur projet avancera d’autant plus vite.

« La France est en guerre », a annoncé d’emblée le président François Hollande aux parlementaires réunis en Congrès le 16 novembre. L’Elysée cherche depuis longtemps à s’engager sur le front syrien et s’acharne à y impliquer davantage les Etats-Unis. Mais l’une des bizarreries de cette affaire tient au fait que M. Hollande veut livrer aujourd’hui la guerre à l’OEI en Syrie alors qu’il y a deux ans, en proie au même entêtement guerrier, il s’employait à convaincre Washington de « punir » le régime de M. Bachar Al-Assad.

M. Obama s’opposera-t-il très longtemps à la « guerre imbécile » que réclame l’Elysée ? La pression qu’il subit est d’autant plus forte que l’OEI poursuit le même dessein que Paris… Comme l’expliquait le chercheur Pierre-Jean Luizard il y a quelques mois, tout s’est passé dans une première étape « comme si l’Etat islamique avait consciencieusement listé tout ce qui peut révulser les opinions publiques occidentales : atteintes aux droits des minorités, aux droits des femmes, avec notamment le mariage forcé, exécutions d’homosexuels, rétablissement de l’esclavage, sans parler des scènes de décapitation et d’exécution de masse (1) ».

Lorsque l’exhibition de ce catalogue macabre n’a plus suffi, ou plus tout à fait, l’OEI a décidé d’égorger un otage américain, en veillant à diffuser les images de la scène ; puis elle a organisé plusieurs fusillades meurtrières à Paris. La riposte des « croisés » ne pouvait plus tarder.

De fait, un chef d’Etat est presque contraint de réagir à des actions spectaculaires de ce genre. La pression politique l’invite à annoncer aussitôt quelque chose, y compris parfois n’importe quoi. Ordonner la destruction d’un hangar, d’un dépôt de munitions, le bombardement d’une ville. Afficher sa détermination. Promettre de nouvelles lois encore plus sévères, fustiger les « munichois ». Entrelarder ses phrases de termes martiaux, parler de « sang », et assurer qu’on sera « impitoyable ». Récolter des ovations debout, puis dix points dans les sondages. Au final, tout cela se révèle souvent déraisonnable, « imbécile » ; mais seulement quelques mois plus tard. Et ce piège de la surenchère semble de plus en plus irrésistible, en particulier en régime d’information continue, haletante, frénétique, quand aucun acte, aucune déclaration ne doit demeurer sans réplique immédiate.

En 1991, au moment de la guerre du Golfe, les faucons américains reprochèrent au président George H. Bush de ne pas avoir ordonné aux troupes qui venaient de libérer le Koweït de poursuivre jusqu’à Bagdad. Quatre ans plus tard, le chef d’état-major américain de l’époque, le général Colin Powell, justifia leur retenue, toute relative : « Au plan géopolitique, la coalition, en particulier les Etats arabes, ne voulait pas que l’Irak soit envahi et démembré. (…) Un Irak fragmenté en entités politiques sunnites, chiites et kurdes n’aurait pas contribué à la stabilité que nous recherchions au Proche-Orient. Le seul moyen d’éviter une telle issue aurait été la conquête et l’occupation par les Etats-Unis d’un pays de 20 millions d’habitants. (…)Au demeurant, il aurait été naïf d’espérer que, si Saddam était tombé, un Thomas Jefferson irakien l’eût remplacé. Nous aurions vraisemblablement hérité d’un Saddam avec un autre nom (2). » En 2003, on le sait, M. George W. Bush « acheva le travail » militaire de son père. Les néoconservateurs saluèrent alors un nouveau Churchill, la démocratie, le courage. Et le général Powell oublia sans doute de se relire, puisqu’il vit toutes ses craintes réalisées par un président qu’il servait cette fois comme secrétaire d’Etat…

On a souvent reproché à M. George W. Bush son simplisme enfantin et criminel, sa« guerre à la terreur ». Il paraît avoir trouvé des héritiers à Paris. « Revenons à des choses simples, vient ainsi d’expliquer M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec son ton de maître d’école spécialisé dans l’instruction des enfants en bas âge que nous sommes. Daech, ce sont des monstres, mais ils sont 30 000. Si l’ensemble des pays du monde n’est pas capable d’éradiquer 30 000 personnes qui sont des monstres, alors à ce moment-là c’est à ne plus rien comprendre (3). »Essayons donc de le lui expliquer.

En recourant d’abord à la métaphore des poissons dans l’eau : les « 30 000 monstres » disposent de nombreux appuis dans les zones sunnites d’Irak et de Syrie ; les armées qu’ils affrontent y sont en effet souvent perçues comme les instruments de dictatures chiites, responsables de nombreux massacres elles aussi. C’est pour cette raison que l’OEI s’est emparée de plusieurs villes, parfois sans combattre, lorsque les soldats qui les défendaient abandonnèrent leurs uniformes et leurs armes avant de détaler. Les Etats-Unis ont cherché à financer la formation et l’équipement de plus de 4 000 combattants syriens « modérés » ; or, d’après les Américains eux-mêmes, seuls « quatre ou cinq » seraient opérationnels. Coût unitaire : plusieurs millions de dollars… A Mossoul, 30 000 soldats irakiens ont été défaits par 1 000 combattants de l’OEI, qui se sont emparés de plus de 2 000 véhicules blindés et des centaines de millions de dollars qui les attendaient dans les coffres des banques. A Ramadi, les djihadistes ont également défait des forces irakiennes vingt-cinq fois plus nombreuses. Les soldats syriens sont épuisés par quatre années de guerre. Et les Kurdes, souvent victorieux contre l’OEI, n’ont pas vocation à mourir pour des territoires qu’ils ne revendiquent pas. « En réalité,observe Luizard, l’Etat islamique n’est fort que de la faiblesse de ses adversaires et il prospère sur les ruines d’institutions en cours d’effondrement (4). »

Même situation en Libye. Sous le coup d’une émotion légitime, et sous l’égide d’un tandem de choc composé de M. Nicolas Sarkozy et de Bernard-Henri Lévy, la France a puissamment œuvré à la chute de Mouammar Kadhafi. Elle imaginait que, là aussi, il suffirait de laisser lyncher un dictateur pour que son trépas enfante une démocratie libérale à l’occidentale. Résultat : l’Etat est en morceaux et l’OEI contrôle plusieurs villes du pays, d’où elle organise des attentats contre la Tunisie voisine. Au point que le ministre français de la défense admet aujourd’hui : « La Libye me préoccupe beaucoup. Daech s’y est installé en profitant des affrontements internes entre Libyens. » Toutefois, calcule-t-il, « si on réunit les forces de Tobrouk et de Tripoli, Daech n’existe plus » (5)… Le problème était pourtant déjà résolu il y a trois ans, quand Bernard-Henri Lévy expliquait : « La Libye, contrairement à ce qu’annonçaient les Cassandres, n’a pas éclaté en trois entités confédérées. (…) La loi des tribus n’a pas prévalu sur le sentiment d’unité nationale. (…) Pour l’heure, le fait est là : la Libye, comparée à la Tunisie et l’Egypte, fait figure de printemps réussi — et ceux qui l’ont aidée peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait (6). » Une fierté tout à fait légitime : en dehors de Bernard Guetta, qui relaie chaque matin sur France Inter le point de vue du Quai d’Orsay (7), nul n’affabule avec autant d’aisance que lui.

Dorénavant, le président français appelle de ses vœux « une grande et unique coalition » contre l’OEI. Elle inclurait nécessairement le président syrien. Or celui-ci répond déjà : « Vous ne pourrez pas combattre Daech en restant alliés au Qatar et à l’Arabie saoudite qui arment les terroristes (8). » De son côté, le président russe juge que la Turquie, autre membre présumé de l’alliance antidjihadiste, a donné un« coup de poignard dans le dos » à son pays en abattant, le 24 novembre, un de ses avions militaires. En somme, sitôt la guerre remportée par la coalition hétéroclite que Paris cherche à bricoler, la question du « jour d’après » se poserait dans des conditions encore plus périlleuses qu’en Afghanistan, en Irak et en Libye. Mais, aux Etats-Unis, les néoconservateurs ont déjà oublié (comme l’Elysée ?) tous ces échecs. Au point de réclamer l’envoi dans les zones occupées par l’OEI de 50 000 soldats américains (9). Et puis sans doute davantage.

Dans la dernière livraison de la revue Foreign Affairs, deux universitaires spécialistes du Proche-Orient, Steven Simon et Jonathan Stevenson, dressent l’inventaire des conditions qui rendraient durable un succès militaire occidental sur le terrain contrôlé en ce moment par l’OEI : appui de l’opinion publique américaine, envoi d’un nombre important de spécialistes de la reconstruction, connaissance des sociétés locales, présence sur les terrains irakien et syrien de clients ou d’alliés. Puis ils concluent : « Si tout cela semble familier, c’est qu’il s’agit précisément de la liste des choses que Washington a été incapable de réaliser lors de ses deux dernières interventions d’envergure au Moyen-Orient : l’invasion de l’Irak en 2003 et la campagne aérienne contre la Libye en 2011. Pour le dire simplement, les Etats-Unis perdraient vraisemblablement une autre guerre au Moyen-Orient pour les mêmes raisons que lors des deux précédentes (10). »

Déjà lourdement engagée en Afrique, la France n’a pas vocation à gagner cette « guerre »-là. Le fait que l’OEI souhaite l’attirer dans un tel piège n’oblige pas M. Hollande à s’y précipiter et à y entraîner une coalition de pays souvent beaucoup plus circonspects. Le terrorisme tue des civils ; la guerre aussi. L’intensification des bombardements occidentaux en Irak et en Syrie, qui crée autant de combattants djihadistes qu’elle en détruit, ne rétablira ni l’intégrité de ces Etats ni la légitimité de leurs gouvernements aux yeux de leurs populations. Une solution durable dépendra des peuples de la région, d’un accord politique, pas des anciennes puissances coloniales, ni des Etats-Unis, que disqualifient à la fois leur soutien aux pires politiques israéliennes et le bilan effroyable de leur aventurisme militaire — effroyable y compris de leur propre point de vue : en envahissant l’Irak en 2003, après avoir soutenu pendant huit ans Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (plus d’un million de morts), ils ont transformé ce pays en allié de Téhéran… Enfin, des Etats vendant des armes aux pétrodictatures du Golfe qui ont propagé le salafisme djihadiste (lire Genèse du djihadisme) ne sont qualifiés ni pour parler de paix, ni pour enseigner aux Arabes les vertus de la démocratie pluraliste.

« Quand ils opèrent dans des Etats stables, avec des régimes stables et sans le soutien matériel d’une partie de la population, observait l’historien Eric Hobsbawm en 2007, les groupuscules terroristes représentent un problème de police et non un problème militaire. (…) Il est compréhensible que de tels mouvements suscitent une grande nervosité dans la population, surtout dans les grandes villes occidentales, surtout quand le gouvernement et les médias s’unissent pour créer un climat de peur (11). »

Ce climat anxiogène et la dénonciation répétée de l’« angélisme » permettent de couvrir la voix de ceux qui, sans contester l’impératif absolu de protection des populations, refusent l’empilement sans fin de dispositifs répressifs inutiles et dangereux pour les libertés publiques (lire l’article de Patrick Baudoin page 16). Des mesures aux relents xénophobes, comme la possibilité de déchoir de leur nationalité certains binationaux, viennent de s’y ajouter, conformément à la demande du Front national. Et non seulement l’état d’urgence a été voté par la quasi-unanimité des parlementaires apeurés, mais le premier ministre leur a demandé de ne pas déférer au Conseil constitutionnel les mesures juridiquement bancales qu’il leur soumettait.

En 2002, M. Obama s’adressait en ces termes à celui auquel il allait succéder :« Vous voulez vous battre, président Bush ? Battons-nous pour que les marchands d’armes dans notre propre pays cessent d’alimenter les innombrables guerres qui font rage dans le monde. Battons-nous pour que nos soi-disant alliés au Moyen-Orient cessent d’opprimer leur peuple, et de réprimer l’opposition, et de tolérer la corruption et l’inégalité, au point que leurs jeunes grandissent sans éducation, sans perspectives d’avenir, sans espoir, devenant des recrues faciles pour les cellules terroristes. » M. Obama n’a pas suivi les conseils qu’il donnait. Les autres chefs d’Etat non plus. C’est dommage. Les attentats de l’OEI et la désastreuse politique étrangère de la France débouchent à présent sur une nouvelle « guerre ». Uniquement militaire, et donc perdue d’avance.

Serge Halimi

"L'art de la guerre imbécile" - Serge Halimi (Le Monde Diplomatique, décembre 2015)
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4 décembre 2015 5 04 /12 /décembre /2015 08:15
Genèse du djihadisme, par Nabil Mouline (Le Monde Diplomatique, décembre 2015)

Genèse du djihadisme, par Nabil Mouline (Le Monde Diplomatique, décembre 2015)

Effort d'élévation spirituelle, le djihad peut aussi signifier le combat contre les infidèles et les hypocrites. Ceux qui s'en réclament aujourd'hui pour justifier une conduite ultraviolente s'inspirent d'une idéologie rigoriste issue d'une double filiation: les Frères musulmans et le salafisme wahhabite, diffusé d'après l'Arabie saoudite.

Phénomène multidimensionnel, le djihadisme est avant tout une idéologie globale. A la faveur d’un bricolage intellectuel qui résulte du détournement de concepts, de symboles et d’images d’origine musulmane ou européenne, ses dépositaires prétendent offrir aux « croyants » un nouveau départ, une nouvelle identité et un nouveau mode de vie pour réussir ici-bas et dans l’au-delà.

En somme, une représentation du monde qui donne la certitude d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi : le groupe d’élus chargé par Dieu de rétablir la vraie religion et de réunifier l’oumma(la communauté des croyants) sous l’égide du califat — la monarchie universelle islamique —, avant de se lancer à la conquête du monde et d’obtenir le salut. Retracer la genèse et le développement des principaux affluents de l’idéologie djihadiste permet de mieux comprendre son attractivité et son efficacité, de Saint-Denis à Karachi.

A l’instar d’autres idéologies extrémistes, le djihadisme puise ses racines dans le désenchantement provoqué par la première guerre mondiale. Le démantèlement de l’Empire ottoman, l’abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk, la domination occidentale et la montée en puissance de nouvelles formes de socialisation ont engendré un véritable désarroi dans certains milieux musulmans.

Pour sortir de cette crise existentielle, certains militants, lettrés et oulémas (juristes et théologiens) voient dans l’islam l’unique remède. Plusieurs projets plus ou moins aboutis apparaissent ainsi entre les deux guerres. Le plus important d’entre eux est sans doute celui des Frères musulmans.

Inspirée de la Young Men’s Christian Association, la confrérie des Frères musulmans voit le jour en Egypte en 1928. Pour son fondateur, Hassan Al-Banna, l’islam est un ordre supérieur et total qui doit régner sans partage sur l’espace social musulman, car il est à la fois « dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre ». Dans cet objectif, il envisage une stratégie téléologique: il faut d'abord islamiser la société par le bas, en dépassant toutes les écoles juridiques et théologiques, avant de s'emparer du pouvoir et de créer des Etats islamiques. Ces Etats, qui assurent la suprématie de la charia (loi islamique), s'engagent petit à petit dans un processus d'intégration à travers des programmes de coopération. Ce processus doit aboutir à l'abolition des frontières et à la proclamation du califat.

Le fondateur des Frères musulmans n'a jamais précisé les principes et les structures de l'Etat islamique qu'il souhaitait instaurer. Il s'est toujours contenté de slogans et de formules creuses, parfois même contradictoires. Mais les traces retrouvées ça et là dans ses écrits ainsi que dans son action à la tête de l'association-confrérie montrent bien qu'il avait un penchant pour l'élitisme, le dirigisme et l'autoritarisme. Al-Banna se déclare de manière assez claire contre un certain nombre de principes démocratiques, notamment la liberté, la séparation du politique et du religieux, le multipartisme et la séparation des pouvoirs. Pour faire face aux défis internes et externes, l'oumma doit être selon lui dirigée par une seule loi, la charia, par un seul parti, les Frères musulmans, et par un seul chef, le calife.

Grâce à la simplicité relative de son discours et au zèle de ses membres, la confrérie élargit considérablement sa base de soutien en Egypte et ailleurs dans le monde arabe. Elle ne parvient toutefois pas à réaliser son principal objectif: s'emparer du pouvoir, condition indispensable pour rétablir la cité de Dieu et obtenir le salut. Dès la fin des années 1940, cet échec pousse une minorité résolue à adopter des positions de plus en plus radicales, notamment en ce qui concerne l'usage de la violence. Les choses s'accélèrent de manière dramatique durant la décennie suivante en raison de la répression sans précédent menée par la junte militaire fraîchement installée au pouvoir au Caire.

Intellectuel tourmenté, Sayyed Qotb rejoint la confrérie durant cette période de crise. Dans les geôles du président Gamal Abdel Nasser, il opère un revirement idéologique qui aura des conséquences énormes sur le champ politico-religieux arabo-musulman. Il considère en effet que le monde dans lequel il vit est tombé dans l'ignorance et la mécréance (aljahiliyya). Les vrais croyants, désormais ultraminoritaires, doivent accomplir un exode (al-hijra) en se séparant spirituellement et physiquement des sociétés impies. Après avoir créé une plate-forme spirituelle et temporelle solide, ces élus doivent se lancer à la conquête du monde impie dans le cadre d'un djihad intégral. S'inspirant de l'Indo-Pakistanais Abul Ala Mawdudi, un partisan acharné de l'idée de califat, Qotb incite les élus à rétablir la souveraineté absolue de Dieu (al-hakimiyya) à travers l'instauration de l'Etat et de la loi islamiques pour libérer les croyants du matérialisme occidental. Cette culture d'enclave, qui n'est pas nouvelle dans l'histoire musulmane, devient très rapidement le socle politique du djihadisme contemporain.

L'invasion soviétique de l'Afghanistan permet l'essor du wahhabisme

En dépit de leur popularité et de leur adoption par un certain nombre de groupes radicaux à partir des années 1960, les idées d'Al-Banna et de Qotb sont freinées dans leur diffusion par un obstacle structurel: leurs auteurs ne sont pas des oulémas dépositaires d'une tradition séculaire, mais de simples intellectuels et militants islamistes, une catégorie qui n'a pas encore trouvé sa place dans le champ politico-religieux...

En 1979, l'invasion soviétique de l'Afghanistan permet au djihadisme de se doter d'une doctrine théologique et juridique bien établie: le wahhabisme. Grâce aux pétrodollars de l'Arabie saoudite, cette tradition a pu s'imposer comme une nouvelle orthodoxie. Né durant la seconde moitié du XVIIIe siècle en Arabie centrale, le wahhabisme est un avatar du hanbalisme, l'une des quatre écoles juridiques du sunnisme. Prédicateur intransigeant, son fondateur, Mohammed Ibn Abd Al-Wahhab (1703-1792) ne recule devant rien pour imposer ce qu'il considère comme la seule vraie religion, celle du Prophète et des pieux ancêtres, "al-salaf al-salih" d'où le terme "salafisme", autre dénomination de cette tradition. En 1744, il s'allie aux Saoud pour bâtir sur la base de sa doctrine une entité politique: le premier Etat saoudien, en place jusqu'en 1818.

Suivi aveuglement par ses disciples, Ibn Al-Wahhab assure que la seule voie possible vers le salut est la restauration de la religion "pure". Pour ce faire, il faut (re)découvrir le concept fondamental de l'Islam: l'unicité divine - al-tawhib. Cette unicité ne peut se réaliser qu'à une condition: l'observance stricte de l'orthodoxie et de l'orthopraxie, conformément à la doctrine hanbalite. Tous ceux qui n'adhèrent pas à ce dogme sont qualifiés d'hypocrites, d'égarés, d'hérétiques, voire de mécréants. Beaucoup de doctrines et de pratiques du soufisme telles que le culte des saints, les pèlerinages extracanoniques ou les pratiques divinatoires sont assimilées à des formes d'idolâtrie qu'il faut combattre par tous les moyens. De même, les individus et les gouvernements qui recourent à des lois considérées comme non ismamiques sont déclarés apostats.

Devenir et rester un véritable monothéiste suppose d'appliquer strictement les prescriptions divines dans tous les domaines de la vie. Pour atteindre cet objectif, les wahhabites préconisent une interprétation rigoriste des textes sacrés. La charia - notamment les châtiments corporels- doit selon eux être appliquée à la lettre.

Pour tracer les frontières, symboliques et réelles, entre la religion authentique et les fausses, les tenants du wahhabisme ont développé le principe "al-wala wa'al-bara" ("l'allégeance et la rupture"). Le croyant doit une fidélité et une loyauté absolues à tous les autres membres de la communauté. En revanche, les relations avec les mécréants se limitent théoriquement à la conversion, la soumission ou la guerre. Dans cette logique, les musulmans qui habitent des territoires impies doivent tôt ou tard accomplir une hijra (exode) vers la demeure de l'islam, pour faire le plein de forces sacrées avant de repartir au djihad...."

Nabil Mouline

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1 décembre 2015 2 01 /12 /décembre /2015 17:08

A l'époque, l'Humanité avait été un des rares quotidiens français à ne pas désinformer sur le génocide des tutsis par le pouvoir extrémiste hutu et la responsabilité de la France de Mitterrand, Balladur, Léotard et Juppé:

Rwanda: les preuves d'un mensonge français


"Un guide rwandais montrant une photo de l'armée française à Bisesero durant le génocide. © Thomas Cantaloube/Mediapart Des documents militaires inédits, dont Mediapart et France Inter ont pris connaissance, montrent que l’armée française a laissé se perpétrer en connaissance de cause des massacres contre la minorité tutsie pendant le génocide au Rwanda en 1994, alors même que sa mission confiée par les Nations unies était de les empêcher. Ces documents sont aujourd'hui entre les mains de la justice."

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