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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:22
Recomposition politique et sociale - Lutte de classes en France - par Serge Halimi et Pierre Rimbert, Le Monde Diplomatique, février 2019

Recomposition politique et sociale

Lutte de classes en France

Au mouvement des « gilets jaunes » le chef de l’État français a répondu en lançant un « grand débat national ». Ce genre d’exercice postule que les conflits sociaux s’expliquent par des problèmes de communication entre le pouvoir et ses opposants, plutôt que par des antagonismes fondamentaux. Une hypothèse hasardeuse…

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:15
Institutions. Quand le Sénat atteint l’Élysée en visant Benalla
Jeudi, 21 Février, 2019

Le rapport de la commission d’enquête est sévère pour la présidence, dépeinte comme dépassée par les événements et en proie à de récurrents dysfonctionnements.

Comment « tout se déglingue ». On n’attend pas ce genre de langage familier au Sénat, ­surtout pas dans la bouche du ­sénateur Jean-Pierre Sueur (PS). Onctueux, le phrasé soigné, le corapporteur, avec Muriel Jourda (LR), de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla a, en toute fin de présentation, lâché ce verbe. À l’heure de remettre son rapport, la commission des Lois du Sénat a demandé hier des poursuites contre l’ex-collaborateur d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, mais aussi la saisine de la justice sur les déclarations des principaux collaborateurs du président. En raison des « dysfonctionnements majeurs » que la commission dit avoir mis au jour, les membres de la commission présidée par Philippe Bas (LR) demandent de saisir le parquet « des déclarations » d’Alexandre Benalla et de son comparse Vincent Crase. Ils soupçonnent un « faux témoignage » d’Alexandre Benalla sur le « périmètre de ses fonctions » à l’Élysée et « son rôle dans le dispositif de sécurité du chef de l’État », mais aussi sur l’utilisation de ses passeports diplomatiques. « L’Élysée nous a d’abord présenté Benalla comme un bon élément, puis, au fil de révélations dans la presse, comme un individu isolé, explique la sénatrice Muriel Jourda. En réalité, il évoluait dans un système dont les dysfonctionnements ont affecté la sécurité du chef de l’État. » Les sénateurs doutent même de l’effectivité des sanctions prises à l’encontre du chargé de mission après l’épisode du 1er Mai. Pas de retenue de salaire, mais sur ses droits à congés, seulement. Il peut le jour même renouveler son passeport diplomatique, obtenir un logement de fonction, et sa relégation à des tâches d’organisation connaît de sacrées entorses : il est de la panthéonisation de Simone Veil, du défilé du 14 Juillet, de la descente des Champs des Bleus le 16, et des déplacements privés du couple présidentiel, soulignent les rapporteurs.

Saisir la justice pour vérifier « un certain nombre d’omissions »

Le rapport de la commission d’enquête après six mois de travaux et 40 personnes entendues au cours de 34 auditions, parfois accablant pour l’Élysée, dessine un palais où « chacun se défausse sur l’autre de la responsabilité ». Il comporte aussi plusieurs révélations. C’est notamment pour avoir, déjà, demandé en vain un permis de port d’armes que Benalla s’est fait licencier par le ministre Arnaud Montebourg. Toujours soucieux de l’obtenir une fois à l’Élysée, Benalla rédige lui-même un argumentaire à destination de sa hiérarchie, envisageant même, en cas d’échec des voies normales, que le président prenne un… « arrêté confidentiel » pour le lui accorder.

Au centre de l’affaire la plus retentissante depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, Benalla et son associé Vincent Crase, ex-employé de la République en marche, ont dormi en prison mardi soir, après la révocation de leur contrôle judiciaire. Les deux sont en outre soupçonnés d’avoir menti au sujet du contrat de ­sécurité privée pour le compte du Russe Iskander Makhmudov, alors que les révélations du site Mediapart, peut-on lire dans la lettre que les rapporteurs adressent au président du Sénat pour les suites judiciaires, laissent supposer « l’implication de M. Alexandre Benalla dans la négociation dudit contrat alors que ce dernier était encore en fonction à l’Élysée ». Contrat qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête récente du parquet national financier.

Tout aussi explosif pour Emmanuel ­Macron, les commissaires demandent au bureau du Sénat de saisir la justice pour vérifier « un certain nombre d’omissions, d’incohérences et de contradictions » relevées lors des auditions des plus hauts collaborateurs du chef de l’État. Sont nommés le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et le chef de cabinet Patrick Strzoda, mais aussi le chef du groupe de sécurité de la présidence, le général Lionel Lavergne, soupçonnés d’avoir « retenu une part significative de la vérité » lors de leurs auditions. D’autres, non encore entendus, insistent les rapporteurs, pourraient faire l’objet d’enquêtes.

Le faux témoignage sous serment passible d’emprisonnement

La décision finale de saisir ou non la justice reviendra au bureau du Sénat, un organe où tous les groupes sont représentés. Le faux témoignage sous serment devant une commission d’enquête parlementaire est puni de cinq, voire sept ans d’emprisonnement, rappelle la commission. « Cela fait tout de même beaucoup, si bien que les faits constatés le 1er Mai apparaissent maintenant comme la partie émergée d’un iceberg », résume encore Philippe Bas. Le président de la commission des Lois liste notamment des « sanctions insuffisantes au départ, une justice tenue à l’écart, un permis de port d’armes irrégulier, un port d’une arme par Alexandre Benalla en présence du président de la République ». Mais aussi « non-respect des règles de déontologie sur les conflits d’intérêt, maintien en possession de M. Benalla d’un téléphone crypté, de passeports diplomatiques ou de service qui n’ont pas été récupérés, absence d’instructions données à la police aux frontières de ne pas permettre à M. Benalla de sortir au moyen de ses passeports diplomatiques ou de service ».

Comment « tout se déglingue » ne répond pas à la question pourquoi. Là, pourtant, Jean-Pierre Sueur revient sur l’extrême mansuétude dont a bénéficié l’ex-chargé de mission, dépeint comme autorité que personne ne peut contester à l’intérieur même de l’Élysée. Le genre de propos qui n’éteindra pas de sitôt la rumeur d’une protection venue du chef de l’État en personne.

Lionel Venturini
Institutions. Quand le Sénat atteint l’Élysée en visant Benalla (L'Humanité, Lionel Venturini, 21 février 2019)

Alexandre Benalla: nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat - Fabien Roussel, sécrétaire national du PCF

Nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat (Fabien Roussel)

Faux témoignages, parjures, port d'armes, conflits d'intérêt, fébrilité de l'exécutif, absence de sanctions... Le rapport de la commission d'enquête de Sénat est accablant. La totale impunité dont Benalla et ses compères ont bénéficié est démontrée. Nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat.

L'affaire Benalla révèle de graves dysfonctionnements au plus haut sommet de l'Etat. Elle met en cause Benalla mais aussi de nombreux membres des cabinets de l'Elysée et de Matignon.

Il y a encore beaucoup de zones d'ombre et la justice doit être saisie en urgence pour faire toute la lumière sur cette affaire et pour que des sanctions fermes soient prises à l'encontre de ceux qui ont mis en cause nos institutions.

Cette affaire met en évidence les abus de pouvoirs de collaborateurs de la Présidence et les conflits d'intérêts avec des puissances étrangères.

Heureusement que le Parlement et particulièrement le Sénat a pu mener cette enquête poussée, malgré les pressions. Cela conforte encore plus le rôle des parlementaires dans leur diversité pour qu'ils puissent exercer le contrôle strict de nos institutions.

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord

 

Paris, le 20 février 2019.

 

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:13
Il y a 75 ans, le 21 février 1944, les nazis exécutent 23 francs-tireurs et partisans de la main d’œuvre immigrée

21 février 1944, les nazis exécutent 23 francs-tireurs et partisans de la main d’œuvre immigrée:

Celestino Alfonso, Espagnol, 27 ans
Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (seule femme du groupe, décapitée en Allemagne le 10 mai 1944)
József Boczor, Hongrois, 38 ans, 
Georges Cloarec, Français, 20 ans
Rino Della Negra, Italien, 19 ans
Elek Tamás, Hongrois, 18 ans
Maurice Fingercwajg, Polonais, 19 ans
Spartaco Fontano, Italien, 22 ans
Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans
Emeric Glasz, Hongrois, 42 ans
Léon Goldberg, Polonais, 19 ans
Szlama Grzywacz, Polonais, 34 ans
Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans
Cesare Luccarini, Italien, 22 ans
Missak Manouchian, Arménien, 37 ans
Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans
Marcel Rajman, Polonais, 21 ans
Roger Rouxel, Français, 18 ans
Antoine Salvadori, Italien, 24 ans
Willy Schapiro, Polonais, 29 ans
Amédéo Usséglio, Italien, 32 ans
Wolf Wajsbrot, Polonais, 18 ans
Robert Witchitz, Français, 19 ans

" Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant » Il y a soixante-treize ans, le 21 février 1944, les nazis exécutaient au Mont-Valérien les héros de l'Affiche rouge".
" Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après-midi à 15 heures (...). Tout est confus en moi et bien clair en même temps. " Missak Manouchian.}
« Les avis placardés sur les murs prenaient, dans l'ombre, un ton blême. C'était l'hiver et déjà, dans le pré-verdict d'une guerre qui commençait à basculer sur le front de l'Est où les armées nazies craquaient sous la pression de l'armée soviétique, la France, elle, assommée par les " couvre-feux " et la répression, commençait à ne plus être la même. Chaque jour plus efficace, l'armée des ombres occupait ce pays occupé et préparait, de l'intérieur, ce débarquement qui, tôt ou tard, viendrait. Dans Paris, la tête de guingois et les yeux parfois révulsés, les passants regardaient, placardée sur les murs, la propagande s'exhiber. Notamment une. Tristement célèbre, glauque. Surtout la nuit, plus sombre encore qu'à la lumière. Sombre à jamais. Mais symbolique pour toujours. On l'appelait " l'Affiche rouge " et elle s'appellera toujours ainsi.
Pour les générations d'après-guerre}}, ils furent un poème d'Aragon, puis une chanson, quand Ferré y mit une musique. Pour les contemporains de la guerre, ils furent d'abord dix visages sur une affiche qui disait dans toute la France à la fin février 1944 : " Des libérateurs ? La libération par l'armée du crime ! " Dix jeunes hommes inconnus que le propagandiste en chef s'appliquait à montrer étrangers, juifs surtout, mais aussi espagnol ou italien, arménien comme leur chef, Manouchian, poète à ses heures. Tous communistes. Les nazis, ici, en quelque sorte, ne mentaient pas : car la Résistance armée à Paris et dans la région parisienne, c'était eux, pas seulement eux, étrangers et Français s'y côtoyaient, avec leurs camarades, et formaient un tiers des effectifs des Francs-tireurs et partisans de la main-d'ouvre immigrée. Eux disparus, massacrés, les FTP-MOI étaient en partie démantelés.
L'Affiche rouge n'en présentait que dix, mais le " tribunal militaire allemand ", jugeant pour la première fois des francs-tireurs en audience publique, les 17 et 18 février 1944, en avait condamné à mort vingt-trois. Vingt-deux furent exécutés au Mont-Valérien, le 21 février. À 15 heures. La vingt-troisième était une femme, la Roumaine Olga Bancic, et parce qu'elle était une femme elle n'eut pas les " honneurs " de l'exécution avec ses camarades, indigne de mourir avec eux debout face à la mitraille des bourreaux. Envoyée à Stuttgart, " jugée ", elle fut décapitée à la hache le 10 mai - jour de son anniversaire. La veille, elle avait été de nouveau torturée.
" Je ne suis qu'un soldat qui meurt pour la France. Je vous demande beaucoup de courage comme j'en ai moi-même : ma main ne tremble pas, je sais pourquoi je meurs et j'en suis très fier " Celestino Alfonso.
Torturés, bien sûr, ils l'avaient tous été. Plusieurs mois durant. Et sur cette Affiche rouge, c'est aussi cela que des Français lisaient dans leurs traits ravagés. La haine exprimée, on la retrouve aussi dans les propos du colonel allemand qui présidaient la cour martiale. Il justifiait ainsi les condamnations : " De quels milieux ces terroristes sont-ils issus ? Dans la plupart des cas, ce sont des juifs ou des communistes qui sont à la tête de ces organisations (...). Leur but étant l'avènement du bolchevisme international, le sort de la France et des Français ne les intéresse pas "
Qui étaient-ils vraiment, ces " étrangers, comme on les nomme encore ", " ces étrangers d'ici qui choisirent le feu ", comme l'écrivit Paul Eluard, ces " vingt et trois étrangers et nos frères pourtant ", comme les immortalisa Louis Aragon ? Ces héros appartenaient aux détachements de FTP d'immigrés de la région parisienne, dont la direction avait été confiée à Manouchian par la haut commandement des Francs-tireurs et partisans français depuis deux ans. Or, les " prouesses " de cette armée dépassaient infiniment celles que le réquisitoire avait découvertes. Sauf qu'ils n'avaient jamais travaillé en " groupe de vingt-trois ". Répartis en unités de trois ou cinq combattants, selon les méthodes générales édictées par les FTP, reliés à un seul supérieur hiérarchique, selon un cloisonnement strict exigé par les règles de sécurité de l'action clandestine. Sur certains points, les Allemands disaient juste : Joseph Boczov, ingénieur chimiste et ancien volontaire des Brigades internationales en Espagne, était bien le concepteur des techniques de déraillement ou destruction par explosif d'éléments stratégiques qui délabraient les convois SS. Et Spartaco Fontano était bien communiste : mais ils l'étaient tous. Notamment Missak (Michel) Manouchian, avant-guerre secrétaire du comité de secours pour l'Arménie soviétique, rédacteur en chef du journal Zangou destiné aux immigrés de son pays. Les " juges " ignoraient que le jeune Thomas Elek avait, aussi, incendié seul et en plein jour une librairie allemande, boulevard Saint-Michel. Ils ne savaient pas non plus que Alfonso, Fontano et Marcel Rayman étaient les auteurs de l'attentat ayant pulvérisé, le 28 juillet 1943, la voiture bourrée d'officiers supérieurs du commandant du " Gross Paris ".
" Que veux-tu que je te dise, ma chérie ; il faut bien mourir un jour. Je t'ai beaucoup aimée, mais il ne faut pas pour cela oublier que ta vie continue, à toi (...). La vie sera meilleure pour vous " Léon Goldberg.
Qui étaient-ils ? Des " étrangers " qui, lorsque leur patrie avait été ravagée et meurtrie par les ennemis de la liberté et de la dignité humaine, étaient venus en France, auréolée du prestige des Lumières, de la Révolution et de la Déclaration des droits de l'homme. Un refuge. Une lucarne dans la nuit du fascisme triomphant, croyaient-ils. Dans les années trente, environ trois millions de travailleurs immigrés rejoignent la France, chassés par la misère et/ou par la répression raciale et politique. Il importe d'autant plus d'organiser leur défense, d'appeler à la solidarité, que des campagnes xénophobes se développent, accusant les étrangers d'être responsables du chômage. À son 3e Congrès, en janvier 1924, le Parti communiste français appelle à " organiser politiquement et syndicalement les masses de travailleurs de langue étrangère. Politiquement, les prolétaires immigrés doivent être organisés en groupe de langue étrangère ". Il sera précisé deux années plus tard que les immigrés s'organisent essentiellement sur leurs lieux de travail, dans les entreprises, sans distinction de nationalité, tout en participant à ces groupes de langue rassemblés en une commission centrale de main-d'œuvre étrangère (MOE) qui deviendra rapidement la célèbre MOI (Main-d'œuvre immigrée).
{{Dès le début de la guerre, ceux-ci s'engagent}} dans le combat. Sans restriction. Cent trente-deux mille se portent volontaires et des dizaines de milliers se battent dans les Ardennes, sur la Somme, sur la Loire. Parmi eux, un grand nombre ont déjà participé aux Brigades internationales en Espagne : on les retrouvera dans les premiers groupes clandestins formés par le Parti communiste. Le sang-froid de ces hommes, exceptionnel(s), recouvrait une disponibilité de cour non moins remarquable. Implacables face à l'ennemi en uniforme et non contre le peuple allemand, le récit de quelques-uns de leurs faits d'arme démontre combien ils étaient " économes " en vies humaines. Et avaient une conscience sociale affirmée. L'Espagnol Celestino Alfonso, ancien lieutenant de l'armée républicaine de son pays, déclara : " J'estime que tout ouvrier conscient doit, où qu'il soit, défendre sa classe. " Les rafles antisémites vont également faire affluer dans leurs rangs de jeunes communistes juifs déterminés, dont les familles ont été décimées ou le seront.
" Excuse-moi de ne pas t'écrire plus longuement, mais nous sommes tous tellement joyeux que cela m'est impossible quand je pense à la peine que tu ressens (...). Ton Marcel qui t'adore et qui pensera à toi à la dernière minute "Marcel Rayman ».
Au cours de l'année 1943, les actions des résistants se multiplient. Les polices allemandes, aidées par les services de Vichy, la Milice, unissent leurs efforts pour les traquer. Le président de la cour martiale, à propos du groupe Manouchian, affirma d'ailleurs : " Les services de surveillance allemands ont fait un travail admirable. C'est un grand succès d'avoir mis hors d'état de nuire un groupe particulièrement dangereux. " " Il faut dire aussi que la police française a fait preuve d'un grand dévouement ", ajouta-t-il, avant de rendre hommage à Joseph Darnand, " particulièrement résolu à combattre aux côtés des Allemands ", ainsi qu'à ses miliciens.
On le sait mieux aujourd'hui, l'arrestation des FTP-MOI de la région parisienne fut le fait, notamment, des inspecteurs des Renseignements généraux (une centaine sont sur le " coup " en permanence), fer de lance avant-guerre de la lutte anticommuniste. On comprend mieux les ressorts et la mécanique de la traque, laissant des hommes en liberté ici, pour mieux les " loger " ensuite, en arrêtant immédiatement d'autres là, pour couper des réseaux déjà identifiés, désignant les Résistants, dans les rapports, sous le nom de la rue ou de la station de métro où ils furent aperçus la première fois. Ainsi, Manouchian est " Bourg ", Epstein est " Meriel ". Boczov, lui, chef du réseau de sabotage, devient " Ivry ".
Pour la police française, ils deviennent l'un des objectifs primordiaux. De proche en proche, en s'intéressant d'abord aux organisations étrangères non armées, par un tissu de patientes filatures ensuite, enfin par le chantage et la torture, la " police " sera en mesure de mettre la main sur la quasi-totalité du réseau.
Le 16 novembre, le groupe et celui qui en a pris}} la tête, Manouchian, sont arrêtés. Sur les 35 personnes " repérées ", cinq seulement pourront s'échapper. Après Epstein, 40 résistants sont arrêtés, dont 29 seront fusillés. Chef de tous les FTP de la région, Joseph Epstein, le célèbre " colonel Gilles ", sera torturé et ne livrera à ses bourreaux pas même son nom ! .
" Jusqu'au dernier moment, je me conduirai... comme il convient à un ouvrier juif. Je vais mourir, mais ne m'oublie jamais et, quand tu en auras la possibilité, si quelqu'un de ma famille vit encore, raconte-lui " Szlomo Grzywacz.
Ils furent dix visages montrés sur une affiche... Puis, comme s'il voulait contrer un antisémitisme stalinien d'après-guerre qui, parfois, pesa sur la reconnaissance du rôle de la FTP-MOI, Aragon mit des mots sur ces visages, pour l'éternité... Puis cette poésie devint chanson... Mais en 1985, une sinistre polémique visait à démontrer que le réseau fut livré par le Parti communiste lui-même, " sacrifiant des troupes devenues encombrantes ". Ignoble tentative, qu'on croyait enterrée. Erreur. Cette semaine, sur Arte, sans débat ni information préalable aux téléspectateurs, le documentaire Des terroristes à la retraite, certes dans une version raccourcie de 12 minutes, a été rediffusé. Il comporte des témoignages émouvants et précieux de résistants survivants, immigrés et juifs, mais il se livre, une nouvelle fois, à une manipulation historique. On connaît la thèse : Philippe Ganier Raymond et l'historien Stéphane Courtois avancent l'idée selon laquelle la direction clandestine du Parti communiste aurait abandonné, voire sacrifié les 23. Voilà l'" hommage " de la télévision aux soixantième anniversaire d'un engagement jusqu'au sang versé, pour la liberté de la France !.
Interrogé par le regretté Philippe Rochette, dans Libération du 21 février 1994, Denis Peschanski analysait : " Je vois quelques raisons au démantèlement. D'abord, les énormes moyens déployés par la police française. Il y a ensuite l'imprudence de jeunes gens : le fait par exemple de déjeuner tous les jours au même endroit, qui permet, après l'échec d'une filature, de retrouver les gens le lendemain à midi. Puis le fait d'avoir fait parler un responsable va permettre de mettre des noms sur un organigramme déjà largement reconstitué. Les FTP-MOI étaient des militants conscients, qui auraient pu se mettre au vert s'ils l'avaient désiré. " Car au printemps 1944, effectivement, d'autres réseaux tombent en France, à Nantes, à Bordeaux. Partout la Milice, qui sent la guerre " tourner " sur le front de l'Est et s'attend au débarquement, flingue à tout va. Des fusillés parmi d'autres, dont plus de 1 000 au Mont-Valérien, auxquels le plasticien Pascal Convert a rendu leurs noms sur une ouvre, une cloche de bronze, exposée dans la clairière, comme le souhaitait Robert Badinter. L'artiste en a tiré un documentaire, Mont-Valérien, aux noms des fusillés, diffusé sur la chaîne Histoire mais que certains ont voulu faire déprogrammer. Ce film est une merveille. Et on ne le montre pas sur une chaîne hertzienne...
" Je t'écris une première et dernière lettre qui n'est pas très gaie : je t'annonce ma condamnation à mort et mon exécution pour cet après-midi à 15 heures, avec plusieurs de mes camarades (...). Je meurs courageusement et en patriote pour mon pays (...). Je te souhaite d'être heureuse, car tu le mérites ; choisis un homme bon, honnête et qui saura te rendre heureuse (...). Vive la France ! " Roger Rouxelle (*).
Février 1944. Face à la mort, par-delà le néant et le temps, le groupe Manouchian tombe mais sa signature, dans le sang, scelle une invulnérable idée de la France. L'Affiche rouge nazie tente de semer la division en appelant au racisme et à la xénophobie. L'inverse se produit. Des inscriptions anonymes fleurissent : " Morts pour la France ". Leur massacre n'arrête pas les combats. Des compagnies poursuivent leur activité en région parisienne et plusieurs milliers de combattants seront sur les barricades du mois d'août, poursuivant jusqu'à la Libération l'ouvre entreprise par les martyrs du Mont-Valérien - et de partout. »
Jean-Emmanuel Ducoin.

Le 21 février 1944, Missak Manouchian et 22 membres de son groupe de FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - Main d'œuvre immigrée) étaient fusillés par les nazis au Mont-Valérien.

Missak Manouchian

Résistant mort pour la France

Orphelin du génocide arménien, ouvrier et poète, cofondateur de revues littéraires, le futur symbole de la lutte armée contre l'occupant n'avait aucun goût pour les armes.

Figure emblématique de la résistance française, Missak Manouchian était un rescapé du génocide de 1915. Ce fils de paysans né en 1906 à Adiyaman, dans l'Empire ottoman, a 9 ans quand son père est assassiné par les soldats turcs. Sa mère échappe au massacre et parvient à cacher ses deux fils, mais les villages arméniens sont isolés par l'armée. Elle meurt de la famine provoquée par l'armée turque.

Missak et son frère Karabet sont recueillis par des paysans kurdes qui les abritent jusqu'à la fin de la guerre. En 1918, la communauté arménienne organise la récupération des enfants rescapés depuis la Syrie, placée sous contrôle français. Les frères Manouchian sont accueillis dans un orphelinat de Jounieh, au Liban, où Missak apprend le métier de menuisier tout en étudiant la littérature arménienne.

Les deux frères débarquent à Marseille en 1925. Ils vivent d'abord à la Seyne-sur-Mer, près de Toulon, où Missak gagne péniblement sa vie comme menuisier. Karabet tombe malade, en un temps où il n'existe aucune forme de protection sociale. Ils décident alors de monter à Paris, où Missak trouve un emploi d'ouvrier tourneur chez Citröen. Mais la maladie emporte Karabet en 1927. Seul à Paris, Missak Manouchian fréquente la communauté arménienne, s'intéressant plus à l'activité culturelle qu'à la politique. Il s'inscrit à la Sorbonne en auditeur libre et se passionne pour la poésie française, en cette époque d'effervescence poétique marquée par le surréalisme. Il écrit articles et poèmes et participe à la fondation de deux revues littéraires arméniennes.

Les conséquences de la crise de 1929 provoquent une vague de licenciements chez Citröen, et Manouchian se retrouve au chômage au début des années 1930. Il vit de petits métiers dont celui de modèle pour un sculpteur. Hitler s'empare du pouvoir en Allemagne et Missak ne peut être indifférent à la violence qui s'exprime tant dans les discours du Fürher que dans les manifestations des foules fanatisées. Quand cette violence gagne Paris, quand les ligues fascistes marchent sur le Palais Bourbon, le 6 février 1934, il veut agir.

Il adhère au Parti Communiste, répondant à l'appel à l'unité d'action contre le fascisme. Cette date d'adhésion n'est pas sans signification. Manouchian ne semblait jusque-là guère porté sur le mode d'organisation quasi militaire et moins encore sur le sectarisme bolchevik.

Mais en 1934, le PCF tire les leçons de la tragédie allemande : il veut rompre l'isolement et construire un front unique contre le fascisme. Missak Manouchian devient communiste pour conjurer la répétition du génocide, sur d'autres, clairement désignés par les discours exterminateurs d'Adolf Hitler. Pour le PCF, ce n'est pas une recrue ordinaire. Sa participation aux revues arméniennes lui vaut une certaine notoriété dans la communauté. Il est donc tout désigné pour animer le Comité de secours des Arméniens (HOC, suivant la formulation arménienne) qui collecte des fonds pour aider la République soviétique d'Arménie.

Un révolutionnaire professionnel

Au HOC, Missak rencontre une militante du comité de Belleville, Mélinée Assadourian, qui devient sa compagne en 1937. Manouchian devient ce que que l'on nomme, dans le langage du parti, un révolutionnaire professionnel, rédacteur en chef de Zangou , organe du HOC, membre actif du comité de soutien à l'Espagne républicaine. Comme tous ceux qui ont rejoint le PCF pour combattre le nazisme, il vivra douloureusement la période du pacte germano-soviétique. Comble d'horreur, il est arrêté en 1939 pour son rôle d'animateur d'une organisation liée à l'URSS ou, plus exactement, à l'Arménie soviétique. Il ne tarde pas à prouver qu'il ne se trompe pas d'ennemi.

Libéré, il s'engage dans l'armée française ; son régiment, cantonné en Bretagne, ne participera jamais aux combats de 1940. Revenu à Paris, il reprend contact avec le parti, ce qui lui vaut d'être de nouveau arrêté, en juin 1941, lorsque l'Allemagne lance son offensive contre l'URSS. Le PC demande à Mélinée de lui transmettre en prison l'ordre de signer un engagement à n'entreprendre aucune action contre les troupes d'occupation allemandes. Il signe, en sachant que ce reniement sera de pure forme.

Libéré, il passe cependant par une période d'observation. Il survit grâce à l'aide d'un couple d'amis de la famille de Mélinée, Micha et Knar Aznavourian, les parents de Charles Aznavour. Lorsqu'ils sont convaincus de sa droiture, les dirigeants du Groupe de Main-d'Oeuvre immigrée (MOI) du PC confient à Missak Manouchian la direction de la section arménienne.

De la fin 1941 au début 1943, l'objectif est de rallier la communauté arménienne à la cause de l'URSS, alors que la Wermacht avance dans le Caucase et menace la République soviétique d'Arménie.

Le PC a engagé la lutte armée dans Paris, mais les premiers groupes tombent rapidement. Vingt-cinq militants communistes sont condamnés à mort et fusillés en avril 1942. Le PC décide alors d'armer des groupes d'étrangers et la MOI demande à Missak Manouchian de participer à l'action armée en février 1943. Le voici responsable militaire de combattants Francs-tireurs et partisans (FTP), lui qui n'avait aucun goût pour les armes. Ses compagnons sont très jeunes : Marcel Rayman, 20 ans, Thomas Elek, 19 ans...

A 37 ans, il ferait figure de doyen s'il n'avait à ses côtés Imre Glasz, 42 ans, et Armenak Manoukian, 44 ans. Le plus jeune, Wolf Wajsbrot, n'a pas 18 ans. Les jeunesses communistes, menées par Henri Krazucki, 15 ans, apportent un soutien logistique. Ce détachement FTP parvient à terroriser les Allemands pendant plusieurs mois. Des bombes explosent dans les cinémas et les cafés réservés aux soldats allemands. Le groupe abat Julius Richter, général nazi chargé, en France, du recrutement des ouvriers pour les usines allemandes, le fameux STO.

Mais la police française prouve son efficacité à ses maîtres allemands. Missak Manouchian tombe en novembre 1943, alors qu'il se rend à Evry-Petit-Bourg pour rencontrer Joseph Epstein, chef des FTP d'Ile-de-France. L'occupant nazi fera un symbole de son groupe, placardant partout la fameuse Affiche rouge, dénonçant la Résistance comme une « armée du crime » composée d'étrangers. Cette affiche fera entrer Manouchian et ses compagnons dans l'histoire, onze ans plus tard, lorsque Mélinée apportera à Aragon la dernière lettre écrite par Missak, avant d'être fusillé, le 21 février 1944 au mont Valérien.

Guy Konopnicki

(Marianne, Hors série d'avril 2015 : Les Arméniens, une histoire française)

La dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée

21 février 1944, Fresnes

Ma chère Mélinée, ma petite-orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais, pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m'étais engagé dans l'armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous ! J'ai un regret profond de ne pas t'avoir rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté. Marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi et à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération. Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes biens chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu.

Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:09
Message de Robert Meeropol, fils cadet d'Ethel et Julius Rosenberg, en soutien au journal l’Humanité
Message de Robert Meeropol, fils cadet d'Ethel et Julius Rosenberg, en soutien au journal l’Humanité

Chers amis et camarades,

Je vous écris pour vous demander de continuer à publier l'Humanité.  En tant que l'un des deux fils d'Ethel et Julius Rosenberg, je peux personnellement attester qu'il s'agit d'un atout très précieux pour la gauche, et que ce serait une perte tragique s'il devait cesser sa publication.

Lorsque mon frère et moi avons visité la France dans les années 1970, lorsque nous avons commencé nos efforts pour rouvrir le dossier de nos parents, on m'a présenté un volume relié de toutes les couvertures de l'Humanité sur le cas de mes parents en 1952-1953. Je doute qu'aucun autre journal au monde n'ait eu une telle couverture médiatique.

Ce grand livre relié n'est pas seulement un trésor d'informations personnelles pour moi, c'est aussi un registre physique des événements dont les générations futures pourront s'inspirer.  C'est pourquoi je l'ai conservé pendant des décennies et l'ai récemment donné à la plus grande archive de documents relatifs à l'affaire Rosenberg aux États-Unis, à l'Université de Boston.  Cette riche ressource permettra aux chercheurs, aux étudiants et aux militants de tirer les leçons de la répression anticommuniste aux États-Unis.  Il n'y a pas de couverture radiophonique et télévisuelle de ce genre, le seul média non physique disponible à l'époque. Un journal physique occupe une position unique qui ne peut pas être égalée par toutes les nouvelles en ligne d'aujourd'hui.

J'ai trouvé ce dossier particulièrement précieux lorsque je me suis impliqué dans l'organisation contre l'exécution de Mumia Abu-Jamal, le premier prisonnier politique à être condamné à mort aux États-Unis depuis mes parents. La couverture en profondeur par l'Humanité de son cas a été un énorme avantage pour nos efforts, et le dossier physique de sa couverture du cas de mes parents a fourni une leçon importante de ce qui aurait pu arriver à Mumia si nous n'avions pas maximisé nos efforts en son nom.

S'il n'y avait pas eu l'Humanité au moment de l'affaire de mes parents et au moment où Mumia a été condamné à mort, le cri qui a failli sauver mes parents et a sauvé Mumia n'aurait pas été aussi fort.  Je crois que la solidarité internationale a sauvé la vie de Mumia et que le peuple français et l'Humanité étaient au cœur de ce mouvement.

Les luttes d'aujourd'hui peuvent être organisées très rapidement avec les réseaux en ligne, mais nous avons encore besoin de journaux physiques pour fournir une profondeur et un dossier permanent dont les générations actuelles et futures pourront s'inspirer.  Ainsi, bien que j'aie un intérêt personnel dans la publication continue de l'Humanité, sa continuation est essentielle pour soutenir la politique de gauche en France et au-delà.

Je viens de lire ceci à mon frère, Michael, et il est d'accord avec tout ce que j'ai écrit.

Merci de votre considération et de votre soutien tout au long de ces décennies.

20 février 2019

 

 

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 17:40

Tribune de Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH, à lire dans Mediapart

Bien sûr que les insultes essuyées par Alain Finkielkraut relèvent d’une parole antisémite déguisée. A l’évidence, le mot sionisme n’est ici que le cache sexe de l’antisémitisme. Et rien ne peut relativiser cette réalité. Même pas l’ire réactionnaire d’un académicien qui rêve d’un pays fantasmé et propriété des élites, surtout pas le double discours d’un opposant à la colonisation et au gouvernement actuel d’Israël dont la voix ne se fait entendre que lorsqu’il s’agit de défendre Israël, pas plus lorsqu’il s’agit de pointer les incohérences énervées d’un intellectuel qui en 2002 évoquait le souvenir de « la nuit de Cristal » à propos des actes antisémites en France ou, en 2005, à propos de la révolte des banlieues, les « pogroms antirépublicains », pour finir par exprimer sa peur de « l’immigration de peuplement » et du « grand remplacement ».

Qu’Alain Finkielkraut attire et attise la haine ne saurait justifier ni cette haine, ni sa nature raciste et antisémite. C’est la raison pour laquelle, avant de prendre en considération ce qui peut déplaire dans le personnage, les insultes qu’il a supportées impliquent une condamnation sans réserve car, au-delà de l’individu qu’elles atteignent, il s’agit là d’une agression contre le fondement de tout contrat social.

Est-ce une raison pour faire de ceux et celles qui se proclament antisionistes des délinquants ? C’est pourtant ce que souhaitent, paraît-il, une trentaine de députés se sentant, sans doute, soutenus par un président de la République qui a cru bon d’abonder en ce sens et d’introniser Benjamin Netanyahou comme représentant des juifs du monde entier.

Il est vrai que la Cour de cassation a déjà cru bon d’assimiler l’appel au boycott des produits israéliens à une manifestation d’antisémitisme. On attend avec impatience ce que dira la Cour européenne des droits de l’Homme d’une interprétation si extensive du droit pénal français et si restrictive de la liberté d’expression.

Je ne suis pas de ceux et celles qui délégitiment l’existence de l’Etat d’Israël. On peut gloser à l’infini sur les raisons qui ont amené à sa création, sur la catastrophe qu’a représentée cette création pour les habitants chrétiens et musulmans de la Palestine (sauf à nier l’évidence…), etc. Le débat historique n’a d’intérêt qu’en ce qu’il redresse certains mythes (les Palestiniens n’existent pas et sont partis d’eux-mêmes, il n’y avait pas de juifs en Palestine, par exemple) mais il ne résout en rien la contradiction qui perdure depuis plus de 100 ans et qui s’exprime aujourd’hui autour d’une réalité simple et cruelle : une nation occupante d’une nation occupée et colonisée.

C’est pourquoi, j’ai du mal à m’identifier à un débat qui mêlerait anti ou pro sioniste et pro ou anti Palestinien. La seule question qui vaille c’est celle du droit, du droit d’Israël à exister et du droit du peuple palestinien à avoir son Etat. Or, à ce jour, c’est bien la deuxième partie de la proposition qui est niée : ce n’est pas l’existence d’Israël qui est menacée par les Palestiniens, c’est le droit des palestiniens à exister qui leur est refusé par une puissance occupante qui bénéficie d’appuis qui vont de la caution active, j’évoque ici les USA, à une lâche complicité, j’évoque ici l’Union européenne, y compris la France.

Il y aurait donc une certaine incongruité à vouloir légiférer à ce propos alors et surtout que personne ne songe à incriminer ceux et celles, en Israël comme en France, y compris dans la représentation nationale, qui contestent le droit des Palestiniens à avoir leur Etat voire vont jusqu’à nier leur existence !

Renvoyer le débat politique au juge, en deçà des limites qui mettent en cause les principes essentiels, n’a jamais rien produit d’autres qu’une restriction aux règles démocratiques au mieux et une radicalisation mortifère au pire.

Déjà injustifiable, cette criminalisation du débat autour d’Israël et du sionisme est totalement contreproductive au regard des objectifs que lui assignent ses soutiens.

Dire que l’antisionisme ne recouvre pas, chez certains, une manifestation d’antisémitisme serait scandaleusement stupide. La défense des droits des Palestiniens a servi de cache-sexe à bien des pouvoirs et à bien des manipulations. Des régimes arabes qui mobilisent les foules sur ce thème pour éviter qu’elles se préoccupent de leur propre sort, aux pseudos idéologues en même temps qu’antisémites avérés comme Soral et consorts, les Palestiniens ont subi plus qu’à raison cette instrumentalisation. Qu’il faille lutter contre cela, nul n’en disconvient et le code pénal contient suffisamment de dispositions pour condamner quiconque s’aventure sur ce terrain.

Aller au-delà ne permettra que d’interdire toute critique de la politique des gouvernements israéliens.

C’est bien l’objectif recherché dans la tentative de l’IHRA [1] de faire adopter une définition normative de l’antisémitisme. Outre la pauvreté intellectuelle que recèle le texte proposé, ce sont les exemples, en particulier l’un d’entre eux, qui éclairent l’assimilation des critiques que supportent la politique israélienne à de l’antisémitisme. Cette proposition de définition est, en effet, assortie d’exemples de manifestations d’antisémitisme dont celle-ci : « Appliquer deux poids, deux mesures en imposant à celui-ci [l’Etat d’Israël] un comportement non attendu ni exigé de la part d’un autre pays démocratique. »

On ne peut dire plus clairement que ce qui est ainsi recherché c’est l’absolution et l’impunité de la politique israélienne.

Cette tentative, soutenue par le ban et l’arrière-ban des organisations communautaires juives, comme la volonté de criminaliser le discours antisioniste, ne serviront nullement à combattre l’antisémitisme mais, tout au contraire, à le renforcer. En assimilant une manifestation de racisme intolérable à une critique fût-elle radicale, d’Israël et de sa politique, ce sont tous les juifs qu’on assimile ainsi aux errements de celle-ci et, particulièrement, à ce qu’elle conduit à faire subir au peuple palestinien.

Si l’on voulait tirer un trait d’union entre juifs français ou d’autre nationalités et le discours raciste et les pratiques déshumanisantes des autorités israéliennes, on ne s’y prendrait pas autrement.

C’est le chemin que s’apprêtent à emprunter ceux et celles qui caressent l’idée d’introduire la dimension de l’antisémitisme dans la critique des gouvernements israéliens.

C’est le chemin qu’a déjà emprunté le président de la République en invitant Benjamin Netanyahou à la cérémonie du Vel d’Hiv et en y recourant à ce même syllogisme.

Lequel Netanyahou s’est empressé de remercier Emmanuel Macron en réunissant à Jérusalem ce quarteron de gouvernements autoritaires et plus ou moins antisémites du groupe de Visegrad.

Non, critiquer la politique israélienne, réclamer l’application de sanctions devant le refus permanent des autorités israéliennes de respecter le droit international, exiger que les produits israéliens qui arrivent sur nos tables et dans nos magasins ne soient pas issus des colonies, tenter de faire juger les généraux israéliens coupables de crimes de guerre, dénoncer la discrimination dont sont victimes les hommes et femmes d’Israël qui ne sont pas juifs, tout cela n’a rien à voir avec l’antisémitisme.

Cela concerne l’idée qu’il n’y a qu’une seule humanité soumise aux mêmes règles.

Paris, le 18 février 2019

Michel Tubiana, Président d’honneur de la LDH

[1] https://www.holocaustremembrance.com/

18 février – Tribune de Michel Tubiana, président d'honneur de la LDH - Du bon usage de l’antisémitisme en politique - publiée dans Mediapart
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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 17:32
Manifestation contre l'antisémitisme. Agression. Violences contre des militants communistes (Jeudi, 21 Février, 2019, Olivier Morin, L'Humanité)
Agression. Violences contre des militants communistes
Jeudi, 21 Février, 2019

Lors du rassemblement contre l’antisémitisme à Paris, deux participants ont été insultés et frappés à cause de leur engagement politique.

Insultés d’« antisémites », de « sales communistes », menacés et frappés au sol… Deux jeunes militants du Parti communiste français et du Mouvement jeunes communistes de France (MJCF) ne s’attendaient pas à subir de telles violences en se rendant au rassemblement contre l’antisémitisme qui se tenait place de la République à Paris, mardi soir, et auquel appelait notamment leur formation. Les étudiants avaient quitté la faculté de Nanterre en fin d’après-midi pour gagner le rassemblement. Après s’être frayés un chemin à travers les couloirs du métro bondés, ils se positionnent sur la place qui ne l’est pas moins.

Une deuxième salve de coups et d’insultes

Identifiés grâce aux drapeaux et aux autocollants de leur organisation, ils ont été très vite l’objet de provocations. « On nous reprochait de soutenir le peuple palestinien avec un confusionnisme énorme sur la question. Les gens prétendaient que les Palestiniens étaient tous des criminels qui en voulaient aux juifs », décrit l’un d’entre eux. « Je porte un keffieh autour du cou que ma mère m’a offert », raconte-t-il encore. Celui-ci lui sera arraché violemment, « en m’étranglant et en m’insultant », précise-t-il, évoquant le symbole que celui-ci représentait. « Quelques personnes disaient nous soutenir », mais pas suffisamment pour empêcher une deuxième salve de coups et d’insultes. Et, si la police était présente, elle est, selon les victimes, « restée indifférente ». Pire, un des militants rapporte avoir été empoigné et plaqué par un agent, après avoir subi l’agression des participants. L’autre a passé la nuit en observation aux urgences et est sorti hier matin avec cinq jours d’ITT.

Ils ont été agressés « parce que communistes et militants de la cause palestinienne », ont déclaré la fédération du PCF des Hauts-de-Seine et celle du MJCF dans un communiqué, décrivant un « climat de haine largement entretenu depuis plusieurs jours par des irresponsables politiques, qui de nouveau tentent d’associer toute critique de la politique du gouvernement israélien à de l’antisémitisme ». Pierric Annoot, secrétaire départemental du PCF, se souvient des agressions que lui et ses camarades avaient subies de la part de la Ligue de défense juive et du Betar, deux mouvements extrémistes et violents, lorsqu’il militait pour la libération de l’avocat Salah Hamouri, en 2012. Les deux organisations communistes estiment que « la lutte indispensable contre l’antisémitisme ne doit pas être prétexte pour des groupes radicalisés à faire régner la terreur et remettre en cause la liberté d’expression et d’opinion ».

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20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 13:19
Elsa Faucillon

Elsa Faucillon

« École de la confiance » : les députés communistes votent contre

mercredi 20 février 2019

Adopté hier par l’Assemblée nationale, le projet de loi "Ecole de la confiance"porté par le ministre Jean-Michel Blanquer entérine l’obligation d’instruction à 3 ans, prévoit de confier des missions d’enseignement à certains surveillants volontaires ou de créer des rapprochements entre écoles et collèges.

Les députés communistes ont voté contre.

"Cette loi, comme la supression de 2500 postes d’enseigants, répond plus aux injonctions de CAP 22 qu’aux exigences d’égalité si nécessaires à une société émancipatrice" dénonce Elsa Faucillon députée dans l’explication de vote du groupe.

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20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 13:12
Alexandre Benalla: nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat - Fabien Roussel, sécrétaire national du PCF

Nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat (Fabien Roussel)

Faux témoignages, parjures, port d'armes, conflits d'intérêt, fébrilité de l'exécutif, absence de sanctions... Le rapport de la commission d'enquête de Sénat est accablant. La totale impunité dont Benalla et ses compères ont bénéficié est démontrée. Nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat.

L'affaire Benalla révèle de graves dysfonctionnements au plus haut sommet de l'Etat. Elle met en cause Benalla mais aussi de nombreux membres des cabinets de l'Elysée et de Matignon.

Il y a encore beaucoup de zones d'ombre et la justice doit être saisie en urgence pour faire toute la lumière sur cette affaire et pour que des sanctions fermes soient prises à l'encontre de ceux qui ont mis en cause nos institutions.

Cette affaire met en évidence les abus de pouvoirs de collaborateurs de la Présidence et les conflits d'intérêts avec des puissances étrangères.

Heureusement que le Parlement et particulièrement le Sénat a pu mener cette enquête poussée, malgré les pressions. Cela conforte encore plus le rôle des parlementaires dans leur diversité pour qu'ils puissent exercer le contrôle strict de nos institutions.

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord

 

Paris, le 20 février 2019.

Alexandre Benalla: nous sommes face à un gigantesque scandale d'Etat - Fabien Roussel, sécrétaire national du PCF
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20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 08:35

Maryam Madjidi, écrivaine, professeur de Français Langues Etrangères travaillant avec les réfugiés, fille de militants communistes iraniens contraints à l'exil, militante pour le droit d'asile, auteur de "Marx et la poupée", un magnifique roman sur l'exil, son découverte de la France, son rapport avec l'Orient et les illusions de l'orientalisme, et l'engagement de ses parents qui a reçu le Prix Goncourt du Premier Roman en 2017 et le prix Ouest-France Etonnants Voyageurs en 2017, le prix Soroptimist de la romancière francophone 2018 !

Maryam Madjidi qui est candidate en 8ème position sur la liste Européenne de Ian Brossat et du PCF sera l'invitée du PCF Finistère le vendredi 5 avril et le samedi 6 avril. 

Elle donnera une conférence d'éducation populaire le vendredi 5 avril à 18h au local du PCF Morlaix sur sa trajectoire personnelle et familiale, sa vocation d'écrivain, son roman "Marx et la poupée". Elle fera une causerie et des lectures le lendemain en librairies et devrait animer une réunion publique à Brest le samedi 6 avril à 18h sur les enjeux des Elections Européennes, et notamment sur la question de l'Europe face au défi de l'accueil des réfugiés.

A lire aussi:

Maryam Madjidi, auteur de Marx et la Poupée, écrivaine d'origine iranienne, militante pour les droits des exilés, candidate sur la liste Européennes du PCF et de Ian Brossat, sera à Morlaix et à Brest le vendredi 5 et samedi 6 avril à l'invitation du PCF Finistère

40 ans de la révolution islamiste en Iran, la force de la résistance des femmes - 3 livres témoignages d'écrivaines iraniennes ou d'origine iranienne victimes de ce régime liberticide à lire absolument!

Maryam Madjidi - d'une révolution à l'autre, Portrait par Maud Vergnol dans L'Humanité, 15 février
Portrait. Maryam Madjidi, d’une révolution à l’autre
Vendredi, 15 Février, 2019

Prix Goncourt du premier roman pour Marx et la poupée, Maryam Madjidi enseigne le français à des mineurs isolés. Elle s’engage pour les élections européennes aux côtés des communistes.

Elle paraît bien loin la petite fille mutique de 6 ans, exilée en France avec sa famille pour fuir le régime de Khomeyni. Démarche déterminée, regard noir pétillant, rayonnante et volubile : elle en jette, Maryam Madjidi. Le mercure affiche – 3 °C dans la capitale quand la jeune femme de 38 ans, franco-iranienne, arrive à notre rendez-vous. Elle ne décolère pas contre les élus du très chic 16e arrondissement de Paris qui refusent qu’un gymnase du quartier abrite provisoirement les migrants. « On parle de vies humaines, de la survie de personnes qui crèvent de froid dehors… et ces gens pleurnichent sur le sport de leurs enfants ! » C’est le climat autour de l’accueil des réfugiés qui a décidé Maryam Madjidi à s’engager pour les élections européennes au sein de la liste PCF menée par Ian Brossat. L’exil, le déracinement, l’écrivaine en a fait la douloureuse expérience.

« Nous sommes condamnées à la vigilance permanente »

En 1980, depuis le ventre de sa mère, Maryam subit déjà les heures sombres de la révolution iranienne. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes. Elle, si. Sa mère, enceinte, étudiante en médecine, saute par la fenêtre de l’université pour échapper aux barbus. « Ma mère porte ma vie mais la mort danse autour d’elle en ricanant », écrit-elle dans Marx et la poupée, son premier roman autobiographique, récompensé en 2017 par le prix Goncourt des lycéens. La confiscation de la révolution par les islamistes scelle le destin de la petite fille à naître. « Tu veux être considérée comme une sous-merde parce que tu as un vagin ? » lui demandera sa mère quand, adulte, Maryam projette de retourner vivre en Iran. « J’ai du mal à comprendre comment on peut être une femme sans être féministe. Nous sommes condamnées à la vigilance permanente. Car à la moindre crise économique, politique… tous nos droits durement acquis peuvent être balayés. Le féminisme est en moi, il fait partie de mon identité. » Une identité du tout-monde, construite entre Téhéran, Paris, Pékin et Istanbul. En 1986, parce que leurs vies sont en danger, la famille Madjidi décide de quitter l’Iran, direction Paris. « Ils n’ont pas hésité une seule seconde : la France, c’était la gauche, la patrie des Lumières, du progrès… » Il faut enterrer les livres marxistes au fond du jardin, donner ses jouets aux enfants du quartier. Maryam rechigne. « La mère soupire. Mais, bon sang, qu’est-ce qu’on a fait au monde pour avoir une enfant pareille ! Elle ne pige rien au communisme. » Une poupée comme symbole de tout ce qu’il a fallu laisser derrière soi. C’est dire si Maryam comprend aujourd’hui la détresse des réfugiés, qui survivent dans les « camps » de la capitale. Depuis février 2016, elle enseigne le français à des mineurs isolés. « Je voudrais que les réfugiés puissent marcher dans les rues de France la tête haute, confie-t-elle. Car des personnes qui risquent leur vie pour traverser la Méditerranée… moi, j’appelle ça des héros. » Son père en est un. Pourtant il aura fallu trente-six ans pour qu’il retrouve le goût de la fierté. « Lorsque j’ai reçu le prix, je l’ai appelé le lendemain pour savoir ce que cela lui faisait », raconte Maryam. « Maintenant je marche dans Paris la tête haute », répond-il à sa fille. « Là, j’ai réalisé que, toutes ces années, mon père avait rasé les murs… »

La famille Madjidi arrive en France en 1986, sous Mitterrand. Elle obtient des papiers au bout de deux mois. « Pas inutile de le rappeler », précise amèrement Maryam, à l’heure des « quotas », du « tri » des immigrés et des régularisations au compte-gouttes. Déracinée, la petite fille de 6 ans plonge dans le mutisme, engloutit sa langue maternelle, le persan, qu’elle mettra de longues années à déterrer. Ce monde silencieux, sa mère aussi y a sombré : « À la place des mots, tu souriais. Le sourire qui s’excuse, le sourire gêné de ceux qui ne parlent pas la langue du pays. » Sa longue renaissance, de Paris à Drancy, où elle a grandi, Maryam Madjidi l’a racontée avec tendresse et humour dans Marx et la poupée, où la douleur du déracinement coule jusqu’aux rives du Bosphore, à Istanbul, cette ville qui l’a consolée, où s’est achevée l’écriture, et le début d’une nouvelle vie.

« Il faut que ce pays se réveille. Classer les êtres, c’est du fascisme ! »

« J’ai redécouvert mes racines mobiles. L’être humain est en mouvement permanent. Il faut arrêter avec les identités figées », s’agace la candidate aux européennes, 8e sur la liste. « La France d’aujourd’hui, j’ai du mal à la reconnaître. J’ai un profond attachement à ce pays même si j’ai tendance à dire que ma patrie, c’est la littérature », affirme celle qui, jeune adulte, à Pékin, rêvera du croissant chaud offert par son père, qu’elle avait refusé à 6 ans. « Il faut que ce pays se réveille ! Je n’accuse pas les Français mais les gouvernements successifs d’avoir fait de l’immigration une bataille électorale, de jouer sur les peurs. Classer les êtres, c’est du fascisme ! » Le verbe haut, des convictions solidement ancrées… pourtant Maryam Madjidi ne s’était jamais engagée politiquement jusqu’à présent. « Je ne suis pas militante communiste, mais la période n’est plus à refaire le monde entre écrivains parisiens autour d’un verre de sancerre. D’où mon engagement sur cette liste, que je trouve belle, à l’image de la société française », explique celle dont les priorités demeurent l’écriture et son travail social. « Je sais bien que cet engagement reste symbolique, mais j’y tiens ! » En 2012, de retour dans les rues de Téhéran, un chauffeur de taxi lui confie : « Je vais vous dire quelque chose, ma petite dame, la seule chose que nous avons su préserver, c’est notre poésie, et c’est la seule chose à sauver de l’Iran. » La politique ne devrait pas se passer de poésie.

Maud Vergnol
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20 février 2019 3 20 /02 /février /2019 08:27
Education: la loi Blanquer menace les directeurs d'école (Olivier Chartrain, L'Humanité, mardi 19 janvier 2019)

Ecole de la confiance : "Cette loi, comme la supression de 2500 postes d'enseignants, répond plus aux injonctions de CAP 22 qu'aux exigences d'égalité si nécessaires à une société émancipatrice." - Elsa Faucillon, députée communiste

Introduits par un amendement LaREM, les établissements publics des savoirs fondamentaux permettent de regrouper des écoles primaires sous l’égide d’un collège. Avantage pour le ministère : plus besoin de directeurs et moins de postes à créer.

Toujours les mêmes logiques, toujours les mêmes méthodes au service des mêmes objectifs, dans l'Education comme pour tous les autres secteurs de la société :

- baisser les coûts du service public au lieu de le considérer comme un investissement indispensable à l'équilibre de la société ;

- regrouper, fusionner, pour faire des économies d'échelle, donc en réalité pour éloigner la proximité et favoriser les grands ensembles ;

- spécialiser les établissements pour mieux trier, sélectionner, favoriser la compétition ;

- libéraliser les statuts, les métiers, par croyance aveugle aux règles du privé, du marché...

Ces petits comptables nous préparent une société basée sur le tri sélectif à tous les étages.

Éducation. La loi Blanquer menace l’existence des directeurs d’école
Mardi, 19 Février, 2019

Introduits par un amendement LaREM, les établissements publics des savoirs fondamentaux permettent de regrouper des écoles primaires sous l’égide d’un collège. Avantage pour le ministère : plus besoin de directeurs et moins de postes à créer.

L’agitation identitaire, avec drapeaux et Marseillaise, qui a entouré l’examen de la loi pour l’école de la confiance à l’Assemblée nationale, ne doit pas faire oublier une réalité : ce texte, sur lequel les députés vont se prononcer aujourd’hui par un premier vote solennel, porte une transformation profonde de l’école en France. Il le fait, comme toujours avec ce ministre, en toute absence de franchise, avec force dissimulation et antiphrases – le contre-emploi du mot « confiance » étant le premier terme du lexique de cette novlangue blanquérienne. À cette aune, la création des « établissements publics des savoirs fondamentaux » (EPSF) apparaît comme la mesure la plus marquante, tant par sa portée concrète que par la méthode employée pour l’imposer.

On a parlé d’« écoles du socle » pour désigner cet article 6 bis, qui prévoit le regroupement d’une ou plusieurs écoles sous l’égide du collège de secteur et la direction de son principal. L’expression n’est pas heureuse, car elle crée une ambiguïté entre une visée pédagogique – le « socle » des connaissances que tout élève doit acquérir à la fin du collège – et l’objectif politico-administratif consistant à regrouper des structures scolaires pour faire des économies, quelles qu’en soient, justement, les conséquences pédagogiques, sociales, territoriales…

« Tout ce qui les intéresse c’est de faire des économies »

C’est par le biais d’un amendement, présenté par la députée LaREM Cécile Rilhac, que les EPSF sont entrés dans la loi. « La manière dont les choses se passent est inadmissible, dénonce Francette Popineau, porte-parole du Snuipp-FSU (premier syndicat du primaire). Nous avons voté au Conseil supérieur de l’éducation un texte qui n’est pas celui examiné à l’Assemblée ! » Ce « bricolage » présente pour le ministre un double avantage : éviter l’examen préalable par le Conseil d’État, qui juge de la qualité du texte, et son intégration dans l’étude d’impact, qui doit permettre aux parlementaires, avant les débats, de mesurer ses implications concrètes.

Or, celles-ci sont considérables. Toutes les écoles, rurales ou urbaines, sont potentiellement concernées par ces regroupements qui seront autoritaires, puisque décidés par le préfet et les collectivités locales concernées. Les services de l’éducation nationale ne pourront donner qu’un avis. Quant à la communauté éducative – enseignants, parents, élèves et les divers conseils d’établissement –, elle n’aura même pas voix au chapitre ! « Il n’y a pas de visée pédagogique derrière cette mesure, pointe Francette Popineau, tout ce qui les intéresse c’est de faire des économies. » En effet, ce jeu de regroupement entraînera mathématiquement des fermetures de classes : alors que près de la moitié des écoles françaises comptent entre deux et quatre classes, leur regroupement dans des EPSF beaucoup plus volumineux permettra de respecter au plus près les taux d’encadrement… avec moins d’enseignants.

Économie aussi avec la disparition des directeurs. Car l’EPSF est placé sous l’autorité du principal du collège, assisté d’un adjoint spécifique pour le primaire – un seul, au lieu d’un directeur pour chaque école qui peut, selon les effectifs, bénéficier d’une décharge d’enseignement partielle ou totale. Pour donner une idée des économies réalisables, il y a actuellement en France 5 300 collèges et… 45 000 écoles, avec 45 000 directeurs. Même si tous ne sont pas déchargés, le potentiel d’économies a de quoi aiguiser l’appétit de tout ministre tenté de jouer au « cost killer »…

L’intérêt de l’enfant, dans tout cela, paraît presque un gros mot. Que des minots d’à peine plus de 3 ans aient à accomplir des kilomètres en car par tous les temps pour rejoindre leur classe de maternelle près du collège devenu EPSF, ni le ministre ni les députés qui s’apprêtent à voter pour ce texte n’en ont cure. Qu’il n’y ait plus de directeur au quotidien dans l’école pour assurer l’animation de l’équipe pédagogique, faire l’interface avec les familles, les collectivités locales (voire les forces de l’ordre), impulser des projets au plus près du terrain : soucis vulgaires que tout cela. Avec Jean-Michel Blanquer, le char de l’État passe, la pédagogie trépasse.

Olivier Chartrain
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