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12 novembre 2016 6 12 /11 /novembre /2016 08:16
Can Dündar, rédacteur en chef du quotidien turc "Cumhuriyet": "Tout dépend du peuple turc pour sauver la démocratie" (L'Humanité)
Can Dündar : « Tout dépend du peuple turc pour sauver la démocratie »
ENTRETIEN RÉALISÉ PARSTÉPHANE AUBOUARD ET PATRICK APEL-MULLER
MERCREDI, 9 NOVEMBRE, 2016
L'HUMANITÉ

L’ancien rédacteur en chef du quotidien turc Cumhuriyet a été fait, hier, citoyen d’honneur de la Ville de Paris. Exilé en Allemagne, le journaliste a accordé un entretien exclusif à l’Humanité.

Quelle est votre situation personnelle aujourd’hui ?

Can Dündar Ma situation est très simple : si je rentre en Turquie, je serai immédiatement arrêté. Il y a un an, j’ai déjà été emprisonné pendant 92 jours avec mon collègue Erdem Gül pour « espionnage et divulgation de secret d’État ». Nous avions publié en mai 2015 un reportage prouvant la fourniture d’armes par les services secrets turcs à des islamistes syriens. Mon dossier est encore en cours d’instruction sur ce sujet. Mais je suis également l’objet de deux nouvelles charges. Le régime m’accuse tout d’abord d’avoir soutenu Fethullah Gülen alors que mon journal comme moi-même n’avons évidemment rien à voir avec l’ancien ami d’Erdogan, que ce dernier accuse d’être derrière le coup d’État avorté de juillet. La justice turque m’accuse enfin d’avoir publiquement soutenu des journaux kurdes proches du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) fermés par la police turque. Ce qui est vrai, mais pas illégal. Mon dossier est désormais dans les mains des juges, qui ont requis un minimum de cinq ans d’emprisonnement, mais cela peut être beaucoup plus. Aujourd’hui je vis en exil en Allemagne. Je continue d’écrire pour Cumhuriyet, et je reste très critique à l’égard du régime. Mais cela devient dangereux, non plus pour moi directement, mais pour mes collègues encore sur place ou mon épouse. Samedi dernier, le rédacteur en chef a été arrêté. Le même jour, la police a fait une descente dans mon appartement d’Istanbul. Quant à ma femme, elle est interdite de sortie de territoire alors que rien ne lui est reproché. Son passeport lui a été confisqué.

Depuis l’arrestation en fin de semaine dernière de députés du HDP et de neuf de vos collègues du quotidien de centre gauche Cumhuriyet, peut-on dire que la Turquie a basculé dans la dictature ?

Can Dündar C’est en tout cas ce qu’Erdogan vise comme objectif. Après la tentative de putch de juillet, il a dit publiquement que cet événement avait été une bénédiction divine pour lui. Il avait raison. Depuis lors, il a eu la possibilité de resserrer son emprise sur le pays. L’état d’urgence permet d’utiliser l’appareil de répression à tous les niveaux de la société. Pour prendre le seul exemple des journalistes, tout le monde peut encore écrire librement en Turquie… mais doit être prêt à en payer le prix. Ce prix, ce peut être la prison, l’exil ou la mort. Quand vous sortez dans la rue, il devient de plus en plus difficile de protester sans vous faire arrêter. La société turque est cernée de toutes parts dans cet état de siège permanent. Il y a aussi un problème de rapport et d’organisation des forces. 80 % des médias sont dans les mains d’Erdogan. Les universités sont à la botte du régime. Les syndicats de moins en moins efficients. Peu à peu la société civile se laisse emporter par la peur. Nous n’avons plus la majorité au Parlement. Depuis la purge débutée en juillet, l’armée qui était une garantie toute relative de la révolution kémaliste a changé son fusil d’épaule. Police et armée sont aujourd’hui main dans la main dans la répression. Il n’y a plus aucune séparation des pouvoirs. Erdogan contrôle le Parlement, l’exécutif et le pouvoir judiciaire. Ce qui lui permet de mettre la société à sa botte pour obtenir les pleins pouvoirs. Il a d’ores et déjà planifié un référendum pour instaurer un régime présidentiel. Il a fait taire la quasi-totalité de l’opposition. Il s’attaque de nouveau aux journalistes et aux médias, derniers lieux d’expression libre et de résistance. Et je pense malheureusement qu’Erdogan continuera de réprimer l’ensemble de la société jusqu’à ce que le fameux référendum ait lieu, pour faire taire toute voix critique. C’est son plan. Et ce sera la fin du vieux rêve démocratique de la Turquie. Dans les prochains mois, nous devons nous tenir prêts à affronter cette escalade liberticide et s’attendre malheureusement à l’érection d’un régime tenu par un seul homme et appuyé par un parti unique. À ce moment-là, cela s’appellera alors vraiment une dictature.

Selon vous, il n’y a donc plus de solution politique possible ?

Can Dündar Il n’y a aucune raison d’y croire. Le problème kurde devait être réglé au Parlement. Mais comme on le voit, les députés kurdes sont systématiquement arrêtés. Par cette stratégie, Erdogan montre clairement qu’il n’a pas choisi la solution politique à cette crise. Il a choisi la voie des armes. Nous ne pouvons donc pas en vouloir aux Kurdes de se défendre. En novembre 2015, lors des dernières élections législatives, six millions de personnes de la région du Kurdistan, dont 80 % en moyenne dans les plus grande villes, ont donné leurs voix au HDP (Parti démocratique des peuples) qui a pu envoyer59 députés au Parlement. Tous leurs représentants issus d’un processus démocratique sont aujourd’hui soit écartés, soit en prison. Les médias inféodés à Ankara ne relaient rien de la réalité. Internet est systématiquement bloqué, les manifestations réprimées dans le sang. Que feriez-vous à la place des Kurdes, qui ne peuvent plus se défendre par les voies de la démocratie ? Eh bien vous retourneriez dans la montagne et vous prendriez les armes pour vous défendre, faire entendre votre voix, autrement dit pour lutter et résister. Erdogan a besoin d’un ennemi. Tout dictateur a besoin d’un ennemi, si possible avec une notion identitaire. C’est la meilleure façon de fédérer autour de vous et de créer un clivage aboutissant à un état de guerre permanent. Bien sûr c’est le piège dans lequel il aurait fallu éviter de tomber. Le fait est que la Turquie n’est pas une nation unifiée et la politique de division d’Erdogan pousse les Turcs dans un clivage dangereux.

La laïcité est-elle en danger ?

Can Dündar Bien sûr, la dérive islamo-conservatrice se ressent maintenant dans la vie de tous les jours. Depuis quelques mois, les femmes sont devenues la cible des islamistes. Des articles paraissent dans les journaux sur le comportement qu’une femme doit avoir concernant ses habits, sa coiffure, ce qu’elle a le droit de manger ou boire. Nous devons donc rester très vigilants et défendre tout particulièrement les droits de femmes. L’égalité hommes-femmes est aujourd’hui en danger en Turquie. Le mois dernier, un islamiste a attaqué une femme dans un bus. Il l’a frappée. Personne n’a bougé. L’homme a ensuite été arrêté par la police mais la cour l’a relâché aussitôt. Il s’agit d’un signe très clair quant à la tendance judiciaire qui s’impose jour après jour dans le pays. Et ce n’est certes pas un cas isolé. En mai dernier, j’ai été moi-même victime d’une tentative de meurtre. La personne qui a tiré sur moi a elle aussi été libérée.

Que faire alors pour préserver la démocratie et la laïcité dans le pays ? Existe-t-il encore des pôles de résistance au sein même de la société civile turque ?

Can Dündar Tout dépend d’abord de nous. Si nous luttons, nous pourrons garder une Turquie libre et laïque. Sinon, ce sera très difficile. Je crois encore dans la capacité du peuple turc à se rebeller. Il y a deux ans, les manifestations de la place Taksim prouvaient que la flamme démocratique n’a pas quitté le peuple turc. Des millions de gens sont sortis dans la rue. Ce fut la plus grande révolte populaire que la Turquie a connue dans son histoire. Ils sont encore là. Ils sont pour l’instant dans le silence, accumulant haine et peur. Il faut redonner aux Turcs le courage de retourner dans la rue. C’est tout le sens de l’action du HDP qui a décidé de boycotter le Parlement turc et de privilégier le rapprochement avec le peuple dans la rue, notamment lors de manifestations. Le parti kémaliste (CHP), qui est aujourd’hui le dernier parti d’opposition en Turquie, réfléchit lui aussi à boycotter le Parlement. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un front démocratique. Kurdes, Turcs, alévis, artistes, médias, intellectuels, tous ensemble nous devons créer ce front de résistance populaire. C’est aujourd’hui la dernière et seule solution pour sauver la démocratie en Turquie.

Croyez-vous encore en un soutien de l’Union européenne ou des États-Unis pour endiguer la dérive dictatoriale d’Erdogan ?

Can Dündar Malheureusement non. C’est trop tard maintenant. Il aurait fallu agir bien avant. Nous avons pourtant averti l’Europe par de nombreux articles. Mais nous n’avons pas été entendus. Les dirigeants européens n’ont pas voulu assumer la problématique des réfugiés, donnant à Erdogan la clé des camps de réfugiés dont il menace aujourd’hui d’ouvrir les portes. Pour moi cet accord passé entre la Turquie et l’Union européenne fut une immense déception, presque une trahison des valeurs et principes de l’Europe. Il faut que l’Occident se réveille, mais avec mesure. Car l’autre danger qui menace les Turcs, c’est l’isolement. Si l’Europe stoppe les négociations avec la Turquie, le peuple turc se retrouvera sans aucune force de dissuasion. Or, c’est exactement ce que souhaite Erdogan qui a jeté son dévolu sur d’autres grandes puissances comme l’Arabie saoudite et la Russie. Donc stopper les négociations ne serait pas une punition pour Erdogan, mais pour le peuple turc lui-même. À l’image de l’Europe, les États-Unis préfèrent une Turquie stable aux mains d’un pouvoir autoritaire, voire totalitaire, plutôt qu’une Turquie démocratique. Quand vous avez une force comme la Turquie à peu près stable dans une région complexe comme le Moyen-Orient, vous n’avez pas besoin de démocratie pour défendre vos intérêts, même s’il y a quelques frictions au sein de l’Otan. Il est préférable d’avoir un État qui torture et qui emprisonne ; vous le condamnez publiquement et tout le monde oublie. Pour moi cette attitude est une honte. Car nous avons besoin du monde occidental en Turquie. Nous avons besoin des idées occidentales. D’une politique laïque. Nous avons besoin de partenaires qui mettent la religion après la politique. Nous avons besoin de discours et d’actes démocratiques. Malheureusement, l’Europe comme les États-Unis ont sacrifié leurs valeurs pour leurs intérêts financiers.

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12 novembre 2016 6 12 /11 /novembre /2016 08:05
Stopper le basculement de la Turquie dans la dictature - par Patrick Le Hyaric

 

Stupéfiant, inquiétant, révoltant ! La dérive du pouvoir de M. Erdogan parait ne plus avoir de limite jusqu’à progressivement basculer dans la dictature. « Un régime de terreur » aux portes de l’Europe selon les mots du Nobel Orhan Pamuk. Après les villes kurdes rasées par les chars de l’armée turque, les arrestations du rédacteur en chef et de huit autres journalistes de Cumhuriyet, l’un des principaux journaux d’opposition, puis des maires de villes kurdes, c’est au tour des parlementaires progressistes de subir la traque du régime. Les deux coprésidents du Parti démocratique des peuples (HDP) dont notre ami Selahattin Demirtas, le président du groupe parlementaire et huit autres députés ont été arrêtés en pleine nuit. Erdogan va jusqu’à remettre la peine de mort, pourtant abolie, à l’ordre du jour, violant sciemment la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que la Turquie a pourtant signée.

Depuis la promulgation de l’état d’urgence à la suite du coup d’état avorté de juillet dernier, le pouvoir turc gouverne par décret sans l’aval du Parlement. Le délai de garde à vue est porté à trente jours dont cinq au secret, sans accès à un avocat. Des dizaines de milliers de militaires, policiers et magistrats sont arrêtés ou mis à pied. La purge dans la fonction publique s’accroit d’heure en heure sur simple présomption de culpabilité.

L’heure est grave pour le peuple turc. La politique de terreur d’Erdogan risque de déboucher sur une déstabilisation profonde du pays avec des conséquences redoutables pour la région.

Le HDP s’est opposé à la tentative de coup d’état car il sait combien l’armée turque, qui a consolidé son pouvoir depuis le putsch de 1980, est opposée à toute forme d’émancipation sociale et politique du pays. Il sait également que l’accession au pouvoir des islamo-conservateurs a été rendue possible par un pacte entre la confrérie Gülen et le Parti de la justice et du développement (AKP), amis d’hier et ennemis d’aujourd’hui. Dans cette région, les progressistes sont payés de leçons pour savoir que les intrigues et retournements d’alliances s’effectuent toujours contre la constance du combat pour l’émancipation humaine, sociale et politique.

Depuis son accession au pouvoir en 2003 au poste de premier ministre, Erdogan s’est forgé avec l’AKP, son parti islamo-conservateur, un instrument de conquête de tous les pouvoirs civils et militaires en jouant sur les contradictions de la région.

Pro-européen à son arrivé au pouvoir, l’AKP noue une alliance avec Bachar El-Assad avant que les révolutions arabes et l’effondrement des régimes autoritaires ne lui offrent l’occasion de se poser en défenseur des peuples de la région. Erdogan tente de réactiver une hégémonie politique et culturelle ottomane sur ceux jadis soumis au pouvoir impérial. Pour y parvenir il appuie, de concert avec les monarchies du Golfe, les franges les plus intégristes de la contestation sociale voire les terroristes du groupe Etat Islamique.

Avec la deuxième armée de l’Alliance atlantique, la Turquie bénéficie d’une indulgence coupable des Etats-Unis comme des pays de l’Union européenne. D’autant que ces derniers lui ont laissé les mains libres en troquant de manière indigne contre quelques milliards d’euros le sort de centaines de milliers de réfugiés qui fuient les combats en Irak et en Syrie.

Le peuple kurde et tous les démocrates de Turquie paient chèrement le jeu d’alliance qui rythme l’évolution politique du Moyen-Orient. Le fait que le mouvement kurde soit parvenu à fédérer la gauche de transformation turque dans un même combat pour la liberté et la justice sociale est insupportable pour les pouvoirs en place. Plus encore l’est son combat héroïque contre l’Etat islamique !

Le HDP est né pour fédérer les aspirations démocratiques exprimées au printemps 2013 lorsque des dizaines de milliers de turcs se sont rassemblés sur la place Taksim d’Istanbul pour contester les dérives du pouvoir. Sa percée spectaculaire aux élections législatives de 2013 où il rassemble 13% des suffrages et obtient 80 députés empêche Erdogan d’obtenir les pleins pouvoirs et de modifier à sa guise la Constitution. Le HDP devient par la même occasion un acteur clé d’une solution pacifique au problème kurde.

Si le pouvoir turc s’enfonce dans cette dérive liberticide et réactionnaire, c’est justement parce que ce pays est l’un des rares de la région à compter une force politique de progrès, capable de faire bouger les lignes pour la justice et la paix. Que la France comme l’Europe se murent dans leur silence complice ne peut que révolter tous les démocrates.

Qu’ils interviennent pour que cesse cette quasi-complicité est une urgence. L’Union européenne doit décider d’une mission de soutien aux journalistes et parlementaires emprisonnés et exiger leur libération sans condition. Les Parlements doivent s’exprimer et déployer des délégations auprès de leurs collègues turcs. Les autorités françaises et européennes peuvent agir en réclamant le respect de la convention européenne des droits de l’Homme et entamer un processus de sanctions politiques et commerciales.

Ce combat pour la paix et la démocratie en Turquie peut bénéficier à tous les peuples du proche et Moyen-Orient mais aussi à ceux de l’Union européenne.

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12 novembre 2016 6 12 /11 /novembre /2016 07:53
Maroc. Le makhzen et la corde usée du chauvinisme (Rosa Moussaoui - L'Humanité)
ROSA MOUSSAOUI
MARDI, 8 NOVEMBRE, 2016
L'HUMANITÉ

Depuis la mort de Mouhcine Fikri, ce poissonnier d’Al Hoceïma broyé avec sa marchandise par une benne à ordures, les manifestations contre la « hogra », le mépris, se succèdent, dans le Rif et dans tout le pays.

Deux Maroc se fracassent l’un contre l’autre, et cette collision porte un nom : Mouhcine Fikri. Le sort tragique du poissonnier d’Al Hoceïma broyé avec sa marchandise n’en finit plus de tourmenter le pays. Vendredi, une marée humaine a encore déferlé dans les rues de la capitale culturelle du Rif, région frondeuse et marginalisée du nord du pays, pour exiger la vérité et la justice. Des milliers de manifestants ont défilé, dans la nuit, bougie et portrait du défunt à la main, slogans amers à la bouche pour dénoncer la « hogra », le mépris du régime pour les plus modestes. Mais la révolte n’est pas circonscrite à Al Hoceïma. Ce week-end, Nador, Tanger et même Rabat étaient le théâtre de nouvelles manifestations. À la veille de l’ouverture de la COP22, certains protestataires ne se contentent plus de mettre en cause l’arbitraire qui a coûté la vie au poissonnier : c’est la nature même du régime, le « makhzen », ce tentaculaire palais, qui pose problème à leurs yeux. Rien n’y fait, pas même les appels au calme de la famille Fikri, qui a reçu la visite du ministre de l’Intérieur, seul officiel à s’être exprimé sur l’affaire, en dehors du premier ministre islamiste, Abdel-Ilah Benkiran, qui a appelé ses troupes à se garder de toute contestation. Relayant l’argumentation du pouvoir, le père du défunt dit refuser de voir son fils servir « d’alibi » à un soulèvement populaire qui ferait du Maroc une « nouvelle Syrie ». Pourtant, rien ne semble devoir éteindre la colère.

L’abîme entre le peuple marocain et le système politico-affairiste

Dans cette affaire, onze personnes, dont huit fonctionnaires, ont déjà été arrêtées, poursuivies pour « homicide involontaire ». Elles ont été présentées, vendredi dernier, à un juge d’instruction. Mais la confiance est rompue. « Les personnes mises en cause ne sont que des fusibles. Les vrais responsables, les corrompus de la direction de la pêche, restent, eux, à l’abri des poursuites. En cette période de repos biologique, la pêche à l’espadon est interdite. Mais les grands chalutiers qui continuent de traquer cette espèce ne sont pas inquiétés. Les contrôles devraient être effectués au port, pas en verbalisant et en confisquant la marchandise de petits revendeurs comme Mouhcine Fikri ! » s’insurge Saïd Sougty, porte-parole en Europe de la Voix démocratique, une formation d’opposition très critique envers le pouvoir monarchique. Dans un éditorial acerbe du magazine Tel quel, Omar Saghi brosse, lui aussi, le sombre tableau d’un pays étranglé par l’arbitraire politique et les inégalités sociales. « Les Marocains sont à 40 % des ruraux, à 30 % analphabètes. Leur niveau de vie est l’un des plus bas de la rive sud de la Méditerranée, pourtant bien peu avantagée en la matière. La petite corruption (y) est largement répandue et sert à fluidifier les nombreux goulots d’étranglement de l’économie. Encore une fois le dualisme marocain parle, et dans toute sa splendeur. La tragédie de la semaine dernière est beaucoup plus complexe que l’étincelle tunisienne, analyse le journaliste. Mouhcine Fikri, paix à son âme, n’est pas Bouazizi. En décembre 2011, à Sidi Bouzid, une Tunisie pauvre et excédée par l’arbitraire s’est soulevée. En octobre 2016, à Al Hoceïma, un Maroc enchevêtré dans ses contradictions a saigné, écartelé. La blessure ne va pas se refermer de sitôt. L’affaire d’Al Hoceïma, c’est un Maroc torturé par ses promesses contradictoires. (…) On ne peut plus se permettre un Maroc à deux vitesses. Au Maroc du TGV et des mules, voilà que s’ajoute désormais le Maroc des sommets écologiques internationaux et des tragédies nées de la misère. »

La comparaison avec l’étincelle tunisienne n’est certes pas de mise, mais une chose est sûre : l’abîme entre le peuple marocain et le système politico-affairiste lié au makhzen se fait incommensurable. Seul recours pour ce régime qui a su contourner avec habileté, en 2011, les aspirations nées du Mouvement du 20 février, dans le sillage des printemps arabes, la fibre du chauvinisme. En commémorant, depuis Dakar, le 41e anniversaire de la Marche verte par laquelle son défunt père annexa, en 1975, le Sahara occidental, Mohammed VI a exalté, une fois de plus, la « marocanité » de ce qu’il appelle « les provinces du Sud », plaidant, au passage, pour le retour de son pays dans le concert des nations africaines. Le ciment de ce nationalisme aux accents religieux qu’affectionne le roi du Maroc, consacré Commandeur des croyants par la Constitution, ne suffit pourtant plus à colmater les fissures d’un système aussi injuste qu’autoritaire.

Gdeim Izik, six ans après

Le 8 novembre 2010, les forces de sécurité marocaines procédaient au démantèlement violent du camp de la dignité à Gdeim Izik, au Sahara occidental occupé. Aujourd’hui, à 15 h 30, un rassemblement est prévu au Trocadéro pour commémorer cet événement et exiger, entre autres, la libération des 23 prisonniers politiques sahraouis condamnés à de lourdes peines à la suite de cet épisode répressif. Parmi eux, Naama Asfari, condamné à trente ans d’emprisonnement et dont l’épouse française, Claude Mangin, a été expulsée du Maroc le 19 octobre alors qu’elle allait lui rendre visite.

Journaliste à la rubrique Monde
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12 novembre 2016 6 12 /11 /novembre /2016 07:36
Netanyahou se félicite de l'élection de son ami Trump (Médiapart, 11 novembre 2016)
Netanyahou se félicite de l’élection de son ami Trump
 PAR CHLOÉ DEMOULIN

Le premier ministre israélien accueille l’élection de Donald Trump comme une bonne nouvelle pour Israël. Mais des experts s’inquiètent de la proximité du républicain avec Vladimir Poutine.

 

Jérusalem, correspondance.-  Ce n’est un secret pour personne et le bureau du premier ministre israélien a tenu à le rappeler : Benjamin Netanyahou et Donald Trump se connaissent – et s’apprécient – depuis plusieurs années. Admiratif des hommes politiques à poigne, le milliardaire n’a jamais caché son amitié pour Netanyahou. Il s’est même fendu d’un clip de soutien en faveur de sa réélection à la tête de l’État hébreu en 2013. 

 

« Je suis un grand fan d’Israël […] Vous avez vraiment un grand premier ministre. Il n’y a personne comme Netanyahou. C’est un gagnant […] Votez pour Benjamin, un gars formidable, un dirigeant formidable, génial pour Israël », assenait alors le milliardaire. Plus récemment, Donald Trump a également été un fervent soutien du dirigeant israélien face à Barack Obama contre l’accord sur le nucléaire iranien. Le républicain a d’ailleurs promis en mars dernier, face à l’AIPAC, le lobby pro-israélien américain, que sa « priorité numéro un », s’il était élu, serait de « démanteler » cet accord.

Mercredi 9 novembre, Benjamin Netanyahou ne s’est donc pas fait prier pour appeler Donald Trump. Il l’a félicité d’avoir été élu président et lui a assuré que les États-Unis n’avaient pas de meilleur allié qu’Israël dans la région. Ce à quoi le président élu a répondu en invitant Netanyahou à venir le rencontrer à Washington dès que possible. Une conversation « sincère et chaleureuse », selon le bureau du premier ministre. Un peu plus tôt, dans un communiqué, le dirigeant israélien qualifiait Donald Trump de « véritable ami » de l’État d’Israël. « Je me réjouis de travailler avec lui pour faire progresser la sécurité, la stabilité et la paix dans notre région […] Je suis convaincu que le président élu et moi allons continuer à renforcer l’alliance unique entre nos deux pays et la rendre plus forte que jamais », a-t-il écrit.

Comme Netanyahou, de nombreux responsables israéliens se réjouissent de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Incarnation d’un changement sur le style, le républicain semble également promettre un virage sur la politique menée par les États-Unis dans la région. À mille lieues de la ligne favorable à la solution à deux États et anti-colonisation défendue jusqu’ici par Barack Obama, et dont certains redoutent d’ailleurs un dernier cadeau empoisonné d’ici janvier. « Le niveau d’amitié entre les États-Unis et Israël va augmenter comme jamais auparavant, et il sera meilleur qu’il n’a jamais été, même sous les autres administrations républicaines par le passé », a confirmé David Friedman, conseiller de Donald Trump pour les questions israéliennes. « Nous savons comment Obama a traité le premier ministre israélien et comment [Hillary] Clinton l’a réprimandé… Nous allons aller de l’avant dans le respect et l’amour mutuel et un meilleur futur pour les États-Unis et Israël », a-t-il assuré ce mercredi dans les colonnes du Jerusalem Post.

Au cours de sa campagne, Donald Trump a promis qu’il cesserait de considérer la solution à deux États comme une façon de résoudre le conflit israélo-palestinien. Du pain bénit pour la droite israélienne, et notamment pour l’ultranationaliste et fervent défenseur des colonies, Naftali Bennett, par ailleurs ministre de l’éducation, qui s’est empressé d’interpréter l’élection du républicain comme une « chance de renoncer immédiatement à l’idée de création d’un État palestinien ». « Telle est la position du président élu et telle devrait être notre politique, tout simplement […] L’époque de l’État palestinien est révolue », a-t-il lâché. Jeudi 10 novembre, un des proches conseillers de Donald Trump, Jason Greenblatt, a même ajouté, sur les ondes de la radio militaire israélienne, que le président élu des États-Unis ne voyait pas « les colonies comme un obstacle à la paix ». Comme ne se sont pas privés de le lui rappeler le maire de Jérusalem, Nir Barkat, mais aussi la ministre adjointe des affaires étrangères, Tzipi Hotovely, et la ministre de la justice Ayelet Shaked, Donald Trump a également promis de déplacer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Ce que David Friedman n’a pas remis en question, bien au contraire, affirmant que cela pourrait être une des premières réalisations de Donald Trump dans la région.

Côté palestinien, ce déménagement – suggéré le mois dernier par la fille de Donald Trump, Ivanka, convertie au judaïsme orthodoxe – a évidemment fait bondir. Il induirait une reconnaissance implicite par les États-Unis de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu. Ce que contestent les Palestiniens, également désireux de faire de Jérusalem la capitale de leur futur État, et qui demeure à ce jour le principal point d’achoppement dans les négociations de paix. Mais les Palestiniens, désabusés par la politique de Barack Obama, n’attendent à vrai dire pas grand-chose de l’élection de Donald Trump. « Le peuple palestinien ne compte pas beaucoup sur un changement de politique de la part de la présidence américaine, la politique américaine sur la question palestinienne ayant été constamment caractérisée par le parti pris », a commenté un des porte-parole de Hamas, classé par les États-Unis comme un groupe terroriste.

De fait, si le caractère glacial des relations entretenues par Benjamin Netanyahou et Barack Obama, particulièrement sur le dossier du nucléaire iranien, est de notoriété publique, les liens tissés entre leurs deux pays ne semblent pas vraiment en avoir souffert. Comme l’illustre la signature en septembre dernier d’un plan de 38 milliards de dollars (34 milliards d’euros) sur dix ans en faveur de l’arsenal militaire israélien. Une aide sur laquelle Donald Trump n’a aucune intention de revenir. Mais aussi le fait que Washington ait poursuivi sa politique de veto contre les résolutions anti-israélienne à l’ONU ces huit dernières années et encore très récemment voté contre une résolution controversée de l’Unesco sur Jérusalem.

Plus prudent, peut-être sans oublier que les États-Unis restent également et malgré tout l’un des principaux bailleurs de fonds de la Cisjordanie, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a tout de même félicité Donald Trump, espérant officiellement qu’il ouvre une nouvelle page dans la résolution du conflit. Même si en coulisses, ses conseillers ont rappelé que la solution à deux États demeurait une des conditions préalables à tout accord.

Pas à une contradiction près, Donald Trump a aussi affirmé lors de sa campagne qu’il souhaitait rester « neutre » vis-à-vis du conflit israélo-palestinien et que les deux parties devaient arriver à un accord par elles-mêmes. Encore une fois, ces déclarations sont interprétées positivement par Benjamin Netanyahou, qui défend l’idée d’une résolution bipartite, et n’a cessé de rejeter l’idée d’une intervention extérieure, notamment celle proposée par Paris.

Mais pour certains experts, le désinvestissement des États-Unis dans le conflit israélo-palestinien pourrait aussi bien entraîner une nouvelle vague de violences en Cisjordanie. Ils s’inquiètent par ailleurs de l’impact de ce désinvestissement sur le plan régional, notamment s’il se conjugue avec une autre amitié, celle qu’entretiennent Donald Trump et Vladimir Poutine. « Trump sera plus disposé à laisser faire en terme de réorganisation régionale et même à s’en remettre aux ambitions russes et iraniennes plutôt que de les affronter », juge dans le Jerusalem Post Julien Barnes-Dacey, spécialiste du Moyen-Orient au Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne. De là à laisser tomber son grand ami Benjamin Netanyahou ? La proximité du futur président des États-Unis avec le président russe, allié de la Syrie de Bachar al-Assad mais aussi de l’Iran, pourrait en tout cas ouvrir une ère d’incertitude pour les intérêts d’Israël dans la région. Les doutes subsistent par exemple sur la réelle volonté de Donald Trump de démanteler l’accord sur le nucléaire iranien. Des doutes alimentés par les déclarations d’un de ses conseillers en politique étrangère, Walid Phares. Il « ne se débarrassera pas d’un accord qui a la signature institutionnelle des États-Unis. […] C’est un homme d’institutions. […] Il ne va pas l'appliquer tel quel, il va le réviser après avoir négocié un à un avec l'Iran ou avec une série d'alliés », expliquait-il en juillet dernier dans une interview au site en ligne conservateur The Daily Caller.

Misant sur son manque d’expérience avoué en matière de politique étrangère, certains estiment en fait que Donald Trump pourrait céder au principe de réalité et s’en remettre largement à ses conseillers. Une hypothèse partagée par les services du ministère des affaires étrangères israélien, si l’on en croit une note préliminaire envoyée à toutes les ambassades israéliennes à travers le monde et dévoilée ce jeudi par le journal Haaretz. « Le processus diplomatique entre Israël et les Palestiniens ne sera pas une priorité pour l'administration Trump et il est raisonnable de supposer qu’il sera également influencé sur ce sujet par le personnel qui l’entoure et par les développements sur le terrain. Les déclarations de Trump ne pointent pas nécessairement une politique cohérente sur cette question », peut-on y lire. Comme bien souvent avec le milliardaire, cette cohérence devra attendre d’être vérifiée sur le terrain.

 

 

 

 

 

 

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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 07:17
La victoire de Donald Trump souligne les aveuglements européens (Hubert Huertas, Médiapart)

Excellent journaliste politique à France Culture, Hubert Huertas fait le rapprochement entre la situation américaine et la situation européenne: "Cela craque de toute part": entre "rage identitaire" et discrédit du politique au service du système capitaliste et néo-libéral, tout est réuni en France, en Europe, comme aux Etats-Unis, pour que notre société malade vomisse des monstres du type de Donald Trump. 

Le vote américain souligne les aveuglements européens
 PAR HUBERT HUERTAS

Euphorie à travers l’Europe, dans les partis d’extrême droite. Pendant que la gauche s’interroge sur elle-même, Donald Trump a été félicité par Marine et Jean-Marie Le Pen. Sa victoire fait écho aux aveuglements des responsables européens.

 

Il fallait bien que ça arrive… Que ça craque quelque part. À force de Front national en France depuis 35 ans, de Vlam Belang en Belgique, de « Parti pour la liberté » aux Pays-Bas, d’AfD (Alternative pour l’Allemagne), de « Ligue du Nord » puis de « Mouvement cinq étoiles » en Italie, de « Jobbik » en Hongrie, de « Parti de la Grande Roumanie », de « FPÖ » quasiment majoritaire en Autriche, de « Parti du progrès » en Norvège, de « Parti populaire » au Danemark, d’humiliation des Grecs, de Brexit, on s’était habitué…

Cette furieuse envie de se replier sur soi, de chasser les étrangers ou d’organiser, comme Beppe Grillo, des journées « Vaffanculo » en direction des politiques et des élites en général, cette perspective tranquille de second tour pour Marine Le Pen aussi, et cette impossibilité de choisir une autre voie, bref ces symptômes qui crevaient les yeux étaient si répétitifs, et si systématiques, qu’on s’était habitué.

L’Europe se désagrège depuis des années. Un à un les pays de l’Union sont gagnés par une rage identitaire, même dans cette Allemagne pourtant citée en modèle de sagesse, mais reconnaissons-le, nous partagions une certitude majoritaire. Il existait un paratonnerre. Un plafond de verre qui nous mettait à l’abri. La poussée générale de l’extrême droite était identifiée, mais contenue pour toujours. Ces gens-là ne seraient jamais majoritaires. Ils étaient trop effrayants. Leur présence dérangeante pouvait même, comme en France, être intégrée au maintien du système. Marine Le Pen au second tour, et alors ? C’est la primaire de la droite qui désignerait le président de la République et basta. Cet inconfort devenait même un élément de confort pour les candidats au trône !

Quant aux diktats des économistes officiels, ceux qui prennent leurs œillères pour des lunettes et leurs folies pour une science exacte, ils répétaient imperturbablement leurs évangiles. Déficit, austérité, réduction de l’État, concurrence obligatoire, et tant pis si un à un, presque partout, les gouvernements étaient renversés. Le premier ministre d’un paradis fiscal, le Luxembourg, devenait président de la Commission européenne, et son prédecesseur pouvait aller chez Goldman Sachs. Et alors ? Circulez, y a rien à voir.

Partout les mêmes situations, intenables, les mêmes conflits d’intérêts, les mêmes souffrances en bas, et le même sentiment d’abandon, mais ça pouvait durer mille ans puisque le monde allait comme il allait depuis Reagan et Thatcher et qu’il n’y avait « pas d’alternative ».

Et voilà que le plafond de verre vient de nous tomber sur la tête. Voilà que l’inimaginable est arrivé au cœur même du réacteur. On n’écartait pas l’idée qu’un pouvoir « populiste » puisse arriver aux manettes, on le redoutait, mais on l’imaginait dans un petit coin reculé. L’Autriche par exemple, ou la Hongrie, c’était certes un peu chagrin mais on ne meurt pas d’un bouton sur le nez.

Ça s’est passé en Amérique ! Dans le saint des saints. On se faisait peur avec Marine Le Pen en France, et son grand frère est devenu président des États-Unis. Hillary Clinton avait beau être impopulaire, disqualifiée, sans charisme, représentante d’un milieu politique rejeté, rien ne nous alertait vraiment, en dépit des avertissements (lire ici l’analyse prophétique de Michael Moore). L’élection de Donald Trump ne pouvait pas avoir lieu. Le plafond de verre nous mettait à l’abri.

Et nous voilà abasourdis, tandis que des milliers de manifestants défilent aux États-Unis. Cette élection n’est pas seulement américaine. Elle est la nôtre. C’est l’histoire intime de nos nations européennes depuis trente ans. Ce qui a porté Donald Trump, les mêmes ressentiments, le même sentiment de déclassement, les mêmes peurs d’être largué sur le bord du chemin, menacé par les étrangers, alimente clairement l’extrême droite et une partie de la droite française ; il fallait lire et entendre les commentaires de Marine Le Pen, de Nicolas Sarkozy, ou de Jean-François Copé (lire l'article d'Ellen Salvi, La victoire de Donald Trump donne des ailes à Nicolas Sarkozy). Et ce qui alimente l’extrême droite française nourrit les mouvements voisins à travers toute l’Europe. Si la qualité du « malade » nous interpelle à ce point, c’est que nous partageons son virus.

Nous pataugeons aussi dans les mêmes contradictions, et elles sont intenables. Que s’est-il passé aux États-Unis, et que se passe-t-il chez nous avec les forces censées incarner le peuple ? Que fait la gauche depuis trente ans, du rouge vif au rose pâle ? Elle perd ce peuple. Elle l’oublie. Elle se l’est fait voler, et cette coupure se voit parfois sur son visage, quand elle éprouve, face à lui, des dégoûts d’aristocrate. Cette « gauche » installée se contente de lancer des alertes pour contrer les « populistes », comme autrefois la droite agitait la menace des chars soviétiques sur la place de la Concorde en cas d’arrivée de Mitterrand au pouvoir.

Sous leur forme sociale-démocrate, ou sociale-libérale, ces courants en appellent à la patience, ils crient « sois sage ! » à des gens qui n’en peuvent plus. Ils n’en appellent pas aux grands changements, mais au respect des critères de Maastricht. Symbole de ce glissement gestionnaire : qui entendait-on pleurer en chœur, mercredi matin après le désastre de la nuit ? Les « démocrates » et les Bourses du monde entier. Dans la soirée, les Bourses reprenaient des couleurs, pas la démocratie…

Aux États-Unis, le peuple a donc reçu cinq sur cinq le discours d’un milliardaire trouble, lui-même fils de milliardaire. Donald Trump, parce qu’il parle comme une petite frappe, est devenu l’archétype du déclassé, la figure injustement persécutée par la pensée unique, comme Sarkozy aimerait bien le redevenir en France. Le déclassé numéro un, le héro antisystème dans le fauteuil du président, il fallait quand même le faire. Après avoir brassé des milliards dans l’immobilier, après avoir évité de payer ses impôts, ce prolo-là est à la tête de l’économie et de l’armée la plus puissante de la planète, mais c’est un banni parmi les bannis ! C’est un poor lonesome cow-boy. L’image serait loufoque si elle ne menaçait pas la France, dans les semaines qui viennent, et si, au-delà des échéances conjoncturelles, elle n’exprimait pas l’effondrement tragique de nos systèmes démocratiques.

Petit père de son peuple et petit père « démerdez-vous »

Mais puisque le mal est fait, ne tombons pas d’un extrême à l’autre. Ne passons pas du déni à la fascination. Le triomphe de Donald Trump, donc son accession au pouvoir, le menace autant qu’il le consacre. Il gérait la parole et il devra passer aux actes. Les malheurs le dopaient, il va devoir les soigner. S’il a été élu, c’est en galvanisant ses électeurs excédés, et ce n’est pas le tout d’avoir été messie au moment de la campagne, encore faut-il devenir sauveur. Ce n’est pas le tout d’avoir dénoncé le système, il va falloir l’incarner. Ce n’est pas le tout d’avoir promis des murs, il va falloir les construire et qu’ils soient infranchissables, ce qui sera impossible. Ce n’est pas le tout d’avoir électrisé les déclassés, il va falloir les reclasser. Ce n’est pas le tout d’avoir joué sur le clavier des passions, il va falloir dépassionner les foules, sous peine d’être emporté.

L’expérience américaine est une excellente nouvelle à court terme pour tous les démagogues européens, elle ravit Nicolas Sarkozy et pourra doper Marine Le Pen en mai prochain, mais elle est redoutable à moyen terme. La force de ces courants extrêmes, propulsés par la même colère, c’est, au moins pour la plupart, de n’avoir jamais gouverné. Aux innocents les mains pleines. L’accession de l’un des leurs au fauteuil de président des États-Unis est une immense victoire, mais un profond danger pour tous les populistes. Donald Trump se retrouve au pied de son mur, et c’est à lui de l’escalader, au nom de tous les autres.

La tâche sera d’autant plus difficile qu’elle ne dépendra pas de son savoir-faire technique ni de celui de son équipe. L’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis est fondée sur une histoire trop ancienne, et trop globale, pour être contournée par une habileté conjoncturelle. Désormais président, le magnat de l’immobilier incarne une contradiction fondamentale, et cette contradiction le piégera comme elle a piégé ses adversaires « du système ».  

Car de quoi souffrent les fameux déclassés américains, comme ceux d’Europe ? Ils sont épuisés par un mal dont les symptômes se traduisent par un repli nationaliste, parfois xénophobe ou raciste, et par un sentiment d’abandon. Ils souffrent d’insécurité. Non pas, ou pas seulement de cette insécurité physique martelée dans les discours, pas seulement de la menace des délinquants ou des étrangers, mais d’une insécurité sociale. La tragédie de dizaines de millions d’Européens et d’Américains, c’est de survivre au jour le jour. De ne ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain, pour eux et, pire encore, pour leurs enfants. Ce que réclament les électeurs de Trump, c’est d’être protégés, et protégés par qui ? Par l’État, naturellement. La preuve, ils viennent de transformer leur héros en chef des États-Unis.

Or Trump est l’héritier de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher pour qui l’État, par principe, n’est pas la solution mais le problème. Or Trump, non content d’hériter d’un État minimum, va encore lui couper les vivres en lançant un programme général de baisse d’impôts, y compris pour les plus riches. Le premier acte de ce président qui jure de reprendre les choses en main sera donc de se couper un bras, en vertu de ses intérêts, et des lois du libéralisme. Il compte sur la fameuse théorie du ruissellement pour financer ses promesses. Les riches étant plus riches, les pauvres seront moins pauvres car l’argent ruissellera. Or depuis Reagan, pas un dollar n’a ruisselé, les riches sont infiniment plus riches, et les pauvres se sont retrouvés à voter Trump dans l’espoir de s’en sortir. Les sociétés en crise qui sécrètent des mouvements extrémistes, partout en Occident, en appellent à la protection d’un État fort, mais elles sont les filles d’une théorie libérale qui met en pratique son affaiblissement. C’est cet État que Trump promet de renforcer avec des murs, tout en l’affaiblissant dans ses moyens et ses actions, notamment en détruisant l’amorce de système de santé mise en place par Obama. Difficile d’être à la fois un petit père de son peuple et un petit père qui dit « démerdez-vous ».  

La contradiction est si puissante, et si incontournable, que le nouveau président sera confronté à des choix dramatiques. Ou bien, même entouré de Sarah Palin en guise de Nadine Morano, il mettra du vin dans son eau et deviendra un politicien classique. Ou bien il persistera sans changer de système, parce qu’il est Trump et qu’un Trump ne transige pas, et on ne voit pas comment cohabitera sa promesse protectionniste, ses grands travaux et l’équilibre budgétaire du pays dans cette économie sans règle, vomie par ses électeurs.

C’est là que surgit la question la plus inquiétante de cette arrivée au pouvoir, dans l’une des nations les plus puissantes du monde. Quand les problèmes sont insolubles sur le plan intérieur, les « faucons » les transfèrent en général à l’extérieur, en désignant un ennemi, comme ils le font à l’intérieur en désignant les étrangers. Compte tenu de ce qu’on a vu de Donald Trump, et entendu dans sa bouche, cette hypothèse ne peut pas être écartée. Englué dans les réalités, ce descendant lointain de Reagan a toutes les chances de devenir le fils de Bush, de l’Irak, du 11-Septembre, et le créateur de nouvelles aventures.

Hubert Huertas

 

Hubert Huertas

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10 novembre 2016 4 10 /11 /novembre /2016 09:55

Pour Israël, avec Trump pas d’Etat palestinien

Le Figaro avec AFP, mercredi 9 novembre 2016

Le ministre israélien de l’Education Naftali Bennett, chef de file du lobby colon, a déclaré aujourd’hui que l’idée de créer un Etat palestinien coexistant avec Israël était révolue avec l’élection de Donald Trump.

"La victoire de Trump offre à Israël la chance de renoncer immédiatement à l’idée de création d’un Etat palestinien", a dit dans un communiqué M. Bennett, connu pour son opposition à un tel Etat. "Telle est la position du président élu" Donald Trump et "telle devrait être notre politique, tout simplement (...) L’époque de l’Etat palestinien est révolue", a-t-il ajouté.

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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 08:13
Pourquoi les députés du HDP ne siègeront plus au parlement turc? (L'Humanité, 7 novembre 2016)
Car c’est bien, analyse le HDP, ce combat que mènent ses députés pour la démocratie que vise aujourd’hui Erdogan.
Le Parti démocratique des peuples rappelle que le plan poursuivi par le président turc pour s’attribuer les pleins pouvoirs, fait partie d’une stratégie d’ensemble qui a déjà comporté plusieurs étapes: levée de l’immunité parlementaires des députés du HDP, mise en place de l’état d’urgence et des décrets-lois suite à la tentative du coup d’état attribué à Gülen en juillet, et maintenant emprisonnement des députés, s’ajoutant à toutes les autres atteintes à l’état de droit : arrestation massive de juges, de fonctionnaires, de journalistes, d’universitaires, fermeture de médias, de maisons d’édition, et de tout ce qui d’une manière ou d’une autre pourrait contester le pouvoir absolu du maître d’Ankara.
Pourquoi les députés du HDP ne siègeront plus au parlement turc ?
JEAN-JACQUES RÉGIBIER
LUNDI, 7 NOVEMBRE, 2016
L'HUMANITE
En refusant que ses députés participent désormais aux débats de la Grande assemblée nationale de Turquie, le HDP entend protester contre l’emprisonnement de 9 d’entre eux, mais il veut  aussi mettre en place de nouvelles formes d’expression démocratique et lance une vaste consultation à travers tout le pays.
 
Puisque le parlement turc n’est plus qu’une caricature de représentation démocratique, quel intérêt pour les députés du HDP de continuer à y siéger, d’autant que même ceux qui ne sont pas encore en prison, sont empêchés d’agir ( leur siège à Ankara est interdit d’accès et personne ne peut plus entrer dans le bâtiment.)
C’est ce que fait valoir le HDP après l’emprisonnement de 9 de ses députés - dont ses deux leaders historiques, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ - sur les 59 qui avaient été élus en juin 2015. En opérant cette rafle, ce ne sont pas simplement les 6 millions d’électeurs qui avaient voté pour le Parti démocratique des Peuples que le gouvernement d’Erdogan a décidé de rayer d’un trait de plume, ce sont aussi, explique le HDP, « les millions de citoyens qui poursuivent la lutte pour la démocratie, la liberté, l'égalité, les droits du travail, la libération et la justice des femmes. »
On a en effet un peu rapidement tendance à identifier le HDP à un parti « kurde », comme si sa seule revendication tournait autour de l’indépendance de ce peuple.
Or ce qu’il met en avant dans son programme politique est bien plus large, passant par un combat pour les droits démocratiques, pour l’écologie politique et pour l’égalité hommes-femmes. Une égalité que le HDP met déjà en œuvre sur le terrain puisque par exemple, toutes les communes qu’il dirige sont obligatoirement administrées par deux maires, une femme et un homme.
 
Un coup d’état peut en cacher un autre
 
Car c’est bien, analyse le HDP, ce combat que mènent ses députés pour la démocratie que vise aujourd’hui Erdogan.
Le Parti démocratique des peuples rappelle que le plan poursuivi par le président turc pour s’attribuer les pleins pouvoirs, fait partie d’une stratégie d’ensemble qui a déjà comporté plusieurs étapes: levée de l’immunité parlementaires des députés du HDP, mise en place de l’état d’urgence et des décrets-lois suite à la tentative du coup d’état  attribué à Gülen en juillet, et maintenant emprisonnement des députés, s’ajoutant à toutes les autres atteintes à l’état de droit : arrestation massive de juges, de fonctionnaires, de journalistes, d’universitaires, fermeture de médias, de maisons d’édition, et de tout ce qui d’une manière ou d’une autre pourrait contester le pouvoir absolu du maître d’Ankara.
Pour le Comité exécutif central du HDP, c’est bien à un autre « coup d’état » qu’on assiste aujourd’hui en Turquie, celui perpétré par Erdogan et son parti, l’AKP, et c’est contre ce coup d’état que toutes les forces démocratiques doivent se mobiliser. Le HDP se propose de prendre la tête de cette mobilisation.
 
Pour une « République démocratique »
 
Aux mesures dictatoriales prises par Erdogan, le HDP propose de répondre par une vaste consultation démocratique.
« Dans les prochains jours, expliquent les responsables du parti, nous visiterons les quartiers, les villages, les districts et les provinces et nous irons de porte en porte, écoutant les plaintes et les propositions de tout le monde. Nous discuterons avec les institutions constituantes de notre parti, mais aussi avec tous nos alliés, avec toutes les institutions, avec les forces de la démocratie, de la paix et du travail, avec les organisations de la société civile, les syndicats et les associations professionnelles, les groupes religieux, ceux qui s’occupent d’environnement et d’écologie, etc… »
Objectif : écouter d’abord, puis rassembler les propositions afin de définir un programme de mesures destinées à ramener la Turquie dans le giron des démocraties civilisées.
Puisque ce travail n’est plus possible à l’intérieur du parlement turc, le HDP a décidé de le faire en dehors.
 
« Au cours de la dernière année et demie, analyse le HDP, le gouvernement d’Erdoğan-AKP, a dévasté tout le pays avec l’objectif de réaliser ce qu’il appelle un « régime présidentiel à la turque ». Il a ainsi causé la mort, provoqué des blessures, ou le déplacement et la perte d'emploi de milliers de personnes, ce qui a mené à une augmentation de la tension et de la polarisation entre les gens dans le pays. » Ce qui est présenté comme un régime présidentiel  «  à la turque », n’est rien d’autre que la dictature d'un seul homme, « c'est le fascisme, et cela signifie la guerre, l'oppression, l'agitation et la tyrannie, » résume le parti qui  propose de lutter contre l'oppression et la tyrannie, « non seulement pour le peuple kurde, mais pour tous les peuples de la Turquie.»
 
C’est donc en rassembleur de toutes les forces qui souhaitent le retour de la démocratie que se pose aujourd’hui le HDP, qui appelle à la résistance contre le régime totalitaire d’Erdogan. « Le fait de ne pas élever la voix maintenant constituerait une grave menace pour tous les pays de la région et pour les peuples d'Europe, » ajoutent les responsables du HDP, qui en appellent « à tous ceux qui veulent agir pour la liberté, l'égalité, la laïcité démocratique et la justice. » Le HDP a par ailleurs fermement condamné l'attentat à la bombe qui a eu lieu à Diyarbakır le 4 novembre.
 
 
Pourquoi les députés du HDP ne siègeront plus au parlement turc? (L'Humanité, 7 novembre 2016)
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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 07:27

 

 
Mickaël More , essayiste , cinéaste , politiste progressiste américain l'avait annoncé dès juillet 2016.
 
Pourrions-nous nous inspirer de cette analyse pour conjurer les menaces qui se dressent devant nous !?
 
La victoire de Trump, c'est d'abord le retour de bâton pour des démocrates qui ont abandonné les classes populaires, qui ont sacrifié les industries et les emplois au big business et au libre-échange, qui, pour le cas d'Hillary Clinton en tout cas, vivent dans une bulle de privilèges si loin de la population laborieuse... Ce qui n'aurait pas été le cas de Bernie Sanders. 
 
 
La victoire de Trump est extrêmement dangereuse car ce type grossier est complètement déréglé moralement et intellectuellement. 
 
Elle nous place néanmoins face au défi de reconstruire l'ancrage populaire de la gauche par une perspective politique de transformation offerte à tous ceux qui souffrent actuellement des dégâts provoqués par le système capitaliste et libéral. 

 
 
 
Cinq raisons pour lesquelles Trump va gagner (Michael Moore, juillet 2016)
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6 novembre 2016 7 06 /11 /novembre /2016 09:08
les dirigeants du HDP, la coalition de gauche laïque partisane d'une Turquie démocratique offrant les conditions d'une véritable égalité des droits entre les citoyens

les dirigeants du HDP, la coalition de gauche laïque partisane d'une Turquie démocratique offrant les conditions d'une véritable égalité des droits entre les citoyens

Samedi 5 novembre seront organisées dans de nombreuses villes de France plusieurs initiatives de soutien au peuple kurde.

Les élu-e-s régionaux du groupe Front de Gauche s’associeront à cette mobilisation, et apportent tout leur soutien aux populations kurdes persécutées en Turquie par le gouvernement Erdogan.

Au Kurdistan de Turquie depuis la fin 2015, 21 villes ont été assiégées par les forces armées turques, bombardées et détruites, comme Cizre. Ces violences, faisant de très nombreuses victimes, ont entrainé l’exode de 500 000 personnes.

Depuis la tentative de coup d’état du 15 juillet 2016 dans toute la Turquie, et au Kurdistan en particulier, la répression s’est accrue contre toute l’opposition ; 60 000 à 70 000 personnes ont été arrêtées ou destituées, les assassinats et les attentats se multiplient.

Au Kurdistan de Syrie, les chars turcs ont traversé la frontière, les villes et villages kurdes ont été bombardés.

Il faut d’urgence un grand mouvement de solidarité internationale envers le peuple kurde, et envers tous les démocrates turcs. Il appartient au Gouvernement français, et à tous les élu-e-s de réagir avec vigueur.

Pour Céline Malaisé, présidente du groupe Front de Gauche, « cette solidarité est d’autant plus importante que dans les pays voisins de la Turquie, notamment en Syrie, les forces kurdes mobilisées contre l’État islamique sont porteuses d’une véritable alternative progressiste et démocratique pour cette région, en soutenant les droits des minorités et l’égalité des sexes, la laïcité et le respect de tous les cultes.

C’est en ce sens que nous avons proposé récemment à la Région Ile-de-France d’apporter un soutien concret au Rojava (Kurdistan syrien), et d’agir pour le droit à l’autodétermination des peuples. Notre proposition n’a malheureusement pas été retenue par Valérie Pécresse, mais nous entendons bien continuer à soutenir ce combat».

Le groupe Front de Gauche en Ille de France, le 4 novembre 2016

(PCF, Ensemble, Parti de Gauche, République et Socialisme)

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6 novembre 2016 7 06 /11 /novembre /2016 08:12
Infos Syrie Résistance: avec le peuple syrien, ni Bachar, ni Daech! : Quelques conséquences possibles de l’échec de l’accord russo-américain sur la Syrie, par Ziad Majed

Pour ses victimes, un crime de guerre ce n'est pas de la rhétorique !
 

- Depuis des années la population d'Alep-Est reçoit bombes et barils d'explosifs, qui ont ravagé la ville et fait des milliers de victimes.

- A présent, pour faire tomber Alep, l'offensive du régime et de ses alliés russe et iranien se concrétise par un saut qualitatif dans la sauvagerie : bombes incendiaires et au phosphore, usage massif de bombes antibunkers dont la puissance permet d'effondrer des immeubles entiers et de casser les abris souterrains. Sont systématiquement détruits les hôpitaux, les écoles, les boulangeries, les ressources d'eau, les convois humanitaires... Il s'agit de terroriser les habitants, de les priver de tous les moyens de survivre, d'empêcher que les blessés soient soignés... Les enfants sont les premières victimes de cette situation.

- En faisant d'Alep un enfer, Poutine réédite Grozny : une victoire militaire au prix d'une ville rasée, un peuple martyrisé en vue de contraindre les rebelles à reddition et la population à abdiquer.

- Poutine écarte d'un revers de main l'accusation d’être coupable de crimes de guerre :rhétorique !, dit-il.

- Poutine a été contraint de surseoir à sa visite en France initiatlement prévue le 19 octobre. Il la dit renvoyée « à une date qui conviendra ».

- Tant que durent ses bombardements et ses crimes de guerre, Poutine ne saurait être le bienvenu. Ni à Paris, ni ailleurs...


Souria Houria & Collectif « Avec la Révolution syrienne » (Alternative libertaire, CEDETIM, EELV, Émancipation, Ensemble !, NPA, Union Syndicale Solidaires, UJFP)
Les articles de la lettre traduisent la diversité des organisations parties prenantes

Quelques conséquences possibles de l’échec de l’accord russo-américain sur la Syrie

Ziad Majed

(Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier)

Le cessez-le-feu en Syrie s’est effondré. Il avait été imposé par un accord russo-américain le 11 septembre 2016 et avec lui s’est effondré provisoirement un ensemble d’ententes mutuelles qui auraient pu déboucher sur une période de coopération militaire directe entre Moscou et Washington.

Lavrov est à la manœuvre, Kerry se contente de réagir

La diplomatie russe, appuyée depuis le 30 septembre 2015 par des milliers de raids aériens contre l’opposition syrienne armée et les civils dans les zones qu’elle contrôle, a mené une offensive sur deux niveaux. Le premier cherche à imposer une « solution politique » maintenant au pouvoir Assad et son régime tout en introduisant des personnalités « indépendantes » et « oppositionnelles » dans un gouvernement d’« union nationale », faisant ainsi voler en éclats le principe d’un pouvoir de transition stipulé par la Déclaration de Genève. Le deuxième consiste à pousser vers une solution militaire fondée sur l’avancée lente mais constante des forces du régime et de ses alliés libanais et irakiens soutenus par l’Iran, rognant progressivement les régions situées sur la ligne Deraa-Damas-Homs-Hama-Alep et fortifiant les « frontières » des deux départements de Lattaquié et de Tartous.

Autrement dit, les Russes se sont employés à gagner du temps sur le plan diplomatique en s’efforçant d’empêcher toute discussion sur le devenir d’Assad, et parallèlement ils ont procédé à des opérations militaires qui ne laissent aucune continuité territoriale entre les régions où se trouvent des forces de l’opposition. Ceci permettrait à Moscou d’affirmer ultérieurement que la Syrie serait «divisée entre des régions sous le contrôle du régime où se trouveraient les grandes villes, des régions contrôlées par Daesh et des régions où les Kurdes s’imposent». Quant au reste de la Syrie, il serait constitué de poches isolées contrôlées par l’opposition et d’une unique région étendue (Idlib) contrôlée par l’organisation Fath al-Shâm [Conquête du Levant], nouvelle dénomination du Front al-Nusra, que Moscou et Washington considèrent être un mouvement terroriste. Tout cela rendrait sans objet et sans justification la demande du départ d’Assad, et offrirait aux Russes la possibilité d’intensifier leurs bombardements sur la région d’Idlib, enfin de laisser aux officiers iraniens la gestion des opérations militaires contre les poches assiégées [encore] tenues par l’opposition.

De son côté, Washington n’a déployé aucune stratégie pour faire face à cette double offensive russe. Ainsi, politiquement, les déclarations américaines ont été pleines de contradictions – entre des propos sur la conditionnalité du départ d’Assad, ou sur le fait qu’il s’agirait d’un couronnement d’une période de transition dans laquelle celui-ci serait partie prenante, ou le soin à éviter d’aborder carrément cette question, ce qui suggère qu’elle n’est plus à l’ordre du jour.

Sur le plan militaire, après avoir insisté sur l’interdiction de fournir aux opposants syriens armés des missiles air-sol (qui auraient pu modifier radicalement l’équilibre des forces dès 2012) et après avoir refusé toute mise à l’étude de l’imposition de zones d’exclusion aérienne en Syrie, Washington a traité la question militaire [en Syrie] de manière expérimentale et dépourvue de toute détermination. Entre le fait de fournir à quelques formations résistantes dans le nord et le sud de la Syrie des armes légères et de moyen calibre susceptibles de les aider à poursuivre le combat, mais sans leur donner la puissance de feu minimale qui leur permettrait d’emporter une victoire décisive, et celui de laisser la principale tâche de soutien militaire à des alliés régionaux (la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar), la politique américaine sur le terrain n’a eu aucune cohérence. Sa seule constante a consisté à bombarder depuis 2014 l’organisation Daesh et à assurer une couverture aérienne, dans le nord-est de la Syrie, aux forces kurdes combattant contre celle-ci.

Ces derniers mois, il est apparu que l’Administration de Barack Obama et son Secrétaire d’État John Kerry s’efforcent de conclure avec les Russes un accord permettant de geler la situation militaire en Syrie, d’alléger la gêne que ressent Washington du fait de critiques [internationales] croissantes à son égard et à l’encontre de sa « politique » en Syrie, et de redonner vie au processus de négociations de Genève, même si celui-ci piétinait. En effet, la négociation, ne serait-ce qu’à la seule fin de négocier, reste un élément important dans la balance américaine, un peu à la manière de ce qui prévaut entre les Palestiniens et les Israéliens : c’est une garantie contre toute escalade militaire sur le terrain et cela permet de dire que des efforts diplomatiques sont déployés, sans lesquels « la seule alternative serait la guerre et davantage de destructions ».

Les développements du mois d’août, qui a vu s’engager la bataille d’Alep, la déportation par le régime de la population de Dârayâ, et l’intervention militaire turque dans le nord de la Syrie pour y combattre Daesh et les forces kurdes, ont sans doute été ce qui a accéléré le rythme des pourparlers entre les deux ministres des Affaires étrangères Lavrov et Kerry. Ces pourparlers ont abouti à un accord comportant nombre d’ambiguïtés et de lacunes, qui reflète une précipitation « diplomatique ». Laquelle fait que tant la mise en application de cet accord qu'au contraire tout retard dans sa mise en application apportent de l’eau au moulin de la stratégie de Moscou en Syrie.

Cet accord est fondé sur des principes d’imposition d’une trêve militaire dans toutes les régions de la Syrie, à l’exception de celles où se déroulent des combats contre Daesh, et l’arrêt de tous les raids aériens qui ne viseraient pas cette organisation, ainsi que la fourniture d'aide humanitaire dans les régions assiégées, et à Alep le retrait des combattants des alentours de la route du Castello, afin de pouvoir acheminer des aides humanitaires vers les quartiers est de la ville sous garantie de l’armée de terre russe.

L’accord comportait également l’affirmation de l’institution d’une « coopération » ou d’une coordination russo-américaine dans le cas où la trêve tiendrait et où des aides humanitaires auraient pu être acheminées, une coopération visant à ce que soit ajoutée dorénavant à Daesh et à l’Armée de Khalid Ibn al-Walîd qui en dépend (dans certaines poches des départements de Deraa et de d’Al-Quneïtra) l’organisation Fath al-Shâm [Conquête du Levant] et les groupes « Jund al-Aqsâ » [Les Soldats de la mosquée Al-Aqsâ] et le Parti Islamiste du Turkestan dans les régions rurales autour d’Alep, d’Idlib et de Hama.

L’accord imposait que Washington veillerait à éloigner ceux qu’elle considère formations armées « modérées » des groupes susmentionnés, et à remettre à Moscou des informations à leur sujet afin de leur éviter de se faire bombarder. En échange, Moscou garantirait que l’aviation de guerre du régime Assad ne survolerait plus aucune région faisant l’objet d’une coopération militaire russo-américaine.

Le Secrétariat d’État américain [Affaires étrangères] et la Maison Blanche ayant accepté ces conditions, après avoir rejeté l’exigence russe d’ajouter les mouvements « Ahrâr al-Shâm » [les Libres de Syrie] et Jaysh al-Islâm [Armée de l’Islam] à la liste des mouvements « extrémistes » qui doivent être visés, se sont heurtés aux objections du Ministère américain de la défense [le Pentagone]. Ce dernier a émis des réserves sur l’accord dans lequel il voit un chèque en blanc donné à la Russie en Syrie et une aide apportée à Moscou, sans aucune contrepartie, pour mener à bien ses plans.

L’accord russo-américain, conclu malgré ces réserves, n’avait pas abordé la question des conditions du processus politique, à l’exception d’une invitation à reprendre celui-ci. En conséquence, le régime ne fait pas partie de son ordre du jour et il apparaît comme innocent de tout crime méritant le qualificatif de terroriste ou devant logiquement impliquer qu’il soit pris pour cible (et de même, en ce qui concerne ses alliés régionaux), en dépit du fait qu’une résolution internationale adoptée quelques jours auparavant [la signature de l’accord russo-américain] accusait le régime d’avoir utilisé du chlore dans un bombardement visant des civils. En dépit aussi des rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch qui évoquent les crimes commis dans les prisons du régime, où plus de 300 détenus succombent chaque mois à la torture, la sous-nutrition et les maladies.

Photo Ziad Majed (Souria Houria)

Photo Ziad Majed (Souria Houria)

Ces derniers mois, il est apparu que l’Administration de Barack Obama et son Secrétaire d’État John Kerry s’efforcent de conclure avec les Russes un accord permettant de geler la situation militaire en Syrie, d’alléger la gêne que ressent Washington du fait de critiques [internationales] croissantes à son égard et à l’encontre de sa « politique » en Syrie, et de redonner vie au processus de négociations de Genève, même si celui-ci piétinait. En effet, la négociation, ne serait-ce qu’à la seule fin de négocier, reste un élément important dans la balance américaine, un peu à la manière de ce qui prévaut entre les Palestiniens et les Israéliens : c’est une garantie contre toute escalade militaire sur le terrain et cela permet de dire que des efforts diplomatiques sont déployés, sans lesquels « la seule alternative serait la guerre et davantage de destructions ».

Les développements du mois d’août, qui a vu s’engager la bataille d’Alep, la déportation par le régime de la population de Dârayâ, et l’intervention militaire turque dans le nord de la Syrie pour y combattre Daesh et les forces kurdes, ont sans doute été ce qui a accéléré le rythme des pourparlers entre les deux ministres des Affaires étrangères Lavrov et Kerry. Ces pourparlers ont abouti à un accord comportant nombre d’ambiguïtés et de lacunes, qui reflète une précipitation « diplomatique ». Laquelle fait que tant la mise en application de cet accord qu'au contraire tout retard dans sa mise en application apportent de l’eau au moulin de la stratégie de Moscou en Syrie.

Cet accord est fondé sur des principes d’imposition d’une trêve militaire dans toutes les régions de la Syrie, à l’exception de celles où se déroulent des combats contre Daesh, et l’arrêt de tous les raids aériens qui ne viseraient pas cette organisation, ainsi que la fourniture d'aide humanitaire dans les régions assiégées, et à Alep le retrait des combattants des alentours de la route du Castello, afin de pouvoir acheminer des aides humanitaires vers les quartiers est de la ville sous garantie de l’armée de terre russe.

L’accord comportait également l’affirmation de l’institution d’une « coopération » ou d’une coordination russo-américaine dans le cas où la trêve tiendrait et où des aides humanitaires auraient pu être acheminées, une coopération visant à ce que soit ajoutée dorénavant à Daesh et à l’Armée de Khalid Ibn al-Walîd qui en dépend (dans certaines poches des départements de Deraa et de d’Al-Quneïtra) l’organisation Fath al-Shâm [Conquête du Levant] et les groupes « Jund al-Aqsâ » [Les Soldats de la mosquée Al-Aqsâ] et le Parti Islamiste du Turkestan dans les régions rurales autour d’Alep, d’Idlib et de Hama.

L’accord imposait que Washington veillerait à éloigner ceux qu’elle considère formations armées « modérées » des groupes susmentionnés, et à remettre à Moscou des informations à leur sujet afin de leur éviter de se faire bombarder. En échange, Moscou garantirait que l’aviation de guerre du régime Assad ne survolerait plus aucune région faisant l’objet d’une coopération militaire russo-américaine.

Le Secrétariat d’État américain [Affaires étrangères] et la Maison Blanche ayant accepté ces conditions, après avoir rejeté l’exigence russe d’ajouter les mouvements « Ahrâr al-Shâm » [les Libres de Syrie] et Jaysh al-Islâm [Armée de l’Islam] à la liste des mouvements « extrémistes » qui doivent être visés, se sont heurtés aux objections du Ministère américain de la défense [le Pentagone]. Ce dernier a émis des réserves sur l’accord dans lequel il voit un chèque en blanc donné à la Russie en Syrie et une aide apportée à Moscou, sans aucune contrepartie, pour mener à bien ses plans.

L’accord russo-américain, conclu malgré ces réserves, n’avait pas abordé la question des conditions du processus politique, à l’exception d’une invitation à reprendre celui-ci. En conséquence, le régime ne fait pas partie de son ordre du jour et il apparaît comme innocent de tout crime méritant le qualificatif de terroriste ou devant logiquement impliquer qu’il soit pris pour cible (et de même, en ce qui concerne ses alliés régionaux), en dépit du fait qu’une résolution internationale adoptée quelques jours auparavant [la signature de l’accord russo-américain] accusait le régime d’avoir utilisé du chlore dans un bombardement visant des civils. En dépit aussi des rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch qui évoquent les crimes commis dans les prisons du régime, où plus de 300 détenus succombent chaque mois à la torture, la sous-nutrition et les maladies.

L’accord a donc éliminé toute allusion à la question des emprisonnés, des personnes disparues et des civils assiégés, et du danger de déportation pesant sur eux. Par conséquent, en plus de son caractèretop-down, de son parti pris pour le régime et d’une classification en «organisations terroristes» ne satisfaisant exclusivement que la Russie et les États-Unis sans prise en compte aucune des réalités sur le terrain en Syrie, l’accord a ignoré tous les droits des Syriens.

Les conséquences de cet accord russo-américain et les conséquences de son effondrement

Durant sa première semaine d’application, l’accord russo-américain a entraîné une diminution des opérations militaires dans la plupart des régions syriennes et une diminution des bombardements aériens, même si ces derniers n’ont jamais tout à fait cessé. Cela a eu pour effet une diminution du nombre des victimes civiles : c’est là son principal et unique acquis.

En revanche, aucune aide humanitaire n’a pu pénétrer dans les régions assiégées, les checkpoints tenus par le régime et ses alliés n’ayant pas permis aux convois humanitaires de passer.

L’accord a donné au régime syrien, à ses alliés et à certaines formations de l’opposition armée l’occasion de réorganiser leurs troupes et de se redéployer sur le terrain autour d’Alep et aux entrées de cette ville. Il a permis à la Russie d’afficher un rôle dirigeant sur le plan mondial en matière de processus politique syrien et de possibilité de transformer celui-ci en un processus militaire russo-américain.

Plus important – pour Moscou –, l’accord a généré un état d’intense trouble politique chez les formations et les brigades de l’opposition syrienne en raison de la difficulté, sur le terrain, de se séparer de l’organisation Fath al-Shâm, avec tout ce que cela signifie en termes de tensions dans des régions où non seulement les positions militaires des uns et des autres sont imbriquées, mais où il existe même des liens de parenté entre combattants des deux bords et des liens de voisinage et d’amitié renforcés par un sentiment commun d’être les victimes de la même oppression. Ainsi, toute séparation est susceptible de générer des affrontements et un grave éclatement. Par contre, tout maintien de l’alliance entre ces mouvements expose ceux-ci à une forte probabilité d’être les victimes de bombardements russo-américains.

De la même manière, les dissensions entre le Secrétariat d’État américain et le Pentagone, et le fait que Washington ait refusé de divulguerin extenso le contenu de l’accord et de se concerter à son sujet avec ses alliés tant européens que locaux ont révélé le trouble suscité chez les Américains par les initiatives unilatérales prises par les Russes, ainsi que l’absence de tout leadership américain.

Mais étant donné que la semaine de trêve n’ait pas permis de satisfaire les mesures d’acheminement d’aide humanitaire aux régions assiégées prévues par l’accord, et le fait que l’ONU en ait attribué la responsabilité au régime syrien, puis le raid aérien américain, à Deir ez-Zor, dans lequel plusieurs dizaines de soldats du régime ont été tués ou blessés, ce à quoi s’ajoutent les deux raids russes et assadiens contre un convoi d’aides humanitaires international mis au point par le Croissant Rouge syrien, ainsi que sur l’unité médicale (raids dans lesquels ont été tués plus de vingt employés, sauveteurs et infirmiers), tout cela a entraîné la cessation de la mise en application de l’accord russo-américain.

Le 19 septembre, le régime Assad a déclaré que la trêve avait pris fin et ses forces ont immédiatement entrepris de bombarder les quartiers est d’Alep et à mener des raids aériens contre de nombreuses localités dans les régions d’Alep et d’Idlib. A la suite, s’est enclenché une vaste escalade militaire, à compter du 22 septembre, avec une intensité inouïe des bombardements effectués par l’aviation russe sous la couverture de laquelle les forces du régime et de ses alliés ont progressé notamment dans la région du camp [de réfugiés palestiniens] de Handarât (au nord-est d’Alep). Au cours du bombardement, plus de cent cinquante civils ont été tués (en 72 heures), de nouveaux crimes de guerre ont été commis, surtout contre les hôpitaux et les centre médicaux, s’ajoutant à d’innombrables violations gravissimes du droit humanitaire international.

Politiquement, les forces de l’opposition syrienne ont répliqué en disant qu’elles n’étaient « plus concernées par le processus politique » dans le contexte de la guerre d’extermination à laquelle était exposée la population d’Alep. Sur le terrain, dans le département d’Idlib, trois formations militaires [Suqûr al-Jabal – les Faucons de la Montagne, Al-Firqa 13 et Al-Firqa al-Shimâliyya – Brigade du Nord] ont fusionné, formant l’ « Armée Libre d’Idlib » [Jaysh ’Idliba-l-Hurr] – que l’aviation russe s’est empressée de viser directement. Il est clair que Moscou veut modifier l’équilibre militaire dans la ville d’Alep et reprendre ses raids aériens dans les autres régions, ce qui revient pour la Russie à reprendre l’initiative militaire pour imposer sa volonté politique.

Mis à part des protestations verbales, Washington n’a pas réagi, se contentant d’appeler, avec Paris et Londres, à une réunion du Conseil de sécurité (le 25 septembre). De cette réunion a résulté une condamnation américaine, française et britannique des crimes de guerre perpétrés à Alep par la Russie et par le régime Assad, à laquelle ont répondu une défense de sa politique par le régime, et de ses positions par la Russie, et une confusion du Secrétaire général Ban Ki-moon et de l’envoyé spécial en Syrie Stefan de Mistura, qui se sont abstenus de pointer un index accusateur sur ceux qui perpètrent lesdits crimes de guerre.

Une deuxième réunion du conseil de sécurité s’est tenue le 8 octobre dans un contexte de haute tension entre Occidentaux et Russes s’est soldée par unveto russe contre un projet de résolution français, exigeant le cessez le feu, la fin des raids et l’acheminement d’aide humanitaire.

Entre temps, les forces de l’opposition syrienne soutenues par l’armée turque continuent à progresser contre Daech. Leur progrès met fin à l’expansion territoriale des forces kurdes soutenues par Washington non loin de la frontière avec la Turquie. Il est donc fort probable que cette opposition lance prochainement une grande offensive vers la ville de Raqqa et élargisse ainsi la zone qu’elle contrôle autour de l’Euphrate dans le nord de la Syrie.

Des scénarios pour les semaines à venir

De ce qui précède, ainsi que de certaines expériences passées, on peut dire que les probabilités d’un changement dans les approches internationales du conflit syrien au cours des prochaines semaines sont extrêmement faibles.

Cela signifie que nous allons être confrontés principalement à deux possibilités.

La première possibilité, c’est la poursuite de l’escalade militaire russe, Moscou cherchant à donner au régime, aux combattants du Hezbollah et des milices chiites irakiennes et afghanes, ainsi qu’aux officiers iraniens, la possibilité de réaliser une « avancée militaire » dans l’est d’Alep s’accompagnant de la poursuite de la mise à exécution du plan de grignotage du terrain et d’exil forcé pour ses habitants (dans le quartier d’Al-Waer, à Homs, à Ma’dhamiyyet-al-Shâm et dans nombre de localités au sud de Damas).

Cette tentative sera confrontée aux mêmes positions indécises des Américains, qui autoriseront peut-être à leurs alliés dans la région de fournir à certaines formations armées de l’opposition des armes pour se défendre et d’entraver l’«acquis » russo-assadien, mais sans se « compromettre directement » et sans prendre d’engagements clairs avant la fin programmée du mandat du président Obama (le 20 janvier 2017).

La deuxième possibilité est celle d’une recherche d’une nouvelle trêve et d’un cessez-le-feu à Alep, suivis par des pourparlers entre Washington et Moscou sur leur possible coopération et les moyens de relancer le processus politique.

Les deux alternatives, pour les mois à venir, penchent donc en faveur de la politique suivie par la Russie tant « diplomatiquement » que militairement.

Cela impose par conséquent que l’opposition syrienne (ainsi que certains de ses alliés arabes) recherche des formes de renforcement de sa résistance militaire jusqu’à la fin de cette année, ainsi que des moyens lui permettant de lancer des initiatives politiques et juridiques au sein des instances internationales. Autrement dit, davantage de coordination militaire sur le plan national syrien, et ce pas seulement selon la logique régionale aujourd’hui dominante. Cela exige également une répartition des rôles et des ententes sur le terrain entre les formations combattantes afin d’éviter les tensions et les rivalités. Parallèlement à cela, il est indispensable d’insister sur les dossiers concernant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité que perpètre le régime Assad afin de maintenir la possibilité que celui-ci soit jugé et de rendre pratiquement impossible toute normalisation internationale directe avec lui.

Quant aux amis des Syriens, leurs voix sont plus que jamais importantes aujourd’hui, surtout dans les pays occidentaux. Réclamer l’arrêt des bombardements et l’envoi aux zones assiégées de convois humanitaires protégés, réclamer plus de sanctions contre la Russie, demander des enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Syrie, et réclamer enfin l’armement de l’opposition syrienne par des armes sol-air afin de protéger les civils des bombardements aériens sont aujourd’hui des priorités.

Ziad Majed (Souria Houria)

Un bombardement saoudien contre des funérailles a fait 140 morts à Sanaa le 8 octobre

Un crime précédé de beaucoup d’autres, notamment depuis l’intervention militaire d’une coalition, sous l’égide de l’Arabie saoudite, contre les Houthistes, soutenus par l’Iran et responsables à leur tour de multiples exactions . Nous dénonçons avec la même vigueur les bombardements russes contre Alep et ceux des Saoudiens qui détruisent le patrimoine historique yéménite et font des centaines de victimes civiles. Comme en Syrie, les revendications de liberté et de dignité, créées en 2011 au Yémen par des centaines de milliers de manifestants, continuent à être noyées dans le sang.

F. M.-B.

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