6 JUILLET 2016 | PAR FABRICE ARFI ET DOV ALFON (HAARETZ)
La retranscription du premier interrogatoire d’Arnaud Mimran dans le dossier du “casse du siècle” contredit les déclarations du premier ministre israélien, selon lesquelles il n’aurait touché de l’affairiste français qu’une unique donation de 40 000 dollars en 2001.
La retranscription du premier interrogatoire d’Arnaud Mimran dans le dossier du “casse du siècle” – la fraude aux quotas carbone – contredit les déclarations du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, selon lesquelles il n’aurait touché de l’affairiste français qu’une unique donation de 40 000 dollars en 2001.
Une enquête menée conjointement par Mediapart et le quotidien israélien Haaretz a permis de découvrir que Mimran, considéré comme l’un des cerveaux de cette escroquerie, la plus importante que la France ait jamais connue, a mentionné le nom de Netanyahou dans une réponse à une question des enquêteurs au sujet de l’un des acteurs et témoins clés du dossier, Jérémy Grinholz, aujourd’hui réfugié en Israël sous l’identité d’Eithan Liron.
Selon la retranscription de l’audition menée par la douane judiciaire, dont le contenu est rendu public pour la première fois, Mimran a assuré qu’il ne connaissait pas le rôle précis joué par Grinholz dans la fraude et il a ajouté : « Je l'ai vu la première fois début 2009 [en Israël]. J'y allais souvent à l'époque, comme Marco [un associé dans la fraude – ndlr] y était et, à cette époque, c'était les élections. Je suis proche de Netanyahou dont j'ai financé [la campagne] à hauteur de 200 000 dollars. »
En d’autres mots, dans sa réponse, Mimran laisse clairement sous-entendre que son versement de 200 000 dollars est lié à la campagne électorale de 2009, qui a permis à Netanyahou d’accéder à la tête du gouvernement israélien. Si cette affirmation devait être vérifiée par la justice israélienne, elle serait très embarrassante pour Netanyahou, un tel versement étant illégal au regard des règles de financement de campagne en Israël.
Un porte-parole de Netanyahou affirme : « C’est un total non-sens. Les faits sont clairs : la seule donation de Mimran est de 40 000 dollars, elle a été faite en 2001 pour une fondation, comme la loi le prévoit, à une époque où M. Netanyahou était un citoyen privé. » Netanyahou, qui fut premier ministre jusqu’en 1999 puis de nouveau ministre à partir de 2002, avait créé la fondation en question pour financer ses activités publiques, principalement des actions de diplomatie menées pour le compte de l’État d’Israël. « Les attaques répétées sur l’affaire Mimran, qui sont simplement destinées à occulter les grandes réalisations du premier ministre faites au nom d’Israël, ne seront d’aucune utilité, qu’il s’agisse de l’attaque précédente, lancée lors de sa visite historique en Russie, ou de celle-ci, en pleine visite historique en Afrique », poursuit le bureau de Netanyahou.
Certaines sources, en plus de Mimran lui-même, assurent que “l’escroc du siècle” présumé a par ailleurs célébré l’élection de Netanyahou en 2009 en petit comité avec le chef du gouvernement d’Israël, dans un hôtel de Tel Aviv. L’étude des allers-retours de Mimran en Israël à cette même période, qui correspond aux moments forts de la fraude aux quotas carbone, est de nature à le confirmer.
Selon les listes d’entrées et de sorties du territoire israélien obtenues par les enquêteurs français auprès des autorités aéroportuaires d’Israël et de l’aéroport du Bourget, près de Paris, Mimran s’est rendu en Israël à bord de son jet privé dans la matinée du 2 février 2009, est revenu en France dans l’après-midi du 5 février, est retourné en Israël dans la matinée du 10 puis est rentré en France dans la soirée du 12. L’élection israélienne, qui a porté Netanyahou à la tête de son pays, a eu lieu, elle, le 10 février.
Arnaud Mimran © DR
Le frère d’Arnaud Mimran, Benjamin, avait été convoqué par les douaniers quelques jours plus tard, le 3 février, pour être interrogé à son tour sur son éventuelle implication dans la fraude aux quotas carbone. Après avoir démenti tout rôle dans l’escroquerie, il a été interrogé sur d’éventuels déplacements en Israël en compagnie de son frère et d’un autre escroc présumé, Mardoché “Marco” Mouly.
Analysant la plupart de ses déplacements, il a assuré ne pas se souvenir de l’objet précis de ses visites en Israël. Mais pour son voyage du 10 février 2009, il a affirmé : « Ça ne me dit rien, mais c’est peut-être bien pendant l’élection de Netanyahou. »
Durant le procès du CO2, dont le jugement sera connu jeudi 7 juillet, Arnaud Mimran avait lui-même rendu publique l’histoire de ses dons à Netanyahou, et évoqué des versements totalisant un million d’euros. Ce témoignage ne contredit pas nécessairement sa déclaration en garde à vue au sujet des 200 000 dollars, dans la mesure où les libéralités de Mimran en faveur de Netanyahou comportent, au-delà des versements d’argent, de nombreuses dépenses effectuées durant des années.
Le mystère des comptes de New York
Comme Mediapart et Haaretz l’ont déjà rapporté, Mimran a payé au couple Netanyahou de coûteuses vacances à Courchevel, dans les Alpes, ou à Monaco en 2003, comme en témoigne une photo prise à l’époque. Mimran a aussi laissé Netanyahou utiliser gracieusement à sa guise son appartement parisien de l'avenue Victor-Hugo pendant ses séjours parisiens, et ce à plusieurs reprises selon des proches de Mimran. Depuis les premières révélations de Mediapart et Haaretz, le premier ministre d’Israël a changé de version au moins trois fois sur la nature exacte de ses relations, amicales ou financières, avec Mimran
La chaîne de télévision israélienne Channel 2 a en outre rapporté, lundi 4 juillet, que la police avait ouvert une enquête sur « une nouvelle affaire » visant Netanyahou. Celle-ci porte sur l’argent qu’il aurait reçu de plusieurs hommes d’affaires étrangers après son arrivée à la tête du gouvernement en 2009. La question est aujourd’hui de savoir si ce« nouveau » cas ne serait pas en réalité lié, directement ou non, à l’affaire Mimran et ne pourrait pas offrir de nouveaux développements au dossier à la lumière des nombreux paiements effectués par Mimran en 2009 et 2010 au profit de comptes bancaires domiciliés en Israël ou ailleurs dans le monde.
Selon les documents réunis par Mediapart et Haaretz, l’essentiel des transferts de fonds réalisés par Mimran au profit de ses partenaires israéliens et d’autres connaissances israéliennes ont été opérés depuis deux comptes logés aux États-Unis, comme cela ressort du dossier d’instruction.
Le premier, utilisé pour réaliser de nombreux paiements en Israël en lien avec la fraude aux quotas carbone, est un compte personnel ouvert au nom d’Arnaud Mimran à la Safra National Bank de New York, sous le numéro 6104355. Depuis ce compte, le 23 février 2010, Mimran a par exemple autorisé un virement bancaire de 180 000 euros vers un compte à la banque Leumi ouvert au nom d’un office notarial de Jérusalem nommé Bénichou-Bernstein.
Le transfert est accompagné de la mention « avance sur l’achat d’une propriété », mais Mimran a affirmé aux enquêteurs ne pas se souvenir à qui devait être affectée cette propriété. Le notaire Bénichou-Bernstein a refusé de répondre aux questions de Mediapart et Haaretz.
Moins d’un mois plus tard, alors qu’il séjournait en Israël, Mimran a aussi transféré un million d’euros depuis son compte à la Safra Bank au profit de celui d’un certain David Cohen à la Israel Discount Bank, dans la ville d’Eilat. Mimran a assuré cette fois aux enquêteurs que David Cohen était un agent immobilier et qu’il avait donné l’argent en vue de l’achat d’une propriété pour quelqu’un dont il ne se souvenait plus le nom… Mediapart et Haaretz ont localisé deux agents immobiliers nommés David Cohen, mais ceux-ci démentent catégoriquement tout lien avec Mimran et les transferts en question.
Un autre homme d’affaires a aussi été embarqué dans l’enquête sur les mystérieux paiements de Mimran en Israël. Les enquêteurs – juges et douaniers – ont en effet découvert que Mimran utilisait fréquemment le compte en banque d’un ami de la famille, un Argentin répondant au nom de Leandro Liberman. Un homme de paille, d’après la justice. Selon les propres déclarations de Mimran, Liberman l’a autorisé à utiliser son compte pour contourner d’éventuelles restrictions légales américaines.
Mimran a notamment utilisé le compte de Liberman, ouvert lui aussi à la Safra Bank de New York, sous le numéro 6109292, pour verser 400 000 euros à une société baptisée Isramart pour « l’achat d’un diamant comme cadeau ». Mimran, une fois de plus, a dit aux enquêteurs ne plus se souvenir quel était vraiment l’objet du paiement et à qui était destiné le prétendu diamant. Le paiement avait été validé par un simple fax envoyé depuis le centre d’affaires du David Intercontinental Hotel de Tel Aviv.
Durant l’instruction, les juges avaient commencé à confisquer les biens de Mimran et d’autres prévenus du “casse du siècle” et, à cette fin, ils avaient demandé aux autorités israéliennes d’identifier tous les comptes en banque et le patrimoine liés directement ou indirectement à l’argent de la fraude au CO2.
Dans le même temps, les juges ont essayé de cartographier tous les transferts vers Israël liés à d’autres accusés du CO2. C’est le cas, par exemple, de l’agent immobilier Eddie Abittan. Durant son interrogatoire, Abittan a affirmé qu’il avait reçu 2 millions d’euros de Mimran sous forme de prêt, qu’il lui a remboursés par la suite. Mais Mimran a juré aux enquêteurs qu’il ne connaissait pas Abittan et qu’il avait transféré les 2 millions vers son compte à la demande de son associé présumé dans la fraude au CO2, Samy Souied, qui sera assassiné à Paris en septembre 2010.
Le nom de Mimran est cité dans ce dossier comme possible commanditaire du meurtre, bien qu’aucune mise en examen n’ait été prononcée à ce jour dans cette affaire faute de charges, comme c’est aussi le cas dans d’autres affaires criminelles sur lesquelles plane l’ombre fuyante du même Mimran. Ce dernier dément la moindre implication dans les meurtres reliés à la fraude au CO2.
Dans le volet purement financier de l’affaire, dont le jugement sera rendu ce jeudi au tribunal de Paris, le procureur de la République avait requis dix ans de prison ferme contre Mimran, les menottes à l’énoncé du jugement et la confiscation de son patrimoine. En un mot : la fin de la liberté et la ruine. Celles-ci précipiteront-elles la chute de Netanyahou dans leur sillage ?
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