6 ans d'austérité en Grèce, c'est une baisse de 25% du PIB et de 20% des salaires, 23% de chômeurs, 36% d'enfants pauvres, une situation sanitaire extrêmement dégradée... Mais les Grecs se battent, organisent la solidarité!
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6 ans d'austérité en Grèce, c'est une baisse de 25% du PIB et de 20% des salaires, 23% de chômeurs, 36% d'enfants pauvres, une situation sanitaire extrêmement dégradée... Mais les Grecs se battent, organisent la solidarité!
Encore un livre bouleversant et si terriblement éclairant sur la Syrie, la force de résistance et la dignité de son peuple, l'horreur de la volonté d'anéantissement des populations rebelles et hostiles à sa dictature sanguinaire par les forces du régime de Bachar-al-Assad, les tortures contre les prisonniers du régime animalisés par leurs geôliers, la volonté d'affamer les villes et villages rebelles de la Ghouta, les obus à répétition, les gaz chimiques.
Il faut lire "A l'est de Damas, au bout du monde" (Témoignage d'un révolutionnaire syrien) écrit par Majd al-Dik avec l'aide de Nathalie Bontemps.
Dans la Ghouta orientale où Majd al-Dik, est né et a grandi, sa famille est tout entière accaparée par sa survie.
La Syrie défavorisée où il voit le jour supporte, depuis le coup d'Etat de 1970, la politique autoritaire, faite de marginalisation sociale, de répression et de terreur, que mène la dynastie Assad contre sa population.
Participant aux protestations dès le premier jour en mars 2011, Majd al-Dik raconte les marches pacifiques avec ses compagnons de lutte, et leurs aspirations démocratiques, qui se heurtent vite à la violence inouïe du régime.
C'est à sa sortie de prison, à l'automne 2011, que Majd est témoin des débuts de la lutte armée, et qu'il s'engage dans les aides médicales. En 2013, sa Ghouta natale délivrée par les forces révolutionnaires subit un terrible siège : bombardements quotidiens, malnutrition, situation médicale dramatique, essor du commerce de guerre...
Il se lance néanmoins dans l'action civile en créant des centres d'enseignement alternatif pour la petite enfance et en documentant les crimes du régime, notamment l'attaque chimique du 21 août 2013. Alors que les rapports entre les différentes factions d'opposition se modifient et que de plus en plus de combattants rejoignent les formations religieuses, financées par l'extérieur, qui disposent d'armes, l'Armée libre s'affaiblit. Pourtant, la société civile (médecins, enseignants, humanitaires, citoyens journalistes) continue à assurer de son mieux la permanence de la vie.
Majd-al-Dik, 23 ans, a été arrêté par les forces de sécurité de Bachar à l'occasion d'une manifestation anti-régime à Douma (il les filmait pour témoigner sur Facebook) à l'automne 2011. Il passe 37 jours en prison, où il est torturé quotidiennement, avant d'être relâché. Il retrouve sa petite amie, alaouite, à Damas, mais ne se sent pas en sécurité dans les quartiers tenus par le régime et décide d'aller ouvrir un centre pour l'éducation et la sauvegarde des enfants dans la Ghouta, tenu à bout de bras pendant 2 ans avec des moyens de fortune, et dans l'horreur des ratissages et des bombardements, des enfants affamés, gazés, devenant orphelins les uns après les autres. Ce témoignage modeste d'un jeune homme venant d'un milieu très populaire, forcé à travailler très jeune, mais qui grâce à son intelligence, sa volonté et son ouverture d'esprit a su conquérir des études de droit juste avant la guerre, puis s'est formé à la psychologie et à la pédagogie dans des équipes humanitaires, est une leçon de vie et d'héroïsme, une nouvelle preuve que réduire les révolutionnaires syriens à des bandes d'islamistes sectaires téléguidés de l'étranger est un discours de disqualification mensonger qui dissimule avec beaucoup de mauvaise foi au nom du péril islamiste la réalité des atrocités et des crimes contre l'Humanité commis par Bachar-al-Assad et ses séides avec la complicité d'une minorité de privilégiés, de fonctionnaires, de membres de l'appareil répressif d'Etat, de minorités qui soutiennent le régime.
Yonatan Shapira, refuznik et activiste de la paix israélien, a parlé à Middle East Eye de son cheminement personnel, de l’activisme pro-palestinien et des perspectives de paix en Palestine
Yonatan Shapira est un « refuznik » israélien, un de celles et ceux qui refusent ouvertement de servir l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés. En 2003, il publiait avec 26 autres pilotes de l’armée une lettre ouverte dénonçant les attaques « illégales et immorales que l’État d’Israël effectue dans les territoires palestiniens ».
Depuis, l’ancien capitaine de l’armée de l’air, membre de l’élite militaire, fils d’un pilote de la guerre de 1973 et petit-fils de victimes du génocide juif est devenu un activiste de la paix.
Indigné par le sort de Gaza, il tentera, avec d’autres, de pénétrer par trois fois dans l’enclave palestinienne par voie maritime, avec une simple cargaison de jouets et de fournitures scolaires. En 2010, à bord de L’Irène violemment arraisonnée par l’armée israélienne à 20 milles de Gaza, il sera touché par trois tirs de taser par ses ex-camarades de l’armée.
Depuis, il milite au sein du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS).
Refuznik très actif, il est aussi l’un de ces « smolanim » ou gauchistes honnis par la droite et l’extrême-droite israéliennes.
MEE : Comment s’est fait votre cheminement politique et philosophique, de pilote dans l’armée israélienne à refuznik ?
Yonatan Shapira : J’ai grandi dans une base aérienne et je m’identifiais totalement avec Israël. J’adhérais à la narration sioniste qui pose que mon pays recherche la paix avec ses voisins et le monde, et souffre parce qu’il est entouré d’ennemis. C’est là typiquement le genre de narration selon laquelle les enfants de ce pays sont élevés.
J’ai simplement cessé de me soucier des miens seulement, et me suis préoccupé de tout le monde. J’ai cessé de m’inscrire uniquement dans une ethnie, une tribu, une religion ou une couleur. C’est un changement de perspective qui modifie tout. Toutes ces valeurs humanistes dans lesquelles j’ai grandi, je les ai appliquées à tous. Mais cela est un changement intenable pour ceux qui sont encore enfermés dans leur point de vue raciste.
Je dis souvent que parmi les morts ce jour-là, il y eut aussi le garçon naïf et sioniste que j’étais
Je me suis toujours senti partie prenante de mon pays, c’est une part évidente de mon identité. Lorsque j’ai commencé à interroger la question du Bien ou du Mal qui était fait en mon nom, il a été plus facile de se sentir suffisamment confiant pour parler ouvertement. Quand bien même on me traitait de « traître » ou qu’on m’accusait de faire du mal à ce pays. Bien sûr, en devenant activiste, j’ai vu que mes paroles et actions pouvaient rendre les gens fous. Ainsi, quand j’ai taggué sur le mur du ghetto de Varsovie un graffiti « Libérez tous les ghettos, libérez Gaza », en Israël, les réactions ont été vives. Les gens ne comprenaient pas comment un ex-capitaine de l’armée de l’air pouvait comparer Gaza à un ghetto. Pour moi cela semblait pourtant évident.
MEE : Après quel événement avez-vous écrit la lettre des pilotes de 2003 qui appelle à refuser les missions « immorales » sur Gaza ?
YS : Il y a eu plusieurs événements mais ce fut spécifiquement les assassinats de combattants palestiniens par l’armée de l’air israélienne. Et de tous les civils autour d’eux. La lettre a succédé à la fameuse attaque contre un leader de la branche armée du Hamas [Salah Shehadeh, l'un des chefs présumés des Brigades Izz al-Din al-Qassam], le 22 juillet 2002. Une bombe d’une tonne fut larguée sur la maison de ce leader, causant la mort de quinze personnes, dont neuf enfants. Je dis souvent que parmi les morts ce jour-là, il y eut aussi le garçon naïf et sioniste que j’étais. Si je n’ai piloté que des engins de secours et n’ai jamais pris part à ce genre d’action, j’ai eu l’impression que ces actions de bombardements avaient été faites en mon nom.
MEE : Comment fut reçue cette lettre ?
YS : Nous étions, les vingt-six autres pilotes et moi, submergés par cette attaque. Douze ans plus tard, il y eut le massacre de Gaza [l’assaut israélien de 2014 qui a fait plus de 1 500 morts côté palestinien, 6 côté israélien]. En juillet 2002, l’armée israélienne lançait une bombe d’une tonne sur Gaza pour tuer Salah Shehadeh. Exactement à la même date, 12 ans plus tard, en 2014, l’armée israélienne a déversé 100 bombes d’une tonne dans la partie sud de Gaza, tuant encore plus de gens.
La situation devient toujours plus extrême, la dévastation causée [en 2014] par l’IDF [l’armée israélienne] rend ce qui s’est passé en 2002 presque insignifiant. À chaque attaque, c’est plus fou, avec plus d’enfants brûlés vivants, plus de gens tués.
Peu à peu, ils ont accepté les règles, s’identifiant avec le système. Maintenant, ce sont des meurtriers de masse
Après la publication de la lettre, les réactions furent très négatives dans l’establishment militaire. Mais nous avons aussi eu des soutiens surprenants de militaires. J’ai eu ainsi le soutien de mon commandant d’escadron. J’en fus surpris car cette lettre pouvait être considérée comme un acte de mutinerie. Cela montre la complexité des choses. D’autres pilotes ont exprimé leur soutien en privé mais ils précisaient qu’ils avaient trop peur des conséquences s’ils nous rejoignaient dans cet appel.
Je pourrais parler de ceux qui furent punis, mais il me semble intéressant de dire la complexité des choses. Ceux qui restent dans le système passent par un processus lent où ils finissent par accepter les choses. Beaucoup de pilotes qui étaient d’accord avec moi aimaient trop voler pour y renoncer. Peu à peu, ils ont accepté les règles, s’identifiant avec le système. Maintenant, ce sont des meurtriers de masse. Personne dans ce monde ne peut dire qu’il ne sera jamais fasciste du moment où il s’adapte et se trouve des excuses.
MEE : Vous parlez « d’objection grise », pouvez-vous explicitez cette notion ?
YS : C’est un phénomène général, pas seulement en Israël. Seule une minorité décide de s’exprimer ouvertement. Puis il y a ceux qui sont persuadés du bien-fondé du système. Et enfin il y a cette part floue de ceux qui sont mal à l’aise mais refusent de risquer leur stabilité sociale et trouvent des accommodements.
Il me semble que nous devons « coller » à ce que les Palestiniens veulent, à leur façon d’envisager leur lutte. Donc soutenir leur appel au mouvement BDS
En Israël, certains trouvent des excuses pour ne pas servir en Cisjordanie ou pour ne pas participer à des attaques qu’ils désapprouvent intérieurement. Je sais que certains pilotes admettent qu’ils évitent de participer à ces missions. Ils se font porter pâles et évitent ainsi d’interroger un système qui produit oppression et crimes. Ce système tolère cette « objection grise », il produit un « consentement industriel ». Cela n’aide en rien car alors d’autres exécutent ces missions.
MEE : En 2003, vous êtes devenu un refuznik. Vous avez dit « non ». À quoi dites-vous « oui » désormais ?
YS : J’ai dit non au fait d’être partie prenante de ces attaques, de cette occupation, de cette oppression. Mais nous avons décidé, avec mes camarades, de participer à la construction des solutions de réconciliation. J’ai cofondé en 2005 une ONG, Combatants for Peace, qui réunit d’anciens combattants palestiniens et israéliens œuvrant ensemble de façon non violente contre l’occupation. Je n’en fait plus partie désormais. En effet, cette ONG est devenue trop prudente, d’une certaine façon.
Il me semble que nous devons « coller » à ce que les Palestiniens veulent, à leur façon d’envisager leur lutte. Donc soutenir leur appel au mouvement BDS et ne pas avoir peur de dire des choses qui effraient l’opinion israélienne. Ce mouvement BDS est non violent. En tant qu’Israélien, je dois suivre ce que les Palestiniens disent, car c’est eux qui luttent contre l’oppression, ce n’est pas une lutte israélienne.
MEE : Comment inscrivez-vous votre action dans le refus de certains Palestiniens de toute normalisation avec les Israéliens, même activistes de la paix ?
YS : Nous ne sommes pas dans une situation où deux parties de force égale s’affrontent et souffrent également. Si certains palestiniens choisissent de ne pas travailler avec les activistes israéliens, je respecte ce choix. Je lutterai alors avec d’autres. Je comprends que certains Palestiniens soient frustrés par des années et des années de lutte avec le prétendu mouvement pour la paix israélien. Car ce mouvement a souvent échoué. Des gens qui auraient dû refuser de combattre ont accepté d’être réservistes et de participer à des attaques au lieu de manifester contre ces crimes.
BDS permet une clarification utile : si quelqu’un souhaite la fin de l’apartheid, de l’injustice, alors il doit soutenir les trois éléments de cet appel. Cela permet de dessiner une ligne nette entre ceux qui demeurent à l’intérieur de leur bon droit sioniste, de leur besoin d’être supérieurs sur cette terre, et ceux qui comprennent que si on veut vraiment la paix, elle doit être basée sur l’égalité.
MEE : À propos de BDS, que pensez-vous de la comparaison faite par le Français Bernard-Henri Levy qui a déclaré que c’était un mouvement d’inspiration « nazie » ?
YS : J’ai débattu avec lui, il y a douze ans de cela. Je lui ai expliqué ce que mes collègues pilotes et moi devions faire lors de nos missions. Il a facilement rejeté toutes ces horreurs d’enfants palestiniens brûlés vivants et m’a raconté combien était excitante l’expérience d’un membre de sa famille dans un kibboutz... Certaines personnes peuvent écrire, réfléchir de façon élaborée, mais leur cœur fonctionne mal en dehors de leur cercle ethnique ; ils voient toujours le monde à travers la peur d’un monde post-holocaustique.
C’est triste de voir comment des gens censément intelligents se mettent au service d’une machine oppressive
Un autre intellectuel israélien, Asa Kacher, souffre de cette même cécité. C’est un philosophe reconnu, qui a réécrit le code éthique de l’armée israélienne, c’est-à-dire au final comment oppresser des milliers de personnes dans les check-points, mais en le faisant de façon « éthique ». J’ai aussi débattu avec lui et c’est triste de voir comment des gens censément intelligents se mettent au service d’une machine oppressive. Dans l’histoire humaine, ce n’est pas nouveau que des intellectuels, écrivains, artistes choisissent de rallier les oppresseurs.
MEE : Vous donnez régulièrement des conférences aux États-Unis ; pensez-vous que les juifs américains puissent faire pression sur Israël dans la recherche de la paix ?
YS : Un changement important s’opère aux États-Unis, changement qui peut avoir son importance en Israël. Quand j’ai commencé ces conférences, une organisation comme Jewish Voice For Peace avait seulement cinq à sept ramifications. Elles sont désormais quarante. De plus en plus de juifs américains font partie de groupes de solidarité avec les Palestiniens.
Nous n’attendons pas que les leaders mondiaux lancent une initiative comme une grande conférence pour la paix. Nous n’attendons pas que quelqu’un vienne et coupe soudainement le tuyau du soutien militaire et diplomatique à l’apartheid israélien. Nous misons sur un processus qui part de la société civile. Notre espoir est de créer des pressions civiles.
MEE : Certains partis politiques israéliens appellent désormais ouvertement à une annexion pure et simple des colonies en Cisjordanie. L’hypothèse de deux États est-elle encore viable ?
YS : La solution de deux États est déjà morte. Le gouvernement fasciste israélien déclare une chose puis une autre. Nous pensons que la lutte est désormais pour l’égalité des droits de tous et un État pour tous ses citoyens. L'idée qu'il y aurait une différence entre la destruction des villages palestiniens en 1948 et ce qui s’est passé après 1967 en Cisjordanie est idiote. Ce sont les mêmes méthodes et les mêmes procédures employées alors et maintenant. Nous vivons tous ici, et si nous voulons une solution, il faudra reconnaître les crimes qui ont été commis.
MEE : Vous avez déclaré qu’Israël vivait « enfermé dans sa propre bulle », pourquoi ce constat ?
YS : Pour comprendre cela, il faut que chacun s’interroge sur sa propre société. Prendre simplement les problèmes dans son pays et observer comment les gens réagissent. Nous vivons à l'ère des médias de masse, et la façon dont ils dépeignent les choses est faite de telle manière que cela ne bouleverse pas trop nos propres points de vue. Mais en Israël, tout est plus exacerbé car il n'y a pas de distance physique avec la souffrance qui est si proche. Je suis sur une plage à Tel Aviv, avec les touristes, les lumières douces de la ville. Mais il ne me faudrait pas plus de 30 minutes pour me rendre dans un petit village palestinien lourdement opprimé, où les soldats peuvent entrer dans les maisons la nuit et kidnapper votre enfant, l’interroger pendant des heures sans avocat dans certains camps des services secrets, et sans savoir quand il reviendra.
MEE : Une série de lois israéliennes entend criminaliser l’utilisation même du mot « Nakba », la catastrophe palestinienne de 1948, et interroge le financement des ONG qui œuvrent pour la défense des Palestiniens ou la dénonciation des agissements de l’armée… Qu’en pensez-vous ?
YS : Le gouvernement israélien actuel est le plus à droite que nous n’ayons jamais eu dans ce pays. Le racisme et l’ethnocentrisme est quelque chose qu’il tente généralement de masquer derrière d’autres valeurs. Mais désormais, les choses apparaissent plus clairement. Auparavant, le système sioniste masquait son véritable agenda avec des messages plus cosmétiques. C’est comme si nous vivions dans une maison aux murs couverts de papiers fleuris chatoyants, mais que derrière, le mur était totalement pourri en raison des contradictions, crimes, dénis. Mais à présent, en raison de la façon dont ce gouvernement agit, le papier peint tombe. Les murs rongés sont alors apparents et nous voyons aussi les fondements de la maison.
La solution de deux États est déjà morte. [...] Nous pensons que la lutte est désormais pour l’égalité des droits de tous et un État pour tous ses citoyens
Désormais, le processus de fascisation se poursuit et continuera en réaction aussi aux condamnations de la communauté internationale devant les actions d'Israël. Cependant, il me semble que, parfois, il est facile pour les gens d'être engagés dans la question palestinienne et d'oublier les problèmes de leur propre pays. Je choisis les mots les plus extrêmes quand je parle de mon pays et des choses qui se font ici, mais je voudrais lutter avec la même passion avec ces gens contre les crimes de leur propre gouvernement, les crimes qui se passent en leur nom dans leur pays. Il est parfois plus facile de devenir un militant de la question israélo-palestinienne et d'oublier ce qui se passe dans son propre pays. J’insiste sur ce point.
Mahmoud al Weesi, palestinien d’Israël, journaliste et aujourd’hui coordinateur de la communication du comité des libertés « Lajnat al horiya » à Nazareth
Mahmoud al Weesi, palestinien d’Israël, journaliste et aujourd’hui coordinateur de la communication du comité des libertés « Lajnat al horiya » à Nazareth, a été arrêté à l’âge de 18 ans et a passé 7 années en prison. Il dénonce les conditions d’arrestation et de détention des Palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes.
PRISON INSIDER. Vous êtes citoyen israélien – palestinien israélien – et avez passé 7 années en prison. Quels étaient les motifs de votre détention ?
MAHMOUD AL WEESI À 18 ans, j’ai été arrêté et accusé d’être membre d’une organisation terroriste et de l’avoir fréquentée depuis l’âge de 14 ans. Or, je n’étais membre d’aucune organisation. J’étais juste un enfant qui voulait savoir ce qui se passait autour de lui. En 2005, je voulais étudier la médecine en Roumanie. Pendant six mois, je suis parti là-bas pour apprendre la langue et c’est à mon retour que j’ai été arrêté.
Pouvez-vous décrire les conditions de votre arrestation ?
J’étais en voiture quand soudain des gens, habillés en civil, ont bloqué mon véhicule et m’en ont sorti en me tirant par le cou et les oreilles. Ils m’ont tabassé. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une affaire de voyous… Mais c’était la police. Personne ne m’a informé des motifs de mon arrestation. Ces policiers m’ont embarqué dans leur véhicule puis conduit, en dehors de la ville, dans un lieu isolé, une sorte de hangar sans fenêtre. Ce n’était ni un commissariat ni un bureau de police. Pendant plus de douze heures, ils m’ont battu et questionné en me hurlant dessus. Après ce « kidnapping », j’ai été conduit dans un centre spécial où on m’a forcé, par les coups, à signer une déclaration affirmant que je n’avais pas été frappé ni brusqué pendant mon arrestation. Je suis resté dans ce centre d’interrogatoire environ trente jours. Durant les interrogatoires et cette soi-disant enquête, mes bourreaux ont pratiqué sur moi toutes sortes de tortures physiques et psychologiques.
Les interrogatoires pouvaient durer plus de 30 heures d’affilées.
J’étais assis sur une chaise avec les mains entravées dans le dos et reliées aux chevilles par une corde. Une position très douloureuse. Un énorme climatiseur diffusait de l’air très froid directement sur mon visage. On m’a aussi affamé. Quand l’interrogatoire était terminé, on m’enfermait dans une pièce totalement noire. Je suis resté dans cette pièce aveugle pratiquement 30 jours, on m’en sortait régulièrement pour d’autres interrogatoires musclés.
Certains sont restés enfermés dans cette pièce, où il est impossible de distinguer le jour et la nuit, durant plus de trois mois… Pour aller aux toilettes, je devais demander à un gardien qu’il m’y conduise. Je ne pouvais pas y rester plus de 60 secondes, pas une de plus, sinon le gardien ouvrait la porte pour m’en sortir.
A l’appui de ses propos, M. Mahmoud al Weesi montre la vidéo diffusée sur Internet de l’interrogatoire de Ahmed Manassa, un jeune garçon de 13 ans.
Avez-vous demandé l’assistance d’un avocat ?
Selon la loi israélienne, les enquêteurs ont le droit de vous empêcher de voir un avocat pendant 21 jours. Pendant cette période, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. C’est seulement après ces 21 jours de mauvais traitements que j’ai pu rencontrer un avocat. Quant à ma famille, elle a été prévenue de mon arrestation une semaine après les faits. Je n’ai pu la voir que quelques minutes.
Quelle était la nature de votre détention, était-ce une détention administrative ?
Non, ce n’était pas une détention administrative, c’était une détention irrégulière. Ils m’accusaient et disaient qu’ils avaient des preuves de ma culpabilité, mais ils n’en avaient aucune. Mon avocat m’a dit qu’ils voulaient me condamner à 10 ans de prison. Il a négocié avec eux et ils m’ont proposé 7 ans… j’ai accepté. Mais il y a des prisonniers qui ne passent pas par le tribunal, ils sont en détention administrative et rien n’atteste qu’ils sont détenus puisqu’il n’y a pas eu de procès. Dans le cadre de la détention administrative, l’avocat du détenu n’a pas accès aux pièces du dossier car ces informations sont prétendues secrètes et réservées aux enquêteurs.
Avez-vous eu accès à des soins de santé pendant votre détention ?
En prison, il n’y a pas de soins de santé ! Izmir Chaddate était prisonnier depuis dix ans, il souffrait de maux d’estomac et demandait sans cesse à voir un docteur. En réponse, on lui donnait du paracétamol qui ne le soulageait pas. Au bout de deux ans, il a enfin pu passer des examens qui ont révélé qu’il avait un cancer. Pendant deux années, il a pris du paracétamol alors qu’il avait un cancer… Après le diagnostic, il n’a pas été soigné pour autant et son cancer s’est généralisé. Il est aujourd’hui dans une situation très critique.
Quand j’étais détenu, une centaine de prisonniers a entamé une grève de la faim pour demander l’application de leurs droits : que leurs familles puissent les visiter, qu’ils aient une nourriture suffisante, qu’ils soient traités avec dignité…
L’unité spéciale Masada, chargée d’intervenir à l’intérieur des prisons pour punir les prisonniers, par la répression, est entrée en action. Un millier de membres harnachés de gilets et de masques de protection a investi la prison au milieu de la nuit. Par la petite fenêtre de ma cellule que je partageais avec 10 autres, ils ont envoyé une sorte de gaz, qui nous donnait l’impression de nous asphyxier, que nous allions mourir. Puis, ils ont jeté une bombe électronique pour nous paralyser totalement. Nous étions dans l’impossibilité de bouger, même un doigt. Puis, ils sont entrés dans la cellule, nous en ont sorti, nous ont déshabillé et laissé en sous-vêtements par terre jusqu’au lendemain. Alors que nous étions au sol, nous avons été insulté et frappé, l’un de mes amis a eu les dents cassées.
Quelle est la fréquence des droits de visites ?
Toutes les deux semaines, mais les familles palestiniennes sont emmenées par le bus de la Croix Rouge, un service qui n’existe qu’une fois par mois.
Les palestiniens qui vivent en Israël ont-ils les mêmes conditions de détentions que les juifs d’Israël ?
La loi dit que les palestiniens qui vivent en Israël doivent être traités comme les juifs d’Israël. Mais ce n’est pas la réalité, les juifs en prison ne subissent pas les mêmes traitements. Les palestiniens qui ont la nationalité israélienne sont détenus avec les prisonniers palestiniens dans les mêmes conditions qu’eux. Les Israéliens vivent seuls, peuvent téléphoner à leur femme, recevoir la visite de leur famille et amis sans restriction. Les palestiniens ne peuvent recevoir que la famille en lien direct. Les juifs, après trois mois, peuvent demander une interruption de peine et sortir, disposition qui n’est pas accessible aux Palestiniens. C’est un fait, l’application des peines entre Palestiniens de nationalité israélienne et les juifs israéliens, est très différente. Yoham Sckolneck, un soldat juif, a été arrêté en 1993 pour avoir tué un Palestinien lors d’une interpellation alors qu’il était entravé. Le tribunal l’a condamné à perpétuité avant de commuer sa peine à 11 ans de prison. Par comparaison, Samir Tsatsahoui, un Palestinien de nationalité israélienne qui a été condamné à perpétuité en 1988 pour avoir jeté une petite bombe dans un marché qui n’a tué personne : il est toujours en prison. Les exemples sont nombreux.
Guerre en Syrie: l’impossible décompte
L’assaut final sur Alep s’est accompagné d’innombrables informations contradictoires. En l’absence de journalistes sur place et face aux bilans très variables des organismes de défense des droits de l’homme, une grande inconnue entoure aujourd’hui le conflit : combien de victimes ?Guerre en Syrie: l’impossible décompte
est la source qui revient le plus souvent dans les articles portant sur le conflit syrien : l’OSDH – l’Observatoire syrien des droits de l’homme – est régulièrement invoqué pour dresser le macabre bilan de cette guerre. Les trois agences de presse mondiales, AFP, AP et Reuters, s’appuient sur ses chiffres. Pourtant, d’autres organismes existent, et ils donnent des estimations sensiblement différentes. L’ONU elle-même ne fait plus d’analyse chiffrée du conflit depuis 2014. Et le régime de Damas ne donne plus aucune information sur ses propres pertes depuis 2013. En cinq ans et demi de guerre, combien de personnes ont été tuées, combien forcées de quitter leur ville, combien ont disparu… ? Est-il possible de mesurer l’hémorragie ?
Dans son dernier bilan, en date du 13 décembre, l’OSDH dit avoir documenté l’assassinat de 312 000 personnes depuis le premier mort de la révolution syrienne, le 18 mars 2011, jusqu’au 13 décembre 2016. Mais elle estime qu’il faut ajouter au moins 80 000 morts du côté des troupes loyalistes, de l’État islamique et des différentes factions islamiques, « en raison de la discrétion extrême de toutes les parties sur les pertes humaines causées par le conflit et en raison de la difficulté des communications en Syrie ». Selon l’observatoire, il y aurait en outre deux millions de blessés, et plus de douze millions de déplacés, internes et externes.
Sur son site, l’OSDH se présente comme « un groupe de gens qui croient aux droits de l’homme, sont de l’intérieur et de l’extérieur du pays, documentent la situation des droits de l’homme en Syrie et reportent toutes les violations de droits de l’homme ». Créée en 2006, cette organisation dit s’appuyer sur un réseau de plus de 200 activistes sur le terrain – sans que soit précisé comment ce réseau est encore debout aujourd’hui, après cinq ans et demi de guerre. Elle est dirigée, depuis Londres, par un homme, Rami Abdel Rahman, qui n’a pas mis les pieds en Syrie depuis de longues années.
Pour Fabrice Balanche, démographe et spécialiste de longue date de la Syrie, pays qui concentre l’essentiel de ses recherches depuis vingt-cinq ans, les estimations de l’OSDH sont tout simplement « farfelues ». « Le directeur de cet observatoire est un personnage assez trouble, qui vient du monde du business. Au départ proche de l’opposition syrienne, l’organisme a reçu au début de la guerre des soutiens de l’extérieur, notamment d’Al-Jazeera. Il a alors compris l’importance de donner des chiffres pour les Occidentaux et n’a cessé d’en publier depuis, peu importe s’ils étaient faux. Parfois c’en était grossier, comme lors des manifestations à Hama à l’été 2011, où le site dénombrait 500 000 manifestants alors que la ville ne comptait que 300 000 habitants, parmi lesquels seuls 75 000 hommes étaient en âge de descendre dans la rue… L’OSDH a constamment surévalué l’ampleur des manifestations et des victimes civiles de la guerre. »
Pour ce chercheur aujourd’hui basé aux États-Unis, au Washington Institute, le succès de l’OSDH s’explique par son accessibilité sur Internet et le rythme quasi quotidien de ses rapports. « Peu de journalistes vont se perdre dans la littérature onusienne pour aller chercher des chiffres un peu plus fiables », dit-il. Et aujourd’hui, cet organisme n’a rien d’indépendant. « Il est financé par la France, la Grande-Bretagne, l’Union européenne et le Qatar », assure le chercheur.
Autre organisme qui documente les violations des droits de l'homme sur le terrain : le Centre de documentation des violations en Syrie, une ONG qui a commencé son travail de surveillance en juin 2011, voyant que la situation se transformait en un « conflit armé » et observant « une campagne agressive du gouvernement pour intimider, harceler, détenir et réprimer tous ceux perçus comme relatant la situation (journalistes, blogueurs, écrivains…) ». S'appuyant sur une base d'une trentaine de militants répartis dans plusieurs villes du pays, aujourd’hui domicilié en Suisse après l’attaque de son bureau syrien en 2013, il publie régulièrement des statistiques. C'est sur ces données que s'appuie Human Rights Watch pour dénoncer les « crimes de guerre » de la coalition russo-syrienne : dans son communiqué du 1er décembre, l'ONG américaine reprenait ainsi les chiffres de cette organisation, qui décomptait, sur septembre et octobre, l'assassinat de 440 civils sous les bombardements d'Alep, parmi lesquels plus de 90 enfants. Au total, depuis le début de la guerre, 31 771 habitants de la deuxième ville syrienne ont été tués d'après cette organisation qui met en ligne une base de données où sont enregistrées toutes les victimes, avec leur nom quand il est connu, leur sexe, le jour et la cause de leur mort (bombardement / torture / exécution / attaque chimique…), ainsi que leur affiliation quand elle est identifiée (civil / armée syrienne / État islamique…).
Le bilan de la guerre, à la fin novembre, par cette organisation est toutefois nettement inférieur à celui de l'OSDH : il fait état de 170 741 morts, civils et non-civils, depuis mars 2011. Il répertorie par ailleurs les détenus (65 863) et les personnes disparues (2 683). Parmi les personnes tuées, le Centre de documentation des violations en Syrie compte une majorité de civils (63,4 % d'après ses estimations).
Cet organisme tente aussi de lister les attaques des forces pro-régime. Dans son rapport mensuel de novembre, il fait le décompte sur Alep : 25 attaques ciblées par les forces russes et syriennes ont visé des hôpitaux ou centres de santé et 13 autres ont visé des bâtiments scolaires, des usines, un marché, un camp de déplacés internes. Toutes ces infrastructures sont aujourd'hui hors service. Prudent, le communiqué apporte toutefois la précision suivante : « Ces chiffres ne sont en aucun cas définitifs, et ils sont sujets à un examen continu et périodique par les activistes du centre, les administrateurs de la base de données, et l'équipe de documentation sur le terrain. Les chiffres peuvent différer entre les rapports, et le rapport le plus récent est toujours considéré comme le plus juste. »
Deux autres ONG donnent régulièrement des estimations sur le nombre de morts : le réseau syrien pour les droits de l’homme (203 097 civils tués à ce jour) et le centre syrien pour les statistiques et la recherche (141 296 tués). Bref, rien ne concorde.
Pour Fabrice Balanche, il y a « une guerre de communication sur les chiffres » : « Une grande partie de ces sites sont financés par les pays du Golfe, c’est souvent de la propagande qatarie et saoudienne, avec les Frères musulmans derrière, estime-t-il. Les listes très détaillées des victimes ne sont pas un gage de fiabilité, au contraire. En fait, il est impossible de donner des chiffres fiables sur ce conflit. Moi-même, je n’ai jamais avancé d’estimation. Tout ce que je connais, c’est la répartition démographique du pays avant la guerre, basée sur les derniers recensements de l’État syrien – jusqu’en 2004 – et des projections scientifiques : en 2010, le pays comptait 21 millions d’habitants. »
Les Nations unies elles-mêmes ne font plus de bilan. Sur la page du site de l'ONU consacrée à la Syrie, le rapport d'observation le plus récent date de juin 2016. Il porte sur les violations des droits de l'homme sur un laps de temps restreint (du 1er novembre 2015 au 1er février 2016), se contentant d'une liste des incidents connus sur la période étudiée, avec emploi systématique du conditionnel et formules très prudentes (« d'après les informations reçues », « si l'on en croit la vidéo », « le Haut-Commissariat a eu connaissance d'allégations selon lesquelles… », etc.). Les estimations plus générales restent très vagues : « Les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire se sont poursuivies sans relâche en République arabe syrienne. Des civils ont continué d’être tués et blessés en grand nombre à la suite de frappes aériennes, de tirs d’artillerie et de mortier et d’engins explosifs improvisés, tels que des barils d’explosifs et des voitures piégées. » Finalement, au détour d'une ligne en fin de rapport, on note que « quelque 250 000 personnes ont perdu la vie en République arabe syrienne ».
En fait, la dernière analyse statistique de l'ONU sur les morts du conflit syrien date d'il y a… deux ans. Les Nations unies se basaient alors sur des données collectées auprès des quatre organisations de défense des droits de l'homme citées plus haut et des informations délivrées par le gouvernement syrien. Elles établissaient un bilan de 191 369 personnes tuées, toutes identifiées, tout en reconnaissant déjà que leur bilan ne reflétait pas « le nombre complet des morts liés au conflit en Syrie ». Car depuis septembre 2013, le gouvernement syrien ne répond plus aux demandes de chiffres, et l'OSDH elle-même ne partage plus ses informations avec l'ONU à partir de début 2014.
Autre problème pour saisir ce qui se passe réellement sur le terrain : du côté des représentants officiels, les sources ne sont pas fiables non plus. « Quand le maire d’Alep-Est, récemment en visite en France, déclare qu’il y a maximum 200 djihadistes dans sa ville, c’est faux, assure Fabrice Balanche. Tout le monde ment en permanence ! En Syrie, même en temps de paix, on est incapable d’avoir un discours objectif. » Les organisations internationales elles-mêmes n’ont pas accès à certaines parties du pays : il n’y en a plus aucune à Alep-Est. Quant aux médias… Les reporters occidentaux ne vont plus en Syrie depuis longtemps – sauf dans les zones contrôlées par l’armée syrienne, ce qui ne leur permet d’accéder qu’à une part de la réalité. Pour parler avec l’opposition, ils se rendent dans les camps de réfugiés dans les pays limitrophes. De leur côté, les journalistes syriens ont fui en nombre.
Hassan Alkalesh fait partie de ceux-là : réfugié en France depuis deux ans et contributeur du Club de Mediapart, il déplore que les rares journalistes occidentaux qui couvrent le conflit syrien – souvent depuis Beyrouth – soient orientés pro-Assad. « C’est aussi lié au fait qu’il faut une accréditation du régime pour pouvoir venir dans le pays. Sinon, il faut entrer de manière clandestine. » Pour Hassan, les informations les plus justes viennent des citoyens syriens qui vivent encore sur place et les transmettent sur les réseaux sociaux. En revanche, les comptes alimentés depuis les pays occidentaux sont orientés : « Il y a de nombreux comptes pro-Assad et pro-russes. Ils ne vont s’affoler que quand les chrétiens d’Orient sont en danger. »
Pour ce Syrien réfugié à Nice, il y a comme une gêne dans l’extrême médiatisation de la fin de la bataille d’Alep. « Il y a eu pendant cette guerre des massacres plus meurtriers en d’autres endroits. Notamment dans la ville côtière d’Al-Baida, non loin de Tartous, l’un des fiefs d’Assad. C’était en mai 2013. Des milices relevant du régime ont, en collaboration avec des civils alaouites, tué, égorgé et brûlé les civils de ce village avant de les pousser à l’exode. À cette époque, je vivais à Tartous. J’ai su ce qui s’était passé grâce aux activistes de l’opposition qui avaient réussi à s’introduire dans la région. Les médias n’en ont pas du tout parlé. »
Hassan Alkalesh ne peut s’empêcher d’évoquer le massacre de Hama. En 1982, cette ville de l’ouest syrien avait été écrasée par l’armée d’Assad père. « Les Occidentaux n’avaient rien dit, or il y avait eu environ 30 000 morts civils ! » Et le journaliste d’ajouter : « La différence aujourd’hui, c’est qu’il y a d’autres armées aux côtés de l’armée syrienne : il y a les milices iraniennes du Hezbollah, les Russes… C’est comme une occupation, alors qu’au début de la guerre nous étions dans un conflit qui opposait les Syriens aux Syriens. »
Les morts, les blessés, les disparus et les détenus ne sont toutefois pas les seules victimes de ce conflit. S’ajoutent à cette longue liste les millions de déplacés, à l’intérieur même du pays et à l’extérieur. À ce sujet, les chiffres délivrés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés sont plus solides, car ils reposent sur l’enregistrement des réfugiés dans les camps – d’autant qu’au Liban et en Jordanie, la carte de réfugié permet de toucher une aide modeste de 20 dollars par mois. Le HCR dénombre quelque 4,8 millions de réfugiés syriens dans les pays de la région, dont près d’un million au Liban et plus de 650 000 en Jordanie. « Cela dit, de nombreux Syriens continuent à ne pas s’enregistrer, par peur que les gouvernements ne transmettent les informations à Damas ou par peur de ne pouvoir rentrer un jour chez eux, nuance Fabrice Balanche. L’université Saint-Joseph à Beyrouth estimait cet été que 20 % des réfugiés syriens au Liban n’étaient pas enregistrés. Et ils sont encore plus nombreux dans ce cas en Jordanie. » À Amman, les estimations du gouvernement font d’ailleurs le double des chiffres du HCR : il y aurait 1,2 million de réfugiés contre les 600 000 officiellement enregistrés… « À prendre avec précaution là aussi, ajoute Fabrice Balanche. C’est le jeu des gouvernements que de gonfler les chiffres afin de toucher davantage d’aide. »
C’est sans conteste la Turquie qui accueille aujourd’hui le plus de Syriens : plus de 2,7 millions y auraient trouvé refuge. L’Union européenne, à côté, fait toujours pâle figure, avec ses quelque 884 000 demandeurs d’asile ou réfugiés enregistrés pour l’ensemble du continent. Mais c’est à l’intérieur même des frontières de la Syrie que les déplacés sont les plus nombreux. D’après l’office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA), ils sont 6,3 millions à avoir quitté leur foyer. Un chiffre invérifiable dans la mesure où ces gens ne résident pas dans des camps. Mais qui dit bien combien la population syrienne est complètement transformée par cinq ans et demi de guerre. Au total, plus de la moitié des Syriens ont dû fuir leur chez-eux, qu’ils se trouvent encore dans le pays ou à l’étranger.
14 décembre 2016 Par René Backmann
Présentée comme une victoire décisive par Damas et ses alliés, la prise de l’ancienne capitale économique de la Syrie est un revers majeur pour la rébellion. Mais elle n’ouvre aucune perspective nouvelle pour la solution du conflit. Bachar al-Assad demeure au pouvoir mais il gouverne un régime et un pays en ruine.
près un mois de bombardements et de pilonnages dévastateurs par le régime de Damas et ses alliés, la chute des quartiers insurgés d’Alep n’est plus aujourd’hui qu’une question de jours, sinon d’heures. Seules quelques poches tenues par la rébellion résistent encore dans la deuxième ville de Syrie, ancienne capitale économique du pays, qui comptait au début de la guerre près de 3 millions d’habitants avant d’en perdre la moitié au fil des combats et des destructions.
Menée surtout par l’aviation russe, l’offensive finale, déclenchée le 15 novembre 2016, contre les secteurs tenus par la rébellion a donné le coup de grâce à une ville en ruine, dont les derniers habitants affamés et épuisés par quatre ans de pénuries, de terreur et d’épreuves, n’avaient plus depuis longtemps ni hôpitaux, ni centres de santé, ni marchés, ni écoles. La plupart de ces objectifs civils ont été détruits, au mépris des lois de la guerre, comme une bonne partie des vestiges historiques de cette citée millénaire, par les bombes, les roquettes et les obus.
Depuis le début de la guerre, en mars 2011, c’est le pire revers infligé aux rebelles par le régime qui contrôle désormais, avec Damas, Homs, Hama et Lattaquié, les cinq principales villes du pays. Effroyable victoire pour Bachar al-Assad. Car le dictateur demeure au pouvoir, mais il gouverne un régime et un pays en ruine où les combats ont fait plus de 300 000 morts et où la moitié des 23 millions d’habitants ont choisi l’exil à l’intérieur ou à l’étranger.
La chute d’Alep sous un déluge de feu signifie-t-elle la fin de la guerre en Syrie ? Non. Il s’en faut même de beaucoup. Certes, elle permet à Damas et à ses alliés russes et iraniens de conforter leur contrôle sur la partie occidentale du pays et d’imposer, au moins à court terme, leur scénario face aux pays qui soutiennent l’opposition. Sans doute aussi ce succès militaire, amplifié par les dérobades américaines et les hésitations européennes, conforte-t-il le jeu de Moscou face aux Occidentaux et leurs alliés du monde arabe. Mais résout-il la « question syrienne » ? Non.
Pour l’heure, il débouche de fait sur une perspective en apparente contradiction avec les projets du Kremlin pour la Syrie. Dans le document sur la politique étrangère de la fédération de Russie, signé par Vladimir Poutine, le 30 novembre, puis dans les 7 minutes – sur 70 – consacrées à la politique étrangère dans le discours prononcé le lendemain devant l’Assemblée fédérale, le président russe a insisté sur la nécessité de préserver « l’unité, l’indépendance et l’intégrité territoriale » de la Syrie. Or c’est sur une Syrie géographiquement coupée en deux, en attendant pire, que débouche la stratégie suivie, depuis le début de leur intervention directe, en septembre 2015, par les militaires russes.
À l’ouest, le littoral méditerranéen, les deux bases russes – Tartous pour la marine, Hmeimim pour l’aviation – et les villes principales : la « Syrie utile » des géographes, où est concentrée la majorité de la population. Il ne reste plus au régime et à ses alliés qu’à conquérir, entre Alep et Lattaquié, la province d’Idlib pour constituer, dans cette partie du pays, un territoire homogène. À l’est, jusqu’à la frontière irakienne, la partie la moins peuplée et la plus déshéritée du pays – à l’exception de la riche vallée de l’Euphrate – qui échappe à l’autorité du régime syrien.
Géographique à l’origine, cette division est aujourd’hui stratégique. L’ouest est désormais en grande partie sous le contrôle de Damas et de ses alliés. L’est, depuis 2013, est l’une des provinces de « l’État islamique » (Daech) proclamé par Aboubakr al-Baghdadi, qui a désigné la plus grande ville de la région, Raqqa, « capitale » officieuse de son califat. À l’ouest, Damas et ses alliés bombardent et massacrent pour sauver le régime face à une rébellion composite au sein de laquelle coexistent – ou s’affrontent – une minorité de partisans d’une Syrie démocratique et une multitude de groupes salafistes ou djihadistes, soutenus par les monarchies du Golfe, qui entendent créer un État islamique.
À l’est, la coalition occidentale antiterroriste qui ne dispose pas de composante terrestre, à l’exception de groupes armés kurdes et localement, d’éléments de l’Armée turque, concentre ses frappes aériennes contre les positions de Daech, ses postes de commandement, ses entrepôts logistiques ou ses cadres, comme les quatre dirigeants, impliqués, selon les sources officielles, dans les attentats de Paris, tués au début du mois à Raqqa par des raids de drones ou d’avions de combat.
En fait, deux guerres, au moins, se déroulent parallèlement aujourd’hui en Syrie. « La partition de la Syrie se profile », constatait la semaine dernière, dans un entretien avec Europe 1, le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Le risque de dislocation du pays est d’autant plus grand que les protagonistes n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes moyens, ni les mêmes calendriers.
Moscou est entré en guerre pour soutenir un vieil allié en très mauvaise posture, pour affirmer sa présence en Méditerranée et son statut de grande puissance, mais aussi pour faire payer aux Occidentaux la mauvaise manière dont la Russie avait été victime en 2011 en Libye, où les Occidentaux étaient allés bien au-delà du mandat originel approuvé par le Kremlin. Mais après avoir instauré, sur le terrain, un rapport de force favorable au régime de Damas en vue d’une inévitable négociation, qui sait si la Russie acceptera de maintenir en Syrie le même dispositif militaire. « C’est même le contraire qui est probable, estime le politologue Andrei Gratchev, ancien porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev et excellent connaisseur de la politique russe. Poutine n’a pas l’intention de devenir l’otage d’Assad, de risquer un enlisement aussi périlleux que celui de ses prédécesseurs en Afghanistan et de s’installer dans un nouveau conflit Est-Ouest. D’autant que l’opération syrienne a déjà coûté très cher à la Russie dont la situation économique n’est pas rassurante. » C’est peut-être en vue d’une réduction de son engagement militaire, voire à terme d’un retrait de son contingent que Moscou a entrepris de discrètes conversations, en Turquie, avec certains courants de l’opposition syrienne tout en acheminant en Syrie près de 5 000 soldats tchétchènes, très aguerris.
Quant à l’autre allié majeur de la Syrie, l’Iran, il n’offre pas davantage de garanties, en matière de soutien durable que la Russie. Officiellement entré en guerre pour manifester sa solidarité avec l’un des rares pays arabes qui l’avaient soutenue lors de ses confits avec l’Irak, la République islamique cherchait aussi, à affirmer, face à l’Arabie saoudite, son rôle de puissance régionale. Mais elle entendait peut-être surtout assurer la pérennité de « l’arc chiite » qui lui permet de maintenir un lien logistique vital, avec ses alliés libanais du Hezbollah, et préserver leur capacité militaire face à Israël.
C’est avec ces objectifs que Téhéran s’est engagé dans la guerre où sa contribution a été aussi décisive que celle de la Russie. Ce sont, depuis le ciel les bombardiers russes, mais au sol, les experts militaires iraniens, et les contingents de combattants étrangers, formés, encadrés et armés par Téhéran, qui ont permis à l’armée syrienne, incompétente et épuisée, de reconquérir et de tenir le terrain perdu. Fort de près de 20 000 hommes, ce corps expéditionnaire de « volontaires » chiites comprend, selon Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris, spécialiste du conflit syrien, « les combattants du Hezbollah libanais, la milice irakienne du Harakat Hezbollah Al-Nujaba et la “Brigade des fatimides” composée de Hazaras afghans et d’une minorité de Pakistanais, encadrés par des Gardiens de la révolution iraniens ».
L’armée syrienne serait-elle en mesure, seule, de conserver le terrain conquis par ses alliés ? On peut en douter, surtout après ce qui vient de se dérouler à Palmyre où la garnison syrienne qui tenait la ville depuis sa reprise, il y a neuf mois, s’est enfuie au début de la semaine face à une attaque de « l’État islamique », abandonnant la population, mais aussi une partie de ses blindés et de son artillerie. Or l’Iran semble aujourd’hui estimer que la préservation de l’accord sur le nucléaire, conclu avec les cinq membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne, et les perspectives de développement qui en découlent, sont sa priorité en matière de politique internationale, ce qui pourrait l’amener à limiter sa contribution au conflit syrien. Voire à retirer à terme ses conseillers, tout en laissant sur place une partie de ses milices.
« Ni les Russes, ni les Iraniens, explique un diplomate bon connaisseur du dossier, n’ont les moyens ni l’intention de s’engager dans la reconstruction de la Syrie, dont l’économie est en ruine, comme une bonne partie de ses villes. La misère, l’instabilité, la désintégration de l’État, la prolifération des groupes armés, la défaite des rebelles modérés face aux islamistes les plus radicaux, la haine née de cette guerre sauvage et des atrocités perpétrées par l’armée, créent un terrain idéal pour les extrémistes. Vers quel protecteur se tournera, par exemple, la communauté sunnite, déjà amputée de 6 millions de membres qui ont choisi l’exil, lorsqu’elle comprendra que les promesses de l’Arabie saoudite, désormais enlisée au Yémen, étaient vaines ? »
Question d’autant plus inquiétante que le camp de la rébellion, comme vient de le confirmer la bataille d’Alep, n’est pas seulement très inférieur en nombre et en armement, mais aussi gravement affaibli par ses désaccords idéologiques et ses querelles locales, qui ont même viré récemment à l’affrontement ouvert.
La passivité de Barack Obama et des diplomaties occidentales qui ont, de fait, sacrifié la révolte des Syriens contre la dictature à l’incertaine guerre contre le terrorisme, la victoire, à l’élection présidentielle américaine de Donald Trump, favorable à un rapprochement avec Moscou sur le dossier syrien, puis la chute d’Alep sont autant de facteurs qui pourraient inciter Bachar al-Assad à négocier en position de force. Mais le dictateur syrien, fort de ces atouts, peut aussi, comme il l’a fait jusqu’à présent, au prix du massacre de ses compatriotes et de la destruction de son pays, s’obstiner à refuser toute véritable négociation. Au risque de voir la Syrie écartelée par ses haines communautaires, livrée aux rapines de ses seigneurs de la guerre et aux ambitions de ses voisins. Au risque aussi de voir toute la région sombrer dans une instabilité encore plus redoutable que celle qui règne aujourd’hui.
Les forces du régime syrien et ses alliés ont repris la quasi-totalité de la ville.
« L'humanité semble s'être totalement effondrée à Alep », dénonce l’ONU.
Les forces du régime syrien, appuyées par les combattants du Hezbollah et l'armée russe, ont repris la quasi-totalité des quartiers d'Alep encore tenus par les rebelles, a annoncé mardi matin une source militaire syrienne. Les défenses des insurgés dans la grande ville du nord de la Syrie se sont effondrées dans la journée de lundi, laissant aux forces gouvernementales plus de la moitié des derniers secteurs que tenait encore la rébellion.
Les forces gouvernementales pourraient annoncer « d'une minute à l'autre »l'achèvement de la reconquête de la ville, selon un porte-parole militaire du régime cité par Reuters. Au terme d'un mois d'une offensive militaire massivement appuyée par les bombardements russes, le régime d'al-Assad reprend ainsi le contrôle de la ville dont la partie est était tenue par la rébellion depuis l'été 2012. Dès lundi, les témoignages et accusations se sont multipliées, faisant état de massacres de civils dans les derniers quartiers reconquis par les forces gouvernementales.
Des dizaines de milliers de civils restaient piégés dans ces zones pilonnées par les forces gouvernementales, également massivement engagées sur le terrain. Après une journée d'intenses pressions diplomatiques sur Moscou, un accord était conclu mardi en fin d'après-midi qui devrait permettre l'évacuation de civils. L'ambassadeur russe aux Nations unies a confirmé mardi soir cet accord, insistant sur le fait qu'il portait également sur l'évacuation des rebelles tenant encore des positions dans les quartiers est. De son côté, la télévision d’État syrienne a diffusé des images filmées dans les quartiers repris aux rebelles et montrant des centaines d’hommes et de femmes quittant les zones de combats.
« L'humanité semble s'être totalement effondrée à Alep », où de multiples sources signalent des assassinats de civils par des soldats syriens et des miliciens iraniens alliés au régime, ont déclaré mardi des porte-parole de l'ONU à Genève. Rupert Colville, porte-parole du Haut Commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme, a exprimé son « appréhension la plus viscérale » pour le sort des milliers de civils qui seraient toujours dans cette « enclave infernale de l'est d'Alep assiégé », redoutant pour leur sort.
« Au total, en date d'hier soir (lundi), nous avons reçu des informations sur l'assassinat par les forces pro-gouvernementales d'au moins 82 civils dont 11 femmes et 13 enfants dans quatre quartiers différents – Boustan Al Qasr, Fardous, Al Kalasah et Salihine
», a-t-il poursuivi, ajoutant que ces civils auraient été abattus en tentant de fuir de chez eux. « Il pourrait y en avoir bien plus », a-t-il dit, réclamant que des organismes extérieurs comme l'ONU puissent surveiller ce qui se passe à Alep.
« Selon un rapport très alarmant d'un docteur présent dans la ville, beaucoup d'enfants, peut-être plus de cent, seuls ou séparés de leurs familles, sont piégés dans un immeuble visé par de violentes attaques dans l'est de la ville », a déclaré l'Unicef dans un communiqué : «Nous appelons toutes les parties à autoriser une évacuation immédiate et sûre de tous les enfants.»
La France a obtenu mardi la tenue d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU pour évoquer les exactions qui auraient été commises à Alep par les forces de Bachar al-Assad et de ses alliés. « Face aux allégations d'exactions à Alep, la France demande une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies », écrit le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault sur son compte Twitter. Pour Ayrault, les soutiens du régime, « à commencer par la Russie, ne peuvent pas laisser faire et admettre cette logique de vengeance et de terreur systématique sans prendre le risque d’en être complices ».
À l'image de la dizaine de pays occidentaux et arabes réunis samedi à Paris, la France apparaît démunie face à l'opération de reconquête en cours des quartiers est de la ville par les forces de Bachar al-Assad, appuyées par leurs alliés russe et iranien, poussant à la fuite des milliers de civils. Depuis la reprise des bombardements mi-septembre des quartiers tenus par les rebelles par les aviations russe et syrienne, la communauté internationale a tenté, en vain, de convaincre les alliés du régime – Russie et Iran – d'user de leur influence pour mettre en place un cessez-le-feu immédiat.
Des appels jusqu'à présent restés lettre morte. Pour la sixième fois depuis le début du conflit en Syrie en 2011, la Russie a mis son veto le 5 décembre dernier à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Le texte demandait notamment l’arrêt des bombardements sur les quartiers est d’Alep, pour permettre l’acheminement d’aide humanitaire. Malgré ce blocage à l'ONU, la France entend maintenir « la pression sur le régime et ses soutiens », a souligné une source diplomatique, pointant une contradiction russe. « On ne peut pas être dans une stratégie à la Grozny, raser tout le pays, et réclamer en même temps des négociations politiques. Le régime syrien ne gagnera pas cette guerre, les Russes ne gagneront pas cette guerre. Il ne faut pas penser que, une fois la Syrie utile reconquise, tout va reprendre comme avant, les fleurs vont repousser, l'Union européenne va payer la reconstruction et on tournera la page du conflit syrien. »
Dans la partie gouvernementale de la ville, des manifestations de joie se sont poursuivies jusque tard dans la nuit de lundi à mardi pour fêter ce que les autorités syriennes présentent comme la reconquête imminente de toute la ville. Le général syrien Zaïd al-Saleh a annoncé lundi que la reconquête des quartiers rebelles d'Alep est était entrée dans sa « phase finale ». « Nous sommes dans les derniers instants avant la proclamation de la victoire de l’Armée arabe syrienne dans la bataille d’Alep-Est. Nous pouvons l’annoncer à tout moment », a-t-on ajouté par la suite de source militaire. L’OSDH a également estimé lundi que la bataille d'Alep touchait à sa fin.
Alors que les défenses des insurgés cédaient, plusieurs milliers de personnes ont fui les combats. D'après le « centre de réconciliation » mis en place par le ministère russe de la défense sur la base aérienne de Hmeimin, d'où décollent les avions russes, plus de 8 000 civils, dont une moitié d'enfants, ont fui Alep-Est au cours des dernières 24 heures. La télévision publique syrienne a diffusé les images d'une véritable marée de réfugiés marchant par centaines dans la pluie et le froid.
Dans les secteurs perdus lundi par les insurgés, des informations non vérifiées font état d'atrocités commises par les soldats syriens et leurs alliés, miliciens chiites libanais du Hezbollah ou iraniens. Selon des activistes locaux et le témoignage de deux habitants toujours présents dans la dernière poche rebelle, au moins 79 civils ont été exécutés sommairement dans les quartiers de Fardous et Salihine par des milices pro-gouvernementales.
« Il y a plus d’une centaine de corps, et d’autres pourraient encore être vivants, ensevelis sous des décombres que personne ne peut aller fouiller », a déclaré Ammar al-Selmo, de la protection civile. Dans un communiqué, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon s'est dit « alarmé par les informations faisant état d’atrocités contre un grand nombre de civils, des femmes et des enfants notamment, ces dernières heures à Alep », tout en signalant que l'ONU ne pouvait les vérifier.
Le ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, s'est déclaré « horrifié » par ce qu'il qualifie de « massacres de civils ». « Nous assistons à la forme la plus cruelle de sauvagerie à Alep, et le régime et ceux qui le soutiennent sont responsables. Des blessés ne sont pas évacués et des gens meurent de faim », a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse à Ankara, précisant que son pays tentait de négocier un cessez-le-feu avec la Russie.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a réitéré ses appels à « protéger » les habitants d'Alep-Est avant qu'« il ne soit trop tard », ajoutant qu'il était prêt à assurer l'évacuation des civils si un accord était conclu avec le régime d'Assad. « Nous devons agir maintenant, a déclaré Pawel Krzysiek, du CICR, présent à Alep, nous devons dépolitiser ce processus de protection des civils et d’abord sauver leurs vies. Nous devons le faire avant qu’il ne soit trop tard. »
« Le secrétaire général exprime sa préoccupation aux parties concernées. Il a donné pour instruction à son émissaire spécial pour la Syrie de s’informer auprès des parties concernées », a ajouté le porte-parole de Ban Ki-moon, Stéphane Dujarric. En France, François Hollande, qui recevait lundi à l'Élysée le coordinateur général du Haut Comité de l'opposition syrienne Riyad Hijab, a une nouvelle fois condamné les attaques du régime de Bachar al-Assad sur Alep. « Le régime croit avoir gagné une partie alors qu’il a simplement gagné une horreur supplémentaire après tant d’autres commises », a dit le président français.
"L'humanité semble s'être totalement effondrée à Alep" où de multiples sources signalent des assassinats de civils par les forces pro-gouvernementales syriennes, ont déclaré mardi des porte-parole de l'Onu à Genève.
Rupert Colville, porte-parole du Haut Commissaire de l'Onu pour les droits de l'homme, a exprimé son "appréhension la plus viscérale" pour le sort des milliers de civils qui seraient toujours dans cette "enclave infernale de l'est d'Alep assiégé", redoutant pour leur sort.
"Au total, en date d'hier soir (lundi), nous avons reçu des informations sur l'assassinat par les forces
pro-gouvernementales d'au moins 82 civils dont onze femmes et treize enfants dans quatre quartiers différents", a-t-il poursuivi, ajoutant que ces civils auraient été abattus en tentant de fuir ou chez eux.
Le gouvernement syrien, a-t-il ajouté, doit protéger tous les civils et tous les combattants qui se rendent, qui déposent leurs armes ou qui ne sont plus en état de combattre.
Pour Jens Laerke, porte-parole du Buraeu de coordination des affaires humanitaires de l'Onu, la situation s'apparente à "un effondrement total de l'humanité à Alep".
Morceaux choisis de La question syrienne qui aident à comprendre la vraie nature du pouvoir syrien:
"Les chabbiha et leur Etat" (Damas, septembre 2011)
" Il est probable que le terme chabbiha est entré dans le langage parlé syrien durant la seconde moitié des années 1970, à la suite de l'intervention syrienne au Liban en 1976, en raison de la contrebande qui s'était développée entre la Syrie, au système économique verrouillé, et son voisin laxiste. Son usage se répandit davantage pendant la crise nationale majeure des années 1980. Depuis lors, et jusqu'à mars 2011, date du déclenchement de la révolution syrienne, la dénomination s'est circonscrite à de jeunes hommes de la région littorale, alaouites de naissance, dont les chefs appartiennent à la dynastie des Assad, et plus tard à des familles alliées, telles que les Dib ou les Makhlouf (les cousins maternels des enfants de Bachar-al-Assad). Ils étaient impliqués dans la contrebande d'électroménager, de tabac, de drogue, d'alcool, de vestiges archéologiques, etc, et pratiquaient le racket. Ils étaient connus pour leur cruauté, leur rudesse et leur subordination aveugle à leurs supérieurs qu'ils appelaient mu'allem (maître) ou "oncle". Ils étaient évidemment connus des institutions du gouvernement central qui fermait les yeux sur leurs pratiques, ainsi que des autorités locales, qui leur garantissaient une totale impunité...
A partir de la deuxième moitié des années 1970 et durant toute une décennie, , les Brigades de la défense étaient en fait une milice de hors-la-loi financée par l'argent public. Jusqu'à 1985, leur chef, Rifaat al-Assad (le frère de Hafez), était un chabbih au plein sens du terme. Un homme vulgaire, grossier, violent, cupide et débauché dont la cruauté et la corruption étaient sans limites. Il détenait en grande partie le monopole de la contrebande des antiquités. C'était un homme impulsif, contrairement à son frère, calculateur et patient. Rifaat a été l'acteur principal du massacre de Hama en 1982, et deux ans plus tôt de celui de la prison de Palmyre. Quand à Hafez, il "excellait" en tout. La preuve était la torture sauvage des prisonniers politiques islamistes durant une vingtaine d'années, dans la prison de Palmyre...
Si les chabihha se sont maintenus, ce n'est certes pas à cause de l'impuissance du régime à les mater mais parce qu'ils lui ressemblent et lui sont structurellement liés. Ils sont l'autre visage, l'inconscient sombre du régime, sa violence aveugle et scabreuse. C'est la cruauté, les liens de parenté et le despotisme entremêlés.
Cet inconscient politique s'est révélé avec force lors de l'essor de la révolution et la régression manifeste de l'idéologie proclamée du régime, nationaliste arabe et socialiste, mais aussi la remontée à la surface de ses instincts criminels profonds. Il est alors apparu que les chabbiha étaient une armée de réserve, disposée à tout moment, pour de faibles gains et avec beaucoup d'ardeur, à le défendre quand il est menacé. L'Etat avait intégré le tachbih (comportement des chabihha) comme un élément de sa structure, en particulier en tant que violence organisée et légale. Mais il est difficile de qualifier cette violence de violence de l'Etat ou de considérer la prison de Palmyre comme une prison "classique". En réalité, les services de sécurité sont davantage une armée d'occupation. Avec un dédain à la limite du racisme, ils paralysent la société et rendent impossible tout mouvement de contestation...
Un des traits marquants des chabbiha est leur langage obscène et le plaisir manifeste qu'ils éprouvent à insulter leurs victimes avec les mots les plus grossiers. Cette violence verbale est d'ailleurs une spécificité des services de sécurité assadiens, en particulier dans la prison de la terreur, à Palmyre. Les geôliers étaient au comble du bonheur quand ils nous interrogeaient sur la couleur du sexe de nos mères.
Certains geôliers simulaient verbalement des actes sexuels avec la soeur de l'un des nôtres, qui était supposée être calée contre l'épaule de celui-ci, témoin consentant de la scène. Le but ultime de ce genre de violation extrême de la dignité humaine était de marquer une distance infranchissable entre les gouvernants et les gouvernés. C'est précisément la raison pour laquelle la revendication de la karâma (dignité), mot tant scandé dans les manifestations, a été primordiale dès le déclenchement de la révolution.
(...) Si le dernier mot dans l'affrontement actuel revenait au pouvoir, le tachbih serait aux commandes dans tout le pays. Nous serions témoins de niveaux d'horreur et de discrimination qui dépasseraient sans doute ce que le pays a connu dans les années 1980. Aucune sorte de "réforme" ne suivra l'écrasement de la révolution. Ce régime est incapable de gouverner autrement que par l'assujettissement de ceux qui abdiquent et l'anéantissement de ceux qui se révoltent. En finir avec les chabbiha nécessite impérativement de venir à bout de ce régime infâme.
C'est ce que résume parfaitement une banderole portée par des manifestants de la commune de Talbisé, près de Homs, en août 2011: "Nous voulons un Etat séculier qui nous gouverne, pas un Etat de chabihha qui nous tue!"
"Les racines sociales et culturelles du fascisme syrien" (Damas, avril 2012)
"Nous devrons un jour explorer en profondeur les racines sociales et culturelles de la violence fasciste du régime de Bachar-al-Assad durant ces treize derniers mois. Jusqu'à présent, il a massacré près de 12 000 Syriens ordinaires, de pauvres et courageux travailleurs. Il a causé de terribles destructions dans des dizaines de villes et de villages, déplacé plus d'un million de personnes et poussé à l'exil vers les pays voisins une centaine de milliers de Syriens; Cette barbarie s'est accompagnée d'une haine jamais dissimulée des révolutionnaires et de leurs milieux sociaux.
J'examine dans cet article trois constructions sociales et culturelles qui ont pu nourrir cette violence inouïe et la justifier, voire la rendre désirable. Il s'agit de l'"arabité absolue", c'est-à-dire de la version baathiste du nationalisme arabe, du confessionnalisme et de ce qui en découle..., enfin de la nouvelle bourgeoisie, la classe qui s'est constituée sous le régime assadien (du temps du père) et qui a occupé une position politique et idéologique importante sous le fils.
(...) Je précise que j'entends par fascisme l'agression violente contre des gens sans défense et le mépris total de leurs vies, libertés et dignité. C'est aussi le recours du clan au pouvoir, riche et intouchable, qui justifie ses actes par la primauté de "la patrie et sa sécurité", à des expéditions punitives, bombardant villages, quartiers urbains et banlieues. Il ne s'agit pas d'une pensée fasciste structurée mais plutôt d'un mélange de violence sans limites et d'une "pensée" qui au mieux la dénie, et au pire la justifie en jetant l'opprobre sur les gens ordinaires".
(Suite les prochains jours).
Lire aussi:
Dans quelques jours, l’ONU va très probablement prendre une décision forte pour engager la rédaction d’un traité interdisant l’armement nucléaire, malgré les pressions diplomatiques exercées par les « pays nucléaires » sur les 123 pays qui y sont favorables (voir ci-dessous*).
L’appel au Président de la République, François Hollande a déjà recueilli plus de 25 000 signatures. C’est un soutien important à l'action que nous menons !
Cela confirme le résultat du sondage de la société Opinion-Way (réalisé le 2 Décembre 2016 auprès d’un échantillon de 1073 personnes, représentatif de la population des Français de 18 ans et +) indiquant que 68% des Françaispartagent notre souhait que la France ne vote pas CONTRE cette résolution (L 41) en faveur de la paix et de la sécurité mondiale.
J'espère que les responsables français entendront cet appel, pour que la France adopte une posture qui corresponde à son image de patrie de la défense des libertés et des droits de l’Homme.
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* Les pressions diplomatiques
- Pour comprendre, lire l’analyse de Jean-Marie Collin : « L’Assemblée générale de l’ONU ouvre la porte à un traité d’interdiction des armes nucléaires »
Extrait
« Très clairement, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France (possiblement la Russie) ont exercé depuis début octobre une forte pression sur tous leurs alliés et États avec lesquels ils ont des relations pour que ceux-ci n’expriment pas un vote positif. La presse a largement rapporté que les diplomates américains ont mené « une campagne agressive pour empêcher les États non nucléaires d'interdire ces armes atomiques », le Japon, la Corée du Sud, la Norvège et les Pays-Bas étant particulièrement visés.
Il était assez logique de voir l’Amérique latine et les Caraïbes voter « Oui » (29 États sur 33) vu son histoire (première zone exempte d’arme nucléaire depuis 1967) et son soutien indéfectible à « l’Initiative humanitaire » depuis le début de celle-ci. Par conséquent, les abstentions de la Guyana et du Nicaragua apparaissent aller à contre-courant et à l’inverse du positionnement des organisations (CARICOM, CELAC, Opanal, UNASUR) dont ces États sont membres. Doit-on dès lors y voir un jeu de pression de la part des Britanniques (sur leur ancienne colonie de Guyana) et des États-Unis sur le Nicaragua ?
La France a, quant à elle, envoyé des « lettres de préoccupation » à différentes missions diplomatiques francophones d’Afrique. Mais cette pression a également visé les eurodéputés pour qu’ils votent « non » à une résolution du Parlement européen approuvant la L.41. Le ministère des Affaires étrangères français a en effet adressé une lettre d’instruction aux 74 eurodéputé(e)s français(es) pour leur demander de rejeter cette résolution. La notion de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif semble avoir été largement oubliée…
- Pour savoir comment agissent les Etats-Unis, lire « les Etats-Unis cherchent à faire capoter le traité d’interdiction des armes nucléaires »