Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 août 2016 6 20 /08 /août /2016 06:54
Ethiopie: la colère réprimée à huis clos (Libération, 20 Août 2016)

Libération, 20 août 2016 - Célian Macé

Ethiopie : la colère réprimée à huis clos

Verrouillage des pouvoirs, accaparement des terres, désespoir des jeunes… Le régime tente de museler les manifestations qui se multiplient depuis huit mois, au prix de centaines de morts.

Des lézardes sont apparues sur la belle façade de l’Ethiopie, longtemps vantée comme un modèle de développement économique et un pilier de la stabilité régionale. Malgré une répression féroce - Human Rights Watch a recensé plus de 400 morts et des dizaines de milliers d’arrestations depuis le début de la contestation, en novembre -, le régime d’Addis-Abeba est incapable d’empêcher des émeutes d’éclater à intervalles irréguliers dans les régions Oromia et Amhara. Le week-end des 6 et 7 août, près de 100 personnes supplémentaires sont mortes sous les balles des policiers, selon Amnesty International. Mais rien ne semble pouvoir calmer la colère des manifestants, qui atteint un niveau jamais vu depuis vingt-cinq ans et la chute du dictateur militaro-marxiste Mengistu Haile Mariam. La plupart de ceux qui défilent, semaine après semaine en levant leurs poings croisés en signe de pacifisme, sont des jeunes excédés par l’autoritarisme du régime, qui n’a jamais desserré, en deux décennies, sa main de fer étouffant la société éthiopienne.

L’étincelle, en novembre, a été un conflit foncier.«Comme souvent en Ethiopie, la question de la terre est centrale. C’est un sujet sur lequel on s’écharpe depuis des siècles,explique Alain Gascon, géographe, professeur émérite à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris-VIII.La pression démographique est telle que les lopins de terre diminuent. En 2008, la taille moyenne d’une exploitation était de 0,8 hectare.» Le projet d’extension de la capitale et l’expulsion de dizaines de milliers de fermiers oromos ont mis le feu aux poudres.«Un paysan éthiopien à qui l’on prend sa terre, il est toujours prêt à se battre, poursuit le chercheur.Surtout quand il voit se construire dessus des immeubles dans lesquels il ne pourra jamais habiter, ou quand son terrain est vendu à des gros investisseurs.» Devant l’ampleur du soulèvement, le gouvernement du Premier ministre Haile Mariam Dessalegna annoncé, en janvier, l’annulation du plan d’agrandissement d’Addis-Abeba. Un recul rarissime, mais qui n’a pas mis fin pour autant aux manifestations.

Les revendications du mouvement sont désormais bien plus larges.«L’Ethiopie vit une crise de régime. La révolte est dirigée contre l’autoritarisme de l’Etat, contre l’oligarchie qui a profité du développement économique, contre l’exclusivité ethnique des postes clés du pouvoir, détaille René Lefort, chercheur indépendant, spécialiste de la corne de l’Afrique.C’est finalement assez comparable au tout début de la révolution en Syrie.»

Depuis le renversement de Mengistu en 1991, les leviers du pouvoir, en particulier sécuritaire, militaire et économique, sont aux mains des Tigréens. Car c’est cette minorité ethnique (6 % de la population) qui, à travers le Front de libération des peuples du Tigré (FLPT), a chassé le dictateur. Depuis, cette organisation domine largement le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), le parti au pouvoir qui occupe… 100 % des sièges au Parlement. La contestation se nourrit donc du ressentiment des peuples oromo (35 % de la population) et amhara (27 %) contre cette caste tigréenne qui s’accroche farouchement à ses privilèges.

«Dans cette crise, la grille de lecture ethnique ne suffit pas, met toutefois en garde Jean-Nicolas Bach, politologue au Laboratoire des Afriques dans le monde, à Sciences-Po Bordeaux.Même si les marches se construisent, bien sûr, en fonction des liens identitaires. Ce n’est pas le cadre ethno-fédéral si particulier à l’Ethiopie qui est remis en cause. Les manifestants font d’ailleurs souvent référence à la Constitution et demandent qu’elle soit appliquée. Le plan d’extension d’Addis-Abeba est jugé anticonstitutionnel par les Oromos, car il remet en cause les équilibres territoriaux prévus dans le texte fondamental.»

Quant aux Amharas,«leurs revendications portaient à l’origine sur un morceau de leur territoire qui a été rattaché en 1991 à la région du Tigré», détaille l’historien Ezekiel Gebissa, de la Kettering University, dans le Michigan (Etats-Unis).«Encore une fois, on est à l’intersection des deux thèmes cruciaux pour l’Ethiopie : la terre et l’identité régionale. Il est impossible de séparer les deux problématiques.»

Pour la première fois cet été, les Oromos, historiquement opprimés, et les Amharas, ancienne élite de l’Ethiopie, ont donc manifesté simultanément dans leurs régions respectives, les deux plus grandes du pays. Cette démonstration de solidarité est inédite.«L’effacement de l’antagonisme Oromos-Amharas est quelque chose de fondamental,insiste René Lefort.C’est pour cela que le régime a si peur. Il a bien conscience que la révolte est en train de dépasser le simple cadre régional et de menacer ses fondements.»

La répression a été d’autant plus brutale. Non seulement les forces de sécurité ont ouvert le feu sur la foule, mais elles traquent les étudiants oromos«chez eux, dans les écoles, et jusque dans les hôpitaux», notait Human Rights Watch dans un rapport publié en juin.«J’ai vécu ici toute ma vie et je n’ai jamais vu ça. Chaque famille a au moins un de ses enfants qui a été arrêté, témoignait dans ce document un fermier oromo de 52 ans.Cette génération est en train d’être décimée. Mes quatre fils ont disparu, ma fille de 12 ans a trop peur pour aller à l’école. Moi-même, je crains d’être arrêté à tout moment.» De nombreux cas d’arrestations extrajudiciaires, de tortures et de disparitions forcées ont été documentés par l’ONG.

La semaine dernière, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme s’est dit«très inquiet» de la situation et a demandé à Addis-Abeba de permettre l’accès des observateurs internationaux aux régions Oromia et Amhara. Mais Paris, Washington et Bruxelles ne se sont pas donné la peine de condamner la brutalité déchaînée du régime.«Il y a un aveuglement extraordinaire sur l’Ethiopie, pointe René Lefort.Tout le monde est obnubilé par sa croissance [officiellement de 10 % depuis dix ans, mais certainement plus proche de 7 %, ndlr]et son développement à marche forcée.» Celui-ci est bien réel. La construction du gigantesque barrage de la Renaissance, le plus grand du continent, sur le Nil bleu, est le symbole national le plus connu de cet appétit pour les infrastructures modernes. Mais l’expansion du réseau de transport - avec un métro tout neuf à Addis-Abeba, une ligne de chemin de fer rénovée à destination de Djibouti, une nouvelle autoroute, l’une des compagnies aériennes les plus puissantes d’Afrique - en est aussi l’illustration.«Le chemin parcouru est impressionnant, rappelle Alain Gascon.Il y a aujourd’hui 30 universités en Ethiopie, des immeubles sortent de terre en permanence, le progrès est malgré tout indéniable.»

«Le risque, c’est que la crise stoppe les investissements dont le régime a besoin pour poursuivre le développement, analyse Jean-Nicolas Bach.L’Ethiopie est un marché gigantesque, de 100 millions d’habitants. En réprimant si durement, le gouvernement fait un mauvais calcul économique et politique. Il ne va bientôt plus avoir le choix : il doit au plus vite partager le pouvoir et mettre en place un système de redistribution économique.»

Le boom ne s’est pas pour autant accompagné d’une libéralisation du pays, qui reste extrêmement dirigiste, selon un modèle «à la chinoise». Le parti hégémonique reste incontournable, omniprésent à tous les niveaux de la société éthiopienne. Une situation devenue insupportable pour une partie de la jeunesse, de plus en plus éduquée et connectée, et très fortement touchée par le chômage.

La seconde raison du mutisme des chancelleries occidentales sur la répression en cours est la sacro-sainte stabilité régionale. A l’ouest, la Somalie plongée dans un conflit sans fin ; à l’est, le Soudan du Sud déchiré par une guerre civile ; au nord, l’Erythrée rivale qui rallume régulièrement les feux de la guerre d’indépendance… La puissante armée éthiopienne est utile quand il s’agit de chasser l’Union des tribunaux islamiques de Somalie (2006) ou de fournir des contingents aux missions de paix de l’Union africaine (dont elle est le premier contributeur). Ce partenariat stratégique dans la lutte contre le jihad en Afrique de l’Est explique l’indulgence de la communauté internationale envers Addis-Abeba.

Le cycle manifestation-répression qui secoue le pays depuis huit mois pourrait pourtant empirer.«Les mouvements d’opposition ne contrôlent pas la révolte. Elle se nourrit de la violence du parti au pouvoir, désormais ouvertement contesté dans les slogans, les chants, les discours publics, décrit Ezekiel Gebissa.Le plan du gouvernement, qui consiste à diriger le pays à travers un parti totalement verrouillé, sans aucun partage du pouvoir entre ethnies et groupes politiques, a définitivement échoué. Le problème est qu’il n’y a pas, pour le moment, d’alternative à ce système en Ethiopie.» Car le régime s’est bien gardé de préparer une transition. Il en a même soigneusement empêché toute possibilité. Au risque de voir se transformer la révolte en révolution.

Partager cet article
Repost0
19 août 2016 5 19 /08 /août /2016 05:19
Celtic Glasgow... La classe internationale!

Celtic Glasgow... La classe internationale!

Les supporters, souvent d'origine irlandaise et prolétaire, du Celtic Glasgow, en connaissent un rayon en matière de colonialisme.

D'où leur implication civique et internationaliste, si peu commune dans le foot...

J'ai trouvé mon nouveau favori en ligue des Champions ou en coupe de l'UEFA!

Risquant une lourde amende, des centaines de supporters écossais ont agité des drapeaux de la Palestine en guise de protestation alors que leur équipe recevait les Israéliens du Hapoël Beer Sheva en match barrage de la Ligue des Champions.

Au cours de la rencontre du 17 août, remportée par les Ecossais sur le score de 5 buts à 2, des centaines de fans du Celtic Glasgow ont affiché des drapeaux de la Palestine, qui se mêlaient aux couleurs verte et blanche de leur club.

De nombreuses photos de l’action, préparée depuis plusieurs semaines par un groupe de supporters se revendiquant du mouvement politique Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), ont fleuri sur les réseaux sociaux.

Avant le coup de sifflet, des dizaines de fans de football soutenant la cause palestinienne s’étaient rassemblés devant le Celtic Park.

Ce n'est pas la première fois que le club rencontre des démêlées judiciaires en raison de sa prise de position dans le conflit israélo-palestinien, toute mise en avant d'idées politiques étant formellement interdite dans le football.

En 2014, le Celtic Glasgow avait été condamné à verser 16 000 livres (soit plus de 18 000 euros) à l'UEFA après le déploiement par un groupe de supporters de drapeaux palestiniens au cours d’un match contre l’équipe islandaise du KR Reykjavic pour protester contre l’opération israélienne «Bordure protectrice» à Gaza.

Partager cet article
Repost0
18 août 2016 4 18 /08 /août /2016 05:00
Interdiction du journal turc Ozgur Gundem: "La répression d'Erdogan doit être condamnée" (PCF)

Interdiction du journal turc Özgür Gündem : "La répression d'Erdogan doit être unanimement condamnée"

Le Parti communiste français condamne avec la plus grande fermeté l'interdiction du journal turc Özgür Gündem intervenue hier, 16 août 2016. Chaque jour qui passe, chaque heure presque, la répression du pouvoir, qui a mis la justice au pas, agit comme un rouleau-compresseur sur la société turque.

Depuis des mois déjà, les droits les plus élémentaires ne sont plus respectés par le régime d'Erdogan lequel, en un mois, a accéléré ce mouvement en organisant l'une des plus lourdes périodes de purges de l'histoire du pays.

L'heure est à la mobilisation sans précédent d'une solidarité internationale populaire et, plus largement encore, des gouvernements de tous les continents attachés à la paix, à la démocratie et aux droits humains.

Le PCF exprime son soutien aux forces démocratiques des peuples de Turquie, particulièrement au HDP et au BDP, à leurs militant-e-s, dirigeant-e-s et élu-e-s, ainsi qu'aux forces syndicales et associatives, aux journalistes et universitaires poursuivis, et aux habitant-e-s des villes soumises à la répression policière et la présence militaire.

Le PCF presse le gouvernement français de condamner les atteintes aux libertés et droits perpétrées par le pouvoir d'Ankara, et d'agir pour une suspension des accords de coopération bilatéraux et européens avec la Turquie en vue de contraindre le régime à accepter le dialogue démocratique sans discrimination ni exclusion des forces politiques démocratiques progressistes ni de l'ensemble des composantes des peuples de Turquie.

Partager cet article
Repost0
17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 17:04
En Cisjordanie, Israël multiplie les démolitions de maisons (Noé Garel, La Croix - 16 août 2016)

En Cisjordanie, Israël multiplie les démolitions

Les autorités israéliennes ont détruit plus de maisons palestiniennes depuis le 1er janvier 2016 que pour toute l’année 2015 dans la zone C de la Cisjordanie. Palestiniens et activistes dénoncent une politique israélienne qui servirait des intérêts expansionnistes.

Noé Garel, La Croix, mardi 16 août 2016

Correspondance spéciale

« Ils sont arrivés dans la nuit, ça ressemblait à une invasion militaire », raconte Charif Awadallah, habitant de Kalandia, devant les ruines de sa maison. Fin juillet, l’armée israélienne est entrée dans ce village de Cisjordanie proche de Jérusalem et a détruit 15 bâtiments, dont au moins 11 habitations privées. Pour le couple Awadallah, des années d’économies ont disparu en une nuit. Les parents avaient lancé la construction d’un logement pour leurs enfants, mariés et pères de famille, qui viennent de rentrer dans les Territoires palestiniens après avoir vécu plusieurs années aux États-Unis.

Devant des ruines voisines, Amjed Allo, tempête : « Nous voulons reconstruire, mais la prochaine fois que l’armée israélienne viendra la détruire, je resterai dedans, et je mourrai avec ma maison. » Intesar Hamad pleure, entourée d’autres femmes du village. Cette mère de sept enfants répète en regardant les décombres de sa bâtisse : « Ce sont des rêves, les rêves de toute une vie, détruits en une seconde. »

Pour l’instant, la plupart des habitants sont logés chez des amis ou de la famille. Ils ne savent pas s’ils recevront une aide financière pour reconstruire les maisons et s’inquiètent du cumul de traites à payer pour des biens qui n’étaient souvent pas terminés et pour le loyer d’un logement temporaire.

Charif Awadallah, méticuleux, détaille chaque ligne des documents concernant sa maison détruite, y compris l’ordre de démolition reçu moins de 72 heures avant l’intervention, sans pour autant comprendre ce qui lui est arrivé. « Nous avons reçu des documents contradictoires, de deux autorités israéliennes différentes, insiste-t-il. Ne savent-ils pas que nous sommes propriétaires du terrain ? »

Le village se situe en grande partie sur un territoire classifié « zone C », ce qui signifie qu’il est entièrement sous contrôle miliaire et civil israélien. Environ 60 % des terrains de Cisjordanie sont dans ce cas. Pour construire, il faut demander un permis aux autorités israéliennes. Sans le précieux sésame, les maisons sont considérées comme illégales et peuvent être détruites à tout moment.

Problème, ces documents sont quasiment impossibles à obtenir auprès des autorités israéliennes : lors d’une réunion à la Knesset, l’ambassadeur de l’Union européenne, Lars Faaborg-Andersen, a affirmé qu’Israël n’avait accordé qu’un seul permis de construire aux Palestiniens en 2014 et aucun en 2015. Il a ajouté que les Israéliens ont, eux, construit environ 1 500 logements par an en zone C ces dernières années.

La représentante du bureau du Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU, Natalie Grove, évoque un « environnement hautement coercitif » dans ce périmètre de la Cisjordanie sous contrôle israélien. À ses yeux, les pressions des autorités pousseraient les Palestiniens à quitter la zone C. Elle qualifie cette politique de « transfert forcé », qui s’assimile à « une grande violation des conventions de Genève ».

Dans un rapport rendu public en juillet 2016 sur les démolitions en zone C, l’ONG israélienne des droits de l’homme B’Tselem recense 168 destructions d’habitations lors des six premiers mois de 2016, contre 125 pour toute l’année 2015. Soit les chiffres les plus élevés depuis dix ans, à l’exception de l’année 2013. « Ces démolitions font partie d’une politique israélienne plus large dans la zone C dont le but est de servir d’abord les intérêts israéliens », insiste Sarit Michaeli, porte-parole de l’ONG.

À Kalandia, situé à quelques kilomètres de Jérusalem, on envisage le pire : la destruction totale du village. « Les Israéliens veulent peut-être vider Kalandia car ils ont annoncé plusieurs fois qu’ils voulaient construire plus de colonies autour de Jérusalem », redoute Fadi, l’un des fils Awadallah.

Cette peur est largement diffusée dans d’autres localités palestiniennes, les images des maisons en ruines de Kalandia ayant fait la une des quotidiens nationaux. Pour le premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, « le but des démolitions conduites par Israël est de déraciner le plus de Palestiniens possible, afin de faire davantage de place pour des colonies illégales ».

(lu sur la revue de presse de l'AFPS)

Partager cet article
Repost0
17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 09:30
Dessin d'un artiste plasticien italien accompagnant une page de l'écrivain Cesare Pavese au Musée del Novecento à Milan . Pavese, traducteur de Dickens, Melville, Faulkner, Defoe, Joyce, adhère au Parti Communiste Italien après-guerre. En 1949, il écrit le très beau et désespéré "Le bel été" (ma mère adorait, moi aussi). Il se suicide à Turin en 1950, à 42 ans. Triste destin que celui des grands écrivains italiens: Primo-Levi, suicidé probablement, lui aussi, à Turin en tombant de son escalier en 1987. Malaparte, mort d'un cancer du poumon avec sa conversion tardive au catholicisme et sa carte du Parti Communiste chèrement obtenue, accordée par Togliatti après plusieurs années de demandes depuis 1945: le génial auteur de "Kaputt", souvenirs du Front Russe comme correspondant de guerre avec les armées nazies, et de "la Peau", vision apocalyptique et grotesque de l'Italie de la Libération, s'était il est vrai bien compromis avec le régime fasciste qu'il avait rejeté publiquement au départ. Et le grand Buzatti, l'auteur du "Désert des Tartares" et du recueil de nouvelles "le K", mort dans les angoisses d'un cancer à Milan. Et Pasolini, communiste lui aussi, victime d'un assassinat en 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome.

Dessin d'un artiste plasticien italien accompagnant une page de l'écrivain Cesare Pavese au Musée del Novecento à Milan . Pavese, traducteur de Dickens, Melville, Faulkner, Defoe, Joyce, adhère au Parti Communiste Italien après-guerre. En 1949, il écrit le très beau et désespéré "Le bel été" (ma mère adorait, moi aussi). Il se suicide à Turin en 1950, à 42 ans. Triste destin que celui des grands écrivains italiens: Primo-Levi, suicidé probablement, lui aussi, à Turin en tombant de son escalier en 1987. Malaparte, mort d'un cancer du poumon avec sa conversion tardive au catholicisme et sa carte du Parti Communiste chèrement obtenue, accordée par Togliatti après plusieurs années de demandes depuis 1945: le génial auteur de "Kaputt", souvenirs du Front Russe comme correspondant de guerre avec les armées nazies, et de "la Peau", vision apocalyptique et grotesque de l'Italie de la Libération, s'était il est vrai bien compromis avec le régime fasciste qu'il avait rejeté publiquement au départ. Et le grand Buzatti, l'auteur du "Désert des Tartares" et du recueil de nouvelles "le K", mort dans les angoisses d'un cancer à Milan. Et Pasolini, communiste lui aussi, victime d'un assassinat en 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome.

Au même musée du Novecento à Milan, face à la galerie Victor Emmanuel II et au Duomo, le tableau "Le Quatrième état" (Il quarto Stato) de Giuseppe Pellizza, magnifique mise en scène de la force historique et de la détermination du prolétariat, tableau puissant, émouvant et subtil inspiré de peintures de la Renaissance que Giuseppe Pellizza termina en 1901 après 10 ans de travail, au prix d'efforts incroyables. C'est un format immense. Giuseppe Pellizza se suicida aussi en 1907, à 40 ans, après la mort de sa femme, sans avoir produit d'autres œuvres majeures. Une reproduction format poster de ce tableau à la gloire du peuple et du socialisme était dans la chambre à coucher de mon père quand j'étais petit. C'est donc avec émotion que l'on découvre l'original.

Au même musée du Novecento à Milan, face à la galerie Victor Emmanuel II et au Duomo, le tableau "Le Quatrième état" (Il quarto Stato) de Giuseppe Pellizza, magnifique mise en scène de la force historique et de la détermination du prolétariat, tableau puissant, émouvant et subtil inspiré de peintures de la Renaissance que Giuseppe Pellizza termina en 1901 après 10 ans de travail, au prix d'efforts incroyables. C'est un format immense. Giuseppe Pellizza se suicida aussi en 1907, à 40 ans, après la mort de sa femme, sans avoir produit d'autres œuvres majeures. Une reproduction format poster de ce tableau à la gloire du peuple et du socialisme était dans la chambre à coucher de mon père quand j'étais petit. C'est donc avec émotion que l'on découvre l'original.

Vue depuis une verrière du musée d'art moderne et contemporain du Novecento à Milan, sur le Duomo (la cathédrale) et la galerie Victor Emmanuel II

Vue depuis une verrière du musée d'art moderne et contemporain du Novecento à Milan, sur le Duomo (la cathédrale) et la galerie Victor Emmanuel II

Ici à Padoue, ville universitaire, mais dans beaucoup de villes italiennes, des slogans anti-fascistes signés par les communistes, ou des anarchistes

Ici à Padoue, ville universitaire, mais dans beaucoup de villes italiennes, des slogans anti-fascistes signés par les communistes, ou des anarchistes

A Pise, sur le mur devant un des bâtiments de l'Université: "le capitalisme est une maladie dont la lutte va nous guérir! "

A Pise, sur le mur devant un des bâtiments de l'Université: "le capitalisme est une maladie dont la lutte va nous guérir! "

Cartes postales d'Italie (suite): Pavese, Pellizza, Padoue, Pise
Cartes postales d'Italie (suite): Pavese, Pellizza, Padoue, Pise
Elle penche mais ne tombe pas la Tour branlante du Capitalisme financier. Pise, août 2016.

Elle penche mais ne tombe pas la Tour branlante du Capitalisme financier. Pise, août 2016.

Partager cet article
Repost0
17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 05:00
Entretien de Médiapart avec Sarah Schulman, intellectuelle new-yorkaise de la gauche radicale qui parle de New-York, de la société américaine, de la Palestine, de Trump et Clinton

Sarah Schulman: «Trump est un fasciste»

16 AOÛT 2016 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX

Romancière, essayiste, activiste queer, ancienne d'Act Up, militante pro-Palestine : Sarah Schulman est une figure de la gauche radicale américaine. Rencontre à New York, sa ville, dont elle déplore l'embourgeoisement et le conformisme.

De notre envoyé spécial à New York.- “Moustache”, dans l'East Village de Manhattan, est un restaurant oriental discret. C'est surtout une des dernières adresses abordables du quartier, et le QG de Sarah Schulman, née à New York à la fin des années 1950. L'intellectuelle vit depuis 1979 dans le même appartement, à une rue de là.

Elle a grandi dans une ville bouillonnante, celle des sixties et des seventies, la capitale de toutes les libérations — sexuelle, mouvement gay, Black Power. « New York était la ville des réfugiés, des rejetés, des pauvres qui cherchaient une vie meilleure, de ceux qui fuyaient leur milieu conservateur pour devenir des artistes », dit Schulman en sirotant une bière.

De ce Manhattan, mélangé et populaire, vibrant et créatif, il ne reste plus que des vestiges. Le cœur battant de la ville est devenu une réserve pour les très aisés et les super riches, qui n’en finit pas de pousser plus loin les pauvres et la classe moyenne. À Manhattan mais aussi à Brooklyn, de l'autre côté de l'East River, les histoires de gentrification se ramassent à la pelle : les deux tiers du salaire engloutis dans les dépenses de logement ; le loyer qui augmente brutalement de plusieurs centaines de dollars sans recours possible et oblige à déménager plus loin, vers le nord et l'est, loin des transports en commun ; les promoteurs qui se précipitent sur le moindre bâtiment disponible pour en faire des « condominiums » luxueux.

Sorti sur les écrans new-yorkais au printemps, le film Los Sures raconte le quotidien en 1984 d’un ghetto latino de Williamsburg (Brooklyn). Les images, d’époque, montrent des rues sales et défoncées, où une jeunesse désœuvrée se débrouille comme elle le peut. Aujourd’hui, les maisons réhabilitées bordent des rues proprettes. Il faut de l’argent, beaucoup d’argent, pour habiter ici. Le quartier est un des plus courus de Brooklyn. On y boit de (délicieux) cocktails à 12 dollars.

Sarah Schulman, 57 ans, fait partie de ces New-Yorkais de toujours qui ont vu la machine infernale de la gentrification dévorer la ville. Dans son immeuble de l’East Village, le loyer est passé en trente ans de 250 à 2 800 dollars. L’acteur Alan Cumming a acheté le bâtiment mitoyen qu’il rénove à grands frais. Daniel Craig, l’actuel James Bond, habite au coin de la rue. Des immeubles typiques vont être détruits pour faire place à un hôtel de luxe. Les Noirs et les Portoricains sont partis depuis longtemps. Ils habitent dans des quartiers que les petites classes moyennes, chassées de Manhattan et des quartiers huppés de Brooklyn, viennent gentrifier à leur tour : une histoire sans fin.

Romancière, auteure de théâtre, Sarah Schulman est d'abord une activiste. Lesbienne et féministe, elle a créé les Lesbian Avengers, qui ont inspiré plusieurs groupes radicaux. Elle a milité à Act Up et lancé un grand projet d'histoire orale de la lutte antisida. Elle a fondé le Mix, le festival de cinéma expérimental queer de New York. C'est aussi une essayiste dont le prochain livre, Conflict is not Abuse, qui paraît en octobre aux États-Unis, se penche sur la façon dont nos sociétés se plaisent à dissoudre les rapports de force et les conflits qui les traversent.

Dans un ouvrage précédent, The Gentrification of the Mind (2012, University of California Press, non traduit en France), Schulman avait tenté de retracer l'archéologie de la gentrification à New York ; ce n'est pas une thèse d'urbanisme, juste sa lecture à elle, très subjective, de militante et de témoin.

Elle y raconte comment, au début des années 1980, tout a brutalement changé. New York, déclaré en faillite, est abandonné aux promoteurs. La construction de logements sociaux a cessé. C’étaient les années Reagan, l’ère du laisser-faire néolibéral et des crédits d’impôts pour les entreprises devenus la règle. Elle ironise : « Je paie plus d’impôts qu’un dirigeant de multinationale. »

Puis il y eut le sida. En vingt-cinq ans, 82 000 New-Yorkais en sont morts. Dans son livre, Schulman dresse la litanie des disparus, ses amis, artistes, écrivains, poètes, prostitu-é-s, immigrés décédés à la chaîne, dans l’indifférence générale. Cette catastrophe longtemps niée, aujourd'hui presque oubliée, est pour elle une des causes puissantes de la gentrification. Des dizaines de milliers de logements se sont vidés en quelques années. Schulman constate que les quartiers de New York où les morts du sida ont été les plus nombreux – le Lower East Side, Chelsea, Greenwich Village, Harlem – sont aujourd’hui ceux où la gentrification a été la plus violente. Et que les villes où le sida a le plus tué, New York ou San Francisco, sont devenues les plus chères.

Une ville « privée »

Depuis trois décennies, raconte-t-elle, New York s’est peuplé à une vitesse ahurissante d'habitants aisés ou d'héritiers, le plus souvent blancs, grandis dans les banlieues conformistes où la middle class américaine s'était exilée depuis les années 1950. L'ancienne cité mélangée, phare de l’innovation culturelle et politique, qui créait des« idées pour le monde », est devenue un « centre d’obéissance » au capitalisme, à la normalité sociale, à la consommation, autant de totems érigés, dit Schulman, en« nouveau fondamentalisme ».

Dans un de ses livres, The Mere Future (2009, non traduit en France), elle raconte un New York imaginaire et inquiétant dont tous les habitants travailleraient dans le marketing.

Avec cette nouvelle population, une « nouvelle culture » a émergé : la « gentrification des esprits » – le titre de son livre. « Les nouveaux venus sont profondément mal à l'aise avec la différence. Ils sont prêts à échanger leur liberté contre la sécurité. Ils veulent plus de police, une rue contrôlée, où l'on ne peut ni fumer ni faire de la musique. »

La création elle-même, dit-elle, s’est « homogénéisée ». « Il y a quelques décennies, les artistes étaient plus indépendants, plus anarchistes. Aujourd’hui, ils sont diplômés d’écoles d’art chères et produisent pour une culture plus institutionnelle. Ils lisent les mêmes livres, ont les mêmes professeurs. Les plus marginaux, les plus différents, eux, ne sont plus là. »

Schulman prévient : son livre, publié il y a quatre ans, est sans doute déjà dépassé. « La "deuxième phase" de la gentrification a commencé, dit-elle. Même les restaurants à la mode ne peuvent plus payer les loyers prohibitifs. Ils sont remplacés par des banques, des franchises. La ville se couvre de tours dont les appartements à plusieurs millions de dollars permettent à l’élite du monde entier de placer son argent de façon sécurisée. Ces grands projets ne comprennent aucune infrastructure publique, aucun hôpital, aucun parking, aucune école. Tout est privé. »

Pendant ce temps, le secteur public, sous-financé, est en perdition. « Les hôpitaux publics sont incroyablement mauvais. » Professeure dans une université publique qui accueille des étudiants modestes, Schulman voit 70 % d’entre eux échouer au diplôme,« faute d’argent et de soutien ».

Au “Moustache”, les bières ne sont pas chères. Sarah Schulman propose une nouvelle tournée. La discussion dévie naturellement sur cette campagne présidentielle folle, où le magnat de l’immobilier et star de la télé-réalité Donald Trump – justement un de ces promoteurs qui ont gentrifié New York – va défendre les couleurs du parti républicain face à Hillary Clinton.

Schulman définit sans hésiter Trump comme un “fasciste” : « Il veut des règles différentes pour les gens, fondées sur la race. C’est la définition même du fascisme. » Il est surtout la preuve d’un racisme viscéral toujours à l’œuvre. « Les Blancs pauvres qui votent pour lui n’ont rien, à part leur colère. Leur façon de conceptualiser leurs problèmes est d’en rendre les gens de couleur responsables. Qui vote Trump ? Qui vote républicain ? Les suprématistes blancs, toujours les mêmes vieux États esclavagistes. La guerre civile s’est terminée en 1865. En réalité, elle continue. » Sarah Schulman ne voit pas comment il pourrait gagner. « Il n’a pas le vote des chrétiens fondamentalistes », si influents dans la droite américaine. Pour elle, « Clinton sera notre prochaine présidente ».

L’activiste n’a aucune proximité avec la candidate démocrate. « Juive new-yorkaise pur jus », très engagée dans le mouvement BDS de boycott d’Israël – ce qui lui a valu d’êtreaccusée d’antisémitisme par une organisation sioniste –, Schulman est révoltée par le soutien appuyé de Clinton à l’État d’Israël. C’est la raison pour laquelle elle a voté Bernie Sanders à la primaire démocrate : « Il a parlé de la Palestine comme aucun candidat ne l'avait jamais fait. »

Si elle redoute « la rapidité à déclencher des actions militaires » qu’aurait une présidente Clinton, elle votera pour elle sans état d’âme. Parce qu'elle veut barrer la route à Trump. Parce que Clinton « connaît le pouvoir » et qu’elle est la cible d’un « déferlement sexiste » qui l’écœure. Mais aussi parce que la candidate démocrate « ne croit en rien : on peut donc la changer par un bon travail actif de terrain ». Ses flèches les plus féroces, Schulman les réserve pour Barack Obama. « C'est un grand orateur. Mais c'est un faible. Il voulait juste être aimé, y compris par les plus conservateurs, au lieu de les écraser. Et finalement, avec lui, rien ne s'est passé. »

Formée à l’activisme flamboyant et pragmatique d'Act Up, Sarah Schulman préfère les résultats concrets. Occupy Wall Street, « mouvement utopiste sans demande véritable, qui donc ne pouvait rien gagner », ne l’a pas vraiment enthousiasmée. Elle ne croit plus en la capacité de révolte d’une partie des gays, noyés dans le conformisme et le« conservatisme ».

À ses yeux, la meilleure chose qui soit arrivée aux États-Unis ces dernières années est la dynamique militante de Black Lives Matter, « une rébellion contre le contrôle de l’État, contre les violences policières, contre l’incarcération massive des minorités », qui interroge aussi les dominations sexistes et les inégalités de genre. Que le futur président se nomme Clinton ou Trump, elle continuera à « pousser la barre le plus loin possible vers la gauche », à travailler « dans la marge et pour les marges », à militer en faveur de loyers accessibles pour tous. Les inlassables combats de sa vie.

Partager cet article
Repost0
15 août 2016 1 15 /08 /août /2016 06:16
"Centres d'appel: la Tunisie décroche" (Mathieu Galtier, Libération, 15 août 2016): téleprospection, télévente, télémarketing, assistance à distance: le règne du capitalisme sauvage dans le cadre de la mondialisation

Centres d’appels : la Tunisie décroche

Dérégulation, évolutions technologiques et concurrence internationale ont eu raison de l’eldorado des hot-lines offshore qui ont prospéré dans le pays pendant plus de quinze ans.

L’ironie est cruelle pour Imad. Téléconseiller chez le français Teleperformance, un des leaders mondiaux des centres d’appels, ce détenteur d’un master de recherche en sciences de l’informatique traite les demandes d’abonnés ADSL pour un opérateur français.«On a six minutes trente pour régler le problème des gens. C’est un travail très stressant, mais c’est juste le temps que j’en trouve un autre qui me corresponde.» Ce jeune diplômé, surqualifié pour le poste, aimerait plutôt se faire embaucher comme informaticien en charge de l’ADSL par une boîte de télécoms française. Comme lui, peu de jeunes Tunisiens rêvent d’une carrière dans le pays et dans le secteur. Car ici, le grand mirage des centres d’appels est terminé : le marché est à un tournant technologique qui laisse peu d’espoir. Le chiffre d’affaires est certes encore estimé à 300 millions de dollars (près de 269 millions d’euros) par le ministère des Technologies de l’information et de l’Economie numérique, et la Tunisie compte 364 centres d’appels pour 22 000 employés. Des chiffres remarquables pour une activité qui n’est apparue qu’en 1999, qui doivent beaucoup au volontarisme étatique.

Conscient de la manne financière possible, notamment avec l’apport de devises, l’Etat a augmenté de plus de 15 % ses investissements dans les télécoms entre 2003 et 2007. Tunisie Télécom, l’opérateur public de téléphonie, a installé des lignes spécialisées qui relient les centres d’appels à son réseau pour éviter les encombrements. La fibre optique est commercialisée dès 2012, deux ans avant le Maroc, son rival. C’est une avancée technologique majeure pour les centres d’appels offshore, ceux qui travaillent pour l’international et qui représentent 321 sociétés. La Tunisie fait à l’époque figure d’avant-gardiste au sein des pays émergents en matière de nouvelles technologies, et les centres d’appels en ont profité à plein. Jusqu’en 2011, elle est la première du continent africain dans le classement Networked Readiness Index, l’indicateur établi par le Forum économique mondial qui mesure le degré de préparation d’une nation à participer et à bénéficier des technologies de l’information de la communication.

Fiscalement, les centres d’appels offshore jouissent de l’exonération de l’impôt sur le revenu pendant dix ans (plafonné à 10 % depuis 2014) et d’une prise en charge par l’Etat de la part patronale pendant cinq ans pour les diplômés du supérieur lorsqu’ils accèdent à leur premier emploi.«C’était la belle époque, se remémore Anis Mabrouk, qui travaillait alors pour Phone Control, prestataire pour centres d’appels.On pouvait faire jusqu’à trois installations par semaine.»

Paradoxalement, c’est cet esprit de liberté et de dérégulation qui a introduit le ver dans le fruit. Le gouvernement a supprimé en 2007 toute procédure administrative pour la création de centre d’appels. Aussitôt, une nouvelle niche s’est développée : la location de positions (postes opérationnels). Des investisseurs se mettent alors à équiper un local et le louent à des centres d’appels créés ex nihilo. A côté des grands bâtiments abritant les centaines de téléconseillers, des structures de quelques dizaines d’employés squattent des lieux plus ou moins adaptés à l’activité. Ces nouveaux acteurs cassent les prix, car les investissements requis sont réduits à peau de chagrin.«C’est n’importe quoi, s’emporte Mamdouh Oueslati, patron du centre d’appels Sirius.Ils restent quelques mois, et ils disparaissent. Généralement, une partie du contrat est payable à l’avance. Certains touchent l’argent et ferment aussitôt. Ils ruinent notre réputation.»Le gérant, dont la société possède 35 positions, a dû s’adapter. Face au nivellement par le bas, il a choisi de ne travailler qu’avec un seul client étranger pour lui proposer du sur-mesure, mais avec le risque que ce dernier ne le quitte à tout moment. D’autres décident de louer eux-mêmes une partie de leurs locaux à ces hussards de la téléphonie, s’assurant ainsi un revenu fixe.

L’arrivée de logiciels libres de centre d’appels, comme Vicidial, a également mis la profession sens dessus dessous. Là, même plus besoin de louer un local ni de fournisseur, un ordinateur suffit.«Il faut quand même un technicien expérimenté pour l’installer, nuance Anis Mabrouk,mais les logiciels sont assez complets.» Pour autant, ils souffrent d’un handicap : les communications se font uniquement via Internet, ce qui les rend moins stables que celles qui empruntent une passerelle téléphonique classique. Ces centres low-cost ne peuvent pas prétendre aux contrats des grandes sociétés, qui cherchent une fiabilité maximale. Mais leur présence permet à ces dernières de faire pression sur leur sous-traitant.«Pour les contrats de gros volume comme une hot-line, le client peut exiger une facturation à la minute parlée. S’il s’agit de support technique, le centre d’appels peut n’être payé que si le problème est résolu. Le secteur devient très fragile», se désole Ridha ben Abdessalem, président de la chambre syndicale des centres d’appels auprès de l’Utica (patronat).

Par ailleurs, les progrès technologiques tarissent le filon : les nouvelles offres «omnicanaux» proposent en effet la résolution automatique de demandes autrefois traitées par les téléopérateurs. Ces réponses robotisées sont déclinables sur tous les supports écrits : SMS, réseaux sociaux, sites internet, etc.«Les logiciels analysent sémantiquement la demande de l’internaute pour trouver une solution en temps réel», explique Anis Mabrouk, qui y voit cependant un moyen pour les centres d’appels de faire plus de qualitatif :«Plus le particulier interpelle une société sur les réseaux sociaux ou autres, plus il exige des réponses affinées auxquelles seul un humain pourra répondre.»

La téléprospection, la télévente ou le télémarketing, missions historiques des centres d’appels, ne sont pas encore concernées par la robotisation. C’est sur ces créneaux que les petits malins, affranchis de toute contrainte technologique et administrative, pullulent en Tunisie. Leur seul obstacle : l’obtention des fichiers clientèles, graal indispensable pour pourrir la vie des consommateurs.

Dans un café du centre-ville de Tunis, Ahmed (1) fait défiler sur son écran un large assortiment de listes.«Tu veux des fichiers ? Dis-moi, je les aurai.» Il y a quelques années, Ahmed, bien loin des services de support technique, a été élu meilleur «voyant par téléphone» d’un centre d’appels spécialisé.«Vivre sur le dos de la détresse des gens, c’était mon gagne-pain, et j’étais doué, explique-t-il.Prédire un horoscope, vendre un contrat d’assurance, c’est la même chose. Il faut la fibre commerciale.» Actuellement à cours d’argent, il se tâte à louer des positions avec des amis :«Une position, ça revient à 200 euros par mois. Je peux en gagner entre 1 000 et 1 500 euros sur la même période.»

L’Etat a tenté de réguler le statut en créant des centres de formation. Le programme lancé en 2009 s’est arrêté dès 2012 à Tunis et survit tant bien que mal à Sousse, dans l’est du pays.«Il s’agit d’une formation en alternance sur deux ans. Mais après le premier stage, les étudiants quittent l’école. Les centres d’appels promettent de les embaucher et de les former eux-mêmes. En première année, on avait 60 inscrits, en seconde, seulement 4 ou 5», explique un responsable de la formation à Tunis. Une absence de réglementation qui fait une victime : l’employé. Le secteur n’a jamais été connu pour sa politique sociale, comme le reconnaît à sa manière ce gérant :«Parler aux journalistes ? Pour se faire traiter d’esclavagistes, non merci.»

Avec la concurrence sauvage, les centres d’appels utilisent les téléopérateurs comme variable d’ajustement : pause non payée et réduite, heures supplémentaires non comptabilisées, harcèlement… Le salaire n’est pas mauvais, autour de 700 dinars (284 euros) plus primes pouvant être conséquentes (le salaire minimum est de 338 dinars), mais les employés, beaucoup de diplômés du supérieur embauchés pour leur bon niveau de français, se sentent, comme Imad, humiliés. Des mouvements de grève ont eu lieu en juin pour une meilleure reconnaissance.

L’UGTT, principal syndicat du pays, a ainsi écrit à l’ambassade de France pour dénoncer le sous-traitant qu’elle emploie, TLS (groupe Teleperformance), qui gère les rendez-vous pour l’obtention des visas Schengen : il menace de renvoyer trois salariés«pour leur activité syndicale», assure Mongi ben Mbarek, secrétaire général UGTT de la fédération des centres des télécommunications. Le syndicat réclame d’ici à la fin de l’année la mise en place d’une convention collective, appuyé par le syndicat international UNI Global Union et le français SUD. L’Utica s’y oppose, car«cela favoriserait les centres d’appels étrangers qui n’auront pas de mal à s’aligner», souligne Ridha ben Abdessalem.«Les petites sociétés ne pourront pas survivre.»

Pendant ce temps-là, les concurrents se mobilisent : Madagascar et l’île Maurice sont sur le point de se doter d’un troisième câble de fibre optique. Le Maroc développe des structures nearshore (délocalisation régionale ou vers un pays proche), comme le Casanearshore Park de Casablanca, qui cible les centres d’appels européens. Ce qui n’est pas forcément un drame pour la Tunisie, qui semble se préparer à l’étape suivante : après avoir envisagé de développer les centres d’appels, le technopôle El-Ghazala, à Tunis, a finalement abandonné le projet. La responsable de la communication du centre d’innovations, Monia Jendoubi, affirme que le secteur n’est plus le bienvenu :«Nous visons les activités à plus haute valeur ajoutée.»

(1) Le prénom a été modifié.

Mathieu Galtier, correspondant de Libération à Tunis

Partager cet article
Repost0
15 août 2016 1 15 /08 /août /2016 05:30
Les terriens vivent au-dessus de leurs moyens (L'Humanité, 11 août)

L'Humanité - 11 août 2016

Les terriens vivent au-dessus de leurs moyens

À découvert depuis hier : l'humanité a entamé le crédit qu'elle contracte chaque année auprès du système terre avec cinq jours d'avance par rapport à 2015. Pas de compte bloqué dans cette histoire. À moyen terme, en revanche, les intérêts risquent d'être salés et assortis d'agios dont on ne mesure pas encore le taux exact.

En 2016, donc, ce que les organisations environnementales internationales désignent par le earth overshoot day – le jour du dépassement global – est tombé le 8 août. Dit autrement, en huit mois, l'humanité a déjà consommé autant de ressources renouvelables que ce que la Terre peut produire sur une année entière et a généré autant de déchets que les systèmes naturels sont capables d'en absorber. Depuis hier, nous vivons ainsi en déficit au regard de ce que peuvent offrir les écosystèmes, mettant en péril l'équilibre fragile sur lequel ces derniers reposent. Depuis qu'il est calculé, ce jour du dépassement n'a cessé d'avancer. En 2000, il tombait le 1er octobre ; en 2008, le 23 septembre ; et en 2015, le 13 août.

Point positif : la vitesse de progression a ralenti, passant, depuis le début des années 1970 que le monde a basculé dans le déficit écologique, de trois jours par an, en moyenne, à moins d'un jour par an en moyenne ces cinq dernières années. N'empêche: les modes de production, de commercialisation et de consommation tels qu'ils se sont développés dans les systèmes productivistes nous conduisent, aujourd'hui, à avaler l'équivalent de 1,6 planète pour subvenir à nos besoins.

Tout le monde n'en boulotte pas pareil et, si surconsommation il y a, celle-ci demeure des plus mal partagées. Ainsi, la société australienne – 22,8 millions de personnes – a-t-elle gloutonné 5,4 planètes depuis janvier ; la société étatsunienne – 320,2 millions de personnes – a gobé 4,8 planètes, tandis que la société indienne – 1,3 milliard d'habitants – s’est contentée, si l'on peut dire, de 0,7 planète. La société française – 66 millions d'habitants – se trouve dans la fourchette haute, avec 3 planètes de déjà mangées cette année. Est-il besoin de le rappeler ? Les inégalités d'accès à la consommation frappent, en outre, au sein même de chacun de ces pays.

L'empreinte écologique au cœur des préoccupations

Pour parvenir à ces résultats, les organisations - entre autres le WWF et le Global Footprint Network, qui rendent compte chaque année du earth overshoot day – calculent ce que l'on nomme, depuis 1986, l'empreinte écologique. Soit la mesure de la pression qu'exerce l'homme sur la nature, via l'évaluation de la surface productive (terrestre ou marine) nécessaire à une population pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins d'absorption de déchets. Concernant par exemple les pâturages, l'empreinte écologique se calcule « à partir de la surface servant à faire paître le bétail élevé pour sa viande, sa peau, son lait ou encore sa laine », explique le WWF. Concernant la forêt, elle se calcule en fonction de la surface fournissant « le bois de construction, de chauffe ou encore de pulpe (papier...) ». Concernant le carbone, enfin, on la calcule à partir « de la surface forestière nécessaire à la séquestration des émissions de CO2 issues de la combustion des énergies fossiles, déduction faite de la fraction absorbée par les océans ». C'est cette part qui pèse le plus lourd sur le budget écologique de la planète. Et la met dangereusement sur la voie du dépôt de bilan.

Marie Noëlle Bertrand (Journal L’Humanité)

Partager cet article
Repost0
13 août 2016 6 13 /08 /août /2016 19:49

En Egypte, les hommes d’affaires s’offrent des médias pour protéger le régime

13 AOÛT 2016 | PAR AZIZ EL MASSASSI

Si l’Égypte assiste ces dernières années à l’émergence d’une floraison de nouveaux médias, de richissimes magnats de divers secteurs referment petit à petit cette minuscule fenêtre de liberté, refrénant toute velléité de critiques contre le pouvoir du président Abdel Fatah al-Sissi.

Caire, correspondance.- En Égypte, l’État n’est plus la seule menace pour le journalisme indépendant. Déjà submergée par une vague de répression inédite depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Abdel Fatah al-Sissi en 2014, avec 27 journalistes emprisonnés et 50 autres en procès, la presse égyptienne craint désormais l’influence grandissante dans ce secteur d’Ahmed Abou Hashima. Ce sémillant homme d’affaires se livre ces dernières semaines à des achats tous azimuts de titres plus ou moins importants. Personnalité hyper médiatique, ce magnat de l’acier, depuis la création de son entreprise Egyptian Steel en 2010, oscille entre les annonces officielles de rachat via son autre société Al-Masryeen Media, et les tractations obscures qui laissent les journalistes dans l’incertitude.

À la rédaction d’Al-Shorouk (Le lever du soleil, en arabe), un quotidien au traitement de l’information relativement équilibré, les journalistes entendent depuis plusieurs semaines les rumeurs d’un probable rachat de leur titre par Ahmed Abou Hashima. Anxieux, ils tremblent à l’idée de subir le même sort que leurs confrères de Dot Misr (Point Égypte). Le 19 juillet, 90 salariés de ce site d’information ont été licenciés sans possibilité de recours après le rachat du titre. Le propriétaire précédent, Yasser Selim, un ancien homme des services de renseignement devenu un acteur majeur du marketing avec sa société Black And White, assure avoir vendu Dot Misr à Ahmed Abou Hashima, mais ce dernier n’a pas confirmé l’information.

L’acquisition en juin 2016 de la chaîne ONTV a en revanche été une opération spectaculaire suscitant la crainte des défenseurs de la liberté de la presse. Créée en 2010, ONTV a connu une période de gloire à l’époque de la révolution après la diffusion de reportages sur les violences de la police et de l’armée. Le célèbre journaliste Yosri Fouda y présente jusqu’en 2012 l’émission « Akher Kalam » (Dernier mot), explicitement favorable au discours révolutionnaire et franchement hostile à l’ancien régime. Yosri Fouda, naguère reporter à la BBC Arabic et à Al-Jazeera, a décidé de suspendre son programme à plusieurs reprises à la suite de pressions exercées par l’establishment militaire. Alors propriétaire de la chaîne, le magnat des télécommunications Naguib Sawiris, président de Orascom et actionnaire principal d’Euronews, l’avait publiquement soutenu.

Le rachat d’ONTV par Ahmed Abou Hashima a ainsi sonné le glas de l’influence médiatique de Naguib Sawiris, certes proche du régime mais plus critique sur les choix de l’armée. L’éviction de sa petite protégée, Liliane Daoud, peu de temps après le rachat d’ONTV, a fait l’effet d’une bombe médiatique. Expulsée manu militari d’Égypte, la journaliste libano-britannique a présenté jusqu’à l’été 2016 l’émission « El-Soura El-Kamila » (L’image complète) où l’introduction de voix discordantes tranche avec l’absence généralisée de pluralisme politique dans les médias de masse, en particulier la télévision. L’expulsion de Liliane Daoud est cependant justifiée par des raisons administratives – comprendre, ici, la raison d’État.

Assurément le plus médiatique, Ahmed Abou Hashima n’est pas le seul à lorgner sur la presse privée pour renforcer le système en place. « Tous les hommes d’affaires sont fidèles à l’État et les médias qu’ils possèdent défendent le gouvernement, fulmine Mohamed Sheikh, ancien directeur adjoint de la rédaction du site Dot Misr désormais au chômage. Les médias ont des bailleurs de fonds aux intérêts particuliers, qu’il s’agisse de l’État, des hommes d'affaires, mais aussi des partis politiques ou des groupes de pression. Cette réalité existe également en Occident à la différence que ces pays respectent la loi et favorisent un environnement concurrentiel qui peut satisfaire tous les publics. En Égypte, il n'y a pas de place pour ce discours. »

Renforcées lors de l’accès à la présidence de Hosni Moubarak en 1981, les interactions entre le milieu des affaires et le régime égyptien ont connu leur apogée dix ans plus tard. En 1991, le lancement d’une politique d’ajustement structurel, via l’Economic Reform and Structural Adjustment Program (ERSAP), marquant la pleine entrée de l’Égypte dans le capitalisme mondialisé, séduit les hommes d’affaires de plus en plus nombreux à rôder autour du Parti national démocratique (PND) du président. Ahmed Bahgat, Mohamed Abou el-Einein ou Naguib Sawiris, aujourd’hui encore hommes d’affaires et de médias de premier plan, s’allient ouvertement à l’appareil d’État. À partir de cette période, le nombre de businessmen siégeant au Parlement ne cessera d’augmenter, la plupart sous la bannière du PND. Dans les années 2000, la montée en puissance politique du fils du président, le fringant Gamal Moubarak, acquis personnellement au milieu des affaires, affermit davantage encore ce réseau d’influence jusqu’à la chute de Hosni Moubarak et la dissolution du PND en 2011 dans le contexte de la révolution.

Après cette parenthèse révolutionnaire, et à la suite du renversement en juillet 2013 du président Mohamed Morsi, le Frère musulman élu démocratiquement un an plus tôt, le milieu des affaires redouble de zèle dans son soutien quasi indéfectible à l’appareil d’État. Comme à l’époque du PND de Hosni Moubarak, les hommes d’affaires soignent les mouvements favorables au maréchal al-Sissi, tels que Moustaqbal Watan (L’avenir de la nation), gracieusement financé par Ahmed Abou Hashima, ou encore Hizb El-Mesriyin El-Ahrar (Le parti des Égyptiens libres), lancé par Naguib Sawiris. Les médias qu’ils détiennent s’évertuent aussi à complaisamment relayer, à des degrés certes variables, la propagande gouvernementale. Le plus ardent défenseur du régime, le quotidien Youm 7– ou Youm Essaba’ – (Le Septième jour), comporte de nombreux hommes d’affaires proches du régime parmi ses principaux actionnaires, dont Ahmed Abou Hashima.

Le pouvoir égyptien peut aussi compter sur le même Ahmed Bahgat de l’ère Moubarak, aujourd’hui à la tête d’un conglomérat d’entreprises œuvrant dans divers secteurs, et propriétaire des chaînes Dream TV. En 2011, la présentatrice Dina Abdel Rahman a été limogée immédiatement après un échange houleux avec un ancien officier de l’armée lors de son émission « Sabah Dream » (Matin Dream). Mohamed al-Amin, magnat de l’immobilier et de l’agroalimentaire, détient quant à lui la chaîne CBC dont l’émission « Hona Al-Aasema » (Ici la capitale), présentée par Lamis Elhadidy, est l’une des plus regardées en Égypte. Tarek Nour, qui préside une société éponyme spécialisée dans la communication, possède la chaîne Al-Kahera Wal Nass (Le Caire et les gens), tristement célèbre pour l’émission « El-Soundouq El-Aswad » (La boîte noire), diffusant des conversations téléphoniques volées de personnalités de l’opposition. Figure incontournable de l’industrie pharmaceutique avec sa société Sigma Pharmaceuticals, Sayed el-Badawi est de son côté à la fois propriétaire de la chaîne de télévision Al-Hayah (La Vie) et président du parti historique Al-Wafd (La Délégation), membre de la coalition au pouvoir.

Soutenir le régime pour se protéger

« Pour se sentir protégé, un homme d’affaires important a besoin d’un bon avocat, d’un garde du corps et d’un média influent », résume avec ironie Sayed el-Masri, un photojournaliste et reporter d’images se présentant comme « révolutionnaire » et« membre actif » du Mouvement du 6-Avril, un groupe de jeunes activistes particulièrement mobilisé lors de la révolution de janvier 2011. Indépendant, Sayed el-Masri officie notamment pour Sada El-Balad (Écho du pays), une chaîne détenue par Mohamed Abou el-Einein, président du groupe Cleopatra spécialisé dans la céramique et déjà proche de l’appareil d’État sous l’ère Moubarak.

Comme An-Nahar ou CBC, autres chaînes devenues proéminentes dans le paysage audiovisuel égyptien, Sada El-Balad est née quelques mois après la révolution de janvier 2011. « Les hommes d’affaires ont peur pour leurs biens, analyse Sayed el-Masri que rien ne décourage, pas même ses trois séjours en prison. Détenir un journal ou une chaîne de télévision leur permet de témoigner leur allégeance au régime en place, d’afficher ouvertement leur capacité de nuisance et enfin de se protéger en cas de changement de la situation politique. »

Les limites éditoriales qui tiennent lieu de censure dans les médias privés ne diffèrent guère de celles que l’État impose à la presse gouvernementale. Lorsque, revenant de l’inauguration du nouveau canal de Suez l’an passé, Sayed el-Masri rapporte des images d’Égyptiens mécontents, on lui oppose un refus catégorique. Quand, en opiniâtre, il propose de couvrir les manifestations qu'a déclenchées le meurtre d’un jeune chauffeur par un policier dans le quartier populaire de Darb El-Ahmar en février 2016, Sayed el-Masri subit le regard réprobateur de son rédacteur en chef. « Trois sujets nous sont formellement interdits : la présidence, l’armée et la police, explique-t-il. Les décisions proviennent directement de l’appareil d’État avec la complaisance du propriétaire de la chaîne. »

Un déficit de complaisance serait ainsi à l’origine des déboires judiciaires de Salah Diab, président de la société PICO, mastodonte du secteur agricole, de l’immobilier ou encore de l’énergie. Cofondateur du quotidien Al-Masry Al-Youm (L’Égyptien aujourd’hui), Salah Diab a assisté à de nombreux procès à la fin de l’année 2015, notamment pour corruption. Son arrestation spectaculaire intervient à la suite d’une série de publications, par ce journal relativement équilibré sur la question des libertés publiques, sur les exactions commises par la police. « Contrairement à d’autres hommes d’affaires, je n’attends rien des autorités, assure Salah Diab dans son somptueux bureau situé au Caire, tenant cigare et smartphone à la main. Al-Masry Al-Youm restera un journal libéral dont je fixe moi-même la politique éditoriale générale. »

Acquitté dans la majorité des procès ouverts à son encontre, Salah Diab, aux innombrables connexions dans la sphère politique, affirme ignorer quelle partie de l’appareil d’État a ourdi ce complot. « Tous les ministères ont dénié une quelconque implication dans cette affaire, confie-t-il cependant. D’ailleurs, la plupart des membres du gouvernement m’ont téléphoné pour présenter leurs excuses. Quant à al-Sissi, je ne l’imagine pas avoir donné des instructions dans le sens d’une décision aussi stupide. »Quel qu’ait été l’instigateur de ces procédures judiciaires, Salah Diab considère qu’« un homme d’affaires ne peut être en sécurité sans posséder un média ».

Par le biais d’un projet de loi actuellement en discussion, l’État favorise cette appropriation des médias par le milieu des affaires. Rédigée en août 2015, cette nouvelle législation censée harmoniser le droit de la presse, actuellement examinée par le Conseil d’État, devrait bientôt passer au Parlement où les débats sont déjà houleux. Si le statut des propriétaires de médias privés n’est pas explicitement évoqué, une disposition prévoit qu’aucun titre ne pourra être publié, y compris sur Internet, sans une autorisation préalable et, surtout, sans le versement d’un capital exorbitant. Pas moins d’un demi-million de livres égyptiennes (50 000 euros) est requis pour la création d’un site d’information, sous peine d’amende.

À la tête de la commission des libertés au Syndicat des journalistes, Khaled el-Balshy, également rédacteur en chef du site indépendant Al-Bedaiah (Le début), poursuit son engagement en dépit des pressions de l’État. Libéré sous caution quelques semaines auparavant, Khaled el-Balshy a été arrêté en mai pour avoir protesté contre un raid sans précédent de la police dans l’enceinte du syndicat où avaient trouvé refuge les deux jeunes révolutionnaires Mahmoud el-Sakka et Amr Badr, aux commandes du site Yanayir (Janvier). « Après la révolution, nous avons eu une opportunité exceptionnelle de lancer de nouveaux médias indépendants sur Internet, rappelle Khaled el-Balshy. Désormais, l’objectif principal des autorités est d’exercer un contrôle sur tous les médias pour en finir avec cette presse alternative. »

Partager cet article
Repost0
12 août 2016 5 12 /08 /août /2016 05:56
Quand l'Humanité cite le pape: "Le premier terrorisme est celui du dieu argent" (Rosa Moussaoui, 2 août 2016)

Quand l'Humanité cite le pape : « Le premier terrorisme est celui du dieu argent »

Le pape met en cause les fondamentalismes, récusant toute confusion entre islam et terrorisme.

«On ne peut pas dire, ce n’est pas vrai et ce n’est pas juste, que l’islam soit terroriste. » Ce propos papal de bon sens a fait pousser des cris d’orfraie à un éditorialiste du Figaro, volontiers incendiaire et bruyamment nostalgique de l’ultra-conservatisme de Benoît XVI. Dans l’avion qui le ramenait de Cracovie, en Pologne, au terme des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), le pape François a exposé devant la presse sa vision de la violence terroriste et des façons de la combattre.

Le terreau de la désespérance, une source de violence

Quelques jours seulement après l’ignoble ­assassinat du père Jacques Hamel en pleine messe, dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), par des djihadistes se réclamant de Daech, pas le moindre accent de vindicte ou de haine dans les mots du pape, qui rejette toute stigmatisation des musulmans, toute assimilation de l’islam au terrorisme.

« Une chose est vraie : je crois qu’il y a presque toujours dans toutes les religions un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons (…), a-t-il expliqué. Je crois qu’il n’est pas juste d’identifier l’islam avec la violence, ce n’est pas juste et ce n’est pas vrai. J’ai eu un long dialogue avec le grand imam de l’université de Al Azhar et je sais ce qu’ils pensent. Ils cherchent la paix, la rencontre. » Le pape a évoqué, surtout, le terreau de désespérance sur lequel prospèrent, partout dans le monde, l’intégrisme et la violence : « Il y a des petits groupes fondamentalistes. Et je me demande, c’est une question : combien de jeunes, nous, Européens, avons-nous laissés, vides d’idéal, qui n’ont pas de travail (…) ? Ils vont là-bas et ils s’enrôlent dans les groupes fondamentalistes.»

Une religion, pourtant, est nommément mise en cause par François : celle du profit à tout prix, qui hisse l’argent au-dessus des êtres humains. « Le terrorisme est aussi… je ne sais pas si je peux le dire car c’est un peu dangereux, mais le terrorisme grandit lorsqu’il n’y a pas d’autre option. Et au centre de l’économie mondiale, il y a le dieu argent, et non la personne, l’homme et la femme, voilà le premier terrorisme. (…) Ceci est un terrorisme de base, contre toute l’humanité. Nous devons y réfléchir. »

Rosa Moussaoui / L'Humanité / 2 août 2016

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez
  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
  • Contact

Visites

Compteur Global

En réalité depuis Janvier 2011