Deux fois mis en examen, l'ex-chef de l'Etat est visé par d'autres enquêtes
22 août 2016 | Par Michel Deléan et Mathilde Mathieu
Candidat déclaré à la primaire de droite, Nicolas Sarkozy est mis en examen dans deux affaires politico-judiciaires sérieuses. Il est encore visé par d’autres enquêtes en cours. Un cas unique qui pose question.
"Ce livre est un point de départ», annonce-t-il sur son compte Facebook. Pour donner un peu de sel à une candidature connue de fait depuis des mois, Nicolas Sarkozy n'a donc pas choisi un communiqué ou un JT de 20h mais un livre-programme, Tout pour la France. Il sera publié mercredi chez Plon mais est déjà abondamment cité sur les réseaux sociaux. Le livre se décline en cinq chapitres, qui donne le ton de ce que sera la campagne de l'ex-chef d'Etat: « Le défi de la vérité », « Le défi de l’identité », « Le défi de la compétitivité » « Le défi de l’autorité », « Le défi de la liberté ».
Lundi 22 août, Sarkozy a annoncé qu'il quittait la présidence de LR (Les Républicains) -celle-ci devrait revenir à Laurent Wauquiez. Jeudi, il tiendra son premier meeting de campagne. «Il devrait pas être en prison, lui?», lance un commentaire sur son site Facebook. Candidat déclaré à la primaire de droite, faute de pouvoir sauter directement à la case élection présidentielle, Nicolas Sarkozy se présentera aux suffrages des citoyens en étant lesté de quelques casseroles judiciaires de taille respectable.
Il est en effet le seul candidat à la candidature qui est mis en examen dans deux affaires politico-judiciaires. D’autres enquêtes le concernant suivent par ailleurs leur cours, et il est permis de se demander si tous ses soucis judiciaires n’entrent pas en ligne de compte dans la décision de Sarkozy de revenir en politique après l’avoir quittée.
L’ancien président de la République est mis en examen pour « corruption », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » depuis le 1er juillet 2014 dans l’affaire Paul Bismuth. Il est fortement soupçonné d’avoir corrompu le haut magistrat Gilbert Azibert pour que celui-ci intervienne dans une autre affaire (la restitution de ses agendas présidentiels, saisis dans l’affaire Bettencourt et qui risquaient alors d’être versés au dossier Christine Lagarde). Le pot aux roses avait été révélé lors d’écoutes téléphoniques judiciaires effectuées dans un autre dossier.
Selon des sources proches du dossier, Nicolas Sarkozy et son avocat et ami Thierry Herzog ont été réentendus récemment dans cette affaire plus qu’embarrassante, après que leurs auditions ont été annulées pour un motif procédural en mai dernier. L’ensemble de la procédure avait auparavant été validé par la cour d’appel de Paris, puis par la Cour de cassation.
Sauf nouveaux actes d’enquête ou confrontations entre les trois mis en examen (Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert), les juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut pourraient prochainement signifier à nouveau la fin de leurs investigations – ce qu’elles avaient déjà fait une première fois en début d’année. Les avocats auront alors un délai de trois mois pour formuler de nouvelles observations, avant que le Parquet national financier (PNF) ne rende son réquisitoire. À terme, Nicolas Sarkozy risque sérieusement un renvoi devant le tribunal correctionnel. Mais un éventuel procès ne pourrait matériellement pas avoir lieu avant la présidentielle de 2017.
L’autre chape judiciaire qui pèse sur « Sarkozy 2017 », c’est « Sarkozy 2012 », qui lui vaut depuis février une mise en examen pour « financement illégal de campagne électorale » dans l'affaire Bygmalion. Depuis, ses lieutenants retiennent surtout que Nicolas Sarkozy a échappé à toute mise en examen pour « faux » ou « escroquerie », l’instruction n’ayant pas démontré qu’il aurait donné l’ordre de bidonner son compte de campagne, ni même qu’il aurait été informé du système de fausse facturation mis en place entre Bygmalion et l’UMP pour dissimuler l’explosion de ses frais de meeting. Cherchant à relativiser le « financement illégal », ils matraquent qu’il s’agirait d’une infraction « informelle », sinon « automatique », liée au seul fait que le plafond de dépenses a été enfoncé.
Mais selon le juge Serge Tournaire qui l’a mis en examen, Nicolas Sarkozy ne pouvait ignorer le dérapage de ses dépenses. Contre l’ex-candidat, il retient deux alertes rouges adressées par ses experts-comptables, ainsi qu’un mail du directeur général de l’UMP rapportant, en mars 2012, le « souhait du Président de tenir une réunion publique chaque jour », soit d’accélérer la campagne.
Jugé dans quel délai?
Nicolas Sarkozy sera-t-il jugé un jour pour ce « financement illégal », puni d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende ? Surtout, dans quel délai ? Les juges d’instruction ayant signifié la fin de leurs investigations au début du mois de juin, le parquet de Paris devra rendre d’ici au début du mois de septembre (soit un délai de trois mois) ses propres réquisitions, demandant ou non le renvoi de Nicolas Sarkozy devant un tribunal correctionnel. Les avocats de l’ancien chef d’État, comme des treize autres mis en examen, disposeront encore d'un mois pour faire des observations.
Les juges d’instruction seront alors libres de suivre ou non les réquisitions du parquet. Eux seuls sont chargés de rédiger l’ordonnance finale, décidant d’accorder un non-lieu ou d’expédier au tribunal. Serge Tournaire ayant mis l’ancien président en examen, on voit mal qu’il renonce à un procès. Mais une incertitude pèse sur la position qu’adoptera Renaud Van Ruymbeke, le second juge ayant instruit le dossier depuis 2014 (un troisième, Roger Le Loire, en est dessaisi depuis qu’il a fait état de ses ambitions politiques auprès de sa hiérarchie).
En février dernier, en effet, Renaud Van Ruymbeke avait fait part en coulisse de son désaccord avec la mise en examen de Nicolas Sarkozy, signée du seul Serge Tournaire. Si Renaud Van Ruymbeke devait se désolidariser de son confrère, celui-ci pourrait tout de même parapher une ordonnance de renvoi pour « financement illégal » de sa seule main, pour la raison qu’il est le premier juge saisi. Possiblement avant la fin 2017 si des avocats soucieux (entre autres) de gagner du temps n’ont pas obtenu de nouveaux actes d’enquête.
Dans le volet financier de l’affaire Karachi, les juges d’instruction ont transmis voici deux ans à la Cour de justice de la République (CJR) les cas des ministres de l’époque : ils ont estimé que Nicolas Sarkozy (ministre du budget à l'époque des faits) était susceptible d’être placé sous le statut de témoin assisté, Édouard Balladur et François Léotard sous celui de mis en examen. Mais connaissant l’extrême prudence de la CJR, qui étudie toujours ce dossier, il semble peu probable que les charges pesant contre Nicolas Sarkozy soient revues à la hausse.
D’autres affaires suivent par ailleurs leur cours judiciaire, dans lesquelles Nicolas Sarkozy est cité sans que l’on sache à coup sûr s’il pourrait ou non être inquiété. Il en va ainsi de l’affaire du possible financement par la Libye de Kadhafi de sa campagne présidentielle de 2007. Une instruction longue, dont on ne peut deviner l'issue.
Autre dossier épineux, l’affaire des ventes d’hélicoptères et des possibles rétrocommissions au Kazakhstan (en 2011) a valu une mise en examen à plusieurs proches de Nicolas Sarkozy (Aymeri de Montesquiou et Jean-François Étienne des Rosaies), et suit actuellement son cours. Dans cette affaire, l'ex-chef de l'État est notamment soupçonné d’être intervenu en faveur d’un oligarque kazakh auprès des autorités belges, mais il pourrait bénéficier de l’immunité présidentielle.
Cette même immunité présidentielle lui est également garantie dans le dossier des sondages coûteux commandés par l'Élysée pendant son quinquennat, où plusieurs de ses proches sont mis en examen. Il en va de même dans l’affaire de l’arbitrage frauduleux rendu en faveur de Bernard Tapie (en 2008), dans laquelle Christine Lagarde est renvoyée devant la CJR et plusieurs personnalités (dont Stéphane Richard) sont mises en examen dans le volet non ministériel du dossier.
D’autres affaires sensibles sont, en revanche, définitivement terminées en ce qui concerne la situation personnelle de Nicolas Sarkozy. Il a ainsi obtenu (en octobre 2013) un non-lieu aigre-doux de la part des juges d’instruction dans l’affaire Bettencourt, où il avait été mis en examen pour abus de faiblesse.
L’ancien président a également bénéficié, en septembre 2015, d’un non-lieu dans l’affaire du remboursement par l’UMP de l’amende pour dépassement de frais de campagne de 2012, affaire dans laquelle il avait été placé sous le statut de témoin assisté six mois plus tôt (un non-lieu général a bénéficié aux mis en examen, dont Jean-François Copé).
Toujours prompt à dénoncer la supposée partialité des juges et à se présenter comme la victime d’un hypothétique complot, dès qu’une enquête judiciaire le menace, Nicolas Sarkozy ne rechignait pourtant pas à aller en justice lorsqu’il était au pouvoir. Il a déposé plainte et s’est constitué partie civile plusieurs fois lorsqu’il était ministre de l’intérieur puis président de la République, à la différence notable de ses prédécesseurs.
Les moyens de l’État (police et justice) ont ainsi été mis à contribution pour retrouver le voleur du scooter d’un de ses fils, les auteurs du piratage de son compte bancaire, les propagateurs de rumeurs sur sa vie privée, sans oublier l’interdiction de la poupée vaudou, et les poursuites pour offense au chef de l’État. Le climax a été atteint avec l’affaire Clearstream, dans laquelle Nicolas Sarkozy a pesé de tout son poids pour essayer de faire condamner Dominique de Villepin, en vain.
Le quinquennat Sarkozy a également été marqué par une réduction des effectifs de magistrats et un projet avorté de suppression du juge d’instruction, sur fond d’instrumentalisation politique à répétition des faits-divers. Le paradoxe n’est qu’apparent : pour Nicolas Sarkozy, qui ne goûte guère l'indépendance, la justice ne fonctionne bien que lorsqu’elle lui obéit et lui donne raison.