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3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 05:33

Devant le palais de justice d’Istanbul, dans la foule attendant la décision des juges, la romancière turque Asli Erdogan a lu une lettre adressée à l’un des 17 accusés, Turhan Günay, par sa fille.

 

Vendredi 28 juin au soir, la cour a ordonné la remise en liberté provisoire, dans l’attente d’un verdict, de sept des onze accusés encore en détention, lors du procès du quotidien d’opposition turc Cumhuriyet. Et a fixé au 11 septembre la prochaine audience. Présente dans la foule qui attendait la décision des juges, la romancière turque Asli Erdogan, auteure de Le silence même n’est plus à toi, arrêtée le 16 août 2016 puis remise en liberté provisoire 132 jours plus tard, revient sur l’importance du procès.

Sept employés du journal sont relâchés, cinq, dont plusieurs grands noms, restent derrière les barreaux. Quelle est votre réaction ?

Cette décision est la confirmation de l’arbitraire qui sévit dans ce pays. Les membres du journal sont tous accusés de la même chose, mais certains sont remis en liberté, d’autres non. L’injustice causée par ce procès est irréversible, car il n’aurait jamais dû avoir lieu. Et pourtant il y a tellement d’autres procès de ce genre en Turquie. Mais pour les familles de ceux qui sont libérés, il s’agit quasiment d’un miracle.

 

Vous sentez-vous proche des 17 inculpés dans ce procès ?

Je connais personnellement deux d’entre eux, Turhan Günay, le responsable du supplément livres de Cumhuriyet, et le caricaturiste Musa Kart. Je suis très heureuse qu’ils sortent de cet enfer, même s’ils ne sont pas au bout de leur peine. Pour quelqu’un qui est passé par là, je sais que la remise en liberté n’est pas la fin des souffrances. Le procès continue. Une fois que vous avez été incarcéré dans une cellule, vous n’en sortez jamais vraiment. Être accusé de terrorisme est lourd à porter. Et c’est révoltant. Je suis contre toute forme de violence. Déjà dans les années 1990, j’écrivais sur la non-violence. Comment puis-je être une terroriste du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) si je refuse de porter les armes ?

Des centaines de personnes sont venues soutenir Cumhuriyet ce vendredi, notamment à travers une lecture publique du quotidien devant le palais de justice d’Istanbul. Comment jugez-vous la réaction de la société civile turque face à ces procès en chaîne ?

Le rassemblement était encerclé par des centaines de policiers et des camions blindés. Les personnes qui viennent ici apporter leur soutien risquent d’être arrêtées à tout moment. Cela a un double effet : d’une part, l’extrême pression qui pèse sur la société civile fait que son message a du mal à passer. D’un autre côté, des personnes qui ne partagent pas forcément les mêmes idées politiques réalisent qu’elles sont plus fortes ensemble et décident de s’unir. Soit vous croyez en la liberté d’expression et vous la défendez, soit pas. C’est l’essence de cette liberté. Même si vous êtes mon ennemi, je suis pour que vous ayez la liberté de vous exprimer. Il n’y a rien de nouveau, Voltaire le disait il y a 300 ans. Mais aujourd’hui, dans la Turquie du XXIe siècle, nous devons encore débattre de ces valeurs essentielles.

La répression en Turquie est-elle toujours aussi forte, un an après votre arrestation le 16 août 2016 ?

Quand j’ai été arrêtée, les purges étaient à leur pic. Trois cents personnes attendaient avec moi leur acte d’accusation ce jour-là. Le couloir du commissariat était rempli de personnes menottées. Il n’y avait pas assez de menottes pour tout le monde. Ce furent les jours les plus durs. Le phénomène n’a pas disparu mais il est devenu chronique. C’est peut-être pire car le public s’habitue. Le ministère de l’intérieur a publié les chiffres : chaque semaine, il procède à 1 200 arrestations politiques. Ce n’est pas seulement un nombre, ce sont des vies humaines qui souffrent, mais la population turque s’habitue à cette réalité.

 

Malgré la décision de la justice de lever votre interdiction de sortie de territoire le 22 juin, vous n’avez toujours pas récupéré votre passeport. Pourquoi ?

C’est un jeu. Le gouvernement turc a annoncé au monde entier que mon interdiction de sortie du territoire était levée. Mais puisque nous nous trouvons sous l’état d’urgence, un décret stipule que n’importe quel passeport peut être confisqué. La police et la justice se renvoient la balle. Ce qui m’attriste le plus, c’est que j’ai reçu deux prix littéraires très importants, le prix Marguerite-Yourcenar en France et le prix de la paix Erich-Maria-Remarque en Allemagne, qui sera remis en septembre. Je ne suis pas sûre de pouvoir y aller. Or c’est le genre de récompense qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie d’un écrivain.

 

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