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Après un bilan sur la pandémie de coronavirus et l’état de santé des peuples africains, l’auteur dresse des perspectives pour sortir des inégalités sociales qui règnent sur le continent mais aussi avec les autres pays du monde.
*Félix Atchadé est médecin.
COVID-19 : PREMIER BILAN DE LA PANDÉMIE
Plus d’un semestre après le début de la pandémie de covid-19, la catastrophe épidémique que les cassandres prédisaient à l’Afrique n’est pas advenue. Au 29 juin 2020, le Centre de contrôle des maladies de l’Union africaine (Africa CDC) a dénombré 383747 cas confirmés de SRAS-CoV-2 . À la même date, la pandémie de covid- 19 avait entraîné la mort de 9691 personnes sur le continent. L’Afrique du Sud et l’Égypte sont les deux seuls pays touchés. Comparée à celle de l’Europe de l’Ouest ou de l’Amérique du Nord, la situation épidémiologique de l’Afrique est donc sans commune mesure en termes de morbidité et de mortalité. Le temps permettra aux chercheurs d’élucider les raisons de cette moindre vulnérabilité à un virus qui ébranle les grandes puissances du monde. En attendant que la science résolve la question, de nombreuses explications sont avancées : démographiques (jeunesse de la population), météorologiques et/ou climatiques (chaleur, humidité, etc.), virologique (c’est un virus à enveloppe, donc fragile sous les tropiques), de santé publique (mise en place précoce du dépistage, distanciation physique...) et économiques (faiblesse des échanges sino-africains), etc.
Ces explications de bon sens relèvent pour le moment d’extrapolations ; il manque des données empiriques pour les confirmer ou les infirmer. La question qui revient inlassablement est de savoir si les systèmes de santé africains pourront faire face si l’expression épidémiologique de la pandémie de covid-19 venait à changer négativement. Sans entrer dans des généralisations abusives, il est légitime de craindre que les difficultés éprouvées par les pays touchés par l’épidémie Ebola qui a dévasté trois pays de l’Afrique de l’Ouest en 2014-2015 se reproduiront dans de nombreux pays du continent en cas de dissémination du SRAS-Cov-2.
Si la catastrophe épidémique n’a pas touché le continent, ses conséquences économiques sont bien présentes. Selon la Banque mondiale, la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4 % en 2019 à une fourchette comprise entre – 2,1 % et – 5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis vingt-cinq ans ( Albert G. Zeufack, Cesar Calderon, Gerard Kambou, Calvin Z. Djiofack, Megumi Kubota, Vijdan Korman, Catalina Cantu Canales, Africa’s Pulse, no 21 (avr. 2020), Banque mondiale, Washington, DC
(https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/33541/9781464815690.pdf sequence=17&isAllowed=y).)). Des millions d’emplois ont été détruits dans le secteur informel qui occupe plus de 80 % des actifs dans la majorité des pays. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) a calculé qu’un confinement total d’un mois sur l’ensemble du territoire africain coûte environ 2,5 % de PIB annuel, soit environ 65,7 milliards de dollars((ONU, Commission économique pour l’Afrique (CEA), COVID-19 : stratégies de déconfinement pour l’Afrique, Addis-Abeba, Éthiopie, 2020 (https://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/ecarprt_covidexitstrategis_fre.pdf).)). Ce montant ne tient pas compte des conséquences de la covid-19 telles que la baisse des prix des matières premières et des flux d’investissements. Face aux difficultés induites par la pandémie, les ministres des Finances et les banques centrales du G20 ont décidé le 15 avril 2020 de suspendre le remboursement de la dette de 76 pays à travers le monde, dont 40 en Afrique. Ainsi, les paiements qui devaient s’opérer en 2020 sont reportés à 2022 et échelonnés sur trois ans, c’est-à-dire jusqu’en 2025. Un geste qui libère 20 milliards de dollars de liquidités.
Ce moratoire concerne une partie seulement de la dette publique : 20 milliards sur les 32 que ces pays doivent rembourser tous les ans, aussi bien à des États qu’à des institutions internationales. La pandémie de covid-19 a rendu insoutenable pour les pays africains le fardeau de cette dette et donné une preuve supplémentaire des inégalités mondiales des termes d’échanges : bases de productions et d’exportations trop étroites, vulnérabilité aux chocs exogènes, y compris aux fluctuations des flux de capitaux.
COMMENT VA LA SANTÉ DES POPULATIONS ?
Si l’espérance de vie à la naissance était particulièrement basse dans les années 1950 (37 ans pour la région entière), tous les pays africains ont progressé sensiblement dans les années 1960,1970 et 1980, avec des gains moyens annuels d’espérance de vie à la naissance de l’ordre de 0,30 année. Entre 1990 et 2008, les taux de mortalité ont augmenté chez les adultes – pour une large part en raison du VIH/sida, qui a fait de très nombreuses victimes parmi les jeunes adultes. Malgré les effets catastrophiques de l’épidémie de VIH/sida, qui a culminé en 2004, l’espérance de vie générale à la naissance est passée de 50 ans en 1990 à 61 ans en 2018. Ces progrès très appréciables n’ont pas permis à l’Afrique de rattraper son retard sur le reste de l’humanité. L’espérance de vie moyenne à l’échelle mondiale était de 72 ans en 2018((Afrique subsaharienne | Data Banque mondiale, http://donnees.banquemondiale.org/region/afrique-subsaharienne (consulté le 5 juill. 2020).)). La réduction des taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a progressé également. L’amélioration de l’accès au traitement des maladies infectieuses telles que la pneumonie, la diarrhée, le paludisme et le VIH/sida, le recours accru aux mesures de prévention comme les moustiquaires imprégnées d’insecticide, la vaccination et les interventions nutritionnelles sont autant d’éléments qui ont influé sur la survie des enfants. Entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des moins de 5 ans est passé de 181 à 83 pour 1000 naissances vivantes. Parallèlement, le taux mondial moyen de mortalité des enfants de moins de 5 ans est passé de 90 à 42 pour 1000 naissances vivantes. Malgré la baisse du taux de mortalité, un tiers de ces décès surviennent pendant la période néonatale (les 28 jours suivant la naissance), principalement en raison de complications de la prématurité, d’une asphyxie à la naissance et d’infections.
À cette forte mortalité infanto-juvénile s’ajoute la mortalité maternelle tout aussi importante. Dans plus de la moitié des pays, le taux dépasse 400 décès pour 100000 naissances vivantes, pour atteindre 1360 pour 100000 naissances en Sierra Leone. Cette forte mortalité est liée à des conditions environnementales défavorables, et surtout aux difficultés de prise en charge des complications obstétricales dont le risque accompagne tout accouchement. Les principales causes des décès maternels sont les hémorragies (34 %), les infections (9 %), les éclampsies (17 %), les dystocies (11 %), les avortements non sécurisés (9 %) ((sanitaires de la région africaine 2016
(http://www.aho.afro.who.int/sites/default/files/publications/5296/Atlas-2016-fr.pdf).)).
LA TRANSITION ÉPIDÉMIOLOGIQUE EST AMORCÉE
L’Afrique continue de ployer sous une lourde charge de maladies transmissibles, en dépit des progrès réalisés vers la réduction de l’incidence et de la mortalité associées à ces maladies. À la fin de 2018, on comptait 25,7 millions de personnes vivant avec le VIH, dont 2,3 millions d’enfants âgés de moins de 15 ans. Le sida africain n’est pas univoque aussi bien quantitativement, au regard des niveaux d’infection, que qualitativement, du fait de l’hétérogénéité moléculaire du virus. L’épidémie varie beaucoup d’un pays à l’autre, la prévalence du VIH chez les adultes allant de moins de 2 % dans certains pays du Sahel à plus de 15 % dans la plupart des pays d’Afrique australe. Contrairement à ce qui est observé dans les autres parties du monde, la majorité des personnes infectées en Afrique subsaharienne sont des femmes (59 %), souvent des femmes jeunes de moins de 30 ans.
La majeure partie des personnes infectées par le VIH en Afrique sont des femmes.
L’Afrique affiche la plus forte incidence et la plus forte prévalence de la tuberculose, ainsi que la mortalité tuberculeuse par habitant la plus élevée. Le paludisme reste un problème majeur de santé et de développement en Afrique. Plus de 800 millions d’individus sont exposés à ce fléau, et 82 % d’entre eux courent un risque élevé de contracter la maladie. Selon des estimations, 219 millions de cas (92 % du total mondial) et 400000 décès (91 % du total mondial) sont survenus sur le continent en 2017. Les maladies à tendance épidémique et pandémique sont des menaces de santé publique. Elles peuvent être responsables de niveaux élevés de morbidité et de mortalité et elles ont des effets désastreux sur les économies. Des pays ont déclaré des épidémies de choléra, de maladie à virus Ebola et Marburg, de fièvre jaune, de méningite à méningocoque et de fièvre de Lassa.
Les quatre principaux types de maladies non transmissibles (MNT) sont les maladies cardio-vasculaires (accidents vasculaires cardiaques ou cérébraux), les cancers, les maladies respiratoires chroniques (comme la broncho-pneumopathie chronique obstructive ou l’asthme) et le diabète. En 2010, 40 % des décès survenus en Afrique étaient liés aux MNT et aux traumatismes. Selon les projections, à l’horizon 2025, les maladies non transmissibles et les traumatismes seront responsables de plus de la moitié (55 %) des décès. En plus des principales maladies non transmissibles, l’Afrique supporte une lourde charge de drépanocytose, d’affections bucco-dentaires et de troubles auditifs et de la vision (OMS Afrique, 2016). En nombre de décès imputables, le principal facteur de risque de MNT est l’hypertension artérielle (à laquelle on attribue 13 % des décès dans le monde), suivie du tabagisme (9 %), de l’hyperglycémie (6 %), de la sédentarité (6 %) et du surpoids ou de l’obésité (5 %). Le nombre d’enfants en surpoids croît rapidement dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, l’évolution des sociétés est à l’origine de la fréquence d’événements comme les accidents de la circulation ou les avortements clandestins. De plus, les structures de santé sont confrontées à de nouvelles pathologies dont la prise en charge est extrêmement coûteuse. C’est le cas des dialyses rénales des patients souffrants d’insuffisance rénale((OMS Afrique, op. cit.)).
La situation sanitaire des pays d’Afrique reste dominée par les maladies infectieuses et tropicales, tout en étant confrontée à une vague montante de maladies chroniques (cancers, diabètes, maladies cardio-vasculaires, respiratoires et mentales, handicaps), dont l’ampleur reste à préciser.
UNE BRÈVE HISTOIRE DES POLITIQUES DE SANTÉ
La médecine a longtemps été présentée comme le côté noble de la colonisation, mais elle en a été aussi et surtout un instrument((Wim Van Lerberghe et Vincent De Brouwere, « État de santé et santé de l’État en Afrique subsaharienne », in Afrique contemporaine, t. 195, juill.-sept. 2000, p.175-190.)). L’organisation moderne des systèmes de santé en Afrique remonte pour l’essentiel aux années 1920-1930 avec, dans les colonies françaises, une empreinte très marquée du service de santé des armées. Au coeur du dispositif, l’hôpital jouait un rôle essentiel, puis autour s’organisait un réseau d’institutions publiques et privées de soins.
Après les indépendances, les nouveaux gouvernements se sont engagés dans l’extension des services de santé de base dont la très grande majorité de la population était privée. Le principe de gratuité des soins était un des fondements de l’offre publique de soins. Dans les années 1960, les politiques de santé se définissaient en termes de programmes verticaux privilégiant des stratégies de lutte contre les grands fléaux en négligeant les actions en faveur de la viabilité des organisations qui conçoivent et mettent en oeuvre ces politiques.
Entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des moins de 5 ans est passé de 181 à 83 pour 1000 naissances vivantes.
L’offre de soins((Martine Audibert, Jacky Mathonnat et Éric De Roodenbeke. « Financement de la santé dans les pays à faible revenu : questions récurrentes, nouveaux défis », in Médecine tropicale, vol. 64, 2004, p. 552-60.)) en faveur des populations urbaines a été développée, et les grands centres hospitaliers ont joué un rôle important tout en mobilisant l’essentiel des ressources. Au Sénégal, par exemple, pendant les cinq premiers plans de développement, de 1961 à 1981, la partie des investissements consacrée aux hôpitaux a été de 51 à 62 % du budget de la santé publique((Pierre Jacquemot, « Les systèmes de santé en Afrique et l’inégalité face aux soins », in Afrique contemporaine, no 3, 2012, p. 95-97.)). La Déclaration d’Alma-Ata, en 1978, en faveur des soins de santé primaires marquera un tournant important dans les politiques sanitaires. Le contexte historique est celui de la confrontation Est/Ouest où les appels à la justice sociale et à l’équité sont au-devant de la scène dans les pays développés comme dans les pays en développement((Walt Gill, Susan Rifkin, « Le contexte politique des soins de santé primaires », 1990.)).
La deuxième phase, tout en réaffirmant l’orientation en faveur des soins de santé primaires, introduit la participation financière des usagers et cherche à intégrer les actions de santé selon une approche en termes de système de santé de district. C’est ce que l’on appela l’Initiative de Bamako. L’Initiative de Bamako, adoptée en 1988, se voulait une politique de relance de la stratégie des soins de santé primaires tout en renforçant l’équité d’accès aux soins. Dix ans après, des recherches au Mali et au Burkina ont constaté le fait que cette politique ne s’est pas traduite en un meilleur accès aux services de santé parmi les plus démunis, qu’elle a marginalisé davantage certains sous-groupes déjà très vulnérables au profit d’une plus grande viabilité financière des structures de santé((Valéry Ridde et J-E. Girard, « Douze ans après l’initiative de Bamako : constats et implications politiques pour l’équité d’accès aux services de santé des indigents africains », in Santé publique, 16.1, 2004, p. 37-51.)). Au début des années 1990, le paysage institutionnel de la santé internationale change avec l’entrée en scène de la Banque mondiale et de la Commission européenne. Après avoir publié dès 1987 un rapport sur le financement des services de santé, la Banque mondiale, très critiquée pour ses politiques macroéconomiques, appelle les États et la communauté internationale à « investir dans la santé », en particulier en Afrique, comme le souligne le titre de son rapport annuel de 1993. La Banque mondiale ne se contente plus d’être un partenaire financier des stratégies((Dominique Kerouedan, « Améliorer la santé ou bien gérer l’argent ? », in Dominique Kerouedan et Joseph Brunet-Jailly, Santé mondiale. Enjeu stratégique et jeux diplomatiques. Presses de Sciences Po, 2016.)) nationales ou internationales, elle élabore des priorités et stratégies.
La troisième phase, influencée par les analyses entre santé et développement et les objectifs pour le développement, met en exergue la nécessité de développer les dispositifs assurantiels((Alain Letourmy, « Le développement de l’assurance maladie dans les pays à faible revenu : l’exemple des pays africains », in Comptes Rendus - Biologies, 331.12, 2008, p. 952-963.)). La Déclaration du millénaire de l’ONU marque un tournant décisif pour les politiques internationales en faveur du développement. La situation sanitaire des pays du Sud est telle que trois des objectifs du millénaire pour le développement concernent la santé, outre celui de rendre les médicaments essentiels disponibles et abordables pour les pays en développement. C’est le moment global health, avec l’augmentation des flux financiers d’aide dans le domaine de la santé. Cette nouvelle orientation met les besoins sanitaires des pauvres et le renforcement des systèmes de santé au centre des préoccupations de l’aide. En effet, entre 1995 et 2009, la part du secteur social dans le total de l’aide au développement passe de 28 % à près de 42 %, celle de la santé passant de 7 % à 12,5 %. En volume l’accroissement est tout aussi spectaculaire, l’aide à la santé passe de 4 à près de 20 milliards de dollars (constants, 2008) entre 1995 et 2009. Cette étape est marquée par la transformation de la gouvernance mondiale de la santé avec la création de partenariats public-privé (PPP) mondiaux, tels que l’Alliance mondiale de la vaccination et de l’immunisation (GAVI) et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme où le secteur privé lucratif ou philanthropique a pris le leadership. Les politiques sanitaires menées dans les faits accordent une attention trop importante aux maladies à potentiel pandémique comportant des aspects sécuritaires pour les pays riches, au détriment des objectifs de santé de base considérés pourtant comme pro-pauvres((Mamadou Barry, « Sécurité des riches contre besoins des pauvres ? L’aide à la santé en Afrique », in Revue française de socio-économie, 2013/1, p. 101-123.)). À titre d’exemple, l’approche verticale qui sous-tend la lutte contre le sida, en entravant le renforcement et le « bon fonctionnement » des systèmes de santé, nuit à l’accès aux services de santé de base pour les plus pauvres c’est-à-dire la majorité de la population africaine.
DE LA JUSTICE SOCIALE ET DE L’ÉQUITÉ COMME SOLUTIONS
En Afrique, plus qu’ailleurs, il est nécessaire d’admettre que le champ de la santé peut être modelé par le volontarisme politique, et qu’en l’occurrence les performances sanitaires actuelles du continent sont le fruit d’un processus historique moyennement soucieux d’équité et de justice. L’amélioration des performances des systèmes de santé du continent passe par la lutte contre les inégalités sociales et géographiques et des réformes sectorielles hardies. L’idée que la santé des populations est déterminée par une série de facteurs liés à l’environnement, à l’économie, au social et au service soins de santé, doit inspirer toutes les politiques. L’amélioration de la santé des populations doit être considérée comme le moyen d’atteindre le développement, mais aussi comme le but ultime de celui-ci.
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