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10 décembre 2016 6 10 /12 /décembre /2016 17:18
Fidel Castro et la répression contre les intellectuels

Ignacio Ramonet a été directeur du Monde diplomatique. Il est actuellement directeur de son édition espagnole. 
Il a été parmi les premiers à définir le concept de Pensée unique et il a été à l’origine de la création d’ATTAC dont il est Président d’honneur.

Il a fait partie des promoteurs du Forum social mondial de Porto Alegre qui lui doit le slogan :"Un autre monde est possible".

Journaliste, géopolitologue, sociologue, écrivain, il a reçu de nombreuses distinctions internationales.

mmédiatement, je fus attaqué. Et la répression a commencé. Par exemple, le journal "El Pais" (Madrid), qui m’ouvrait régulièrement ses pages d’opinion, m’a sanctionné. Il cessa de me publier. Sans donner la moindre explication. Et non seulement cela, mais dans la meilleure tradition stalinienne, mon nom a disparu de ses pages. Supprimé. Plus aucun compte-rendu de mes livres, plus aucune mention de mon activité intellectuelle. Rien. Supprimé. Censuré. Un historien du futur qui chercherait mon nom dans les colonnes du journal "El País" déduirait que je suis mort il y a une décennie...

La même chose dans "La Voz de Galicia", journal dans lequel j’ai aussi écrit pendant des années, une chronique hebdomadaire intitulée "Res Publica". En raison de la publication de mon livre sur Fidel Castro, et aussi sans la moindre excuse, j’ai été puni. Ils ont cessé de publier mes chroniques. Du jour au lendemain : la censure totale. Comme dans "El País" mise à l’écart absolue. Traitement de pestiféré. Jamais plus, ensuite, la moindre allusion à une de mes activités.

Comme dans toute dictature idéologique, la meilleure façon d’exécuter un intellectuel est de le faire "disparaître" de l’espace médiatique pour le "tuer" symboliquement. Hitler l’a fait. Staline l’a fait. Franco l’a fait. Le quotidien "El País" et "La Voz de Galicia" me l’ont fait.

En France, ce fut pareil. Quand les éditeurs Galilée et Fayard ont publié mon livre "Fidel Castro. Biographie à deux voix" en 2007, la répression s’est immédiatement abattue sur moi.

Sur la radio publique "France Culture", j’animais un programme hebdomadaire le samedi matin, consacré à la politique internationale. Dès la publication de mon livre sur Fidel Castro, les médias dominants commencèrent à m’attaquer violemment, le directeur de la station m’a appelé dans son bureau et sans détours, m’a déclaré : "Il est impossible que vous, ami d’un tyran, puissiez vous exprimer sur nos ondes." J’ai essayé d’argumenter. Rien à faire. Les portes des studios se sont fermées à jamais pour moi. Ils m’ont aussi bâillonné. Le silence était imposé à une voix discordante dans l’unanimisme anti-cubain.

A l’Université Paris-VII, cela faisait 35 ans que j’enseignais la théorie de la communication audiovisuelle. Quand a commencé la diffusion de mon livre et la campagne médiatique contre moi à se propager, un collègue m’a prévenu : "Attention ! Certains fonctionnaires disent qu’on ne peut pas tolérer que "l’ami d’un dictateur" donne des cours dans notre faculté..." Bientôt commencèrent à circuler dans les couloirs des dépliants anonymes contre Fidel Castro qui exigeaient mon expulsion de l’université. Peu après, j’étais officiellement informé que mon contrat ne serait pas renouvelé... Au nom de la liberté d’expression, on m’a refusé le droit à l’expression.

Je dirigeais à l’époque, à Paris, le mensuel "Le Monde Diplomatique", appartenant au même groupe d’édition que le célèbre journal "Le Monde". Et, pour des raisons historiques, je faisais partie de la "Société des rédacteurs" de ce journal, mais n’écrivais plus dans ses colonnes. Cette société était alors très importante dans l’organigramme de l’entreprise par sa condition d’actionnaire principal, parce qu’en son sein on élisait le directeur du journal et parce qu’elle veillait au respect de l’éthique professionnelle.

En vertu de cette responsabilité précisément, quelques jours après la sortie de ma biographie de Fidel Castro en librairies, et après que plusieurs médias importants (notamment le quotidien "Libération") ont commencé à m’attaquer, le président de la Société des rédacteurs m’appela pour me transmettre "l’extrême émotion" qui, selon lui, régnait au sein de la Société des rédacteurs depuis la publication du livre. "L’avez-vous lu ?" demandai-je. "Non", répondit-il, "mais peu importe c’est une question d’éthique, de déontologie. Un journal du groupe "Le Monde" ne peut pas interroger un dictateur." Je cite de mémoire une liste d’une douzaine d’authentiques autocrates d’Afrique et d’autres continents dont le journal avait obligeamment donné la parole pendant des décennies. "Pas la même chose" dit-il, "précisément je t’appelle pour ça : les membres de la Société des rédacteurs veulent que tu viennes leur donner une explication." "Vous voulez me faire un procès ? Un « procès de Moscou » ? Une « purge » pour déviationnisme idéologique ? Il va falloir assumer votre rôle d’inquisiteurs et de police politique, et m’emmener de force devant votre tribunal." Ils n’ont pas osé.

Je ne peux pas me plaindre ; je n’ai pas été emprisonné ni torturé ni exécuté comme cela est arrivé à beaucoup de journalistes et d’intellectuels sous le nazisme, le stalinisme ou le franquisme. Mais j’ai subi des représailles, symboliquement. Comme dans ’El País’ ou ’La Voz’, j’ai "disparu" des colonnes du journal "Le Monde". Lorsque j’étais cité, c’était seulement pour me lyncher.

Mon cas n’est pas unique. Je connais en France, en Espagne, dans d’autres pays européens, de nombreux intellectuels et journalistes condamnés au silence, à "l’invisibilité" et à la marginalité parce qu’ils ne pensent pas comme le chœur féroce des médias dominants, parce qu’ils rejettent "le dogme anti-castriste obligatoire". Pendant des décennies, Noam Chomsky lui-même, aux États-Unis, pays de la "chasse aux sorcières", a été condamné à l’ostracisme par les grands médias qui lui ont interdit l’accès aux colonnes des journaux les plus influents et aux antennes des principales stations de radio et de télévision.

Cela n’a pas eu lieu il y a cinquante ans dans une dictature poussiéreuse lointaine. Non, ça se passe maintenant dans nos "démocraties médiatiques". Je continue à en souffrir à l’heure actuelle. Pour avoir simplement fait mon travail de journaliste, et donné la parole à Fidel Castro. En justice, ne donne-t-on pas la parole à l’accusé ? Pourquoi ne pas accepter la version du dirigeant cubain que les grands médias dominants jugent et accusent en permanence ?

La tolérance n’est-elle pas le fondement même de la démocratie ? Voltaire définissait la tolérance de la manière suivante : "Je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous dites, mais je lutterai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire." La dictature médiatique, à l’ère de la post-vérité (*), ignore ce principe fondamental.

Ignacio RAMONET
Directeur de "Le Monde diplomatique en español"
www.monde-diplomatique.es

(Traduction Michel TAUPIN).

Notes du traducteur :

(*) "post-vérité" : « qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles » (dictionnaire Oxford)

La vérité a toujours été falsifiée ou contestée, ce qui est nouveau c’est qu’elle est devenue secondaire, c’est l’ère de la post-vérité.

Il raconte ici comment la censure et la répression se sont abattues sur lui, en Espagne et en France, dès qu’il a publié son livre "Fidel Castro. Biographie à deux voix" ou "Cent heures avec Fidel"- (Edition Debate, Barcelone), fruit de cinq années de documentation et de travail, et des centaines d’heures de conversations avec le leader de la révolution cubaine.

Son récit est édifiant (glaçant) alors que la quasi-totalité des médias viennent de nous expliquer, à l’occasion de la mort de Fidel Castro, ce que devrait être le droit des intellectuels à faire connaître leur travail.

Le Grand Soir


La mort de Fidel Castro a donné lieu - dans certains grands médias occidentaux - à la diffusion de quantités d’infamies contre le commandant cubain. Cela m’a blessé. Chacun sait que je le connaissais bien. Et j’ai donc décidé d’apporter mon témoignage personnel. Un intellectuel cohérent doit dénoncer les injustices. En commençant par celles de son propre pays.

Lorsque l’uniformité médiatique écrase toute diversité, censurer toute expression divergente et sanctionner les auteurs dissidents, est naturel, en effet, on peut parler de "répression". Comment qualifier autrement un système qui étouffe la liberté d’expression et réprime les voix différentes ? Un système qui n’accepte pas la contradiction en arguant qu’il l’admet. Un système qui établit une "vérité officielle" et ne tolère pas la transgression. Un tel système a un nom, ça s’appelle "tyrannie" ou "dictature". Pas de discussion. Comme beaucoup d’autres, j’ai vécu dans ma chair les fléaux de ce système... en Espagne et en France. C’est ce que je vais vous raconter.

La répression contre moi a commencé en 2006, lorsque j’ai publié en Espagne mon livre "Fidel Castro. Biographie à deux voix" ou "Cent heures avec Fidel"- (Edition Debate, Barcelone), fruit de cinq années de documentation et de travail, et des centaines d’heures de conversations avec le leader de la révolution cubaine.

Fidel Castro et la répression contre les intellectuelles: une opinion répandue qui masque d'autres répressions intellectuelles. Ignacio Ramonet témoigne de l'ostracisme dont il a été victime après son livre sur Castro
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10 décembre 2016 6 10 /12 /décembre /2016 07:17
Salim Lamrani, enseignant et universitaire français, maître de conférence à l'Université de la Réunion, spécialiste des Antilles et de l'Amérique Latine dans ses relations avec les Etats-Unis

Salim Lamrani, enseignant et universitaire français, maître de conférence à l'Université de la Réunion, spécialiste des Antilles et de l'Amérique Latine dans ses relations avec les Etats-Unis

Entretien avec Salim Lamrani

 

« Cuba est le seul pays qui est intervenu en Afrique pour défendre le droit des peuples à l’autodétermination, à la dignité et à la liberté »

 

http://www.mondialisation.ca/cuba-est-le-seul-pays-qui-est-intervenu-en-afrique-pour-defendre-le-droit-des-peuples-a-lautodetermination-a-la-dignite-et-a-la-liberte/5561075

 

Voice of America

http://www.voaafrique.com/a/3619259.html [vidéo]

 

Voice of America, qui a débuté ses émissions en 1942, est un service multimédias international financé par le gouvernement des Etats-Unis à travers le Broadcasting Board of Governors. La VOA diffuse environ 1 500 heures de nouvelles, d’informations, de programmes culturels et éducationnels chaque semaine, à l’intention de quelque 125 millions d’auditeurs, de téléspectateurs et de lecteurs. Lors de cet entretien avec l’universitaire Salim Lamrani, VOA évoque le rôle de Cuba en Afrique, le pouvoir de Fidel Castro, la relation avec les Etats-Unis et la question des droits de l’homme.

 

            Voice of America : Salim Lamrani, pourquoi une telle implication de Cuba en Afrique ? Les Cubains cherchaient-il ou cherchent-t-il à exploiter les ressources naturelles dont regorgent le continent ?

 

            Salim Lamrani : Je crois qu’il faut rappeler les trois facettes qui caractérisent le personnage de Fidel Castro. C’est d’abord l’architecte de la souveraineté nationale qui a réussi à faire de Cuba une nation indépendante. C’est ensuite un réformateur social qui a mis au centre de son projet de société l’être humain en universalisant l’accès à la santé, à l’éducation, à la culture, au sport, aux loisirs. C’est enfin – et c’est là sa troisième caractéristique – un internationaliste qui a toujours tendu une main fraternelle aux peuples du Sud et notamment aux peuples qui luttaient pour leur émancipation. C’est ce qui explique l’intervention de Cuba en Afrique.

            Cuba a joué un rôle déterminant dans la libération de l’Afrique australe. Il convient de rappeler ce que disait Nelson Mandela lors de son voyage à Cuba : « Quel autre pays pourrait prétendre à plus d’altruisme que celui que Cuba a appliqué dans ses relations avec l’Afrique ? ». Je crois que cette citation de Nelson Mandela répond en quelque sorte à votre question.

            Contrairement aux autres nations qui sont intervenues en Afrique pour piller les richesses de ce continent, le seul pays qui est intervenu pour défendre le droit des Africains à l’autodétermination, à la dignité et à la liberté, c’est la nation cubaine, c’est le peuple cubain et c’est Fidel Castro.

            Je crois que c’est ce qui explique la popularité de ce personnage non seulement en Afrique, mais également en Amérique latine et en Asie. Fidel Castro est perçu comme étant l’archétype du combattant contre l’oppression. Il est perçu comme étant le vecteur d’un message universel d’émancipation.

 

            VOA : Oui, mais c’est quand même un personnage controversé, Salim Lamrani, - je m’excuse de vous interrompre – parce qu’en Occident nombreux se disent indignés par la pluie d’éloges après la mort de Fidel Castro. Pour eux, il était l’un des derniers dictateurs communistes de la planète qui s’était agrippé au pouvoir pendant près de cinquante ans, un homme qui a fait régner la terreur sur son île et qui est accusé d’avoir soumis les 11 millions de Cuba à la pauvreté collective.

 

            SL : Aucun dirigeant au monde ne peut rester 30 ans à la tête d’un pays – puisque Fidel Castro a été Président de la République de 1976 à 2006 – dans un contexte d’hostilité, de guerre larvée avec les Etats-Unis sans un soutien majoritaire du peuple.

            La diplomatie étasunienne installée à Cuba a été très lucide à ce sujet. Je fais référence à un mémorandum de 2009 rédigé par Jonathan Farrar, qui était chef de la Section d’intérêts des Etats-Unis à La Havane, dans lequel il dit que « ce serait une erreur de sous-estimer le soutien dont dispose le gouvernement particulièrement auprès des communautés populaires et des étudiants ». Je crois qu’il faut rappeler cette réalité.

            Pour ce qui est de la pauvreté – vous avez parlé de la pauvreté – je regrette mais les institutions internationales contredisent votre point de vue. Selon l’UNICEF, le seul pays d’Amérique latine et du Tiers-monde à avoir éliminé la malnutrition infantile, c’est Cuba. 

 

            VOA : Nous nous souvenons de cette poignée de mains historique entre les présidents Barack Obama et Raúl Castro en décembre 2013. C’était à Soweto lors de la cérémonie d’hommage à Nelson Mandela, le signe qu’une page était en train de se tourner. Effectivement, un an plus tard, le rapprochement était annoncé. La mort de Fidel Castro va-t-elle rapprocher davantage Cuba et les Etats-Unis, d’après-vous ?

 

            SL : Tout dépend, en définitive, des Etats-Unis parce qu’il faut rappeler que le conflit entre Washington et La Havane est asymétrique. Il y a, d’une part, une puissance, les Etats-Unis, qui impose des sanctions à Cuba. L’agression et l’hostilité sont unilatérales. Ce sont les Etats-Unis qui occupent de manière illégale et illégitime une partie du territoire souverain de Cuba (Guantanamo). Ce sont les Etats-Unis qui exigent un changement de régime.

            Je crois que le Président Barack Obama a fait un constat très lucide lorsqu’il a accepté de dialoguer avec La Havane. Il s’est rendu compte que la politique d’hostilité était anachronique car elle remonte à la Guerre froide. Elle est cruelle parce que les sanctions économiques affectent les catégories les plus vulnérables de la population. En outre, elle est inefficace puisqu’au lieu d’isoler Cuba sur la scène internationale, elle a isolé les Etats-Unis. Même les alliés les plus fidèles des Etats-Unis exigent une levée des sanctions économiques, qui constituent le principal obstacle au développement du pays.

            Je crois qu’il faudra poser la question au prochain président des Etats-Unis. Souhaite-t-il entretenir des relations cordiales et pacifiques avec Cuba ou souhaite-t-il revenir à une politique de confrontation et d’hostilité ?

 

            VOA : Il y a eu cette mise en garde de Donald Trump. Il a menacé de mettre fin au rapprochement historique avec Cuba si La Havane ne donnait pas plus de contreparties en matière de droits de l’homme et d’ouverture économique. Qu’en est-il de l’ouverture économique de Cuba ?

 

            SL : Un petit mot rapidement sur la question des droits de l’homme. Je crois que le Président Donald Trump qui exige des changements au niveau de la situation des droits de l’homme à Cuba serait inspiré de lire le dernier rapport d’Amnesty International sur Cuba et de le comparer avec celui sur les Etats-Unis. En comparant les deux rapports, on se rend compte que le plus mauvais élève n’est pas celui que l’on croit. Donald Trump et les Etats-Unis ne disposent pas de la légitimité nécessaire pour disserter sur la question des droits de l’homme.

            Pour ce qui est du modèle économique, il faut rappeler que Cuba est une nation souveraine. Il revient donc aux Cubains de décider de leur système politique, de leur modèle social et de leur modèle économique. Ce n’est pas à Donald Trump ni aux Etats-Unis d’imposer un modèle et de parler d’économie de marché. Selon le Droit international, depuis le Congrès de Westphalie de 1648, il y a une égalité souveraine entre les Etats. Il y a un principe qui s’appelle la non-ingérence dans les affaires internes. Je crois donc que le système économique ne doit pas être imposé par une puissance étrangère.

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet.

 

 

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

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8 décembre 2016 4 08 /12 /décembre /2016 14:47
Netanyahou donne des gages à droite avec une loi sur les colonies (Ouest-France, 8 décembre 2016)

À la tête d'une coalition conservatrice, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s'est rallié à un projet de loi légalisant des colonies en Cisjordanie, une manoeuvre vue à Jérusalem comme une nouvelle parade pour satisfaire son aile droite.

Mais cette politique d'apaisement à droite pourrait avoir des conséquences internationales, bien que le texte ait de fortes chances d'être rejeté par la Cour suprême. 

Lundi, le passage en première lecture d'une version amendée a déclenché des réactions inquiètes des États-Unis, de l'Union européenne et des Nation unies, laissant envisager l'adoption d'une manière de résolution de l'Onu sur le sujet avant la fin du mandat de Barack Obama le 20 janvier. 

On craint la justice

En outre, certains responsables israéliens craignent que le projet de loi ne constitue un motif de poursuites pour la Cour pénale internationale de La Haye. 

Benjamin Netanyahu, un temps opposé à la législation, avait lui-même mis en garde contre de possibles procédures judiciaires lors de l'émergence du projet porté par le parti d'extrême-droite du Foyer juif et son chef de file, le ministre de l'Education Naftali Bennett. Les dirigeants palestiniens ont condamné un texte qui cautionne des expropriations sur les terres qu'ils revendiquent pour État. 

Colonies officielles et officieuses

En cinquante ans, Israël a construit environ 120 colonies officielles en Cisjordanie. Elles sont condamnées par une majorité d'acteurs internationaux. 

Outre ces colonies officielles, une centaines d'avant-postes y ont été construits sans l'aval du gouvernement. Plus de cinquante d'entre eux pourraient être légalisés par le projet de loi, estime l'association israélienne Peace Now. Le texte propose d'indemniser les propriétaires palestiniens des terres concernées. 

Assurer sa survie politique

Pour Benjamin Netanyahu, dans son quatrième mandat, ne pas soutenir la législation aurait eu valeur de défaite face à Naftali Bennett, et permis à son parti de ravir au Likoud des électeurs conservateurs. 

"Il craint plus Naftali Bennett que le gouvernement américain et que l'Union européenne. Même s'il est premier ministre depuis 11 ans, il reste un politicien plus qu'un dirigeant", juge Amnon Abramovitz, un analyste politique pour la chaîne de télévision Aroutz 2. 

Approuvé lundi dans une version amendée par 58 députés (51 contre), le projet de loi devra faire l'objet de deux nouveaux votes, probablement dès la semaine prochaine, pour devenir loi. La législation a des chances d'être invalidée par la Cour suprême israélienne, devant laquelle les groupes de défense des droits de l'homme devraient contester les expropriations de terrains privés qu'elle contient. Certains commentateurs estiment d'ailleurs que Netanyahu mise sur l'annulation de la loi par la haute cour. 

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7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 07:24
Mattéo Renzi démissionne sur au désaveu de sa politique d'austérité dans le référendum sur la réforme constitutionnelle

Mattéo Renzi démissionne sur au désaveu de sa politique d'austérité dans le référendum sur la réforme constitutionnelle

Italie : Un "Non" qui impose de rompre avec l'autoritarisme et l'austérité

 

 A une très nette majorité de près de 60% contre 40 %, avec une très forte participation au scrutin, les Italiens ont rejeté massivement la réforme constitutionnelle proposée par le chef du gouvernement Matteo Renzi. Celui-ci à été contraint à la démission. Cette réforme avait essentiellement pour but de concentrer le pouvoir politique dans les mains de l’exécutif au détriment du Parlement.

Les motivations et significations de ce vote sont extrêmement diverses, voire antinomiques. La droite berlusconienne, l’extrême droite ultra nationaliste et xénophobe, le mouvement populiste de Beppe Grillo, appelaient à voter non.

Les forces de la gauche de transformation italienne l'ont fait, elles, en soulignant leur attachement aux valeurs démocratiques inscrites dans la Constitution italienne, issue de la résistance antifasciste.

Avec ce vote, les italiens ont également exprimé leur rejet de la politique antisociale de Matteo Renzi qui a accru les inégalités, la précarisation des existences. Pour ces deux raisons, le PCF salue la victoire d'un "non" qui impose de rompre avec l'autoritarisme et l'austérité et commande de construire des réponses démocratiques et solidaires à la crise que traverse toute l'Europe.

PCF - 5 décembre 2016

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5 décembre 2016 1 05 /12 /décembre /2016 07:52
Israël-Palestine: le fiasco de l'initiative française (René Backmann- Médiapart, 4 décembre 2016)

Israël-Palestine: le fiasco de l'initiative française

Par René Backmann

Lancée début 2016, l’initiative française au Moyen-Orient était destinée à relancer le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. L’opposition d’Israël et l’incapacité de Paris à assumer politiquement son projet ont rendu impossible l’organisation de la conférence internationale prévue.

C'était une forte probabilité, c’est désormais une certitude. La conférence internationale qui devait se réunir à Paris, avant la fin 2016, pour réanimer le processus de paix moribond entre Israël et les Palestiniens n’aura pas lieu. Une table ronde sera peut-être organisée aux environs de Noël, mais elle ne servira qu’à sauver les apparences puisque les principaux intéressés n’y seront pas réunis. Dans le silence embarrassé de ses promoteurs à l’Élysée et au Quai d’Orsay, l'« initiative française » pour la paix au Moyen-Orient est donc sur le point de rejoindre le cimetière des échecs de François Hollande.

Rien n’est pour l’heure officiel. Mais l’opposition réitérée par Israël et, aux États-Unis, les incertitudes nées de l’élection de Donald Trump semblent des obstacles infranchissables. D’autant que, au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis la conférence ministérielle préparatoire de juin, Paris s’est montré incapable d’assumer politiquement son projet, mais aussi de construire et de consolider autour de cette initiative un consensus international assez solide pour faire fléchir le gouvernement israélien. Et cela tandis que surgissaient, dans le monde arabe ou en Russie, des propositions concurrentes ou parasites pour l’instant tout aussi stériles.

Malgré l’expérience et l’implication de l’émissaire chargé depuis février 2016 de piloter cette initiative, Pierre Vimont, ancien ambassadeur aux États-Unis et responsable du service diplomatique de l’Union européenne, l’exécutif, sur ce dossier comme sur nombre d’autres, s’est montré dès le départ timoré et vulnérable aux pressions. Notamment à celles d’Israël et de ses relais d’influence à Paris.

Conçue à la fin de 2015 sous l’autorité de Laurent Fabius, puis adoptée et développée à partir de février 2016 par son successeur au ministère des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, cette initiative obéissait, a priori, à d’excellentes intentions. Elle avait pour but de proposer une solution originale pour sortir la négociation israélo-palestinienne du coma dans lequel elle est plongée depuis l’échec de l’ultime tentative du secrétaire d’État américain John Kerry en avril 2014.

Au dispositif diplomatique utilisé depuis 1993 – un dialogue israélo-palestinien sous parrainage américain – Paris proposait de substituer un face-à-face israélo-palestinien sous supervision internationale. Organisé selon un calendrier rigoureux, cela devait permettre d’en finir avec la stratégie de procrastination utilisée à répétition par Israël. Assorti d’incitations diverses pour les deux parties, ce projet auquel Washington et Moscou n’avaient pas fait obstacle était soutenu par les Nations unies, l’Union européenne et la Ligue arabe. Il avait recueilli l’approbation des dirigeants palestiniens pour de multiples raisons. Reposant sur les termes de référence acceptés depuis longtemps par les Palestiniens, il convergeait avec la stratégie palestinienne d’internationalisation de la négociation et de recours aux Nations unies. Et il permettait, surtout, d’en finir avec le rôle dominant de Washington, de moins en moins considéré par les Palestiniens comme un intermédiaire impartial.

Pour des raisons diamétralement opposées, le projet français avait été, dès le départ, rejeté par Israël. Fort de son usage impuni, depuis des années, de la stratégie du statu quo, à l’abri duquel il poursuit et développe la colonisation de la Cisjordanie occupée, au point de rendre illusoire la création d’un État palestinien, le gouvernement de Benjamin Netanyahou se bornait à rappeler sa position constante : nous sommes prêts à ouvrir avec les Palestiniens un dialogue direct, sans conditions. Position d’autant plus facile à tenir pour le premier ministre israélien qu’il est adossé à une population plus réservée que jamais à l’idée de coexister avec un État palestinien et au sein de laquelle le “camp de la paix” résiste difficilement à l’intolérance du plus grand nombre.

Avant de formuler officiellement son initiative, Paris n’ignorait évidemment pas que cette position de principe israélienne constituait pour ce projet un obstacle majeur. Mais Laurent Fabius croyait avoir trouvé un levier pour vaincre l’obstination israélienne. À la veille d’abandonner ses fonctions, il avait brandi la menace de reconnaître l’État de Palestine si l’initiative française échouait en raison d’un refus israélien. Ce qui avait provoqué l’indignation de Benjamin Netanyahou et de ses alliés. « Israël est favorable aux négociations directes avec les Palestiniens mais s’oppose à toute tentative de prédéterminer le résultat des négociations », avait répliqué le porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères, Emmanuel Nahson.

Pour convaincre Paris de renoncer à cette menace, Benjamin Netanyahou n’avait pas hésité à mobiliser l’ancien chef de l’État, Shimon Peres, alors âgé de 92 ans, et à l’envoyer en France avec mission d’expliquer à ses amis socialistes qu’ils devaient agir dans cette affaire avec la plus grande circonspection. Message reçu. Quelques jours après cette visite, Jean-Marc Ayrault s’était livré à une reculade remarquée : « Il n’y a jamais rien d’automatique, avait-il déclaré. La France prend cette initiative, va l’exposer à ses partenaires, et donc c’est la première étape, il n’y a pas de préalable. » En clair : contrairement à ce qu’avait avancé Laurent Fabius, la France ne reconnaîtrait pas automatiquement l’État de Palestine, si son initiative échouait.

Valls puis Ayrault font amende honorable

Ni Israël ni les Palestiniens n’étaient invités à participer à cette première conférence destinée à dresser un état des lieux du conflit, à faire le point des négociations précédentes, à arrêter la composition et le rôle d’un groupe de suivi et à ébaucher les modalités de la seconde conférence, autour, cette fois, des principaux intéressés. Mais les dirigeants israéliens considéraient la simple tenue de cette première réunion comme un début d’ingérence internationale. Ils s’étaient donc lancés dans une vaste offensive diplomatique préventive destinée à montrer aux amis d’Israël que l’initiative française était dangereuse pour la sécurité de l’État juif car Paris avait du conflit une vision biaisée. De ce point de vue, le vote par la France, à la mi-avril, d’une résolution de l’Unesco condamnant la politique d’Israël à Jérusalem-Est fut, pour Benjamin Netanyahou et ses conseillers, une divine surprise.

Consacré essentiellement à la sauvegarde du « patrimoine culturel palestinien et du caractère distinctif de Jérusalem-Est », ce texte déplorait notamment la poursuite des fouilles par Israël, « la  puissance occupante, dans Jérusalem-Est et en particulier à l’intérieur et aux alentours de la vieille ville » et « les irruptions persistantes d’extrémistes de la droite israélienne et de forces en uniforme sur le site de la mosquée Al-Aqsa/Al-Haram Al-Sharif ». La France figurait, avec la Russie, l’Espagne et la Suède, parmi les 33 pays qui avaient voté en faveur de la résolution. L’Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni, parmi les 6 pays qui avaient voté contre.

Au lieu d’assumer son vote et de faire observer que la plupart des faits condamnés par la résolution avaient déjà été relevés dans des documents des Nations unies et dénoncés par les rapports annuels des diplomates de l’Union européenne à Jérusalem, Paris – deuxième reculade – avait choisi de renier sa signature en affectant d’avoir voté ce texte par inadvertance. Explication peu crédible, le document ayant été transmis au Quai d’Orsay plus de deux semaines avant le vote. Qu’importe. François Hollande, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault et même Bernard Cazeneuve déplorèrent publiquement le « texte fâcheux » à la « formulation malheureuse, maladroite ».

Dans les deux semaines qui suivirent, le premier ministre puis le ministre des affaires étrangères se rendirent à Jérusalem pour faire amende honorable devant Benjamin Netanyahou qui venait de constituer, grâce à l’appui de l’extrême droite et des colons, le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. Difficile, dans ces conditions, pour Paris, d’espérer infléchir en quoi que ce soit la position israélienne.

Le document de travail communiqué à la trentaine de pays qui devaient participer à la conférence ministérielle du 3 juin, première étape de l’initiative française, reflétait d’ailleurs la prudence, c’est-à-dire la faiblesse, de la position française. Certes, ce “non-papier” rappelait que « la solution à deux États [était] la seule option viable » pour résoudre le conflit et soulignait que cette solution était « menacée au point d’être rendue presque impraticable par le développement incessant de la colonisation, y compris dans les zones les plus sensibles ».

Mais il se gardait de citer les dossiers essentiels, dont la plupart sont minés par les positions intransigeantes d’Israël : tracé des frontières, arrangements et garanties de sécurité, destin des réfugiés, partage de Jérusalem, questions des colonies et des échanges de territoires, répartition des ressources en eau. Et, surtout, il ne prévoyait aucun dispositif de pressions, voire de sanctions, pour faire respecter le calendrier des négociations et les décisions éventuellement adoptées.

Malgré cette accumulation de concessions, le “non-papier” français allait encore trop loin pour obtenir l’approbation des amis d’Israël. Le 3 juin, à la fin de la conférence ministérielle préparatoire, à laquelle avaient participé les représentants de 29 pays et organisations internationales (ONU, Union européenne, Ligue arabe), il ne restait plus du texte français qu’un communiqué de moins de vingt-cinq lignes, vigoureusement édulcoré sous l’influence, notamment, des États-Unis et de plusieurs pays de l’Union européenne. Après avoir constaté que « le statu quo n’est pas durable », les signataires accueillaient favorablement « l’offre de la France de coordonner l’effort des pays intéressés et d’organiser une conférence régionale avant la fin de l’année ». La conférence, en d’autres termes, n’avait accouché que d’un projet de conférence… Troisième reculade.

Il restait donc six mois à Paris pour organiser cette deuxième conférence, avec la participation, cette fois, des Israéliens et des Palestiniens, et maintenir en vie son « initiative ». Malgré l’aval, fin juin, du Conseil des affaires étrangères de l’UE, puis le soutien, début juillet, du Quartet, l’affaire s’annonçait mal.

Mais la perspective de l’élection présidentielle américaine et de la fin du mandat de Barack Obama laissait flotter un climat d’incertitude propice à toutes les rumeurs. Spéculant sur l’inimitié – réelle – entre le président américain et le premier ministre israélien et sur le dépit – tout aussi réel – de Barack Obama, face à l’échec de ses tentatives de médiation entre Israéliens et Palestiniens, des sources crédibles de la Maison Blanche et du Département d’État affirmaient qu’Obama avait l’intention de faire un geste spectaculaire en rapport avec le conflit israélo-palestinien avant de quitter la présidence.

Reculades françaises en série

L’interminable négociation entre les États-Unis et Israël, en cours depuis des mois, sur le renouvellement de l’aide financière américaine à l’armée israélienne semblait d’ailleurs offrir à Obama un levier exceptionnel pour agir sur le gouvernement Netanyahou. Alors que l’accord en cours (2009-2018) allouait à Israël un total de 30 milliards de dollars, l’accord signé en septembre porte sur un montant de 38 milliards, soit une augmentation de 20 %. C’est-à-dire l’aide militaire la plus généreuse de toute l’histoire des États-Unis.

En échange, Israël s’était engagé à ne pas construire de nouvelle colonie en Cisjordanie. Trois semaines après la signature de l’accord, alors que Barack Obama était en vol à destination de Tel-Aviv pour assister aux obsèques de Shimon Peres, le gouvernement israélien approuvait la construction de 300 nouveaux logements dans la colonie de Shilo, en Cisjordanie. À elle seule, cette séquence indiquait à quel point il était irréaliste d’attendre d’Israël la moindre concession.

Si Washington, son protecteur historique, n’était pas parvenu à obtenir même une trêve de la colonisation, et acceptait sans réagir un camouflet humiliant, comment Paris, loin de disposer des mêmes atouts, pouvait-il espérer obtenir, avant la fin de l’année, une volte-face d’Israël ? Sans l’avouer, le Quai d’Orsay avait intégré, dès septembre, la quasi-certitude d’un refus israélien, donc de l’impossibilité de réunir la seconde conférence et de maintenir en vie l’initiative française.

L’important étant, selon un familier du dossier, de « redonner du souffle à la solution à deux États », l’émissaire français planchait sur des options de substitution reposant notamment sur l’activation du volet économique de l’initiative ou la mobilisation, dans les deux camps, des ONG et des associations favorables à la coexistence des deux États. C’est à ce moment que la résolution sur Jérusalem, adoptée en avril par l’Unesco, est revenue devant le Conseil exécutif de l’organisation pour être définitivement adoptée. Pour éviter les critiques adressées par Israël et ses amis au texte d’avril, les promoteurs du texte – Palestine, Égypte, Algérie, Maroc, Liban, Oman, Qatar et Soudan – avaient accepté de le modifier. Le document rappelait donc, à deux reprises, que la Vieille Ville de Jérusalem et ses remparts, mais aussi le tombeau des Patriarches à Hebron et la tombe de Rachel à Bethléem, « revêtent une importance religieuse pour le judaïsme, le christianisme et l’islam ».

Peine perdue. Non seulement plusieurs pays qui avaient voté en faveur du texte, parmi lesquels la France, ont choisi cette fois de s’abstenir – quatrième reculade –, ce qui n’a pas empêché la résolution d’être adoptée, mais Benjamin Netanyahou, sans même discuter le fond de la résolution, a sur-le-champ manifesté son indignation en affirmant que « l’Unesco avait perdu le peu de légitimité qui lui restait », avant de décider le retrait de son ambassadeur de l’organisation culturelle internationale. Début novembre, après cette ultime escarmouche où Paris avait, une nouvelle fois, reculé face à Israël, le sort de l’initiative française était définitivement scellé.

En visite à Jérusalem, pour une dernière tentative de relance du projet, l’émissaire français Pierre Vimont se heurtait à un mur. « On ne parviendra à un accord que par des négociations directes entre Israël et l’Autorité palestinienne, lui répétaient le conseiller à la sécurité nationale, Jacob Nagel, et le représentant spécial du premier ministre, Yitzhak Molcho. Israël ne participera donc à aucune conférence internationale quelle qu’elle soit, qui irait à l’encontre de cette position. »

Sèchement éconduit, contraint d’admettre son échec, Paris était fondé à manifester un mécontentement ostensible. Sa réponse fut, au contraire, une manifestation de coopération militaire inédite : durant deux semaines, en novembre, des avions de combat israéliens participèrent, pour la première fois dans l’histoire des relations entre les deux pays, à des manœuvres communes avec des Rafale de l’armée de l’air dans le ciel corse.  

L’échec du projet français était pourtant d’autant plus clair que les informations en provenance de Washington, au lendemain de l’élection de Donald Trump, ne laissaient espérer aucun soutien américain. « Il est très peu probable, rapportaient les diplomates français, que Barack Obama prenne une dernière initiative à propos du processus de paix au Moyen-Orient. Pour deux raisons. Parce que, après la victoire de Trump, il tient à ce que la transition se déroule dans la sérénité, sans polémiques. Et parce que le dossier du processus de paix n’est la première priorité ni pour le gouvernement sortant, ni pour la prochaine équipe au pouvoir. »

Refus ferme et définitif d’Israël. Retraite en bon ordre de Washington. Passivité du monde arabe. Attentisme russe. Inconséquences et reculades françaises en série. Il ne reste plus aujourd’hui à Jean-Marc Ayrault et François Hollande qu’à annoncer officiellement l’échec de l’initiative française.       

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 décembre 2016 4 01 /12 /décembre /2016 20:29
Ousmane Sow: le scuplteur des hommes debout, est mort (L'Humanité, 1er décembre 2016)
Ousmane Sow, le sculpteur des hommes debout, est mort
AVEC AFP
JEUDI, 1 DÉCEMBRE, 2016 - L'Humanite
Ses sculptures monumentales de guerriers ont fait le tour du monde : figure majeure de l'art contemporain africain, le Sénégalais Ousmane Sow, décédé jeudi à l'âge de 81 ans à Dakar, a magnifié les grands peuples du continent noir.
En France, le grand public l'a découvert en 1999 lors d'une rétrospective sur le Pont des Arts à Paris. Ses guerriers Masaï du Kenya, ses lutteurs de l'ethnie Nouba du sud Soudan, ses Indiens d'Amérique, colosses figés dans le mouvement, au regard intense, attirent alors plus de trois millions de personnes.
"Jamais un gamin ne m'a demandé ce que mes sculptures voulaient dire. Je sculpte des hommes. J'ai tellement peur qu'on ne me comprenne pas, ou qu'on interprète mal ce que je dis, que je parle très directement. C'est la même chose en art", disait Ousmane Sow, du haut de son 1,93 m.
Né le 10 octobre 1935 à Dakar, le sculpteur n'a "jamais rêvé d'être un artiste", confiait-il en 2009. "Peut-être cela a été une chance. J'ai fait ça par plaisir".
A l'école, ce fils de comptable se plaisait à tailler de petites figurines dans des blocs de calcaire. Puis il s'est intéressé au fil de fer. Quand il part à 22 ans pour la France, il ne pense pas un instant à en faire un métier. A Paris, Ousmane Sow a parfois faim et froid. Il fait tous les métiers, puis devient infirmier et finalement kinésithérapeute. Une formation qui lui confère une parfaite connaissance des muscles et de l'anatomie dont il ne cessera de se servir plus tard pour ses créations. Après l'indépendance du Sénégal en 1960, Ousmane Sow revient s'installer dans son pays, avant de monter un cabinet à Montreuil, en banlieue parisienne. Il sculpte toujours pour son plaisir mais jusqu'à l'âge de 50 ans, détruit ses oeuvres, par manque de place notamment.
Un jour, un ami attire l'attention du Centre culturel français de Dakar sur ces sculptures et celui-ci lui consacre une exposition en 1987. Un succès, et le début d'une carrière fulgurante pour cet homme libre, qui n'a "jamais eu de patron". Ce "saut dans l'inconnu", il le représenta sur son épée lorsqu'il fut en 2013 le premier Africain à rejoindre l'Académie des Beaux-arts en tant que membre associé étranger. La série des Nouba, inspirée par les photos de Leni Riefenstahl, est présentée à la Documenta de Kassel en 1992, marquant l'entrée d'Ousmane Sow dans la cour des grands artistes contemporains. Trois ans plus tard, il expose au Palazzo Grassi, à l'occasion du centenaire de la Biennale de Venise.
Il poursuit son exploration des peuples africains avec "Les Masaï", "Les Zoulous", puis "Les Peuls", avant de s'intéresser aux Indiens d'Amérique à travers la mythique bataille de "Little Big Horn".
Ses sculptures monumentales aux tons bruns-ocres, cet homme massif les crée à partir d'une mixture secrète, macérée pendant plusieurs années et appliquée sur des ossatures de fer, de paille et de jute. Toujours sans modèle. "La kiné m'a libéré du corps parfait. Je peux me bander les yeux et faire un corps humain de la tête aux pieds", confiait le sculpteur, qui réalisait aussi des bronzes de ses oeuvres.
Ousmane Sow a aussi exploré la sculpture de grandes figures ayant marqué sa vie - Victor Hugo, de Gaulle, Mandela - et rêvait d'un "Musée des grands hommes". Au côté de ces personnalités, il voulait voir figurer son père, Moctar Sow, décédé en 1956. "Il m'a appris à avoir une énorme confiance en moi", disait-il. Sa dernière oeuvre est une tête monumentale de 2 m de diamètre, commande de la République du Sénégal. Ousmane Sow "emporte avec lui rêves et projets que son organisme trop fatigué n'a pas voulu suivre", a souligné sa famille, précisant qu'il avait fait ces derniers mois plusieurs séjours à l'hôpital à Paris et à Dakar.
 
Lire aussi :
 
Interview de Ousmane Sow par Pierre Barbancey le 30 mars 1999 dans L'Humanité
 
Les géants d'Ousmane Sow traversent les continents

Sur le pont des Arts à Paris, le sculpteur sénégalais présente notamment ses dernières statues consacrées à la bataille de Little Big Horn. Un travail spectaculaire, par les formes et les matériaux utilisés.

Né en 1935 à Dakar (Sénégal), Ousmane Sow ne pratique la sculpture que depuis une douzaine d'années. D'abord kinésithérapeute, il commence par fabriquer des marionnettes avec tout ce qui lui tombe sous la main, pour raconter des histoires. Très vite, il met au point son propre " produit ", dont il conserve jalousement le secret, et se lance dans la sculpture de grande dimension : les guerriers animistes noubas (sud du Soudan), les Massaïs (ethnie du nord du Kenya), les Zoulous et les Peuls. On peut en voir certaines sur le pont des Arts, accompagnant ses dernières productions, consacrées à la célèbre bataille de Little Big Horn, dernière victoire remportée par les Sioux, les Arapahos et les Cheyennes sur le VIIe de cavalerie du général Custer, en 1876.

Qu'est-ce qui vous a conduit à la réalisation de " Little Big Horn "? 

Ousmane Sow. Je me suis d'abord intéressé aux ethnies africaines. Little Big Horn, c'est une bataille, mais ce qui m'intéressait avant tout, c'est la vie des Indiens. Comme je ne voulais pas faire des Indiens dans leur vie quotidienne comme cela s'est passé pour les Peuls, il a fallu les replacer dans une situation conflictuelle. Ça me permettait de leur donner un mouvement, d'où le choix de Little Big Horn. Pour moi, ce n'est pas seulement un fait historique. Je voulais parler des Indiens en action.



Vous avez traité les Noubas, les Massaïs, les Zoulous puis les Peuls. Là, vous traversez l'Atlantique, à la rencontre des Indiens. Quel a été votre cheminement ?

Ousmane Sow. Les Indiens sont plus près des Africains que bien d'autres peuples. Il n'est qu'à considérer leur mode de vie, leurs croyances. Cette vie quotidienne s'apparente à celle des tribus africaines. Il y a donc une logique, une continuité dans mon travail. Ça me permet de ne pas seulement parler de nous. Je ne pense pas que, sur le pont des Arts, là où ils sont, il y ait un paradoxe. Ça ne tranche pas avec les peuplades africaines qui y sont aussi exposées.



Comment avez-vous organisé les scènes que l'on peut voir sur le pont des Arts ?

Ousmane Sow. Je les ai imaginées. Pour les hommes, ce n'était pas trop difficile. Mais pour les chevaux qu'il fallait empiler, il fallait trouver un certain écartement, donner un point d'appui pour recevoir le cheval qui allait venir dessus. Ça, je n'avais pas cette possibilité parce que, même si j'ai de la place à Dakar, là où je conçois mes sculptures, je n'en ai pas suffisamment pour les mettre en scène comme sur le pont. Il y a eu une part de chance.

Pierre Barbancey. Lorsque vous avez conçu le projet " Little Big Horn ", saviez-vous qu'elles étaient destinées au pont des Arts ?

Ousmane Sow. Il y avait un projet d'exposition qui me paraissait utopique. Je savais les difficultés à les installer dehors et surtout à un tel endroit, qui chevauche deux arrondissements de Paris. Ma compagne, Béatrice Soulé, a réussi à obtenir les accords. C'est l'idéal d'avoir un pont comme le pont des Arts, le bien nommé. C'est extraordinaire. Vous vous rendez compte de la puissance évocatrice de ce pont.


Pierre Barbancey. Vous avez beaucoup plus l'habitude de travailler sur des corps humains. Cette fois-ci, vous intégrez des animaux. Comment avez-vous abordé ce nouveau sujet ?

Ousmane Sow. Le cheval est un être parfait. Mais il ne faut pas le décrire tel qu'il est. Il faut essayer de tricher un peu, d'exagérer quelques traits pour arriver à le faire vibrer. J'ai pris le parti de l'humaniser pour lui donner - je n'ose pas dire la vie - un peu de souffle. Quand on donne un caractère à un visage, c'est la même chose. À partir du moment où le caractère cohérent est donné, on ne sait plus ce qui a été modifié. Mais, si vous n'aviez pas osé le faire par petites touches, peut-être seriez-vous passé à côté de pas mal de choses.

La technique n'est pas la même. Quand on fait cela, on est habité par d'autres propos qu'on a du mal à expliquer la tête froide, à moins d'être un professeur. L'art, c'est la liberté, la liberté d'expression. L'essentiel est que ça plaise à celui qui le fait, avant.


Pierre Barbancey. Dans votre travail de sculpture proprement dit, à quelles explorations nouvelles vous a conduit " Little Big Horn " ?

Ousmane Sow. Cela m'a permis de me libérer de mes réserves vis-à-vis de la couleur. Il y avait des habits, des instruments, des chevaux à réaliser. Donc, pour la première fois, j'ai utilisé une gamme de couleurs assez significatives. Auparavant, je me cantonnais à deux ou trois couleurs maximum. C'est une nouveauté pour moi.

C'est une question de mûrissement. Il faut qu'il y ait une certaine compréhension de ce qu'on veut transmettre comme langage. Si on prend la sculpture comme mode d'expression, je pense qu'introduire des couleurs alors qu'on ne le faisait pas avant paraît tout à fait naturel. Je ne voulais pas dramatiser la guerre à outrance. C'est une scène dramatique qui part de la confrontation de deux êtres, même deux races. Il fallait adoucir un peu, en ne mettant volontairement pas de sang, pas de plaies sur les corps. En ne mettant pas que du bleu pour les soldats. Il ne fallait pas non plus exagérer parce que ce n'était pas carnaval.

Il est des couleurs qui peuvent donner l'atmosphère de guerre tout en développant une certaine tranquillité. Ce n'était pas calculé. C'est quelque chose que j'ai voulu introduire. En réalité, en commençant à travailler, je n'étais pas tellement téméraire sur les couleurs. En construisant ma maison, je me suis laissé aller à la peindre de toutes les couleurs. J'ai trouvé ça agréable, donner de la couleur aux choses. Mais je n'ai pas transigé sur ce que je voulais dire. À partir de ce moment, les couleurs devenaient anecdotiques. C'est pour le regard, pour le plaisir de faire des mélanges. Si les formes avaient été ratées, la couleur n'aurait été d'aucun secours. La couleur, c'est un support. J'ai essayé de traduire la vie courante, sans faire de misérabilisme, c'est-à-dire rien que du noir ou du marron ou du bleu. Ça aurait été glacé.


Pierre Barbancey. Après cette expérience, la couleur va désormais vous accompagner ?

Ousmane Sow. Je n'ai pas de préjugés. Je peux revenir à quelque chose de monocolore. Je vais peut-être attaquer une nouvelle série, consacrée aux Égyptiens. Il y a énormément de couleurs, je vais peut-être reconduire ce que j'ai fait ici. Je ne sais pas encore.

Pierre Barbancey. En revanche, vous avez continué à utiliser le même type de matériau...

Ousmane Sow. C'est variable. Il y a tout de même une base, un produit contenu dans un fût qui macère pendant de longues années. Mais, une fois sortie, je peux ajouter, retrancher, épaissir, fluidifier. Je fais ce que je veux avec ce matériau de base. C'est la chance que j'ai. Lorsque vous êtes en face d'un bloc qu'il faut tailler, si vous loupez votre coup, vous faites un trou. Moi, je peux faire avec autant de finesse que possible.

Pierre Barbancey. La sculpture traditionnelle sénégalaise, et plus généralement africaine, vous influence-t-elle ?

Ousmane Sow. Quelque chose d'insensible. Quand on voit mes sculptures, même si je traite des Blancs, on s'aperçoit que c'est un Africain qui a travaillé. C'est en cela que je suis un sculpteur africain, alors que je m'adresse à tout le monde. Il y a quelque chose qui est en moi. Je suis un sculpteur d'Afrique mais pas d'art africain. Je crois que mon travail dépasse l'Afrique.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey
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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 20:20
Donald Trump, idole de la droite coloniale israélienne (Sylvain Crepel, Orient XXI- lundi 28 novembre 2016)

Vers l’installation de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem ?

Sylvain Cypel, Orient XXI, lundi 28 novembre 2016

L’élection de Donald Trump a été largement célébrée en Israël, l’un des seuls pays où l’opinion lui était largement favorable. La droite israélienne espère qu’il mettra un terme à la critique — purement formelle — de la colonisation, voire qu’il acceptera de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.

Dans aucun autre pays au monde la détestation de Barack Obama par une majorité de l’opinion et l’espoir de voir élu Donald Trump n’auront été aussi manifestes qu’en Israël. Pour beaucoup d’Israéliens, la victoire inattendue du Donald, « The Donald », comme disent les Américains, a fait figure de divine surprise. Ministre de l’intérieur et dirigeant du parti sioniste religieux séfarade Shas, Aryeh Deri, a ainsi déclaré : « Nous devons réellement être entrés dans des temps messianiques pour que tout tourne aussi favorablement pour le peuple d’Israël. » [1]. Plus prosaïquement, le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, chef du Foyer juif, un parti religieux ultranationaliste fer-de-lance de la colonisation des territoires palestiniens a déclaré que « l’ère de l’État palestinien est terminée » [2].

« Changement d’atmosphère »

Ce que la droite coloniale, majoritaire au Parlement israélien, attend prioritairement de cette élection, c’est d’abord un « changement d’atmosphère ». Jusqu’ici, sous Obama, et parfois même sous George W. Bush ou Bill Clinton auparavant, Israël se heurtait à un refus américain public lorsqu’il entreprenait un nouveau projet colonial d’envergure. Même si Washington opposait son veto à toute résolution contraignante au Conseil de sécurité des Nations unies, son opposition formelle bridait la marge de manœuvre du gouvernement israélien. L’espoir, exprimé par nombre d’élus de la droite, est que désormais les États-Unis regarderont systématiquement ailleurs sur l’enjeu de la colonisation. Ou, mieux, qu’ils cesseront officiellement d’y voir « un obstacle à la paix » – ce que Jason Greenblatt, un proche conseiller du « Donald », a laissé entendre deux jours après son élection [3].

La victoire de Trump a donc été instantanément « perçue par la droite israélienne comme l’occasion d’augmenter la construction de colonies » [4]. Ses membres espèrent que ce nouveau président facilitera aussi l’extension de la politique de démolition des maisons palestiniennes, en particulier à Jérusalem-Est. Leur priorité va au lancement de chantiers coloniaux auxquels l’administration Obama s’était fraîchement opposée, en particulier dans trois secteurs nommés E1, Givat Eitam et Givat Hamatos. Leur construction créerait une continuité territoriale isolant définitivement Jérusalem-Est de son environnement palestinien. Les plans israéliens sont prêts depuis longtemps, mais jusqu’ici Benyamin Nétanyahou n’a pas autorisé les mises en chantier. « Tout progrès de ces plans dans les mois à venir indiquerait un changement d’atmosphère entre Jérusalem et Washington » [5].

D’autres plans d’extension des colonies attendent un aval officiel. De même, dès le 9 novembre, lendemain de la victoire de Trump, les députés de la droite coloniale, majoritaires, approuvaient en lecture préliminaire une loi légalisant les colonies israéliennes dites « illégales » en Cisjordanie et empêchant leur démolition [6]. Nétanyahou, attendant de voir les premières mesures de Trump, s’y opposait. Mais, après une semaine de négociations pour préserver sa coalition, il finissait par s’y rallier.

Des déclarations contradictoires

Emplie d’un sentiment euphorique, la droite coloniale israélienne attend d’autres décisions de la nouvelle administration américaine. La plus symbolique touche au déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. La seconde à l’abandon de la perspective consacrant l’établissement futur côte à côte de deux États, Israël et un État palestinien, vivant « en paix et en sécurité ». Au coin des rues Hebron et Yanovski, à Jérusalem-Ouest, existe un lot que les Américains ont acquis en 1982 pour y ériger leur future ambassade. Depuis, aucune construction n’y a été lancée. De fait, tous les présidents américains, depuis Ronald Reagan, ont promis un jour à l’American Israel Public Affairs Committe (Aipac), le lobby pro-israélien de Washington, d’installer leur ambassade à Jérusalem. Mais aucun n’a donné la moindre suite à cette promesse.

Trump la mettra-t-il en œuvre ? Avant son élection, son conseiller David Friedman a déclaré que si le département d’État jugeait que déplacer l’ambassade serait « contraire à la politique américaine » de tout temps, le nouveau président leur répondrait : « Vous êtes virés » [7]. Bref, il passerait outre. Mais son autre conseiller Walid Phares a déclaré à la BBC que l’ambassade ne serait pas déplacée à Jérusalem sans « consensus ». Autant dire que ce ne serait pas pour demain…

Qui croire ? Ce qui est certain, c’est que donner réalité à cette promesse serait un précédent politique à la portée considérable. Le statut de la ville, qui devait être « internationalisée » selon le plan onusien de partage de la Palestine du 29 novembre 1947, n’a plus été rediscuté depuis sa division en 1948 entre Israël et la Jordanie, puis la conquête de sa partie orientale en juin 1967 par Israël. De sorte qu’à ce jour, aucun pays n’a installé son ambassade à Jérusalem, les États-Unis pas plus qu’un autre. Israël considère que « Jérusalem unifiée » est sa « capitale éternelle et indivisible ». Mais cette « capitale » et l’annexion de sa partie orientale palestinienne ne sont reconnues par aucun autre pays. Déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem avant la signature d’un accord de paix entre Israël et les Palestiniens serait perçu par les Israéliens, à juste titre, comme un soutien radical à leur refus de partager la Palestine historique entre les deux peuples. Et par le monde arabe et musulman (et le reste du monde) comme une provocation. Si cela advenait, estime Mahmoud Jaraba, du Carnegie Endowment for International Peace, un tel acte américain « pourrait déclencher un nouveau cycle de violences et d’instabilité » dans toute la région [8].

Des conseillers très spéciaux

Quant à l’abandon officiel de la perspective d’un État palestinien, la droite coloniale israélienne se réjouit des premières nominations effectuées par Donald Trump. Au début de sa campagne électorale, « le Donald » avait lancé des signes contradictoires qui avaient inquiété en Israël. Il avait ainsi annoncé qu’il adopterait une position « en quelque sorte neutre » dans le conflit israélo-palestinien. Mais il s’est vite entouré d’un groupe de conseillers sur le Proche-Orient tous proches de l’extrême droite israélienne. Élu, il a fait de Steve Bannon son « conseiller stratégique » à la Maison Blanche, un homme connu pour son racisme avéré envers les Noirs, son machisme sidérant envers les femmes, sa xénophobie alimentée d’une islamophobie outrancière sur les enjeux migratoires, et même son antisémitisme, dénoncé par la Ligue anti-diffamation (LAD), le plus important organisme de lutte contre l’antisémitisme aux États-Unis. Un homme connu, aussi, pour son indéfectible soutien à la droite coloniale israélienne. Bannon devait être récemment l’invité d’honneur du diner annuel de la Zionist Organization of America, une formation sioniste d’extrême droite. Sur la pression de la LAD, il a renoncé à s’y rendre.

Pour le conseiller sur le conflit israélo-palestinien, Trump a fait appel à deux personnes très liées à cette droite coloniale israélienne. L’avocat d’affaires Jason Greenblatt a étudié dans une école rabbinique d’une colonie de Cisjordanie, et David Friedman, un ex-chroniqueur de la radio des colons en Israël, Aroutz Sheva, a présidé les Amis américains de Bet El, un fonds de soutien financier aux colons israéliens. Les deux hommes ont beaucoup œuvré à faire enlever toute référence à la « solution à deux États » de la plateforme du parti républicain pour cette élection, pour la première fois depuis trente ans. Parmi les autres conseillers proches de Trump, on trouve encore Walid Phares, un ex-responsable des Phalanges chrétiennes libanaises devenu aux États-Unis un membre actif du Centre pour la politique sécuritaire, un think tank (cercle de réflexion) qui a fait de l’islamophobie son fonds de commerce. Son fondateur, Frank Gaffney, est l’auteur de rapports conspirationnistes sur l’infiltration de la Maison Blanche par les Frères musulmans sous Obama.

Entourée de cette fière équipe, Trump a multiplié les déclarations de soutien à la politique de Nétanyahou. Mais, trois jours après son élection, il laissait entendre qu’il chercherait à amener Israéliens et Palestiniens à une « paix finale »… tout en réitérant que les colonies israéliennes ne sont « pas un obstacle » à la paix. Certains ont voulu y voir la poursuite de l’ambiguïté trumpienne. De fait, Nétanyahou a initialement réagi avec circonspection à l’égard de Trump. Pour deux raisons. D’abord, son propre réseau de relations politiques aux États-Unis est très ancré dans les milieux néoconservateurs, que Trump a beaucoup violentés durant sa campagne en répétant que la guerre en Irak avait été une erreur. Ensuite, la tonalité de la campagne de Trump était plébiscitée par l’importante fraction fascisante de son gouvernement, emmenée par Naftali Bennett, principal adversaire potentiel de Nétanyahou en cas d’élections. Mais après que Trump a emporté les élections primaires républicaines, Nétanyahou a vite tourné casaque. Son financier politique personnel, le magnat des casinos de Las Vegas et de Macao Sheldon Adelson, qui s’était tenu à l’écart du Donald, a dès lors lui aussi décidé de lui apporter son aide.

Silence sur le conflit israélo-palestinien

Nétanyahou prépare son premier rendez-vous avec Trump, lorsqu’il se rendra à la conférence annuelle de l’Aipac, du 26 au 28 mars. Selon l’ex-haut diplomate et député travailliste israélien Uri Savir, l’« objectif le plus important » du premier ministre israélien consistera à obtenir des États-Unis un « engagement tacite » pour cesser de critiquer publiquement la construction de colonies et bloquer toute initiative européenne sur le conflit israélo-palestinien « telle que l’initiative française sur la création de deux États », ainsi qu’un engagement ferme pour opposer son veto à toute velléité visant à fixer à l’ONU les « conditions de référence pour une solution à deux États » [9]. Nétanyahou tentera de persuader Trump que la question palestinienne a perdu de son importance dans la région et qu’il faut concentrer les efforts contre « le terrorisme fondamentaliste » musulman, sans distinction : qu’il s’agisse de l’organisation de l’État islamique (OEI), du Hezbollah ou du Hamas. Il cherchera aussi à le convaincre d’accroître les sanctions contre l’Iran, à défaut de pouvoir dénoncer l’accord avec Téhéran sur le nucléaire. Enfin, visiblement, Nétanyahou s’inquiète aussi d’un trop grand rapprochement américano-russe sur le dossier syrien. « Si Trump s’engage dans une réconciliation avec Poutine, écrit le spécialiste militaire du quotidien Haaretz, Amos Harel, cela constituera un formidable succès pour le régime de Bachar Al-Assad – et ce ne sera clairement pas une bonne nouvelle pour Israël, vu l’alliance d’Assad tant avec l’Iran qu’avec le Hezbollah » [10].

Quant aux Palestiniens, totalement oubliés de la campagne américaine — seul le sort des Israéliens comptait —, ils interprètent l’élection de Donald Trump, écrit Amira Hass, comme un signe supplémentaire du déclin continu de la place des Etats-Unis dans le monde [11]. La population n’imagine pas que cette élection puisse noircir plus qu’il ne l’est déjà un quotidien socialement très difficile et politiquement sans issue. Quant à l’Autorité palestinienne, elle balance entre la crainte de se voir bientôt privée, comme l’exige une partie de l’entourage du magnat américain, des subsides américains qui lui permettent d’exister, et l’idée que l’état de droit américain devrait brider les éventuelles velléités de Trump de modifier la ligne diplomatique historique de son pays, et préserver ainsi la perspective, aujourd’hui sans matérialité, d’un futur « État palestinien ».

[3Felicia Sanchez, « Trump Adviser : Israeli Settlement Building Not an Impediment to Peace », The Wall Street Journal, 10 novembre 2016.

[4Yotam Berger et Nir Hasson, « For Israel’s Right, Trump’s Election Heralds Settlement Construction Surge », Haaretz, 13 novembre 2016.

[5Idem.

[6Israël distingue les colonies « légales », établies en Cisjordanie ou sur le Golan syrien, mises en place sous autorité gouvernementale, des « illégales », érigées sur des terres palestiniennes par des militants de la colonisation sans accord du gouvernement. Selon les Nations unies, les unes comme les autres sont illégales au regard du droit international. Historiquement, les entités dites « illégales » sont vite protégées par l’armée et raccordées au réseau routier, électrique et téléphonique israélien avant, dans leur immense majorité, d’être un jour reconnues « légales » par l’État.

[7Référence à la célèbre émission de téléréalité américaine The Apprentice : You’re Fired lancée avec Donald Trump en 2004.

[8Mahmoud Jaraba, « Crushing Hopes of a Two-States Solution », in The implications of a Trump Presidency in the Middle-East, Carnegie Endowment for International Peace, 9 novembre 2016.

[9Uri Savir, « What Netanyahu wants from Trump », Al Monitor, 13 novembre 2016.

[10Amos Harel, « Israel prepares for the Age of Trump », Foreign Policy, 15 novembre 2016.

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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 20:18
Après la réélection d’Abbas, l’impasse pour les palestiniens

Le Congrès du Fatah, le principal mouvement de l’OLP vient de se réunir mardi à Ramallah pour la première fois depuis sept ans et il vient de réélire à sa tête, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne qui a 81 ans. Ce qui en dit long sur la paralysie du processus politique en Palestine et sur l’impase de la relation avec Israël. Au micro d’Europe1, le rédacteur-en-chef international du JDD, François Clemenceau.

François Clemenceau, Journal du Dimanche, mercredi 30 novembre 2016

Ce qu’il y a de terrible dans cette réélection de Mahmoud Abbas, c’est que tout le monde aimerait bien que la Palestine puisse devenir une vraie démocratie avec des institutions qui représentent vraiment la totalité de la population et notamment sa jeunesse. Or les jeunes palestiniens qui ont 18 ans aujourd’hui n’ont jamais connu au pouvoir que Mahmoud Abbas depuis la mort de Yasser Arafat en 2004. Il est le patron du Fatah, donc, mais aussi de l’OLP et de l’Autorité palestinienne, tous les pouvoirs exécutifs concentrés entre ses seules mains.

Plus grave, ces leviers de pouvoirs sont des plus faibles. L’occupation israélienne de l’armée et des colons ne laisse à Mahmoud Abbas qu’un contrôle sur à peine 40% de la Cisjordanie tandis qu’à Gaza, c’est le Hamas, la faction islamiste rivale qui contrôle le territoire, entièrement encerclé par Israël et totalement dépendant de l’Etat hébreu pour son approvisionnement et son économie.

On aurait pu se dire dans de telles conditions que le mieux était peut-être de passer la main et de laisser une nouvelle génération reprendre le flambeau, mais ce n’est pas pour demain. Parce qu’il n’y a pas en fait trente six alternatives. Il n’y a personne aujourd’hui pour incarner une politique plus accommodante vis-à-vis des israéliens. Et c’est d’ailleurs le problème de Mahmoud Abbas, accusé par les éléments les plus radicaux d’être ni plus ni moins qu’un collaborateur d’Israël.

Des discordances au sein même du Fatah

Il existe en revanche des voix plus fortes au sein même du Fatah et en dehors, celles qui viennent de la société civile notamment, et qui réclament d’abord un énorme effort contre la corruption qui continue de gangrener sérieusement la direction palestinienne, en particulier les cercles les plus proches d’Abbas.

Il y a également la voix dissonante de Mohammed Dahlan l’ancien patron de la sécurité palestinienne à Gaza, exclu du Fatah et qui vit en exil aux Emirats arabes unis. Lui en appelle à un renouvellement de génération, à la libération du héros de l’intifada Mahmoud Barghouti et à une posture plus offensive face à Israël. Ces réformateurs seront-ils entendus ? Ce n’est pas le cas à ce stade. La seule concession du clan Abbas tient dans la création d’un poste de N°2 du Fatah qui sera élu la semaine prochaine et qui deviendra aussi le n°2 de l’OLP, autrement dit un très probable successeur. Mais pour quoi faire ? On ne le sait pas.

Il faudrait qu’Israël de son côté fasse preuve d’ouverture pour un retour au processus de paix. Or de ce côté-là, tout est gelé avec Benjamin Netanyahou, lui même otage de ses propres alliés nationalistes et religieux. Et ce n’est pas Donald Trump à la Maison Blanche qui tordra le bras aux dirigeants israéliens pour renégocier une solution à deux Etats. Tout cela ressemble, pour les Palestiniens et pour toux ceux qui souhaitent sortir de cette paix introuvable, à un immense gâchis.

(revue de presse de l'AFPS) 

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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 07:18
La fuite ou la mort: le choix terrible des Alepins de l'est (L'Orient le jour, Caroline Hayec - 29 novembre 2016)

 

« Je pense emmener ma famille du côté de la ville tenu par le régime. Dieu seul sait ce qu'il adviendra de nous. Ne m'écrivez plus, je ne veux pas avoir de problèmes une fois passé à l'Ouest. Je ne veux pas qu'ils me torturent. Merci et que Dieu vous garde. » Comme Adnane*, des milliers d'habitants des quartiers est d'Alep ont perdu tout espoir de voir les forces rebelles vaincre celles du régime et de ses alliés et préfèrent l'exode à une mort probable.

Après quatre mois de siège, et plus de 10 jours après le lancement de la plus grande offensive jamais engagée contre les zones qui échappent au contrôle de Damas, la population a sombré dans le plus profond désarroi Un tiers du bastion rebelle a cédé lors des assauts des forces du régime sur le terrain, en concomitance avec des bombardements d'une violence sans précédent. Des milliers d'habitants auraient déjà fui les zones sinistrées pour se réfugier en zone gouvernementale. Selon l'OSDH, ils seraient près de 10 000, dont 6 000 partis en direction de la petite enclave de Cheikh Maksoud contrôlée par les forces kurdes.

Selon un activiste sur place, contacté par L'Orient-Le Jour, ces familles auraient été ensuite transférées vers les zones contrôlées par le régime. D'autres ont fait état de camions entrant dans les quartiers rebelles, et de familles amassant leurs affaires à la hâte, notamment à al-Chaar, où les bombardements ont été extrêmement intenses hier. Après des mois de résistance, rythmés par la faim et les bombes, des habitants se sont donc résignés à fuir les quartiers assiégés. Aucune information fiable n'est venue confirmer ce qu'il est advenu de ces familles. « On veut partir c'est certain. Qui a envie d'affronter la mort ? Si Dieu veut nous garder en vie, alors il faut qu'on parte. Mais où ira-t-on, ça je l'ignore », confie Tarek*, un père de famille. Hier dans la soirée, Amnesty International a appelé les forces gouvernementales syriennes à veiller à ce que les civils vivant dans les zones capturées puissent circuler librement et soient protégés contre la détention arbitraire, la torture, la disparition forcée ou le harcèlement.

 

(Repère : Retour sur une année d'offensives sur Alep-Est)

 

Témoins de l'horreur
« C'est la pire des catastrophes humanitaires qui se déroule en ce moment même », témoigne Amir, un photographe des quartiers est. Malgré l'horreur dont il est doublement témoin, le photoreporter s'est-il résolu à tout abandonner pour se rendre en zone gouvernementale ? « Sûrement pas ! Les photographes sont les ennemis numéro 1 du régime », ironise-t-il. Comme Amir, Joumana refuse de s'en remettre aux forces adverses. « Les bombardements sont fous, c'est du jamais-vu, mais mon Dieu non, je ne partirai pas », dit-elle, espérant encore que la situation « s'améliore ».

« Physiquement je n'ai rien, mais moralement je suis à bout. Ma femme a terriblement peur. Mais je n'irai jamais du côté du régime, car ça veut dire choisir la mort à coup sûr. Je préfère mourir dans ma ville », confie également Yasser. Un professeur d'anglais et activiste a préféré tromper la mort en continuant à donner des cours hier après-midi. « Malgré la situation horrible aujourd'hui (hier), mes élèves ont insisté pour venir en classe », dit-il face à la caméra de son téléphone, via l'application Périscope, permettant de transmettre les images en direct.

« Je leur ai demandé de me décrire leurs vacances. (...) Je leur souhaite un avenir brillant, même si je sais que durant les prochains jours je risque de perdre certains d'entre eux », avoue-t-il.
Dans certains foyers, le désarroi est total. « Si ça continue comme cela, ce sera un carnage. Qu'est-ce qui va nous arriver ? Allons-nous tous mourir comme ça ? lance Ahmad, effondré, alors que son épouse est sur le point d'accoucher, d'un jour à l'autre, de jumeaux. Il n'y a plus d'hôpitaux, plus de médicaments, j'ai peur pour ma famille. Pourquoi le monde ne fait-il rien pour nous ? Je me pose la question sans arrêt et je ne trouve pas de réponse. »

* Les prénoms ont été changés pour des raisons de sécurité.

 

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En Syrie, tôt ou tard, les rebelles seront dans une logique de guerre de « libération nationale »

Ces billets doux que le régime envoie aux habitants d'Alep-Est...

 

 

Et sur le Chiffon Rouge: 

Syrie: la droite française prône un rapprochement avec la Syrie de Poutine, alliée du régime criminel et illégitime de Bachar al-Assad (Médiapart, 2 novembre)

Infos Syrie Résistance: avec le peuple syrien, ni Bachar, ni Daech! : Quelques conséquences possibles de l’échec de l’accord russo-américain sur la Syrie, par Ziad Majed

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28 novembre 2016 1 28 /11 /novembre /2016 09:57
Fidel Castro, un géant du XXème siècle (José Fort, L'Humanité, 26 novembre 2016)

Un récit de José Fort. Rarement un révolutionnaire, un homme d’Etat aura provoqué autant de réactions aussi passionnées que Fidel Castro. Certains l’ont adoré avant de le brûler sur la place publique, d’autres ont d’abord pris leurs distances avant de se rapprocher de ce personnage hors du commun. Fidel Castro n’a pas de pareil. 

Il était « Fidel » ou le « Comandante » pour les Cubains et les latino-américains, pas le « leader maximo », une formule ânonnée par les adeptes européo-étatsuniens du raccourci facile. Quoi qu’ils en disent, Fidel Castro restera un géant du XXe siècle.

Le jeune Fidel, fils d’un aisé propriétaire terrien, né il y a 90 ans à Biran dans la province de Holguin, n’affiche pas au départ le profil d’un futur révolutionnaire. Premières études chez les Jésuites, puis à l’université de La Havane d’où il sort diplômé en droit en 1950. Il milite dans des associations d’étudiants, tape dur lors des affrontements musclés avec la police dans les rues de la capitale, puis se présente aux élections parlementaires sous la casaque du Parti orthodoxe, une formation se voulant « incorruptible » et dont le chef, Chivas, se suicida en direct à la radio. Un compagnon de toujours de Fidel, Alfredo Guevara, fils d’immigrés andalous et légendaire inspirateur du cinéma cubain, dira de lui : « Ou c’est un nouveau José Marti (le héros de l’indépendance), ou ce sera le pire des gangsters ». 
 
Le coup d’Etat du général Fulgencio Batista renverse le gouvernement de Carlos Prio Socarras et annule les élections. Voici le jeune Castro organisant l’attaque armée de la caserne Moncada, le 26 juillet 1953. Un échec. Quatre-vingts combattants sont tués. Arrêté et condamné à 15 ans de prison, Fidel rédige « l’Histoire m’acquittera », un plaidoyer expliquant son action et se projetant sur l’avenir de son pays. Libéré en 1955, il s’exile avec son frère Raul au Mexique d’où il organise la résistance à Batista. Son groupe porte le nom « Mouvement du 26 juillet ». Plusieurs opposants à la dictature rejoignent Fidel. Parmi eux, un jeune médecin argentin, Ernesto Rafael Guevara de la Serna. Son père me dira plus tard : « Au début, mon fils le Che était plus marxiste que Fidel ».
 
Fidel communiste ? Fidel agent du KGB ? Fidel Castro à cette époque se définit comme un adversaire acharné de la dictature, un adepte de la philosophie chère à Thomas Jefferson, principal auteur de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, et adhère au projet de Lincoln de coopération entre le capital et le travail. Raul et plusieurs de ses compagnons sont nettement plus marqués à gauche.
 
Le 2 décembre 1956, Fidel monte une expédition avec 82 autres exilés. Venant du Mexique à bord d’un bateau  de plaisance, le « Granma », ils débarquent après une traversée mouvementée dans la Province Orientale (sud-est de Cuba). La troupe de Batista les y attend. Seuls 12 combattants (parmi lesquels Ernesto Che Guevara, Raul Castro, Camilo Cienfuegos et Fidel) survivent aux combats et se réfugient dans la Sierra Maestra. Commence alors une lutte de guérilla avec le soutien de la population. Fidel Castro apparaît au grand jour dans les journaux nord-américains et européens, accorde des interviews, pose pour les photographes, parle sur les radios. A Washington, on ne s’en émeut guère lassés des frasques d’un Batista peu présentable. Après l’entrée de Fidel dans La Havane, le 9 janvier 1959, on observe avec intérêt ce « petit bourgeois qui viendra à la soupe comme tout le monde », ricane-t-on au département d’Etat. Même le vice-président Nixon mandaté pour le recevoir afin de vérifier s’il est communiste soufflera à Eisenhower : « C’est un grand naïf, nous en ferons notre affaire ».  Tant que Fidel ne s’attaque pas à leurs intérêts économiques, les dirigeants étasuniens ne s’alarment pas. Lorsque la révolution commence à exproprier des industries nord-américaines, la United Fruit par exemple, la donne change brutalement.
 
Le premier attentat dans le port de La Havane, le 4 mars 1960, sonne le prélude à une longue liste d’actes terroristes : le cargo battant pavillon tricolore, La Coubre, qui avait chargé des munitions à Hambourg, Brème et Anvers explose dans le port de La Havane faisant plus de cent morts, dont six marins français. Ulcéré, le général de Gaulle donne l’ordre d’accélérer la livraison des locomotives commandées du temps de Batista. Elles font l’objet d’étranges tentatives de sabotage. Les dockers CGT du port du Havre surveilleront le matériel jusqu’au départ des navires.
 
Une opération de grande envergure se préparait du côté de Miami : le débarquement de la Baie des Cochons. En avril 1961, au lendemain de l’annonce par Fidel de l’orientation socialiste de la révolution, le gouvernement des Etats-Unis missionne la CIA pour encadrer 1400 exilés cubains et mercenaires latino-américains en espérant, en vain, un soulèvement populaire. Fidel en personne dirige la contre-attaque. La tentative d’invasion se solde par un fiasco. Les Etats-Unis signent là leur déclaration de guerre à la révolution cubaine. Pendant des dizaines d’années, ils utiliseront toute la panoplie terroriste pour tenter d’assassiner Fidel, jusqu’à la combinaison de plongée sous-marine enduite de poison, faciliteront le débarquement de groupes armés, financeront et manipuleront les opposants, détruiront des usines, introduiront la peste porcine et des virus s’attaquant au tabac et à la canne à sucre. Ils organiseront l’asphyxie économique de l’île en décrétant un embargo toujours en vigueur. « El Caballo » (le cheval) comme l’appelaient parfois les gens du peuple, ce que Fidel n’appréciait pas, aura survécu à Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, Ford et assisté aux départs à la retraite de Carter, Bush père et Clinton. Il dira de Bush fils « celui là, il finira très mal. »  
 
Tant d’années d’agressions, tant d’années de dénigrement et de coups tordus, tant d’années de résistance d’un petit pays de douze millions d’habitants face à la première puissance économique et militaire mondiale. Qui fait mieux ? Lorsqu’on évoque le manque de libertés à Cuba, ne faudrait-il pas d’abord se poser la question : un pays harcelé, étranglé, en guerre permanente, constitue-t-il le meilleur terreau pour favoriser l’épanouissement de la démocratie telle que nous la concevons en occident et que, à l’instar de George Bush, certains souhaiteraient calquer mécaniquement en d’autres endroits du monde, particulièrement dans le Tiers monde? Lorsque dans les salons douillets parisiens, on juge, tranche, condamne, sait-on au juste de quoi on parle ?
 
La crise des fusées ? Lorsque l’URSS dirigée par Nikita Khrouchtchev décide en 1962 d’installer à Cuba des missiles afin, officiellement, de dissuader les Etats-Unis d’agresser l’île, la « patrie du socialisme » répond à une demande de Raul Castro mandaté par Fidel. La direction soviétique fournit déjà à Cuba le pétrole que lui refuse son proche voisin. Elle met deux fers au feu : dissuader les Etats-Unis d’agresser Cuba, afficher un clair avertissement à Washington sur l’air de « nous sommes désormais à proximité de vos côtes ». La tension atteint un point tel qu’un grave conflit mondial est évité de justesse. Les missiles soviétiques retirés, Fidel regrettera que le représentant de l’URSS à l’ONU n’ait pas reconnu la réalité des faits. « Il fallait dire la vérité », disait-il. Il fut bien obligé de se plier à la décision finale de Moscou même si dans les rues de La Havane des manifestants scandaient à l’adresse de Khrouchtchev : « Nikita, ce qui se donne ne se reprend pas. »
Entre Moscou et La Havane, au-delà des rituels, les relations ont toujours été conflictuelles. Pas seulement, pure anecdote, parce que des « responsables » soviétiques ignorants faisaient livrer des chasse-neige à la place des tracteurs attendus. Les Soviétiques voyaient d’un mauvais œil le rôle croissant de Fidel dans le mouvement des non alignés, l’implication cubaine aux côtés des mouvements révolutionnaires latino-américains puis l’aide à l’Afrique. Ils ne supportaient pas la farouche volonté d’indépendance et de souveraineté de La Havane et ont été impliqués dans plusieurs tentatives dites « fractionnelles » reposant sur des prétendus « communiste purs et durs », en fait marionnettes de  Moscou, pour tenter de déstabiliser Fidel. Une fois l’URSS disparue, les nouveaux dirigeants russes ont pratiqué avec le même cynisme abandonnant l’île, coupant du jour au lendemain les livraisons de pétrole et déchirant les contrats commerciaux. Quel autre pays aurait pu supporter la perte en quelques semaines de 85% de son commerce extérieur et de 80% de ses capacités d’achat ?  L’Espagne, ancienne puissance coloniale, a laissé à Cuba un héritage culturel, les Etats-Unis son influence historique et ses détonants goûts culinaires comme le mélange de fromage et de confiture. Mais la Russie ? Rien, même pas le nom d’un plat ou d’un cocktail.
 
L’exportation de la révolution ?  Fidel n’a jamais utilisé le mot « exportation ». Ernesto Che Guevara, non plus. Ils préféraient évoquer la « solidarité » avec ceux qui se levaient contre les régimes dictatoriaux, créatures des gouvernements nord-américains. Doit-on reprocher ou remercier Fidel d’avoir accueilli les réfugiés fuyant les dictatures du Chili et d’Argentine, de Haïti et de Bolivie, d’avoir ouvert les écoles, les centres de santé aux enfants des parias de toute l’Amérique latine et, plus tard, aux enfants contaminés de Tchernobyl ? Doit-on lui reprocher ou le remercier d’avoir soutenu les insurrections armées au Nicaragua, au Salvador et d’avoir sauvé, face à l’indifférence des dirigeants soviétiques, l’Angola fraîchement indépendante encerclée par les mercenaires blancs sud-africains fuyant, effrayés,  la puissance de feu et le courage des soldats cubains, noirs pour la plupart ? Dans la mémoire de millions d’hommes et de femmes d’Amérique latine et du Tiers monde, Fidel et le Che sont et resteront des héros des temps modernes.
 
Les libertés ? Fidel, un tyran sanguinaire ? Il y eut d’abord l’expulsion des curés espagnols qui priaient le dimanche à la gloire de Franco. Complice de Batista, l’église catholique cubaine était et demeure la plus faible d’Amérique latine alors que la « santeria », survivance des croyances, des divinités des esclaves africains sur lesquels est venue se greffer la religion catholique, rassemble un grand nombre de noirs cubains. Les relations avec l’Eglise catholique furent complexes durant ces longues années jusqu’au séjour de Jean Paul II en 1998 annoncée trop rapidement comme l’extrême onction de la révolution. Ce n’est pas à Cuba que des évêques et des prêtres ont été assassinés, mais au Brésil, en Argentine, au Salvador, au Guatemala et au Mexique.
Il y eut la fuite de la grande bourgeoisie, des officiers, des policiers qui  formèrent, dès la première heure, l’ossature de la contre révolution encadrée et financée par la CIA. Il y eut ensuite les départs d’hommes et de femmes ne supportant pas les restrictions matérielles. Il y  eut l’insupportable marginalisation des homosexuels. Il y eut les milliers de balseros qui croyaient pouvoir trouver à Miami la terre de toutes les illusions. Il y eut la froide exécution du général Ochoa étrangement tombé dans le trafic de drogue. Il y eut aussi ceux qui refusaient la pensée unique, la censure édictée par la Révolution comme « un acte de guerre en période de guerre », les contrôles irritants, la surveillance policière. Qu’il est dur de vivre le rationnement et les excès dits « révolutionnaires ». Excès? Je l’ai vécu, lorsque correspondant de « l’Humanité » à La Havane, l’écrivain Lisandro Otero, alors chef de la section chargée de la presse internationale au Ministère des Affaires étrangères, monta une cabale de pur jus stalinien pour tenter de me faire expulser du pays. 
 
Ceux qui osent émettre une version différente d’un « goulag tropical » seraient soit des « agents à la solde de La Havane », soit victimes de cécité. Que la révolution ait commis des erreurs, des stupidités, des crimes parfois n’est pas contestable. Mais comment, dans une situation de tension extrême, écarter les dérives autoritaires? 
 
A Cuba, la torture n’a jamais été utilisée, comme le reconnaît Amnesty international. On tranchait les mains des poètes à Santiago du Chili, pas à la Havane. Les prisonniers étaient largués en mer depuis des hélicoptères en Argentine, pas à Cuba. Il  n’y a jamais eu des dizaines de milliers de détenus politiques dans l’île mais un nombre trop important qui ont dû subir pour certains des violences inadmissibles. Mais n’est-ce pas curieux que tous les prisonniers sortant  des geôles cubaines aient été libérés dans une bonne condition physique ?
Voici un pays du Tiers monde où l’espérance de vie s’élève à 75 ans, où tous les enfants sont scolarisés et soignés gratuitement. Un petit pays par la taille capable de produire des universitaires de talent, des médecins et des chercheurs parmi les meilleurs au monde, des sportifs raflant les médailles d’or, des artistes, des créateurs.  Où, dans cette région du monde, peut-on présenter un tel bilan ?
 
Fidel aura tout vécu. La prison, la guérilla, l’enthousiasme révolutionnaire du début, la défense contre les agressions, l’aide internationaliste, l’abandon de l’URSS, une situation économique catastrophique lors de la « période spéciale », les effets de la mondialisation favorisant l’explosion du système D. Il aura (difficilement) accepté l’adaptation économique avec un tourisme de masse entraînant la dollarisation des esprits parmi la population au contact direct des visages pâles à la recherche de soleil, de mojito, de filles où de garçons. Comment ne pas comprendre les jeunes cubains, alléchés par l’écu ou le dollar, et regardant avec envie les visiteurs aisés venus de l’étranger ? Il aura, enfin, très mal supporté  le retour de la prostitution même si dans n’importe quelle bourgade latino-américaine on trouve plus de prostituées que dans  la 5 eme avenue de La Havane. Alors, demain quoi ?
 
Fidel mort, la révolution va-t-elle s’éteindre ? Il ne se passera pas à Cuba ce qui s’est produit en Europe de l’Est car la soif d’indépendance et de souveraineté n’est pas tarie. Les adversaires de la révolution cubaine ne devraient pas prendre leurs désirs pour la réalité. Il y a dans cette île des millions d’hommes et de femmes – y compris de l’opposition – prêts à prendre les armes et à en découdre pour défendre la patrie. Fidel avait prévenu en déclarant : « Nous ne commettrons pas l’erreur de ne pas armer le peuple. » Le souvenir de la colonisation, malgré le fil du temps, reste dans tous les esprits, les progrès sociaux enregistrés, au-delà des difficultés de la vie quotidienne, constituent désormais des acquis. Il y a plus. La révolution a accouché d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes refusant le retour au passé, des cadres « moyens » de trente à quarante ans très performants en province, des jeunes dirigeants nationaux aux talents confirmés. Une nouvelle époque va s’ouvrir et elle disposera d’atouts que Fidel n’avait pas. L’Amérique latine, ancienne arrière cour des Etats-Unis, choisit des chemins progressistes de développement, l’intégration régionale est en marche, le prestige de la révolution cubaine demeure intacte auprès des peuples latino-américains. Cuba, enfin, peut respirer.
Il n’y aura pas de rupture à Cuba. Il y aura évolution. Obligatoire. Pour qu’elle puisse s’effectuer dans les meilleures conditions, il faudra que les vieux commandants de la Révolution rangent leurs treillis vert olive, prennent leur retraite et passent la main. Les atlantes du futur, de plus en plus métissés, sont prêts. Ne sont-ils pas les enfants de Fidel ?
José Fort est un internationaliste passionné du monde, journaliste, ancien chef du service monde de l’Humanité.
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