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6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 09:14
La phrase du jour: Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime
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6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 06:18

 

En dépit des dénégations du gouvernement, le projet de réforme des retraites a bien pour objet de favoriser la capitalisation. Officiellement, c’est pour la bonne cause : assurer le financement de l’économie française. Dans les faits, il s’agit de transférer tous les risques sur les épargnants. Ce qui ne peut que créer un choc de défiance.

C’est le dernier article du projet de loi sur la réforme des retraites. Mais pour beaucoup, en tout cas pour les banquiers et les assureurs, c’est l’article essentiel : la voie royale de la retraite par capitalisation est ouverte !

Bien que le gouvernement se défende de vouloir toucher au régime de retraite par répartition, il met tout en œuvre pour installer la capitalisation. D’abord sur un mode volontaire – en attendant que la capitalisation devienne ensuite obligatoire. Dans le projet de loi touffu de la réforme, l’article 64 vient compléter à point le travail de sape engagé par la loi Pacte (lire notre article) : « Les organismes de retraite professionnelle supplémentaire constituent, dans ce cadre complété, des véhicules spécifiquement conçus et adaptés pour porter des engagements de retraite et pour financer l’économie sur le long terme, en dégageant une performance attractive pour les épargnants. »

Mais naturellement c’est pour la bonne cause : « Le secteur de l’assurance est appelé à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules se généralise et que l’économie française puisse ainsi bénéficier pleinement du dynamisme de l’épargne retraite généré par la loi PACTE. »

Assurer le financement de l’économie, c’est l’argument massue qu’avait avancé le gouvernement lors de la suppression de l’impôt sur la fortune. Toutes ces sommes inutilement captées par l’État allaient se recycler vertueusement dans l’économie, assurait alors le ministre des finances. Trois ans après la suppression de l’ISF, la démonstration se fait encore attendre. « Sans surprise, l’étude de l’institut des politiques publiques identifie d’ores et déjà une baisse significative des fonds propres des entreprises concernées, causée par la reprise de la distribution des dividendes au profit des actionnaires », note le rapport du Sénat sur l’évaluation de la suppression de l’ISF. Dans le même temps, les fonds investis dans les PME et qui ont donné le droit à déduction sur l’ISF (581 millions d’euros en 2017) se sont volatilisés, selon ce même rapport.

Le ministre des finances Bruno Le Maire recycle aujourd’hui le même argument du financement de l’économie. À une différence près cependant : alors que le gouvernement avait opté pour le laisser-faire à l’égard des plus fortunés au moment de la suppression de l’ISF, il choisit aujourd’hui la répression financière afin de contraindre par tous les moyens les Français à se tourner vers les produits d’épargne proposés par les banques et les assurances.

La baisse du taux du livret A, porté à 0,5 %, soit son plus bas historique, s’inscrit dans ce cadre. Il s’agit de disqualifier l’épargne réglementée, honnie par les milieux financiers mais privilégiée par les Français, « afin de les inciter à diversifier leurs placements et choisir une épargne longue pour assurer le développement de l’économie », reconnaît Bruno Le Maire. De même, la réforme des retraites doit servir à réorienter l’épargne et assurer le financement de l’économie à long terme.

 

Mais pourquoi une telle insistance ? La France ne manque pas d’argent. Il n’y en a même jamais eu autant. Avec un taux d’épargne de plus de 15 %, les ménages français figurent même parmi les Européens les plus économes. Sauf à être cachée entre deux piles de draps, toute cette épargne sert tous les jours à faire fonctionner et financer l’économie. Mais elle serait trop mal orientée, selon le monde financier.

« La vulgate financière, en France notamment, reflète un large éventail de convictions communes parmi les praticiens ou les professionnels de la finance et les politiques libéraux […]. Un de ses leitmotiv est de déplorer le manque d’épargne financière et risquée des ménages, épargne qui serait absolument requise pour financer les investissements productifs considérables et nécessaires à la croissance », écrivent Luc Arrondel et André Masson, tous les deux économistes, directeurs de recherche au CNRS et membres du Paris School of Economics, dans un article décapant publié dans Capitalisme : le temps des ruptures (Odile Jacob), un livre écrit à plusieurs mains dirigé par l’économiste Michel Aglietta.

« Pour la vulgate, poursuivent les deux économistes, “la faute” en incomberait d’abord aux ménages eux-mêmes, trop frileux et peu éduqués financièrement, mais aussi à l’État du fait d’une fiscalité inadaptée et de réglementations tatillonnes et accessoirement aux nouvelles normes ou réglementations internationales, comptables ou prudentielles, adoptées depuis la crise. »

Souscrivant sans le moindre recul à cette analyse, le gouvernement entend lever tous ces obstacles pour « libérer les énergies », et réformer dans les moindres recoins. Afin de mettre la totalité de l’épargne française à la disposition de la finance. Mais tant d’efforts sont-ils justifiés ? Les changements peuvent-ils produire les effets escomptés par le gouvernement ? Retour sur la capitalisation et les fictions du financement de l’économie.

L’épargne des Français est-elle si mal orientée que cela ?

Les Français épargnent, épargnent beaucoup même. Chaque année, ils réservent en moyenne 15 % de leurs revenus disponibles. Seule l’Allemagne fait plus : le taux d’épargne s’y élève à plus de 17 %. Mais l’Italie, l’Espagne épargnent beaucoup moins (10 %), la Grande-Bretagne encore moins (6 %), sans parler des États-Unis où le taux d’épargne est à peine au-dessus de 2 %.

 

Selon la comptabilité nationale, la valeur totale des patrimoines des Français s’élevait à 13 125 milliards d’euros en 2017, soit 5,7 fois le PIB français. Depuis le début des années 2000, cette valeur a plus que doublé. Une fois l’endettement des ménages déduit (1 631 milliards d’euros), le patrimoine total s’élevait à 11 494 milliards d’euros. Cette accumulation de capital cependant est très inégalitaire : 50 % du total des patrimoines est détenu par les 10 % les plus riches en France.

Les Français gèrent-ils très mal toute cette épargne ? Non, répondent Luc Arrondel et André Masson dans leur article. Reprenant les chiffres de la comptabilité nationale, les statistiques européennes, la conclusion des deux économistes est sans appel. Les Français ne sont ni plus incultes en matière d’économie, ni plus timorés que les autres épargnants. Ils sont dans la moyenne.

La priorité des Français, c’est le logement. Les actifs immobiliers représentent 60 % du patrimoine total des ménages. Cette importance de l’immobilier explique en partie la très forte augmentation des patrimoines ces dernières années : les prix de l’immobilier, surtout dans les grandes villes, ont explosé.

Mais le comportement des Français ne diffère pas de celui des Européens. En Italie, en Espagne, en Belgique, les ménages consacrent une grande partie de leur épargne, voire beaucoup plus que les Français pour se constituer un patrimoine immobilier.

Il existe une exception européenne : l’Allemagne. Pour des raisons historiques, qui ont amené à la constitution de parcs locatifs très importants détenus par les villes ou des institutions mutualistes, les ménages allemands ont moins éprouvé le besoin d’accéder à la propriété et d’acquérir leur logement que dans le reste de l’Europe. La part de l’immobilier représente à peine 40 % de leur patrimoine. Cette situation cependant est en train d’évoluer très vite. La hausse des prix de l’immobilier et des loyers dans les grandes villes, en particulier à Berlin, pousse de plus en plus de ménages à acheter leur logement.

Les 40 % restants de l’épargne française sont consacrés à un patrimoine financier. Mais là encore, les comportements d’épargne présentent de nombreuses similitudes d’un pays européen à l’autre. L’épargne liquide ou quasi liquide prédomine partout. Elle est même beaucoup plus élevée en Italie et en Allemagne (48 %) qu’en France (36,4 %).

Les banques et les assurances françaises la considèrent pourtant comme trop élevée. Et surtout stérile. Le livret A, support premier de cette épargne court terme disponible à tout moment, empêcherait les investissements à long terme. Ce qui est totalement faux. Les avoirs du livret A permettent de financer des projets de logements sociaux qui représentent souvent des engagements sur 50 ou 60 ans. Combien de placements dit de long terme, gérés par les banques et les assurances, prennent des engagements sur de si longues périodes ? Pratiquement aucun.

Pour le reste, l’épargne financière européenne est surtout constituée par des placements reposant sur des produits de dettes, obligataires essentiellement. La grande différence entre les pays européens est liée à des placements qui ont été orientés par des décisions fiscales et réglementaires. L’Italie a ainsi privilégié la détention directe des obligations d’État ou des grandes institutions par les épargnants : 20,5 % de l’épargne italienne est placée en obligations contre 3,4 % en Allemagne et à peine 1 % en France.

En France, la détention de titres obligataires est indirecte. Parce que les gouvernements français successifs ont décidé depuis plusieurs décennies d’orienter par des incitations fiscales l’épargne vers l’assurance-vie, celle-ci a une place prépondérante dans la composition des patrimoines des Français. Elle représente 39,4 % du patrimoine financier des ménages contre 24,4 % en Allemagne et à peine 7,2 % en Italie.

Les fonds récoltés par l’assurance-vie en France représentent quelque 1 500 milliards d’euros. Des sommes qui normalement sont censées irriguer toute l’économie, la gestion en étant confiée à des gestionnaires professionnels (banques ou assurances). Par bien des aspects, ces produits s’apparentent aux fameux fonds de pension que ceux-ci veulent développer. Mais, pour les financiers, ces produits ont des tares irrémédiables : ils sont trop réglementés et doivent offrir des garanties de maintien du capital. Cela empêcherait des investissements à risque, selon eux. Et cela augmente aussi leurs obligations prudentielles et leur ratio de solvabilité, tout en leur imposant d’immobiliser plus de capitaux, surtout.

Un premier verrou a été discrètement levé juste avant Noël. Par arrêté, le gouvernement a autorisé les assureurs-vie à comptabiliser la provision pour participation aux bénéfices dans les fonds propres des compagnies. En d’autres termes, la partie des gains qui revient chaque année aux assurés et leur appartient peut être annexée pendant huit ans dans les fonds propres des assureurs, si ceux-ci ont des difficultés à respecter leur ratio de solvabilité. C’est un premier pas. Mais pour le monde financier, ce sont tous les verrous qui doivent sauter, afin de faciliter la prise de risque.  

L’ennui, pour eux, est que les épargnants français n’aiment pas assez le risque. Mais en cela, ils sont comme tous les autres ménages européens. La part des actifs financiers risqués (actions, fonds communs de placements, parts de fonds, etc.) représente à peine 15 % du patrimoine des ménages européens. Cette part varie sensiblement selon la fortune des ménages : plus ceux-ci sont aisés, plus ils investissent dans des placements risqués.

De même comme tous les Européens, les Français investissent peu en bourse (moins de 10 % de leurs actifs). Comme les Belges, les Allemands ou les Néerlandais, ils ont abandonné les marchés boursiers après la crise de 2008 pour y revenir après 2014, sur la pointe des pieds.

 

Le rêve des PME allemandes

Pas un discours sur l’industrie en France ne se tient sans qu’il n’y ait une référence aux PME allemandes. Le 21 janvier, Emmanuel Macron n’a pas échappé à la règle. Recevant quelque 500 dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) à l’Élysée, après avoir accueilli la veille 500 PDG de multinationales à Versailles, il s’est lancé dans un vibrant hommage du modèle allemand. « Quand on se compare, on observe que c’est en effet une potentielle faiblesse française de ne pas suffisamment mettre l’accent sur ces ETI », a souligné le chef de l’État.

Pour le gouvernement, le « Mittelstand », ce réseau de moyennes entreprises industrielles allemandes, souvent familiales, parfaitement intégrées dans l’appareil productif, c’est le Saint-Graal industriel. Le modèle qu’il faut absolument reproduire. Si la France n’y parvient pas, selon lui, c’est que les entreprises ne disposent pas de suffisamment de fonds propres pour se développer, que l’argent leur manque. D’où la nécessité de réorienter l’épargne française pour les aider.

L’ennui est que ce cercle censé être vertueux n’existe que sur le papier. Le capitalisme actuel fonctionne sur la dette. C’est encore plus vrai en Europe où le financement des entreprises repose sur le crédit bancaire et non sur le marché des capitaux, comme aux États-Unis. Cette réalité est si bien admise que la Banque centrale européenne n’a cessé d’invoquer les besoins de financement de l’économie réelle pour justifier toutes ses mesures monétaires exceptionnelles (LTRO, QE, TLTRO, etc.) pour soutenir les banques et le secteur financier. En négligeant au passage le problème de transmission monétaire : l’essentiel des moyens engagés par les banques centrales a été capté uniquement par le monde financier.

C’est un des problèmes auxquels se heurtent les PME françaises. Face à des équipes bancaires interchangeables, ignorant tout des secteurs industriels, travaillant selon des procédures d’engagements normées, les dirigeants d’entreprise ont de plus en plus de difficulté à trouver des interlocuteurs acceptant de les accompagner, d’avoir accès au crédit.

Une des clés de la réussite allemande repose sur le fait qu’elles ont pu s’appuyer sur des réseaux bancaires locaux ou régionaux, connaissant parfaitement leurs clients industriels, acceptant de les accompagner mais aussi les contrôlant. (Tout est loin cependant d’être parfait. En 2008, l’État allemand a dû massivement intervenir pour renflouer ces caisses d’épargne en pleine déroute.)

La France a fait tout l’inverse. Avec un acharnement qui mérite d’être souligné, elle a détruit à partir du milieu des années 1980 tous les outils financiers sur lesquels pouvaient compter les dirigeants d’entreprise. Le Crédit national, institution bancaire publique qui était un des moyens de soutien aux PME, a été liquidé, privant au passage l’appareil d’État d’un outil très fin de connaissances des réalités industrielles sur le territoire. Les sociétés de financement régionales ont été privatisées pour le plus grand bénéfice de quelques amis. Tous les produits financiers (crédits à taux bonifiés, aides sélectives, financement de filière) ont été supprimés. Il ne reste que des dispositifs indifférenciés (CICE, CIR, etc.), arrosant grands et petits sans distinction et sans contrepartie.

 

La deuxième clé du succès des PME allemandes est encore plus compliquée à réaliser. Leur réussite tient beaucoup à une intégration, menée de très longue date, de chaînes de valeur industrielle, où la coopération, même si elle est parfois très rugueuse, entre grands groupes et sous-traitants existe, où il y a partage des connaissances, des innovations, des techniques, des marchés, de la valeur.

En défendant au-delà du raisonnable le modèle des « champions nationaux », les gouvernements successifs ont choisi la voie exactement inverse. Ils ont applaudi à tous les rachats des PME qui faisaient de l’ombre aux grands groupes. Ils ont encouragé l’assèchement du tissu industriel et des innovations. Tout devait être mis à la disposition de nos « champions ».

Les rapports entre les grands groupes et les PME françaises relèvent désormais de la subordination plus que de la coopération ou de l’intégration dans une chaîne de valeur. Les petites entreprises vivent sous la menace constante du laminage des prix et des marges, des délocalisations, et de l’abandon des commandes. Ce sont les PME qui doivent assumer les risques, les frais de développement, la compression des coûts, les retards de paiement en lieu et place des grandes entreprises. Les surprofits (88 milliards d’euros en 2018) que dégagent aujourd’hui les groupes du CAC 40 disent aussi cela : ils ne sont pas seulement le reflet de leur performance, mais aussi d’un accaparement de la valeur non seulement au détriment des salariés, mais aussi de leurs sous-traitants.

Ce n’est pas une nouvelle orientation de l’épargne qui pourrait corriger les tares de ces organisations du système productif auxquelles le gouvernement n’apporte aucun remède. D’ailleurs, de l’argent il y a en déjà. Au cours du seul premier semestre 2019, huit milliards d’euros ont été à nouveau levés auprès d’investisseurs institutionnels pour alimenter les fonds de capital risque, selon l’association France Invest qui regroupe les principaux intervenants de capital-risque.

Mais cet argent est essentiellement investi dans les sociétés existantes, qui se voient imposer des taux de retour sur capitaux toujours plus élevés. Pour ces fonds comme pour le private equity (fonds d’investissements privés), l’entreprise n’est qu’un bien comme un autre, à acheter, à vendre, à endetter, à dépecer. La multiplicité des exemples de ces PME totalement essorées illustre ces pratiques de prédation (lire ici, là ou là encore). Apporter une épargne supplémentaire à ces fonds sans rien changer à leurs méthodes et leurs critères de rendement ne servira qu’à alimenter un secteur qui, de l’aveu même des connaisseurs de ce milieu, connaît une véritable bulle.

 

Pourquoi la bourse ne finance plus l’économie 

C’est un autre sujet régulièrement apporté par le monde de la finance : les marchés boursiers sont, selon eux, le meilleur moyen de financer l’économie réelle, de permettre aux entreprises de renforcer leurs fonds propres et de se développer. Pourtant, les marchés boursiers n’ont toujours financé que très partiellement l’économie et les entreprises. Et depuis plus d’une décennie, ils n’assurent pratiquement plus cette fonction.

Le vrai financement des entreprises en bourse intervient lors des introductions en bourse, des augmentations de capital, lorsque les entreprises lèvent des fonds pour renforcer leurs bilans ou pour financer des projets. C’est ce que les économistes appellent le marché primaire. Mais ce marché primaire a quasiment disparu au cours des quinze dernières années, de l’aveu même de l’Autorité des marchés financiers (AMF). « Partout les introductions en bourse ont été décevantes, voire en net repli. Si à Paris elles sont plus nombreuses qu’en 2017 (34 contre 28), elles concernent des valeurs de plus petite taille et ont collecté moins de capitaux nouveaux (1,1 milliard d’euros contre 2 en 2017). De même, les émissions de titres de capitaux sont en recul, avec seulement 2 milliards levés (au lieu de 14 milliards en 2017) », indique l’autorité boursière dans son rapport de 2018, le dernier disponible.

Tout laisse penser que les chiffres seront à peu près les mêmes en 2019, en France comme à l’étranger. Car la bourse n’est plus maintenant qu’un marché secondaire, un marché d’occasion, où s’échangent et se négocient les actions existantes, sans relation avec les entreprises : celles-ci ignorent souvent l’identité de leurs actionnaires.

Et pour cause : la durée moyenne de détention des actions n’a cessé de s’effondrer. Aux États-Unis, elle serait autour de 20 secondes, selon des chiffres avancées par un universitaire américain, Michael Hudson, en janvier 2011. En France, les dernières évaluations remontent à 1999. Elles ont été faites par la Banque de France. À l’époque, les ménages détenaient leurs actions pendant 2 ans et 10 mois, les sociétés pendant 9 ans et 10 mois, et les fonds d’investissement, pendant 1 an et 1 mois. Pour les clients non résidents en France, la moyenne tombait à 4 mois. Tout porte à croire que ces durées ont été considérablement raccourcies. Alors que la finance s’est convertie au trading à haute fréquence, aux interventions à la nanoseconde, la durée moyenne doit tourner autour de quelques secondes. Ce qui donne une illustration de la vision long terme des investissements.

Loin d’assurer un financement des entreprises, les marchés boursiers sont devenus au contraire une arme de captation et de destruction du capital et des profits. Ils exigent des rendements, toujours plus de rendements. Le taux de distribution des profits atteint des records. Et les entreprises françaises du CAC 40 figurent parmi les premières de la classe : en 2019, elles ont distribué 49,2 milliards d’euros de dividendes, soit 58 % de leurs bénéfices, selon la Lettre Vernimmen de janvier.

Mais cela ne s’arrête pas là. Le capitalisme financier est devenu cannibale, exigeant la destruction du capital par le biais des rachats d’action. Instituée au cours des années 1990, cette pratique s’est généralisée et fait des ravages. En 2019, les groupes du CAC 40 ont dépensé 11 milliards d’euros pour racheter leurs actions. Aux États-Unis, selon les dernières estimations, les rachats d’action ont atteint la somme gigantesque de 850 milliards d’euros.

De l’argent pour soutenir des actions, souvent en pure perte. Entre 2008 et 2018, le groupe américain GE a dépensé 67,1 milliards de dollars en rachats d’actions qui sont venus s’ajouter à 105,2 milliards de dollars de dividendes. Résultat ? L’action GE a été divisée par deux en dix ans, elle a même perdu 75 % de sa valeur fin 2018 par rapport à 2016. Et le groupe licencie à tour de bras, incapable de financer les bouleversements dans ses activités.

En quoi orienter l’épargne française vers des placements dans une économie de casino permettrait-il de mieux financer l’économie réelle ? Mystère.

Le transfert du risque sur les épargnants

Dans une note récente, Patrick Artus, directeur des études chez Natixis, s’est interrogé sur la situation des salariés français s’ils avaient eu un régime de retraite par capitalisation depuis 1980. Sa conclusion était sans appel : la capitalisation permettait de bénéficier d’une retraite bien plus élevée que la répartition. Selon ses calculs, un euro cotisé en 1982 rapporterait 1,93 euro en 2019 dans notre système par répartition mais 21,90 euros dans un système par capitalisation « Le coût d’avoir eu, depuis 40 ans, seulement de la retraite par répartition est donc considérable », concluait-il de façon définitive.

Cette note a déclenché une volée de critiques de la part de nombreux économistes, dénonçant la fantaisie de ces calculs. « Si on reprend ceux de Patrick Artus, on arrive à ce résultat manifestement absurde selon lequel les retraites représenteraient aujourd’hui 156 % du PIB au lieu de 13,8 % », a répliqué l’économiste Michel Husson, membre d’Attac sur son blog. Ironisant sur la pensée magique qui a fait de nombreux émules dans l’histoire économique, il rappelait quelques principes de base, notamment que les rendements du capital ne peuvent être élevés qu’à la condition que les détenteurs soient peu nombreux. « L’extension de leurs privilèges à d’autres couches sociales impliquerait leur “évaporation”. » Avant de conclure : « La valorisation fictive d’actifs financiers, déconnectée de l’économie réelle, ne peut que s’effondrer. »

Il n’y a pas que lui à lancer cet avertissement. De plus en plus d’analystes de banque, dont JPMorgan, Deutsche Bank, CIT, de grands gestionnaires dénoncent la dangerosité du système financier. Un système qui, bien que censé être en régime normal, ne sait plus vivre sans l’assistance permanente des grandes banques centrales. Quelque 11 000 milliards de dollars ont été déversés dans la planète financière depuis 2008. Le monde financier croule désormais sous des liquidités mal investies, qui provoquent des bulles d’actifs partout, des montagnes de dettes, et un dérèglement généralisé d’une finance qui n’a plus aucun lien avec l’économie réelle. Immanquablement, ces bulles finiront par exploser, prédisent les uns et les autres.

Déjà de nombreux fonds de pension, implantés depuis fort longtemps, rencontrent les plus grandes difficultés à se maintenir à flot. Alors quel est l’intérêt d’inciter des épargnants à aller vers la capitalisation alors que tout est à des niveaux stratosphériques et ne peut que descendre à un moment ou un autre ? La crise de 2008 a donné un aperçu des conséquences d’un effondrement des marchés pour les fonds de pension. D’un seul coup, des retraités américains, en première ligne dans la débâcle, ont vu leur retraite fondre de 30 %, 40 %, parfois 70 %. Certains d’entre eux totalement ruinés ont dû, à 70-75 ans, reprendre des petits boulots – livreurs, laveurs de voiture, coursiers – pour avoir un minimum de revenus.

Les banquiers et les assureurs, dans leur publicité, se gardent bien de mettre en garde les épargnants de ces risques éventuels. Pourtant, ils sont inévitables et même directement recherchés par les financiers. « Tous les fonds de pension appliquent aujourd’hui le principe de la cotisation définie pour éviter toute responsabilité en cas de mauvais rendement des systèmes privés d’épargne retraite », insiste Francesco Saraceno, directeur adjoint du département des études à l’OFCE, Sciences Po – USPC dans une étude sur les limites du projet de réforme français.

Mais c’est bien cela le vrai but poursuivi par les banquiers et les assureurs dans leur campagne pour la capitalisation : supprimer les garanties de capital telles qu’elles existent dans l’assurance-vie ou les produits réglementés et faire supporter tout le risque à l’épargnant. Un risque pouvant aller jusqu’à la disparition totale du capital engagé.

Un choc de défiance

Ce n’est pas le moindre des paradoxes du capitalisme actuel. Tout en revendiquant la prise de risques, à des rendements du capital exorbitants et des rémunérations hors norme, le monde financier et les grands groupes ne cessent de réclamer des garanties, des protections, des sécurités. Ils ont installé un capitalisme de rente protégé, normé, contractualisé, qui leur permet de poursuivre les États, mais interdit l’inverse.

Car dans le même temps, ils ne cessent de demander la suppression de toutes les garanties et des protections pour les salariés. Droit du travail, assurance-chômage, protection sociale et de santé, retraites… tout ce qui assure un minimum de protection au monde du travail, une mutualisation des risques par la collectivité leur paraît relever de privilèges exorbitants.

Ce programme de mise à bas des droits et des protections, d’insécurité sociale, créant précarité et incertitudes chez tous, est appliqué à la lettre depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron. Les Français voient se défaire sous leurs yeux leur statut, leurs protections, leur sécurité, leurs droits, leurs aides, leurs services publics. Comment prétendre dans le même temps créer un choc de confiance pour inciter les épargnants à prendre plus de risque ? Le gouvernement pourrait bien obtenir l’effet exactement inverse : il est en train de créer un choc de défiance.

L’enchaînement des réformes, l’effacement de tous leurs repères et cadres, créent un climat d’instabilité et d’insécurité généralisé, qui interdit de se projeter dans le futur, de rêver l’avenir. Ce qui ne peut que provoquer des réflexes de prudence, voire de paralysie, comme le rappelle Francesco Saraceno : « Comme on l’apprend en première année de microéconomie, les assurances améliorent l’efficacité en permettant la mutualisation du risque. Si on laisse le risque peser sur les épaules des travailleurs, l’efficacité de l’assurance collective est entravée. »

Parce que demain, plus rien ne sera assuré, que la précarité sera devenue la norme, qu’il faudra peut-être avoir rapidement de l’argent pour faire face aux aléas de la vie, y compris désormais pour la santé, les Français vont devoir épargner et plus sans doute qu’aujourd’hui. Mais geler de l’argent pendant des décennies, sans même avoir l’assurance de retrouver ses économies n’est pas une option dans un tel environnement. Ils choisiront des placements sûrs, immédiatement mobilisables pour pouvoir répondre aux accidents de la vie.

Pour le reste, ils risquent de privilégier encore plus qu’aujourd’hui l’immobilier, même si cela leur demande un effort financier encore plus important et long qu’aujourd’hui. Parce qu’avoir une maison, c’est la seule, la dernière protection qui leur est offerte face à un gouvernement qui a choisi de leur retirer protection et assurance collective et de les exposer à tous les vents, à tous les risques.  

 

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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 18:25
"Le droit à la retraite est un marqueur de civilisation. C'est un droit que l'on crée par le travail, un droit que l'on partage, un droit essentiel. Après plusieurs semaines de conflit, c'est au peuple de décider ! Un référendum sur le projet de réforme des retraites doit être organisé."  Fabien Roussel
Le gouvernement a perdu la bataille de l'opinion et choisit le passage en force. Ne laissons pas bafouer notre démocratie pour casser nos retraites. Interpellons les parlementaires de notre département pour qu'ils soutiennent le référendum
La vidéo de la semaine

Macron a peur du débat avec le peuple
(Fabien Roussel)
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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 08:01
Photo L'Humanité

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Monique Pinçon-Charlot : « Tout est détruit, selon un ordre très précis imposé par les plus riches »
Jeudi, 30 Janvier, 2020 - L'Humanité

Sociologue de la grande bourgeoisie et du pouvoir oligarchique, Monique Pinçon-Charlot analyse le poids des riches dans la grande régression sociale actuelle.

 
Monique Pinçon-Charlot
Sociologue, coauteur dernièrement avec Michel Pinçon de l’ouvrage « le Président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron » (la Découverte)
Pourquoi les riches se sentent-ils si bien en France ?

Monique Pinçon-Charlot. Depuis le premier septennat de François Mitterrand et le tournant de la rigueur de 1983, le néolibéralisme s’est mis en route avec des avancées tantôt rapides, comme sous Sarkozy, tantôt plus lentes, comme sous Hollande. L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir constitue un coup d’accélérateur sans précédent. Nous assistons à une stratégie du choc. Des pans entiers de l’État providence, protecteur des classes populaires et des plus fragiles, mis en place après la Libération, tombent les uns après les autres : les protections des travailleurs contenues dans le Code du travail, les protections des chômeurs avec le tour de vis sur l’assurance-chômage, les protections des retraités avec la réforme du régime des retraites… Champ de bataille après champ de bataille, tout est détruit, selon un ordre très précis imposé par les plus riches à Macron. En début de quinquennat, il a expliqué que la suppression de l’impôt sur la fortune se ferait en 2018 ou 2019. L’oligarchie est intervenue dès octobre 2017 pour faire presser le pas. L’ISF a disparu dès la loi de finances 2018.

Comment expliquez-vous qu’au fil des années les mêmes noms restent en tête des classements des plus fortunés de France ?

Monique Pinçon-Charlot. C’est la grande particularité de la France. Après la Révolution, les puissantes familles de la noblesse ont su très vite se réconcilier avec la bourgeoisie pour faire évoluer le capitalisme d’Ancien Régime en capitalisme industriel et commercial. Le néolibéralisme leur a offert une nouvelle impulsion qui leur permet de réaliser de nouvelles formes de profits, ceux-là financiers. Ces dynasties se transmettent donc de siècle en siècle des fortunes considérables qui demeurent au sein de leurs familles et ne ruissellent pas du tout.

Quel est le rôle d’Emmanuel Macron dans ce contexte ?

Monique Pinçon-Charlot. Emmanuel Macron est le fondé de pouvoir de l’oligarchie. Il a mis l’État au service quasi exclusif des plus riches. Et les pouvoirs politiques et économiques sont désormais entremêlés. Le plus dur avec Macron est qu’il n’y a plus de séparation entre les pouvoirs. Le politique, qui était un champ autonome encore jusque dans les années 1980, est sous la coupe du pouvoir économique. Et cette stratégie du choc empêche tout changement politique puisque nous sommes maintenus sous la canonnade des réformes défavorables aux classes moyennes et populaires.

La France fait pourtant preuve d’une force intellectuelle. Les économistes, sociologues, historiens… ont tout décrypté des attaques du néolibéralisme à l’encontre des travailleurs, des mal-logés, de l’environnement, des classes populaires. Mais la violence est telle qu’elle ne permet pas de traduction politique des résistances qui se font jour dans les mouvements de protestation. Les riches se sentent bien en France parce qu’ils n’y sont pas inquiétés. Le niveau d’imposition si décrié depuis longtemps n’y est pour rien. Le nombre d’exilés fiscaux ne change d’ailleurs pas d’une année sur l’autre car leurs revenus et patrimoines échappent de longue date aux impôts et taxations. L’oligarchie est juste parvenue à capter le pouvoir politique et les richesses produites en cassant ce que l’on appelle les « zones de confort » des citoyens : la Sécurité sociale, l’assurance-chômage, le régime des retraites, le Code du travail…

 
Entretien réalisé par S. G.
Monique Pinçon-Charlot : Tout est détruit, selon un ordre très précis imposé par les plus riches - Monique Pinçon-Charlot dans L'Humanité, 30 janvier 2020
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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 06:22
PCF - Pour une retraite juste et universelle
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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 06:18

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord était l'invité de Jean-Jacques Bourdin jeudi 30 janvier

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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 06:14

 

Le nouveau système des retraites prévoit un ajustement permanent des paramètres en fonction de la situation financière. En cas de crise, ce mécanisme d’austérité permanente pourrait être particulièrement violent.

Les simulations issues de l’étude d’impact de la loi de réforme des retraites évitent évidemment le sujet, qui n’est par ailleurs que peu évoqué. On est pourtant en droit de se poser cette question essentielle : que se passera-t-il avec les retraites en cas de crise économique ? La réponse ne peut évidemment que donner lieu à des hypothèses et dépendra de la majorité politique d’alors et de l’ampleur de la crise. Mais le projet de loi permet déjà de dessiner des pistes.

Car l’article 55 de ce projet précise bien qu’il existe une obligation d’équilibre financier du système des retraites sur cinq ans glissants, quelle que soit la situation conjoncturelle. Le conseil d’administration (CA) de la future Caisse nationale de la retraite universelle (CNRU) sera dans l’obligation « chaque année » de prendre des mesures pour s’assurer de cet équilibre. La base de travail de cette décision sera le rapport du « comité d’expertise indépendant ». L’indépendance de ce dernier ne sera cependant que fort relative : ses membres seront nommés par les présidents des assemblées (Sénat, Assemblée nationale et Conseil économique, social et environnemental) et par le président de la République, auxquels s’ajouteront deux représentants de la Cour des comptes. Autrement dit, ce comité, où il n’y aura pas de représentants des retraités et des salariés, sera concentré exclusivement sur la question de l’équilibre financier.

Ce conseil d’administration ainsi composé sera alors chargé de « proposer d’ajuster les paramètres pour assurer le respect de la règle d’or ». On est ici au cœur du véritable intérêt de la réforme par points : l’ajustement permanent du système à l’équilibre financier. Or, on l’oublie souvent, les ressources de l’assurance vieillesse sont extrêmement dépendantes de la conjoncture et du marché du travail. En 2019, selon la commission des comptes de la Sécurité sociale, 67 % des ressources du régime général d’assurance vieillesse reposaient sur les cotisations. À cela doivent s’ajouter les transferts des caisses complémentaires et spéciales et les impôts et taxes dédiés, notamment la taxe sur les salaires. À l’inverse, les dépenses sont liées à des raisons démographiques indépendantes de la conjoncture.

Autrement dit, en cas de crise économique et de dégradation du marché du travail, le régime de retraite se trouve nécessairement en déséquilibre. On pourrait laisser le système se rééquilibrer avec le mouvement cyclique de la conjoncture. Mais ce n’est pas la voie choisie par la réforme, car, dans ce cas, il n’y aurait aucune nécessité de fixer un horizon pour rééquilibrer le système. Le choix qui a été fait est tout autre : il revient à obliger le CA de la future CNRU à prendre des mesures d’équilibre dès le début de la crise. Car, désormais, tout déficit conjoncturel devra être suivi par un excédent correspondant dans les cinq ans. Plus le déficit est important, plus l’excédent devra l’être. Et comme on ignore la durée du déséquilibre « naturel », il sera donc nécessaire de prendre des mesures rapides pour ralentir le déficit et s’assurer d’un excédent une fois la crise passée. Autrement dit, il faudra bien désormais prendre vite des mesures d’austérité.

 

En ce sens, l’article 55 énumère un certain nombre de mesures : modalités d’indexation des retraites, évolution de l’âge de référence, revalorisation des valeurs d’achat et de service, taux de cotisation et, le cas échéant, produits financiers des réserves. Sur qui porteront ces mesures ? À l’exception de cette dernière possibilité, tous ces moyens font payer la crise aux retraités (désindexation des pensions dont seule la valeur nominale est garantie par l’article 11), aux futurs retraités (par l’évolution de l’âge de référence et de la valeur des « points ») ou aux cotisants. Compte tenu des exigences de compétitivité qui dominent dans l’univers politique actuel et qui s’ancrent dans cette équation, très contestable, que « l’alourdissement du coût du travail crée du chômage », le relèvement des cotisations semble l’option la moins disponible.

Quant à l’utilisation de réserves, elle ne permet pas d’assurer des excédents capables d’équilibrer par la suite le système et il est fort probable qu’un comité d’experts dominé par la Cour des comptes préférera des mesures qui porteront sur les dépenses. C’est bien ce que propose depuis des années la Cour pour les comptes publics, conformément à la doxa néolibérale que l’on ne réduit bien les déficits qu’en baissant les dépenses. Cette vision est à l’origine de la pensée de « l’austérité expansive » qui a provoqué la crise de la zone euro en 2010. C’était l’époque où Jean-Claude Trichet affirmait que l’austérité pouvait être favorable à la croissance. Et cette idée constitue le socle du futur régime de retraite : on considère qu’en cas de crise, l’austérité permettra de redresser au mieux les comptes.

C’est évidemment un immense risque. En cas de crise, beaucoup de ces mesures risquent de peser sur l’activité et de dégrader encore la situation conjoncturelle. Cela est évident en cas de désindexation des pensions ou de hausse des cotisations salariales. Mais la baisse du taux de remplacement du salaire, soit par le déplacement de l’âge de référence, soit par la modification de la valeur du point, conduira aussi à une perte de revenus et, inévitablement, à des mécanismes de protection par une augmentation du taux d’épargne au détriment de la consommation. Or, c’est exactement ce qu’il faut éviter en cas de crise.

Il y a donc fort à parier que la « règle d’or » enclenche un cercle vicieux réduisant le filet de sécurité que constituent les transferts sociaux en France contre les aléas conjoncturels. Si le gouvernement n’avait pas de tels moyens en tête, pourquoi alors n’ont-ils pas été explicitement exclus des possibilités d’un ajustement à court terme ? Pourtant, le risque est immense car en aggravant la crise, on risque d’aggraver le déficit. Là encore, c’est le mécanisme de l’austérité qui a aggravé la crise et les déficits, qui ont été à l’œuvre à partir de 2010. L’autre risque, c’est qu’on retrouve vite l’équilibre au prix d’un appauvrissement des pensionnés et/ou des salariés.

Lorsqu’on observe la dernière crise et les mesures prises pour rééquilibrer le système, le tableau devient franchement inquiétant. Entre 2008 et 2010, on remarque une dégradation du déficit du système de 4,1 milliards d’euros, mais cela s’ajoutait à un déficit lié à la démographie qui s’était creusé en 2007 à près de 5 milliards d’euros. En 2010, le régime général d’assurance vieillesse était donc en déficit de 8,9 milliards d’euros. La réforme Fillon, en prenant une mesure d’âge et d’indexation stricte des retraites sur l’inflation, a ramené ce déficit à 4,8 milliards d’euros en 2012. Autrement dit, entre 2008 et 2012, le système était proche de l’équilibre si on excluait l’effet du déficit passé. La règle du nouveau système aurait donc été respectée. Mais à quel prix ? En 2011, on prévoyait un déficit de 5,8 milliards d’euros avec 1,9 % de croissance et finalement, on a eu un déficit inférieur d’un milliard d’euros avec une croissance de 0,2 %. Il a donc fallu serrer violemment les dépenses, dont la croissance a été divisée par 4 entre 2006 et 2011. Rien d’étonnant qu’avec une telle pression, la croissance française ait été faible, alors même que la crise de la zone euro faisait rage.

Rappelons simplement les conditions de cet ajustement : la réforme Fillon a provoqué un long conflit social. C’est ici une des conséquences du principe actuel de prestations définies. Lorsqu’on veut rééquilibrer le système, il faut le remettre à plat et engager un débat dans la société. Désormais, avec le système à points, cela se fera plus simplement par une simple décision « éclairée » annuelle du Conseil d’administration de la CNRU validée par un décret du gouvernement. C’est à la fois plus simple et plus discret. Qui descend massivement dans la rue chaque année contre l’absence de coup de pouce au Smic ou le gel du point d’indice des fonctionnaires ? C’est bien ici l’avantage principal du système par points jamais avancé par le gouvernement qui, néanmoins, ne l’ignore pas.

Le cas de la période 2008-2012 est assez parlant, mais la future réforme rendra inévitablement l’ajustement encore plus douloureux. En effet, pendant la dernière crise, les gouvernements n’étaient pas contraints d’équilibrer le système, donc d’ajuster aussi le déficit passé, celui accumulé en 2006-2007. Si cela avait été le cas, il aurait fallu réduire les dépenses de 5 milliards d’euros de plus. Imaginons qu’une crise économique survienne alors que le système connaît un déséquilibre. Ce n’est pas une vue de l’esprit puisque l’actuelle réforme induira un véritable « saut dans le vide financier », lié notamment aux pertes de cotisations sur les hauts revenus, mais aussi parce que les ressources du système ne sont pas garanties et qu’elles sont sous la pression des politiques de baisse du coût du travail. La règle des « 5 ans glissants » forcera alors à régler à la fois, et rapidement, le déficit hérité et le déficit causé par la crise.

L’austérité sera donc nécessairement plus intense. En réalité, elle sera permanente. En effet, la pression sur le système vers le déficit causée par la démographie sera constante et induira chaque année des mesures correctives. En cas de crise, ces mesures seront renforcées. Et c’est bien pour cette raison que toutes les projections publiées sur le nouveau système doivent être prises avec d’immenses précautions. Elles sont fondées sur un monde idéal et éloigné de la réalité, un monde sans crise et où les croissances de la productivité et de l’activité sont stables. C’est improbable. Or, les mesures d’âge, de valeur du point ou de valeur des pensions prises au cours des futures crises ne seront sans doute pas corrigées. Dès lors, les crises auront un effet d’accélérateur sur chacune de ces mesures. Si, pour gérer une crise, on décide de repousser l’âge d’équilibre, on ne reviendra pas sur cette décision. Il se peut donc que la projection d’un âge d’équilibre à 67 ans en 2060 soit très optimiste. Il pourrait survenir beaucoup plus tôt.

C’est là le fonctionnement naturel d’un système qui place l’équilibre financier comme point de départ. Ce système géré par les coûts aura alors une conséquence évidente : il engendrera des incertitudes qui donneront lieu à une épargne de précaution, principalement, comme le veut la tradition française, dans l’immobilier. L’essor de la capitalisation se fera aussi par ce biais. Plus que jamais, cette réforme construit un modèle économique à haut risque et qui fait fi des leçons du passé.

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3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 16:28
Municipales. Le Conseil d’État tacle la circulaire Castaner
Lundi, 3 Février, 2020

La disposition sur les nuances politiques risquait de « biaiser » les résultats nationaux des élections des 15 et 22 mars.

 

Deuxième claque pour le gouvernement en une semaine. Après avoir étrillé le projet de réforme des retraites, le Conseil d’État a suspendu, le 31 janvier, trois dispositions de la circulaire du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, adressée aux préfets dans le cadre des prochaines élections municipales. Le ministre entendait faire supprimer les nuances politiques aux listes candidates dans les villes de moins de 9 000 habitants ou chefs-lieux d’arrondissement. Une telle disposition aurait conduit, selon le Conseil d’État, « dans plus de 95 % des communes, à ne pas attribuer de nuance politique et exclu ainsi de la présentation nationale des résultats des premier et second tours des élections municipales à venir les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ». Le Conseil d’État fait même part de son « doute sérieux » quant à la légalité d’une telle mesure.

À gauche, on soupçonnait le gouvernement de vouloir « biaiser » les résultats nationaux

C’est d’ailleurs principalement celle-ci qui avait motivé le recours en référé déposé par des partis de l’opposition : le PCF, le PS, mais aussi LR et Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. À gauche, on soupçonnait fortement le gouvernement de vouloir « biaiser » les résultats nationaux qui seront annoncés le soir du premier tour, et limiter ainsi la casse, d’un point de vue statistique, en cas de défaite de LaREM. En outre, cette disposition aurait atténué la portée du score national réalisé par des listes d’opposition au gouvernement, dont certains partis peuvent conserver une implantation locale forte. Un collectif de 44 politologues avait d’ailleurs publié une tribune dans le Monde, le 25 janvier, afin de demander au ministre de l’Intérieur de revoir sa position. Selon eux, « 53 % du corps électoral se trouveraient privés d’une information cruciale sur l’identité politique de leurs candidats, et 97 % des communes seraient gouvernées à partir de mars par des maires sans affiliation partisane ».

Ce seuil de 9 000 habitants retenu par Christophe Castaner (contre 1 000 en 2014 et 3 500 en 2008) aurait notamment eu pour autre effet de ne conserver les nuances politiques que dans les municipalités où, justement, LaREM a réalisé de bons scores lors des élections précédentes… De surcroît, la circulaire de Christophe Castaner prévoyait de ne retenir que l’investiture d’un parti de gauche et d’au moins un autre pour attribuer la nuance « liste d’union des partis de gauche » (LUG), de même que pour la droite (LUD). Pour la nuance « liste divers centre » (LDVC), en revanche, nul besoin d’investiture : un « soutien » se serait avéré suffisant. Le Conseil d’État a donc également suspendu cette disposition, considérant qu’elle était contraire au principe d’égalité. Et il a donné gain de cause à Debout la France, qui contestait son classement en « extrême droite »…

Une semaine après l’avis cinglant du même Conseil d’État concernant sa réforme des retraites, le gouvernement se fait à nouveau rappeler à l’ordre. Et sur des bases similaires… Le manque de clarté de son projet de loi, qui renvoie à des ordonnances dont les parlementaires ne connaissent pas encore le contenu, est une des critiques formulées par les conseillers. À nouveau, c’est bien une tentative de maquiller la réalité, sur un plan statistique, du prochain scrutin municipal qui fait l’objet d’un jugement sévère.

Diego Chauvet
Municipales. Le Conseil d’État tacle la circulaire Castaner (Diego Chauvet, L'Humanité, 3 février 2020)
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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 07:28
Retraites: la gauche se prépare à une offensive coordonnée (L'Humanité, 30 janvier 2020)
La gauche se prépare à une offensive coordonnée
Jeudi, 30 Janvier, 2020

Après quelques tensions, les députés socialistes, insoumis et communistes se sont entendus pour se saisir ensemble de tous les outils parlementaires à leur disposition contre la réforme des retraites.

 

À nouveau sur les mêmes pavés, hier, aux côtés des syndicats pour exiger le retrait de la réforme des retraites, la gauche a aussi trouvé un terrain d’entente pour mener ensemble la bataille parlementaire. Réunis mardi en fin d’après-midi, après une invitation lancée par André Chassaigne (PCF), les députés socialistes, insoumis et communistes ont décidé d’avoir recours à la motion de censure, à la motion référendaire, voire de saisir le Conseil constitutionnel contre des textes que certains, après l’avis du Conseil d’État, jugent désormais « illégaux ». « Un accord a été trouvé pour utiliser tout l’arsenal procédural à disposition des parlementaires », a expliqué la présidente du groupe socialiste, Valérie Rabault, à l’issue de la rencontre.

« Retarder la décision finale »

« La réunion a été positive et les trois groupes se sont entendus pour mettre en œuvre les différents outils parlementaires avec le plus d’efficacité possible dans le cadre d’une coordination continuelle », confirme André Chassaigne, qui avec son groupe a mis sur la table la proposition de motion référendaire afin que « les citoyens puissent être consultés et enfin respectés par un gouvernement qui pratique la politique de la sourde oreille ». « Il faut passer par le référendum pour sortir de cette situation de blocage », estime le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, alors que, selon un sondage Elabe, 61 % des Français jugent que la réforme devrait être retirée. Jean-Luc Mélenchon a lui aussi salué l’engagement d’une bataille commune. « Les députés manqueraient à leur devoir s’ils n’utilisaient pas toutes les armes possibles pour retarder la décision finale qui pourrait s’imposer sans ça mécaniquement dans l’Hémicycle. Si on laissait faire, en trois jours ils ont fini », a souligné le député des Bouches-du-Rhône sur BFMTV. « Il y a des petites discussions sur le moment où l’on fait les choses, mais l’entente est bonne de notre côté pour faire front pendant tout le débat parlementaire », ajoute le président du groupe FI.

Vers une bataille d’amendements

La partie n’était pourtant pas tout à fait gagnée. La proposition de motion de censure lancée par l’insoumis mi-janvier avait essuyé un refus, PS et PCF jugeant que le moment n’était pas des plus opportuns et reprochant à la FI de faire cavalier seul. De quoi susciter le mécontentement du député, qui l’a fait savoir. Finalement, un tempo qui convient à tous a été trouvé, et la motion pourrait intervenir mi ou fin février, l’ouverture des travaux en séance étant prévue pour le 17. Comme la motion référendaire, celle-ci implique de collecter 58 signatures parmi les 577 députés. Soit le nombre exact de membres des trois groupes de gauche, qui pourraient recevoir du renfort.

En début de semaine, ils s’étaient déjà entendus pour interpeller Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, et des députés du groupe Libertés et territoires (qui regroupe des élus de divers bords) leur ont prêté main-forte pour dénoncer une « démocratie expéditive ». « Il y a beaucoup d’inquiétude chez les députés de la majorité, des esprits sont bousculés », observe également un élu de gauche. Reste que, pour aboutir, ces recours doivent passer le cap d’un vote dans l’Hémicycle…

Les députés PS, PCF et FI se préparent donc également à mener une bataille d’amendements coordonnée, avec un objectif : maximiser le temps de parole que le nouveau règlement de l’Assemblée a réduit sous couvert d’efficacité. Les parlementaires prévoient aussi de saisir le Conseil constitutionnel « à partir des éléments accumulés dans le débat ». Au vu des entorses d’ores et déjà constatées par le Conseil d’État, les motifs ne devraient pas manquer.

Julia Hamlaoui
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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 07:21
Fabien Roussel à la fête de l'Humanité Bretagne fin novembre 2019 avait annoncé en primeur la poursuite judiciaire contre Bernard Arnault pour evasion et dissimulation fiscale

Fabien Roussel à la fête de l'Humanité Bretagne fin novembre 2019 avait annoncé en primeur la poursuite judiciaire contre Bernard Arnault pour evasion et dissimulation fiscale

Optimisation fiscale / Bernard Arnault : des pratiques qui doivent être pourchassées et condamnées (Fabien Roussel - PCF)

 

Alors que 121 super riches, essentiellement américains, lancent un appel pour payer plus d'impôts, la première fortune du monde, Bernard Arnault, délocalise une partie de son patrimoine en Belgique, paradis fiscal pour les plus-values boursières.

Cet appel de 121 riches de la planète devrait interpeller le gouvernement français et les plus riches de notre pays dont le premier d'entre eux. En effet, le PCF et des économistes ont pu découvrir qu'il avait transféré dans deux entreprises belges – PILINVEST Investissement et PILINVEST Participation - une partie du capital de la maison mère ARNAULT SE.

La plus-value potentielle sur les deux séries de titres transférés pourraient dépasser plusieurs milliards d’euros. En Belgique, l’impôt sur la plus-value est quasi nul. Voilà comment une partie de la richesse produites par le monde du travail échappe aux radars du fisc.

Cette enquête a été rendue possible après que le PCF, les lanceurs d’alerte Maxime Renahy et Le Media, ont assigné Bernard Arnault en justice pour qu’il publie ses comptes comme la loi l’y oblige. C’est au Ministre de l’Économie de faire ce travail normalement !

Ces pratiques bien connues d'optimisation fiscale devraient être condamnées et pourchassées par le gouvernement.

Or ce dernier fait tout l'inverse. Non seulement l'évasion fiscale coûte toujours 80 à 100 milliards d'euros, mais en plus, Bernard Arnault comme les 1% les plus riches de notre pays a bénéficié de plus grandes largesses fiscales : suppression de l'ISF, suppression de la taxe sur les dividendes, flat tax, baisse d'impôts sur les sociétés pour les multinationales...

En France, les salaires et les pensions d’une grande majorité de nos concitoyens stagnent mais les richesses des plus grandes fortunes progressent.

Pour le PCF, la justice fiscale et la lutte contre les inégalités sont une priorité. Il serait temps de faire en sorte « que les gros paient gros et que les petits paient petit » !

 

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, député du Nord,

Paris, le 31 janvier 2020.

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