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20 décembre 2019 5 20 /12 /décembre /2019 08:09

 

Les réformes des retraites instaurées voilà plus de 15 ans ont grevé le système par répartition, faisant fondre le montant des pensions. Au point que l’indigence des retraités est devenue outre-Rhin l’un des sujets les plus sensibles du débat public.

« J e me fais un sang d’encre. Je ne dors plus la nuit. » La Berlinoise Inge Vogel, qui travaille encore pour quelques mois dans une société spécialisée dans le matériel paramédical, s’apprête à prendre sa retraite. « J’ai plein de projets et je sais que je ne manquerai pas d’activités diverses dans le domaine politique ou culturel », précise-t-elle pour bien indiquer que ce n’est pas du blues classique du nouveau retraité dont elle souffre. Non l’angoisse d’Inge Vogel tient au brutal décrochage annoncé de son niveau de vie dès lors qu’elle sera pensionnée. À l’aube de sa cessation d’activité, Inge (66 ans) touche un salaire correct, environ 2 500 euros net par mois. Ce revenu va être réduit de plus de la moitié, compte tenu de l’évolution outre-Rhin du taux de remplacement (la différence entre le dernier salaire net et le montant de la première pension). Ce qui va ramener ses revenus à environ 1 200 euros, soit tout juste au-dessus du niveau du salaire minimum. « Et je ne suis pas la plus à plaindre », lâche la bientôt ex-salariée. Quelqu’un payé aujourd’hui 1 500 euros net – « ce n’est malheureusement pas une rémunération exceptionnellement basse ici », précise Inge – ne va plus percevoir qu’un peu plus de 700 euros par mois pour ses vieux jours. « Une misère. » Et l’ex-assistante médicale ne mentionne même pas le cas de ses compatriotes innombrables qui ne toucheront pas le taux plein car ils n’auront pas accompli les exigibles 45 à 47 annuités.

Des mesures ressemblant à celles déployées par Emmanuel Macron

L’extension de la pauvreté chez les seniors et la perspective généralisée de retraites peau de chagrin provoquent un tel traumatisme dans la société allemande que ces thèmes figurent parmi les sujets les plus sensibles, régulièrement en première ligne du débat public. Les réformes lancées en 2002 et 2005 par l’ex-chancelier Gerhard Schröder furent présentées comme « le seul moyen de sauvegarder » le système et singulièrement la retraite de base par répartition dont l’écrasante majorité des Allemands demeure tributaire aujourd’hui. Encouragement fiscal aux plus riches à souscrire des assurances privées, amélioration de la compétitivité d’entreprises qui crouleraient sous les « charges sociales », instauration d’un indice dit de « durabilité » (Nachhaltigkeit) permettant de faire évoluer la valeur du point sur lequel est calculé le montant des retraites versées par les caisses légales (Gesetzliche Kassen) par répartition, allongement de la durée du travail et report à 67 ans de l’âge de départ à taux plein : la panoplie des mesures adoptées par le gouvernement SPD-Verts de l’époque ressemble à s’y méprendre à celle déployée aujourd’hui par Emmanuel Macron pour justifier sa réforme. Jusqu’aux éléments de langage sur « la nécessité absolue de moderniser le système ».

Pour se faire une idée des effets pratiques à moyen terme de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, il suffit ainsi de jeter un œil de l’autre côté de la frontière. Le bilan social des transformations allemandes, plus de quinze ans après leur entrée en vigueur, est dévastateur. La part des retraités allemands, précipités sous le seuil de pauvreté, a explosé. 16,8 % des seniors sont touchés aujourd’hui. Un retraité allemand sur deux – soit quelque 8,6 millions de personnes – doit survivre avec une pension inférieure à 800 euros par mois. Une enquête prospective publiée en septembre dernier par l’institut de recherche économique de Berlin (DIW) montre que plus d’un retraité sur 5 (21,6 %) sera misérable à l’horizon 2039. Et cette estimation est sans doute très optimiste puisque les auteurs de l’étude ont choisi de se baser sur la poursuite bon an mal an de la conjoncture économique favorable de ces dernières années (avec taux de chômage réduit).

L’introduction de la retraite Riester par capitalisation, présentée comme le troisième pilier du « modèle » germanique, a profondément ébranlé le système de base par répartition. Les placements réalisés par les citoyens généralement les plus aisés, attirés par d’alléchantes incitations fiscales, ont mécaniquement asséché les ressources des caisses légales qui organisent le financement solidaire des retraites par les cotisations des salariés actifs. Le manque à gagner sera d’autant plus conséquent qu’une partie des fonds est déjà drainée vers les retraites « maison » des entreprises, particularité ancienne du « modèle » et deuxième pilier du système reposant sur la capitalisation. Sachant qu’à ce titre seule une minorité de salariés appartenant le plus souvent aux plus grands groupes bénéficie aujourd’hui d’une rente complémentaire digne de ce nom.

La peur que le passage au troisième âge rime avec un rapide déclassement social, hante toute une société. Si bien que la question s’impose outre-Rhin depuis plusieurs années tout en haut du débat public. La grande coalition a dû bricoler des pare-feu en catastrophe pour éviter un emballement de la mécanique enclenchée par les réformes. On a suspendu d’ici à 2025 l’effet de l’indexation de la valeur du point de la retraite par répartition sur le montant des pensions en bloquant jusqu’à cette date à 48 % un taux de remplacement. Celui-ci avait dégringolé de plus de 10 % sur les dix dernières années.

Les travailleur pauvres grossissent le flot des retraités miséreux

CDU et SPD se sont mis aussi laborieusement d’accord sur l’introduction d’une retraite plancher (Grundrente), une revalorisation des pensions soutenue par l’État pour qu’elles atteignent le niveau des… minima sociaux (de 600 à 900 euros par mois). La mesure est censée éviter à nombre de retraités pauvres de prendre le chemin humiliant du bureau d’aide sociale pour toucher un complément de revenu pour accéder au minimum vital. Beaucoup préfèrent en effet effectuer n’importe quel petit boulot plutôt que d’avoir à mendier une aide. Là encore les chiffres des études les plus récentes sont aussi éloquents qu’effarants : plus d’un million de seniors, souvent âgés de plus de 70 ans, sont contraints aujourd’hui d’exercer des « mini-jobs » pour survivre. Soit une hausse d’environ 40 % sur dix ans. On les voit de plus en plus fréquemment dans les rues allemandes, ombres furtives qui distribuent des prospectus publicitaires, portent des journaux à domicile ou ramassent à la sauvette des canettes de verre ou de plastiques à la terrasse des cafés dans l’espoir de récupérer des consignes pratiquées sur ces produits outre-Rhin un maximum de centimes.

Cette pauvreté qui se répand si massivement chez les seniors allemands n’est pas sans lien avec l’extrême précarité imposée à de nombreux salariés par les lois Hartz de dérégulation du marché du travail. Lancées au même moment que les réformes des retraites, elles ont été présentées de la même façon qu’elles comme une étape majeure pour propulser « la compétitivité » (financière) des firmes allemandes. Les travailleurs pauvres, ou ceux dont la carrière a été entrecoupée de longues périodes de travaux sous-rémunérés et le plus souvent exonérés de cotisations sociales, contribuent évidemment à faire grossir le flot des retraités miséreux. Là encore, le parallèle avec la logique macronienne est frappant. L’aménagement au forceps du Code du travail décidé au début du quinquennat accroît la précarité, ce qui va accentuer l’appauvrissement programmé de la majorité des salariés par la réforme française des retraites.

Les effets contre-productifs des réformes antisociales engagées outre-Rhin au début de la décennie 2000 deviennent de plus en plus manifestes. L’apparition d’une société cloisonnée, devenue très inégalitaire, où « l’ascenseur social ne fonctionne plus », est dénoncée de plus en plus régulièrement dans les travaux de plusieurs économistes. Un handicap profond qui n’est pas sans lien avec l’entrée en stagnation, depuis quelques mois, de la première économie de la zone euro.

Bruno Odent

 

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20 décembre 2019 5 20 /12 /décembre /2019 08:08

 

De l’avis du gouvernement, les mesures proposées représentent « un vrai progrès social » pour les agriculteurs. Une affirmation qui ne fait pas l’unanimité dans la profession.

Les agriculteurs, grands gagnants de la réforme des retraites ? Telle est la petite musique répétée par le gouvernement ces derniers temps. Le premier ministre a ainsi « garanti » aux « oubliés du système » que sont les agriculteurs une « pension minimale de 1 000 euros net par mois pour une carrière complète au Smic » dès 2022, puis de 85 % du Smic en 2025. Selon le rapport établi en juillet par le haut- commissaire aux retraites d’alors, Jean-Paul Delevoye, « 40 % d’entre eux verront leur pension sensiblement s’améliorer et leurs prélèvements légèrement diminuer ». Une vraie « révolution sociale », s’est même félicité Édouard Philippe. Vraiment ?

Pas sûr que les principaux intéressés partagent cet enthousiasme. Seule la FNSEA, syndicat majoritaire et fervent soutien du gouvernement, juge cette réforme « ambitieuse »« Nous étions demandeurs d’une réforme systémique depuis 2013. (…) L’essentiel, c’est d’avoir une amélioration de la retraite, on n’a rien sans rien », estime ainsi Robert Verger, chargé de la question des retraites au sein de la FNSEA.

La nécessité d’une revalorisation des retraites

Seul regret pour le syndicat : que la réforme « oublie les retraités » actuels, au nombre de 1,3 million. Compte tenu de la faiblesse des revenus des paysans, le niveau moyen de pension est extrêmement bas, souvent même inférieur au seuil de pauvreté. Tous les syndicats agricoles s’accordent d’ailleurs sur ce constat et la nécessité de les revaloriser sans attendre. Les annonces du premier ministre « n’apportent pas de réponses à nos revendications pour une revalorisation immédiate des pensions les plus basses, qui sont de 930 euros pour les hommes et 670 euros pour les femmes, et encore pire en outre-mer, avec 350 euros en moyenne », regrette Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne.

En 2003, la loi Fillon sur les retraites prévoyait déjà une pension à 1 000 euros minimum… Une mesure jamais appliquée par les gouvernements successifs. « L’absence de mesures sur ce sujet est d’autant plus incompréhensible que, l’année dernière, la proposition de loi du député PCF André Chassaigne, destinée à revaloriser les retraites agricoles, avait été bloquée par le gouvernement justement sous prétexte d’intégrer cette question à la réforme des retraites », précise Nicolas Girod.

Les 1 000 euros, une escroquerie intellectuelle

Au-delà de cet état des lieux, l’instauration d’une retraite plancher à 1 000 euros cristallise aussi en elle-même les divergences syndicales. Même si cela peut paraître, à première vue, une avancée. Car, pour en bénéficier, il faudra avoir payé une cotisation calculée sur la base d’un revenu annuel d’un peu plus de 6 000 euros pour une carrière complète « alors qu’aujourd’hui, les agriculteurs ne gagnent pas leur vie », rappelle Pierre Thomas, président du Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), qui parle de « poudre aux yeux »« Le monde paysan n’en a pas les moyens », confirme Nicolas Girod, rappelant au passage que « la loi Egalim n’a pas réussi à imposer un meilleur partage de la valeur ajoutée »« Le rapport Delevoye convient lui-même que 40 % au moins des agriculteurs ont de très faibles revenus. Cette situation explique d’ailleurs la détresse de certains, poussés au suicide, quand ils voient débarquer les huissiers pour cotisations non payées », argue Armand Paquereau, de la Coordination rurale .

Au-delà, « le compte n’y est pas », notamment pour la Confédération paysanne. « Un système à points qui reproduit les inégalités de la vie professionnelle dans les retraites n’est pas un système équitable et solidaire. On est sûrement les gagnants, on part de tellement bas ! Mais on n’a pas envie, nous paysans, d’être les gagnants sur les retraites des cheminots, des enseignants, etc. Il est possible d’aller chercher ailleurs que ces soi-disant “privilégiés” », insiste le militant, qui plaide pour une retraite plancher « quel que soit le parcours professionnel » et un plafonnement des plus grosses pensions. Il appelle donc à « poursuivre la mobilisation » contre la réforme des retraites « aux côtés des travailleurs et travailleuses qui luttent pour plus d’égalité ».

Alexandra Chaignon

 

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20 décembre 2019 5 20 /12 /décembre /2019 08:06

 

Les Français ne s’y trompent pas et leur soutien (64 %) à la mobilisation a même progressé dans l’opinion depuis trois semaines. Alors le gouvernement et sa meute de chiens de garde s’étranglent, déversant leur fiel sur la CGT, bouc émissaire favori de ceux qui voudraient spolier tranquillement. 

Le chiffre fait frémir : un peu plus de quinze ans après les «réformes» des retraites mises en œuvre en Allemagne, la moitié des seniors touchent moins de 800 euros. Une tragédie sociale qui jette plus de 8 millions de personnes dans la misère ou la précarité. Voilà la face cachée du fameux « modèle » allemand, dont les candidats François Fillon et Emmanuel Macron nous avaient ressassé les prétendues vertus pendant la campagne présidentielle de 2017. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. Et ce qu’il en sera dans vingt ans en France si le gouvernement ne retire pas son projet.

Les Français ne s’y trompent pas et leur soutien (64 %) à la mobilisation a même progressé dans l’opinion depuis trois semaines. Alors le gouvernement et sa meute de chiens de garde s’étranglent, déversant leur fiel sur la CGT, bouc émissaire favori de ceux qui voudraient spolier tranquillement. Pourtant que leur doit-on à ces syndicalistes ! Sur tous les grands sujets sociaux de ces dernières années, de la loi travail au Cice, l’expérience leur a donné raison. Tous les dangers qu’ils pointaient et contre lesquels ils se sont battus, encaissant les coups de la répression, se sont vérifiés.

à moins d’une semaine de Noël, le bras de fer va encore s’intensifier avec le gouvernement. Le président de la République, aux abonnés absents, envisagerait des « améliorations autour de l’âge pivot », a fait opportunément savoir hier son entourage, pour tenter de ramener la CFDT dans son giron. Et, après le fiasco Delevoye, l’executif n’a rien trouvé de mieux que de nommer Laurent Pietraszewski. Ce député LaREM du Nord coche toutes les cases du CV idéal de la Macronie. Il s’était illustré comme DRH chez Auchan. Une salariée syndiquée CFDT avait été mise à pied et placée en garde à vue pour une « erreur de commande de 80 centimes d’euro et un pain au chocolat cramé donné ». Ça promet pour le « dialogue social »…

Par Maud Vergnol

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19 décembre 2019 4 19 /12 /décembre /2019 09:53

 

Il y a près d'un million de demandeurs d'emploi de plus de 55 ans.

Une société internationale d’étude des problèmes de consommation, l’Institut Nielsen, vient de révéler qu’en France, les ventes des magasins alimentaires après 21 heures sont marginales. Les points de vente qui ouvrent la nuit ne réalisent à cette occasion que de 1 % à 2 % de leur chiffre d’affaires total. C’est dire qu’il est exigé beaucoup des salariés pour faire entrer si peu d’argent dans les tiroirs-caisses. On se demande pourquoi le Medef réclame une telle ouverture de 21 heures à minuit, et aussi pour quelle raison le gouvernement se dit prêt à l’imposer par ordonnance.

On sait aussi que le recul de l’âge de la retraite pèse sur l’emploi à tous les âges. Il contribue à accroître le chômage et la précarité des plus jeunes, sans pour autant que les plus âgés soient épargnés par ces fléaux. Ainsi, le service statistique du ministère du Travail, la Dares, ou l’Insee constatent que le taux d’activité, taux qui prend en compte à la fois les actifs en emploi et ceux au chômage, s’accroit fortement pour les 55‑64 ans : il a progressé de 16,2 points en dix ans, entre 2008 et 2018. En 2018, le taux d’activité des 50‑64 ans s’établit à 66,5 %. Celui des 55‑64 ans passe de 39,8 % en 2008 à 56,0 % en 2018. Le taux d’emploi des 60-64 ans, qui, lui, prend en compte uniquement ceux ayant un emploi, est passé, de début 2003 à début 2019, de 13 % à 32,5 %, tandis que, durant la même période, il a évolué de 3 % à 7,9 % pour les 65-69 ans. Le taux de chômage est, lui, passé de 4 % à 6,5 %. Il y a près d’un million de demandeurs d’emploi de plus de 55 ans, dont 48 % le sont depuis au moins deux ans. 47,5 % d’entre eux occupent un emploi inférieur à un mi-temps et correspondant souvent à un emploi aidé, subventionné par les deniers publics. Ces hausses s’expliquent essentiellement par le relèvement progressif de l’âge minimum de départ à la retraite pour les générations nées après 1951, pour atteindre 62 ans à partir de la génération née en 1955. Dès lors, on peut se demander pourquoi reculer l’âge de la retraite si une bonne partie des seniors se retrouve au chômage ou en emploi aidé ?

Oui, pourquoi diable déréglementer le temps de travail des actifs et l’âge du départ pour les retraités sachant que cela est socialement et économiquement inefficace pour la communauté nationale ? Il y a assurément plusieurs raisons, notamment la volonté de casser les solidarités salariales, et aussi de faire payer à ceux qui vivent de leur travail les baisses de cotisations à la charge des entreprises. En 2019, elles représentent près de 60 milliards de manque à gagner, soit 2,5 % du PIB.

Pierre Ivorra

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19 décembre 2019 4 19 /12 /décembre /2019 09:50

 

Mercredi 11 décembre, le premier ministre a présenté les principales mesures de sa réforme, entraînant une véritable levée de boucliers.

Nasser Mansouri-Guilani Économiste et syndicaliste  Annie Jolivet Économiste, Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam
Pascal de Lima Économiste de l’innovation et enseignant à Sciences-Po Paris et  Gilles Raveaud Professeur d’économie, université Paris-VIII Saint-Denis

L’ouverture à la capitalisation - Nasser Mansouri-Guilani  - Économiste et syndicaliste

 

Pour apprécier le projet du gouvernement, il faut revenir à l’origine du système dont la pierre angulaire est le travail. Travail non comme catégorie abstraite qui sert aujourd’hui d’échappatoire : tout le monde tente de justifier ses projets au nom du travail, gouvernement et patronat compris. Travail comme un moyen qui permet à chaque individu de mettre ses capacités au service de la collectivité ; une obligation aussi pour cette dernière de donner à chaque individu la possibilité de le faire.

Cette obligation mutuelle a pour ambition de démultiplier les emplois stables et correctement rémunérés. D’où deux principes : la solidarité entre différents secteurs de l’économie et entre générations et la présence des représentants des travailleurs dans la gestion du système. Celui-ci présente ainsi une garantie, une sécurité aux travailleurs qui acceptent, dans un esprit collectif et solidaire, de cotiser aujourd’hui pour bénéficier, avec un haut degré de certitude, d’une pension correcte à l’issue de leur carrière professionnelle. Dans cette construction, les régimes spéciaux nourrissent l’espoir de tirer vers le haut les droits des travailleurs dans les autres secteurs. Ce système correspond à une avancée historique pour le monde du travail ; synonyme de recul pour le capital.

Différentes réformes ont affaibli ce système. Les libéraux se cachent derrière la hausse de l’espérance de vie pour justifier la nécessité de réduire ces droits. L’argument est irrecevable car, parallèlement, la capacité de produire et le volume de la production des richesses ont augmenté nettement plus vite. Le vrai changement tient au fait que les rapports de forces ont basculé en faveur du capital, qui veut récupérer ce qu’il a perdu par le passé. Le projet gouvernemental s’inscrit dans cette volonté de revanche du capital sur le travail. Il est le complément des autres « réformes » : loi El Khomri, nouvelle convention de l’Unédic, privatisations…

Sous couvert d’équité, le projet du gouvernement ouvre la voie à plusieurs choses : justifier la précarité ; en finir avec la solidarité ; mettre en concurrence les travailleurs pour niveler leurs droits vers le bas ; reculer l’âge de départ à la retraite ; promouvoir la retraite par capitalisation ; réduire, voire anéantir le pouvoir des travailleurs dans la gestion du système ; accroître l’incertitude sur le montant de la pension.

Le slogan « chaque euro cotisé doit donner droit à la pension » résume tout. Peu importe comment et dans quelles conditions cet euro est gagné. Le montant des pensions va baisser. La précarité et les bas salaires sont légitimés : la « pension minimale de 1 000 euros » pour une carrière complète condamne ces salariés à la pauvreté perpétuelle car déjà le « seuil de pauvreté » est de 1 040 euros. En revanche, les « premiers de cordée » seront bien servis : pensions convenables et surtout nouvelles possibilités de constituer une épargne retraite. La promotion de la retraite par capitalisation affaiblira le système par répartition. La valeur du point sera de fait déterminée par le gouvernement (à l’instar du coup de pouce du Smic). À l’incertitude sur le montant de la pension s’ajoute l’affaiblissement du pouvoir des travailleurs dans la gestion du système. Enfin, la disparition des régimes spéciaux enterre l’espoir de tirer les droits vers le haut.

En revanche, le projet gouvernemental renforcera la financiarisation de l’économie (par exemple par la promotion de la capitalisation), ce qui risque d’affaiblir le potentiel productif du pays, rendant plus difficile le financement d’un système appauvri.

L’impasse du projet - Annie Jolivet  - Économiste, Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)

 

Le projet présenté met l’accent sur le maintien d’un régime par répartition. Les cotisations versées pendant une année par les actifs de tous âges permettront toujours de financer les pensions des retraités. Toutefois, plusieurs éléments du projet fragilisent le principe même de la répartition. Les personnes qui perçoivent plus de 120 000 euros brut par an n’auraient plus droit à la moindre pension de retraite sur les revenus au-delà de ce seuil. En contrepartie, elles contribueraient désormais moins au financement des pensions sur cette partie de leurs revenus. Cela priverait de recettes le système par répartition. C’est aussi une rupture avec le principe que toute cotisation ouvre des droits. Et les personnes à très hauts revenus seraient poussées à se tourner vers des dispositifs d’épargne pour compenser la baisse de leur pension.

Le projet vise à opérer à la fois une redistribution horizontale (entre des personnes aux statuts d’emploi différents qui n’auraient aujourd’hui pas les mêmes droits à une pension de retraite) et une redistribution verticale (entre des personnes qui ne perçoivent pas les mêmes niveaux de rémunération). Les choix du gouvernement sont présentés comme inéluctables en raison des contraintes financières et en raison d’objectifs de justice sociale. Pourtant, certaines dispositions auraient pu être mises en place dans le système actuel (et parfois existent déjà), comme la prise en compte de la pénibilité du travail. Les choix faits, par exemple sur la réversion, ne sont pas expliqués. Parce que les évolutions de la protection sociale sont complexes, il est nécessaire d’éclairer les logiques sous-jacentes et d’en débattre.

Le projet de réforme pose aussi la question de la souplesse du futur système face à des variations de la conjoncture économique. Les régimes autonomes et le régime Agirc-Arrco avaient créé des réserves pour faire face à des chocs éventuels. Or il semble que rien n’est prévu pour y faire face dans le futur système. Y aura-t-il un fonds de réserve ? Que devient le Fonds de réserve des retraites, qui était censé faire face aux évolutions démographiques actuelles ? La seule option non discutée, ouverte par la loi Pacte, semble être de recourir à des dispositifs individuels ou à des dispositifs d’entreprise d’épargne retraite pour se protéger d’une baisse de pension. Or ces dispositifs s’appuient sur des avantages fiscaux qui réduisent les recettes fiscales.

La discussion sur les apports d’un régime universel a par ailleurs donné lieu à des affirmations perturbantes de la part de membres du gouvernement et de membres de la majorité parlementaire. Dire que le système actuel n’est pas viable (« vos enfants n’auront pas de retraite ») ou que « les personnes qui travaillent moins de 150 heures au Smic ne gagnent aucun droit » (alors qu’il s’agit d’un seuil de rémunération, pas d’un nombre d’heures en tant que tel, pris en compte sur une année et pas seulement sur un trimestre) fragilise la confiance dans un système par répartition.

Depuis la présentation du rapport Delevoye, le processus en cours a fait basculer la réforme d’un projet de société vers un projet technico-politique. Or l’enjeu est de déterminer une évolution souhaitable et tenable, qui préserve un équilibre des intérêts. Cela implique d’abord que le gouvernement explique en détail les ajustements auxquels il procède. Cela implique aussi une évaluation indépendante et globale du projet, par le Conseil d’orientation des retraites (COR) par exemple. Et peut-être de sortir de l’impasse en proposant un projet plus réaliste.

Le travail paiera - Pascal de Lima  - Économiste de l’innovation et enseignant à Sciences-Po Paris

 

La question qui me paraît la plus importante aujourd’hui est celle de savoir si les propositions concernant la réforme des retraites vont casser le modèle par répartition. Il nous semble que d’une certaine façon cette réforme peut remettre en cause le système par répartition. Aujourd’hui, la mondialisation pousse à ce que les spécificités locales disparaissent. Il en est du régime de retraite français comme des autres spécificités franco-françaises (35 heures, État providence français de façon générale…). Malheureusement, la France n’y échappe pas, c’est un premier point : la mondialisation homogénéisante. Il faudrait ajouter à cela l’évolution du rapport des actifs sur inactifs qui aujourd’hui ne permet plus totalement de financer le système. Le système de retraite par répartition tomberait sous la coupe de l’économique et s’étouffe (croissance molle, vieillissement et malgré quelques améliorations). Les déficits prévisionnels vont augmenter ! Il faut donc rationaliser cela pour pouvoir d’une façon ou d’une autre le piloter. De ce point de vue-là, les caractéristiques de cette réforme, à certains égards, ressemblent à un système d’accumulation de points et donc à un système d’assurance in vitro où chacun accumule des points pour se voir verser des pensions plus tard. Dans la forme, le système universalisant par points ressemble à une volonté de création d’un produit d’épargne. Seule l’histoire nous le dira, mais est-ce une première étape vers la fin du système par répartition ? Il est difficile en effet d’expliquer que les points que l’on accumule sont les points des autres, au moins sur la sémantique !! On est rassuré de savoir que les partenaires sociaux auront un droit de regard sur la valeur du point, mais celle-ci ne sera-t-elle pas de toute façon proposée de prime abord par Bercy… Car, en parallèle à cela, tout le monde a oublié la loi Pacte (loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises), qui cherche justement à développer le système par capitalisation en transformant certains produits d’assurance-vie en épargne retraite. C’est l’argument de la logique préférentielle : développer progressivement le système par capitalisation. Bref, a priori, c’est mal parti pour le système par répartition.

D’un autre côté, on peut nuancer et rester calme. Gouverner, c’est prendre des décisions, et décider, c’est exclure, forcément, le débat philosophique, mais que l’on a tendance à oublier. Passé ce point, on est en droit de nous interroger sur la justification de la violence du mouvement. D’abord, le gouvernement aurait beaucoup à y perdre, municipales et même présidentielle. Les arguments sont martelés : « Le système sera le même pour tous les Français, sans exception », annonce Édouard Philippe, et d’ajouter : « Ce sera toujours un système de répartition avec le plus haut niveau de couverture au monde. » La force du mensonge plutôt que du message ? Ici, les coûts seraient très importants politiquement. Enfin, les exemples d’autres pays semblent montrer que le système par répartition n’a pas été remis en cause avec le système par points.

On retrouve ce système en Suède, en Allemagne et, au global, dans cinq pays de l’Union européenne, mais aussi en France pour les retraites complémentaires. En clair, la retraite par points ne serait pas une retraite par capitalisation, les cotisations versées chaque année par les salariés et les employeurs servent à payer les pensions courantes. C’est tout à fait compatible avec l’accumulation de points. Finalement, ne sommes-nous pas en train de nous égarer ? En clair, notre avis est que, quel que soit le système, le travail paiera toujours. Il faut aussi voir cette réforme dans la globalité des réformes, la flexibilité sur le marché du travail et ses ordonnances, la formation professionnelle, les parcours, etc. Notre humble avis est que le travail paiera toujours, épargnons, gardons éventuellement un système par répartition, quoi qu’il en soit, rassurons les populations qui veulent réussir et investir dans notre pays, rien ne changera dans ce procédé qui nous paraît somme toute, en synthèse, une affaire de comptable avec probablement à peu de chose près un jeu à somme nulle.

Pas de redistribution des riches -  Gilles Raveaud - Professeur d’économie, université Paris-VIII Saint-Denis

 

Le débat sur la retraite « universelle à points » a d’incroyables qualités : faible coût économique, et solidarité entre classes sociales. Par contre, il est injuste au regard de l’espérance de vie, ce que le gouvernement ne propose pas de corriger, bien au contraire. Le système de retraite par répartition ne coûte rien. Ou, plus exactement, tous les autres systèmes coûtent beaucoup plus cher. Certes, les assurances, banques et autres mutuelles nous proposent des « produits retraites » qui semblent avantageux. Mais les intérêts qu’elles nous reversent ne sont qu’une petite partie de ce qu’elles gagnent avec notre argent sur les marchés financiers. Car les traders n’oublient jamais de se servir en premier – avec notre épargne.

À l’inverse, dans le système de retraite par répartition, l’argent est pris, chaque mois, sur notre fiche de paie pour être reversé à nos aïeux retraités. Cela ne nécessite que des ordinateurs, et des salariés à la Caisse d’assurance-vieillesse, bien moins payés que les traders. Impossible de faire moins cher ! Deuxième avantage de notre système : la solidarité sociale, fondement du soutien politique. Dans le système de retraite par répartition, chacun cotise à due proportion de son salaire. Et reçoit, au moment de la retraite, d’autant plus qu’il a cotisé. Il n’y a donc pas de redistribution des riches vers les pauvres.

Pourquoi est-ce génial ? Parce que cela maintient les catégories les plus favorisées dans le système. En effet, si, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les classes moyennes se sont révoltées contre l’impôt, c’est parce que, dans ces pays, elles cotisaient plus mais ne recevaient pas plus lorsqu’elles étaient au chômage ou à la retraite. À l’inverse, en France, les cadres bénéficient plus de l’assurance vieillesse, puisqu’ils perçoivent des pensions plus élevées (parce qu’ils ont plus cotisé). Ils n’ont donc pas de raison de contester le système, de demander à leurs députés – qui les écoutent, plus que les classes populaires – de le mettre à bas. Et puis, bien sûr, ils souscrivent à des plans privés de retraite « complémentaires » afin de pouvoir faire de chouettes voyages.

Le gouvernement nous rebat les oreilles avec « l’équité », ou « l’égalité ». Or c’est sur ces points-là que le système actuel est le plus critiquable, mais pour des raisons bien plus profondes que celle, anecdotique, des « régimes spéciaux » (en commençant par celui des parlementaires). Tout d’abord, il ne suffit pas d’avoir cotisé 42 ans pour partir à la retraite. L’existence d’un âge légal, qui n’a aucun sens à mes yeux, a pour conséquence que les personnes qui ont commencé à travailler à 14 ans doivent attendre l’âge de 58 ans pour partir à la retraite. Ces personnes vont donc cotiser durant près de 44 ans ! (43 ans et 9 mois exactement).

De plus, les écarts d’espérance de vie sont prodigieux. Les 5 % d’hommes les plus riches vivent jusqu’à 84 ans ; les 5 % les plus pauvres, 71 ans seulement (Insee, 2018). L’argent, plus encore que le diplôme, achète donc des années de vie. De ce fait, les hommes pauvres, qui occupent des emplois manuels, dangereux, pénibles, qui travaillent de nuit, paient une partie non négligeable des pensions de retraite des hommes aisés, qui vivent beaucoup plus longtemps. De façon très étonnante, cette incroyable inégalité – l’inégalité face à la mort – n’est pas au centre des propositions du gouvernement.

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19 décembre 2019 4 19 /12 /décembre /2019 09:47

 

La réforme des retraites annoncée en 2019 a provoqué depuis plusieurs semaines un mouvement social. Sommes-nous face à une rupture historique ? Le Centre d'histoire sociale a posé la question à Michel Pigenet, historien, Professeur émérite d'histoire contemporaine.

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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 12:43
Le cortège du MJCF à Rennes: 25 000 manifestants, plus que le 5 décembre

Le cortège du MJCF à Rennes: 25 000 manifestants, plus que le 5 décembre

à Brest: 20 000 manifestants, plus que le 5 décembre

à Brest: 20 000 manifestants, plus que le 5 décembre

A St Brieuc un cortège très important de 10 000 manifestants - ici le Parti Communiste avec ses élus

A St Brieuc un cortège très important de 10 000 manifestants - ici le Parti Communiste avec ses élus

A Quimper, autour de 10 000 manifestants

A Quimper, autour de 10 000 manifestants

17 décembre... Un raz-de-marée de manifestants ultra-résolus à obtenir le retrait de la réforme des retraites de Macron et à faire échec à sa politique de casse sociale généralisée. La CGT déclare 1,8 millions de manifestants dans toute la France, plus que le 5 décembre.

plus de 15 000 manifestants à Brest, plus que le 5 décembre

8000 à 10 000 manifestants à Quimper

3000 manifestants à Morlaix

800 à 1000 manifestants à Carhaix

1500 manifestants à Quimperlé

30 000 dans le Finistère en tout

10 000 manifestants à Saint-Brieuc

2000 manifestants à Lannion

6000 manifestants à Lorient

Plus de 3000 manifestants à Vannes

20 000 à 25 000 manifestants à Rennes, plus que le 5 décembre

20 000 manifestants à Tours (la plus grande manifestation de ses 25 dernières années, dit-on)

12 000 au Mans

10 000 manifestants à Saint-Nazaire

30 000 à Nantes

850 à Ancenis et 500 à Châteaubriant

10 000 à Poitiers

12 000 à Albi

45 000 à 60 000 à Toulouse, plus que le 5 décembre

40 000 à Lyon

12 000 à Valence

10 000 à Strasbourg

15 000 à Nancy

15 000 à Nîmes, plus que le 5

9000 à Rodez, plus que le 5

4000 à Brive, 2000 à Tulle, 600 à Ussel

5000 à Epinal

3000 à Saint Quentin (Aisne)

70 000 à Bordeaux

18 000 au Mans

200 000 manifestants à Marseille

22 000 manifestants à Nîmes, plus que le 5 décembre

15 000 manifestants à Toulon, 700 à Brignoles, 1500 à Draguignan

13 000 manifestants à Orléans

10 à 12 000 à Tarbes

6 500 à Besançon

Chiffres et photos communiqués par les sections et fédérations du Parti communiste

 

Le ministère de l’intérieur minimise l’ampleur de la mobilisation
Mercredi, 18 Décembre, 2019 - L'Humanité

Alors que la mobilisation d’hier a mis un nombre record de manifestants dans la rue, avec 1,8 million de personnes dans toute la France selon la CGT, et que tous les syndicats s’accordent sur le succès de la journée d’action, comme à son habitude, le ministère de l’Intérieur persiste à minimiser l’ampleur de la contestation

 

Alors que la mobilisation d’hier a mis un nombre record de manifestants dans la rue, avec 1,8 million de personnes dans toute la France selon la CGT, et que tous les syndicats s’accordent sur le succès de la journée d’action, comme à son habitude, le ministère de l’Intérieur persiste à minimiser l’ampleur de la contestation. Selon les chiffres officiels, seules 615 000 personnes auraient défilé dans le pays, dont 76 000 à Paris, soit un résultat en deçà de celui de la mobilisation monstre du 5 décembre, selon le ministère… Quant au cabinet Occurrence, réalisant le comptage pour certains médias, il réussit l’exploit de recenser encore moins de manifestants que la préfecture, avec 72 500 personnes à Paris, quand la CGT en dénombre 350 000. Partout dans le pays, le constat d’une mobilisation grandissante est partagé par les organisations syndicales. La CGT ainsi que Solidaires, qui évoque « une grande réussite », recensent sensiblement les mêmes chiffres : 200 000 personnes à Marseille, 120 000 à Toulouse, 60 000 à Bordeaux, 35 000 à Rouen, 30 000 à Nantes et Lille, 20 000 à Montpellier, Clermont-Ferrand, Brest et Caen, 18 000 à Rennes, 12 000 à Nice et Quimper, 10 000 à Cherbourg…

 

La vraie raison de l'assaut contre les retraites - par Patrick Le Hyaric, L'Humanité, 18 décembre

Plus la lumière se fait sur la nature du projet de liquidation du système de retraites solidaire, plus le gouvernement patauge dans ses propres mensonges et contradictions. Le plan de communication patiemment huilé pour faire accepter ce recul de civilisation majeur, assaisonné des mots flétris « égalité », « universalité » ou « solidarité », s’enraye face à la clairvoyance d’une majorité de nos concitoyens qui continue de soutenir le mouvement grève lancé par les syndicats.

L’universalité prétendue du système par points apparaît désormais pour ce qu’elle est : une promesse de pension croupionne, nivelée vers le bas pour tous les salariés quel que soit leur statut, et qui rendra indispensable la recherche de gains pour financer ses vieux jours. « Au travail ! » pour les classes populaires qui n’auront d’autre choix que d’accumuler de nouveaux points après l’âge pivot, et « à la bourse ! » pour ceux qui auront les moyens de contracter une retraite par capitalisation : voilà le vrai « projet de société » vanté par M. Macron.

Comme l’y enjoint fermement l’Union européenne, le gouvernement s’acharne avec ce projet mortifère à doper la financiarisation de l’épargne retraite. Elle représente « seulement » 230 milliards d’euros d’encours, un niveau très faible comparé aux autres pays européens, et aux plus de 1.700 milliards d’assurances vie. Or l’Union européenne exige que les retraites servent de « galop d’essai » à l’unification des marchés de capitaux sur le continent.

Ce faible attrait pour l’épargne retraite serait dû selon la communication gouvernementale à la complexité des produits proposés. D’où la création d’un nouveau produit d’épargne retraite dans la loi Pacte, effectivement plus accessible mais aux standards de ce qui se fait de plus vorace et juteux sur les marchés financiers, avec les risques accessoires. Ce désintérêt est dû, en réalité, à l’incroyable succès du système de retraite français qui garantit un niveau élevé des pensions nous permettant d’afficher un taux de pauvreté chez les retraités parmi les plus bas du monde. Démonstration est ainsi faite qu’il n’y a nul besoin de s’enchaîner au capital et à ses profits arrachés à la sueur des travailleurs pour présenter un des systèmes les plus efficaces socialement au monde, financé par les richesses produites et redistribuées sans parasitisme actionnarial, et dont le déficit – opportunément exagéré par tous les gouvernements depuis 30 ans – s’avère purement artificiel et serait aisément corrigé par des mesures volontaristes pour sécuriser le travail et l’emploi, l’égalité salariale entre les hommes et les femmes et le retour au niveau antérieur de la cotisation employeur, tout en mettant à contribution les actifs financiers des entreprises et des banques.

Voilà le véritable scandale pour les capitalistes, et la véritable raison de l’assaut contre les retraites. Et le gouvernement peine à s’en cacher. « L’épargne retraite doit devenir un produit phare de l’épargne des Français », s’exclamait Bruno Le Maire le 1er octobre dernier, dès qu’eut séchée l’encre de son stylo au bas du décret d’application du nouveau Plan d’épargne retraite, défiscalisé comme il se doit. Que ce produit financier ait été lancé juste avant l’offensive contre notre système de retraites ne doit rien au hasard : il fallait coûte que coûte pour le pouvoir donner un « signal » de confiance aux assureurs et autres fonds de pensions comme aux potentiels épargnants pour garantir au nouveau produit financier un départ en fanfare. C’est ce dont témoigne la connivence du gouvernement et du Président avec le fonds Black Rock, ce mastodonte nord-américain de la finance qui rêve de mettre la main sur l’épargne française et une partie de la dette publique.

Exiger le retrait de ce projet, c’est empêcher les fonds vautours de s’attaquer aux richesses produites par les travailleurs et, du même coup, mettre un frein décisif à l’entreprise macronienne de saccage de la solidarité nationale et de mise à disposition du capital financier et mondialisé des richesses du pays.

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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 12:24

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord, était l’invité du “petit déjeuner politique” de Patrick Roger le 17 décembre sur Sud Radio.

Fabien Roussel : "ceux qui nous donnent des leçons sont ceux qui aujourd'hui sont bardés de thune"

 

Jean-Paul Delevoye a démissionné lundi 16 décembre après les révélations successives sur les nombreux mandats qu'il avait oublié de déclarer auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord, s'en tient-il à la version officielle d'un simple oubli ? "C'est insupportable répond Fabien Roussel au micro de Patrick Roger. Quand j'ai découvert en plus qu'il mettait ça sur le dos de sa femme en disant : 'c'est elle qui fait les comptes', je me dis, le ministre, il est gonflé tout de même... Il ne voit pas qu'il y a 5.000 euros en plus sur ses comptes ?! s'indigne-t-il. Ils brassent combien de milliers d'euros, ces gens-là, pour ne pas se rendre compte qu'il y a 5.000 euros qui ne devraient pas être sur leurs comptes ?!

 

Ils vivent en dehors du sol ! Et ce qui me fait mal aux tripes, c'est que ceux qui nous donnent des leçons, sont ceux qui aujourd'hui bardés de thune, gagnent des 1.000 et des 100, et nous disent qu'il faut travailler plus longtemps. Ils sont pétés de thune et ils nous disent : travaillez plus longtemps, faites des efforts ! C'est insupportable. Il est disqualifié, tout comme sa réforme !"

Jean-Paul Delevoye a été président des maires de France. "On peut avoir des mandats comme ceux-là et être déconnecté de la réalité insiste Fabien Roussel. Il suffit d'aligner le nombre d'émoluments, de salaires, de pensions qu'ils cumulent pour se rendre compte qu'ils ne savent plus combien vaut une baguette de pain et la réalité de la vie. Je suis pour limiter les indemnités des parlementaires" précise-t-il. Selon le journal Le Monde, le secrétariat général de l'Élysée était au courant de la situation. "Ils sont tous mouillés ! estime Fabien Roussel. Quand on a Macron qui travaillait avant dans une banque et émargeait à un million d'euros de salaire annuel, comment voulez-vous que ceux-là savent ce que ça fait une hausse de facture d'électricité de 20 à 30 euros de plus par mois ? Ils sont coupés des réalités !"

 

"Avec la démission de Jean-Paul Delevoye, c'est 1-0 pour le monde du travail !"

 

Pour Fabien Roussel, "avec la démission de Jean-Paul Delevoye, c'est 1-0 pour le monde du travail ! Aujourd'hui, deuxième séquence : grosse mobilisation prévient-il. On a besoin de montrer que le monde du travail est uni, que l'on ne veut pas de cette réforme et de ces gens-là. Je regrette profondément que le gouvernement fasse le choix du bras de fer. Il est décidé de présenter cette réforme un 11 décembre, à quelques jours des fêtes de Noël, la pire des réforme en mettant tout dedans, et il nous demande de ne pas faire grève parce que c'est Noël. C'est intolérable ! Après cette journée de manifestation, on fera le bilan : s'il y a plus de monde et s'il se confirme qu'il y a une majorité de nos concitoyens qui ne veulent pas de cette réforme, il y a ceux qui manifestent et ceux qui ne peuvent pas, le gouvernement doit ouvrir ses deux oreilles et dire qu'il retire sa réforme, qu'on se remettra autour de la table en janvier pour rediscuter de tout estime Fabien Roussel.

Édouard Philippe va recevoir mercredi 18 décembre syndicats et patronat. "Pourquoi il attend demain ? interroge Fabien Roussel. Il ne voit pas aujourd'hui que tout le monde est mobilisé ? Il y a des ports, des aéroports, des raffineries de bloqués. Des personnels soignants vont manifester aussi. Un pays est en éruption : il ne voit pas tout ça ? Il attend demain, une nouvelle journée de mobilisation pour réunir ses ministres ? On est obligé d'attendre que ça pète ? Il faut écouter ceux qui ne peuvent pas manifester et qui n'en pensent pas moins répète Fabien Roussel.

 

"Ils sont en train de préparer un régime par capitalisation"

 

Cette réforme des retraites passerait-elle si certains renonçaient à certains privilèges ? "Avec la loi actuelle, ils ont déjà aligné les régimes spéciaux sur le régime général. Un cheminot a le droit de partir à 52 ans, mais avec 43 annuités, il faut qu'il commence à travailler à neuf ans ! Il partira avec sa pension complète s'il a commencé à partir à 9 ans [pour les nouveaux entrants, ndlr]. Les régimes spéciaux ont déjà été réformés rappelle Fabien Roussel. Ils représentent 400.000 salariés en tout. Ils sont en colère contre un gouvernement qui les traite de privilégiés, alors que les privilégiés, ce sont les Delevoye, les Macron, les Édouard Philippe

Ils sont en train de casser le régime général, le régime Agirc-Arrco du privé, le régime du service public explique Fabien Roussel. Ils vont mettre tout le monde au régime sec et ils sont en train de préparer un régime par capitalisation, notamment pour les plus jeunes. Demain, il y aura un régime 'universel', mais où tout le monde aura une pension extrêmement basse, et on dit aux jeunes que leur pension sera de 30% à 40% de leur salaire moyen, et donc d'aller vers la capitalisation. La loi Pacte a prévu que les assurances puissent gérer des fonds de pensions de retraite pour les futures générations. Les compagnies d'assurance vont doubler leur chiffre d'affaires dans les années qui viennent et vont se gaver sur le dos de nos pensionnés" alerte Fabien Roussel.

 

Fabien Roussel a menacé d'assigner en justice Bernard Arnault, le patron de LVMH, afin qu'il publie les comptes de sa holding. "La société dont il ne publiait pas les comptes, Bernard Arnault SE, c'est une poupée russe ! explique-t-il. J'aurai des révélations à faire dans les jours qui viennent prévient-il. En matière de dividendes, d'optimisation fiscale, de délocalisation de bénéfices, il y a de quoi dire. Le problème, ce ne sont pas les riches précise-t-il, mais le capital. Ces grandes fortunes sont des hommes et des femmes qui réussissent, qui donnent vie à de belles marques, on peut en être fier. Mais de l'autre côté, il y a un capital avide de toujours plus de richesse et ils le prennent sur la sueur des salariés. Au lieu que ces richesses nous reviennent, elles sont captées par ces personnes".

 

À la question de savoir s'il y aura des trains pour Noël, Fabien Roussel répond "je le souhaite ! Le gouvernement a jusqu'à vendredi pour retirer sa réforme. Sinon, le gouvernement portera la responsabilité lourde de bloquer le pays".

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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 12:19
L’insupportable déferlante contre la CGT
Mardi, 17 Décembre, 2019 - L'Humanité

Par Patrick Le Hyaric  Directeur de l’Humanité

 

La destruction des conquêtes sociales implique de salir les organisations qui les ont portées et défendues. Briser le système de retraite solidaire réclame ainsi de calomnier la CGT, qui contribua à le mettre sur pied à la Libération, à l’initiative d’un de ses dirigeants devenu ministre, Ambroise Croizat. Telle est la cohérence des attaques et qualificatifs infamants lancés à la tête du salariat organisé.

« Fainéants », « privilégiés », « preneurs d’otage », CGT « menaçante » « qui refuse le dialogue », jusqu’à être odieusement comparée à Daech : pas un jour ne passe sans que les militants de la CGT et son secrétaire général ne fassent l’objet d’injures et de caricatures méprisantes lancées par la Sainte-Alliance médiatico-politique ultralibérale. La palme revenant à Christine Clerc insultant dans un journal régional Philippe Martinez, « admirateur de l’ex-URSS » et coupable d’une « moustache stalinienne ». Voilà qui dit tout de leur mépris de classe, de leur haine de l’ouvrier qui ose se dresser.

Des ministres jugent que la CGT « appelle à gâcher les vacances de Noël des Français ». Rien de moins ! Mais est-ce bien le gouvernement qui a opportunément fixé le calendrier de sa contre-réforme, ou rêvons-nous ? Et les éditorialistes stipendiés d’embrayer sur la parole ministérielle en dépeignant Philippe Martinez en père Fouettard dérobant les cadeaux au pied du sapin…

« Ce n’est pas la CGT qui gouverne », croyait nous apprendre hier, martiale, la porte-parole du gouvernement. Le problème, Madame, c’est qu’une majorité de nos concitoyens refusent de discuter du poids des chaînes qui les lient à la régression sociale ficelée par la coalition de la technocratie d’État et des puissances financières internationales. Ils veulent une vraie négociation sur le « mieux-vivre ». À travers ce mépris s’exprime celui du salariat organisé, qui, chaque jour, fait la démonstration des divergences d’intérêts entre les puissances d’argent et les travailleurs.

La raison oblige à constater que la CGT et son premier responsable portent une parole d’intérêt général dans laquelle se retrouvent des millions de Français opposés au projet gouvernemental, avec celles et ceux qui, courageusement, se mobilisent dans leurs entreprises, au prix d’un sacrifice immense pour leurs familles à l’approche des fêtes. Un sacrifice de l’envergure de celui qu’ont consenti nos aînés, qui ont obtenu les congés payés, le salaire minimum, la réduction du temps de travail ou la Sécurité sociale, subissant alors les mêmes calomnies. Cela devrait renforcer le respect qui leur est aujourd’hui refusé.

L’insupportable déferlante contre la CGT - par Patrick Le Hyaric, L'Humanité, 17 décembre
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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 12:12
Le même, le boucher de Hama, qui avait collé un procès en diffamation à Ian Brossat.
Habillé pour l'hiver le frère d'Hafez et l'oncle de Bachar!!! Dans une démocratie, la justice peut rattraper les chefs de guerre corrompus...
C'est heureux.
Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour "biens mal acquis"
Mercredi, 18 Décembre, 2019

Quatre ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros d’amende. C’est la peine requise, le 16 décembre à Paris, par le Parquet national financier (PNF) contre Rifaat Al Assad, oncle du dictateur syrien Bachar Al Assad.

Quatre ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros d’amende. C’est la peine requise, le 16 décembre à Paris, par le Parquet national financier (PNF) contre Rifaat Al Assad, oncle du dictateur syrien Bachar Al Assad. À la tête d’un empire immobilier en Europe, l’homme est un ancien ponte du régime syrien, persona non grata à Damas depuis 1984 et un coup d’État manqué contre son propre frère (le père de l’actuel dictateur). En France, le PNF l’accuse d’avoir frauduleusement bâti une fortune immobilière, à hauteur de 90 millions d’euros. Un joli trésor qui compte deux hôtels particuliers, une quarantaine d’appartements des beaux quartiers parisiens, un château et plusieurs haras dans le Val-d’Oise. Le PNF a réclamé la confiscation de l’intégralité de ces biens. Le magot proviendrait, selon les magistrats, de fonds syriens détournés et détenus par des sociétés luxembourgeoises gérées par les proches du prévenu. Cy. C.

Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour biens mal acquis  - Articles L'Humanité et Médiapart
Rifaat al-Assad, l’ex-protégé de Paris, comparaît, mais pas pour ses crimes de guerre
14 décembre 2019 Par Jean-pierre Perrin - MEDIAPART

Longtemps chouchouté par les services français et François Mitterrand, l’oncle de Bachar al-Assad comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de blanchiment aggravé. Dans l’ombre du procès, les grands massacres qui lui sont imputés en Syrie et ses relations avec la classe politique qui lui ont permis de devenir l’un des plus grands propriétaires fonciers de Paris.

est un jeu de Monopoly à l’échelle de l’Europe, avec un terrain de jeu qui s’étend de Paris à Londres, via Marbella, Gibraltar et Luxembourg. Sauf que les titres de propriété sont bien réels et que le joueur figure parmi les pires criminels de guerre de la planète. Mais la partie semble bel et bien finie : depuis ce lundi 9 décembre, Rifaat al-Assad, frère de Hafez al-Assad, oncle de Bachar et ancien vice-président de la Syrie, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour blanchiment en bande organisée, dans le cadre du dossier des « biens mal acquis », mais aussi pour travail dissimulé. Un dossier qui demeure néanmoins symbolique puisque les crimes de guerre qui lui sont imputés ne figurent pas à l’ordre du jour.

Le procès de Rifaat al-Assad, qui s’est déclaré « résident britannique », doit durer deux semaines. Il se déroulera en l’absence du prévenu, âgé de 82 ans, qui a invoqué des « raisons de santé ».

La plainte initiale, avec constitution de partie civile, a été déposée le 31 janvier 2014 par deux associations anticorruption, Sherpa et Transparency International France. Elles ont amené le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire sur les conditions d’acquisition de ce patrimoine, puis, après une instruction conduite par le juge Renaud Van Ruymbeke, à une inculpation pour corruption passive, sollicitation ou acceptation d’avantages par un agent public d’un État étranger ou d’une organisation internationale publique et blanchiment du produit d’un crime ou d’un délit, fait commis en bande organisée.

En principe, tout l’empire immobilier de Rifaat al-Assad sur le territoire français a été saisi par la justice depuis un arrêt du 27 mars 2017 de la cour d’appel – les justices espagnole et britannique ont fait de même. Mais à Bessancourt, dans le Val-d’Oise, les écuries du haras Saint-Jacques, que le Syrien possède depuis 1984 et qui fut longtemps son quartier général, sont encore habitées par ses proches. « Vous pouvez y aller. On ne vous tirera pas dessus. Ce n’est plus comme avant ! Faites attention quand même aux pitbulls », avait conseillé le propriétaire d’un centre équestre voisin lors d’une précédente visite. 

Le domaine lui-même s’étend sur 45 hectares. Il comprend un grand château, caché derrière de hautes futaies, des dépendances, des pâturages, un héliport et une immense piscine couverte en marbre, construite en dépit de l’opposition de la municipalité, qui n’en voulait pas en raison du sol schisteux. Depuis cette propriété, on a une vue plongeante sur la base de Taverny, qui fut longtemps le centre de commandement des forces aériennes stratégiques françaises, ce qui indique que le puissant seigneur des lieux avait toute la confiance de l’état-major.

Aujourd’hui la piscine est vide, il n’y a plus de chevaux et les anciennes écuries, en piteux état, ont été transformées en maisonnettes pour le personnel syrien, soit une petite vingtaine de familles, que Rifaat nourrit, loge et paye en liquide dans la plus totale opacité, sans qu’aucune administration ni aucune banque ne s’en soit jamais étonnée.

Dans un coin du parc rouillent trois Cadillac. Mais le château demeure en parfait état, avec un ameublement somptueux – dans un mauvais goût très affirmé –, et la grille en fer forgé s’ouvre encore de temps à autre pour laisser passer une voiture. Mais ce ne sont plus les Ferrari et Porsche d’antan, quand le domaine était flamboyant et que les gardes armés terrorisaient les promeneurs sur le chemin communal longeant le château et lâchaient leurs chiens sur eux à l’occasion.

Fin novembre 1984, bien que banni de Syrie, Rifaat va profiter de la visite de François Mitterrand dans ce pays pour regagner brièvement Damas, sachant que ses relations avec les services français lui valent protection. Dans son pays, il compte toujours des partisans, notamment à Lattaquié et dans la montagne alaouite, où on lui sait gré d’avoir maté les islamistes. Fort de cet appui, il exploitera chaque occasion pour essayer de prendre le pouvoir, prétendant succéder à son frère lors du décès de ce dernier en 2000, au détriment de Bachar al-Assad, et en 2013, se présentant comme un recours dans le conflit syrien, il aura des entretiens sans lendemain à Genève avec des officiels russes.

En même temps, pendant toutes ses années d’exil, Rifaat al-Assad se comporte en France comme en terrain conquis. « Quoi qu’il fasse en voiture, il ne payait aucune amende. Les services se chargeaient de régler les problèmes. D’ailleurs, chez lui, il y avait toujours table ouverte pour eux, confie un journaliste libanais à Paris qui avait un bon copain dans son entourage. Un matin, alors qu’il rentrait d’une folle soirée, vers huit heures et demie du matin, dans son hôtel particulier, il est tombé sur un homme de ménage. Se croyant menacé, il a sorti son flingue et a failli le descendre. »

Au milieu des années 1990, l’un de ses fils, âgé de 16 ans, sort éméché du VIP Room, une boîte des Champs-Élysées et, au volant d’une des Ferrari de son père, percute un jeune en scooter. La victime demeurera handicapée. L’affaire sera soigneusement étouffée. Aucune plainte déposée. Une explication possible à tant de complaisance est que, grâce à ses relations étroites avec les dirigeants saoudiens, il a pu servi d’agent d’influence dans les ventes d’armes au royaume.

Et puis Rifaat ratisse large. Il n’a rien d’un idéologue et ne rêve pas, comme son frère Assad, de restaurer la grandeur arabe. Il a des amitiés avec la dynastie marocaine. Et il n’a pas exclu, s’il prenait le pouvoir, que la Syrie noue des relations diplomatiques avec Israël. Pendant un temps, son chef de la sécurité a été un juif hongrois et, pour la petite histoire, le mari d’une animatrice vedette de la télévision française.

À Bessancourt, il s’est longtemps comporté comme un seigneur, l’ancien maire, un socialiste, lui cédant sur tout, tant il était fasciné par « le bourreau de Hama ». Il faut dire que celui-ci « arrosait » beaucoup la commune. Tout va changer en 2001 avec l’élection d’un nouveau magistrat, Jean-Christophe Poulet, un écologiste qui a aussitôt mis fin en 2001 à des pratiques qui avaient notamment permis la construction du gymnase, « financé par une valise d’argent liquide en 1996 et validé par la préfecture », le financement du centre social – pour compenser le fait que les petits Syriens du domaine sont accueillis dans les écoles de la commune – et d’aider diverses associations locales.

Puis il a engagé la lutte avec l’hôte du haras Saint-Jacques, transformant la sente communale qui sépare les logements délabrés du personnel en voie départementale pour mieux interdire aux gardes d’y circuler armés et de tirer le sanglier à l’arme automatique. Des batailles certes picrocholines, que le maire a largement remportées, bien que le Syrien les ait livrées avec l’appui des « services » français. « À trois reprises, j’ai eu en mairie la visite d’un officier, pas commode, qui me demandait : “Comment se fait-il que cela se passe mal avec les Syriens ? Il y a un intérêt d’État, il faut donc que cela se passe bien” », a-t-il raconté, lors d’une précédente visite à Bessancourt (il n’a pas souhaité nous reparler), précisant que l’officier ne voulait pas que son nom apparaisse sur l’agenda municipal.

Reste le problème du personnel, la vingtaine de familles qui semblent livrées à elles-mêmes dans le haras, où elles habitent sans droit ni titre, travaillent sans fiches de paie, avec des rémunérations sans doute aléatoires, et vivent dans des conditions déplorables, « avec des problèmes de sécurité sanitaire pour les enfants asthmatiques ». Cette situation, qui ne date pas d’hier, n’empêchait pas, il y a encore deux ans, le propriétaire des lieux de demander une extension du château.

Mais le haras Saint-Jacques n’est qu’une infirme portion de l’empire immobilier de l’ancien vice-président syrien. À Paris, il possède un hôtel particulier de sept étages, au 38 avenue Foch, un autre au 13 avenue de Lamballe, un appartement dans cette même artère, une dizaine d’appartements, certains panoramiques, au 100 avenue Kennedy à Paris, une dizaine d’autres au 79 quai André-Citroën et un terrain de 788 m2 non bâti, rue Jasmin. Il faut y ajouter des maisons et appartements à Taverny et près de 7 500 m2 de bureaux à la cité internationale de Lyon.

La plupart de ces biens sont détenus au nom de sociétés anonymes étrangères domiciliées à Luxembourg, plus une société française (SCI du 25 rue Jasmin) pour « gérer » la friche du XVIe arrondissement, dont la valeur est estimée à près de 3,6 millions euros, ou au nom de certaines de ses femmes et de plusieurs de ses 16 enfants. Ce qui permet à Rifaat al-Assad, souligne une source proche du dossier, « de n’apparaître dans aucun fichier administratif, de ne jamais remplir de déclarations fiscales (il est cependant assujetti à l’ISF), de n’avoir pas de compte bancaire à son nom ». Même son domicile véritable reste hypothétique : est-ce à Paris, à Marbella ou à Londres – où il bénéficie d’un splendide appartement au 50 South Street Mayfair ? Quant à sa nationalité, elle est double : il est syrien et citoyen de la République de… Grenade.

Si l’on regarde les comptes certifiés de ses sociétés basées au Luxembourg, on est abasourdi. Pour la Manitouling Holding SA, l’exercice 2010 – il n’y en a pas de plus récent – s’est traduit par un bénéfice net de plus de 165 millions d’euros !

Mais le patrimoine immobilier en France de Rifaat al-Assad n’est rien à côté de celui qu’il a acquis en Espagne à partir de 1988. Car la justice française a convaincu les juges espagnols d’enquêter aussi sur le Syrien et ses proches, dont l’origine des biens dans ce pays remonte là encore aux 300 millions de dollars fournis par Hafez al-Assad en 1984. Renaud Van Ruymbeke s’est donc rendu à Madrid pour fournir des informations à ses collègues espagnols, lesquels ont à leur tour lancé une vaste enquête et saisi, en avril 2017, 503 propriétés, dont l’une, la Marquina, s’étale sur plus de 3 300 hectares et est estimée à 60 millions d’euros. Toutes sont situées dans un périmètre relativement limité, entre Marbella et Puerto Banus, un port de luxe où la plupart des millionnaires espagnols ont leur yacht. Ils ont bloqué aussi de nombreux comptes.

De nouvelles enquêtes devraient suivre dans d’autres pays, ce qui place le Syrien en situation d’homme traqué. Reste le volet des innombrables crimes de guerre qu’il a commis dans son pays. Il y a bien depuis 2013 une procédure en ce sens en Suisse, en vertu du principe de compétence universelle, à l’initiative de Trial International, qui a fourni aux juges helvétiques un dossier volumineux. Mais la procédure est aujourd’hui enlisée. Aussi, les avocats de l’ONG et des plaignants dénoncent-ils « de graves manquements dans la procédure tels que l’annulation d’audiences, le refus d’interpeller et d’entendre le prévenu […], voire une volonté d’enterrer l’affaire »

 
C’est Abdallah ben Abdelaziz ben Saoud, l’un des 53 fils d’Ibn Séoud et lui-même futur roi d’Arabie saoudite, qui a cédé il y a bien longtemps le haras Saint-Jacques à Rifaat al-Assad. Des relations se sont nouées entre les deux familles : l’une des quatre femmes de l’ancien dirigeant syrien est la sœur d’une des épouses du souverain wahhabite.

À cette époque, la fortune de Rifaat est déjà phénoménale. Surtout si l’on songe qu’il est issu d’une famille alaouite pauvre et nombreuse de Qardaha, au cœur du pays alaouite. Au début de sa carrière, il n’était d’ailleurs, selon une autre source, que sous-lieutenant ou simple caporal des services de sécurité syriens au poste-frontière (avec la Turquie) de Bab al-Hawa. Car, à la différence de son frère Hafez, il n’a pas fait de véritables études militaires. Pour améliorer l’ordinaire, la solde étant médiocre, il profite de quelques prébendes, pratique fréquente chez les fonctionnaires syriens. Un haut responsable des douanes a raconté comment il empochait des petits billets de cinq livres pour faciliter le passage des véhicules.

Mais le coup de force perpétré le 22 février 1970 par Hafez al-Assad propulse le sous-lieutenant – ou le caporal – dans les plus hautes sphères. Le voilà promu colonel. À partir de 1971, il dirige les Saraya Al-Difaa an al-Thawara, les Brigades de défense de la révolution (l’Unité 569, de son vrai nom). Elles devaient être la garde prétorienne du régime. Elles deviennent vite une armée privée qui obéit au seul Rifaat. Elles sont surnommées les « panthères roses », à cause des treillis couleur pourpre que portent les miliciens. Selon Michel Kilo, un opposant « historique » au régime syrien, aujourd’hui réfugié à Paris, l’Arabie saoudite les finance et elles comptent 50 000 hommes, avec des blindés et de l’artillerie. Hafez al-Assad laisse faire. Il voit alors en son petit frère l’exécuteur de ses basses œuvres. Et il le sait prêt à tout.

En juin 1980, il préside les représailles contre les islamistes après que son frère a failli être tué par un membre de la garde présidentielle, probablement un islamiste. Le 26 juin 1980, une tuerie à la prison de Tadmor (Palmyre) fait entre 600 et 1 000 morts, selon les chiffres de l’ONG Human Rights Watch. Tous des Frères musulmans ou apparentés. Il y aura dix survivants, des détenus communistes qui ont été épargnés, dont huit sont aujourd’hui encore en vie – c’est grâce à leurs témoignages que l’on saura l’ampleur du carnage. Cette tuerie de masse va faire connaître le colonel Rifaat al-Assad à travers toute la Syrie. C’est par elle, il y a déjà plus de 30 ans, que la guerre civile, celle qui continue de disloquer la Syrie, a commencé.

Le 4 septembre 1981, en pleine guerre du Liban, survient l’assassinat de l’ambassadeur de France à Beyrouth Louis Delamare, à quelques centaines de mètres d’un barrage syrien. Dès le lendemain, l’ambassade sait que les tueurs venaient de Damas et un informateur a même donné leurs noms au premier secrétaire. « Impossible, eu égard à sa position au sein du régime, qu’il n’ait pas eu connaissance de l’assassinat », souligne un diplomate français ayant servi en Syrie. Cela n’empêche pas Rifaat al-Assad de se promener en France où, toujours sur la foi d’une dépêche diplomatique, en date du 17 août 1981, qui annonce l’octroi d’un nouveau visa diplomatique, il devait se trouver peu avant ou au moment même de l’attentat.

En février 1982, ce sont encore les Brigades de défense, avec d’autres forces d’élite, qui répriment un soulèvement islamiste dans la grande ville de Hama. Les affrontements qui s’ensuivront et la répression dureront plus d’un mois. Ce ne sont pas les islamistes qui en pâtiront – beaucoup ont pu s’enfuir – mais la population – environ 400 000 habitants –, tenue pour responsable de l’insurrection. Même s’il le nie aujourd’hui, Rifaat al-Assad dirige la répression. Le bilan sera terrifiant : entre 20 000 et 25 000 morts. Cette mise à mort d’une ville va littéralement imprimer la conscience de la Syrie jusqu’à aujourd’hui.  

300 millions de dollars pour développer son empire immobilier

Est-ce le bruit des grenades lancées à Tadmor ? Son audition est altérée et une note confidentielle du Quai d’Orsay en date du 25 juillet 1980, soit un mois après le massacre de Tadmor, nous apprend qu’il va se rendre à Bordeaux pour consulter un spécialiste de l’ouïe. « Il s’est fait accompagner par une trentaine de gardes armés », écrit le diplomate dans sa dépêche, à ce point stupéfait qu’il a souligné la phrase. Le document ajoute qu’un accord a été trouvé avec la douane française pour que son escorte puisse « entrer avec ses “matériels”, désignés sous l’étiquette “équipements sportifs” », mais que « la présence de ses gardes armés faisait l’objet d’une protestation de l’Union syndicale de la police nationale ».

La même note indique que Rifaat al-Assad possède déjà à Paris « un appartement avenue Foch et une villa en banlieue ». Si l’on ajoute les propriétés acquises à Damas et Lattaquié, l’ancien sous-fifre des services syriens sur la frontière syro-turque a déjà acquis un joli patrimoine immobilier depuis que son frère a pris le pouvoir. Dans d’autres notes confidentielles, on peut lire qu’il ne se déplace jamais en France sans être accompagné d’au moins 25 personnes, des membres de sa famille et leurs gardes du corps, toutes bénéficiant de passeports diplomatiques.

Mais, à partir de 1983, les relations entre les deux frères Assad se détériorent. Ayant rallié à sa cause une partie de l’establishment militaire alaouite, Rifaat cherche à se saisir du pouvoir en profitant de l’hospitalisation de son frère. La lutte fratricide menace de dégénérer en guerre ouverte. Les Saraya al-Difaa encerclent Damas, commencent à prendre des bâtiments publics et à désarmer l’armée régulière. Mais la plupart des hauts gradés alaouites qui sont à la tête des services de sécurité craignent l’arrivée au pouvoir du putschiste et s’y opposent. Hafez al-Assad ayant quitté l’hôpital, l’affrontement n’aura pas lieu. Rifaat capitule. Une explication aura lieu à Moscou, à l’invitation des dirigeants soviétiques. Rifaat est obligé de demeurer plusieurs mois dans la capitale russe, où son protecteur, Gaïdar Aliev, un des chefs du KGB, membre depuis 1982 du Politburo, ne pourra empêcher sa disgrâce à Damas. Il ne sera pas jugé mais ne peut plus y revenir.

Commence un long exil. Hafez al-Assad, pour sauver les apparences et calmer les partisans de son frère, le nomme… vice-président (il le sera du 11 mars 1984 au 8 février 1988) et lui donne une fortune. Selon l’ancien ministre syrien des affaires étrangères Abdel-Halim Khaddam, aujourd’hui en exil en France, le dictateur va puiser dans les caisses de l’État quelque 200 millions de dollars, à quoi s’ajoutent 100 autres millions provenant d’un emprunt à la Libye. Les 200 premiers millions proviennent des frais alloués par le budget national à la présidence de la République. Ce que confirmeront plus tard les enquêteurs français qui, en vérifiant les statistiques syriennes, ont constaté que les frais présidentiels, habituellement de l’ordre de 50 millions de dollars annuels, ont plus que quadruplé pour atteindre 214 millions en 1984, l’année où Rifaat a quitté le pays.

C’est avec ces 300 millions de dollars qu’il va développer son empire immobilier, d’abord en France, où il obtient de s’établir avec plusieurs dizaines de ses partisans après un séjour à Genève, Marbella, Londres… Il possède déjà de nombreux comptes dans divers paradis fiscaux car, en sa qualité de chef des Brigades de défense, il a racketté tant et plus, touché d’innombrables prébendes, organisé la contrebande en provenance du Liban, en particulier de voitures et de matériaux de construction, et le trafic des antiquités. En Syrie, il a mis la main sur le secteur des travaux publics. Khaddam estime qu’il a empoché ainsi 300 autres millions de dollars.

C’est en France qu’il installe sa famille de quatre femmes et seize enfants. Il établit son quartier général au 38 avenue Foch, à Paris, un immeuble de 4 000 m2, qui aura plus tard une discothèque sur le toit et une piscine en sous-sol, et depuis lequel il se livre à des activités politiques très anecdotiques visant, en théorie, à renverser son frère.

Bientôt, le président François Mitterrand va décerner à celui que l’on surnomme en Syrie « le boucher de Tadmor » ou « le bourreau de Hama » le titre de grand officier de la Légion d’honneur pour « services rendus à la Nation ». Nous sommes le 28 février 1986, soit moins de deux années après son départ en exil. Il bénéficie aussi de la protection permanente de la DST, avec, à ses côtés, une femme officier. Un diplomate, qui fut en poste en Syrie, raconte avoir croisé cette femme officier traitant à l’aéroport de Damas, peu avant Noël, où elle lui confiera être venue « remettre aux petits enfants de Rifaat des nounours et autres jouets de sa part ». Un simple factotum ? Sans doute pas puisqu’elle occupera ensuite des postes sensibles : la sécurité de l’ambassadeur d’Israël, celle de Jean-Pierre Raffarin quand il sera premier ministre… Rifaat n’est pas seulement protégé, il est chouchouté par Paris.

Un juge du Luxembourg, interrogé sur les agissements pour le moins troubles du Syrien dans le Grand-Duché, aura cette réponse d’une confondante franchise : « Comment nous serions-nous méfiés ? Il était en permanence accompagné d’un officier des services français. »

C’est François de Grossouvre, l’éminence grise de François Mitterrand, qui est venu voir Rifaat al-Assad dans sa résidence genevoise pour l’inviter à s’installer en France. Le même lui permettra d’y prospérer et d’y bâtir tout un réseau de connivences. Il a même décoré en personne Rifaat de la Légion d’honneur lors d’une cérémonie au château de Rambouillet. Il l’invitera aussi régulièrement aux chasses présidentielles. Il semble convaincu que Rifaat a un destin présidentiel et qu’il faut le garder bien au chaud en attendant qu’il remplace son frère. Erreur catastrophique qui correspond au goût de Mitterrand et de son « duc de Guise » pour les officines douteuses, les « cabinets noirs ».

Tous les services français ont eu Rifaat à la bonne. Au début des années 1980, la DGSE est dirigée par un polytechnicien, Pierre Marion, peu familier du monde du renseignement. Le terroriste d’alors s’appelle Abou Nidal, un Palestinien qui travaille pour le plus offrant. À cette époque, c’est Damas son employeur. Marion est convaincu que Rifaat peut sinon l’éliminer, du moins le « désactiver » du théâtre français, où son groupe, le Fatah-Conseil révolutionnaire, a perpétré l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic (4 morts, 30 blessés), le 3 octobre 1980, puis celui de la rue des Rosiers (6 morts, 22 blessés), le 9 août 1982. Par l’entremise de Grossouvre, le chef de la DGSE va rencontrer peu après le Syrien.

L’entretien se déroule au haras Saint-Jacques. Plus tard, le patron de la DGSE racontera sa rencontre avec « le bourreau de Tadmor » dans une interview au Nouvel Observateur : « Rifaat el-Assad venait à cette époque souvent en France pour se faire soigner, à Bordeaux. Il m’a demandé de venir sans gardes du corps et sans armes. Je suis donc arrivé -bas seul avec mon chauffeur. Après avoir traversé une haie de gardes du corps armés de mitraillettes, je me suis retrouvé face à face avec celui qu’on croyait être un chef d’orchestre du terrorisme proche-oriental. Après cinq heures de conversation, nous avons sympathisé. Il voulait même m’offrir des chevaux arabes. Après une seconde rencontre, une semaine plus tard, il m’a donné sa parole qu’Abou Nidal n’agirait plus sur le territoire français. Il a tenu parole. »

Sauf qu’Abou Nidal va bientôt changer d’employeur, délaisser Damas pour Tripoli, puis Bagdad, servir Mouammar Kadhafi et Saddam Hussein. Et s’il épargne en France le dirigeant palestinien Issam Sartaoui, qui milite pour la paix avec Israël et qu’il a condamné à mort, c’est pour mieux le faire tuer moins de deux ans plus tard au Portugal.

« Les services se chargeaient de régler les problèmes »

Visiblement, Rifaat al-Assad n’a pas respecté ses engagements. À l’été 1983, c’est au tour de deux autres chefs de la DGSE, l’amiral Lacoste – qui a remplacé Pierre Marion – et Alain Chouet, le chef du bureau des opérations antiterroristes dans le monde arabe, de retourner voir Rifaat al-Assad avec une mission analogue, cette fois à Genève, dans sa résidence de vacances. « Nous lui avons fait savoir que, malgré des déclarations fantaisistes, nous savions qu’il était le donneur d’ordre des attentats frappant la France sur son sol et au Liban », écrit Chouet dans son livre Au cœur des services spéciaux (éditions La Découverte).

Il y raconte la rencontre avec celui qu’il appelle « le grand Mamamouchi des services spéciaux syriens » : « Nous nous sommes compris. On a installé une sorte de téléphone rouge entre les services qui a parfaitement fonctionné. […] En tout cas, les attentats syriens contre nos intérêts se sont immédiatement arrêtés en France, ainsi qu’au Liban et le dialogue a été rétabli. » À lire entre les lignes Marion et Chouet, on découvre que le titre de grand officier de la Légion d’honneur a été décerné à un patron du terrorisme. Mais il a rendu tellement de services ! Dans leurs perquisitions, les enquêteurs ont d’ailleurs trouvé des lettres de la DGSE, de Charles Pasqua, de Jacques Chirac…

Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour biens mal acquis  - Articles L'Humanité et Médiapart
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