« Je pense emmener ma famille du côté de la ville tenu par le régime. Dieu seul sait ce qu'il adviendra de nous. Ne m'écrivez plus, je ne veux pas avoir de problèmes une fois passé à l'Ouest. Je ne veux pas qu'ils me torturent. Merci et que Dieu vous garde. » Comme Adnane*, des milliers d'habitants des quartiers est d'Alep ont perdu tout espoir de voir les forces rebelles vaincre celles du régime et de ses alliés et préfèrent l'exode à une mort probable.
Après quatre mois de siège, et plus de 10 jours après le lancement de la plus grande offensive jamais engagée contre les zones qui échappent au contrôle de Damas, la population a sombré dans le plus profond désarroi Un tiers du bastion rebelle a cédé lors des assauts des forces du régime sur le terrain, en concomitance avec des bombardements d'une violence sans précédent. Des milliers d'habitants auraient déjà fui les zones sinistrées pour se réfugier en zone gouvernementale. Selon l'OSDH, ils seraient près de 10 000, dont 6 000 partis en direction de la petite enclave de Cheikh Maksoud contrôlée par les forces kurdes.
Selon un activiste sur place, contacté par L'Orient-Le Jour, ces familles auraient été ensuite transférées vers les zones contrôlées par le régime. D'autres ont fait état de camions entrant dans les quartiers rebelles, et de familles amassant leurs affaires à la hâte, notamment à al-Chaar, où les bombardements ont été extrêmement intenses hier. Après des mois de résistance, rythmés par la faim et les bombes, des habitants se sont donc résignés à fuir les quartiers assiégés. Aucune information fiable n'est venue confirmer ce qu'il est advenu de ces familles. « On veut partir c'est certain. Qui a envie d'affronter la mort ? Si Dieu veut nous garder en vie, alors il faut qu'on parte. Mais où ira-t-on, ça je l'ignore », confie Tarek*, un père de famille. Hier dans la soirée, Amnesty International a appelé les forces gouvernementales syriennes à veiller à ce que les civils vivant dans les zones capturées puissent circuler librement et soient protégés contre la détention arbitraire, la torture, la disparition forcée ou le harcèlement.
(Repère : Retour sur une année d'offensives sur Alep-Est)
Témoins de l'horreur
« C'est la pire des catastrophes humanitaires qui se déroule en ce moment même », témoigne Amir, un photographe des quartiers est. Malgré l'horreur dont il est doublement témoin, le photoreporter s'est-il résolu à tout abandonner pour se rendre en zone gouvernementale ? « Sûrement pas ! Les photographes sont les ennemis numéro 1 du régime », ironise-t-il. Comme Amir, Joumana refuse de s'en remettre aux forces adverses. « Les bombardements sont fous, c'est du jamais-vu, mais mon Dieu non, je ne partirai pas », dit-elle, espérant encore que la situation « s'améliore ».
« Physiquement je n'ai rien, mais moralement je suis à bout. Ma femme a terriblement peur. Mais je n'irai jamais du côté du régime, car ça veut dire choisir la mort à coup sûr. Je préfère mourir dans ma ville », confie également Yasser. Un professeur d'anglais et activiste a préféré tromper la mort en continuant à donner des cours hier après-midi. « Malgré la situation horrible aujourd'hui (hier), mes élèves ont insisté pour venir en classe », dit-il face à la caméra de son téléphone, via l'application Périscope, permettant de transmettre les images en direct.
« Je leur ai demandé de me décrire leurs vacances. (...) Je leur souhaite un avenir brillant, même si je sais que durant les prochains jours je risque de perdre certains d'entre eux », avoue-t-il.
Dans certains foyers, le désarroi est total. « Si ça continue comme cela, ce sera un carnage. Qu'est-ce qui va nous arriver ? Allons-nous tous mourir comme ça ? lance Ahmad, effondré, alors que son épouse est sur le point d'accoucher, d'un jour à l'autre, de jumeaux. Il n'y a plus d'hôpitaux, plus de médicaments, j'ai peur pour ma famille. Pourquoi le monde ne fait-il rien pour nous ? Je me pose la question sans arrêt et je ne trouve pas de réponse. »
* Les prénoms ont été changés pour des raisons de sécurité.
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